Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

         Audition de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et de M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et discussion générale sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) et la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (n° 908) (MM Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).                            2

 

 


Mardi
4 mars 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
Président


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La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et discussion générale sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) et la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (n° 908) (MM Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).

M. le président Florent Boudié. Messieurs les ministres d’État, nous avons le plaisir de vous accueillir à l’occasion de la discussion générale de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée, initialement déposées, dans une logique transpartisane, par nos collègues sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain, à la suite des conclusions de la commission d’enquête menée conjointement. Leur adoption aura des conséquences très importantes sur le fonctionnement des services dont vous avez la charge et sur les juridictions judiciaires.

Vous interviendrez dans les débats lorsque vous le jugerez utile, notamment pour certains amendements du gouvernement dont la portée est particulièrement importante. Je pense en particulier à l’amendement CL471 après l’article 23 quater sur le régime de détention des détenus en matière de narcotrafic, que vous présenterez, monsieur le garde des Sceaux : je vous propose de l’examiner en priorité, après l’article 2. Il en va de même pour l’amendement CL576 présenté par M. Vincent Caure, sur le recours à la visioconférence durant la phase de l’information judiciaire. Notre commission s’intéresse à ces sujets, comme l’a montré le récent rapport d’information remis par nos collègues Antoine Léaument et Ludovic Mendes.

M. Vincent Caure, rapporteur. Ce texte nous concerne tous. Il part du constat dressé par nos collègues sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et des mesures à prendre pour y remédier. Nous ne sommes pas suffisamment armés ni préparés pour faire face aux enjeux de la délinquance et de la criminalité organisées liées au narcotrafic. Ce constat correspond à la réalité partagée par l’ensemble des personnes auditionnées : toutes ont unanimement salué l’arrivée d’un texte en la matière.

Ce texte vise à redonner à l’État et à ses acteurs une égalité de moyens dans la lutte contre les réseaux criminels de type narcotrafiquants. Il s’agit d’abord de repenser nos modes d’action, pour faire face aux organisations structurées qui dirigent les groupes criminels. Notre architecture judiciaire doit s’adapter, notamment grâce au futur parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), qui répond aux insuffisances constatées en matière de coordination judiciaire. Si, depuis vingt ans, les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ont fait leurs preuves, il faut passer à un niveau supérieur en créant un procureur qui incarnera cette lutte et pourra coordonner la réponse judiciaire à l’échelle du territoire national.

Ensuite, nos outils juridiques et nos moyens d’investigation doivent être consolidés. Les stratégies criminelles adoptées par les réseaux sont toujours plus sophistiquées et les méthodes d’enquête traditionnelles de plus en plus inefficaces face à ces structures, qui disposent des ressources et des moyens technologiques pour déjouer les surveillances et empêcher les investigations. L’article 16, qui tend à créer un dossier distinct pour protéger certains éléments de mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête, est l’une des réponses apportées à cette problématique : dans des conditions très encadrées, certains éléments de l’enquête seront protégés. Je précise que la rédaction que je proposerai ne visera que les cas de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, seul objectif de cette mesure.

Par ailleurs, le recours aux techniques traditionnelles et à la surveillance physique de ces réseaux met de plus en plus en danger la sécurité des enquêteurs et leur intégrité physique. En effet, ces groupes, structurés selon un mode mafieux, n’hésitent pas à recourir à la violence extrême et à l’intimidation, y compris contre les forces de l’ordre. Afin de mieux protéger les enquêteurs, les articles 15 et suivants prévoient des mécanismes bienvenus d’anonymisation des agents. Le renforcement des techniques spéciales d’enquête prévu par les articles 15 bis et suivants est quant à lui indispensable pour renforcer notre efficacité et contribuer à assurer la sécurité des personnels des services d’enquête, notamment en permettant l’activation à distance de certains appareils électroniques.

Je sais que certains exprimeront des inquiétudes sur la solidité juridique de ces nouveaux dispositifs. Nous y reviendrons dans la discussion en énumérant les nombreuses garanties qui entourent le recours à ces techniques d’enquête. Je veux ici souligner leur utilité opérationnelle et insister sur l’enjeu de préservation de la sécurité de nos enquêteurs. En tant que rapporteur, je serai très attentif aux garanties apportées en matière procédurale, que je vous proposerai de renforcer.

Nul n’est à l’abri de la corruption. En s’insinuant partout, en dévitalisant la bonne application de nos règles de droit, elle menace notre État de droit lui-même. C’est à ce fléau que répondent les articles 22 et 22 bis. J’ai évoqué le perfectionnement des stratégies criminelles : la montée en puissance de la corruption en est un exemple frappant, l’utilisation de la corruption faisant partie intégrante des modes d’action des narcotrafiquants.

Enfin, le dernier maillon de la chaîne répressive – le domaine post-sentenciel – ne doit pas être oublié. La prise en charge, en prison, des personnes condamnées en matière de criminalité organisée doit elle aussi être adaptée au profil particulier de ces détenus. Les articles 23 et suivants contiennent plusieurs dispositions visant à renforcer la sécurité pénitentiaire. À cet égard, j’ai une pensée pour l’ensemble des agents de l’administration pénitentiaire et des services d’enquêteurs, pour ceux qui ont œuvré récemment à l’arrestation de Mohamed Amra et à son retour en France, et, plus encore, pour les deux agents décédés lors de l’attaque du péage d’Incarville et leurs familles.

En matière pénitentiaire, plusieurs dispositions sont très attendues : l’équipement des véhicules des agents en charge des extractions et des transfèrements en caméras embarquées ; la possibilité de recourir aux caméras de drone, afin de sécuriser les abords des prisons et les opérations de maintien de l’ordre au sein du système carcéral ; la création d’une nouvelle infraction sur le domaine pénitentiaire, réclamée depuis plusieurs années par les personnels. S’il était jusqu’à présent puni de sortir sans autorisation d’une prison, tel n’était pas le cas pour le fait d’y entrer. Le domaine d’un établissement doit donc être mieux délimité juridiquement ; il faut pouvoir sanctionner toute personne qui le franchit sans motif légitime. Pour être complet, j’évoquerai enfin la création des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, assortie d’un régime d’incarcération spécifique. Je me réjouis de cette double disposition présentée par M. le garde des Sceaux, essentielle pour mieux lutter contre les narcotrafiquants.

Enfin, le texte instaure un nouvel outil pré-sentenciel pour accroître la capacité d’action des préfets en vue de démanteler les points de deal. L’article 24 crée une interdiction administrative de paraître et élargit les possibilités d’expulsion, par décision judiciaire, des locataires qui se livrent à des activités de trafics de stupéfiants. Ces mesures, supportées et attendues par les maires de tous bords, visent à répondre aux agissements qui gâchent la vie de nos concitoyens : les points de deal envahissent certains quartiers, limitant parfois la liberté d’aller et venir des habitants ; dans certains immeubles, les réseaux de ces trafics privatisent des espaces collectifs pour organiser leurs exactions, privant ainsi les autres habitants de leur tranquillité et de leur droit de jouir de leur logement et de ses abords.

Nous devons agir plus fermement contre ces situations, contre cette criminalité du quotidien qui pourrit la vie de certains quartiers entiers. C’est ce que vous avez fait, monsieur le garde des Sceaux, avec les opérations Place nettes. C’est aussi l’objectif de l’article 24, et, plus largement, de l’ensemble de cette proposition de loi.

M. Éric Pauget, rapporteur. La proposition de loi vise à réarmer la France dans sa lutte contre le narcotrafic. Elle doit répondre à des besoins opérationnels. Les constats alarmants de la commission d’enquête du Sénat exigent que nous fassions évoluer notre législation pour la mettre au niveau, face à des organisations criminelles dont la capacité financière n’a pas de limite et qui n’ont aucun scrupule. Face à l’explosion de la cocaïne et des drogues de synthèse en France, nous devons passer d’une culture de la lutte contre les stupéfiants à celle de la guerre contre les narcotrafiquants.

La semaine dernière, nous avons entendu des services opérationnels au sujet de leurs attentes, de leurs besoins, mais aussi de leurs manques. J’ai été guidé, sur ce texte, par un principe simple : le pragmatisme, le souci du concret. Il n’est pas question d’être dogmatique : si quelque chose est inutile ou contre-productif, il ne faut pas le garder, et inversement.

Suivant ce principe, j’ai travaillé avec la Chancellerie à améliorer l’article 14, qui réforme le statut des repentis. Les dispositions visées sont largement sous-utilisées : 42 personnes sont concernées, alors que l’Italie gère plus de 1 000 repentis. Or, les auditions l’ont confirmé, pour démanteler efficacement des réseaux criminels, disposer de quelqu’un qui en connaît tous les ressorts est un réel atout. Comme l’a indiqué mon collègue, les techniques traditionnelles ont perdu en efficacité ; il est complexe de percer l’opacité des organisations criminelles. Les personnes qui y appartiennent sont les mieux placées pour en décortiquer tous les rouages.

J’ai déposé plusieurs amendements pour rendre le dispositif plus attractif. Néanmoins je suis en désaccord avec les sénateurs sur le point précis de l’immunité pour les crimes de sang. Le bon équilibre est, selon moi, de prévoir une réduction de peine pour ces crimes, en refusant l’immunité complète de poursuites pénales. À l’inverse, les personnes auditionnées ont indiqué ne pas avoir besoin du dispositif du gel judiciaire prévu à l’article 5 : je vous proposerai donc de le supprimer.

Le renforcement des mesures pour lutter contre le blanchiment va dans le même sens : il faut être efficace et frapper les criminels au portefeuille, en fermant administrativement les établissements qui leur servent à blanchir leurs fonds ou en prévoyant un gel administratif des avoirs criminels des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants.

J’ai également en charge le titre IV, relatif au renforcement de la répression pénale du narcotrafic. Nous ne devons pas négliger le volet pénal. S’il ne constitue pas la solution à toutes les difficultés, face à la délinquance et la criminalité organisées, la répression doit être ferme et la plus complète possible. Nos collègues sénateurs ont proposé plusieurs évolutions à cette fin : deux d’entre elles sont particulièrement intéressantes.

D’une part, l’article 9 propose la création d’une nouvelle infraction, qui sanctionne l’appartenance à une organisation criminelle. Inspiré du droit italien, ce nouveau délit complète la participation à l’association de malfaiteurs, cette seule infraction étant insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants. Nous devons donc adapter notre droit pénal en conséquence et élargir les possibilités de sanctionner ces individus – les têtes de réseau. D’un point de vue pragmatique, je pense que la rédaction proposée par le Sénat doit être améliorée et je vous proposerai deux amendements de réécriture, comprenant notamment la création d’une liste noire des organisations criminelles – outil éprouvé en matière de terrorisme –, qui permettra de lutter plus efficacement contre les narcotrafiquants.

La deuxième évolution innovante est celle de l’article 10 bis, qui crée une dérogation aux règles de prononcé des peines applicables aux infractions commises en concours et liées à la criminalité organisée. Il autorise aussi le cumul des peines, dans la limite d’un maximum légal fixé à trente ans de réclusion criminelle. Cette évolution est nécessaire pour faire face aux réalités des actes des narcotrafiquants. Elle est frappée au coin du bon sens : quand vous commettez plusieurs infractions, que vous continuez d’en commettre, vous devez être davantage puni.

J’évoquerai brièvement aussi les importantes dispositions de l’article 11, qui renforcent nos moyens de lutte contre les passeurs de produits stupéfiants, les « mules ». Au-delà de la dimension de la sécurité publique, l’importation de produits stupéfiants par passeurs soulève aussi des enjeux en termes de santé publique. Les mules risquent leur vie en ingérant des produits stupéfiants pour mieux les dissimuler en vue de leur importation. Nos outils juridiques doivent s’adapter pour mieux prendre en charge les passeurs de produits stupéfiants et lutter contre la récidive, fréquente dans ce genre de faits.

Enfin, pour répondre aux capacités de plus en plus importantes des organisations criminelles et des réseaux de trafiquants, la justice doit évoluer dans son organisation. L’article 13 répond à cette exigence en assurant la spécialisation de la chaîne pénale. Il crée une cour d’assises spéciale en matière de criminalité organisée et attribue aux juridictions de l’application des peines dépendant du nouveau Pnaco le suivi des mesures des condamnés pour ce type d’infraction. La spécialisation des acteurs en charge de la délinquance et de la criminalité organisée leur permettra de monter en compétence et de garantir une meilleure expertise judiciaire du phénomène.

Comme vous le constatez, cette proposition de loi est riche et contient de nombreuses dispositions, dont certaines très innovantes. La combinaison de l’ensemble de ces mesures d’ampleur offre, j’en suis certain, une réponse adaptée, ferme et efficace aux enjeux de la délinquance et de la criminalité organisées, tout en réarmant notre pays.

M. Roger Vicot, rapporteur. La proposition de loi que nous examinons fait suite à des travaux parlementaires d’une grande qualité – la commission d’enquête du Sénat des sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain, la mission d’information de l’Assemblée nationale de MM. Antoine Léaument et Ludovic Mendes. Elle est riche, copieuse, voire complexe et hétéroclite. Les conséquences de certains articles, potentiellement très importantes, notamment en matière de renseignement, ont parfois été mal évaluées.

L’article 8 étend la technique du renseignement algorithmique à la prévention de la délinquance et de la criminalité organisées. Il repousse également de six mois l’expérimentation de l’utilisation de cette technique jusqu’au 31 décembre 2028. La technique de l’algorithme a été autorisée en 2015, pour la seule lutte contre le terrorisme, sous une forme expérimentale, avant d’être pérennisée en 2021. Elle a été étendue l’année dernière à la lutte contre les ingérences étrangères, sous la forme d’une expérimentation.

Le Conseil constitutionnel a autorisé le recours à cette technique en 2015, en posant notamment deux conditions : une utilisation limitée à la prévention du terrorisme et une restriction des données qui peuvent être soumises aux algorithmes. Or, depuis sa décision, la technique a non seulement été étendue à de nouvelles finalités mais elle concerne aussi de nouveaux types de données. S’il n’est pas illégitime d’envisager d’en étendre le champ à la criminalité organisée, la question de l’encadrement du champ d’application de l’article 8 se pose.

Quant à l’article 8 ter, il est probablement l’un des plus significatifs de la proposition de loi. Il transforme en profondeur les obligations pesant sur les opérateurs et plateformes de services en ligne pour la transmission des données aux services de renseignement et d’enquêtes judiciaires. Actuellement, la loi leur impose de fournir les données ainsi que, lorsqu’elles sont chiffrées, les clés de chiffrement afférentes.

Cette obligation n’est plus adaptée lorsque s’applique un chiffrement dit « de bout en bout » : dans ce cas, l’opérateur ou la plateforme ne disposent pas eux-mêmes des clés de chiffrement, qui sont décentralisées auprès de l’émetteur et du récepteur. Cela pose un problème opérationnel aux services de renseignement, qui n’ont plus accès à autant d’informations qu’auparavant, avec le développement très rapide des messageries et services chiffrés de bout en bout.

L’article 8 ter transforme l’obligation actuelle de moyens en une obligation de résultat : les opérateurs et les plateformes devront fournir le contenu directement déchiffré. J’insiste sur le fait que cette nouvelle obligation remettrait fondamentalement en cause la possibilité de proposer un tel chiffrement dans notre pays. Certains parlent de « porte dérobée », d’autres de « participants fantômes ». Il ressort de nos travaux qu’aucune technologie ne semble assez mûre pour être déployée à grande échelle, en préservant la sécurité de nos conversations et les contenus en ligne. Le risque est celui d’une dégradation de la sécurité des communications de l’ensemble de nos concitoyens, voire de l’État. En raison de sa complexité et des enjeux qu’il soulève, cet article mériterait un projet de loi dédié, avec une étude d’impact, un avis du Conseil d’État et une consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Les autres articles que je rapporte suscitent également quelques interrogations. L’opportunité de l’infiltration civile proposée à l’article 19 ne me semble pas évidente. Contrairement à l’infiltration par des agents de la police, de la gendarmerie ou des douanes, il s’agit d’infiltrer des tiers qui sont déjà, en toute logique, impliqués dans des activités criminelles ou délinquantes : les risques du recours à une telle technique sont élevés. Je proposerai donc la suppression des dispositions relatives à l’infiltration civile.

Par ailleurs, l’article 20 ter vise à étendre la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) aux crimes en matière de trafic de stupéfiants. Il s’agirait d’une évolution majeure, la CRPC étant aujourd’hui limitée au niveau délictuel. Ce texte ne me semble pas être le véhicule adapté pour une telle évolution.

Enfin, mon groupe et moi-même proposons la suppression de l’article 21 ter, qui étend de façon totalement disproportionnée les possibilités de recourir aux perquisitions et visites douanières de nuit.

M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice. La République a grandement besoin de ce texte d’origine sénatoriale. La criminalité organisée constitue une menace et touche beaucoup de pays autour de nous – je pense à la Belgique et aux Pays-Bas, qui n’ont pas su se réveiller à temps. D’autres grandes démocraties sont concernées, comme les États-Unis, où le décès par overdose de fentanyl est la première cause de mortalité. Cette drogue de synthèse provient des organisations criminelles qui sévissent au Mexique et dans d’autres pays.

Modifié par la Chancellerie lors de la discussion au Sénat, ce texte vise à adapter notre système judiciaire en spécialisant l’intégralité de la chaîne pénale, comme cela a été fait pour la lutte contre le terrorisme, même si les problématiques étaient différentes. Par exemple, le nombre de morts dû à la criminalité organisée est beaucoup plus élevé. La proposition de loi crée un parquet spécialisé dans la lutte contre la criminalité organisée – antistupéfiants – et chargé du suivi des personnes en détention, des magistrats spécialisés pour l’instruction et pour l’application des peines, un régime de détention particulier, des techniques et des modes de fonctionnement nouveaux.

Si nous n’avons pas proposé la fusion du parquet national antiterroriste (Pnat) et du Pnaco, le parallèle avec le sujet du terrorisme mérite d’être souligné, le dispositif instauré en la matière ayant fait ses preuves depuis les attentats de 2015. De l’avis général, en effet, notre système policier et judiciaire est efficace, notamment contre les organisations criminelles extérieures. Ainsi, nous voulons sortir la criminalité organisée du droit commun pour la spécialiser, s’agissant notamment du statut du repenti, des techniques de renseignement ou de la détention.

La différence avec le terrorisme est certes importante puisque les prisons françaises comptent 17 000 détenus – en détention provisoire, dans l’attente d’être jugés, ou condamnés pour peine – pour criminalité organisée en lien avec le trafic de stupéfiants. Cela génère un gros contentieux, dont l’intégralité ne sera pas confiée au Pnaco et aux magistrats spécialisés. Notre objectif est de développer le renseignement criminel, comme l’ont fait d’autres pays, en particulier l’Italie, alors que des menaces, parfois extrêmement fortes, pèsent sur plusieurs corps de métier – agents pénitentiaires, greffiers, douaniers, agents publics ou concourant au service public, directeurs de prison, enquêteurs, avocats, magistrats, journalistes. En Belgique et aux Pays-Bas, elles ont été mises à exécution. Les criminels disposent d’une assise financière importante et utilisent des techniques de recherche et développement, en matière de production de drogue, de blanchiment ou d’organisation de leurs télécommunications.

Le Pnaco aura donc vocation à se concentrer sur le haut du spectre et à coordonner le travail des Jirs. S’il ne se substituera pas aux Jirs ni aux infra-Jirs, certains dossiers pourront être gérés avec les autres juridictions. Le Pnaco incarnera une doctrine de renseignement criminel, en lien avec les services de police et à l’international, et vis-à-vis de l’opinion publique, à l’instar du Pnat en matière antiterroriste. Clé de voûte de l’ensemble du changement judiciaire, le Pnaco s’appuie sur l’intégralité de la chaîne judiciaire.

Afin d’éclairer nos discussions j’ai sollicité le procureur de Fontainebleau, entouré d’une équipe de spécialistes du ministère de la justice, afin d’établir un premier rapport d’étape pour déterminer l’organisation du Pnaco – nombre de magistrats, pouvoir d’évocation, mode de fonctionnement, localisation, délai de création : bref, que pourra-t-il faire concrètement pour être utile à la République ? Ce rapport m’a été rendu ce matin et je vous l’ai immédiatement transmis. Il a vocation à éclairer nos débats, s’agissant notamment de la conception de l’article 2.

J’appelle votre attention sur un autre point : le régime de détention. Cette question a été évoquée lors de la discussion au Sénat. Je salue à cet égard le travail des sénateurs Durain et Blanc, et me réjouis du vote à l’unanimité. Les dispositions initialement prévues n’étaient sans doute pas à la hauteur des difficultés rencontrées dans les prisons, mises en exergue par l’affaire Amra. Connu de diverses Jirs – qui ne s’étaient pas concertées –, cet homme avait été mis en détention provisoire à la maison d’arrêt d’Évreux, qui, par définition, n’était pas des plus sécurisées puisque les prisons qui le sont le plus sont celles où l’on met les personnes définitivement condamnées.

Selon le rapport d’inspection commandé par mon prédécesseur, M. Dupond-Moretti, Mohamed Amra a réussi, après plusieurs tentatives, à s’évader lors d’une extraction pour comparution devant un juge d’instruction à Rouen, laquelle n’a duré que quelques minutes – j’y reviendrai. Cela a abouti au drame d’Incarville, où deux agents pénitentiaires ont été assassinés en pleine journée, de sang-froid, à la kalachnikov, trois autres ayant été grièvement blessés. Se sont ensuivis neuf mois de cavale, avant que les services enquêteurs et les magistrats ne remettent la main sur M. Amra et plusieurs dizaines de personnes qui l’auraient aidé à s’évader.

Cette affaire a mis en exergue la faiblesse de notre renseignement criminel : nous sommes incapables d’identifier les profils de l’intégralité des personnes détenues dans nos prisons, notamment en détention provisoire. Le Pnaco, aidé par les services du ministère de l’intérieur, devrait permettre d’y remédier et d’évaluer parfaitement la dangerosité des détenus. Aujourd’hui nous ne sommes pas en mesure de placer les personnes particulièrement dangereuses dans un régime de détention qui les empêche de menacer, de corrompre, de continuer à diriger leur point de deal, de commander des assassinats et de s’évader.

Des prisons de haute sécurité devraient permettre de ne pas les mélanger avec l’essentiel des autres détenus : sur les 82 000 détenus, 600 à 800 personnes sont concernées. L’objectif est de cesser de distinguer les détenus selon leur statut – détention provisoire, maison d’arrêt en attendant le procès, prison pour peine – et de préférer un critère de dangerosité – capacité à s’évader, à corrompre, à commander des assassinats.

Ce changement radical dans le fonctionnement de l’administration pénitentiaire ne relève pas du législateur : des prisons de haute sécurité peuvent être créées sans le Parlement, dont l’accord est toutefois nécessaire pour instaurer le régime de détention qui s’appliquera dans ces prisons ou leurs quartiers.

Je me suis inspiré de l’Italie, qui a inventé la mafia mais aussi des antidotes : un système de repentis qui compte un millier de personnes ; vingt-quatre quartiers pénitentiaires spécifiques où sont incarcérés quelque 900 détenus qui relèvent de la criminalité organisée mafieuse. Mon amendement propose le même régime de détention très strict, déclenché par une mesure administrative. C’est le garde des Sceaux qui, sur la base d’informations fournies par ses services et ceux du ministère de l’intérieur, prendra un arrêté visant à placer telle ou telle personne, quel que soit son statut, sous ce régime de détention strict pendant une durée – renouvelable – de quatre ans. L’arrêté sera public et attaquable devant le juge administratif.

Ce régime présente des particularités en matière d’accès au téléphone, de conditions de parloir et d’extraction. Actuellement, les détenus peuvent téléphoner vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis leur cellule avec téléphone fixe, les plus dangereux étant écoutés par le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP). Même avec le recours aux outils de l’intelligence artificielle, qui ne sont d’ailleurs pas à la main du ministère de la justice, cette mesure de surveillance est difficile à pratiquer puisque des milliers de détenus sont potentiellement concernés par la criminalité organisée ou le terrorisme. Nous proposons donc de réduire l’accès au téléphone fixe, comme en Italie, pour les détenus placés sous ce régime. Lors des parloirs, les fouilles systématiques et l’hygiaphone ont été abolis en application d’une directive européenne. Nous préconisons de les rétablir pour les quelques centaines de détenus les plus dangereux, comme en Italie.

Nous voulons aussi éviter les extractions judiciaires, qui posent de gros problèmes aux forces de l’ordre et aux agents pénitentiaires. Toutefois mon amendement va moins loin que le système italien où le détenu reste en prison pendant toute la procédure judiciaire, y compris lors du jugement et du prononcé de la peine. De notre côté, nous préconisons le recours à la visioconférence pour les actes préparatoires au procès, les échanges avec le juge d’instruction. Nous parlons ici de 600 à 800 détenus sur un total de 82 000, considérés comme les plus dangereux, sachant que les magistrats pourront s’opposer à l’usage de la visioconférence. Est-ce que ces mesures auraient empêché à coup sûr M. Amra de s’évader ? En tout cas, s’il n’était pas allé quelques minutes dans le bureau du juge d’instruction, s’il avait été incarcéré dans une prison pour peine et non à la maison d’arrêt d’Évreux et s’il avait été soumis à un régime de détention plus attentif à sa dangerosité, on peut penser que les événements ne se seraient pas déroulés de la même manière.

Ces deux amendements sur le régime de détention et l’utilisation de la visioconférence, qui concernent un nombre infime de détenus, vont faire l’objet de débats parlementaires nourris mais aussi d’un avis du Conseil d’État que j’ai décidé de saisir. J’ai eu un échange avec Thierry Tuot, président de la section de l’intérieur, au cours duquel je lui ai proposé de défendre le dossier en personne. Il m’a indiqué que le président de la commission des lois et les rapporteurs sont les bienvenus à la réunion qui se tiendra la semaine prochaine. Je rendrai public le rapport du Conseil d’État, et, si besoin est, nous modifierons le texte en séance. Que chacun comprenne que ce sujet peut nous rassembler. De telles dispositions, mises en place il y a longtemps par un gouvernement social-démocrate italien aux prises avec la mafia, ont d’ailleurs été validées par toutes les institutions européennes.

S’agissant du statut de repenti, nous partageons le point de vue du rapporteur Éric Pauget sur le texte du Sénat. En Italie, le statut ne donne pas droit à une immunité mais à un régime de détention différent de celui qui est appliqué à ceux qui ne parlent pas. C’est pour cette raison que les mesures sur la détention seront examinées avant l’article 14 qui réforme le statut des repentis. S’agissant de personnes qui encourent quinze ou vingt ans de prison, la dureté du régime peut être un argument dans la négociation de l’administration de la justice avec un éventuel repenti. On ne promet pas à la personne qu’elle n’ira pas en prison même si elle a commis un crime de sang, mais on peut lui faire valoir des conditions de détention plus clémentes et éventuellement une négociation sur la peine, comme en Italie où le système fonctionne très bien.

Enfin, j’en viens à un aspect du texte sur lequel reviendra le ministre de l’intérieur : la lutte contre le financement et le blanchiment du narcotrafic, qui nécessite des moyens de plus en plus sophistiqués sur le plan technologique. Le Pnaco, qui pourrait naître au début de l’année prochaine, permettra de recruter des magistrats spécialisés et de développer des compétences en matière de cybercriminalité car le blanchiment d’argent passera de plus en plus par les cryptoactifs, le dark web et autres technologies de ce type. De même que le Pnat est compétent en matière de terrorisme mais aussi de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, nous envisageons un Pnaco qui serait chargé de la lutte contre le narcotrafic et la cybercriminalité.

Il n’y aura pas d’autres amendements du gouvernement, sauf si Vincent Caure ne reprend pas l’intégralité des recommandations de la mission.

M. le président Florent Boudié. Saisir le Conseil d’État me semble être une bonne initiative.

M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Tout d’abord, j’aimerais vous donner une idée du déferlement du narcotrafic sur notre pays. Nos services, qui travaillent formidablement bien, ont intercepté 23 tonnes de cocaïne en 2023, et plus de 50 tonnes en 2024 – plus du double. Or le prix du gramme de cocaïne a eu tendance à baisser dans l’intervalle, ce qui signifie que, malgré les prélèvements que nous pouvons faire sur ces trafics, des quantités faramineuses de produits continuent à arriver, à 80 % par les ports, dont nous proposons d’améliorer la surveillance. Les drogues les plus dures sont disponibles tout le temps et partout, aussi bien dans les villes que les villages de campagne, dans l’Hexagone et en outre-mer. Souvent traversés par les routes de la drogue, les territoires d’outre-mer ont des fragilités – pauvreté et chômage – qui en font des proies du narcotrafic.

Cause racine de l’hyper violence que l’on voit partout en France, le narcotrafic est aussi devenu une menace existentielle pour nos institutions. C’est pourquoi, il y a plusieurs mois, nous avions établi un parallèle entre le combat contre le terrorisme et celui contre la criminalité organisée : ces deux causes, qui doivent être deux causes nationales, appellent des réponses similaires, bien que comparaison ne soit pas forcément raison. C’est un combat vital puisqu’il s’agit de sauver des vies. Je suis stupéfait de constater, semaine après semaine, le rajeunissement épouvantable des tués et des tueurs. Dans le narcotrafic, on trouve des enfants soldats et victimes, qui n’ont d’autre perspective qu’un chemin de larmes et un destin de sang. C’est aussi un combat vital pour les intérêts fondamentaux de notre nation. Si nous laissions s’enkyster de véritables narco-enclaves et prospérer des méthodes de corruption atteignant nos institutions, nous pourrions basculer dans une situation que connaissent d’autres États. C’est une alerte. Le moment est venu de reprendre le contrôle. Le combat nécessitera beaucoup de volonté et il ne réglera pas en quelques mois ni en quelques années un phénomène planétaire qui brasse des milliards d’euros.

Pour ce qui concerne le ministère de l’intérieur, il y a besoin d’un nouvel arsenal. Lorsque j’étais président du groupe Les Républicains au Sénat, nous avions créé une commission d’enquête sur le narcotrafic dans le cadre de notre droit de tirage. Nous avions déjà fait ce constat. La spécialisation de la chaîne judiciaire – du Pnaco jusqu’au juge de l’application des peines (JAP) en passant par la cour spéciale – appelle une nouvelle organisation au ministère de l’intérieur, assez proche de celle qui a été créée pour la lutte contre le terrorisme. Pourquoi avons-nous déjoué neuf attentats l’an dernier, trois fois plus qu’il y a trois ans ? Parce que nos services de renseignement et d’enquête se sont professionnalisés, mais surtout parce qu’une nouvelle organisation leur a permis de mieux échanger et se coordonner.

Le Sénat avait d’abord proposé de faire de l’Office français antistupéfiants (Ofast) la colonne vertébrale du système, mais la criminalité organisée inclut aussi le proxénétisme, le trafic d’êtres humains, d’armes, de cigarettes, etc. En lieu et place de l’article 1er, nous proposons donc une mesure d’ordre réglementaire : créer un état-major permanent, sur le modèle de celui qui existe en matière de lutte contre le terrorisme, qui pourrait être opérationnel en quelques semaines à Nanterre. La direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) en serait le chef de file naturel car elle traite déjà plus de 80 % des dossiers de criminalité organisée. Cet état-major réunirait tous les acteurs concernés : les services de renseignement et d’enquête du ministère de l’intérieur, le SNRP, Tracfin, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). La dimension interministérielle du dispositif serait très affirmée puisque les services de quatre ministères seraient impliqués dans cette plateforme située dans un seul lieu et fonctionnant sous l’égide d’un même chef de file, la DNPJ. Formule gagnante dans le combat contre le terrorisme, elle le sera aussi dans la lutte contre la criminalité organisée. Le nouvel arsenal contre le blanchiment et la corruption sera du ressort de Bercy.

Quoi qu’il en soit, on ne part pas de rien. Il existe déjà des outils tels que les 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), un solide maillage territorial qui sera relié à l’état-major et ayant une double utilité : on ne protège bien que ce que l’on connaît bien ; plus on s’approche du terrain, plus on recueille du renseignement opérationnel. En matière de blanchiment, il existe les comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf), coprésidés par les préfets et les procureurs de la République, qui rassemblent tous les services de l’État. Il est envisagé d’aller au-delà de certains pouvoirs de police spéciale, qui permettent par exemple à un préfet de fermer un débit de boissons, pour autoriser la fermeture d’autres commerces ou de locaux associatifs quand s’y déroulent des trafics. Un Codaf avait ainsi repéré une boucherie qui faisait 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, un montant peu en rapport avec son activité visible. Si l’on veut casser l’écosystème du narcotrafic, tous les services de l’État – en matière fiscale, sociale, sanitaire ou de douane – doivent s’intéresser à de nombreux commerces qui fleurissent.

L’arsenal comprendra aussi des techniques spéciales d’enquête, qui ont fait couler beaucoup d’encre. Dans les articles 8 et suivants, vous aurez à examiner trois techniques : l’algorithme, les interceptions satellitaires et le chiffrement. Si le texte devait être adopté sans aucune de ces techniques nous permettant de lutter à armes égales dans ce domaine des nouvelles technologies, aucune enquête ne serait plus possible que ce soit en matière de terrorisme ou autre. Tout commence par le renseignement, je pourrais vous en donner maints exemples. C’est toujours la dialectique du glaive et du bouclier : ces organisations professionnelles disposent du nec plus ultra en nouvelles technologies. Si nos enquêteurs sont en retard dans ce domaine, alors nous ne lutterons pas à armes égales. Expérience à l’appui, les responsables de nos services vous l’ont dit mieux que moi lorsque vous les avez auditionnés, mais j’ai encore en mémoire des affaires récentes démontrant que l’on ne peut aboutir quand on est privé de renseignement.

Quant au procès-verbal distinct, il n’est pas totalement nouveau : nous avons déjà recours au témoignage anonyme et nos amis belges ont expérimenté un système similaire sur lequel la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a émis un avis positif au regard de l’article 6 de la Convention sur le droit à un procès équitable. Étant donné les organisations professionnelles que nous affrontons, il faut veiller à ne pas livrer des noms d’informateurs ou d’enquêteurs qui pourraient subir des menaces, y compris des menaces de mort. Nous avons déjà modifié la première version du Sénat concernant le procès-verbal distinct pour tenir compte d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel – il en existe désormais deux, dont l’une date de 2023. Le rapporteur veut encore en parfaire la rédaction pour que nous ayons un encadrement satisfaisant. À mon avis, cet encadrement sera d’autant plus satisfaisant que, du début à la fin, la procédure sera soumise à l’œil de magistrats : d’abord du procureur de la République ou du juge d’instruction qui créera ce dossier distinct, puis du juge des libertés et de la détention (JLD) dont la décision pourra être contestée en chambre de l’instruction.

Disons un mot de Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, pour rappeler que, si les drogues les plus dures sont disponibles partout et tout le temps, c’est parce qu’elles ne sont plus seulement vendues sur les points de deal, mais qu’elles sont aussi livrées au consommateur par « Uber Shit ». Vous pouvez saisir cette plateforme pour faire retirer des contenus à finalité terroriste ou pédocriminelle. La même procédure doit s’appliquer au trafic de drogue.

Le parallèle entre le terrorisme et la criminalité organisée vaut pour les techniques spéciales d’enquête que nous voulons inscrire dans le droit en fonction de leur finalité. Ce fut le cas en 2015 avec le texte fondateur sur le terrorisme et plus récemment avec celui sur les ingérences étrangères. Nous vous proposons ici de placer la criminalité organisée parmi les menaces existentielles, afin de lui appliquer les techniques spéciales d’enquête. Depuis les attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse en 2012, le terrorisme a fait un peu moins de 280 morts, ce qui est énorme. L’an dernier, la criminalité organisée a fait 110 morts. La menace est là et se traduit en nombre de victimes. Voilà ce que je voulais vous dire pour poser les termes du débat.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Depuis trente ans, les gouvernements ont échoué à juguler le fléau de la drogue. Au nom d’une doctrine faussement pragmatique, nos dirigeants ont préféré composer plutôt qu’agir, tolérer plutôt que combattre. Au nom d’un prétendu maintien de l’ordre dans les cités, on a fermé les yeux sur la gangrène du trafic. Résultat : des quartiers entiers, livrés aux dealers, sont devenus des zones de non-droit. En janvier dernier encore, un gendarme a été abattu dans le Nord lors d’une opération antidrogue. Nous ne faisons plus face à une délinquance ordinaire, mais à de véritables organisations criminelles qui n’ont plus peur de l’autorité républicaine. Voilà où nous mène le laxisme. Ouvrons les yeux : le poison des drogues s’est répandu jusque dans nos campagnes et aucun territoire n’est plus à l’abri de ce fléau. Qui aurait imaginé qu’une petite ville normande de 1 000 habitants devienne le théâtre d’un narcotrafic international, 800 kg de cocaïne ayant échoué sur ses plages ? Ce qui relevait de l’inimaginable est devenu notre réalité.

Alors que nous sommes arrivés à un point de bascule, qu’opposons-nous à ces nouvelles mafias ? Une stratégie morcelée, des plans inefficaces, sans cap clair ni moyens suffisants. En dépit d’un arsenal légal parmi les plus répressifs d’Europe, la drogue circule plus que jamais. Un point de deal démantelé renaît en quelques jours ailleurs ou, pire, au même endroit. Les saisies se multiplient mais ne représentent qu’une infime fraction des flux croissants qui inondent notre pays. Plus nous luttons avec nos armes désuètes, plus les trafics se renforcent.

Le Rassemblement national appelle à muscler d’urgence notre arsenal. Il s’agit de changer radicalement d’approche et de paradigme. Assez de mesurettes, nous devons frapper les trafiquants au cœur de leur système. Simplifions les procédures pénales pour rendre les enquêtes rapides et plus efficaces. Restreignons les moyens dilatoires qui permettent aux criminels d’échapper aux poursuites. Autorisons les perquisitions et les écoutes téléphoniques pour mieux infiltrer les réseaux. Inspirons-nous des modèles qui fonctionnent : en Italie, la lutte contre la mafia a connu un tournant décisif lorsque l’on a osé faire appel aux repentis pour éliminer les parrains du crime. Pourquoi serions-nous plus timorés ? Le cadre légal doit s’adapter à la réalité d’une criminalité hyper mobile, structurée et ultraviolente. Dotons nos forces de l’ordre des outils techniques du XXIe siècle. Nous demandons une réforme des moyens d’interception électronique, une lutte accrue contre le blanchiment et une augmentation significative des effectifs et équipements spécialisés. Donnons à notre justice les ressources nécessaires : plus de magistrats spécialisés ; plus de places de prison ; un régime de procédure pénale permettant d’agir avec rapidité et efficacité. Comment tolérer que des trafiquants multirécidivistes échappent à la prison pour vice de forme ou que des enquêtes piétinent quand les autorisations administratives n’arrivent pas à temps ? Il faut lever d’urgence les obstacles juridiques et administratifs.

Le Sénat a récemment montré la voie en adoptant à l’unanimité ce texte salué comme fondateur. Le groupe Rassemblement national soutiendra toute démarche qui va dans le sens d’une répression implacable du narcotrafic et d’une reconquête de nos territoires perdus. Nous serons néanmoins vigilants : plus question de demi-mesures ou de renoncements cachés derrière des effets d’annonce. Les Français n’en peuvent plus des promesses non tenues pendant que leur quartier se dégrade et que leurs enfants tombent dans la toxicomanie ou, pire, sont pris pour cible. Sécurité, ordre, justice : voilà ce qu’ils attendent de nous. Nous sommes face à une responsabilité historique. En adoptant des mesures fermes, en donnant réellement aux forces de l’ordre et aux magistrats les moyens d’éradiquer les trafics, nous pourrons enfin inverser la tendance et protéger nos concitoyens. Face au poison de la drogue, opposons l’antidote de la fermeté républicaine. Débarrassons la France du piège du narcotrafic.

M. Sébastien Huyghe (EPR). La France se trouve à un point de bascule, submergée par la cocaïne et gangrenée par les tueries et les violences. Depuis 2023, les opérations Place nette se sont multipliées, mais, si elles ont apporté de la tranquillité à nos concitoyens, elles semblent n’atteindre que les petites mains tant il est difficile de cibler les chefs de réseaux criminels et les agents du blanchiment d’argent de la drogue. L’intensification des trafics et leurs ramifications internationales nous imposent d’être à la fois fermes et lucides, afin de nous assurer que les politiques publiques répondent pleinement aux réalités de terrain et aux attentes de nos concitoyens.

Face à l’ampleur du phénomène, notre responsabilité de parlementaire consiste à mettre en œuvre ce sursaut national et à faire de la lutte contre le narcotrafic une priorité absolue. Un changement de paradigme est possible, mais aucune main ne doit trembler. Si les sujets régaliens font rarement consensus dans l’hémicycle, je suis persuadé que celui-ci est d’une telle gravité que nous pouvons trouver des terrains d’entente. Nos concitoyens comptent sur nous. J’espère ne pas me tromper en disant que nous partageons le constat suivant : face au narcotrafic, la réponse de l’État manque de moyens et souvent de cohérence. Nous devons traiter le sujet pour ce qu’il est : un véritable fléau économique et social qui finance la criminalité, affaiblit nos institutions et menace la cohésion nationale. Aucune zone ne doit être abandonnée aux trafiquants. Il nous faut restaurer l’autorité républicaine dans chaque quartier, en démantelant les réseaux et en reprenant le contrôle des territoires perdus.

Cette proposition de loi réformera l’architecture judiciaire avec la création du Pnaco sur le modèle du PNF et du Pnat. Il traitera les crimes les plus graves, constituera une incarnation de la lutte contre le narcotrafic et coordonnera les parquets spécialisés. La chaîne pénale sera dotée de magistrats et de JAP spécialisés. Les services d’enquête seront renforcés par la création d’un état-major dédié à la criminalité organisée. Le texte cible aussi le blanchiment, en instaurant un double mécanisme de gel judiciaire et administratif des avoirs et en permettant les fermetures administratives de commerces suspectés d’agir comme des blanchisseuses. Il est aussi prévu de créer une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, et une interdiction du recours aux mixeurs de cryptoactifs qui permettent de rendre l’origine des actifs numériques intraçables.

Côté renseignements, la proposition de loi facilitera le partage d’informations entre services et permettra l’expérimentation du renseignement algorithmique sur le modèle appliqué en matière de terrorisme. Le texte imposera aux messageries chiffrées de coopérer avec les autorités. Les préfets pourront prononcer des interdictions de paraître et un délit d’offre de recrutement sera créé. Enfin, le texte réforme le statut des repentis, le rendant plus attractif et l’élargissant aux crimes de sang. Il introduira un procès-verbal distinct, appelé le dossier coffre, destiné à stocker des preuves issues de techniques spéciales d’enquête, inaccessibles aux suspects et à leurs avocats sauf en cas d’intérêt exceptionnel.

Monsieur Darmanin, vous défendrez un amendement visant à créer un nouveau régime carcéral exceptionnel pour les détenus les plus dangereux. Pouvez-vous préciser sur quels critères de dangerosité reposera la décision de placer un détenu dans ce système ? L’affectation dans les prisons de haute sécurité sera prévue pour une durée de quatre ans renouvelable. Pouvez-vous nous préciser sur quel fondement reposera cette décision de renouvellement ? Monsieur Retailleau, ne faudrait-il pas envisager un volet sur le trafic d’armes ?

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous voulez sortir la France du piège du narcotrafic, objectif que nous partageons, mais vous n’y arriverez pas avec cette proposition de loi. Vous n’avez pas compris que lutter contre le trafic de stupéfiants, c’est lutter contre un marché ultracapitaliste qui fait rencontrer une offre et une demande. Cette proposition de loi ne réduira ni l’une ni l’autre.

Pendant un an et demi, j’ai été le corapporteur d’une mission d’information sur l’évaluation de l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants. Notre rapport souligne que la corruption est un enjeu central et insiste sur la question de la formation obligatoire pour comprendre les mécanismes corruptifs et s’en protéger. À cet égard, votre texte, qui ne dit presque rien de la formation, est inefficace.

S’agissant du blanchiment, vous êtes en dessous de la main. Vous proposez des saisies administratives de petits commerces, qui sont arbitraires et inefficaces pour lutter contre le haut du spectre. Sur ce sujet, mon déplacement au parquet de Paris était stupéfiant. J’y ai découvert que les personnes censées lutter contre le blanchiment n’ont même pas de logiciel pour le faire. Si vous voulez lutter contre les capitalistes de la drogue en les tapant au portefeuille, achetez des logiciels à ceux dont c’est le travail.

Vous jouez les gros bras sans jamais mettre les moyens où il faut. La création du Pnaco se faisant à moyens constants, elle n’est qu’un exercice de communication : vous allez prendre des moyens aux Jirs pour les confier à ce parquet. Or ces juridictions ont d’autres fonctions que la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment la lutte contre la fraude fiscale. Avec cette nouvelle organisation, vous allez donc affaiblir la lutte contre la fraude fiscale. Vous allez déshabiller Paul sans habiller Jacques. C’est plus qu’inefficace, c’est contre-productif.

Dans la justice comme dans la sûreté, vous voulez élargir les moyens techniques au mépris du respect des droits sans augmenter les moyens humains. C’est dans cette logique que vous voulez activer à distance les téléphones pour écouter ceux que vous suspectez d’être des criminels, peu vous importe que des individus sans rapport avec le trafic puissent être écoutés eux aussi. C’est dans cette logique, que vous voulez obliger les fournisseurs de messagerie à mettre des backdoors pour que les services de renseignements puissent accéder aux données. Peu vous importe que ce soit à la fois irrespectueux des libertés et d’un ridicule absolu : les dossiers EncroChat et Sky ECC ont précisément montré que les criminels utilisent des logiciels dont ils sont persuadés du caractère sécurisé et impénétrable. Bravo les champions : avec cette mesure vous allez donc indiquer aux criminels quel logiciel ne pas utiliser sous peine d’être écouté d’office ! Si vous voulez attraper de grands criminels, faites comme la gendarmerie avec EncroChat : enquêtez, déchiffrez, agissez et commencez par fournir à la police un logiciel de saisie des procédures pénales fonctionnel. Après huit ans d’efforts et un investissement de 15 millions d’euros, ce logiciel n’a toujours pas vu le jour. Le groupe LFI dépose aujourd’hui une résolution pour créer une commission d’enquête et faire la lumière sur ce fiasco.

La question des moyens et des renseignements humains est traitée dans les articles 17 et 18, qui concernent les infiltrés, et dans les articles 19 et 14, relatifs aux informateurs et aux repentis. Pour ces articles, vous trouverez notre appui.

Toutefois, vous n’avez pas compris que le trafic de stupéfiants est un marché ultracapitaliste dont les têtes de réseau ne pensent qu’à s’enrichir. Pour appauvrir les trafiquants, il y a une mesure dont vous refusez de débattre : la légalisation du cannabis. C’est pourtant le moyen de sortir une immense manne financière des mains des trafiquants, qui pourrait ensuite être utilisée pour la prévention.

La baisse des consommations devrait être votre objectif. Toutes les personnes que j’ai auditionnées parviennent à la même conclusion : sans baisse de la demande, on n’arrivera à rien. Or votre texte ne traite tout simplement pas de cette question. Sur ce sujet, vous êtes à la ramasse, préférant faire des clips avec des doudous enflammés plutôt que d’informer les consommateurs sur les risques sanitaires de leur consommation, ce qui serait cent fois plus efficace. La prévention est le nerf de la guerre. Prévenir l’entrée dans la consommation, faire diminuer les consommations, lutter contre les addictions : voilà le seul moyen réellement efficace de faire reculer le trafic de stupéfiants.

Cette proposition de loi ne résoudra rien. Si elle reste en l’état, nous voterons contre parce que son titre est un mensonge : loin de nous sortir du piège du narcotrafic, elle nous y enfermera.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le narcotrafic est un fléau qui gangrène toute la société. Les véritables victimes sont toujours les plus fragiles : quartiers défavorisés, familles victimes collatérales, petits dealers exploités par la mafia et, en bout de chaîne, consommateurs. Ce fléau a gagné les villes moyennes et les zones rurales.

La lutte contre le narcotrafic ne saurait être efficace sans une réelle coopération internationale. En effet, 80 % des stupéfiants transitent par les ports, ce qui signifie qu’ils proviennent de l’étranger. À l’échelle de l’Union européenne, hélas, la coopération reste limitée en raison de cadres juridiques nationaux totalement différents. Nous avons beaucoup de mal à harmoniser nos législations, souvent parce que nous n’avons pas la même vision, les mêmes méthodes, voire la même philosophie. Étant élue du Pays basque, à proximité des Pyrénées, je sais les problèmes que pose l’existence de deux législations de part et d’autre de la frontière : d’un côté du pont, la consommation est parfaitement légale et, de l’autre, elle est interdite.

La lutte nécessite une augmentation très significative des moyens matériels et humains, à commencer par les services d’enquête, dont le rôle est déterminant pour cibler les têtes de réseau et les faire tomber. C’est par les têtes qu’il faut commencer et non par le bas du spectre. Le parquet national anti-criminalité organisée est devenu indispensable mais il ne faut pas oublier les Jirs : elles ont démontré leur efficacité, accomplissant en peu d’années un travail extraordinaire grâce à des juges et à des greffiers ultraspécialisés.

Le groupe Socialistes et apparentés se veut à la fois réaliste, responsable et exigeant. Il faut se garder d’adopter des mesures d’affichage politique, qui ne seraient d’aucune utilité. Nous devons faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats, sécuriser et simplifier les procédures tout en protégeant les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Il faut ainsi veiller, s’agissant de la légalité des techniques spéciales d’enquête, à ce que le fameux procès-verbal distinct ne porte pas atteinte aux droits de la défense ni au principe du contradictoire.

Nous devons aussi faire attention aux risques d’atteinte à la vie privée et, plus grave, à la sécurité nationale posés par l’accès sans contrôle au contenu des messageries cryptées, véritable porte ouverte à l’activation à distance d’appareils et à l’introduction d’Imsi-catchers dans les lieux privés. De même, la prolongation jusqu’à cent vingt heures de la garde à vue pour les mules ou encore la généralisation de la CRPC en matière criminelle risquent de remettre en cause les droits fondamentaux, en particulier la présomption d’innocence. Le virage en matière d’atteintes aux libertés est inquiétant : il ne faudrait pas que cela masque un manque de moyens.

Enfin, la dimension sanitaire, préventive ou éducative fait défaut : il faudra s’y atteler de manière courageuse.

M. Olivier Marleix (DR). Le narcotrafic est l’un des plus graves fléaux qui gangrènent notre société, un poison pour les habitants de très nombreux quartiers et villages, un poison mortel pour tant de jeunes, souvent des adolescents, emportés dans la drogue et soumis à ses lois infernales. Je pense notamment à ces jeunes filles de 14 ou 15 ans qui, après avoir vidé le maigre compte en banque de leurs parents, sont entraînées par des dealers dans la prostitution comme moyen de paiement de leurs doses. J’ai reçu dans ma permanence, à Dreux, des mamans désemparées ; c’est, pour un député, un moment de souffrance et de honte, parce que notre société n’a pas su protéger ses enfants.

Avec un chiffre d’affaires estimé à 6 milliards d’euros par an, le trafic de stupéfiants finance des réseaux criminels de plus en plus puissants, violents et organisés. Ces phénomènes sont nouveaux ; ils ne sont pas la conséquence de trente ans de laisser-faire. Les chiffres – quatre-vingt-cinq morts en 2023, dont quarante-neuf à Marseille – illustrent la guerre que mènent les trafiquants dans notre pays. Il est temps de changer radicalement de braquet et de nous montrer à la hauteur du danger. Je salue l’initiative de l’ancien président Retailleau, qui a utilisé le droit de tirage de son groupe au Sénat pour créer une commission d’enquête à l’origine de cette proposition de loi, faisant naître un consensus sur le réveil de la nation face à la drogue.

Les saisies de cocaïne ont presque doublé en un an, atteignant 44 tonnes en septembre 2024. Cela montre l’ampleur du trafic et souligne la nécessité de renforcer les moyens de contrôle dans les ports et les aéroports. Pendant ce temps, les trafiquants s’adaptent, innovent, exploitent toutes les failles. Ils utilisent des messageries cryptées et ultrasécurisées, des drones pour surveiller les forces de l’ordre, des cryptomonnaies pour blanchir leurs profits.

Les forces de l’ordre et la justice luttent avec courage et détermination mais font face à un déséquilibre alarmant : seuls 3 % des profits du narcotrafic ont été saisis en 2023, soit seulement 117 millions d’euros sur un marché de plusieurs milliards. Pendant que nous confisquons quelques voitures et appartements, les cartels réinvestissent des fortunes dans leurs activités criminelles. Les chefs de réseaux opèrent depuis l’étranger, à l’abri d’États non coopératifs qui bloquent les enquêtes. Cela pose la question de la coopération internationale.

 

La création d’un parquet national anti-criminalité organisée est une avancée importante. Il serait intéressant, monsieur le garde des Sceaux, que vous nous précisiez comment vous imaginez l’articulation avec les parquets locaux et à quel stade le pouvoir d’évocation doit intervenir.

La sécurisation des prisons est un enjeu crucial car le trafic se poursuit derrière les barreaux. Certains détenus continuent de gérer leurs affaires, de donner des ordres, d’organiser leurs réseaux, comme on l’a vu avec Mohamed Amra dont l’évasion a coûté la vie à deux agents de l’administration pénitentiaire, Fabrice Moello et Arnaud Garcia. Nous saluons donc la création des quartiers réservés à la criminalité organisée dans les prisons. Pourriez-vous nous indiquer dans quel délai cela sera fait ? L’enjeu n’est pas la construction de places, que l’on risque d’attendre pendant des années, mais la transformation de places existantes.

Enfin, concernant la corruption, la commission d’enquête sénatoriale avait relevé des chiffres incroyables : 60 000 euros pour acheter la complicité d’un docker, 40 000 euros pour celle d’un douanier. Nous savons que cela concerne aussi des policiers, des magistrats, des élus locaux, qui peuvent être soumis à des tentations. Pourtant, depuis la loi Sapin 2 de 2016, il ne s’est rien passé ou presque dans notre pays en matière de lutte contre la corruption. Il n’y a toujours pas de plan national de lutte contre la corruption, attendu depuis plus d’un an. J’aimerais savoir quelles sont les mesures prises dans chacun de vos ministères en matière de cartographie des risques et des mesures de prévention.

En conclusion, nous voterons ce texte car il contient des avancées très importantes.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il est temps que notre pays s’engage résolument et sans trembler contre les violences, les crimes et la corruption générés par les trafics de stupéfiants, d’armes et d’êtres humains : ils sont la marque du narcotrafic, dont l’ampleur et la structuration capitalistique ont été soulignées lors des auditions. Toutes les villes sont touchées par la grande criminalité organisée. Elles appellent de leurs vœux des moyens ambitieux pour démanteler les organisations criminelles qui pourrissent la vie de nombreux quartiers. Les trafics affaiblissent nos institutions, délégitiment la puissance publique, détruisent le contrat social et augmentent le risque de corruption.

Ces nouveaux défis, intimement liés à la cupidité d’un capitalisme débridé et à l’abandon par l’État de ses grandes ambitions, supposent une approche nouvelle. De ce point de vue, la spécialisation de la justice en matière de lutte contre le narcotrafic, à l’instar du parquet national financier créé par la gauche, apparaît comme une nécessité. Nous plaidons pour frapper ce qui constitue le cœur du pouvoir de ces nouveaux criminels : l’argent – l’argent salement gagné, qui corrompt et qui tue, et qui manque tant pour financer nos besoins. Nous aurions tant à faire pour doter les services publics – police, renseignement, justice, services sociaux – et pour en faire les premiers remparts contre ces économies parallèles.

En dépit de quelques mesures utiles, la proposition de loi issue du Sénat soulève des questions graves. En premier lieu, elle élargit le champ de la criminalité organisée, ce qui risque de faire perdre du temps d’enquête et de créer des injustices qui pourront demain viser des collectifs militants, comme cela a été le cas pour les gilets jaunes ou lors des mobilisations à Bure. Nous avons besoin de permettre aux enquêteurs de cibler des criminels de haut niveau, de leur donner des moyens de surveillance et de filature adaptés, modernes et puissants pour viser le haut du spectre et non, de façon indiscriminée, des citoyens, parfois victimes de cette grande délinquance organisée.

Vous semblez pris, messieurs les ministres, par une sorte de névrose orwellienne de contrôle, de surveillance et d’enfermement, dont il est démontré depuis Ronald Reagan qu’elle n’a en rien empêché le développement des multinationales du crime, parfois même avec la complicité de quelques États voyous. Pêle-mêle, vous proposez le déchiffrement de messages cryptés, mettant directement sous surveillance les conversations privées de centaines de milliers de personnes, dont le traitement s’avérera impossible ; l’abaissement des seuils de sécurité informatique, mettant ainsi en danger la souveraineté numérique nationale ; l’interception satellitaire ; la sonorisation et la captation vidéo des appareils fixes et mobiles ; l’utilisation d’algorithmes de surveillance – bref, des moyens déraisonnables alors qu’il s’agit d’aller à l’essentiel. D’autres mesures soulèvent également des interrogations telles que le dossier coffre, nouvelle procédure ubuesque et sinueuse qui crée un précédent inquiétant au regard des principes constitutionnels des droits de la défense et de la procédure.

Vous affirmez vouloir adapter le droit pénal contre le crime organisé en vous inspirant des lois contre le terrorisme. Or ces dernières sont exceptionnelles – ce sont même des lois d’exception. Si nous n’étions pas nombreux, en 2015, à nous y opposer, il y avait, à droite, des gens plus farouchement défenseurs des libertés, comme Mme Laure de La Raudière ou M. Claude Malhuret. Vous demandez à étendre les techniques de surveillance sans qu’aucune évaluation réelle et sérieuse n’ait été faite : c’est une façon cavalière de légiférer. Je vous mets donc en garde contre cette névrose sécuritaire qui nous fait passer à côté de la modernisation de la justice et de ses moyens, de ses équipements, et qui passe outre la prise en compte des populations, y compris dans les territoires ultramarins.

En l’état, le groupe Écologiste et social souhaite montrer que la bonne réponse à la grande délinquance est l’État de droit et non l’effacement de certains de ses principes constitutifs.

Mme Blandine Brocard (Dem). En 2024, 49 tonnes et 500 millions de doses de cocaïne ont été saisis en France, représentant plus de 3 milliards d’euros à la revente. C’est le double de 2023 : on pourrait s’en satisfaire mais, pour 1 gramme saisi, combien restent encore en circulation ? Les chiffres sont stratosphériques et les quantités faramineuses. Je tiens d’ailleurs à féliciter les douaniers, les policiers, les gendarmes et les services de renseignement pour leur travail formidable. Mais nous, législateurs, nous devons les aider à poursuivre et à intensifier la lutte contre ce fléau qui gangrène les quartiers, les villes et les campagnes, qui détruit des vies, sème l’ultraviolence et alimente un système criminel tentaculaire. Il nous faut traquer chaque euro, déposséder les trafiquants, détruire leur écosystème, nous attaquer à leurs réseaux de recrutement – notamment d’enfants – pour la vente et le blanchiment. C’est à tous ces sujets que répond le présent texte, que le groupe Démocrates soutiendra en proposant quelques mesures concrètes pour en renforcer l’efficacité.

N’en déplaise à certains, nous choisissons la fermeté pour lutter contre des criminels qui prospèrent sur la destruction de vies, sur la radicalisation de la violence et sur la terreur. Le texte apporte une réponse ambitieuse et déterminée en renforçant les moyens de la police et de la justice pour frapper les réseaux dans leur organisation et dans leur portefeuille. Il vise tout d’abord à consolider l’Ofast et à créer un parquet national spécialisé. Nous mettons ainsi fin au millefeuille administratif qui profite aux criminels – plus de coordination signifie plus d’efficacité. Il vise ensuite à s’attaquer au blanchiment d’argent afin de briser leur modèle économique car la drogue représente des flux financiers massifs, des voitures de luxe achetées en cash et des commerces de façade. Nous frappons leur train de vie avec l’injonction pour richesse inexpliquée et la confiscation des biens d’origine douteuse.

D’aucuns considèrent que ce texte est dur et répressif : tant mieux ! Face aux narcotrafiquants, aucun compromis n’est possible. La tolérance zéro ne doit pas être un slogan mais une réalité pour nos concitoyens et pour les familles qui n’en peuvent plus de voir leurs rues, leurs quartiers et leurs halls d’immeubles transformés en supermarchés de la drogue, et aussi pour les forces de l’ordre qui risquent leurs vies chaque jour pour protéger les nôtres.

Avec cette loi, nous envoyons un message simple mais inaltérable : la République ne cédera pas un centimètre aux trafiquants qui menacent nos vies et nos institutions. C’est un combat vital.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Les narcotrafics gagnent des territoires chaque année. À la lecture des chiffres, on peut parler de déferlement et même de fléau. En 2025, le narcotrafic est toujours présent dans ses emprises tristement historiques. Il s’est malheureusement étendu aux villes moyennes et aux zones rurales. Les outre-mer ne font pas exception, ces territoires faisant parfois office de lieux de transit. Les narcotrafics, qui rendent de trop nombreux quartiers invivables, portent une atteinte intolérable à la sécurité de nos concitoyens, qui ont le sentiment inacceptable d’être délaissés par l’État.

En parallèle, la violence liée à ces réseaux criminels s’est désinhibée : de plus en plus forte, elle touche non seulement les têtes de réseaux mais aussi les délinquants de moyenne envergure et les petites mains. Les trafiquants ont recours à des méthodes de vente toujours plus agressives pour garder ou gagner des parts de marché, et peu importe, pour eux, le nombre de victimes.

Toutefois, alors que les pratiques criminelles se renouvellent, s’organisent et que le trafic de stupéfiants continue son expansion, la France n’a pas connu de loi structurante en la matière depuis la loi Perben 2 du 9 mars 2004. Pour autant, l’État n’est pas resté impotent face à la hausse des trafics de stupéfiants. Le gouvernement d’Édouard Philippe avait fait usage de son pouvoir réglementaire dans le cadre du plan « stup » présenté en 2019, qui a permis d’engager des évolutions institutionnelles importantes. Nous nous réjouissons que le présent texte vise à renforcer les structures créées par ce plan.

Le moment est venu pour le législateur de s’emparer de ses prérogatives en matière pénale. Le groupe Horizons & indépendants salue le travail réalisé par les sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête.

Notre contribution à cette proposition de loi s’articule autour de trois axes. Tout d’abord, nous souhaitons que les mesures adoptées soient robustes juridiquement, en particulier au regard de leur conformité à la Constitution. Fermement attaché au respect de l’État de droit, notre groupe proposera des amendements de suppression des articles manifestement inconstitutionnels. Il y va de la responsabilité du législateur et de la crédibilité des mesures que nous mettrons à disposition de l’ensemble des acteurs.

Dans le même esprit se pose la question du dossier coffre. Parce que nous sommes conscients des enjeux relatifs à la protection des techniques spéciales d’enquête et à celle des officiers de police judiciaire, nous serons une force de proposition constructive. Nous souhaitons que les avancées qui seront adoptées par notre assemblée nous permettent in fine de voter en faveur d’un dispositif protecteur, offrant une sécurité juridique garantie, en particulier au regard des droits de la défense.

Ensuite, nous défendrons un amendement visant à renforcer le statut des collaborateurs de justice afin d’en faire un dispositif efficace, mais également juste moralement et philosophiquement. L’inclusion des auteurs de crimes de sang ne correspond évidemment pas à l’idée que nous nous faisons d’un tel équilibre et nous nous y opposerons.

Enfin, le groupe Horizons & indépendants proposera un amendement visant à créer une infraction autonome en cas de trafic de stupéfiants commis avec une arme, punie de quinze ans de réclusion, ainsi qu’à instaurer une peine plancher de dix ans pour tout récidiviste condamné pour détention d’armes prohibées.

Alors que 80 % des trafics passent par les ports, l’élue d’un grand port que je suis sera très attentive aux mesures proposées. Nous défendrons des amendements pour que celles-ci soient renforcées et applicables. Pour répondre par avance à certains de nos collègues qui jugeront ce texte excessif, le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler qu’il ne saurait y avoir de liberté sans règles. Si les règles ne sont pas respectées, l’État doit agir. Restaurer l’autorité républicaine, tel est l’objectif de cette proposition de loi. Le moment est venu d’agir et de réagir face à ce phénomène qui peut mettre en péril une partie de la nation.

M. Paul Molac (LIOT). Je vois ici une belle unanimité pour lutter contre le crime organisé et le narcotrafic. Même si des différences s’expriment, chacun a pris conscience qu’il s’agit d’un fléau et qu’il est nécessaire de trouver les moyens pour l’enrayer et le juguler. Le combat sera difficile car nous faisons face à une sorte d’hydre organisée au niveau mondial, qui génère des milliards de bénéfices et qui peut ainsi arroser toute une population. Même dans nos campagnes, le trafic de drogues se répand ; les bandes se rendent dans les petites villes et règlent désormais leurs comptes à la kalachnikov.

Ce texte nous paraît nécessaire pour mettre fin à la relative impunité de criminels qui utilisent nos enfants pour faire de l’argent. Il soulève plusieurs questions, notamment concernant l’articulation du parquet national anti-criminalité organisée avec les autres parquets. Les affaires seront beaucoup plus nombreuses que dans l’antiterrorisme et un choix devra être fait en fonction des têtes de réseaux, de leur importance et de la coordination en France et à l’international. Nous sommes dans un État de droit et il est important pour le respect des droits de la défense que le dispositif soit correctement mis en place.

Concernant le blanchiment, notre collègue Jean-Luc Warsmann avait déjà fait voter diverses mesures en commission des lois. Nous souhaitons aller plus loin, par exemple en autorisant la fermeture de commerces dont on voit bien qu’ils n’existent que pour faire du blanchiment.

En revanche, nous sommes plus réservés sur les algorithmes. La lutte contre le narcotrafic ne doit pas se faire au prix de nos libertés fondamentales. Nous sommes une démocratie et nous devons préserver un certain équilibre. L’article 8, qui autorise le recours à la technique algorithmique, et l’article 8 ter, qui permet d’accéder à des messageries cryptées, nous paraissent illégitimes et disproportionnés – la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné une telle atteinte aux correspondances chiffrées. Comment justifiez-vous cette mesure, eu égard à cette jurisprudence ? Si cela contribue à créer des portes dérobées, quel sera le risque pour la vie privée des citoyens n’ayant aucun lien avec la criminalité organisée ?

Enfin se posera la question des moyens. Souvent, quand on crée quelque chose, on ne fait pas vraiment du neuf : on prend à Paul pour habiller Pierre. Or les moyens nécessaires sont particulièrement importants.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La lutte contre le narcotrafic est un combat pour la souveraineté de l’État et pour la sécurité de nos concitoyens. Cette calamité ne se limite plus aux grandes métropoles : elle gangrène les territoires ruraux, crée des zones de non-droit et impose sa loi par la violence et l’intimidation. Le problème ne vient pas uniquement des grands cartels internationaux, difficiles à atteindre ; les trafics locaux dans les cités sont souvent l’épicentre du problème. Ils empoisonnent le quotidien des Français, alimentent une violence endémique et recrutent des dealers de plus en plus jeunes. Il faut donc briser ces réseaux en les démantelant et en renforçant la répression.

La création du crime de trafic de stupéfiants en bande organisée est une avancée nécessaire, qui devra s’accompagner d’une réponse judiciaire ferme pour éviter les trop nombreuses récidives. Les narcotrafiquants s’adaptent et exploitent des technologies sophistiquées : messageries cryptées, drones, cryptomonnaies. L’affaire Mohamed Amra l’illustre parfaitement : son cas démontre l’urgence d’une réponse adaptée. Il faut non seulement arrêter les trafiquants mais aussi neutraliser leurs outils criminels, même quand ils sont en prison ou en cavale. La proposition de loi prévoit que ces technologies seront utilisées pour lutter contre eux, mais avec quels moyens pour les forces de l’ordre ? Il s’agit d’adapter concrètement leur lutte à ces nouvelles pratiques de très haute technicité, qui demandent des compétences informatiques très poussées.

S’agissant de la corruption en milieu carcéral, il est inacceptable que les prisons deviennent des bases arrière du trafic. L’anonymisation des agents pénitentiaires affectés aux détenus les plus dangereux est une nécessité pour assurer leur protection.

La création d’un parquet national anti-criminalité organisée constitue une avancée essentielle. Il devra avoir la compétence sur les infractions commises en détention par des trafiquants déjà condamnés afin d’empêcher qu’ils ne continuent de diriger leurs réseaux derrière les barreaux. Nous proposons également que le Pnaco soit implanté à Marseille, dont le port est une plaque tournante du narcotrafic international. Ce choix offrirait une liaison efficace avec toutes les juridictions françaises et permettrait de renforcer la coopération avec les Jirs, qui restent un maillon essentiel du dispositif judiciaire. Cette implantation stratégique favoriserait une centralisation efficace des enquêtes et une action judiciaire plus rapide.

Quels moyens de financement concrets seront déployés pour permettre aux forces de l’ordre d’adapter leur lutte aux nouvelles technologies utilisées par les trafiquants ? Comment garantir l’anonymisation des surveillants pénitentiaires les plus exposés ? Soutenez-vous l’implantation du parquet national à Marseille ?

En conclusion, ce texte constitue indéniablement une réelle avancée. Toutefois, il présente de nombreux angles morts et je regrette que les deux amendements que j’ai déposés, l’un sur l’utilisation des produits de confiscation comme moyen de financement de la lutte contre les narcotrafiquants et l’autre sur le renforcement du statut de témoin protégé, aient été déclarés irrecevables.

M. Sacha Houlié (NI). Je veux tout d’abord rendre hommage au ministre Éric Dupond-Moretti, qui avait annoncé un texte similaire en avril 2024, et à François-Noël Buffet qui, en tant que président de la DPR – délégation parlementaire au renseignement –, avait commis, en 2022, un rapport dont les préconisations sont reprises dans le texte que nous examinons.

Il n’y a pas beaucoup de discussions sur l’objectif poursuivi par le texte, à savoir porter un coup grave et important au trafic de stupéfiants et à la criminalité organisée. En revanche, il y a quelques interrogations sur les moyens. Le PLF – projet de loi de finances – prévoit une baisse de 9 % des moyens de la police judiciaire, qui est pourtant chargée de poursuivre les criminels que nous visons dans cette proposition de loi. Je redoute donc que, au-delà des moyens législatifs que nous allons probablement voter, le reste ne suive pas.

Je suis aussi un peu interrogatif sur certaines dispositions. Si la création d’un parquet national spécialisé me paraît justifiée, tout comme celle de certaines des techniques spéciales d’enquête proposées, je me demande s’il est nécessaire de créer une présomption de revenus frauduleux pour les usagers cryptoactifs. Par ailleurs, je me demande si nous parviendrons à assurer la pleine effectivité du statut de collaborateur de justice pour le repenti et si l’activation à distance des appareils dans les lieux privés, qui ne fait l’objet d’aucune limitation, est bien judicieuse. Quant à l’article 16 bis sur les Imsi-catchers, qui ne prévoit aucune limite, il est appelé à une censure certaine du Conseil constitutionnel. Le rapporteur Vicot a dit ce qu’il fallait dire sur la CRPC en matière criminelle. Enfin, il y a peu de doute sur le sort que réservera le Conseil constitutionnel à l’article 2, qui élargit l’usage de la vidéosurveillance, compte tenu de sa jurisprudence sur la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ).

Monsieur le ministre de la justice, j’ai une question concernant l’amendement à l’article 9 que vous aviez déposé au Sénat afin de supprimer l’infraction d’appartenance à une organisation criminelle. Je vous rejoins sur le fait qu’elle fait doublon avec certaines autres infractions, voire qu’elle pourrait les annihiler. J’aimerais savoir si vous déposerez le même amendement devant cette commission.

Pour le reste, sous réserve d’un indispensable travail de réécriture, nous pouvons rendre cette proposition de loi utile, au moins pour les moyens législatifs. Reste, encore une fois, la question des moyens budgétaires.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Fini le « trafic de drogues » : ce phénomène a pris une telle ampleur que nous l’appelons désormais « narcotrafic ». Comme les mots ne suffisent pas, voilà notre commission saisie de deux textes dont le but est d’accentuer la lutte contre ce fléau et de doter les institutions de moyens à la hauteur des enjeux. Soyez rassurés : nous partageons ces objectifs.

La proposition de loi traduit en grande partie les préconisations du rapport d’enquête présenté au Sénat en mai 2024. Nous avons, sur les deux textes, un bon nombre d’interrogations, voire des inquiétudes. Nous saluons, avec la création du parquet national anti-criminalité organisée, la volonté de coordination des services mais nous redoutons l’hypercentralisation, qui a souvent tendance à se transformer en parisianisme exacerbé faute d’une coordination et de moyens suffisants sur le terrain. Or la lutte contre le narcotrafic implique une bonne connaissance du terrain. Il faudra donc que les moyens suivent.

Nous sommes également assez circonspects concernant le glissement opéré au Sénat du parquet national de lutte contre le narcotrafic vers un parquet national anti-criminalité organisée, dont la mission semble plus large. Cela soulève des interrogations sur son efficacité et sur sa spécialisation. La création de ce parquet ne pourra pas se faire à effectifs constants, sauf à créer une coquille vide dénuée d’efficacité. Quels moyens nouveaux seront affectés à ce parquet national ?

Concernant les outils de lutte et de procédure, nous saluons la volonté de viser le haut du spectre, de s’attaquer au blanchiment, de prononcer le gel des avoirs et la confiscation des biens issus du narcotrafic. Mais, là encore, pour être efficace, il faudra allouer des moyens significatifs aux forces d’enquête et accroître les moyens humains. Or le budget, que nous n’avons pas eu l’occasion de voter, ne semble pas en prendre le chemin.

D’autres sujets sont des sources d’inquiétude : le recul des libertés et des droits fondamentaux, la fragilisation de l’État de droit, l’institution du dossier coffre, les techniques algorithmiques, la réforme du régime des nullités qui signe une remise en cause du principe du contradictoire, une certaine banalisation des atteintes portées à la procédure pénale et aux libertés individuelles. D’une manière plus générale, on peut regretter que la vision du texte soit principalement répressive et qu’il n’y ait pas beaucoup de mesures, voire aucune, concernant la prévention.

Permettez-moi de manifester mon indignation concernant le chapitre II du titre IV qui, bien mal nommé « Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », ne traite pas de cette question – à moins de prétendre que le phénomène des mules est endémique dans nos territoires, ce qui serait particulièrement faux et réducteur.

Certaines mesures nous semblent même inadaptées aux territoires d’outre-mer, comme la création d’une peine complémentaire d’interdiction de voyager à l’encontre des mules. Cela aboutirait à leur retenue sur le territoire de leur arrestation ; ramenée à nos territoires, ce serait une forme de rétablissement du bagne pour ceux, souvent celles, que vous appelez les mules et qui sont généralement victimes d’un véritable trafic d’êtres humains. Ce dont ont besoin les outre-mer, ce sont de moyens supplémentaires affectés à la justice et à l’intérieur, d’autant que ces territoires sont déjà largement sous-dotés comparativement à l’Hexagone. Puisque ce chapitre consacré aux outre-mer n’est manifestement pas fini, quelles mesures spécifiques comptez-vous réellement prendre ?

Nos interrogations sont nombreuses et nous comptons sur des débats nourris au sein de notre commission pour éclairer notre position. Nous porterons une attention particulière à l’équilibre indispensable entre la nécessité de lutter contre le trafic de stupéfiants et le respect de nos libertés fondamentales et de l’État de droit. Nous ne sommes pas prêts à tout brader pour lutter contre ce fléau, aussi dangereux soit-il.

M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Je note tout d’abord que les orateurs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe Écologiste et social viennent de critiquer vigoureusement le texte, pourtant largement voté par les membres de leur parti au Sénat. Ce constat ne nous empêche pas de chercher à l’améliorer afin qu’il recueille un soutien unanime. De fait, il ne mérite assurément pas les attaques que vous avez formulées : le soutien de vos collègues sénateurs le prouve.

Actuellement, l’administration pénitentiaire décide du lieu de détention d’une personne définitivement condamnée à plus de deux ans d’emprisonnement, alors que c’est le magistrat qui choisit le lieu de la détention provisoire pour que le prévenu puisse être à la disposition de l’instruction. Le dispositif, sur lequel le Conseil d’État se prononcera, conserve cette répartition, similaire au modèle italien. Après l’adoption du texte, le garde des Sceaux décidera du lieu de détention de la personne définitivement condamnée : cette décision se fondera sur la dangerosité de la personne, notion qu’il reste à définir juridiquement. S’agissant de la détention provisoire, le ministre de la justice pourra proposer de placer le prévenu dans la prison de haute sécurité sous le régime de la détention spécifique : le magistrat pourra s’y opposer, dans une décision qu’il devra motiver, par exemple pour une raison de proximité qu’il jugerait nécessaire à la conduite de l’enquête.

Les critères de dangerosité, identiques pour la prise de la mesure et pour son renouvellement, sont divers : surface financière de la personne, présence sur la liste de la DNPJ – liste équivalente à celle des personnes dangereuses et susceptibles de commettre des actes terroristes, établie par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) –, passé ou présent carcéral, existence d’autres procédures judiciaires. Des écoutes téléphoniques, des interceptions de téléphones portables, livrés parfois par drone dans les cellules, ou des tentatives de corruption des agents peuvent attester la dangerosité de certains prisonniers. Une partie de ces informations seront publiques puisqu’elles figureront, aux fins de motivation, dans l’arrêté que prendra le ministre de la justice pour placer un détenu dans la prison de haute sécurité sous le régime de détention spécifique que le Parlement va créer. L’acte du ministre sera attaquable devant le juge administratif. Le Conseil d’État pourrait proposer qu’une cour administrative d’appel spécialisée traite de ce contentieux, sa jurisprudence guidant l’administration dans son raisonnement.

La procédure est la même pour le renouvellement de la mesure, quoiqu’elle soit plus facile puisque le comportement du détenu et l’éloignement de son pacte corruptif ou de son organisation criminelle éclaireront le ministre. Les rapports entre le détenu et son organisation peuvent varier selon que la mafia existe encore ou a disparu sous les coups de l’excellent travail de la justice et de la police, ou que l’organisation est étrangère ou non – de nombreuses personnes en détention provisoire ou condamnées pour narcotrafic appartiennent à des groupes étrangers, situés par exemple en Europe de l’Est. Le ministre de la justice prendra des décisions motivées, sur le fondement de ces critères et de la proposition de ses services. Les avocats des personnes visées par les arrêtés pourront attaquer ces actes devant la justice.

Le Pnaco ciblera le haut du spectre, qu’il conviendra de définir. L’article 2 du texte actuel vise les affaires d’une « très grande complexité » et nous souhaitons élargir la catégorie aux affaires d’une « grande complexité ». Le rapport de préfiguration traduit la demande des magistrats de prévoir une cosaisine du Pnaco et des Jirs : les services doivent se nourrir entre eux, sans créer de circuits de remontée d’informations qui alourdiraient la procédure et qui contraindraient les magistrats à effectuer des démarches éloignées de leur tâche de lutte contre la criminalité organisée. Le procureur antimafia italien ne mène pas d’enquêtes, il élabore une doctrine judiciaire criminelle. La cosaisine illustrera le rôle du Pnaco, à savoir travailler avec les Jirs – et nullement les empêcher d’agir. Ils devront discuter entre eux du périmètre du pouvoir d’évocation de ce nouveau parquet national, mais celui-ci pourra se saisir à tout moment, comme le fait le Pnat. Après la discussion parlementaire je prendrai, avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), une circulaire explicative, sachant que le cadrage budgétaire commandera le nombre de magistrats que nous pourrons mettre à la disposition du Pnaco. La dimension internationale et les cibles que mettra en avant la DNPJ auront également leur importance. Le texte sénatorial exclut les règlements de comptes du périmètre du Pnaco, disposition que nous trouvons quelque peu absurde : nous proposerons que ces crimes ainsi que les actes de torture soient intégrés dans le champ de compétences du parquet national. Le Pnaco élaborera ses propres critères, mais il travaillera en lien avec les Jirs et l’ensemble des parquets.

Nous ne retirerons pas de moyens aux Jirs. Une partie de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) sera intégrée dans le Pnaco, la question d’y intégrer la section J3 sur le cyber restant en suspens. Aucun magistrat relevant d’un Jirs ne sera affecté au Pnaco. Nous créerons des postes supplémentaires de greffiers, d’assistants de justice et de magistrats pour alimenter le Pnaco. Outre les annonces à Annecy de l’un de mes prédécesseurs, Éric Dupond-Moretti, sur la création de 1 350 postes de magistrat – dont une partie travailleront sur la lutte contre la criminalité organisée –, 95 magistrats supplémentaires seront affectés aux Jirs et au Pnaco. Dès le mois d’avril, la Junalco accueillera cinq magistrats de plus, puis de nombreux autres en septembre lors de la sortie des élèves de l’École nationale de la magistrature (ENM). Petite différence avec le Sénat sur ce point : je souhaite que le Pnaco commence à travailler au plus tard le 1er janvier de l’année prochaine – votre rapporteur défend la date du 1er juillet – pour intégrer la question des moyens supplémentaires dans le débat budgétaire. Nous avons évalué le besoin total à 130 millions d’euros dans un premier temps pour les bâtiments, le renfort de la chambre de l’instruction pour le contentieux, les places en prison, l’embauche d’équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris), la formation des agents, la lutte contre la corruption, la sécurisation des communications, etc. Le débat parlementaire et la mission de préfiguration affineront le montant de cette enveloppe. Il ne s’agit pas de prendre des moyens aux Jirs pour nourrir le Pnaco, mais d’affecter des magistrats supplémentaires aux Jirs et des moyens nouveaux au Pnaco.

L’absence de dispositions sur la corruption tient à ce qu’elles relèvent du domaine réglementaire. En arrivant au ministère de la justice après quatre ans et demi au ministère de l’intérieur et trois ans et demi au ministère des comptes publics, tous deux rompus aux procédures d’habilitation au secret, je me suis aperçu qu’il n’y avait presque pas de notes classifiées et qu’aucun des agents luttant contre la criminalité organisée n’était habilité. Pourtant, nous savons que la corruption est alimentée par trois moteurs : au premier rang figure la frustration, qui conduit certains agents à trahir leur engagement pour le service public, puis viennent l’argent et les addictions, notamment aux stupéfiants et au sexe. La République se prémunit de la corruption des agents qui luttent contre les ingérences étrangères, le terrorisme et les sommes d’argent que font transiter ceux qui souhaitent échapper à tous les contrôles, au moyen d’habilitations, délivrées notamment par la DGSI. On vérifie par exemple que les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ne sont pas surendettés : nous placerions un agent surendetté dans une situation de risque s’il se trouvait en contact de prisonniers disposant d’une très large surface financière et pouvant proposer quelques dizaines de milliers d’euros pour faire entrer un téléphone portable dans une cellule. Si un agent de quelque service de sécurité que ce soit possède une fragilité ou ment à son administration lors de la procédure d’habilitation, le risque de corruption s’accroît. Les magistrats et les greffiers du Pnat sont bien entendu habilités au secret, mais la procédure est fixée par voie réglementaire. L’intégralité des agents qui travailleront sur la criminalité organisée seront habilités.

Le 31 juillet prochain, la première prison de haute sécurité entrera en service. Je tiendrai demain midi une dernière réunion avec les organisations syndicales, puis j’annoncerai, demain soir, les sites retenus pour les prisons qui ouvriront d’ici à 2027, notamment la première. Dès le mois de mars, nous transférerons les détenus de cette prison pour peine qui n’ont pas été condamnés pour des faits de criminalité organisée vers d’autres centres de détention, à l’exception des personnes emprisonnées pour radicalisation ou terrorisme islamiste qui resteront dans un quartier spécifique de la prison réservé aux détenus radicalisés. Nous lancerons des travaux dans cette prison, qui se retrouvera aux trois quarts vide et qui, pour l’heure, n’est d’ailleurs pas pleine : le coût oscillera entre 4 millions et 6 millions selon le site choisi et sera financé par une partie de l’augmentation du budget de mon ministère, seul département ayant la chance de voir ses moyens croître dans la loi de finances pour 2025. Au cours du mois et demi de travaux, nous formerons les agents pénitentiaires de cette prison dont l’activité tournera au ralenti. Nous renforcerons les moyens du centre hospitalier, de la cour d’appel et des forces de sécurité du ressort, ainsi que ceux du renseignement pénitentiaire local. À partir du mois de juin, les détenus que nous aurons sélectionnés seront placés dans cette prison de haute sécurité – d’ici là, j’espère que le Parlement aura adopté le régime de détention choisi. Au 31 juillet, la liste des cent narcotrafiquants les plus dangereux sera dressée. Dans les mois suivants, j’espère que plusieurs centaines de détenus de ce profil pourront entrer dans ce régime ; nous transformerons d’autres prisons, puisque nous ne construisons pas de nouveaux centres de détention. Il faudra sans doute bâtir à l’avenir des prisons de haute sécurité, mais il faut sept ans pour ouvrir une nouvelle prison : ce délai est beaucoup trop long. Plutôt que de faire une annonce qui ne se concrétiserait que dans sept ans, je préfère transformer des centres de détention existants pour que la première prison de haute sécurité ouvre le 31 juillet.

Nous étions loin d’être enthousiastes à la proposition du Sénat concernant l’appartenance à une organisation mafieuse : cette notion s’est avérée pertinente en Italie, mais le fonctionnement de la criminalité organisée dans le narcotrafic est différent en France. S’il existe des points communs, les membres des organisations criminelles se tatouent beaucoup moins le corps – notamment le logo du groupe – de notre côté des Alpes. Cette approche ne nous semble pas très efficace et pourrait même affaiblir la notion d’association de malfaiteurs. Les sénateurs tenaient à leur idée dont nous débattrons entre nous. Nous étudierons les propositions du rapporteur Éric Pauget sur la liste noire, même si le risque d’inconstitutionnalité est élevé.

Nous soutiendrons votre proposition, madame Ricourt Vaginay, sur l’anonymisation des agents pénitentiaires, même si nous devrons en discuter avec les syndicats de l’administration pénitentiaire. La mesure ne pourra pas couvrir toutes les prisons françaises et sera ciblée sur les surveillants en contact avec les détenus condamnés pour des faits de criminalité organisée. J’étais très favorable à la localisation du Pnaco à Marseille, mais la mission de préfiguration m’a fait changer d’avis : les services du ministère de l’intérieur étant à Nanterre, le ministre de l’intérieur et moi-même avons choisi d’implanter ce futur parquet national à Paris, pour des raisons de locaux, de moyens et de rapidité d’installation. Autour du Pnaco, il faut prévoir des salles d’audience, une chambre de l’instruction, une cour d’appel et installer un procureur général. Peut-être que dans trois, cinq ou dix ans nous déconcentrerons une partie des services à Marseille, mais, à court terme, l’efficacité commande de choisir Paris car personne ne comprendrait qu’il faille plus de deux ans pour installer le Pnaco. En outre, les lieux de détention de haute sécurité seront près de Paris et il est inenvisageable d’imposer de longs trajets à l’administration pénitentiaire pour transférer les détenus. Tout nous incite donc à choisir la capitale.

Il est possible de simplifier la procédure pénale des demandes de remise en liberté sans toucher aux droits de la défense. Les détenus, même extrêmement dangereux, peuvent déposer autant de demandes de remise en liberté qu’ils le souhaitent, même quand leur précédente demande n’a pas encore été étudiée. La demande de remise en liberté, examinée par un magistrat indépendant, est certes un droit, mais ce droit ne doit pas déboucher sur une multiplication des demandes qui empêcherait les magistrats d’étudier les dossiers dans les délais : ce serait inacceptable. Le 31 décembre dernier, dans le ressort de la cour d’appel de Versailles, quelques centaines de détenus se sont donné rendez-vous sur Snapchat puis ont adressé leur demande de remise en liberté le même jour, pensant profiter de la faible présence au travail à cette date. Les magistrats de la cour d’appel de Versailles se sont heureusement organisés pour répondre à toutes les demandes. Aucune n’a été accordée car elles étaient répétitives et infondées, mais des centaines de personnes, dont certaines extrêmement dangereuses, auraient pu être remises en liberté ce jour-là. Il n’est donc pas attentatoire aux droits de la défense de devoir attendre la réponse à une demande de remise en liberté pour pouvoir en formuler une nouvelle ; en outre, une telle mesure nous prémunit contre certaines complexités de procédure.

M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Il s’agit d’un texte fondateur, qui procède à un changement d’approche et qui établit une nouvelle organisation de l’État. Un état-major permanent sera installé à Nanterre et les 104 Cross, présentes dans tout le pays, deviendront les Crossco, pour tenir compte de leur nouvelle mission de lutte contre la criminalité organisée. Ces cellules s’appuieront sur les Codaf, structures qui détectent l’intégralité des écosystèmes, notamment locaux, pour les détruire. En outre, les groupes d’évaluation départementaux (GED), qui opèrent contre la radicalisation, pourront suivre des individus ciblés comme narcotrafiquants ou comme faisant partie d’une organisation criminelle.

Le trafic d’armes est l’une des composantes de la criminalité organisée, dont la colonne vertébrale est le narcotrafic. Il s’agit donc d’un aspect important.

Il y a beaucoup de progrès à accomplir dans le domaine des logiciels, afin d’alléger le travail quotidien des gendarmes et des policiers. Nous sommes en désaccord, monsieur Léaument, sur la légalisation du cannabis, qui en augmenterait la consommation. Et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié, à ce sujet, une étude très probante qui souligne qu’une consommation régulière de cannabis par des jeunes de moins de 18 ans augmente considérablement, de l’ordre de 30 %, les risques psychiatriques. La contrebande de cigarettes et les exemples californien et canadien montrent que la légalisation n’est pas la solution : chaque fois, un marché noir se développe parallèlement aux réseaux légalisés. En France, bien que la cigarette soit légalisée, la contrebande explose.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur la coopération internationale, madame Capdevielle. Nous avons lancé une alliance des grands ports de l’Union européenne, dans laquelle figure celui du Havre, qu’il conviendrait d’étendre, notamment à l’Amérique latine. Si 80 % de la drogue entre par les ports, les plus grands d’entre eux ne sont pas les seuls concernés : des ports secondaires et même de plaisance constituent des portes d’entrée de la drogue. L’article 22 vise à renforcer les enquêtes administratives destinées à lutter contre la corruption des agents permanents des ports ; elles seront même étendues aux agents temporaires. Les intervenants dans les ports sont soumis à de graves menaces : en 2020, un docker a perdu la vie au Havre et d’autres ont été séquestrés et enlevés. La vidéosurveillance des ports sera directement accessible aux forces de sécurité intérieure dans les commissariats ou les gendarmeries. Les ports font des progrès, par exemple en matière de scanners mobiles.

Nous essayons d’affecter des officiers de liaison dans nos ambassades situées dans les pays producteurs de drogue, afin de nourrir la coopération policière.

Les forces de sécurité intérieure utilisent régulièrement la notion, qui figure dans le code pénal, de présomption de blanchiment. Ce dispositif juridique inverse la charge de la preuve.

Certaines dispositions sur la corruption sont incluses dans le texte : Bercy et l’Agence française anticorruption (AFA), qui travaillent ensemble, ont élaboré un plan contre la corruption, lequel devra être enrichi des enseignements tirés de certaines enquêtes, notamment sur la persistance de certaines lacunes.

Madame Brocard, vous avez raison de féliciter les forces de l’ordre et les douaniers qui effectuent des saisies presque toutes les semaines. Nous médiatisons les plus grosses d’entre elles. Je vous remercie également de soutenir ce texte important.

Je souhaite revenir sur trois techniques spéciales : l’algorithme, l’interception satellitaire et le chiffrement. Si aucune d’entre elles ne figurait dans le texte, alors il serait vidé de son contenu et de son efficacité. Les enquêteurs nous disent que tout commence par le renseignement ; or ils ne luttent pas à armes égales avec les gangs criminels, lesquels utilisent les techniques les plus modernes. Il faut rehausser notre système de défense pour l’aligner sur les techniques que les organisations criminelles emploient.

Lorsque j’ai rencontré les enquêteurs de l’Ofast à Marseille, ils m’ont indiqué que le travail devenait surhumain car il fallait lire des pages et des pages d’interceptions. Pendant ce temps-là, les criminels courent. L’algorithme est une technique moderne qui permet de sélectionner un mot, « cocaïne » par exemple, et de disposer immédiatement de tous les passages liés à ce terme. Cette technique, déjà utilisée, n’est pas du tout intrusive. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’a validée pour l’ensemble des finalités qu’elle a eu à étudier – la criminalité organisée est la sixième finalité –, de même que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Sans la faculté d’utiliser cette technique spéciale, un coup fatal serait porté aux enquêtes des services de renseignement et les trafiquants de drogue pourraient sabrer le champagne.

La deuxième technique, objet de l’article 8 bis, est l’interception satellitaire. Les narcotrafiquants n’utilisent plus de téléphones non cryptés. Des constellations satellitaires sont déployées, y compris par des entreprises privées : des gens, honnêtes ou malhonnêtes, peuvent les employer pour leurs communications. Ceux qui ont des choses à cacher utilisent prioritairement le téléphone satellitaire. Le déploiement des constellations a supprimé les zones blanches, même au milieu des océans. Hier, on interceptait les communications sur le téléphone de grand-papa, donc il serait incompréhensible de ne pas faire aujourd’hui d’interceptions satellitaires. Le texte propose une expérimentation jusqu’au 31 décembre 2028 : il est déjà possible d’en mener une jusqu’à l’été de cette année, mais la tâche est complexe. Je serai transparent avec vous : nos services ne sont parvenus à élaborer un outil, encore imparfait, qu’il y a quelques mois. Cet instrument doit encore être amélioré, d’où la nécessité de prolonger la période pendant laquelle l’expérimentation est autorisée : nous avons besoin de temps. Nous refusons d’acheter des solutions déjà disponibles qui pourraient attenter à notre souveraineté, donc les services ont dû développer un produit « fait maison ».

Je ne me fais pas d’illusion sur le sort qui sera réservé à l’article 8 ter, beaucoup de groupes ayant déposé des amendements de suppression, mais un mot tout de même sur le chiffrement, car j’ai lu et entendu des choses inexactes.

Le chiffrement, c’est l’angle mort : ceux qui ont quelque chose à cacher passent d’abord par cette étape. La proposition n’accroîtrait pas la vulnérabilité des systèmes existants. Nous ne créons pas de backdoor, c’est-à-dire une faille par laquelle un service de renseignement pourrait à tout moment s’infiltrer ; nous faisons l’inverse, une front door. Prenons une plateforme qui est capable de chiffrer les communications entre un individu A et un individu B, de bout en bout. Nous ne nous introduisons pas au milieu de ces communications ; nous demandons à la plateforme de créer un autre flux, de A à C. Nous ne créons pas de faille, nous n’affaiblissons pas le chiffrement.

Vous voterez comme vous le souhaitez, mais je rétablis les faits tels que les services techniques les plus pointus nous les ont expliqués. Ce n’est pas non plus une mesure massive, à 360 degrés : elle ne viserait que des individus, et non pas la masse des communications. En matière de captation, introduire un mouchard dans un téléphone est d’ailleurs autrement plus intrusif, puisque vous avez alors accès à tout.

Enfin, c’est le déchiffrement généralisé qu’interdit la CEDH dans son arrêt du 13 février 2024. Si vous m’avez bien suivi et bien compris, l’amendement du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Cédric Perrin, amendement auquel j’ai apporté mon soutien, tient compte de cette jurisprudence : il autorise des interceptions ciblées.

Ces techniques spéciales sont essentielles si nous voulons nous doter d’armes efficaces.

S’agissant des moyens, madame Ricourt Vaginay, nous allons notamment nous appuyer sur l’état-major. Ils seront globaux et mutualisés entre quatre ministères. Vous proposiez, dans un amendement déclaré irrecevable, d’utiliser les sommes issues de la confiscation des biens pour financer ces missions. Ce mécanisme existe : la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) reçoit le produit des ventes de voitures, par exemple, et le redistribue.

Monsieur Houlié, la baisse de 9 % que vous citez n’est qu’apparente : nous avons en réalité conforté les moyens de la police judiciaire, je l’ai démontré pendant la discussion du budget. Je souligne que, malgré la conjoncture budgétaire compliquée, la trajectoire prévue par la Lopmi a été respectée.

Madame K/Bidi, l’Ofast dispose d’une antenne ultramarine. Il y a une Jirs à Fort-de-France. L’article 22, qui porte notamment sur les ports, prend évidemment en considération la situation ultramarine.

M. Michaël Taverne (RN). Monsieur le ministre de l’intérieur, rien ne peut se faire sans une filière judiciaire forte, dotée d’un nombre important d’enquêteurs. Malheureusement, elle est aujourd’hui en crise, notamment au sein de la police nationale, et son attractivité baisse. Aucune des propositions que nous avions formulées pendant la discussion de la Lopmi n’a été retenue.

Nous étions hostiles au passage de la qualification d’officier de police judiciaire en école ; aujourd’hui, le taux de réussite est de 10 % et ce dispositif serait écarté. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Les forces de sécurité intérieure en ont assez de l’amateurisme ; en particulier, les OPJ sont fatiguées de la faible qualité des logiciels de rédaction de procédure – logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) ou Scribe – qui fonctionnent très mal et n’aident pas les enquêteurs. Vous aviez annoncé que le projet XPN aboutirait dans les six mois ; on dit qu’il serait abandonné ! Ce sera encore plus de paperasse pour les enquêteurs. Quelles sont vos propositions sur ce sujet ?

M. Ludovic Mendes (EPR). Comme le rapport que j’ai rendu avec Antoine Léaument sur la lutte contre les trafics de stupéfiants l’a montré, nous manquons de moyens, par exemple pour acheter des scanners pour sécuriser tous nos ports mais aussi pour lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent. Il n’y a rien de tel dans ce texte.

 

 

Cette proposition de loi ne dit rien des consommateurs, qu’il ne faut pas traiter comme des délinquants mais comme des personnes qui souffrent. Encore une fois, cet aspect est occulté, alors que la Fédération Addiction a pris position en ce sens. Il manque ici le ministre de la santé. Tant que nous n’assécherons pas le marché, nous ne pourrons rien faire contre le narcotrafic ; or ce ne sont pas les dispositions que vous proposez qui nous permettront d’y arriver.

Ce texte, c’est de la poudre de perlimpinpin contre nos narcotrafiquants, qui sont à Dubaï.

Mme Sandra Regol (EcoS). Tout le monde est d’accord pour lutter contre les réseaux de trafiquants. Mais la fin ne justifie pas les moyens.

Vous ne cessez de lier terrorisme et trafic de stupéfiants ; c’est étonnant puisque la commission d’enquête du Sénat a établi que ces liens restent « opportunistes, involontaires et fortuits ». Pourtant, vous nous proposez un élargissement au narcotrafic des méthodes du renseignement utilisées contre le terrorisme : c’est un peu léger, vous l’admettrez. En revanche, vous évoquez à peine le blanchiment, pourtant au cœur du rapport de cette même commission : le fameux follow the money qui devait être à la base de ce texte est presque inexistant.

Ce qui serait pragmatique, ce qui ne serait pas romantique, c’est de construire de vrais outils, car la politique française en matière de drogue est un échec complet. Suivons plutôt la piste de l’argent pour agir enfin contre ceux qui nous détruisent.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre chargé de l’antenne du ministère de l’intérieur place Vendôme, je voudrais vous interroger sur les moyens.

Non, monsieur le ministre de l’intérieur, vous n’avez pas démontré que les moyens n’avaient pas diminué en 2025 – on parle de 5 000 agents en police judiciaire. Ces agents en plus, on les retrouve, en partie, dans deux autres missions : 2 300 sur l’ordre public, 2 500 sur la sécurité publique. Soit les chiffres sont tous complètement faux, soit vous n’avez toujours pas fourni les explications nécessaires. Et pour cause ! C’est la réforme de votre voisin qui vous met en difficulté pour lutter contre le narcotrafic. Ce que nous avions pressenti est en train d’arriver.

Ajoutons à cela l’état des logiciels comme Scribe et XPN : on se dit que vraiment, vraiment ce texte de loi n’est là que pour faire de la communication.

Nous aimerions donc une explication argumentée sur les moyens alloués à la police judiciaire dans notre pays.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je partage avec de nombreux députés de la commission des lois la volonté d’améliorer la lutte contre le narcotrafic.

Je suis préoccupée par la complexité des procédures de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Employées en province à de plus petits niveaux, elles pourraient rapporter des sommes importantes.

J’aimerais que vous nous apportiez des éléments circonstanciés sur cette question des moyens.

En ce qui concerne l’article 8 ter, notre droit prévoit déjà la possibilité d’exiger le concours des prestataires de cryptographie. C’est ici la sécurité de toutes nos communications numériques qui risque d’être affaiblie.

Depuis l’adoption de l’amendement du Sénat, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), la Cnil, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ont-elles été saisies par le gouvernement ? Quelle a été leur réponse ?

Mme Marie-France Lorho (RN). L’article 8 ter de la proposition de loi, qui accorde aux services de renseignements un accès aux contenus des conversations tenues sur des applications comme Signal, Telegram ou WhatsApp, suscite des inquiétudes. L’installation de portes dérobées affaiblirait le chiffrement de bout en bout et pourrait ouvrir une brèche pour d’éventuels cybercriminels.

Un expert en sécurité informatique a souligné au cours des auditions la difficulté de sécuriser le système : sous prétexte de toucher les narcotrafiquants, nous risquerions de toucher tout le monde. Inversement, l’insertion de telles vulnérabilités dans les téléphones pourrait en outre encourager les narcotrafiquants à quitter ces systèmes au profit d’autres systèmes de communication. Selon certains intervenants, nous n’avons pas encore les capacités techniques pour surveiller ces conversations sans créer ces brèches.

Le gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement sénatorial. Entendez-vous modifier cette position ? Entendez-vous encourager des dispositions alternatives permettant de ne pas contrevenir à la garantie du respect des principes fondamentaux de la sécurité informatique ?

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous avions eu les lois Avia, « sécurité globale », Silt – loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme –, terrorisme et renseignement –, « Jeux olympiques » ou encore la loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports… Nous discutons aujourd’hui de la trente-deuxième loi contenant des mesures attentatoires aux libertés fondamentales de l’ère Macron.

Au prétexte de lutter contre le narcotrafic, ce texte renforce inutilement le régime de la criminalité organisée, applicable dans des cas toujours plus larges, et de plus en plus utilisé afin de poursuivre des militants écologistes ou venant en aide aux personnes exilées. Il s’attaque à la protection des messageries chiffrées dont elle détruit la confidentialité. Il crée un « dossier coffre » qui rendra secrètes les pièces d’un dossier détaillant les modalités de l’utilisation des techniques de surveillance lors d’une enquête, empêchant les avocats et les personnes concernées d’en prendre connaissance et par conséquent de déceler de potentielles illégalités. Il recycle votre proposition, censurée il y a un an par le Conseil constitutionnel, qui autorisait la police à activer à distance les micros et caméras d’ordinateurs et téléphones pour espionner les personnes. Il élargit la surveillance de masse permise par les boîtes noires de la loi « renseignement » de 2015. Il porte atteinte au droit à la vie privée, à la liberté d’expression, aux droits de la défense et au principe du contradictoire.

Messieurs Darmanin et Retailleau, jusqu’où irez-vous ?

Mme Pascale Bordes (RN). Mènerez-vous une politique de fermeté ou de renoncement ? Certaines de vos annonces vont dans le bon sens, comme la création de prisons de haute sécurité, qui permettront d’isoler 600 des plus grands narcotrafiquants détenus en France. Mais vous affirmez aussi que notre pays compte 17 000 détenus liés au narcotrafic, dont une très grande partie seraient dangereux. Que fait-on d’eux, qui sont aujourd’hui dans des prisons passoires ? Nous serions en droit d’attendre la construction de prisons, mais vous avez récemment indiqué ne pas avoir l’intention de construire des prisons, mais de doubler la capacité de centres de semi-liberté comme de multiplier les libérations conditionnelles et les bracelets électroniques. Vous renoncez ainsi à une politique pénale vraiment ferme ; la situation de nos prisons va – c’est le cas depuis des années – continuer de dicter la politique pénale.

C’est dommage, et cela ne répond pas aux questions posées par le narcotrafic.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’entrée en trafic est bien connue, établie, documentée par une vaste littérature – les plus jeunes, essentiellement des garçons, entrent en dette vis-à-vis des dealers plus âgés, et sont ainsi introduits dans le système du trafic. Je regrette que vos propositions fassent l’impasse sur cet aspect : taper le haut suppose de réduire aussi le bas.

M. Philippe Schreck (RN). Monsieur le garde des Sceaux, dès votre prise de fonctions, vous avez découvert ce que tout le monde savait mais que vos prédécesseurs feignaient d’ignorer : nos prisons sont des zones de non-droit et des lieux d’organisation des trafics et des crimes. Vous avez donc imaginé ces lieux de très haute sécurité, pour les 100, puis les 600, et aujourd’hui les 800 narcotrafiquants les plus dangereux. Quid de toutes les autres places de prison qu’occupent des trafiquants et leurs complices ?

Il faut aussi que les dispositions déjà votées soient appliquées. Où en est le plan « 15 000 places de prison », que M. Dupond-Moretti a échoué à mettre en œuvre ? Complémentaire de ce texte, il semble être à l’arrêt à la suite des coups de rabot budgétaires : allez-vous l’appliquer ? Saurez-vous réaliser ces quartiers de très haute sécurité, quand vous n’arrivez pas à créer de simples prisons ?

M. Yoann Gillet (RN). Les réseaux criminels inondent de drogue les rues de nos villages comme de nos villes moyennes et grandes. La réponse pénale est bien molle et les délinquants ne la craignent plus ; les policiers manquent sur le terrain ; les frontières sont poreuses : toutes les conditions sont réunies pour que les trafics prospèrent. Ce fléau n’épargne personne et l’âge des victimes diminue : les dealers sont recrutés de plus en plus jeunes, les consommateurs aussi. Parmi les victimes, il faut aussi compter tous les habitants qui subissent la terreur imposée par le narcotrafic dans leur quartier. Je pense évidemment au petit Fayed, victime collatérale, tué dans le quartier de Pissevin, à Nîmes, dans ma circonscription.

Votre texte améliore certains points, mais il ne va pas assez loin, oubliant beaucoup de mesures concrètes qui seraient efficaces : augmentation considérable des effectifs de la police sur le terrain, arrêt de la submersion migratoire, renforcement de la réponse pénale notamment par le rétablissement des peines planches et par la dérogation à l’excuse de minorité pour les infractions les plus graves, expulsion systématique des délinquants étrangers, suppression des allocations aux parents des mineurs délinquants.

Il ne faut pas fermer les yeux sur la réalité.

M. Romain Baubry (RN). Que de temps perdu ! Dès septembre 2022, les députés du Rassemblement national demandaient des moyens supplémentaires pour assurer la sécurité de nos établissements pénitentiaires et des agents qui y exercent, mais aussi la classification des structures en fonction des profils des détenus. Dans un rapport rendu en novembre dernier, j’ai proposé des moyens pour sécuriser les établissements pénitentiaires et les rendre hermétiques. Vos parlementaires, macronistes comme membres du groupe Les Républicains, ont tout rejeté en s’alliant avec la gauche et l’extrême gauche : grâce à vous, nos prisons sont toujours des passoires. Des milliers de téléphones y circulent illégalement, les drogues y pénètrent sans difficulté, et l’emprise des réseaux criminels sur certains établissements est totale.

Monsieur le garde des Sceaux, nous vous écoutons et nous vous observons. Ce qu’attendent les Français, ce sont des actes. Vous êtes au gouvernement depuis huit ans, dont quatre comme ministre de l’intérieur : vous avez un bilan, et c’est un échec. Comment croire que vous allez réussir à mettre hors d’état de nuire les criminels dans nos prisons ?

M. Gérald Darmanin, ministre d’État. S’agissant de l’efficacité du regroupement des détenus en fonction de leur dangerosité, je constate que les prises de position au sein du RN sont quelque peu contradictoires.

Je regrette les propos que vous avez tenus sur le travail de nos agents pénitentiaires. J’ai noté le champ lexical : laxisme, passoires, tout circule sans problème… Nos agents font un travail important, avec beaucoup de courage : c’est dommage de ne pas le souligner. Ils ont perdu deux de leurs camarades dans l’attaque d’Incarville, ce qui mériterait un peu plus d’union nationale – un mot que vous devriez normalement comprendre. Vous n’êtes pas au rendez-vous, alors que les sénateurs RN ont soutenu ce texte et en ont souligné l’importance.

Les agents pénitentiaires doivent être blessés de vos propos. J’espère que le débat que nous aurons ne sera pas aussi politicien que ce que nous venons d’entendre, mais que ce sera un débat pour les soutenir. Il ne suffit pas de leur apporter des chocolats pour le Nouvel An, comme je l’ai vu faire.

Monsieur Gillet, quand j’étais ministre de l’intérieur, j’ai écrit à tous les maires du Rassemblement national pour qu’ils nous proposent un terrain destiné à la construction de centres de rétention administrative. Eh bien, aucun ne m’a répondu positivement ; j’ai même reçu une lettre du maire de Fréjus m’expliquant qu’il n’en voulait pas dans sa commune.

S’agissant des places de prison, 6 500 ont été construites par mon prédécesseur et j’aurai l’occasion de dire le mois prochain que nous tiendrons nos objectifs. Pour que ce mouvement continue, il faut commencer par ne pas faire tomber les gouvernements, mais il faut aussi trouver des terrains. Nous avons écrit deux fois à M. le maire d’Hénin-Beaumont, mais je ne crois pas avoir eu de réponse positive. Si vous connaissez le maire de Fréjus, n’hésitez pas lui dire qu’on peut être à la fois croyant et pratiquant ! Bref, nous serons heureux que les maires du RN identifient des terrains sur lesquels nous pourrions construire de nouvelles prisons – une fois, au moins, peut-être.

Car vous parlez à Paris, mais vous n’agissez pas. Je m’étonne d’ailleurs que vous vouliez priver nos enquêteurs et nos magistrats de moyens de lire les messages cryptés. C’était la même chose dans les débats sur le séparatisme : vous demandiez une lutte contre l’islamisme radical, mais à la fin vous n’avez pas voté la loi. On verra bien qui votera quel texte pour protéger les Français.

M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Monsieur Taverne, je ferai des propositions concrètes au printemps afin de relancer la filière de l’investigation. Je ne nie pas les problèmes : je les affronte.

Madame Regol, si nous avons obtenu des résultats en matière de terrorisme, c’est parce que l’État a radicalement changé son organisation en renonçant au fonctionnement en silo : il y a un Pnat, il y aura un Pnaco ; il y a un état-major qui associe les services de renseignement et les services d’enquête. Vous verrez que nous obtiendrons des résultats. Bien sûr que comparaison n’est pas raison ! Mais quand les méthodes sont bonnes, quand on peut renforcer la coordination des services, cela change tout, je le vois en parlant à ceux qui travaillent sur ces dossiers. Nous n’inventons pas l’eau chaude, nous ne faisons que reprendre ce qui fonctionne déjà.

Monsieur Mendes, il faudrait évidemment davantage de scanners dans les ports. Mais Paris ne s’est pas fait en un jour ! On ne peut pas claquer des doigts et exiger que chaque port se dote de dizaines de scanners. Le port d’Anvers, sans doute celui d’Europe le plus en pointe sur cette question, pourra scanner la quasi-totalité des containers en 2028 seulement. Mais nous progressons. Et aux scanners, il faut associer la vidéosurveillance, la capacité des agents même non OPJ à mener des inspections visuelles, les enquêtes administratives pour lutter contre la corruption… C’est un ensemble de mesures qui nous permettront d’être plus efficaces.

Monsieur Bernalicis, avec la réforme, les effectifs de la police judiciaire sont passés de 5 700 à presque 23 000, puisque nous avons mutualisé les moyens.

Madame Lorho, je n’imaginais pas que le RN, qui s’est exprimé pour demander plus de moyens pour les techniques d’enquête spéciale, refuserait de doter nos agents de moyens d’investigation ! Je rappelle que nous parlons d’organisations criminelles qui enrôlent de jeunes adolescents. Je me souviens d’un adolescent qui, à Marseille, a été lardé de cinquante coups de couteau puis brûlé vif. Nous avons affaire à des ultraviolents, et nous devons nous donner les moyens de lutter à armes égales. Sinon nous serons inefficaces.

Je redis que l’article 8 ter ne vise ni à fragiliser le chiffrement, ni à massifier la surveillance, mais seulement, en présence d’indices, à permettre d’aller chercher dans les échanges des informations importantes. L’exemple d’EncroChat a montré que ces réseaux criminels utilisent, à l’échelle de la planète, des moyens qui sont aujourd’hui hors du champ d’une écoute normale. Grâce aux gendarmes qui ont réussi à craquer cette messagerie, il y a eu des milliers d’arrestations. On voit bien que ces organisations criminelles se réfugient derrière le chiffrement : tout le travail de nos services devra être d’intercepter leurs échanges.

Monsieur Gillet, les points que vous soulevez n’entrent pas dans le cadre de ce texte, mais ils retiennent toute notre attention.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Vous ne m’avez pas répondu : la Cnil, l’Arcep et l’Anssi ont-elles été saisies au sujet de l’article 8 ter ?

M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Nous coopérons avec l’Anssi, mais cette question ne relève pas de l’Arcep.

L’amendement concerné a été déposé par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il avait aussi fait l’objet d’un travail dans les services du ministère. Il a aussi été étudié par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

 

M. le président Florent Boudié. J’ajoute que l’amendement résulte aussi du travail de la délégation parlementaire au renseignement, dont les membres sont habilités à recevoir certaines informations sensibles, qui ont justifié aux yeux du sénateur Perrin la nécessité du dépôt de cet amendement.

Merci, messieurs les ministres d’État.

 

La séance est levée à 19 heures 30.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pouria Amirshahi, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Jocelyn Dessigny, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Moerani Frébault, Mme Naïma Moutchou, Mme Andrée Taurinya, M. Jiovanny William

Assistaient également à la réunion. - Mme Bénédicte Auzanot, M. François-Xavier Ceccoli, Mme Stella Dupont, M. Sacha Houlié, M. Xavier Lacombe, M. Pierre Pribetich, M. Philippe Schreck