Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Audition de M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des Outre-mer.  2

         Suite de l’examen de la proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823) (Mme Louise Morel et M. Nicolas Turquois, rapporteurs)                            25

 


Mercredi
19 février 2025

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
Président


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La séance est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des Outre-mer.

M. le président Florent Boudié. Nous sommes très heureux de vous accueillir pour la première fois, monsieur le ministre d’État, d’autant plus que les sujets d’actualité concernant votre ministère – qui occupe, à juste titre, une place sans précédent dans l’architecture gouvernementale – ne manquent pas.

Je souhaite vous interroger sur deux sujets particulièrement brûlants. Tout d’abord, nous avons voté la loi organique du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard le 30 novembre prochain. Ce report était motivé par la nécessité de trouver un accord avant la tenue des élections. De fait, vous avez organisé des discussions bilatérales séparées avec les représentants indépendantistes et loyalistes, et vous vous rendrez longuement en Nouvelle Calédonie très prochainement. Après ces discussions, avez-vous le sentiment que des échanges directs entre les parties sont envisageables à court terme, préalable indispensable à la conclusion d’un accord et à l’organisation des élections dans les délais ?

Je dirai également quelques mots sur Mayotte, un sujet qui mobilise la commission des lois depuis bien avant le cyclone Chido. En 2024, nous y avons organisé pas moins de trois déplacements dans la perspective de la loi « Mayotte », annoncée depuis plusieurs années, que nous aurions dû examiner l’été dernier. En effet, si la loi d’urgence est indispensable, Mayotte a besoin de réformes structurelles. Quelles seront les principales mesures du futur projet de loi, ainsi que son calendrier d’examen ?

M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer. En dehors de la délégation aux outre-mer, présidée par Davy Rimane, dont c’est la vocation première, s’il est une instance qui, au sein de cette assemblée, s’intéresse de près aux enjeux de nos outre‑mer et tient compte de leurs spécificités, c’est bien la commission des lois. Cette expertise m’oblige d’emblée à être clair avec vous : je ne suis pas à la tête de ce ministère pour répéter les éléments de langage, ni pour céder à une vision datée, condescendante et administrative de nos outre-mer, ni pour seulement gérer, mais bien pour transformer.

Dans son rapport aux outre-mer, la France est passée de la domination à une forme d’infantilisation : je souhaite la remplacer par la considération que nous devons aux Ultramarins et par la valorisation de ces territoires. Il est indispensable de retrouver une vision politique, au sens noble du terme. Nous devons nous poser la question formulée par la députée Émeline K/Bidi au Premier ministre à l’issue de sa déclaration de politique générale : « Qu’est‑ce que la France d’outre‑mer ? »

Elle n’intéresse pas seulement les 2,6 millions de citoyens qui vivent sur ces territoires et le million de nos compatriotes qui en sont originaires sans y vivre, mais aussi la nation tout entière. Si nous sommes familiers des atouts considérables des outre‑mer – la mer, la biodiversité, les sportifs, la littérature, les forces vives, la jeunesse et l’intelligence –, les défis y sont également immenses : nous oublions souvent d’admettre que les crises y sont les plus dures, les vulnérabilités les plus fortes, les relations de confiance les plus difficiles à construire.

Cela n’est pas dû au hasard mais résulte d’un sentiment de mépris et d’abandon. Quand grondent les émeutes, quand frappent les cyclones, quand éclatent les tempêtes, les territoires ultramarins se rappellent aux autorités parisiennes et aux populations hexagonales, mais quand se calme la fièvre, quand passent les tornades, quand cessent les pluies, ils retombent immédiatement dans l’oubli. Je veux m’attaquer à toutes les difficultés avec la même énergie, en m’interrogeant : « Qu’est-ce que la France d’outre-mer ? »

L’outre-mer, ce sont d’abord des urgences à gérer. La première d’entre elles est la situation de Mayotte après Chido. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à de nombreuses reprises devant l’Assemblée sur ce sujet. Nous nous éloignons progressivement de la phase des urgences vitales puisque la situation est désormais stabilisée, ce qui ne signifie pas que tout est réglé. L’adoption définitive du projet de loi d’urgence pour Mayotte, la semaine dernière, a été une étape décisive pour engager le deuxième temps : la reconstruction, qui échoit en grande partie au général Pascal Facon.

Toutefois, sans mesures plus structurelles, nous reconstruirons Mayotte sur du sable. Nous avancerons donc très prochainement vers la troisième étape, celle de la refondation. Après concertation avec les élus, je présenterai au printemps un projet de loi-programme, qui traitera de toutes les questions : il visera surtout le développement économique, social et éducatif du territoire sur de nouvelles bases et portera également des mesures fermes pour lutter contre le fléau de l’immigration.

La deuxième urgence est la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes à un moment décisif, historique. La Nouvelle-Calédonie est à terre économiquement : les dégâts des violences et des destructions de mai 2024 sont estimés à 15 % du PIB et 2 milliards d’euros. Le chômage touche 37 000 Calédoniens. L’État soutient et soutiendra la reconstruction.

La Nouvelle-Calédonie est aussi et surtout meurtrie. Le sang a de nouveau coulé sur le territoire. Les fractures sont profondes et des maux – le racisme – se sont imposés. Je sais pourtant que seul le dialogue permettra de reconstruire un projet commun et partagé, et d’imposer la paix. Je m’y emploie depuis plusieurs semaines et je me rendrai sur place demain, pour huit jours au moins, afin de poursuivre ce travail.

Comme Michel Rocard, Lionel Jospin, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, il nous faudra être inventifs, ambitieux et courageux. Les accords de Matignon et de Nouméa sont le socle de nos discussions. Il nous appartient de construire une Nouvelle‑Calédonie unie et indivisible, qui s’appuie sur le dynamisme de ses trois provinces et de ses communes, d’imaginer une souveraineté avec la France, qui protège chacun, tout en poursuivant et achevant le processus de décolonisation et en garantissant le droit constitutionnel à l’autodétermination.

Je crois profondément au destin commun. À cet égard, le gouvernement assumera ses responsabilités. J’appelle tous les acteurs concernés à être à la hauteur de ce moment historique.

La troisième urgence est celle de la vie chère. Le constat est sans appel. En 2022, l’écart de prix vis-à-vis de l’Hexagone sur l’alimentaire était de 47 % à Saint-Martin, de 42 % en Guadeloupe, de plus de 40 % en Martinique et en Guyane, de plus de 36 % à La Réunion, de plus de 30 % à Mayotte. Saint-Barthélemy est également touchée. C’est insoutenable pour nos compatriotes ultramarins, et cela doit être insupportable pour nous tous. Il s’agit d’une véritable fracture sociale, qui met en péril la cohésion sociale et l’intégrité même de ces territoires comme de notre nation.

L’heure n’est plus aux demi-mesures ou aux solutions désuètes. Je ne céderai à aucune facilité : ni tout-marché, ni tout-État. Il nous faut un plan de bataille complet et structurel, qui s’attaque méthodiquement à tous les facteurs expliquant la cherté de la vie. Je le résume en cinq mots, le premier étant la concurrence. Je tiens, depuis plusieurs semaines, un propos de vérité. Oui, le partage et la chaîne de valeur ne sont pas équitables outre-mer. Oui, il y a des grands groupes très performants mais qui jouent parfois un rôle d’étouffement de l’économie, et, à travers elle, des populations.

Pour mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles, je ne crois pas en la seule bonne volonté des acteurs. Je veux remettre en première ligne de ce combat l’Autorité de la concurrence (ADLC) de la Nouvelle-Calédonie, renforcer ses moyens et la rapprocher du terrain. Je souhaite avancer sur la création d’un service d’instruction spécialisé et dédié aux outre‑mer. Sans doute faut-il aussi augmenter le nombre des saisines, en abaissant les seuils de chiffre d’affaires à partir desquels il est possible de contrôler les concentrations outre‑mer.

Le deuxième mot est la transparence. Trop d’entreprises ne se conforment pas à l’obligation de publication des comptes. Je suis déterminé à renforcer les sanctions et à les rendre plus dissuasives. Nous devons réfléchir à des mesures plus originales, comme la mise en ligne systématique des prix en temps réel. Le name and shame n’est pas non plus un tabou pour moi.

Troisième mot : l’exigence. Suivant la philosophie du protocole martiniquais, les efforts doivent être partagés. Du côté des collectivités, une réforme globale de l’octroi de mer doit enfin être mise sur la table, pour le recentrer sur les produits importés concurrents des produits locaux et favoriser l’investissement, sans perte d’autonomie pour les collectivités. S’agissant de l’État, la promulgation de la loi de finances permettra de tenir notre engagement d’appliquer une TVA à taux zéro pour les produits de première nécessité. Il nous reste à imaginer un mécanisme permettant de réduire les frais d’approche ; nous y travaillons très activement. Il fera appel à des contributions des acteurs privés, notamment des transporteurs. Je veux trouver le meilleur rouage, conforme au droit de l’Union européenne, et garantir une répercussion immédiate sur les prix. Enfin, si les distributeurs ont déjà réalisé un effort sur leurs marges, je souhaite aller plus loin et encadrer très fortement les marges arrière, qui ajoutent fortement à l’opacité de la formation des prix des produits et à la réalité des bénéfices réalisés par les grands groupes.

Le quatrième mot est la renaissance. Mon projet est celui d’une véritable transformation économique. Les économies ultramarines souffrent encore des stigmates de la colonisation. Pour sortir d’une économie de comptoir, il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l’autonomie alimentaire, mettre un terme au commerce exclusif avec l’Hexagone et réduire la dépendance énergétique en accélérant la transition vers les énergies renouvelables et en développant, par exemple, des petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR), dans une logique d’innovation.

Cinquième mot, enfin : le bon sens. Pour réduire les prix, il nous faut rompre avec un modèle infantilisant, parfois ubuesque. Limitons les importations – très coûteuses – depuis l’Hexagone ou l’Union européenne à ce qui est strictement indispensable. Mayotte importe son bois de Lettonie, alors qu’il existe des alternatives en Afrique du Sud. Saint-Pierre-et-Miquelon se voit imposer un marquage « CE », alors que l’archipel se situe à proximité du Canada. En lien avec les assureurs, il nous faut avancer sur une plus grande adaptation des normes à la réalité des sociétés ultramarines.

Les propositions sont nombreuses, en provenance d’initiatives législatives, mais aussi du rapport « Les Outre-mer, notre défi commun », remis au Président de la République par Frédéric Monlouis-Félicité et Pierre Égéa. Au-delà de la réalité économique – l’éloignement qui augmente les coûts, l’étroitesse des marchés qui empêche les économies d’échelle, et, parfois, la faiblesse des infrastructures –, il y a aussi ce qui relève de la tromperie et de l’abus de position dominante. Sur ces points, je serai intraitable.

Ce sujet est l’un des plus déterminants. Il devient un catalyseur de la rupture de confiance entre les outre-mer et l’Hexagone. Il est notre marge de manœuvre la plus importante et la plus concrète pour changer la vie de nos compatriotes. Il touche aussi les questions régaliennes. Si je condamne avec la plus grande fermeté toutes les violences – j’ai redit à la tribune de l’Assemblée nationale mon soutien aux forces de l’ordre –, je sais aussi qu’il n’y a pas d’ordre sans justice, pas d’ordre régalien sans justice sociale.

Deuxièmement, les outre-mer nécessitent des actions fortes sur des sujets trop longtemps laissés de côté. Il est temps de s’attaquer à toutes les causes des inégalités qui affectent la vie de nos compatriotes ultramarins. Si je ne prétends pas tout régler, je suis déterminé à avancer sur tous les sujets.

La situation sécuritaire est très inquiétante. L’ultraviolence, nourrie par l’immigration clandestine, met Mayotte à genoux. Le narcotrafic menace de faire s’effondrer les Antilles, voire la Guyane. Dans ce territoire, qui subit déjà les fléaux de l’orpaillage illégal et de la pêche illicite, le taux d’homicides atteint 20,6 pour 100 000 habitants, soit quatorze fois la moyenne nationale. L’insécurité progresse même dans des zones jusqu’alors épargnées, comme Saint‑Barthélemy.

L’intégrité des territoires ultramarins est aussi remise en cause par les ingérences étrangères, notamment en provenance de l’Azerbaïdjan. J’appelle les représentants de la nation que vous êtes à refuser toute complaisance avec les autorités de Bakou. Si je ne juge pas les convictions de ceux qui se rendent dans ces cénacles anti-France, en participant à ces initiatives, ils ne sont que les pions d’un jeu diplomatique qui n’a qu’un seul but : nous affaiblir tous. Je veux aussi lutter avec la plus grande fermeté contre l’immigration clandestine, notamment à Mayotte et en Guyane. Sur toutes ces questions, un rapport transpartisan de la délégation sénatoriale aux outre-mer de Philippe Bas et Victorin Lurel nous invite à un choc régalien. Il faut nous y préparer.

La lutte contre les violences intrafamiliales, en particulier celles faites aux femmes, doit être un combat quotidien. La Réunion est le deuxième département français le plus touché. La Polynésie est aussi concernée par ces phénomènes.

Sur des territoires où l’égalité des chances est encore trop souvent un mirage, il faut faire de l’éducation une priorité. L’enjeu du transport scolaire est criant. L’illettrisme est aussi largement surreprésenté en outre-mer. Le taux de jeunes touchés est supérieur au double de celui de l’Hexagone pour les Antilles et La Réunion, cinq fois supérieur pour la Guyane.

Le régiment du service militaire adapté (RSMA) joue un rôle déterminant pour faciliter l’insertion professionnelle dans nos outre‑mer. Je soutiendrai autant que possible ce creuset républicain et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour donner à la jeunesse ultramarine les moyens de déployer son potentiel. À cet égard, la culture est un outil qui me tient particulièrement à cœur. Je veux relancer le mécénat culturel pour soutenir les artistes et créateurs qui souhaitent produire dans leur région mais ne le peuvent pas, faute de moyens et de structures adaptées. Les pratiques culturelles d’outre‑mer doivent aussi rayonner, sur place et dans l’Hexagone.

J’en viens à deux enjeux d’avenir qui nécessitent des actions de moyen et long termes, déjà engagées, que je veux poursuivre et amplifier, en premier lieu l’adaptation au changement climatique. Nous devons aux territoires ultramarins notre prise de conscience précoce de ses dangers. Ils sont en première ligne en raison de leur positionnement géographique, majoritairement dans la zone sensible de la ceinture intertropicale, et parce qu’ils hébergent 10 % de la biodiversité, 10 % des récifs coralliens et 20 % des atolls de la planète. Ce qu’il convient d’appeler le « réflexe outre-mer » doit donc être présent, tant dans l’élaboration des stratégies que dans leur mise en œuvre. Je serai attentif aux conclusions de la mission d’inspection en cours sur le recul du trait de côte, comme je le suis sur l’enjeu de l’accès à l’eau potable, notamment dans l’océan Indien.

Enfin, la France accueillera en juin prochain la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc). Ce sommet doit se conclure par une véritable stratégie complète de protection des océans et donner un nouvel élan à la politique maritime française. Si la France est la deuxième puissance maritime mondiale, c’est parce que 97 % des 11 millions de kilomètres carrés qui constituent sa zone économique exclusive (ZEE) sont situés outre-mer.

Le vieillissement de la population, qui frappe de plein fouet les Antilles, est un autre enjeu d’avenir. Cette nouvelle donne démographique impose un chantier d’adaptation de la société, de renforcement de l’accès aux soins et de développement des Ehpad.

Si d’autres enjeux sont essentiels pour approfondir la convergence sociale – emploi, logement, lutte contre la précarité –, tous ont vocation à être traités dans le futur comité interministériel des outre-mer (Ciom), que je veux réunir au deuxième trimestre. Le dernier Ciom a envisagé soixante-douze actions, dont trente-deux ont été réalisées. C’est trop peu et trop lent. Je veux agir, dans la concertation avec les élus, pour imaginer un nombre modéré d’actions, dont nous devrons assurer un suivi quotidien. La question – essentielle – du logement sera approfondie dans le cadre du nouveau plan Logement outre-mer (Plom), d’ici à l’été.

Depuis mon arrivée à la tête du ministère des outre‑mer – je suis le huitième ministre des outre-mer en sept ans, le sixième en deux ans –, je m’attache à bousculer les conservatismes et les lenteurs administratives. Le choix du Premier ministre d’élever le ministère des outre‑mer au rang de ministère d’État m’oblige. Il est un moyen de porter un changement radical dans notre rapport à ces territoires.

Enfin, se demander ce qu’est la France d’outre‑mer doit nous conduire à réinventer notre relation avec elle. La question institutionnelle est la première qui vient à l’esprit. Le rapport de Philippe Gosselin et Davy Rimane sur l’avenir institutionnel des outre‑mer nous livre de nombreuses et précieuses pistes. Sur ce sujet, je n’ai aucun tabou. La dichotomie entre les articles 73 et 74 de la Constitution est sans doute désuète : nous pourrions envisager un cadre unique offrant la possibilité de différenciation, précisé par des lois organiques.

Chaque territoire doit être regardé avec ses spécificités, qu’il soit réticent à toute évolution majeure, comme La Réunion, ou déjà très engagé dans l’autonomie, comme la Polynésie française. Nous devons avancer de façon pragmatique, concertée, avec pour seule boussole l’efficacité des politiques publiques. Nous devons aussi respecter certaines spécificités, notamment le droit coutumier, comme en matière de foncier à Wallis‑et‑Futuna. L’aspiration institutionnelle ne doit cependant pas être une manière d’éviter les problématiques économiques et sociales, notamment la lutte contre la vie chère. Je me méfie à cet égard d’une surenchère ou d’une fuite en avant institutionnelle, qui nous éviterait de traiter ces questions de fond.

Le changement de relation auquel je pense est plus profond encore. Nous passons notre temps à dire que les outre-mer nous font rayonner : il est grand temps qu’ils rayonnent aussi par eux‑mêmes et pour eux‑mêmes !

J’ai proposé d’ouvrir le débat sur l’exploitation des hydrocarbures en Guyane, que je sais compliqué et que presque tous les élus demandent. De quel droit refuserions-nous de nous poser la question, alors que tous les voisins – le Suriname, le Guyana, probablement bientôt le Brésil – ont franchi le pas ?

Je souhaite mettre fin au parisianisme de l’appareil d’État. Cessons d’infantiliser les Ultramarins ! Je veux que l’on écoute les élus, les populations et que l’on cesse de refuser unilatéralement, depuis Paris, d’écouter, voire de débattre, car il n’y a pas de meilleur moyen pour éloigner ces territoires de la République.

Il reste beaucoup à construire encore. Le plus dur est aussi le plus important : la confiance et la justice. La République est partout chez elle, mais il faut aussi que tout le monde se sente chez soi dans la République et dans la France.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Marie-France Lorho (RN). Depuis près de deux semaines le gouvernement échange avec les différents partis de la Nouvelle-Calédonie. Vous avez ainsi pu, monsieur le ministre d’État, entendre la position des indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et des formations non indépendantistes du territoire. En premier lieu, quel est l’état des discussions après cette rencontre bilatérale ?

Par ailleurs, vous avez récemment indiqué vouloir préparer un compromis entre les positions antagonistes loyalistes et indépendantistes. Vous avez souligné, sur le fondement de l’accord de Nouméa signé en 1998, que la trajectoire était celle d’une souveraineté partagée à une souveraineté pleine et entière. Vous avez précisé être, à titre personnel, opposé à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, bien qu’attaché au principe de la souveraineté avec la France. Ces déclarations semblent contradictoires : quelle position le gouvernement compte-t-il adopter ?

Enfin, vous avez indiqué vous rendre à Nouméa le 22 février, pour un peu plus d’une semaine, dans la perspective de continuer la discussion. Quelles seront les priorités du gouvernement à l’occasion de ce déplacement ? Quelle réponse entendez-vous donner à nos compatriotes calédoniens, qui subissent de plein fouet le chômage et le revers d’une crise sociale en plein essor ?

M. Moerani Frébault (EPR). Les outre-mer ne sont pas de simples prolongements de l’Hexagone. Ce sont des terres dotées d’un peuple, d’une histoire, d’une culture et confrontées à des défis immenses.

Trop souvent, nous sommes enfermés dans des schémas dépassés, nous recevons des réponses uniformisées, qui ne prennent en considération ni les réalités locales ni les aspirations de nos populations. L’outre-mer, ce sont trois océans mais une même attente : qu’on nous traite avec respect et ambition. Nous, ultramarins, avons besoin de réponses différenciées et adaptées pour atteindre l’égalité réelle. La vie chère nous étouffe, les inégalités nous fracturent ; nous attendons du gouvernement que sa politique rompe avec les demi-mesures et les ajustements à la marge. Au-delà des enjeux transversaux, chaque bassin maritime – atlantique, indien, pacifique – est spécifique. Chaque statut exige une réponse sur mesure.

En Polynésie, l’électricité est un luxe pour de trop nombreuses familles. Comment justifier que nous ne bénéficiions toujours pas de la péréquation nationale ? Pourquoi l’énergie, ressource vitale, est-elle plus chère chez nous que partout ailleurs en France ? Cette injustice ne peut plus durer. Je vous remercie, monsieur le ministre d’État, d’avoir été le premier à accepter d’avancer sur ce sujet. Nous espérons que vous êtes prêt à déployer une stratégie différenciée et ambitieuse, à la hauteur de nos attentes. Les outre-mer ne demandent pas des promesses ; nous avons besoin du courage et de l’expérience d’un homme d’État tel que vous.

En Nouvelle-Calédonie, l’urgence est avant tout politique et économique. La stabilité institutionnelle est essentielle pour l’avenir des Néo-Calédoniens, qu’ils veulent dans la France, comme ils l’ont exprimé à trois reprises par référendum. En Polynésie, nous ressentons les répercussions des événements survenus depuis mai 2024. Un cycle de discussions est engagé et vous vous rendrez prochainement sur le Caillou. Pendant ce temps, à Paris, certains alimentent les polémiques et attisent les divisions en évoquant des ambiguïtés inacceptables du gouvernement, afin d’empêcher tout accord. Quelle est la position du gouvernement ?

M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Face à la crise persistante du logement et aux besoins élevés en matière de réhabilitation, de nombreuses familles et des personnes âgées précaires de Martinique et de Guadeloupe ont voulu bénéficier, par le biais des opérateurs sociaux, du dispositif prévu à l’article 199 undecies C du code général des impôts, que la société NB Finances et patrimoine a mis en œuvre. Ces personnes se trouvent aujourd’hui confrontées à d’extrêmes difficultés pour recouvrer la pleine propriété de leur logement, à cause d’un redressement fiscal massif des investisseurs qui ont financé les travaux de réhabilitation.

Instauré par la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom) de 2009, ce dispositif fiscal inédit ouvrait droit à une réduction d’impôt sur le revenu à raison de travaux de réhabilitation effectués dans des logements achevés depuis plus de vingt ans et destinés à être donnés en location à un organisme de logement social chargé de les sous-louer pendant cinq ans. À l’issue de cette période, les investisseurs cédaient leurs parts aux bénéficiaires pour 1 euro symbolique. Or, pour de nombreux dossiers de 2015 et 2016, le processus de rétrocession est paralysé. Le motif allégué est le non-respect du seuil de 5 % de subventions publiques et, par voie de conséquence, de l’opposition des investisseurs ayant fait l’objet de reprise de leur avantage fiscal, ainsi que du coup très élevé des opérations de liquidation et de partage des sociétés civiles immobilières (SCI). Ainsi, ces familles précaires sont désormais des associés prisonniers. J’ajoute que la condition de bénéficier de 5 % de financements publics a été levée en 2017 grâce au combat de parlementaires, dont j’étais. Des mesures à même de débloquer ces situations sont nécessaires. Le problème est d’autant plus préoccupant qu’il survient dans un contexte de prédation et de spéculation foncières qui exclut de plus en plus les Martiniquais, les Guadeloupéens et les Guyanais de la propriété – nos terres sont vendues par internet à des gens qui n’ont jamais mis les pieds chez nous. Monsieur le ministre d’État, nous vous demandons de travailler avec nous à sortir par le haut de cette impasse, en adoptant des mesures spéciales, financières au besoin, quitte à devoir affronter Bercy, afin d’apaiser la colère des populations dont la propriété est remise en cause.

M. Jiovanny William (SOC). « Bannann jonn pa ka vini vèt », dit-on chez moi : les bananes jaunes ne deviennent pas vertes ; autrement dit on ne revient pas en arrière.

Nous agissons déjà seuls, avec les moyens qui sont les nôtres. En effet, nous n’attendons plus grand-chose de ce gouvernement et, la nature ayant horreur du vide, nous tâchons de prendre notre destin en main. À l’occasion de sa journée réservée, le groupe Socialistes et apparentés a ainsi défendu une proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère dans les territoires d’outre-mer.

Lorsque nous vous faisons clairement part de nos ambitions d’autonomie ou d’indépendance, nous découvrons subitement que des raisons économiques et législatives de toutes sortes s’y opposent – la Nouvelle-Calédonie en sait quelque chose. La Guyane demande une réforme de son code minier, mais on n’en entend pas parler. S’agissant de la démographie, nous voulons un Bumidom – Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer – inversé, pour repeupler nos territoires. En Martinique, l’activité d’assistance médicale à la procréation (AMP) risque de mourir. Quelles solutions proposez-vous ?

Monsieur le ministre d’État, au-delà de votre parole, je souhaite entendre ce que la France attend des outre-mer et ce que nous pouvons en attendre. Nous n’attendrons pas indéfiniment : les peuples des outre-mer sont éveillés, les forces vives sont en synergie – nous avons l’obligation d’agir.

M. Philippe Gosselin (DR). Vouloir parler des outre-mer, c’est presque s’engager dans la peinture d’une fresque, tant les territoires, les cultures et les histoires sont variés. Il s’agit non seulement de nos 2,6 millions de concitoyens qui y vivent, mais aussi des Ultramarins qui habitent sur le sol hexagonal.

Je vous remercie, monsieur le ministre d’État, d’avoir cité le rapport que M. Rimane et moi-même avons rédigé sur l’avenir institutionnel des outre-mer. Certains éléments relatifs aux statuts peuvent se révéler très utiles. Vous avez évoqué des normes qu’il faudrait simplifier. Nous citons beaucoup d’autres exemples de normes appliquées bien que déplacées, comme celui du bois et du poisson en provenance de l’île Maurice à Mayotte et celui des éléments de voiture à Saint-Pierre-et-Miquelon – j’en passe et des meilleures. Il faut que l’État s’active pour résoudre ces problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne ; il est normal que nos concitoyens ne comprennent pas ces obstacles et les considèrent comme autant de freins, voire de mesures vexatoires.

Nous avons besoin d’une vision claire de la France, de ses territoires, y compris ultramarins. Comme vous, j’estime que la réforme statutaire n’est pas l’alpha et l’oméga.

S’agissant de Mayotte, un premier texte d’urgence a été adopté pour favoriser la reconstruction. Quel est le calendrier du second étage de la fusée ?

Pourriez-vous nous donner des éléments plus précis s’agissant de la discussion sur la Nouvelle-Calédonie ?

Enfin, je vous remercie de détailler le calendrier et le contenu du Ciom.

M. Steevy Gustave (EcoS). Je veux parler d’un sujet simple mais primordial : l’eau. L’eau doit être un bien commun, une ressource naturelle partagée. Pourtant, une grande partie de nos concitoyens n’ont pas accès à une eau potable de qualité. Comment accepter qu’en 2025, des foyers en soient encore privés ? Trouvez-vous normal que, avant même le passage du cyclone Chido, un quart de la population mahoraise n’ait pas eu accès à l’eau courante ? C’est aussi le cas de 15 % des Guyanais ; à La Réunion, un habitant sur deux ne peut pas boire l’eau du robinet, impropre à la consommation ; en Martinique et en Guadeloupe, la chlordécone contamine nos sols, nos eaux et nos corps. Trouvez-vous normal que nos territoires ne disposent pas d’infrastructures d’assainissement fiables ? Tout cela est intolérable.

Le service public de l’eau se détériore. La France ne respecte pas ses engagements européens relatifs à l’eau en outre-mer. Ce service public doit pourtant être garanti, il faut le sortir de la logique marchande des monopoles privés, en outre-mer comme en métropole. Il faut assurer la qualité de l’eau, protéger la santé de nos concitoyens. Demain, nous examinerons en séance publique la proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l’eau potable, dont M. Jean-Claude Raux est le rapporteur. J’espère qu’elle sera adoptée. Nos efforts ne doivent pas s’arrêter là : nous devons avoir l’obsession de permettre à tous nos concitoyens, y compris ceux d’outre-mer, d’accéder à l’eau potable dès demain.

Que ferez-vous pour garantir, dans tous les territoires ultramarins, une eau potable de qualité, qui ne mette pas en danger la santé des personnes ?

Mme Anne Bergantz (Dem). Monsieur le ministre d’État, vous avez récemment annoncé votre intention de rouvrir le débat sur l’exploitation des hydrocarbures en Guyane, pour répondre à la demande des élus locaux de tous les bords. Vous soulignez que les pays voisins, notamment le Surinam et le Guyana, ont déjà commencé à capter des investissements pour exploiter les gisements de leurs sols, tandis que la France est en retard dans ce domaine. Pouvez-vous préciser quelle forme prendrait ce débat ?

La Guyane possède également de prodigieuses ressources en or, dont l’extraction a cessé avec l’abandon du projet minier Montagne d’or, alors même que l’orpaillage illégal est très développé. L’exploitation des ressources en or pourrait contribuer au développement économique local : est-elle conciliable avec le respect, impératif, de nos exigences sanitaires et environnementales ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Vous voulez maintenir et développer le service militaire adapté (SMA), vrai bel outil d’éducation, ainsi que les outils développés par le gouvernement et les acteurs locaux pour lutter contre la vie chère.

Malgré la mobilisation croissante des pouvoirs publics, les violences conjugales restent un fléau de la société. En 2023, 271 000 femmes en ont été victimes. Les territoires d’outre-mer ne font pas exception ; la prévalence de ces violences y est même plus élevée que dans l’Hexagone. Entre 2022 et 2023, les violences intrafamiliales ont augmenté de 13 % dans l’ensemble des territoires ultramarins et de 6 % dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), contre 7 % dans l’Hexagone. Le rapport de synthèse que la coordinatrice interministérielle déléguée aux luttes contre les violences faites aux femmes en outre-mer, Justine Bénin, a remis à votre prédécesseur est éclairant. Elle identifie les facteurs aggravants propres aux outre-mer qui expliquent cette disparité : la précarité économique et sociale des femmes, les difficultés d’accès aux droits, les problèmes d’addiction à l’alcool, au cannabis, voire à des drogues dures. Quelles solutions concrètes et adaptées proposez-vous ?

Le plan Chlordécone IV prévoit un dépistage gratuit en Guadeloupe et en Martinique. Qu’en est-il ?

Ma dernière question concerne le calendrier du Ciom. En tant que membres du gouvernement, Philippe Vigier et moi avions saisi l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) d’une mission relative à l’accès aux soins, notamment aux traitements du cancer en Martinique. Où en est cette mission ?

M. Olivier Serva (LIOT). L’instabilité politique n’aura pas épargné les territoires ultramarins. La succession des ministres attitrés n’aura eu qu’un seul résultat : les demandes sans réponses s’accumulent.

La population est exaspérée – je pèse mes mots – par la cherté de la vie. Le même schéma se répète : les députés ultramarins défendent les revendications légitimes de la population ; le gouvernement fait beaucoup de promesses ; aucun résultat ne suit. À mes yeux, l’État fait preuve de malhonnêteté. Un exemple en particulier l’illustre. Les députés du groupe LIOT, comme les députés ultramarins des autres groupes, n’ont cessé de se battre contre toute hausse de la taxation des billets d’avion à destination des outre-mer. Votre prédécesseur s’était engagé à protéger les outre-mer, mais la hausse s’appliquera, au détriment de 3,5 millions d’Ultramarins, la compensation prévue étant manifestement insuffisante. Comment peut-il encore être question de continuité territoriale ? On nous parle de négociations avec la Commission européenne. Quel en est le calendrier ? Peut-on espérer que la compensation sera augmentée, afin que tous les usagers affectés soient pris en compte ?

La sucrerie-rhumerie de Marie-Galante, en Guadeloupe, est au bord du gouffre financier. Quelles que soient les mises en garde des élus, il faut toujours attendre que la situation s’enflamme pour espérer une réponse de l’État. En dépit des travaux de modernisation, celui-ci n’a pas versé les 4,8 millions d’euros de subventions qu’il s’était engagé à payer. Il est question de 1 800 emplois et de l’équilibre économique de l’île. Je ne comprends pas : à Paris, on multiplie les discours en faveur de l’agriculture locale et des filières françaises mais, sur le terrain, on fait tout l’inverse, on prend des décisions qui mettent en péril l’économie locale.

Tout est affaire de confiance, or la confiance se gagne par les actes. L’État n’a pas d’autre choix qu’agir pour prouver qu’il se soucie des citoyens et des territoires ultramarins.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Vous avez pris publiquement position, monsieur le ministre d’État, contre les abus du groupe Bernard Hayot (GBH). Comment comptez-vous lutter contre la vie chère ? Instaurerez-vous des moyens de contrôler les prix et les marges ? Sera-t-il question de blocage des prix ? Quels seront les pouvoirs de l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) ? Comment limiterez-vous l’appétit gargantuesque des grands groupes qui étranglent les Ultramarins ? Vous avez annoncé une mesure concrète, la suppression de la TVA et de l’octroi de mer pour les produits du bouclier qualité prix (BQP). Vous admettez vous-mêmes que l’on ne peut pas faire confiance à ces grands groupes : les laisserons-nous augmenter leurs marges à la faveur de cette suppression ? Contrairement à vos prédécesseurs, vous ne pointez pas du doigt l’octroi de mer comme la cause principale de la cherté de la vie. Avez-vous abandonné l’idée de l’abolir ? Vous savez combien nous y sommes attachés : c’est une ressource essentielle pour nos collectivités, un moyen d’autonomie financière.

Après un parcours législatif rocambolesque, la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) a été augmentée. La commission mixte paritaire (CMP) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances (PLF) l’a réintroduite, en prévoyant une exception pour les outre-mer, sous condition d’autorisation de la Commission européenne. Un précédent existe : ce mécanisme était déjà prévu dans le PLF pour 2020, dans le cadre de l’instauration de l’écocontribution aérienne. Or, depuis 2020, aucune exonération n’a été décidée ; nos territoires n’ont aucunement été épargnés. Interrogés à ce propos, les gouvernements successifs n’ont même jamais justifié avoir demandé cette exonération à la Commission européenne.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Grâce à notre outre-mer, la France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde – plus de 10 millions de kilomètres carrés. Mais cette immense richesse maritime est mal protégée, sous-exploitée et de plus en plus menacée.

Elle est d’abord menacée par la pêche illégale. Des flottes étrangères, chinoises et indonésiennes notamment, pillent nos ressources maritimes, asphyxiant les pêcheurs locaux, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. Chaque année, ces activités illégales représentent plusieurs millions d’euros de pertes pour les économies locales ; de plus, elles menacent la biodiversité. Cependant, les contrôles restent sporadiques et les sanctions peu dissuasives.

Le trafic de drogue et la contrebande constituent une deuxième menace. Les Antilles et la Guyane sont devenues des plaques tournantes du narcotrafic et les incursions maritimes étrangères se multiplient. Nos forces de sécurité affrontent un feu constant de go fast et de navires clandestins ; les moyens à leur disposition sont loin d’être suffisants pour enrayer le phénomène.

Troisièmement, les incursions étrangères menacent la souveraineté française. Les violations de l’espace maritime ultramarin sont régulières. La Chine, par exemple, ne se prive pas d’explorer nos eaux en Polynésie ; dans l’océan Indien, la piraterie et les tensions géopolitiques s’intensifient.

La réponse de l’État est dramatiquement insuffisante. La marine nationale ne dispose que de six patrouilleurs pour surveiller 10 millions de kilomètres carrés : étant donné les enjeux, c’est dérisoire. Les moyens de renseignement, satellites, drones et radars notamment, sont sous-exploités, alors que d’autres puissances investissent massivement dans la protection maritime. Nos textes législatifs sont inadaptés ; ils ne donnent pas aux autorités locales les moyens d’intervenir rapidement pour contrer les incursions illégales et le pillage des ressources.

Monsieur le ministre d’État, allez-vous déployer un véritable plan de souveraineté maritime ? Comptez-vous renforcer les moyens militaires et législatifs, afin que la France puisse protéger ses eaux et affirmer son autorité ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Madame Lohro, messieurs Frébault et Gosselin, vous m’avez interrogé sur l’état des discussions relatives à la Nouvelle-Calédonie. À la demande du premier ministre, j’ai reçu à Paris tous les partenaires et représentants des groupes du Congrès, du 4 au 9 février. Nous avons passé beaucoup de temps à dialoguer. Vous les avez vous-mêmes souvent rencontrés à l’Assemblée nationale. Nous voulons dépasser les blocages et les peurs, apaiser les tensions, afin de trouver ensemble une issue positive pour construire une solution durable, de sorte que la Nouvelle-Calédonie connaisse un avenir stable. Trois constats majeurs ont émergé des discussions. Premièrement, le moment est grave : l’économie est par terre, les fractures sont profondes, il y a eu des morts. Cela impose une responsabilité. L’histoire récente nous oblige à dépasser les clivages pour éviter toute nouvelle escalade. Deuxièmement, on constate une volonté de parvenir à un compromis politique. Troisièmement, on ne peut envisager de sortir de l’accord de Nouméa sans mener une réflexion approfondie, éclairée par les enseignements à tirer des événements de mai et juin 2024. Nous évoluons dans un cadre sensiblement différent de ceux de 1988 et de 1998.

L’accord de Nouméa reste le socle de référence. Certes, nous devons définir une nouvelle étape mais, inscrit dans la Constitution, il est notre fondement juridique et politique ; nous ne pouvons pas le remettre en cause. D’ailleurs, le Conseil d’État l’a toujours affirmé : tant qu’il n’y aura pas d’autre accord, d’autre statut, d’autre organisation politique, il prévaut. Évidemment, le moment est venu d’écrire une nouvelle page. On entend des interprétations médiatiques qui visent à préparer mon arrivée sur place ; je comprends leur rôle dans le débat politique, mais il s’agit avant tout d’appréhender la trajectoire engagée par cet accord, en tenant compte des résultats des trois référendums, des évolutions politiques récentes et des violences survenues en mai 2024 – tous les acteurs politiques le reconnaissent, il y a un avant et un après. En cas de réponse négative aux trois consultations, l’accord prévoit qu’il faudra « examiner la situation ainsi créée ». Nous y sommes. Le 4. du préambule dessine une trajectoire évolutive, précisant que, dix ans après les accords de Matignon, il convenait « d’ouvrir une nouvelle étape, marquée par [...] un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté ». Par ailleurs, l’accord précise que l’État reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de la période de vingt ans, d’une complète émancipation.

Les trois consultations référendaires organisées entre 2018 et 2021 pour poser la question de l’accession à l’indépendance et à la pleine souveraineté ont abouti à une réponse négative, confirmant la volonté d’une majorité de Calédoniens de maintenir un lien avec la République française – ils étaient 56,67 % en 2018, 53,26 % en 2020, avec des taux de participation élevés, respectivement 80,63 et 85,69 %. Ces résultats ont été largement reconnus.

Néanmoins, plusieurs éléments nécessitent une réévaluation du cadre politique. La troisième consultation a été marquée par une abstention élevée, à savoir 56,13 %, en raison d’un boycott massif des indépendantistes. L’achèvement du processus d’autodétermination a donc laissé un goût amer. Si cela ne remet pas en cause la légitimité du résultat, il faut le prendre en considération. D’autre part, les violences de mai 2024 ont créé une rupture brutale, accentuant les fractures sociales et politiques et compliquant la construction de ce que l’on a appelé un destin commun. Dans ce contexte, la réflexion sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie doit s’inscrire dans une approche sereine et pragmatique, pour aboutir à un équilibre juste et durable entre des aspirations que je crois réconciliables – je reste optimiste –, à condition de faire preuve de responsabilité et d’inventivité.

Si nous voulons avancer, il faut donc dépasser le 13 mai, retrouver les conditions d’un dialogue apaisé, indispensables pour trouver un consensus, et avancer. Cela suppose de mettre sur la table les accords et les désaccords. Il n’y a pas de contradiction dans mes propos ; j’exprime seulement le poids d’une grande responsabilité, qui est aussi celle de tous les acteurs calédoniens. Nous allons y travailler, sur place. Je leur réserve évidemment la primeur des pistes sur lesquelles nous pourrions avancer, ainsi que la méthode et le calendrier. Je le répète : nous devrons donner la priorité aux questions économiques et sociales. Voilà l’état d’esprit dans lequel je prépare mon déplacement.

J’ai parlé d’une « souveraineté avec la France ». Je reconnais qu’il faut étoffer ce concept. Nous nous y attacherons. J’appelle lucidement chacun à faire preuve d’une très grande responsabilité.

Je comprends tant les aspirations à la pleine souveraineté des indépendantistes que le profond attachement à la France de nos compatriotes opposés à l’indépendance. Je le leur ai dit. Je me suis efforcé, ce qui n’est pas toujours évident, d’entrer dans le raisonnement de chacun pour essayer de comprendre comment avancer. Il n’y a pas d’autre possibilité si nous voulons éviter la guerre civile et de nouveaux drames.

Il y a sur place des hommes et des femmes ayant la capacité et la responsabilité d’avancer. Pour ma part, je m’y attache. J’espère que personne, dans l’Hexagone, notamment au Parlement, ne soufflera sur les braises, qui peuvent rapidement se transformer en incendie. Je remercie notamment les gens qui connaissent bien le sujet de nous y aider.

M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Ceux qui le connaissent le mieux sont les élus locaux.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Les élus locaux vivent sur place. Je ne perds pas une occasion de le leur rappeler. Moi, je m’y rends et je repars. Eux y vivent, avec une histoire, des tensions, des problèmes économiques et sociaux lourds, des fractures.

Mon rôle est d’essayer de trouver un chemin. Je suis à l’écoute de toutes les interventions. Celles qui tendent à raviver les tensions ou, pire, à insinuer qu’il pourrait de nouveau y avoir des morts et que ce n’est pas si grave, m’inquiètent.

Je ne mets pas tout le monde au même niveau, mais je ne traite personne d’extrémiste. Tous les interlocuteurs sont autour de la table ; tous doivent se souvenir de Lafleur et Tjibaou et avancer. En 1988 aussi, les fractures étaient béantes. Essayons d’avancer en gardant à l’esprit les valeurs et les principes qui ont fait de la Nouvelle-Calédonie, aux yeux de nos compatriotes, une réussite exemplaire en matière de dialogue. Tout cela s’est effondré en mai dernier. Essayons de retrouver le chemin de la responsabilité.

Monsieur Moerani Frébault, vous m’avez interrogé sur la péréquation tarifaire de l’électricité, après des mots plus personnels dont je vous remercie. Je suis favorable à la constitution d’un groupe de travail à ce sujet avec le ministre Marc Ferracci. Nous avancerons ensemble.

Jean-Philippe Nilor, vous avez la question du logement. J’ai découvert à ma prise de fonctions que le décret d’application du crédit d’impôt en faveur des organismes d’habitations à loyer modéré qui réalisent des investissements dans les logements neufs en outre-mer n’a toujours pas été publié. Par ailleurs, les acteurs du secteur ont fait savoir que le projet qui leur a été présenté prévoit des critères qui rendent les opérations de réhabilitation trop coûteuses pour être viables.

J’ai demandé à mes services de travailler avec les ministères du logement et de l’économie en vue de la publication rapide d’un texte qui, tout en tenant compte des exigences de qualité des logements et des critères environnementaux, assure la viabilité des opérations de réhabilitation. L’objectif est aussi de laisser plus de temps aux bailleurs pour traiter les dossiers qui n’ont pas été déposés en 2024.

S’agissant de la question du foncier en outre-mer, une expertise est en effet nécessaire. Je me tiens à votre disposition pour y travailler.

M. Jiovanny William a évoqué la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer déposée par Mme Béatrice Bellay. J’en approuve l’esprit, sinon la lettre. Nous avancerons ensemble. Je conçois que la parole de l’État puisse inspirer de la méfiance, sans méconnaître toutefois l’existence, en outre-mer comme ailleurs, d’un sport local consistant à mettre tout le monde d’accord en lui tapant dessus. Les acteurs économiques et sociaux ainsi que les collectivités territoriales exercent aussi des responsabilités. Il faut avancer ensemble. Tout ce que je demande, c’est d’être jugé sur pièces.

J’ai avancé certaines propositions. Deux propositions de loi sont en cours d’examen au Sénat, la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, déposée par M. Victorin Lurel, ancien ministre des outre-mer, et la proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer, déposée par Mme Audrey Bélim. La délégation aux outre-mer du Sénat a également formulé des propositions. Le gouvernement, si l’ordre du jour du Parlement le permet, doit être en capacité de rassembler toutes ces propositions en un unique texte de loi.

Je dirai à Mme Bellay ce que j’ai dit à Victorin Lurel : il faut que nous avancions ; il faut des actes. Il ne s’agit pas de stigmatiser ni d’attaquer telle ou telle entreprise ; toutes créent de la richesse et emploient beaucoup de monde. Il ne m’en semble pas moins exact de parler d’étouffement de l’économie dans des territoires aux marchés étroits. Il faut donc la réformer pour qu’elle se déploie davantage dans leur espace régional, ce qui suppose d’être plus performant en matière de normes et d’habilitations.

J’ai déjà eu l’occasion de dire ce que je pensais de ce qui a été accordé, à la demande du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), à l’entreprise Vindémia à La Réunion. Je le regrette. Ouvrir un marché à la concurrence exige d’accepter que des groupes de pays voisins s’y déploient. Il y a des groupes importants ; l’État ne peut ni les inventer ni les imposer. Tel est l’état d’esprit dans lequel je ne doute pas que nous avancerons, sous votre surveillance, conscients de vos exigences.

Sur l’autonomie des institutions, je n’ai pas de tabou. Ce que je sais, c’est que, si nous n’avançons pas ensemble et si l’État n’avance pas sur ces sujets, alors la confiance finira par se rompre et l’éloignement des positions ira croissant. Je ne le souhaite pas. Nous devons apporter des réponses à ce sujet.

Le sujet de l’aide médicale à la procréation, compte tenu de la démographie des outre-mer, notamment aux Antilles, est angoissant pour les sociétés ultramarines. J’en suis pleinement conscient. Beaucoup dépend de l’espoir que nous sommes capables de créer les uns et les autres, des conditions économiques et sociales qui prévaudront demain et de certaines mesures. Plusieurs sont en gestation ; j’ai évoqué il y a quelques jours, à l’Assemblée nationale et au Sénat, l’aide au retour. Rien de tout cela ne suffit. Il faut créer un cercle vertueux – en disant cela, je ne dis pas grand-chose – pour que les jeunes puissent rester dans les outre-mer et y revenir.

En Martinique, nous travaillons avec l’agence régionale de santé (ARS) à l’augmentation de l’offre d’assistance médicale à la procréation. Nous mobiliserons la clinique Saint-Paul, le centre hospitalier universitaire (CHU) et le laboratoire Eurofins en vue de passer de 250 ponctions par an en 2024 à 400 en 2026. Le sujet est complexe et très sensible. Je suis disponible pour l’évoquer avec vous.

M. Philippe Gosselin m’a interrogé sur la Nouvelle-Calédonie, que j’ai évoquée précédemment, et sur Mayotte. L’idée est d’avoir un texte prêt sans négliger les concertations nécessaires et, surtout, de se baser sur le plan stratégique que le général Pascal Facon est en train de préparer avec une équipe à mes côtés, chargée de mobiliser le travail interministériel et de faire avancer les projets localement.

Préfigurateur de l’établissement public chargé de coordonner la reconstruction de Mayotte, le général Facon est surtout le chef de cette mission. Il doit élaborer un plan stratégique permettant de bien encadrer les travaux de ce deuxième texte, dont j’espère qu’il pourra être présenté entre mars et mai au Conseil d’État et au conseil des ministres pour un examen en mai ou en juin au Parlement. J’espère que nous avancerons rapidement.

Madame Anne Bergantz, vous avez évoqué les hydrocarbures en Guyane. J’ai répondu à Georges Patient qui, au Sénat, m’a interrogé à ce sujet, qu’il m’arrive aussi d’évoquer avec le président de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale au détour d’un couloir. Il y a mille façons d’ouvrir ce débat. Déposer une proposition de loi en est une. Ce qui m’importe, c’est que rien ne fasse obstacle au débat. Je ne suis spécialiste ni de la présence effective de pétrole, ni des modalités de son exploitation éventuelle. Dans l’hypothèse d’une dérogation, au bénéfice de la seule Guyane, à la loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement, dite loi Hulot, toutes les autres dispositions du code minier et du code de l’environnement y demeureraient applicables.

Il ne faut pas avoir peur de traiter ce sujet. Cela exige une étude de faisabilité environnementale, économique et sociale accompagnant la demande de concession et d’une enquête publique. Ces processus sont lourds. Je suis attaché au mieux-disant environnemental et à la préservation, à terre et en mer, de l’écosystème tout à fait extraordinaire de la Guyane. Mais ce que je ne supporte pas, sur ce sujet comme sur les autres, c’est l’hypocrisie. Il est hypocrite d’importer du pétrole de pays moins soucieux d’environnement que la France et de refuser d’en exploiter en Guyane alors même que des pays limitrophes ne s’en privent pas. Cette proximité ne restera pas sans effet. Les sociétés du Suriname et du Guyana, comme celle du Brésil, seront profondément transformées, pas toujours de façon maîtrisée comme cela pourrait être le cas chez nous.

S’il y a du pétrole en Guyane, son exploitation devra être exemplaire du point de vue de l’environnement. Je n’en comprends pas moins la demande des élus de Guyane, qui parlent au nom de leur population, d’exploiter leurs ressources, qu’il s’agisse de pétrole, de poissons ou d’or – je ne rouvrirai pas le débat sur le projet minier Montagne d’or et me contenterai de rappeler que, sur dix tonnes d’or produites en Guyane, neuf sont issues de l’orpaillage, qui est illégal, ce qui signifie qu’il y a un problème de fond. Nous devons être capables d’aborder le sujet du pétrole.

Les territoires outre-mer doivent être capables de rayonner par eux-mêmes grâce à leurs ressources naturelles, dont ils doivent avoir la maîtrise. Plusieurs dispositifs, tels que la création d’un fonds souverain, sont envisageables. Tout cela ne se fera pas en six mois, mais nous n’en devons pas moins ouvrir le débat. Si nous ne traitons pas le sujet, le sentiment que l’État refuse aux habitants de la Guyane d’exploiter une ressource leur offrant un développement auquel ils ont droit progresserait, et le débat deviendrait très tendu – M. William a évoqué ce sentiment que l’on empêche ces territoires de se développer. Même si la question n’est pas tranchée au sein du gouvernement, il importe d’ouvrir le débat. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une interdiction de principe.

Madame Firmin Le Bodo, vous avez abordé la question de la violence faite aux femmes en outre-mer. Le spectre de ces violences y est large, des violences psychologiques aux féminicides. Chaque territoire a sa spécificité, mais le problème est incontestable, et aggravé par des violences intrafamiliales insupportables. Aurore Bergé et moi-même prenons le problème à bras-le-corps.

Le rapport de synthèse remis par Justine Bénin servira de base au travail d’Aude Luquet, coordonnatrice interministérielle pour l’égalité entre les femmes et les hommes en outre-mer, ancienne députée. Ce sujet est important et sera également traité dans le cadre du Ciom.

Le sujet de la chlordécone ne se réduit pas à une demande d’indemnisation. À mes yeux, trois actions sont indissociables : toujours informer les citoyens sur les risques ; protéger la santé des habitants ; réparer les préjudices liés à la contamination. Le plan chlordécone IV mobilise neuf ministères. Son bilan à mi-parcours est nuancé mais satisfaisant. Il faut en accélérer le déploiement. Il faut plus de prévention pour une alimentation sans chlordécone, plus d’analyse des sols et plus de chlordéconémie.

Par ailleurs, je veux approfondir, en lien avec les parlementaires, la question de l’indemnisation par-delà le mécanisme actuel en faveur des salariés exposés. Le sénateur Théophile a déposé la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes de la chlordécone, qui sera examinée dans le cadre de la prochaine journée d’initiative parlementaire de son groupe.

Le sujet ne se réduit pas à ses dimensions agricole et sanitaire. Il est le produit d’une histoire profonde des territoires concernés. L’État a sa part de responsabilité, reconnue par le président de la République en 2018. Toutefois, ce n’est pas l’État qui a répandu la chlordécone, mais de grands exploitants agricoles. Tous ces sujets doivent être abordés. Si nous n’avançons pas en assurant la clarté de la mémoire, alors les malentendus et les ruptures persisteront.

M. Olivia Serva, parmi d’autres, a évoqué la taxation des billets d’avion à destination des outre-mer. Je comprends parfaitement le débat. La continuité territoriale est un fondement essentiel de la solidarité ; je souhaite qu’elle se manifeste concrètement dans la vie quotidienne de nos compatriotes ultramarins.

L’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (Ladom) continuera à prendre en charge à 100 % les billets de nos nombreux compatriotes éligibles – les jeunes, les étudiants, les sportifs, les demandeurs d’emploi en formation et les bénéficiaires d’une évacuation sanitaire (Evasan). Ses moyens ont été confortés, par voie d’amendement, dans la loi de finances pour 2025, qui lui accorde 16 millions supplémentaires pour lui permettre d’exercer ses missions et compenser l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion.

Par ailleurs, le dossier de notification à la Commission européenne du taux réduit de la taxe pour les destinations ultramarines est en cours de préparation à la direction générale de l’aviation civile (DGAC). Le gouvernement souhaite que le tarif réduit voté en loi de finances initiale puisse entrer en vigueur. Je précise toutefois que l’augmentation du tarif de solidarité est très souvent inférieure à 1 % du prix du billet d’avion, soit moins de 5 euros pour un aller simple.

J’ajoute que les taxes et les dispositifs fiscaux ne sont qu’un aspect de la lutte contre les prix chers. J’accueille d’ailleurs comme une bonne nouvelle, avec la vigilance qui s’impose, la baisse des prix des billets d’avion en janvier 2025 vers les Antilles et La Réunion, à hauteur de 11 % pour La Réunion, de 10 % pour la Guadeloupe et de 16 % pour la Martinique, soit par exemple une économie de 136 euros pour un vol à destination de la Martinique.

Tout cela étant susceptible d’évoluer au gré des saisons, il faut rester vigilant. Il faut aussi l’être sur la situation de chacune de nos compagnies. Je suis de près le débat entre la Commission européenne – je me suis entretenu à plusieurs reprises avec la vice-présidente Ribera – et la compagnie Corsair.

S’agissant du versement de l’aide au titre de la double insularité à la sucrerie-rhumerie de Marie-Galante pour les années 2019, 2020 et 2021, c’est pour toute l’économie de Marie-Galante que vous vous battez, monsieur Serva. Je suis personnellement le dossier. Nous avons tenu cette semaine des réunions d’arbitrage avec Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, dont le budget finance cette aide. Je souhaite que l’arbitrage, attendu dans les heures à venir, soit pour vous une bonne nouvelle.

La culture de la canne occupe 45 % des exploitations agricoles de l’île ; cette filière représente 12 % des emplois agricoles de Marie-Galante, soit une proportion trois fois supérieure à ce qu’elle est ailleurs en Guadeloupe. La culture de la canne à sucre a un ancrage très prononcé à Marie-Galante. Je souhaite que l’arbitrage lui soit favorable et vous fais confiance pour vous assurer que la sucrerie-rhumerie a accompli les changements nécessaires en matière de mise aux normes de ses installations afin de satisfaire aux critères exigés par l’État.

Au sujet de la vie chère, sur laquelle m’a interrogé Mme Émeline K/Bidi, j’ajoute aux observations qui précèdent le projet de renforcer les moyens humains de l’Autorité de la concurrence pour améliorer son action outre-mer. Je veux aussi m’attaquer aux marges arrière.

Quant à l’octroi de mer, il faut le réformer et le recentrer, non le supprimer. Je veux l’orienter, avec les élus, vers l’investissement, tout en préservant l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Nous ne nous interdisons pas de réfléchir à la fiscalité, mais la question se pose différemment selon les territoires. Toutefois, nous vivons une période délicate du point de vue économique ; ce n’est pas le moment de supprimer un dispositif qui a le mérite d’exister.

L’objectif, dont j’ai conscience qu’il est un défi, est de transformer les économies, caractérisées par une forme de monopolisation, par le poids élevé de la fonction publique et par des situations individuelles très difficiles sous le seuil de pauvreté qui dépendent du filet social offert par l’État. Dans ces conditions, comment faire bouger ces économies ? Grâce à l’investissement, à la concurrence et à l’approfondissement de la coopération régionale, qui exige une adaptation accrue des normes, dont un élargissement du champ de l’habilitation législative. Sur tous ces sujets, nous devons avancer, ou à tout le moins fixer un cap.

Mme Sophie Ricourt Vaginay a évoqué la question de la sécurité maritime. Notre zone économique exclusive est d’abord protégée par les préfets et par les hauts-commissaires délégués du gouvernement pour l’action de l’État en mer, en lien étroit avec les forces armées. Cela ne changera pas. La lutte contre la pêche illicite est menée dans un cadre international et interministériel qui peut être amélioré.

Les technologies telles que les satellites et les drones maritimes et aériens, ainsi que les bâtiments de la marine et des douanes, sont utilisés pour protéger nos ressources maritimes et côtières. Nous devons renforcer ces moyens. En 2019, la marine nationale a passé commande de six patrouilleurs outre-mer (POM), qui seront basés à Nouméa, à Tahiti et à La Réunion. Un navire a été livré en Nouvelle-Calédonie en 2023, un autre en Polynésie française en 2024 ; les quatre derniers seront livrés en 2025 et en 2026. Ils seront notamment équipés de drones de reconnaissance.

Ce matin, le président de la République a réuni plusieurs membres du gouvernement pour évoquer le narcotrafic, qui touche désormais tous les territoires. Les sociétés ultramarines peuvent s’effondrer. Je suis très préoccupé par la situation qui prévaut en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. Ces sociétés peuvent s’effondrer sous l’effet de la puissance du narcotrafic, qui charrie son lot de tentations et de corruptions.

Nous devons, par le truchement de la justice, de la gendarmerie, de la police, de nos forces armées et du ministère de la coopération, faire face. La nomination d’un attaché de sécurité intérieure à notre ambassade de Sainte-Lucie démontre que nous pouvons travailler ensemble. Le président de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), Serge Letchimy, m’a proposé d’organiser à la fin de l’année une grande conférence régionale à ce sujet. En outre-mer comme ailleurs, la lutte contre le narcotrafic est une priorité.

Monsieur Steevy Gustave, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme reconnu à l’échelle internationale. Le traitement des problèmes en la matière doit revêtir un caractère prioritaire pour nos outre-mer. Les contraintes géographiques – relief, cloisonnement, régime pluvial – sont connues. Mayotte n’est pas à l’abri d’une crise de l’eau semblable à celle de 2023. Nos infrastructures sont mises à l’épreuve.

Le problème de production se double d’un problème plus retors de répartition et de livraison de l’eau. Ce problème ne trouvera aucune solution en l’absence d’une véritable structuration de la gouvernance locale et d’un renforcement des infrastructures. Tel est l’objet du plan Eau DOM (Pedom), qui est un levier essentiel et un appel à la responsabilité des entreprises privées concernées. À Mayotte comme ailleurs, il s’agit d’une priorité, qui exige davantage que des plans et des contrats. Je veillerai à ce que les résultats attendus dans le cadre du dialogue concerté avec les collectivités et du Pedom lancé en 2016 et actualisé l’an dernier soient atteints.

Dans l’intérêt des populations et des écosystèmes ultramarins, nous devons être au rendez-vous. Une partie de La Réunion souffre d’une sécheresse inédite ; la Guyane connaît ce phénomène ; à Mayotte, l’accès à l’eau est limité et constitue, au sein de l’urgence, la première des priorités.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Antoine Villedieu (RN). L’immigration clandestine en outre-mer constitue un défi majeur, à la fois en termes de sécurité, de cohésion sociale et de pression sur les infrastructures locales.

À Mayotte, l’afflux massif de migrants en provenance des Comores a fait exploser la population, qui a été multipliée par cinq en quarante ans. Selon l’Insee, près d’un habitant sur deux est étranger, dont plus des trois quarts sont en situation irrégulière. Cette situation entraîne un effondrement des services publics, notamment en matière de santé et d’éducation, et crée un climat de tension sociale croissant, alimenté par une criminalité hors de contrôle.

En Guyane, les flux migratoires clandestins en provenance du Brésil, du Suriname et de Haïti participent activement à l’essor des réseaux criminels, notamment ceux liés à l’orpaillage illégal. Cette situation pose un défi considérable en matière de contrôle des frontières et de maintien de l’ordre.

Dans un territoire où l’immensité des espaces et la porosité des frontières rendent la tâche particulièrement complexe face à ces réalités alarmantes, la France est-elle prête à contraindre les Comores, le Brésil ou encore le Suriname à reprendre systématiquement leurs ressortissants en situation irrégulière ? Et, dans l’affirmative, par quels moyens diplomatiques ?

M. Yoann Gillet (RN). Autant que je m’en souvienne, tous les ministres des outre-mer que nous avons vu passer, parfois furtivement, ont promis respect et reconnaissance à nos compatriotes ultramarins. Tous ont fait des promesses d’égalité républicaine, tant sur l’immigration, la justice sociale, le développement économique, la sécurité que sur le pouvoir d’achat. Tous ont échoué. Nos compatriotes ultramarins, pour beaucoup, se sentent oubliés et abandonnés. Ils se sentent citoyens de seconde zone.

Plus encore qu’en métropole, l’outre-mer connaît une insécurité galopante, une immigration incontrôlée – principalement à Mayotte et en Guyane –, un coût de la vie insoutenable et un manque d’infrastructures. Lors de mes missions parlementaires en Guyane en 2023 et à Mayotte en 2024, j’ai pu constater la situation dramatique dans laquelle vivent nos compatriotes de ces territoires où la réalité est loin d’être une carte postale.

Sur le thème de l’immigration, vos propos et votre opposition à la suppression du droit du sol ne sont pas de nature à rassurer nos compatriotes sur votre volonté d’agir. Ils ne font que confirmer que vous vous inscrivez dans la continuité de vos prédécesseurs. Sur ce thème comme sur tout le reste, il y a pourtant tant à faire. La France doit agir plus concrètement et se donner des moyens d’éradiquer le fléau de l’orpaillage illégal en Guyane. L’insécurité grandit : les règlements de comptes s’enchaînent en Guadeloupe et en Martinique, les caillassages sont quotidiens à Mayotte et les braquages et les tirs d’armes à feu sont monnaie courante en Guyane. Le trafic de stupéfiants est très présent dans les Antilles et l’ice prolifère en Polynésie française. Les prix de l’alimentation dépassent souvent de 40 % ceux de la métropole dans la plupart des outre-mer. Le manque d’infrastructures est indigne de la septième puissance mondiale. L’accès à l’eau potable pose problème à Mayotte, en Guadeloupe, à la Martinique, en Guyane et à La Réunion. La filière du nickel, pourtant essentielle à l’économie de la Nouvelle-Calédonie, est en crise.

Sur tous ces sujets, la France n’est pas au rendez-vous. Bien souvent, nos compatriotes ont l’impression d’être méprisés par ceux qui les gouvernent et on ne peut que partager leur écœurement. Chaque année, au moment du budget, les mêmes rustines sont proposées. Allez-vous, vous aussi, fermer les yeux sur cette réalité ? Combien de temps encore nos compatriotes ultramarins devront-ils mendier l’égalité qui leur est due ? Vous allez sans doute me répondre que vous avez conscience de la réalité et que vous voulez agir. Dites-nous alors concrètement ce que vous allez faire, comment, avec quel budget et dans quel délai. Le traitement réservé aux territoires ultramarins est indigne des valeurs de notre République. Le groupe Rassemblement national et sa présidente Marine Le Pen exigent des actes de votre part.

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). Les outre-mer souffrent. Le dialogue et la coopération à La Réunion et à Mayotte se trouvent dans une impasse. Pire, les parlementaires d’extrême droite de Mayotte jouent à la provocation en sollicitant le gouvernement pour rappeler la loi aux élus de La Réunion, afin de mettre fin à une discrimination infondée concernant la scolarisation d’enfants mahorais dans notre département.

Pourtant, sur notre territoire, les problèmes sont aussi immenses : classes surchargées, instituteurs sous pression, manque de logement. Comment expliquer aux Réunionnais qui cherchent un logement depuis des années que, pour l’année 2025, un logement livré sur trois sera attribué à des familles du département d’à côté et que les classes seront encore plus surchargées à l’avenir ? Ce n’est pas de la discrimination, c’est du bon sens.

Les députés de Mayotte, avec l’appui du Rassemblement national, oublient volontairement la question de l’égalité sociale entre La Réunion et Mayotte, c’est-à-dire entre la France et Mayotte. Quatorze ans après la départementalisation, les minima sociaux, les allocations chômage et le RSA versés à Mayotte sont encore largement inférieurs aux montants versés dans les 100 autres départements. Les Mahorais viennent donc à juste raison à La Réunion pour avoir de meilleures aides et de meilleures conditions de vie. Pourquoi la solidarité nationale ne prime-t-elle pas sur la solidarité réunionnaise ? À quand l’égalité sociale à Mayotte ? Partagez-vous la position des deux parlementaires de Mayotte vis-à-vis de La Réunion ?

En septembre 2022, lors d’une visite à la prison du Port, j’ai alerté sur le transfert des détenus de Mayotte et sur leur manque de suivi, pour ne pas dire leur abandon, à l’issue de leur peine. J’avais adressé un courrier au préfet pour dénoncer le transfert de violences qui accompagne ces transferts de détenus. Ces propos durs devraient faire réagir, car La Réunion est en danger. Les manifestations du 27 janvier et du 8 février 2025 pour dénoncer la délinquance rapatriée ont contraint l’État à commencer à faire bouger les choses en menant des opérations antigangs, mais cela reste très insuffisant. Quelle est votre position par rapport à cette montée de violences ? Êtes-vous prêt à l’organisation d’une rencontre sans tabou avec les parlementaires réunionnais sur ce sujet ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). À peine défait dans vos rêves ibériques, vous voilà refait ministre et remis en selle. Contrairement à Rossinante, le cheval de Don Quichotte, personnage humaniste qui acceptait ses échecs et se révoltait contre les injustices de son monde, votre dada, c’est l’identité nationale. Vous pourrez continuer à le chevaucher, puisque M. Bayrou l’a lui-même enfourché en parlant de « submersion » migratoire. Ce lien avec l’extrême droite ne vous pose pas de problème, vous l’avez déjà montré au-delà des Pyrénées. Aujourd’hui, vous échouez sur des rivages lointains, avec la responsabilité des territoires dits d’outre-mer, notamment Mayotte.

La réponse de l’État aux ravages du cyclone Chido n’a pas été à la hauteur de la situation alarmante. Il s’est contenté d’ordonnances pour réaliser vite et à bas prix la reconstruction, sans envisager de sortir le département le plus pauvre de France de sa misère et de combler le manque d’investissements. Mayotte se trouve dans une situation socio-économique terrible avec 37 % de chômage, les trois quarts de la population sous le seuil de pauvreté et un accès défaillant aux droits, à l’eau, aux logements, à la santé et à l’école. L’État n’assume pas ses responsabilités et délaisse l’archipel.

Pendant que vous dissertez avec MM. Retailleau et Darmanin sur la bonne manière de réduire le droit du sol – un peu, beaucoup, passionnément, peut-être à la folie –, nous attendons de connaître le détail et les objectifs du projet de loi programme pour Mayotte. Changerez-vous de cheval de bataille pour monter Rossinante et en finir avec les inégalités de traitement, notamment celles concernant les prestations – je rappelle que le montant du RSA à Mayotte est deux fois plus faible que dans l’Hexagone ? Allez-vous abroger le visa territorialisé qui empêche la solidarité nationale d’accueillir les exilés en dehors de Mayotte ? Où allez-vous encore aggraver le régime juridique dérogatoire du département colonie de Mayotte, qui maintient sa population dans une situation invivable ?

Mme Karine Lebon (GDR). Outre-mer, 80 % des ménages sont éligibles au logement social, mais seuls 15 % y ont accès. À La Réunion, ce sont 50 000 ménages qui sont toujours en attente de recevoir un logement social. Lorsqu’ils sont enfin livrés, leurs loyers sont souvent bien trop élevés et nombreux sont ceux, dans le parc social ancien ou neuf, qui souffrent d’insalubrité ou de non-décence puisque les logements s’y dégradent bien plus rapidement qu’ailleurs. Derrière ces chiffres, ce sont des familles entières qui s’entassent dans des logements insalubres, des travailleurs qui n’ont plus les moyens de se loger, des jeunes contraints d’abandonner leurs études faute de toit et des femmes seules qui se trouvent sans solution de logement. Ce n’est pourtant pas un problème d’argent puisqu’il y a de plus en plus de subventions et de moins en moins de logements sociaux livrés. Cette situation ne peut plus durer. J’avais fait adopter à l’unanimité, juste avant la dissolution, la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur la crise du logement social dans les outre-mer. Malheureusement, les travaux n’ont jamais pu débuter. Pouvez-vous préciser ce qui, dans votre feuille de route, permettra de répondre rapidement à cette situation désastreuse ?

Je souhaite également vous interroger sur la partie mémorielle de l’action de votre ministère. Nous avons eu l’occasion d’échanger longuement sur une proposition de loi, que je vais déposer de nouveau, concernant une juste réparation, notamment financière, pour les enfants de la Creuse. La Réunion attend depuis trop longtemps que les victimes soient indemnisées. Confirmez-vous votre soutien à cette mesure tant attendue par les survivants, dont beaucoup ont eu une enfance particulièrement tragique ?

Enfin, il semble que l’État se désengage des contrats parcours emploi compétences (PEC) et que leur nombre passerait de 12 000 à 7 000 à La Réunion. La ministre du travail est restée assez floue sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire plus ?

M. Davy Rimane (GDR). Monsieur le ministre d’État, je vous écoute avec grande attention, mais ce n’est pas ce soir que vous répondrez à toutes nos questions de façon factuelle. Vu le caractère dantesque de la situation dans nos territoires, elles demandent de plus amples échanges dans le cadre des rencontres prévues dans les prochains mois. Je ne vous ferai pas offense en vous accusant d’être responsable d’une situation qui dure depuis des décennies, voire des siècles. C’est tout le système étatique qui est en cause

Je demande pour la énième fois – j’espère que ce sera la dernière – à certains de nos collègues du Rassemblement national d’arrêter de parler à notre place. En Guyane, il n’y a pas de submersion migratoire.

M. Yoann Gillet (RN). Vraiment ?

M. Davy Rimane (GDR). Collègue Gillet, vous êtes un menteur !

M. le président Florent Boudié. Monsieur Rimane, vous êtes président d’une délégation parlementaire et je vous prie d’adopter le ton qui convient à votre fonction.

M. Davy Rimane (GDR). Il doit assumer ses propos !

M. le président Florent Boudié. J’ai le contrôle du micro, dois-je éteindre le vôtre ?

M. Davy Rimane (GDR). Il n’y a pas de submersion migratoire, il y a une non-gestion. Je l’ai démontré dans les propositions que nous avons faites au ministre de l’intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, qui les a refusées. Nous avions aussi proposé, par des amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, une organisation particulière de la justice sur nos territoires, mais M. Dupond-Moretti ne les a pas soutenus. L’État refuse donc de mettre les moyens pour nos territoires, où la réalité est différente de celle de l’Hexagone. Il faut arrêter de mettre tous les problèmes sur le dos de ceux qui n’ont pas grand-chose. Je demande au ministre d’État que nous prenions le temps d’avoir de réels échanges pour mettre en place des politiques constructives. Mais, une fois encore, je m’inscris en faux contre ceux qui imputent tous les maux à l’immigration et profèrent des mensonges éhontés à ce sujet.

(M. Davy Rimane interpelle vivement M. Yoann Gillet.)

M. le président Florent Boudié. Monsieur Rimane, pas d’interpellation, sinon je suspends et vous n’aurez pas de réponse à votre question.

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’insécurité, les divers trafics – drogues, armes, êtres humains –, l’immigration clandestine sont des sujets lourds pour notre pays, dont certains territoires ultramarins, et il faut les traiter. J’entends les discours politiques. Ils existent et les Français y sont sensibles, mais, en tant que ministre, mon rôle est de faire en sorte que le travail interministériel avec les ministres de l’intérieur, des armées et de la justice soit le plus efficace possible. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur le travail parlementaire qui, par exemple sur le narcotrafic, porte ses fruits puisqu’une proposition de loi pour lutter contre le narcotrafic a été adoptée à l’unanimité au Sénat et sera bientôt examinée à l’Assemblée nationale. Vous serez placés devant vos responsabilités.

Les moyens humains et technologiques doivent évidemment être renforcés sur l’ensemble de ces territoires. Je pense par exemple aux hélicoptères Puma et Caracal déployés en Guyane pour lutter contre l’orpaillage et, indirectement, contre l’immigration clandestine.

Monsieur Villedieu, nous devons faire beaucoup plus et beaucoup mieux dans le cadre de nos actions diplomatiques. Avec les Comores, nous devons bien sûr poursuivre le dialogue et maintenir la coopération, mais aussi établir les conditions d’un véritable rapport de force avec le régime de ce pays, dont la constitution ne reconnaît pas que Mayotte est française, car il agit de manière à amener une forme de déstabilisation à Mayotte. Je n’ignore pas les liens qui existent entre les Mahorais et les Comores. Afin d’être le plus efficace possible, nous avons déjà réparé les radars et reconstruit tous les dispositifs d’interception détruits par Chido.

Madame Taurinya, je n’ai aucun problème sur la restriction du droit de sol à Mayotte, où la situation est particulière et je soutiens la proposition de loi rapportée par M. Gosselin. Ce droit avait déjà été restreint à l’initiative de Thani Mohamed Soilihi, alors sénateur, quand Gérard Collomb était ministre de l’intérieur. Je rappelle que la moitié des habitants de Mayotte sont étrangers, dont une grande partie sont en situation illégale.

Je ne suis en revanche pas favorable à la restriction du droit du sol au niveau national. Je l’ai dit lorsque j’étais hors du gouvernement et je le redis aujourd’hui. Une telle restriction serait inconstitutionnelle et ne servirait à rien. Personne ne vient en France pour la nationalité. Je distingue bien ce qui relève de l’ordre de la nationalité de ce qui relève de la lutte contre l’immigration illégale ou de l’identité. J’ai d’ailleurs écrit une tribune à ce sujet, parue il y a quelques jours. Nous pouvons avoir ce débat avec M. Mélenchon, qui parle de créolisation, quand d’autres parlent de métissage ou d’identité.

Le sujet évoqué par M. Ratenon – ce qui se passe entre Mayotte et La Réunion – est délicat. Je rappelle que les Mahorais sont français et que l’accueil à l’école relève de la solidarité nationale et régionale.

Je compte beaucoup sur le déplacement de Carole Delga, présidente de Régions de France, et d’Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion, pour nouer un dialogue qui doit l’être aussi entre parlementaires. Je travaille avec les deux députés et les deux sénateurs de Mayotte sans regarder leur couleur politique. Je peux combattre des idées, mais je n’ai pas d’autre choix que de travailler avec l’ensemble des parlementaires. Je suis donc disponible pour parler avec vous des questions de sécurité. Le préfet de La Réunion a d’ailleurs reçu cette semaine deux députés du groupe Rassemblement national, M. Rivière, élu de La Réunion, et Mme Bamana, élue de Mayotte. Cela a été l’occasion de parler avec des députés du même groupe, mais qui peuvent dire des choses contradictoires. Le préfet a rappelé qu’il n’était pas anormal que certaines vérifications soient effectuées par les maires en présence d’enfants mineurs présents à La Réunion sans autorité parentale.

Il n’y a pas de refus systématique visant des élèves en provenance de Mayotte et 700 élèves, tous niveaux confondus, ont été inscrits sans aucun problème en janvier. À ce jour, les difficultés – je cite les chiffres du préfet – concernent moins de 200 élèves. Au niveau du deuxième degré, le rectorat cherche des solutions au cas par cas pour soixante-dix dossiers. Au niveau du premier degré, soixante-dix inscriptions sont en souffrance.

Monsieur Ratenon, vous avez raison : la réponse doit venir de Mayotte, où nous avons réussi la rentrée scolaire. C’est un miracle car les conditions restent très difficiles puisque 20 % des établissements scolaires du premier degré ont été détruits et ceux du deuxième degré n’ont pas été épargnés. Le système de rotation pour l’accueil des élèves qui a été mis en place n’est pas satisfaisant. Une des priorités du projet de loi programme pour Mayotte concerne d’ailleurs l’école, l’éducation et la formation.

Je me rendrai pour plusieurs jours à La Réunion après un déplacement en Nouvelle-Calédonie cette semaine et aux Antilles à la mi-mars, avant de me rendre en Guyane. Je compte faire acte de présence dans la perspective de la préparation du comité interministériel des outre-mer en mai ou juin.

Madame Taurinya, j’aime beaucoup Don Quichotte, car il représente la liberté, mais je me demande si vous auriez osé rappeler ses origines à un de vos collègues originaires de l’autre rive de la Méditerranée. Le faites-vous parce que c’est moi ? Vous ne pouvez pas dire que je suis franco-espagnol : je suis français. J’ai eu en Espagne une très belle expérience, au cours de laquelle j’ai pu vivre à nouveau l’amour. L’Europe est ainsi faite : chacun a ses origines, et je ne suis pas sûr que vous auriez rappelé les siennes à un autre que moi. J’ai été maire, ministre, premier ministre et je me présente devant vous comme ministre. Je vous demande de me juger sur mes actions plutôt qu’à partir de fantasmes. Don Quichotte était libre. Il faut rester libre. Nous ne vivons que de nos échecs et de l’expérience qu’on en tire. Je comprends qu’il vous soit pénible de me voir revenir au gouvernement, mais François Bayrou m’a proposé cette mission exaltante et difficile. Mais je suis évidemment prêt au dialogue avec l’ensemble des parlementaires.

Madame Lebon, je soutiens, en fonction des choix de l’Assemblée nationale, votre proposition de loi concernant les enfants de la Creuse, parce que je suis convaincu que les questions de mémoire sont essentielles. Nous serons donc au rendez-vous pour travailler ensemble.

J’ai évoqué ce matin de nouveau avec la ministre du travail, la situation des emplois aidés. Elle m’a confirmé que, pour La Réunion, ces emplois seraient préservés, mais je lui en reparlerai afin que je puisse vous donner une réponse aussi précise que possible.

Monsieur Rimane, il est vrai que tous les problèmes ne viennent pas de l’immigration. J’ai d’ailleurs évoqué devant vous pendant un bon moment les problèmes liés à la vie chère et, pour la Guyane, j’ai parlé d’orpaillage, de pêche et d’hydrocarbures. Cela dit, ces problèmes doivent être évoqués, de la manière la plus sereine possible, pour trouver des solutions concrètes.

Je n’ai sans doute pas répondu à toutes vos attentes, mais je reste à votre disposition pour échanger dans un esprit de sérénité et avec un souci d’efficacité, comme je le fais avec les présidents de collectivités, les maires et les acteurs économiques et sociaux. J’ajoute que nous devons également être très attentifs aux questions liées à la jeunesse et à la culture, pour lesquelles il reste beaucoup à faire.

M. le président Florent Boudié. Merci, monsieur le ministre d’État. Je retiens de votre intervention les mots « dialogue », « efficacité » et aussi celui d’« amour ».

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*     *

Puis la Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à simplifier la sortie de l’indivision successorale (n° 823) (Mme Louise Morel et M. Nicolas Turquois, rapporteurs).

Mme Anne Bergantz (Dem). Loin d’être uniquement technique, le texte que nous défendons aujourd’hui intéresse de nombreux Français. En effet, beaucoup de foyers connaissent les problèmes successoraux liés à des situations d’indivision bloquées. Or « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué » : c’est ainsi que le principe général de liberté dans l’indivision est exposé dans le code civil.

L’indivision successorale est une situation juridique qui survient lorsque plusieurs héritiers se partagent la propriété d’un bien immobilier ou d’autres actifs après un décès. Cette situation est censée être une étape transitoire dans le règlement de la succession. Cependant, on observe que de nombreux biens immobiliers restent inoccupés pendant plusieurs années, voire des décennies, à cause d’indivisions bloquées ou de successions vacantes. Dans les territoires ruraux, cela entraîne une importante perte de foncier bâti. Les biens vacants sont, par ailleurs, souvent source de nuisances, telles que les squats, l’insalubrité ou les risques de ruine, qui affectent les riverains et représentent un coût pour les collectivités.

Votre proposition de loi entend répondre à cet enjeu en simplifiant la sortie des indivisions longues et persistantes, avec pour second objectif de récupérer du bâti foncier, contribuant ainsi à trouver une piste de réponse à la crise du logement.

Ce texte repose ainsi sur une logique pragmatique et s’inspire de bonnes pratiques dans nos territoires, en créant une base de données relative au recensement des biens abandonnés afin de disposer d’une cartographie précise permettant de mesurer l’ampleur du phénomène, en proposant un mécanisme favorisant la sortie des indivisions bloquées du fait d’une succession vacante et en étendant à l’ensemble du territoire les régimes applicables dans certaines collectivités d’outre-mer et en Alsace-Moselle, lesquelles permettront aussi de faciliter les sorties d’indivision et de relancer la politique du logement.

Alors que la gestion des biens en indivision peut entraîner des difficultés financières pour les héritiers et que la complexité de la gestion de ces biens peut rendre difficile leur mise en location ou en vente, ce qui réduit le nombre de logements disponibles sur le marché, le texte proposé peut endiguer ces difficultés. Cette proposition de loi apporte une solution pour réutiliser les biens existants, et donc économiser l’espace, mais également pour répondre à la demande de logement et revivifier les centres-bourgs et centres-villes. Le droit à la propriété est un droit fondamental, qu’il nous faut préserver pour tous, mais le libre choix de sortir d’une d’indivision doit aussi être garanti.

Enfin, si ce texte n’ambitionne pas de révolutionner la situation ni d’apporter toutes les réponses aux conditions d’accès au logement, car ce problème est très large, il permettra au moins d’en traiter une partie. Le groupe Les Démocrates le soutiendra donc.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Cette proposition de loi, technique à première vue, touche l’un des sujets les plus structurants pour la vie des Français : le logement, dans sa dimension successorale. Le caractère très concret de ce texte pour nos concitoyens et les questions importantes qu’il pose sur le droit de propriété, sans oublier la dimension affective de la succession, justifient un examen attentif.

Cette proposition de loi est d’autant plus sensible qu’elle intervient dans un contexte de crise du logement qui s’aggrave. En effet, alors que le nombre de personnes sans domicile est estimé à 350 000, la production de logements sociaux a connu une chute brutale en 2024, où 82 000 logements seulement ont été financés, ce qui est le pire résultat depuis vingt ans. Cette crise du logement est aggravée par une augmentation du nombre de logements vacants. Depuis 1990, en effet, le nombre de logements inoccupés a augmenté de près de 1,2 million, soit une hausse de 60 %, pour atteindre 3,1 millions. Notre pays se trouve donc dans une situation paradoxale : alors qu’un nombre croissant de nos concitoyens peinent à se loger, le nombre de logements vacants est en hausse. Si le groupe Horizons & indépendants regrette de ne pas disposer de chiffres précis, cette hausse du nombre de logements vacants semble, selon toute logique, en partie liée à un cadre juridique qui rend long et complexe le traitement des indivisions successorales.

Le groupe Horizons & indépendants soutien pleinement les objectifs de cette proposition de loi, dont le caractère sensible au regard du droit à la propriété privée justifie une analyse approfondie. En particulier, l’adoption de l’article 2 renforcerait significativement les prérogatives de la direction nationale d’interventions domaniales (DNID). Au vu des modifications importantes qu’entraîneraient de telles dispositions, éventuellement attentatoires au droit inviolable et sacré qu’est le droit à la propriété privée, il conviendra de nous assurer que leur application est assez restreinte pour en garantir la pertinence et la constitutionnalité.

Notre groupe proposera donc un amendement visant à prévoir que l’un des indivisaires doit être décédé depuis plus de cinq ans, au lieu de deux ans seulement dans la rédaction actuelle de l’article 2.

L’article 3 soulève selon nous plus de difficultés. D’une part, en effet, l’expérimentation ouverte aux collectivités d’outre-mer par la loi Letchimy de 2018 et sa prorogation de 2024 est très récente et ne donne pas le recul nécessaire pour évaluer son efficacité, et elle n’a, en outre, fait l’objet d’aucune évaluation. D’autre part, c’est la situation très particulière des outre-mer, notamment en matière cadastrale, qui a justifié de telles dérogations au droit de propriété et il n’est pas évident qu’une généralisation de ce dispositif à l’ensemble du territoire soit adaptée.

Pour ces deux raisons, le groupe Horizons & indépendants affinera sa position de vote sur l’article 3 dans le cadre des débats en commission des lois et en fonction des éventuels amendements déposés par les rapporteurs. Notre groupe tient par ailleurs à souligner que la constitutionnalité d’une telle généralisation n’est pas garantie puisque ni la loi Letchimy ni la prorogation de l’expérimentation n’ont fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel.

Enfin, si l’article 4 paraît satisfaisant intellectuellement, notre groupe regrette que la proposition de loi ne mentionne pas de rapport attestant de l’efficacité de ce dispositif en Alsace-Moselle et susceptible de contribuer à objectiver la nécessité de son élargissement à l’ensemble du territoire. Notre groupe souscrit toutefois à l’idée de développer des moyens alternatifs de règlement des différends permettant de soulager nos juridictions.

En conclusion, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi, qui pose la question nécessaire de la crise du logement et apporte une petite pierre à l’édifice en proposant des dispositions efficaces pour contribuer à y répondre.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Les députés d’outre-mer déplorent souvent que leurs territoires soient l’objet de toutes sortes d’expérimentations visant à tester certains dispositifs avant de décider de leur application sur le reste du territoire national. La situation est ici, pour une fois, un peu différente : c’est une proposition de loi rédigée à l’initiative d’un député d’outre-mer, Serge Letchimy, pour répondre à des difficultés particulières à l’outre-mer qui a inspiré nos collègues Démocrates. Cette démarche me plaît assez, mais il faut tout de même examiner le fond de ce texte.

L’essentiel du dispositif consiste à étendre l’application de la loi Letchimy au territoire national, avec quelques aménagements. Les articles 2 et 3 de la proposition de loi nous interrogent à plusieurs égards et nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements sur ces articles.

Nous sollicitons ainsi la suppression de l’article 2, qui prévoit la sortie de l’indivision avec la possibilité d’une expropriation par la DNID. On peut comprendre que, lorsque des indivisions durent indéfiniment, il faille pouvoir en sortir, mais cela ne justifie pas une expropriation pure et simple, dont le mécanisme, qui s’applique notamment lorsque l’un des indivisaires est décédé depuis au moins deux ans, nous semble soulever une question de constitutionnalité et répondre d’une manière assez ténue à l’impératif d’intérêt public. L’opportunité de ce dispositif, qui n’était du reste pas prévu par la loi Letchimy et n’existe pas en outre-mer, n’est pas évidente.

Nous proposons par ailleurs une réécriture totale de l’article 3. En effet, alors que le code civil prévoit un dispositif de droit commun permettant une sortie amiable de l’indivision, la loi Letchimy ouvre un régime dérogatoire du droit commun et votre rédaction de cet article opère une sorte d’amalgame entre le droit commun et l’exception.

Dans tous les cas, la position du groupe GDR sur cette proposition de loi dépendra évidemment du sort réservé à nos amendements et des débats que nous aurons. La question est technique, mais l’enjeu est d’importance dans nos territoires comme en Hexagone, et nous ne pouvons pas toucher à un droit aussi important sans en envisager toutes les conséquences.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). L’indivision successorale est parfois une entrave majeure à la gestion des patrimoines et au dynamisme économique de nos territoires. Trop souvent, les biens restent gelés pendant des années, voire des décennies, faute d’accord entre les héritiers et ce blocage nuit à la transmission du patrimoine familial, empêche l’exploitation des terres agricoles dans nos territoires ruraux et freine des projets d’aménagement nécessaires à la revitalisation de nos communes, favorisant les fameuses « dents creuses » dans nos villages.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à ces difficultés en simplifiant les modalités de sortie d’indivision et en assouplissant les règles de majorité pour les décisions de vente. En autorisant la cession d’un bien indivis à la majorité des deux tiers des indivisaires, elle offre une solution de bon sens, attendue par les notaires, aux situations de blocage, tout en maintenant un équilibre entre la protection des droits successoraux et la nécessité de fluidifier la gestion des biens.

Le groupe Union des droites pour la République soutiendra cette réforme, qui constitue une avancée pour de nombreuses familles et pour des territoires, en particuliers ruraux et montagneux. Il s’agit là d’un levier essentiel pour éviter l’enlisement de certains patrimoines et permettre une valorisation effective des biens.

Toutefois, nous devons veiller à ce que cette simplification ne se fasse pas au détriment des indivisaires les plus vulnérables, notamment ceux qui, pour des raisons diverses, ne sont pas identifiés ou localisables au moment des procédures de vente. Nous avons donc déposé un amendement qui vise à garantir les droits sans entraver la logique de fluidification qu’exprime ce texte.

Article 1er : Rapport sur la création d’une base de données relative au recensement des biens abandonnés

Amendement CL28 de Mme Louise Morel et sous-amendement CL34 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. L’article 1er crée une base de données dont l’objectif est de recenser tous les biens en état d’abandon. À la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons décidé de préciser ce périmètre à partir des dispositifs déjà fixés dans la loi. L’amendement vise donc à créer une base de données recensant toutes les différentes procédures de biens en état d’abandon, qu’il s’agisse de parcelles en état d’abandon, de biens sans maître, de successions vacantes ou de successions en déshérence, qui sont des objets législatifs différents. Il répond notamment à une préoccupation exprimée par les maires, confrontés par exemple à la présence dans leur commune d’un immeuble en état de délabrement et sans propriétaire identifié, et que cette base de données aidera à connaître la situation juridique du bien et à prendre la mesure la plus adéquate.

M. Michel Guiniot (RN). La notion d’état d’abandon existe dans le code général de la propriété des personnes publiques pour désigner les bateaux abandonnés sur le domaine public fluvial, ainsi que pour parler des terrains des associations foncières pastorales dans le code rural. Il existe également une procédure visant l’état d’abandon manifeste.

Ce sous-amendement vise à écarter toute possibilité de méprise dans l’interprétation, comme cela a été évoqué lors de l’audition de la direction nationale d’interventions domaniales. La formulation proposée permet également de ne viser que les immeubles, et non l’ensemble des biens meubles et terrains, tout en se fondant sur des critères objectifs et manifestes qui permettront de faciliter la récolte des informations.

L’amendement étant de bon sens, la précision proposée a pour seul but qu’il soit bien entendu.

Mme Louise Morel, rapporteure. Le dispositif de l’amendement, qui mentionne chacune des catégories juridiques de biens concernées, est assez précis : vous proposez plutôt une précision sémantique, sinon rédactionnelle, qui peut clarifier l’objectif d’ensemble. Sagesse.

Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

Amendement CL29 de Mme Louise Morel et sous-amendement CL35 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. Cet amendement répond à une demande de la DNID, qui souhaite donner la publicité la plus large possible à des ordonnances judiciaires qui la désignent comme curateur d’un bien dans une succession vacante. Actuellement, cette publicité se fait dans un journal écrit et local d’annonces légales. La DNID, qui a déjà mis en place un portail internet plus largement accessible au public et permettant à des héritiers de réclamer une succession vacante, a demandé l’inscription cette modalité de publicité dans la loi.

M. Michel Guiniot (RN). Le sous-amendement vise à garantir l’existence des journaux d’annonces légales. Les propos des représentants de la DNID ont manifesté la nécessité d’une plus grande publicité des annonces légales, compte tenu des nouvelles mobilités de la population et de la baisse d’intérêt de la société pour la presse papier, et c’est cette nécessité que transcrit l’amendement CL29. La diffusion numérique doit toutefois coexister avec la publication dans la presse traditionnelle. S’il ne change pas le sens de la démarche, l’ajout du mot « également » en change les conséquences.

Je rappelle que, durant les auditions, la DNID a bien précisé que le portail numérique qu’elle utilise pour les successions vacantes n’avait pas vocation à devenir un journal d’annonces légales et qu’il fallait envisager de multiplier les possibilités de publicité. La presse papier a encore un pouvoir d’information et nous devons lui permettre de continuer à respirer.

Mme Louise Morel, rapporteure. L’amendement n’a pas pour objet d’écarter le recours au journal d’annonces légales, mais seulement de donner un effet légal au portail numérique. Le sous-amendement me semblant satisfait, j’en demande le retrait. À défaut, avis défavorable.

Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.

Article 2 : Favoriser la sortie des indivisions bloquées du fait d’une succession vacante

Amendement de suppression CL22 de Mme Émeline K/Bidi

Mme Émeline K/Bidi (GDR). L’article 2, qui prévoit d’octroyer à la DNID des prérogatives d’expropriation des biens immobiliers, ne me semble pas poursuivre un objectif d’intérêt général et j’ai d’autant plus de mal à en comprendre l’intérêt que les délais applicables sont largement réduits, de telle sorte qu’une succession non réglée depuis deux ans et un mois peut faire l’objet d’une mesure exorbitante du droit commun. D’où cet amendement de suppression de l’article.

Mme Louise Morel, rapporteure. Mon amendement CL30 de réécriture globale de l’article 2 répond à vos préoccupations, que partagent plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. Il recentre en effet le dispositif sur la possibilité pour les domaines de vendre un bien indivis dans une succession vacante qui bloque une autre succession lorsque l’identité ou l’adresse d’un ou plusieurs indivisaires est inconnue. Il supprime également la possibilité de vendre lorsqu’un ou plusieurs indivisaires ne se manifestent pas, qui était plus problématique au regard de la protection constitutionnelle du droit de propriété. Enfin, il ajoute des garanties, car le demandeur devra justifier d’avoir entrepris des diligences sérieuses en vue d’identifier et de localiser les indivisaires inconnus. Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). En rédigeant mon amendement, je n’avais pas encore connaissance votre amendement de réécriture, qui prend en compte mes craintes.

L’amendement est retiré.

Amendement CL30 de Mme Louise Morel, sous-amendements CL36 et CL37 de M. Michel Guiniot

Mme Louise Morel, rapporteure. Cet amendement, dont l’adoption ferait tomber les autres amendements à l’article 2, constitue un bon point d’équilibre entre les différentes préoccupations exprimées. D’abord, en effet, il recentre l’article sur un cas particulier de succession et d’indivision bloquée lorsqu’une succession est partagée entre plusieurs indivisaires mais que l’adresse ou l’identité de certains d’entre eux est inconnue. C’est par exemple le cas lorsqu’un héritier est lui-même décédé et que l’on ne connaît pas ses enfants. Dans certaines de ces successions, en effet, l’un des héritiers indivisaires est décédé et sa succession est vacante, c’est-à-dire qu’aucun héritier ne la réclame ou n’est connu. L’administration du domaine agit alors comme curateur des successions vacantes et elle est elle-même confrontée aux autres indivisaires décédés et à leurs héritiers inconnus – cas dans lequel la succession est bloquée en indivision et dont aucun mécanisme existant ne permet de sortir. L’amendement vise à permettre à la DNID de débloquer ces successions en vendant le bien indivis malgré le silence des indivisaires inconnus.

Enfin, le dispositif révisé prévoit des garanties fortes pour préserver le droit de propriété de ces indivisaires inconnus : l’indivision doit être constituée depuis au moins dix ans, elle doit comprendre un indivisaire en succession vacante décédé depuis au moins deux ans – délai que je suis prête à voir évoluer, en réponse à certains amendements déposés à ce propos –, la vente ne peut intervenir, sur autorisation judiciaire, qu’après vérification par le juge qu’il n’y a pas d’atteinte excessive aux droits des indivisaires et le demandeur doit justifier des diligences entreprises en vue d’identifier et de localiser les indivisaires inconnus.

M. Michel Guiniot (RN). Au cours des auditions, le Conseil supérieur du notariat a relevé dans la formulation initiale un problème quant à la juridiction désignée compétente pour contester. Le tribunal compétent n’étant pas précisé dans l’amendement, il faut l’indiquer afin d’éviter toute confusion entre le tribunal du lieu d’ouverture de la succession, le tribunal du lieu de situation de l’immeuble, le tribunal du ressort de l’autorité administrative concernée et le tribunal du ressort de l’indivisaire qui souhaite manifester son opposition à l’aliénation. Ce sous-amendement vise donc seulement à faciliter l’interprétation de votre amendement de bon sens.

Mme Louise Morel, rapporteure.  Le Conseil supérieur du notariat a relevé que ce type de précisions ont plutôt vocation à figurer dans le code de procédure civile. Je propose que nous traitions cette question assez technique lors de l’examen du texte en séance publique, afin d’éviter d’introduire une difficulté dans le dispositif.

Les sous-amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est ainsi rédigé et l’amendement CL15 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, les amendements identiques CL6 de Mme Céline Thiébault-Martinez et CL7 de Mme Sandrine Nosbé, de même que l’amendement CL27 de Mme Sophie Ricourt Vaginay tombent.

Article 3 : Extension à l’ensemble du territoire national du régime applicable dans certaines collectivités d’outre mer institué par la loi dite « Letchimy »

Amendement CL31 de Mme Louise Morel et sous-amendement AS33 de M. Sébastien Huyghe, amendement CL23 de Mme Émeline K/Bidi (discussion commune)

Mme Louise Morel, rapporteure. L’amendement CL31, qui vise à répondre aux diverses préoccupations exprimées, propose de recentrer le dispositif prévu à l’article 3 qui, à l’origine, étend la loi du 27 décembre 2018, dite loi Letchimy, à l’ensemble du territoire national.

Les auditions ont montré que l’extension directe de la loi Letchimy provoquerait des effets de bords et emporterait des risques juridiques importants, compte tenu de la différence de situation entre l’Hexagone et les outre-mer en matière de foncier.

L’amendement propose de garder le même objectif consistant à favoriser une sortie plus facile des indivisions longues, tout en mobilisant plutôt un outil du droit commun assez méconnu des praticiens et peu utilisé, inscrit à l’article 815-5-1 du code civil. Cet article permet à une majorité des deux tiers des indivisaires d’exprimer devant le notaire leur intention d’aliéner un bien indivis. Si les autres indivisaires se taisent ou s’opposent, le tribunal judiciaire peut autoriser l’aliénation.

L’amendement vise à assouplir encore le principe de l’unanimité en permettant que la majorité simple des droits indivis puisse obtenir l’aliénation. Ce dispositif s’inspire de ce qui a été prévu outre-mer avec la loi Letchimy, qui fixe elle aussi un seuil de majorité simple.

Enfin, le bureau de la commission des lois a prévu de lancer une mission d’évaluation de la loi Letchimy, qui s’applique depuis 2020. Je propose le retrait des amendements qui viseraient à modifier cette loi et qui, du reste, tomberont en cas d’adoption du mien.

M. Sébastien Huyghe (EPR). L’article 815-5-1 du code civil était issu de la loi de 2009 que j’ai eu l’honneur de rédiger avec M. Jean-Luc Warsmann, alors président de la commission des lois, et qui prévoyait la possibilité de vendre, à la majorité des deux tiers des indivisaires en cas de mise en péril de l’intérêt commun de ceux-ci.

Alors que l’amendement vise à ce que la vente soit désormais possible avec un vote de la moitié des indivisaires, le sous-amendement tend à préciser que cette décision doit être prise par une vraie majorité, c’est-à-dire par plus de la moitié de ces derniers.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Pour sortir de l’indivision, les coïndivisaires doivent aujourd’hui passer par une phase amiable, décrite aux articles 835 et suivants du code civil. La loi Letchimy, limitée aux outre-mer et qui ne s’applique qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et lorsque la moitié des coïndivisaires sont d’accord, n’a pas fait disparaître cette phase amiable. Mon amendement CL23 de réécriture de l’article vise à conserver dans le code civil la phase amiable qui y figure déjà et à y insérer les articles nouveaux 837-1 à 837-3 qui font entrer la loi Letchimy dans ce code tout en conservant le dispositif existant en outre-mer, que nous avons mis du temps à trouver et à faire adopter pour ces territoires.

Mme Louise Morel, rapporteure. Avis favorable au sous-amendement de M. Huyghe, qui précise l’intention de l’amendement.

Quand l’amendement CL23, j’en demande le retrait au profit de mon amendement de réécriture, qui préserve le droit actuellement en vigueur dans les outre-mer et se contente de faire évoluer le droit applicable dans l’Hexagone en s’inspirant de la loi Letchimy.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). J’avais déposé cet amendement en défense de l’article 837 du code civil, que cette proposition de loi entendait modifier. La rédaction du texte a évolué et c’est désormais l’article 815-5-1 qu’il entend modifier, sans reprendre exactement le dispositif de la loi Letchimy. L’objectif initial de la proposition de loi n’est plus le même, mais je maintiens mon amendement.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Mon amendement CL27, visant à compléter l’article 815-5-3 du code civil, prévoyait notamment des recours juridictionnels pour les indivisaires une fois la vente réalisée, ainsi que la consignation du montant de la vente.

J’entends que la mention de la Caisse des dépôts (CDC) dans cet amendement soulève une difficulté, mais dans les faits, les notaires consignent bien les montants sur des comptes de la CDC. Il me semble important que ces fonds soient consignés si des indivisaires étaient retrouvés après une vente, grâce notamment à des recherches généalogiques, ou si des recours juridictionnels imprévus et contestés étaient effectués.

Je regrette que tous les éléments qui figuraient dans l’amendement CL27, désormais tombé, n’aient pas été repris dans la nouvelle rédaction de votre propre amendement.

Mme Louise Morel, rapporteure. Nous avons été alertés par la CDC après le dépôt de votre amendement : elle n’est pas favorable à une consignation de ces sommes, qui poserait des problèmes juridiques. Elle serait en effet dans l’impossibilité de les restituer, dans la mesure où elle estime ne pas être habilitée à vérifier l’identité d’indivisaires qui se manifesteraient ultérieurement. C’est pourquoi nous avons préféré ne pas mentionner de consignation par la CDC dans le texte.

Cependant je me tiens à votre disposition pour revoir la rédaction sur ce point d’ici à l’examen du texte en séance ou dans le cadre de la navette.

La commission adopte successivement le sous-amendement CL33 et l’amendement CL31 ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé et les amendements CL17 de M. Sébastien Huyghe et CL8 de Mme Sandrine Nosbé, de même que les amendements CL24, CL25 et CL26 de Mme Émeline K/Bidi tombent.

Article 4

Amendement CL32 de Mme Louise Morel

Mme Louise Morel, rapporteure. Députée d’Alsace, je dois dire que l’article 4 est mon préféré. Mais plutôt qu’étendre le droit alsacien-mosellan sur le partage judiciaire à l’ensemble du territoire, le présent amendement prévoit de procéder dans un premier temps à une expérimentation.

S’il est sain que le législateur s’inspire des droits locaux et particuliers qui fonctionnent, une expérimentation satisfera nos collègues qui ont exprimé, dans la discussion générale, le souhait de ne pas aller trop vite.

En droit commun, le partage judiciaire après une indivision est long et complexe, alors que le droit alsacien-mosellan, appelé aussi droit local, est reconnu pour son efficacité en la matière. Il a pour caractéristique principale de donner des pouvoirs renforcés aux notaires pour faire avancer la procédure, notamment celui de convoquer les parties à des débats et à présumer qu’elles consentent si elles ne se manifestent pas. Ce dispositif a fait ses preuves en Alsace-Moselle, où il existe depuis 1888. L’expérimentation qui est proposée serait ouverte aux départements volontaires pour une durée de cinq ans.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Je m’interroge sur la nécessité de procéder à une expérimentation, dès lors que le dispositif fonctionne depuis 1888 : l’expérimentation a déjà eu lieu, si je puis dire, et depuis suffisamment longtemps pour que l’on s’aperçoive d’éventuels dysfonctionnements.

Mme Louise Morel, rapporteure. À titre personnel je serais particulièrement fière que ce dispositif soit purement et simplement étendu à l’ensemble du territoire mais, après de nombreuses auditions et discussions, j’ai pris conscience qu’imposer autant de contraintes à l’administration chargée d’appliquer la loi et aux notaires était sans doute précipité. Une expérimentation dans des départements volontaires serait de nature à rassurer les autres départements, en permettant notamment de mener une évaluation et d’établir une comparaison entre les pratiques nouvelles et les pratiques précédentes.

M. Sébastien Huyghe (EPR). Vous dites que cette expérimentation se fera dans des départements volontaires : cela signifie-t-il que les conseils départementaux devront se porter candidats ? Pourquoi avoir choisi cette collectivité locale plutôt qu’une autre ?

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je suis dubitative quant à la manière dont nous travaillons. Nous nous interrogeons sur la pertinence de proroger une expérimentation outre-mer, alors que nous ne disposons pas d’un véritable bilan de la loi qui existe depuis quatre ans, pour finalement ne pas reprendre le dispositif tel quel.

Plus largement, tous les articles de la proposition de loi ont été remaniés en profondeur par des amendements de la rapporteure que nous devons examiner en quelques minutes.

Nous nous interrogeons maintenant sur le bien-fondé de procéder à l’expérimentation de dispositions qui existent depuis 150 ans. Le fait qu’elles existent ne veut pas dire qu’elles fonctionnent bien : je serais curieuse de connaître le taux de règlement et la durée de résolution des successions en Alsace-Moselle par rapport au reste du territoire.

Quel dispositif fonctionne mieux : celui prévu par la loi Letchimy outre-mer ou le droit alsacien-mosellan ? Il me semble que nous légiférons à la va-vite sur un sujet pourtant très important.

Mme Louise Morel, rapporteure. Les modalités de l’expérimentation seront fixées par un décret notamment en ce qui concerne la manière dont les départements seront retenus.

Madame K/Bidi, après les différentes auditions que nous avons menées et après avoir pris connaissance des amendements, dont certains s’interrogeaient sur l’éventuelle inconstitutionnalité du dispositif, nous avons décidé de trouver un meilleur équilibre et nous avons déposé ces amendements de réécriture. Ce sujet étant particulièrement technique, nous avons préféré consolider les éléments juridiques, non seulement en fonction des auditions, mais aussi grâce au soutien des administrateurs de la commission des lois.

En tout état de cause, si cette proposition de loi est adoptée, elle ne modifiera la situation ni dans les outre-mer, ni en Alsace-Moselle. Elle concerne uniquement la France hexagonale hors Alsace-Moselle et vise à accélérer les procédures relatives aux indivisions constituées depuis longtemps.

Les deux dispositifs dont il a été question fonctionnent de manière satisfaisante. Nous proposons simplement que le dispositif d’abaissement du seuil figurant dans la loi Letchimy soit étendu au reste du pays, et que les dispositifs en vigueur en Alsace-Moselle fassent l’objet d’une expérimentation dans des départements volontaires, pour une durée de cinq ans. En 2021, à l’occasion de son audition pour un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ), le Conseil supérieur du notariat proposait que la législation s’inspire du droit alsacien-mosellan, afin de sortir des indivisions vacantes constituées de longue date.

Le sujet est technique et un peu de temps est peut-être nécessaire. Je me tiens à votre disposition, d’ici à l’examen du texte en séance publique, pour y apporter des améliorations. Cette proposition de loi n’a pas l’ambition de résoudre la crise du logement, mais de résoudre un problème précis par la généralisation de dispositifs qui ont fait leurs preuves, ce que les auditions ont confirmé.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL19, CL20 et CL21 de M. Sébastien Huyghe tombent.

Après l’article 4

Amendement CL1 de M. Frédéric Maillot

Mme Louise Morel, rapporteure. Nous devrions attendre les résultats de la mission d’évaluation de la loi, actée par le bureau de la commission, avant de nous prononcer sur le contenu de cet amendement. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL16 de Mme Céline Thiébault-Martinez

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement vise à demander un rapport, remis par le gouvernement au Parlement dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, au sujet du principe de la voie de juridiction gracieuse de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à 20 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Ugo Bernalicis, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, M. Manuel Bompard, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, M. Emmanuel Duplessy, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Marc de Fleurian, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Harold Huwart, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Kasbarian, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Vincent Ledoux, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, Mme Christine Loir, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Sylvain Maillard, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Louise Morel, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Sandrine Nosbé, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Sébastien Peytavie, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, M. Jiovanny William

Assistaient également à la réunion. - Mme Anne Bergantz, M. Moerani Frébault, M. Steevy Gustave, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, M. Olivier Serva