Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Suite de l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) 2
Jeudi
6 mars 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n°47
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 15 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
Après l’article 10 bis
Amendements CL264 et CL265 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Les amendements CL264 et CL265 visent à traduire la volonté des Français d’accroître la sévérité en matière pénale. Le Rassemblement national souhaite davantage de fermeté dans la répression du haut du spectre de la criminalité organisée et des criminels qui se livrent au trafic d’armes et de stupéfiants. Ce matin, la gauche et l’extrême gauche ont affirmé que la première préoccupation des familles de victimes était la réinsertion des coupables. Or ces familles veulent avant tout écarter ces individus de la société, afin de la protéger. Un fossé nous sépare de l’extrême gauche, il s’appelle la vraie vie.
Monsieur le rapporteur, vous avez émis ce matin un avis favorable à l’amendement CL435 de notre collègue Romain Baubry, qui visait à protéger les mineurs du hameçonnage des organisations criminelles sur les réseaux sociaux : la gauche a considéré, de manière pour le moins étrange, qu’il s’agissait d’une mesure d’extrême droite. Heureusement que les députés du Rassemblement national sont là pour améliorer le texte, car les membres du groupe macroniste sont absents.
L’amendement CL264 vise à rendre automatique la révocation du sursis en cas de nouvelle infraction lorsque la condamnation initiale a été prononcée pour trafic de stupéfiants ou association de malfaiteurs. L’amendement CL265 entend exclure des dispositifs de réduction de peine les personnes condamnées pour trafic de stupéfiants ou association de malfaiteurs. Ces amendements répondent au souhait d’une très grande majorité de Français d’accroître la sévérité pénale. À nos collègues macronistes, je rappelle qu’à l’occasion de sa prise de fonction, le garde des sceaux nous avait collectivement invités à nous réveiller : faites-le, car la situation est grave.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le juge peut déjà révoquer le sursis. Vous souhaitez rendre automatique cette révocation, mais nous ne pouvons pas débattre d’automaticité des peines à chaque amendement.
Votre amendement CL265 présente un problème de cohérence juridique. Des réductions de peine peuvent être accordées à des détenus condamnés pour terrorisme : on ne peut pas supprimer totalement cette possibilité pour le narcotrafic alors qu’elle existe pour des crimes encore plus graves à mes yeux.
Je peux partager le fond de vos amendements, mais nous devons assurer la cohérence de notre droit. L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous manquez de cohérence, monsieur Taverne. Vous professez en effet une grande sévérité dans les peines infligées aux criminels, mais la première proposition de loi que vous avez déposée visait à instaurer une présomption de légitime défense pour les policiers, absolvant ceux-ci de toute peine en cas d’usage non autorisé par la loi de leur arme. Vous refusez l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Nous sommes bien plus cohérents que vous, puisque nous défendons le principe selon lequel la loi est la même pour tous et tout le monde doit être puni en cas d’infraction. Notre logique repose à la fois sur la punition et sur la réinsertion. De votre côté, vous opérez des distinctions entre les gens, fondées sur le port de l’uniforme, la religion, la couleur de peau ou la nationalité. La loi doit être la même pour tous, elle doit protéger mais aussi punir ceux qui l’enfreignent.
M. Yoann Gillet (RN). Mon collègue Michaël Taverne a défendu des amendements de bon sens : pour qu’elle soit efficace et acceptée par les Français, la justice doit être ferme, voilà pourquoi il faut mettre un terme au laxisme judiciaire. La révocation du sursis et l’interdiction des réductions de peine sont des évidences que plébiscitent les Français, à l’instar du rétablissement des peines planchers. Nos concitoyens considèrent à juste titre que la justice est trop laxiste : pour qu’ils retrouvent confiance en elle, celle-ci doit se montrer plus ferme.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En matière de justice, les règles sont codifiées, elles ne relèvent pas d’un imaginaire mystique ou littéraire. Les principes sont faits pour être respectés et appliqués, non pour être interprétés en fonction d’une quelconque idéologie. La loi doit être appliquée de la même façon à tout le monde. Vous pensez que la justice doit être ferme, mais il ne s’agit que d’une opinion. La justice doit être juste, efficace et utile. Il ne faut pas sacrifier les principes fondamentaux de nature constitutionnelle comme les remises de peine. Il est important qu’un condamné pour des faits graves mais qui a fait preuve d’un comportement méritant une remise de peine puisse avoir accès à cette mesure. La peine doit être utile et efficace.
L’aggravation des peines que vous proposez ne changerait rien au trafic de stupéfiants. Celui-ci s’organise de plus en plus à l’échelle mondiale par des gens très riches : voilà l’objet de la loi. Vos amendements sont totalement hors sujet.
M. Michaël Taverne (RN). Oui, la justice doit être utile, mais cela signifie qu’elle doit extraire les individus dangereux de la société. Les narcotrafiquants ne trafiquent pas que des stupéfiants, ils font également commerce d’armes, ils séquestrent des personnes, en assassinent d’autres. Si vous considérez qu’il faut remettre ces individus en liberté et privilégier leur réinsertion, c’est que vous n’avez pas idée de leur dangerosité.
Monsieur Léaument, je vous remercie de faire la publicité de notre proposition de loi sur la présomption de légitime défense des policiers. Contrairement à vous, je n’ai à aucun moment évoqué l’origine sociale, ethnique, religieuse ou nationale des individus. En 2015, j’ai connu la tuerie de Charlie Hebdo et il se trouve qu’Ahmed Merabet était l’un de mes très bons amis : s’il avait bénéficié de la présomption de légitime défense, il serait peut-être en vie. Je dis bien « peut-être », car je n’oublie pas qu’avec des « si », on refait le monde. La présomption de légitime défense existe déjà dans notre droit : elle figure dans l’article 122-6 du code pénal, que vous n’avez jamais remis en cause. Notre proposition de loi est animée par le bon sens.
La commission rejette les amendements.
Article 10 ter (nouveau) (article 222-37 du code pénal, articles L. 325-1-1 et L. 325-1-2 du code de la route) : Précisions relatives aux peines complémentaires de suspension du permis de conduire et de confiscation du véhicule, ainsi qu’à l’immobilisation et à la mise en fourrière des véhicules par les officiers et agents de police judiciaire
Amendement de suppression CL59 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer cet article comme la plupart de ceux ajoutés par le Sénat, qui n’ont d’autre but que celui de l’affichage. Soit ils visent à créer des infractions déjà prévues dans le code pénal, soit ils aggravent des peines dans un but de dissuasion alors que de telles mesures n’ont aucun impact sur la criminalité organisée.
Les députés du groupe Rassemblement national citent régulièrement l’humaniste Beccaria, mais ils n’extraient qu’une phrase de son œuvre. Cela ne suffit pas pour traduire la pensée d’un auteur : je vous recommande de lire l’ensemble de son livre. La certitude de la peine est de plus en plus assurée, puisque la durée moyenne des peines augmente en France, au moins depuis 2019 et la réforme pénale promue par l’ancienne garde des sceaux, Nicole Belloubet. Mais le plus important, dans l’ouvrage de Beccaria, c’est sa conclusion : le meilleur moyen d’endiguer le crime est l’éducation. Or où est l’éducation dans cette proposition de loi ? Nulle part ! La surenchère pénale ne sert à rien, les mesures utiles portent sur la prévention, mais vous ne défendez absolument pas cette position, vous dites même que la prévention s’apparente au laxisme et à la culture de l’excuse. Arrêtez donc de citer Beccaria sans l’avoir lu jusqu’au bout ! Je suis sûr que vous trouverez dans votre littérature fasciste de nombreuses références appuyant votre ligne politique.
Vous défendez un amendement visant à confisquer un véhicule comme si cela n’était actuellement pas possible, alors que cette disposition existe déjà bien entendu.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis défavorable à la suppression de l’article : je ne comprends pas votre opposition à des peines complémentaires qui sont utiles au juge. Par ailleurs, des véhicules, immatriculés en France ou à l’étranger, pourront être immobilisés. Tous les services que nous avons rencontrés nous ont affirmé que cet outil opérationnel renforcerait l’efficacité de leur action.
En revanche, je soutiens la suppression des alinéas 1 à 4 de l’article, car les mesures qu’ils contiennent existent déjà dans le code pénal : je vous invite à adopter mon amendement CL529 qui vise à les retirer du texte.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous nous opposerons bien entendu à l’amendement de suppression de l’article. Il faut en effet travailler sur la réinsertion des personnes incarcérées, mais le taux de récidive des condamnés pour trafic de stupéfiants est le plus élevé : il atteint 46 % ! Un trafiquant de drogue commence son activité avant la prison, mais il la poursuit en cellule puis après sa libération. Monsieur Léaument, vous l’avez dit vous-même plus tôt dans nos débats, la prison ne constitue qu’une étape dans une carrière de trafiquant, qui leur permet notamment de recruter.
Voulez-vous réduire les peines comme au Portugal ? Nous avons vu les résultats de cette politique : ils ne sont pas bons ! Le nombre de détenus a bien chuté, mais la consommation de drogues a augmenté.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Léaument vous donnera les chiffres portugais qu’il a étudiés pour son rapport d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
Vous nous expliquez que les peines doivent être alourdies pour que le trafic de stupéfiants s’arrête tout en nous disant que le taux de récidive est très élevé. Depuis les années 1970, la France a la législation la plus répressive d’Europe et elle n’a cessé d’augmenter l’échelle des peines, pourtant le taux de récidive demeure très fort.
Un trafiquant convoie de la drogue par go fast : croyez-vous qu’un retrait de permis le dissuadera de récidiver ? Non, il continuera de conduire, mais sans permis. Croire le contraire est d’une naïveté confondante. Quant au véhicule, on peut déjà le confisquer, donc on ne va pas réinventer l’eau tiède à chaque article, le temps des parlementaires est précieux.
Nous pourrions élaborer des mesures utiles, notamment sur la prévention car il n’y en a aucune dans le texte. Le droit actuel permet déjà de déployer de très nombreuses mesures répressives, donc concentrons-nous sur les problèmes réels. Le premier d’entre eux est le manque de moyens, lequel empêche d’appliquer ce que le droit prévoit. Le second a trait à la prévention, celle-ci reculant partout dans le pays. Le président du conseil départemental du Nord, un homme de droite, Christian Poiret, veut supprimer 25 % des crédits de la prévention spécialisée, c’est-à-dire réduire l’action de ceux qui interviennent en première ligne pour empêcher les individus de basculer dans la drogue ou dans le trafic. Ce sont ces gens utiles qu’il faut aider !
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL529 de M. Éric Pauget et CL409 de M. Pouria Amirshahi
M. Éric Pauget, rapporteur. Je rejoins M. Bernalicis sur son appréciation des alinéas 1 à 4, qui sont largement satisfaits par le droit actuel. L’amendement vise donc à les supprimer.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Les alinéas 1 à 4 sont effectivement redondants avec la législation existante.
Le débat commence à être pénible : nous devons examiner un texte sur le narcotrafic et tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre le crime organisé, le haut du panier, les nouvelles techniques, la structuration des réseaux, l’enrichissement et le blanchiment, mais nous finissons par devoir discuter de toutes les obsessions de l’extrême droite, notamment le durcissement de l’ensemble de la chaîne pénale. Pourtant, nous savons tous qu’une telle politique ne fonctionne pas. Vous dites que la justice est laxiste alors qu’elle n’a jamais autant emprisonné d’individus et que les prisons sont saturées.
Vous vous plaignez de la réinsertion, mais le passage en prison, surtout pour la commission de petits délits, marginalise les individus et les entraîne dans une spirale de délinquance criminelle. Vous vous trompez de diagnostic, donc les solutions que vous proposez sont mauvaises. Il conviendrait de revenir au cœur du texte, à savoir la lutte contre le trafic organisé.
Vous évoquez une augmentation de la petite délinquance, mais posez-vous la question de la progression de la pauvreté, car il y a une corrélation entre les deux phénomènes. Depuis dix ans, la répression pénale n’a cessé d’augmenter, pourtant le crime perdure. Vous fantasmez des corrélations qui n’ont aucun fondement et refusez de voir celles qui existent.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les données du rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) sur le Portugal s’arrêtent à 2017 et font état d’une augmentation de l’usage du cannabis. Dans mon rapport du mois dernier, vous trouverez des chiffres actualisés : la prévalence de la consommation de cannabis dans la population générale se trouve en 2022 à un niveau inférieur à 2001 et nettement inférieur à la moyenne européenne. Selon l’Agence de l’Union européenne sur les drogues, 2,8 % des personnes âgées à de 15 à 64 ans avaient consommé du cannabis en 2022 contre 3,3 % en 2001, la moyenne européenne se situant à 8 %. En France, le taux se situe à 10 %, il est donc bien plus élevé que celui du Portugal. Nous proposons de légaliser le cannabis pour que l’argent alimente les caisses de l’État et non celles des narcotrafiquants ; nous souhaitons utiliser cette manne financière pour développer la prévention et renforcer les moyens de la police et de la justice pour lutter contre le narcotrafic. La consommation de cocaïne et de MDMA au Portugal est passée respectivement de 1,2 % de la population en 2001 à 0,5 % en 2022 et de 0,9 % à 0,3 %. La réforme portugaise s’est donc révélée efficace.
Je n’étais pas résolument favorable à la dépénalisation avant le lancement de la mission d’information que j’ai conduite avec Ludovic Mendes, mais notre travail m’a convaincu de m’y rallier et de suivre le modèle portugais, d’ailleurs élaboré par la droite.
M. Michaël Taverne (RN). J’ai lu votre rapport, monsieur Léaument. Lorsque vous l’avez présenté devant la commission, je vous ai même posé une question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse. Vous mettez en avant le cas portugais, mais que dire des autres exemples que vous étudiez ? En Uruguay et dans certains États des États-Unis, non seulement la consommation n’a pas baissé, mais elle a augmenté chez les jeunes ; en outre, le marché illégal n’a pas reculé. D’autres études montrent que la consommation de cannabis est un tremplin vers celle de drogues plus dures, notamment de synthèse.
S’agissant des peines complémentaires de retrait du permis de conduire et de confiscation du véhicule, vous arrive-t-il de rencontrer des membres d’associations de sécurité routière ? Ils vous parlent de conducteurs qui provoquent des accidents sous l’emprise de la drogue, comme un chauffeur de bus récemment. On croit rêver quand on vous entend défendre la dépénalisation de la cocaïne et qu’on confronte vos idées à la vie réelle ! Nous avons développé la prévention pendant des années sans faire la moindre répression : il est temps de changer.
M. Arthur Delaporte (SOC). Les rapports parlementaires se fondent sur des études scientifiques, sur les propos de médecins et d’addictologues, et sur des exemples étrangers factuels. Vous n’avez aucune étude sérieuse à opposer à ces rapports, voilà pourquoi vous restez dans le registre des fantasmes.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, les amendements CL62 de M. Antoine Léaument et CL208 de Mme Colette Capdevielle tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL519 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Elle rejette l’article 10 ter.
Après l’article 10 ter
Amendement CL448 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Depuis quelques années, les récidivistes du narcotrafic armé ont franchi un cap dans la violence. Ils ne se contentent plus de vendre des produits stupéfiants : ils tuent. Nombre de faits divers l’attestent. Un trafiquant récidiviste qui utilise des armes de guerre est plus qu’un simple dealer : c’est un criminel de guerre.
Face à ce fléau, la réponse pénale doit être forte. J’entends que la justice doit être juste ; la justice pénale doit aussi être dissuasive, ou alors elle sera totalement inefficace.
Nous proposons qu’une peine plancher de dix ans punisse la récidive de trafic commis en possession d’armes de catégorie A ou B, c’est-à-dire des armes de guerre.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis souvent favorable à vos propositions, et sur le fond je le suis à celle-ci. Toutefois, sur ce sujet des peines planchers que nous avons déjà abordé, ma réponse sera la même que ce matin : on ne peut pas traiter un tel sujet au détour d’un amendement, d’autant que vous défendrez bientôt une proposition de loi spécifique. Avis défavorable.
Mme Pascale Bordes (RN). À vous entendre, ce n’est jamais le bon moment ! J’entends qu’un texte arrive, mais pourquoi remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui ? J’avais cru comprendre qu’il était urgent de trouver des solutions rapides et efficaces : en voici une.
Nous voterons cet amendement, bien sûr, mais il est minimaliste. Nous estimons que la gravité des infractions que vous visez justifierait une application de la peine socle – terme que je préfère à celui de « plancher » – dès la première infraction. Cette peine socle devrait aussi être étendue à d’autres infractions, mais c’est un autre débat.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ce n’est pas trop mal que nous parlions enfin de trafic d’armes ! Ce sont bien les armes qui tuent les gens.
La méthode de Mme Moutchou ne nous semble pas efficace. Nous sommes opposés aux peines planchers, car nous estimons que c’est à la justice qu’il revient, dans le cadre défini par le code pénal, de décider de la peine.
Mais si les gens ont des armes quand ils commettent des infractions, c’est bien qu’ils s’en sont procurées : il faut donc lutter contre ceux qui fournissent les armes – ceux qui en ont fourni aux frères Kouachi étaient assez proches de l’extrême droite, si l’on veut bien s’en souvenir. Pour lutter contre ce trafic, il faut du renseignement humain. Il faut aussi récupérer les armes déjà en circulation ; la police et la gendarmerie ont lancé des opérations en ce sens.
Dans mon rapport, que M. Taverne n’a de toute évidence pas bien lu, j’écris que l’Uruguay est un mauvais modèle : l’offre n’était pas suffisante pour répondre à la demande, ce qui a conduit à enrichir les trafiquants. Je l’avais dit lors de ma présentation : il n’est pas facile de réussir la légalisation – apparemment cette partie-là ne vous a pas intéressé.
Vous dites aussi que les consommateurs passent ensuite à des drogues plus dures. Mais ce sont les dealers qui provoquent ce phénomène, parce qu’ils ont intérêt à ce que vous vous mettiez à consommer une autre drogue, plus chère et plus addictive. L’État, à l’inverse, lutte contre la dépendance ou l’entrée dans la consommation d’autres drogues. Mais, encore une fois, il s’agit là de prévention et non de sanction.
M. Sacha Houlié (NI). Si j’étais favorable aux peines planchers, j’aurais indiqué que la demande de Mme Moutchou est partiellement satisfaite par l’article 10 bis, qui prévoit une dérogation aux règles de plafonnement des peines en cas de concours d’infractions liées à la criminalité organisée.
Mais je n’y suis pas favorable. C’est un débat récurrent dans notre assemblée. Vous mentionnez dans votre amendement une « décision spécialement motivée » pour ne pas appliquer la peine plancher, et c’est nécessaire pour que la décision soit constitutionnelle : c’est ce que font systématiquement les magistrats. On sait depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce dispositif est totalement inefficace. Éric Dupond-Moretti le disait : le criminel ne commet pas un acte de délinquance le code pénal à la main ; il ne se renseigne pas sur les peines encourues, peut-être ne les connaît-il même pas, sans doute s’en fiche-t-il même complètement.
Enfin, le laxisme judiciaire est une idée fausse, démentie à la fois par le nombre de condamnations et par leur taux d’exécution, qui s’élève à 93 %. En outre, depuis 2000, les peines se sont en moyenne beaucoup aggravées, de quatre à six mois en matière délictuelle et de quatorze à seize ans en matière criminelle.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Toute peine de prison prononcée doit être spécialement motivée : c’est le principe d’individualisation des peines. Votre amendement porte atteinte à ce principe cardinal. La justice est humaine, elle est rendue par des hommes pour des hommes et la peine doit être adaptée aux circonstances.
Lorsque les peines planchers ont été mises en place par Nicolas Sarkozy, elles ont encombré les juridictions : deux fois sur trois, les magistrats, qui ont la culture de l’individualisation de la peine, rejetaient le principe de l’application des peines planchers. Ils devaient donc rédiger une décision spécialement motivée. Vous leur compliquez la tâche. Or vous connaissez l’état de nos juridictions, de nos cours d’appel.
Vous ne cessez de proposer ce type de dispositions : ce n’est que de l’affichage. Vos propositions nient le travail des magistrats. Vous n’avez pas confiance dans la justice de notre pays.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Les peines planchers n’ont jamais évité la moindre récidive, et les récidivistes sont déjà condamnés plus fermement que les primo-délinquants. Nous sommes donc devant un amendement d’affichage, qui plus est très mal rédigé et à coup sûr inconstitutionnel : il doit viser à satisfaire quelques réacs en circonscription – le seul soutien qui s’est exprimé est d’ailleurs celui du RN, ce qui prouve son caractère délirant.
Entre 2008 et 2011, lorsque les peines planchers s’appliquaient, 4 000 années de prison supplémentaires ont été prononcées chaque année par les tribunaux, même si les juges utilisaient largement leur pouvoir de dérogation. Aucun syndicat de magistrats n’a jamais soutenu ce type de mesure complètement inutile.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Ce dernier chiffre me paraît au contraire montrer l’efficacité des peines planchers ! Il n’y a pas que les groupes Horizons et RN qui y soient favorables. Je le suis moi aussi.
Mais, je le disais tout à l’heure, j’estime qu’il faut une loi spécifique.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ces interventions présagent de débats intéressants sur le texte qui arrive !
Madame Cathala, je suis évidemment d’extrême droite, puisque je ne pense pas comme vous ! C’est toujours le même argument, censé mettre fin au débat. Ce n’est pas la première fois que je l’entends. J’aimerais plutôt répondre sur le fond.
Vous avez dit que les récidivistes sont davantage punis que les primo-délinquants : encore heureux ! J’espère qu’il y a encore un peu de cohérence dans le droit et dans la justice pénale.
Monsieur Houlié, 93 % des peines sont exécutées, mais 12 % à 15 % seulement des procédures sont jugées, c’est-à-dire rien – la moyenne européenne est de 38 %. Il faut donc relativiser les chiffres que vous donnez.
Nous avons moins de places de prison que la moyenne européenne : c’est aussi pour cela qu’il y a une surpopulation carcérale. Ce sont les chiffres du Conseil de l’Europe.
Certains de nos collègues parlent de l’individualisation des peines comme d’un principe cardinal. Mais ce ne sont que des mots : M. Houlié a déposé un texte, avec Mme Bergé, qui visait à étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux personnes condamnées pour violences aggravées ; quant aux socialistes, ils ont déposé un texte qui automatisait le retrait de l’autorité parentale à un parent qui n’était même pas condamné ! Je pourrais citer des exemples à l’envi. Y a-t-il des peines automatiques à deux vitesses ? Certains sujets sont-ils plus intéressants que d’autres ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL447 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous sommes en tout cas tout d’accord pour estimer que le trafic d’armes est un sujet grave, qui doit être traité.
Nous proposons une peine de quinze ans de prison pour ceux qui cumulent trafic de stupéfiants et détention illégale d’armes lourdes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis favorable.
Nous réfléchissons de notre côté, en vue de la séance, à créer, en complément, une circonstance aggravante plutôt qu’une infraction autonome comme vous le faites ici.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Vouloir durcir les peines devient une habitude. Or cela revient à durcir aussi les conditions d’incarcération, sans rien régler au problème des trafics. Cela a été dit, on ne commet pas un crime le code pénal à la main, en choisissant son infraction en fonction du quantum possible ; on commet un crime parce qu’on y a un intérêt financier, matériel. C’est d’abord à cela qu’il faut s’attaquer.
Ces amendements ont sans doute été très travaillés, mais ils me semblent hors sujet. Notre débat devrait surtout porter sur l’efficacité des procédures d’instruction et d’enquête qui permettront de dissoudre les groupes de narcotrafic qui pourrissent l’État et les quartiers.
Il faudrait réfléchir – plutôt qu’à une peine dure qui n’offre aucune garantie de réparation, ni pour la société ni pour la personne qui a commis une faute et s’est par là même abîmée – à une peine juste, à même d’empêcher la récidive.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je m’interroge une nouvelle fois sur la rédaction de cet amendement d’affichage : il me semble que l’un des principes de notre code pénal, inscrit à l’article 131‑1, prévoit qu’au-delà de dix ans, on parle de réclusion criminelle. Ici, il est question d’emprisonnement. Peut-on enfermer des gens pendant quinze ans pour un délit ? Voilà qui paraît nouveau ! (Vives exclamations.)
M. Jiovanny William (SOC). La rédaction de cet amendement me semble poser problème. Il est question de concomitance, donc de circonstance aggravante, mais ce n’est pas clairement indiqué.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Je m’étonne de ce que la gauche, ou l’extrême gauche, s’offusque de la volonté d’alourdir le quantum des peines possibles quand l’infraction est commise par des gens armés, alors qu’elle vient de nous dire longuement qu’il fallait faire confiance au magistrat : or c’est bien celui-ci qui détermine le quantum de la peine. Offrons-lui toute une palette de peines possibles et faisons-lui confiance pour infliger des peines à la mesure des crimes commis.
M. Jonathan Gery (RN). J’entendais dire que la peine n’était pas une réparation. Bien sûr que si ! C’est une réparation pour la société.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Notre discussion est tellement décousue qu’elle perd son sens. Nous parlons ici de justice pénale. Ce texte est répressif, c’est vrai, et nous estimons que la lutte contre le narcotrafic exige une réponse de la chaîne pénale, et des peines d’emprisonnement. Vous évoquez la prévention : c’est autre chose. Je veux bien y travailler, mais alors il faut embrasser l’ensemble du sujet : pas seulement les associations et les éducateurs, mais aussi la famille ou l’école. Je ne suis pas sûre que nous serions d’accord sur ces questions.
Je suis basique : la justice pénale ne peut pas être permissive. On ne peut pas trouver d’excuses. On voit de plus en plus de narcotrafic avec usage de kalachnikovs, nous devons traiter le sujet ! On peut considérer que ces amendements ont été mal travaillés, mais on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir travaillé.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL449 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Il est impensable qu’un trafiquant condamné puisse racheter des armes. Il existe un fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes. La mesure que je propose, certes symbolique – on imagine mal qu’un délinquant aille s’inscrire sur un fichier –, consiste à ce que les trafiquants condamnés y soient automatiquement inscrits. Sinon, nous laissons une brèche qui ne s’explique pas.
M. Éric Pauget (DR). L’amendement est satisfait. L’article L. 312‑3 du code de la sécurité intérieure interdit à toute personne condamnée pour trafic de stupéfiant d’acquérir des armes ou des munitions. Et, en application de l’article L. 312‑16, sont inscrites au fichier national automatisé nominatif toutes les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes.
L’amendement est retiré.
Chapitre II
Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer
Avant l’article 11
Amendement CL385 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je reviens rapidement sur la discussion précédente pour donner un autre argument. Madame Moutchou, vous vouliez punir davantage les personnes qui possèdent une arme et participent au trafic que celles qui organisent le trafic. Cela ne me paraît pas logique : un chef de réseau qui ordonnerait à quelqu’un de s’armer afin de pouvoir tuer serait moins puni que celui qui reçoit l’ordre. Je considère pour ma part qu’il faut punir davantage les têtes de réseau – d’autant qu’il peut y avoir des personnes auxquelles on fait porter des armes, de très jeunes gens ainsi transformés en meurtriers, qui sont exploités par ces chefs de réseau.
Nous abordons avec cet amendement le sujet des personnes que l’on appelle des « mules » : il faut empêcher que des personnes vulnérables soient exploitées. Ludovic Mendes et moi-même nous sommes rendus en Guyane pour travailler spécifiquement sur ce vaste sujet. Nous y reviendrons.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le titre que vous proposez dans cet amendement ne correspond pas à la réalité des dispositions contenues dans le chapitre. Avis défavorable.
M. Jocelyn Dessigny (RN). C’est extraordinaire, ce que dit M. Léaument : à part la tête de réseau – et encore –, tous les autres, le porte-flingue, le dealer, le chouf, la mule et ainsi de suite, ne sont que des victimes ! C’est vraiment le monde des Bisounours, avec un seul grand méchant capitaliste, tous les autres étant exploités. Vous avez fait un rapport, mais vous l’avez certainement fait au bureau : de temps en temps, il faudrait descendre un peu sur le terrain.
M. Jiovanny William (SOC). Le titre de ce chapitre, « Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », me pose problème : les outre-mer font-ils partie du territoire national ? Pourquoi sont-ils spécifiquement visés ? C’est incompréhensible. Le trafic de stupéfiants a lieu partout. Oui, nos territoires rencontrent de grandes difficultés, mais je m’étonne qu’on leur consacre un chapitre spécifique, surtout quand nous, députés des territoires ultramarins, devons systématiquement insister pour que les dispositions spécifiques aux outre-mer ne soient pas renvoyées à des ordonnances.
Merci pour cet amendement qui modifie le titre du chapitre.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). En effet, le titre du chapitre II laisse penser que le phénomène des mules n’existe que dans les outre-mer, ce qui est faux. Nous proposons de l’intituler « Lutte contre le narcotrafic par des mesures relatives aux personnes vulnérables exploitées par un réseau criminel », pour ne pas stigmatiser nos compatriotes d’outre-mer.
Le droit pénal est logique, monsieur Dessigny : plus on est haut placé dans une organisation criminelle et un trafic, plus on est puni, car ceux qui donnent les ordres ont une plus grande responsabilité que ceux qui les exécutent. Nous ne disons pas que tous ceux qui participent à un réseau criminel sont des victimes, mais, certains le sont, parce qu’ils sont exploités. C’est le cas des jeunes gens qui se font manipuler pour entrer dans un trafic et qui y sont maintenus par la terreur, la torture et la brutalité. Des gamins se font tirer dans les jambes ! Je ne comprends pas qu’on s’écarte de cette philosophie du droit et qu’on veuille punir davantage les petits que les gros.
M. Sébastien Huyghe (EPR). On ne peut pas à la fois se plaindre que rien ne soit prévu pour lutter contre le narcotrafic dans les outre-mer, et se plaindre que l’outre-mer soit spécifiquement visé dans la proposition de loi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Le problème est que le texte se contente de mentionner les outre-mer dans un titre de chapitre sans prévoir de mesures spécifiques aux territoires ultramarins. Ce chapitre se concentre sur les mules, comme si l’on n’en trouvait qu’en outre-mer. Or les mules sont partout puisqu’elles transportent la drogue ! Celles qui entrent à La Réunion viennent de l’Hexagone ou d’ailleurs. Le problème n’est pas spécifiquement ultramarin, et l’intitulé du chapitre frôle le mépris. Le texte devrait accorder des moyens supplémentaires aux outre-mer car ils ont moins de magistrats, de douaniers, de gendarmes et de policiers que l’Hexagone. Mais comme ce n’est pas la ligne du gouvernement et des forces qui dirigent le pays, on a choisi d’en faire un chapitre vide.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous invite à revoir le titre du chapitre, monsieur le rapporteur, car il est blessant. Éclairés par le rapport des sénateurs et par vos auditions, nous aurions pu traiter le problème des transits qui passent par les ports ultramarins ; nous aurions pu nous demander pourquoi le « 100 % contrôle » n’est pas organisé dans tous les aéroports. Aucune disposition particulière n’est prévue pour les outre-mer. Vous espérez vous en tirer à bon compte grâce au titre et vous ne traitez que des mules ; comprenez que cela puisse être mal interprété, et acceptez cette modification de forme.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Des mules entrent en France depuis l’Espagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique ou autres, en avion comme en bateau, en train, en voiture ou en camion. Considérer que le phénomène est propre aux outre-mer est stigmatisant. Je propose donc d’intituler le chapitre II « Mesures de procédure pénale » ou d’inclure ses dispositions dans un chapitre Ier rebaptisé « Mesures de droit pénal et de procédure pénale ».
M. Éric Pauget, rapporteur. Je reconnais que le titre est mal choisi et que les dispositions du chapitre n’ont pas de lien spécifique avec les outre-mer. Pour rappel, ce texte provient du Sénat, et nous nous sommes davantage préoccupés du fond que de la forme. Je propose que nous trouvions un autre titre en vue de la séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous pourrions prendre quelques minutes pour y procéder dès maintenant. Cela éviterait d’avoir à examiner vingt propositions différentes dans l’hémicycle.
M. le président Florent Boudié. Je vous propose de réserver le vote sur le présent amendement et sur un nouvel amendement du rapporteur qui irait en ce sens après l’examen de l’article 11.
Article 11 (articles 706-88-2 du code de procédure pénale et 222-44-2 [nouveau] du code pénal) : Mesures de lutte contre le trafic de stupéfiants par passeurs : allongement de la durée de la garde à vue et peine complémentaire d’interdiction de vol
Amendements de suppression CL65 de M. Ugo Bernalicis, CL262 de Mme Émeline K/Bidi et CL488 de M. Pouria Amirshahi
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). La possibilité de prolonger de 96 heures la garde à vue des personnes qui ont des produits stupéfiants dans le corps nous préoccupe. La définition même de ces produits et de leur forme n’est pas très claire. Le rôle du médecin ne l’est pas davantage : s’agit-il de protéger la personne qui court un danger en transportant des produits stupéfiants dans son corps, ou simplement de constater la présence de ces derniers ? Pourquoi l’avocat ne peut-il pas intervenir dès la première heure ? Nous ne voyons pas non plus pourquoi la personne incriminée aurait l’interdiction de prendre l’avion et de paraître dans les aéroports. Cet article, qui s’inspire des mesures antiterroristes, est disproportionné ; il ne permettra en rien de lutter contre le phénomène qualifié péjorativement de « mule ».
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Cet article, qui calque le dispositif de lutte contre le terrorisme à la lutte contre les stupéfiants, provoque nos plus vives inquiétudes. Alors que le texte entend s’attaquer au haut du spectre, il introduit une mesure très grave pour les mules qui sont tout en bas de l’organisation, généralement des femmes en grande précarité, souvent même des mineures – on peut d’ailleurs se demander quel droit s’appliquera à ces dernières.
La peine complémentaire d’interdiction de voyager est tout aussi inquiétante. Que se passera-t-il quand une mule arrêtée en outre-mer aura purgé sa peine ? Devra-t-elle rester sur place, même si elle est mineure, sans pouvoir rejoindre sa famille ? Devra-t-elle purger toute sa peine sur place, alors que nos territoires souffrent d’une surpopulation carcérale exacerbée ? Les conséquences de cet article n’ont manifestement pas été envisagées.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’article 11 s’acharne sur des personnes fragiles et souvent contraintes. Il prévoit des mesures fortes et stigmatisantes pour un trafic qui ne représente que quelques kilos de drogue, tandis que des dizaines de tonnes transitent par la mer. La disproportion est flagrante.
On nous explique que la garde à vue doit être prolongée quand la personne n’a pas évacué naturellement la totalité des substances. L’argument est spécieux, même s’il a le mérite de s’intéresser à la santé des individus – préoccupation qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le texte. Que prévoyez-vous pour sortir les personnes de la drogue, des addictions, de la précarité ? Ces questions devraient être au cœur d’un projet de loi qui entend lutter contre la drogue. Il faut traiter les deux bouts de la chaîne, en étant conscient que les maillons du haut recrutent des personnes en grande fragilité économique ou psychologique. Cet article ne s’attaque pas au haut du spectre mais perpétue des politiques qui prouvent leur échec depuis des dizaines d’années. Il faut le supprimer.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’article 11 comporte plusieurs mesures visant à améliorer le dispositif de lutte contre le phénomène des passeurs de produits stupéfiants, communément appelés mules.
D’une part, il prévoit de porter la durée maximale de la garde à vue à 120 heures pour les passeurs in corpore de produits stupéfiants. Cette possibilité est rigoureusement encadrée par la loi. Elle ne s’applique qu’aux mules ayant ingéré des produits stupéfiants pour participer à un trafic, mettant ainsi leur santé, voire leur vie en danger. Elle est par ailleurs conditionnée à l’établissement d’un certificat médical se prononçant sur la présence ou l’absence de produits stupéfiants dans le corps de la personne et sur la compatibilité de cette mesure avec son état de santé. La prolongation de la garde à vue ne peut être ordonnée que par le juge des libertés et de la détention (JLD), à titre exceptionnel, et la personne peut pleinement exercer ses droits : s’entretenir avec un avocat, demander un nouvel examen médical et prévenir un proche. Je rappelle que la prolongation de la garde à vue est sollicitée par les magistrats et les médecins eux-mêmes en vue d’améliorer la prise en charge judiciaire des mules.
D’autre part, l’article crée deux nouvelles peines complémentaires, l’interdiction de vol et d’embarcation maritime et l’interdiction de paraître au sein d’un aéroport ou d’un port. Elles sont indispensables pour prévenir la réitération des faits et assurer une réponse pénale efficace. Elles ont aussi vocation à dissuader les organisations criminelles de faire appel à ces passeurs et de les exploiter.
Ces mesures nous paraissent essentielles pour adapter nos outils juridiques au phénomène des mules. Je suis donc défavorable à la suppression de l’article 11.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’aimerais vous convaincre de la nécessité de supprimer cet article – je m’adresse particulièrement aux collègues susceptibles de faire basculer le vote, notamment ceux du Modem et de la majorité – ou ce qui en tient lieu. L’article 11 ne vise pas à lutter contre le narcotrafic dans les outre-mer mais à empêcher des personnes provenant notamment de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe de traverser l’Atlantique pour entrer dans l’Hexagone. Il lutte en réalité contre la présence d’un peu plus de cocaïne dans l’Hexagone. Certaines de ses mesures sont très problématiques au regard du respect des libertés et présentent une fragilité juridique, comme le « 100 % contrôle » à l’aéroport de Cayenne.
Ludovic Mendes et moi-même nous sommes rendus à l’unité de médecine légale (UML) de Cayenne. Nous avons aussi interrogé la direction générale de la police judiciaire (DGPN), qui n’est pas favorable à la prolongation de la garde à vue. Notre rapport fait deux recommandations : dessaisir l’Office français antistupéfiants (Ofast) de l’obligation de s’occuper des mules – il a autre chose à faire –, et créer des unités médicales dans les aéroports pour prévenir les dangers qui pèsent sur ces personnes. Les individus que l’on qualifie de mules – je n’aime pas ce terme – sont exploités et en grande précarité financière. Il faut lutter contre les narcotrafiquants qui en abusent.
M. Michaël Taverne (RN). Il y a quelques années, tout le monde s’est opposé à l’idée de prolonger la garde à vue pour terrorisme jusqu’à 144 heures ; aujourd’hui, plus personne ne veut revenir dessus. En l’occurrence, la prolongation a un motif sanitaire : il s’agit de prendre en charge la personne lors de l’expulsion naturelle des substances, qui présente des risques. S’y ajoute un motif judiciaire, car si certains de ces passeurs sont exploités, ils ne le sont pas tous ; des réseaux emploient aussi des volontaires pour ingérer des ovules de drogue. Je reconnais qu’il faut prévoir des dispositifs spécifiques tels que des cellules médicales pour éviter que les policiers soient accaparés par les mules, mais c’est aussi par l’intermédiaire de ces dernières qu’ils peuvent remonter les filières. J’ajoute que la prolongation de la garde à vue est demandée par l’officier de police judiciaire mais toujours décidée par le magistrat. Laissez cette possibilité aux enquêteurs pour mieux lutter contre les réseaux.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les personnes qui transportent de la drogue en ingurgitant des sachets n’en font ni un métier ni une vocation. Pour échapper à des conditions sociales terribles et subvenir à leurs besoins, elles sont contraintes d’accepter tout et n’importe quoi au péril de leur vie ; elles sont parfois même menacées. Nous avons parlé des mineurs qui étaient embrigadés dans certains quartiers, sous la contrainte d’adultes, et qui n’agissaient pas par seule fascination pour des grandes figures du narcobanditisme. C’est sous le même angle qu’il faut aborder les mules, celui des victimes. Je comprends qu’elles puissent être des sources d’information, mais je n’ai entendu personne ou presque, pendant les auditions, demander que leur garde à vue soit prolongée afin d’obtenir des informations supplémentaires : neuf fois sur dix, elles n’en donnent pas car elles n’en disposent pas – les chefs du narcobanditisme ne les contactent évidemment pas directement. Les officiers de police font surtout part d’enjeux de santé graves qui imposent d’adapter le temps de la garde à vue : il faut certes mener des interrogatoires en cas d’acte délictueux, mais surtout répondre à l’urgence sanitaire et assurer une prise en charge médicale. Les unités médicales légales doivent donc être préférées aux gardes à vue prolongées.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet article pose un véritable problème de constitutionnalité, qui a été pointé lors des auditions. Dans notre droit, la garde à vue peut atteindre une durée maximale de 144 heures en cas de risque d’action terroriste ; cette prolongation est justifiée par des raisons de sécurité évidentes. En revanche, il est disproportionné d’appliquer ce principe aux mules. En cas de suspicion d’ingestion de produits stupéfiants, il ne faut pas attendre 120 heures mais agir au plus vite pour éviter un drame. Comment peut-on justifier de garder une personne à vue le temps qu’elle se libère aux toilettes ? C’est complètement fou ! Une partie des services de police veut probablement se donner du confort.
J’ajoute que la prolongation d’une garde à vue est onéreuse – elle demande du personnel, des médecins, des avocats – mais également dangereuse : si elle n’est pas justifiée, la procédure encourt un risque d’annulation. La privation de liberté que constitue la garde à vue doit être proportionnelle à la gravité des faits et aux besoins de l’enquête. Nous voterons donc ces amendements de suppression.
M. Éric Pauget, rapporteur. La garde à vue peut durer jusqu’à 144 heures en cas de terrorisme. C’est la durée que prévoyait le texte initial du Sénat pour les mules, mais elle a été ramenée à 120 heures par souci de proportionnalité et pour éviter l’inconstitutionnalité.
Les services de police que nous avons auditionnés sont très précautionneux et vigilants à l’égard de cette mesure, car elle nécessite des moyens lourds. Je précise que ce sont les services de justice – et non de police – qui ont demandé l’extension de la garde à vue pour gagner en efficacité. Ne perdons pas de vue la finalité du texte, qui est de lutter plus efficacement contre le narcotrafic. Prolonger la garde à vue des mules permet de recueillir des éléments de preuve qui contribuent à l’enquête.
Enfin, toutes les garanties permettant de préserver les droits de la personne gardée à vue sont préservées – consulter un avocat, contacter un proche… –, et la mesure se déroule au sein d’une unité médicale légale.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 11 est supprimé et les autres amendements tombent.
Avant l’article 11 (amendements précédemment réservés)
M. le président Florent Boudié. Chers collègues, l’article 11 vient d’être supprimé, mais la modification du titre du chapitre auquel il appartient demeure en suspens.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je propose l’intitulé suivant : « Lutte contre le narcotrafic par des passeurs ». De cette manière, les outre-mer ne seraient plus évoqués et nous serions cohérents avec les autres titres du titre IV.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je suggère une brève suspension.
Le terme « mules » ne nous convenait pas, mais il est compris de tous. Celui de « passeurs », lui, me semble davantage renvoyer aux questions migratoires qu’au trafic de drogue.
M. le président Florent Boudié. J’ai vérifié, le mot « passeurs » ne figure pas dans le droit des étrangers, mais il est vrai qu’il est entré dans le langage courant.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Le mot « passeurs » correspond aussi au travail social, à la prévention, à la culture. Je ne suis donc pas certaine qu’il soit approprié ici.
M. Yoann Gillet (RN). Comme Mme Faucillon, je propose une courte suspension.
La réunion est suspendue de seize heures trente à seize heures quarante-cinq.
Amendement CL674 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Dans la mesure où l’article 11 a été supprimé et où le chapitre II du titre IV n’en contient pas d’autre, je vous propose de le supprimer également ; afin de ne pas perdre de temps à trouver un nom à quelque chose qui n’existe plus.
La commission adopte l’amendement CL674.
En conséquence, l’amendement CL385 tombe.
Après l’article 11
M. le président Florent Boudié. Les amendements portant article additionnel après l’article 11 sont réservés.
Article 12 (art. 6-1, 6-2, 6-2-1, 6-2-2 [abrogé] de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, art. 323-3-2 du code pénal et art. 5 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique) : Renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne
Amendement de suppression CL68 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article est une énième tentative – la première ayant été la proposition de loi de Laetitia Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet – d’introduction d’un dispositif de retrait de contenus en ligne dans un délai très restreint. Or une telle mesure n’est pas nécessaire et reviendrait à vider la mer à la petite cuillère. Alors qu’il est déjà difficile de déréférencer des sites, des forums ou des contenus, il n’est pas utile de prévoir des délais, sachant que nous préférons conserver des règles protectrices et équilibrées concernant les libertés fondamentales. Si la nature de certains contenus est évidente, ce n’est pas le cas de tous. En la circonstance, nous estimons que la liberté d’expression doit prévaloir.
J’ajoute que les sous-produits de synthèse du CBD (cannabidiol) et d’autres substances sont un jour légaux, le lendemain considérés comme des stupéfiants, ce qui est source de confusion.
Il nous semble donc plus raisonnable de supprimer cet article et de nous concentrer sur le haut du spectre, comme le texte est censé le faire.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. L’essentiel des trafics contre lesquels nous voulons lutter s’organisent sur les réseaux sociaux. Il nous faut donc aussi lutter contre le narcotrafic sur l’espace numérique. Je précise que les contenus visés par ces dispositions sont ceux qui sont manifestement illicites et qui incitent à la consommation de stupéfiants. Pharos – la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements – et le ministère de l’intérieur nous demandent cet outil supplémentaire.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ce n’est pas parce que le ministre ou le ministère de l’intérieur fait cette demande qu’elle est pertinente. En l’occurrence, je crains qu’elle ne revienne à frapper trop largement. Vous avez utilisé le mot « manifestement », ce qui indique que ce qu’on cherche à caractériser n’est pas si clair que cela. Il convient de privilégier la recherche et le renseignement humains plutôt qu’imaginer que des technologies résoudront nos problèmes d’une manière automatique et systématique.
De plus, je crains toujours que l’introduction de telles dispositions, fragiles et vagues, ne laisse croire que la question, en l’espèce de la lutte contre la consommation, serait épuisée, alors que ce ne serait pas le cas.
Enfin, si on peut souhaiter supprimer les contenus favorisant le trafic – même si notre méthode serait différente –, je ne crois pas que cela empêcherait la consommation. Je ne suis pas certaine que de nombreux internautes décident d’acheter et d’essayer de la drogue après avoir vu un contenu publié par une personne X ou Y.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’article 12 vise à élargir significativement le champ d’action de Pharos, outil très utile contre la haine en ligne et certaines autres infractions, dont nous envisageons d’ailleurs souvent l’accroissement des prérogatives – quoique sans jamais prévoir l’augmentation de ses moyens. L’utiliser pour limiter la vente ou l’incitation à la consommation sur internet pourrait être intéressant, mais le spectre des contenus potentiellement concernés est si large que des inquiétudes demeurent, s’agissant notamment des contenus culturels. La musique, le cinéma, les séries foisonnent de provocations qui font partie de la culture, et qui pourraient être concernées par cet article tel qu’il est actuellement rédigé. Le cas échéant, Pharos entrerait dans le domaine de la censure, ce qui n’est absolument pas sa vocation. J’aimerais vous entendre sur ce point, monsieur le rapporteur.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je partage vos inquiétudes, madame Regol. La rédaction de l’article 12 issue de l’examen du texte par la commission des lois du Sénat était plus restreinte, mais elle a été amendée par le gouvernement. Plutôt que de supprimer l’article, je vous propose de revenir à cette version antérieure, en adoptant l’amendement suivant de Mme Capdevielle. De cette manière, seuls les contenus participant directement au trafic de stupéfiants seront soumis à l’appréciation de Pharos.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Ce que j’entends au sujet de Pharos me semble assez stupéfiant, si j’ose dire. Peut-être faut-il réécrire l’article pour une meilleure coordination légistique, mais eu égard au nombre de contenus dédiés à la vente de drogue en ligne, sur des réseaux comme Snapchat ou Facebook Marketplace, il serait très regrettable de ne pas utiliser ce magnifique outil qu’est Pharos, déjà opérationnel s’agissant de la pédocriminalité, de la haine en ligne et du terrorisme.
Nous en reparlerons certainement lors de l’examen du budget pour 2026 : la question des moyens alloués à Pharos devra être abordée, car cette plateforme ne dispose que de moins de 30 équivalents temps plein (ETP) pour supprimer les contenus illicites – c’est délirant ! Alors que la loi de 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (loi Sren) a accru ses compétences et que nous allons peut-être le faire de nouveau avec le présent texte, la plateforme nécessitera des moyens financiers et humains autrement plus importants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Même avec un champ d’action restreint, des glissements peuvent avoir lieu, Pharos ayant interdit des contenus sans lien direct avec le terrorisme ou la pédocriminalité. Il s’agissait parfois de contenus politiques ou militants qui n’avaient rien à voir avec ces infractions et nous avons constaté qu’il était difficile de les réintroduire ensuite. Ainsi, même si nous adoptions l’amendement de Mme Capdeville, ne pourrions-nous pas assister à de pareils glissements en ce qui concerne les contenus culturels ? Je pense en particulier à la musique et à des morceaux comme Sister Morphine des Rolling Stones ou Heroin chantée notamment par Lou Reed – le rap n’étant évidemment pas le seul style concerné –, dont je ne voudrais qu’on se prive.
M. Sébastien Huyghe (EPR). On ne peut à la fois réclamer davantage de prévention et trouver inacceptable de fermer des sites internet qui proposent des stupéfiants à la vente, qui incitent à consommer, ou qui donnent un mode d’emploi pour le faire. Pour ma part, je suis entièrement favorable à cet article, même s’il convient, comme l’a indiqué le rapporteur, de correctement l’encadrer.
La commission rejette l’amendement.
La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures cinq.
Amendements CL211 de Mme Colette Capdevielle et CL71 de M. Antoine Léaument (discussion commune)
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le rapporteur l’a indiqué : l’amendement CL211 vise à revenir à la rédaction de l’article 12 issue de la commission des lois du Sénat. Il faut être prudent et ne pas retenir les dispositions souhaitées par le gouvernement, qui vont trop loin. Il s’agit ici de lutter contre l’ubérisation du narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Par l’amendement CL71, qui vise également à réécrire l’article, nous souhaitons obtenir un rapport sur l’impact concret de ce type de mesure. Cela a été dit, le texte n’est pas assorti d’une étude d’impact et le nombre de contenus que Pharos aurait à traiter serait très important, sachant que la plateforme peine déjà à examiner tous les signalements qui lui reviennent. Outre que la proposition de loi est censée s’attaquer au haut du spectre et que cet article pose question en matière de respect des libertés fondamentales, de telles dispositions ne semblent tout simplement pas opérationnelles. Voulons-nous réellement accroître les responsabilités de Pharos, qui est utile pour le traitement de certains contenus, alors que son impact serait minime ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Je confirme que je suis favorable à l’amendement CL211, mais défavorable au CL71. Pour répondre à Mme Faucillon, la version issue de la commission des lois du Sénat, à laquelle Mme Capdevielle propose de revenir, exclut la provocation à la consommation de stupéfiants, notion subtile qui posait problème, pour ne retenir que la cession ou l’offre de stupéfiants.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’intérêt de l’article 12 est de répondre à la vente de drogue en ligne en se concentrant sur l’ubérisation du trafic, qui est un élément nouveau, saillant et de plus en plus structuré. Cela étant, intégrer cet aspect dans la législation pose différents problèmes. Le premier est le nouveau renforcement des peines que cela suppose : je ne reviens sur cette question dont nous avons beaucoup discuté. Et le second est effectivement que le champ retenu est très large, si bien que l’article ne cible pas spécifiquement le haut du spectre. L’amendement de Mme Capdevielle permet de revenir à l’intention initiale, aussi le voterons-nous.
M. Michaël Taverne (RN). J’ai l’impression que vous sous-estimez les organisations criminelles, qui utilisent largement les réseaux. Derrière Pharos, il y a des policiers et des gendarmes qui ont à traiter quelque 3 000 signalements par semaine, ce qui est considérable. À cet égard, la plateforme souffre d’un manque de moyens indéniable.
La commission adopte l’amendement CL211 et l’article 12 est ainsi rédigé.
En conséquence, l’amendement CL71 ainsi que les autres amendements tombent.
Après l’article 11 (amendements précédemment réservés)
Amendements CL165, CL164, CL162 et CL163 de M. Christophe Blanchet
M. Christophe Blanchet (Dem). Avant de présenter ces quatre amendements, je tenais à faire part d’un regret : celui de ne pas voir la contrefaçon et la contrebande incluses dans le texte. En effet, les deux rapports que j’ai établis sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, le premier avec Pierre-Yves Bournazel et le second avec Kévin Mauvieux, ont prouvé l’implication des réseaux de narcotrafic dans ces domaines, et plus particulièrement dans le trafic de cigarettes, qui représente 4 milliards d’euros – soit presque autant que le narcotrafic lui-même. La contrefaçon et la contrebande de cigarettes demandent moins d’investissements, entraînent des peines de prison moins importantes et sont moins contrôlées par les douanes. Je déplore donc que la proposition de loi ne s’attaque pas à cet enjeu, à propos duquel nous devrons tôt ou tard agir. Et je rappelle, car leurs noms ont été cités plus tôt, que les frères Kouachi avaient financé leurs exactions terroristes grâce à la contrefaçon et à la contrebande de baskets et de cigarettes.
S’agissant des présents amendements, ils portent sur le recrutement des mules, qui entre dans le champ du trafic des êtres humains. Ces personnes sont certes responsables de ce qu’elles font, mais elles sont nombreuses à agir sous la contrainte et l’intimidation. J’estime donc que les donneurs d’ordre doivent faire l’objet de peines aggravées au titre du trafic des êtres humains.
M. Éric Pauget, rapporteur. Ces quatre amendements visent à tenir compte de la vulnérabilité de certains passeurs, dont les réseaux de trafiquants profitent. Si je partage pleinement cet objectif sur le fond, j’ai toutefois des réserves d’ordre technique et juridique sur la modification des éléments constitutifs de l’infraction de traite des êtres humains que ces amendements contiennent. En revanche, il me semblerait tout à fait opportun, et suffisamment robuste juridiquement, de prévoir une circonstance aggravante applicable au trafic de stupéfiants lorsque cette infraction est commise en ayant recours à une personne vulnérable ; c’est en tout cas ce qui ressort des auditions que nous avons menées.
J’émets donc un avis favorable sur l’amendement CL162 et demande le retrait des trois autres.
M. Christophe Blanchet (Dem). J’accepte de ne maintenir que le CL162, qui permettra de protéger les personnes vulnérables et d’accentuer la peine encourue par ceux qui profitent d’elles.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Pour avoir moi-même cherché à aborder la question de la traite des êtres humains, je tiens à remercier M. Blanchet pour ces amendements. Il est important que les mules, qui sont essentiellement des femmes, soient considérées comme des victimes de traite et non comme des coupables de trafic de stupéfiants. Ce renversement est intéressant.
Cependant, je crains toujours que nous participions démesurément à l’inflation pénale ; en l’occurrence, les peines encourues me semblent disproportionnées. Les personnes qui recrutent les mules n’appartiennent pas nécessairement au haut du spectre et peuvent d’ailleurs être elles-mêmes victimes de traite des êtres humains. Je m’abstiendrai donc sur cet amendement, car le quantum de peine ne me semble pas adapté et parce qu’il ne résout pas la question de l’identification des véritables responsables de la traite.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comme Mme Faucillon, il me semble que la peine prévue par l’amendement CL162 est totalement disproportionnée. L’infraction est grave, mais quinze ans de réclusion criminelle, c’est la condamnation que le code pénal prévoit pour les viols ou encore les tortures et actes de barbarie. Il y a une grande différence entre ces crimes.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Comme mes collègues, je trouve cet amendement intéressant, dans la mesure où il lie trafic de drogue et trafic des êtres humains et où il aborde la question de l’exploitation des mules et des sanctions qui devraient s’appliquer aux organisations criminelles pour cela. À mon tour, je remercie donc M. Blanchet pour ses propositions qui s’inscrivent pleinement dans la philosophie du texte, ce qui n’a pas été le cas de tous les amendements jusqu’à présent. Cela étant, le groupe EcoS s’interroge également sur la hiérarchie des peines et l’identification des véritables responsables du recrutement des mules ; nous nous abstiendrons donc.
Les amendements CL165, CL164 et CL163 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL162.
Article 12 bis (nouveau) (art. L. 34-1-1 et L. 39-8-1 [nouveau] du code des postes et des communications électroniques) : Renforcement des obligations des opérateurs de communications électroniques vendant des téléphones mobiles comportant des cartes SIM prépayées
Amendement de suppression CL20 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article vise à ficher toutes les personnes qui achètent un téléphone prépayé, dans l’espoir d’obtenir quelques informations sur les narcotrafiquants. Une nouvelle fois, la disproportion de la mesure est flagrante. Vous allez déployer un filet très large pour toucher seulement quelques personnes, sachant que les opérateurs collectent déjà l’identité des utilisateurs, y compris de téléphones prépayés.
Rappelons également qu’aux termes de cet article, une amende de 15 000 euros est prévue si le vendeur, c’est-à-dire le buraliste, omet de prendre l’identité du client. J’insiste donc sur la disproportion et l’inadaptation de ce dispositif qui, par surcroît, n’inquiétera pas le haut du spectre.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les dispositions de l’article 12 bis sont sans doute parmi les plus demandées par les directions et services que nous avons auditionnés. Elles renforcent les obligations auxquelles sont soumis les opérateurs de communication électroniques en matière de conservation des données d’identification de leurs utilisateurs. En cela, nous n’innovons pas car de telles obligations sont déjà posées dans le code des postes et des communications électroniques. Précisons par ailleurs que les données concernées ne sont pas les plus sensibles : il s’agit des données d’identification de la personne et non des données de connexion.
Actuellement, l’opérateur se contente de consigner les données que l’utilisateur a bien voulu lui communiquer. Or, l’identité déclarée par l’utilisateur est parfois totalement fantaisiste. Dans la lutte contre le narcotrafic, au cœur de ce texte, ce nouvel outil permettra aux enquêteurs et aux magistrats d’être plus efficaces.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Nous comprenons cette volonté de se doter d’un nouvel outil mais on sent bien qu’avec leur côté hors d’âge, ces mesures viennent du Sénat : cette vision du trafic de drogue semble inspirée par un film des années 1990. Nous ne sommes plus dans le même monde que The Wire, les trafiquants ont recours à de nouvelles technologies : en utilisant un réseau privé virtuel (VPN), ils peuvent acheter sur une application une carte SIM numérique, une eSIM, qui leur attribue un numéro de téléphone supprimé au bout d’une heure et demie.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les données collectées porteront essentiellement sur les touristes, que vous dissuaderez, et les personnes pauvres, qui cherchent à adapter leur budget en limitant leurs opérations aux appels entrants. Ce sera une usine à gaz : vous devrez mobiliser des moyens non seulement pour créer les fichiers mais aussi pour les sécuriser. Les sénateurs ne semblent pas avoir pris la mesure des effets de bord induits par cet article. Vous ne cessez d’insister sur les moyens technologiques de pointe des narcotrafiquants et vous ciblez les téléphones prépayés ! Ce n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL537 de M. Éric Pauget.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit de préciser qu’il sera demandé à la personne faisant l’acquisition d’un téléphone prépayé un document officiel d’identité comportant sa photographie.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Pourquoi pas un passeport biométrique ? Les individus ne voulant pas être identifiés demanderont à une personne sans-abri se trouvant à proximité du bureau de tabac de leur acheter un téléphone avec ses propres documents d’identité, contre 50 euros. Que fera la police quand elle le découvrira ? C’est une perte de temps considérable.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL25 de M. Antoine Léaument et CL410 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Par l’amendement de repli CL25, nous proposons de faire passer à six mois la durée de conservation des données relatives aux acheteurs de téléphones prépayés. Le délai retenu dans cet article est de cinq ans : comme si les narcotrafiquants allaient garder leur téléphone prépayé aussi longtemps, si tant est qu’ils s’en procurent un. Tout cema me semble tellement loin de la réalité !
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je partage le scepticisme de nos collègues Bernalicis et Léaument. En plus d’être désuet, ce mode de surveillance mobilisera des ressources qui seraient bien plus utiles ailleurs pour s’attaquer à l’essentiel du trafic. En outre, on peut se demander quels seront les publics visés. Je ne suis pas convaincu que ce seront en majorité des touristes. Il s’agira plutôt de personnes en situation précaire et de personnes souhaitant pour des raisons intimes ne pas être identifiées. Ces fichiers ne seront ni utiles ni efficaces et leur constitution comportera des dangers. Une telle remarque de ma part ne vous étonnera pas : j’ai toujours par principe eu des réticences face à la constitution de fichiers car on ne sait jamais qui les consulte, qui les contrôle, pas plus que dans quelles mains ils peuvent finir.
De manière plus générale, il paraît étonnant que les services d’investigation qui se consacrent au narcotrafic n’aient pas demandé plus tôt à élargir leurs outils au-delà des lignes de portables classiques, pour lesquelles l’identité du titulaire est clairement établie.
Pour finir, j’indique que je retire mon amendement, qui visait à limiter la durée de conservation à deux ans, au profit de l’amendement CL25.
L’amendement CL410 est retiré.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement CL25. Cette durée de conservation de cinq ans répond aux besoins des enquêtes, qu’ont exprimés les services que nous avons auditionnés. En outre, elle est en cohérence avec la durée retenue dans le code des postes et des communications électroniques pour la conservation de ce type de données.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous nous posons la question de savoir si, avec ce dispositif de fichage, le téléphone utilisé par Nicolas Sarkozy aurait été enregistré sous son vrai nom ou sous celui de Paul Bismuth. Le mystère reste entier.
Il y a un certain ridicule à voir autant de dispositions consacrées au durcissement du contrôle des téléphones portables. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun narcotrafiquant d’en faire usage. Leurs communications orales passent par internet, grâce à des dispositifs de voix sur IP (VOIP), habilement chiffrés par des clefs d’une longueur de 256 bits, dont le décryptage nécessiterait des années et mobiliserait de multiples serveurs. Chose ahurissante, ces mesures ne serviront qu’à ficher des personnes n’ayant rien à cacher.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En l’absence d’étude d’impact, nous aimerions savoir combien de téléphones seront concernés chaque année par ce dispositif très lourd. Avez-vous interrogé les opérateurs à ce sujet ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous n’avons pas interrogé les personnes que nous avons auditionnées mais nous ne manquerons pas de nous renseigner. Si nous obtenons une réponse, nous vous la communiquerons d’ici à la séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Une remarque en guise de note pour plus tard. Je constate que nous sommes prêts à embêter des millions de personnes à des fins d’identification de quelques trafiquants, chose qui ne permettra peut-être même pas de faire aboutir les enquêtes, et j’espère que nous pourrons retrouver la même unanimité lors de l’examen de textes portant sur l’écologie. En matière de lutte contre le réchauffement climatique, j’entends souvent des collègues nous reprocher le caractère punitif de nos mesures alors que, loin de ne concerner que quelques individus, elles ont pour but de nous sauver toutes et tous.
La commission rejette l’amendement CL25.
Amendement CL538 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement fixe une date butoir d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 12 bis relatives à l'identification des acquéreurs de cartes SIM prépayées au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la loi.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 12 bis modifié.
TITRE V
MESURES DE PROCÉDURE PÉNALE ET FACILITATION DE L’UTILISATION DES TECHNIQUES SPÉCIALES D’ENQUÊTE
Avant l’article 13
Amendement CL388 de M. Ugo Bernalicis et sous-amendement CL675 de Mme Sandra Regol
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En abordant l’affectation sociale des biens confisqués, nous avons insisté sur la nécessaire implication de la société dans la lutte contre la criminalité. Un des meilleurs moyens pour y parvenir serait d’ouvrir la possibilité aux associations luttant contre la criminalité organisée et la mafia de se constituer partie civile, comme c’est le cas pour de nombreuses associations dans d’autres domaines.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement vise à préciser le cadre dans lequel les associations pourront agir en justice.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement et le sous-amendement dont les rédactions ouvrent un champ trop large. Cette possibilité est déjà offerte par le code de procédure pénale : l’article 2-16 la prévoit pour l'assistance des victimes de trafic de stupéfiants ; l’article 2-23 pour la corruption.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Dans le droit en vigueur, le périmètre est restreint et tout l’objet de mon amendement est de l’élargir pour que les associations puissent se constituer partie civile dans les grands procès mafieux. Vous ne vous êtes pas réellement prononcé sur le sous-amendement de Sandra Regol, qui pourrait constituer une bonne solution de compromis puisqu’il vient préciser que seules l’association de malfaiteurs et la criminalité organisée seraient concernées.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le sous-amendement renvoie aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale qui couvrent un large champ d’infractions. Nous réitérons notre souhait d’en rester au trafic de stupéfiants, objet du présent texte, et à certaines infractions ciblées de délinquance et de criminalité organisées.
M. Jocelyn Dessigny (RN). J’aimerais savoir exactement quelles associations vous visez. Se porteront-elles partie civile pour défendre des narcotrafiquants ? J’ai toujours des doutes avec vous car on ne sait plus vraiment si vous défendez les victimes ou les malfrats.
Mme Sandra Regol (EcoS). Quand nous proposons de telles avancées, il serait bon que certains se refrènent d’aller à contresens pour le simple plaisir d’asséner une nouvelle fois leurs propos dogmatiques. Gagnons donc un peu de hauteur.
Monsieur le rapporteur, les possibilités d’agir contre le trafic de stupéfiants en particulier et le trafic en bande organisée en général doivent être données non seulement à la police, aux services de renseignement et à la justice mais aussi aux citoyens. Il importe de disposer d’une large gamme de leviers d’action pour dénoncer des actes délictueux qui portent atteinte au pacte républicain et qui mettent en danger notre démocratie, notre système économique, notre droit à vivre ensemble en sécurité. Nous voulons accorder aux citoyens des moyens de participer à cette lutte, quand d’autres voies ont déjà été suivies, et vous nous dites que nous visons trop large.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je dis seulement qu’une association souhaitant se constituer partie civile dans ce type de procès peut déjà le faire pour de nombreuses infractions entrant dans le champ de la délinquance et de la criminalité organisées.
La commission rejette le sous-amendement CL675.
Puis elle rejette l’amendement CL388.
Article 13 (art. 242-1 [nouveau], 706-26, 706-73, 706-75-5 [nouveau] 706-76-7 [nouveau] et 712-2 du code de procédure pénale) : Extension de la procédure dérogatoire en matière de trafic de stupéfiants aux infractions connexes et spécialisation des juridictions de l’application des peines en matière de criminalité et délinquance organisées
Amendement de suppression CL29 de M. Ugo Bernalicis.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous nous opposons à toute professionnalisation et spécialisation de la justice. La justice est rendue au nom du peuple français et nous défendons le maintien des jurys populaires, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, à titre individuel, dans le cadre de la mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants que j’ai menée avec Ludovic Mendes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous avons une divergence de fond sur ce point. En matière de lutte contre le narcotrafic, je suis favorable à la spécialisation des juridictions, gage d’efficacité et de cohérence avec le Pnaco. Les magistrats que nous avons auditionnés nous ont indiqué qu’une telle spécialisation leur permettrait d’être plus performants, à l’instar de ce qu’on observe dans la lutte contre le terrorisme.
M. Jordan Guitton (RN). Nous voterons contre ces amendements de suppression de la gauche et de l’extrême gauche tout simplement parce que nous sommes favorables à des jurys d’assises exclusivement composés de magistrats. Les magistrats eux-mêmes nous disent que cela renforcera l’efficacité de la réponse pénale. Au Rassemblement national, nous tenons à la cohérence entre nos actes et nos paroles et nous voulons faire en sorte que notre système de justice soit le plus performant possible. Des parquets spécialisés existent déjà et nous estimons qu’une telle évolution est essentielle dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic.
Ce débat renvoie à la question des moyens dévolus à la justice. Notre pays ne lui consacre que 0,2 % de sa richesse nationale et il y a seulement 11,2 juges pour 1 000 habitants. Avec Marine Le Pen, nous avons proposé en 2022 comme en 2017 un quasi-doublement du nombre de nos magistrats pour arriver à environ 20 000. Je comprends mal la position des auteurs de cet amendement de suppression qui, dans l’exposé sommaire, se plaignent de la « clochardisation » de la justice, alors que leur groupe n’a pas voté le dernier projet de loi de programmation pour la justice.
Le Rassemblement national est dans une position de construction tandis que la gauche s’en tient à l’opposition et à la destruction. Il est clair que nous ne voulons pas la même chose. Nous voterons toujours pour ce qui va dans le bon sens pour les Français. Nous sommes donc favorables à tout ce qui renforce notre système de justice. En 2027, quand nous serons majoritaires, nous préférerons récupérer un pays qui sera dans les meilleures conditions possible pour lutter contre le narcotrafic et apporter une réponse pénale plus forte. Certes, les parquets et les juridictions spécialisés peuvent susciter des débats mais nous voterons pour l’article 13.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés est plutôt favorable à une justice rendue par le peuple. Avec l’article 13, nous voyons à l’œuvre une volonté de spécialiser les juridictions et de les centraliser à Paris, ce qui pose question. En matière de terrorisme, cette centralisation se justifie pour des raisons évidentes d’efficacité et de protection mais, pour le domaine qui nous occupe, j’ai des doutes. L’accès à la justice sera rendu très compliqué. Les cours criminelles départementales sont dans une situation catastrophique, avec des délais pour les audiences allant jusqu’à deux ans. Éloigner ces affaires me paraît poser problème car juger sur le territoire a du sens. Les juridictions interrégionales spécialisées ont montré leur efficacité. Il faudra retravailler ces dispositions.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La justice est rendue « au nom du peuple français » : c’est le principe de base, et la raison pour laquelle les révolutionnaires ont mis en place, en matière criminelle, des jurys populaires. En 1986, on a créé une première exception pour les crimes de terrorisme – j’aurais sans doute voté contre –, au motif que l’on n’arrivait pas à protéger les jurés et que l’on doutait de la capacité de ceux qui étaient menacés à juger librement. C’est le principal argument que l’on avançait alors, et je m’étonne, monsieur le rapporteur, que vous ne l’ayez pas vous-même employé, d’autant qu’il a aussi été utilisé pour étendre cette exception au jugement des crimes commis en matière de trafic de stupéfiants. Quel aveu d’échec ! On ne sait donc pas protéger des jurés, dans le cadre d’un procès, au point de renoncer à la justice populaire… Si nous nous y résignons, on fera appel à des magistrats professionnels dans de nombreux autres domaines.
Lors du procès du Rassemblement national, les magistrats ont été menacés de mort. Ils peuvent aussi être corrompus : le problème est alors le même qu’avec un jury populaire. Le recours à des jurés me paraît même préférable, car ces derniers changent et se voient donc exposés à un risque corruptif plus faible que les magistrats professionnels, qui restent toujours au même endroit, surtout si l’on a affaire à une juridiction centralisée comme le sera le parquet national anti-criminalité organisée. Une magistrate amie d’Éric Dupond-Moretti a été récemment mise en cause pour avoir renseigné une partie de la mafia corse sur des enquêtes en cours. Les magistrats peuvent donc être autant corrompus que des jurés ! Il conviendrait plutôt de prendre des mesures de protection à même de garantir, dans les cours d’assises, la présence de jurys populaires, dont nous avons besoin.
Je conclurai par un argument d’autorité : M. Retailleau lui-même n’a-t-il pas dit que la lutte contre le trafic de stupéfiants était l’affaire de tous ?
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’association des citoyens à la prise des décisions judiciaires est effectivement une question fondamentale. Il y a aussi un enjeu d’éducation populaire : nos débats montrent combien le droit pénal et la procédure pénale sont compliqués et qu’il est parfois difficile de se représenter les conséquences concrètes de l’application de certains principes, pour les coupables comme pour les victimes. Aussi la participation du plus grand nombre de citoyens à des jurys de cour d’assises me paraît-elle nécessaire, ne serait-ce que pour améliorer leur compréhension du système judiciaire. Au sein même de notre commission, certains de nos collègues seraient peut-être plus modestes dans leurs analyses s’ils avaient eu à juger.
M. Éric Pauget, rapporteur. M. Bernalicis a raison : pour regrettable qu’elle soit, l’impossibilité de garantir la protection des jurés dans ce type d’affaires est un problème factuel majeur, qui a été évoqué notamment lors des auditions. Cet enjeu de sécurité est peut-être même la raison principale du recours à des magistrats professionnels.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL644 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Le Sénat a prévu que ce dispositif ne serait pas applicable aux mineurs de plus de 16 ans si la cour d’assises décide d’écarter l’excuse de minorité. Nous nous heurtons là à une difficulté procédurale, car cette hypothèse est juridiquement impossible, une telle décision étant prise par la cour d’assises au moment où elle se prononce sur la culpabilité et la condamnation éventuelle de l’accusé. En d’autres termes, la composition de la cour d’assises ne peut pas dépendre d’une décision qu’elle prendra après avoir jugé l’affaire au fond. Mon amendement de cohérence vise à régler ce problème.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je comprends que le rapporteur ait déposé cet amendement, qui est cohérent avec l’article qu’il soutient. Je tiens toutefois à rappeler que l’excuse de minorité n’existe pas dans notre droit : cette expression, utilisée par l’extrême droite, renvoie en réalité à l’atténuation de la responsabilité des mineurs prévue par l’ordonnance de 1945, dont elle est d’ailleurs l’un des principes fondateurs. Elle a été mise à mal par le code de justice pénale des mineurs et différentes propositions de loi dont nous avons récemment discuté – je pense notamment au texte défendu par M. Attal.
Le Rassemblement national nous a accusés de nous être constamment opposés à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qui prévoyait davantage de moyens. Je ferai d’abord remarquer que ce texte n’était pas contraignant ; la preuve en est qu’il n’a même pas été respecté dans le budget de la justice qui nous a été imposé cette année par 49.3, et qui comprend 250 millions d’euros de moins que prévu. Par ailleurs, vous vous êtes vous-mêmes opposés à la série d’amendements que nous avions défendus afin de garantir un respect minimal de cette trajectoire et de créer davantage de postes de magistrats, de greffiers et d’assistants de justice. Enfin, nous avons voté contre cette loi parce qu’elle prévoyait une extension du recours à la visioconférence, qui porte atteinte aux droits de la défense, et la possibilité d’activer à distance des téléphones portables, dont nous reparlerons dans quelques instants. Nous avions d’ailleurs bien fait de nous y opposer, puisque ces dispositions ont été finalement censurées par le Conseil constitutionnel.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL646 et CL647 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Amendements CL84 de M. Ugo Bernalicis et CL431 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le but inavoué de la centralisation des juges à Paris est évidemment de remettre en cause l’indépendance des magistrats du siège dans leur formation de jugement. On n’attend pas d’eux qu’ils jugent en toute tranquillité, mais qu’ils participent à la communication politique du gouvernement en rendant des jugements sévères pour « taper dur », comme dirait M. Darmanin. Sur le fond, certains peuvent souscrire à cet objectif, mais ce n’est pas le sujet : la justice de notre pays doit être indépendante et rendre ses décisions sans tenir compte des pressions exercées par l’exécutif.
Cela rejoint notre opposition à la spécialisation de la justice et à la création du Pnaco, qui sera un outil à la main du politique ; or le politique a déjà trop d’emprise sur la justice de notre pays. Ce n’est d’ailleurs pas le sens de l’histoire. Nous demandons à tout le moins que l’on ne crée pas une cour d’assises spéciale centralisée. Je comprends bien le côté pratique d’une telle disposition, mais telle n’est pas notre préoccupation : pour notre part, nous voulons faire respecter des principes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Nous devons rester cohérents avec la création du Pnaco et favoriser le développement des compétences des magistrats par la spécialisation.
M. Jiovanny William (SOC). Je souscris aux propos de M. Bernalicis : la centralisation des affaires à Paris éloignera de la justice non seulement les justiciables, mais aussi une grande partie des auxiliaires de justice. Il faudra être parisien pour gérer ses dossiers !
M. Jordan Guitton (RN). Nous voterons contre ces amendements. On ne parle pas ici des délinquants de quartier, si j’ose dire, qui doivent sans doute être jugés dans un cadre régional et décentralisé, mais des bandes organisées de narcotrafic, qui sont tout de même des acteurs bien spécifiques !
Nous voulons bien vous faire confiance, monsieur le rapporteur. Sur la forme, le dispositif paraît intéressant, à condition toutefois qu’il y ait assez de magistrats – se pose toujours la question du financement et des moyens humains nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Qu’est-ce qui nous garantit que la centralisation à Paris des juges d’application des peines permettra de renforcer l’efficacité de la justice ? Avons-nous l’assurance de disposer demain d’un nombre suffisant de magistrats ? Qu’en pensent les syndicats ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Si la centralisation est pratique pour la juridiction, elle ne l’est pas pour les avocats, chargés de faire valoir les droits de leurs clients, ni pour les personnes condamnées, qui doivent pouvoir avoir accès à n’importe quel juge d’application des peines.
De quoi suspecte-t-on les juges d’application des peines qui ne sont pas à Paris, et que l’exécutif n’a pas sous la main ? D’être laxistes ? De faire davantage valoir les droits des justiciables ? De ne pas suivre les consignes gouvernementales, alors que ce sont des magistrats du siège ? Voilà la question implicitement posée ! J’ai rendu un rapport sur ce sujet et présidé une commission d’enquête qui nous a permis d’observer les mécanismes à l’œuvre pour que l’exécutif puisse exercer une pression sur les magistrats, y compris du siège. Pour ma part, je considère que les juges d’application des peines sont compétents, où qu’ils se trouvent sur le territoire, et qu’il faut les laisser faire leur travail pour que chacun ait la possibilité de faire valoir ses droits. Nous sommes encore dans un État de droit !
M. Éric Pauget, rapporteur. Il faudra évidemment évaluer ce dispositif, qui n’a pas encore été déployé. Cependant, l’organisation mise en place en matière de lutte contre le terrorisme a démontré, au bout de plusieurs années, qu’un modèle centralisé fonctionnait. Il est clair que nous nous appuyons sur cet exemple très probant.
Vous avez raison de poser la question des moyens. Le sujet a déjà été évoqué à plusieurs reprises ; la semaine prochaine, vous pourrez demander au ministre quelles garanties il nous apportera en la matière.
La commission rejette l’amendement CL84, l’amendement CL431 étant retiré.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL650, CL648 et CL645 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Elle adopte l’article 13 modifié.
Article 14 (art. 132-78, 132-78-1 [nouveau], 221-5-3, 222-6-2, 222-43, 222-43-1, 222-67-1 [nouveau], 450-2 du code pénal ; art. 706-63-1 A à 706-63-1 D [nouveaux], 706-63-1, 706-63-2 du code de procédure pénale) : Réforme du dispositif des repentis
Amendement CL102 de Mme Marie-France Lorho
Mme Pascale Bordes (RN). Nous proposons de rétablir la rédaction initiale de l’article 14 afin de retirer le bénéfice d’une immunité de poursuite aux repentis qui auraient commis des crimes de sang. Accorder l’immunité à d’anciens meurtriers nous paraît éthiquement contestable. Cette position est d’ailleurs partagée par le président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR). Nous préférerions instaurer un système de réduction des peines, qui permettrait par exemple aux repentis de transformer une réclusion à perpétuité en une peine de vingt ans d’emprisonnement.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je partage votre souhait de ne pas accorder l’immunité à des meurtriers. Je défendrai dans quelques instants deux amendements, dont l’unvise à réécrire complètement la partie procédurale de l’article 14, et je proposerai effectivement de supprimer l’immunité pour les personnes coupables de crimes de sang.
Je donne à votre amendement un avis défavorable, car ceux que je soutiendrai sont beaucoup plus larges : ils traitent, entre autres, du sujet de l’identité d’emprunt et prévoient l’intervention de la chambre de l’instruction.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL510 de M. Éric Pauget et sous-amendement CL673 de M. Paul-André Colombani
M. Éric Pauget, rapporteur. Je défendrai en même temps mes amendements CL510 et CL512, car ils se complètent pour réécrire l’article 14.
Le statut actuel de repenti a été créé par la loi Perben de 2004, mais il a fallu attendre dix ans pour qu’il soit effectivement mis en place, à partir de 2014. En 2024, selon les chiffres qui m’ont été communiqués, seuls quarante-deux repentis étaient gérés dans notre pays, ce qui est très peu. Pendant la même période, l’Italie a accordé ce statut à quelque 6 500 personnes, et elle en gère encore 1 000 actuellement. Notre dispositif souffre manifestement d’un manque d’attractivité : tous les services engagés dans la lutte contre le narcotrafic nous disent qu’il convient de créer un outil beaucoup plus efficace et attractif. Ce constat, également dressé dans le rapport sénatorial, est à l’origine de l’adoption, par le Sénat, d’un texte qui pose cependant un certain nombre de problèmes majeurs.
Tout d’abord, les sénateurs ont ouvert ce statut aux personnes condamnées pour des crimes de sang, allant même jusqu’à leur accorder, en séance, une immunité totale. Autrement dit, ils ont poussé le curseur le plus loin possible en matière d’attractivité. Du point de vue technique, juridique, cette mesure fonctionne ; il n’empêche qu’elle pose un problème d’ordre politique et moral. Je l’ai dit, à titre personnel, je n’y suis pas favorable, et la plupart des auditions que j’ai menées me confortent dans cette idée. Je propose donc de maintenir la possibilité d’accorder le statut de repenti aux individus condamnés pour des crimes de sang, sans pour autant leur offrir une immunité totale. Mieux vaudrait leur accorder des réductions ou des remises de peine, ou bien leur permettre, en contrepartie des informations qu’ils auront bien voulu nous donner, de ne pas être soumis au nouveau régime de détention très dur que le garde des sceaux a proposé d’instaurer hier matin. C’est d’ailleurs ce que font les Italiens.
Le deuxième problème majeur posé par le texte adopté par le Sénat est que l’identité d’emprunt du collaborateur de justice apparaît dans les procédures, ce qui ne permet évidemment pas de garantir sa sécurité. Mes amendements visent aussi à corriger ce défaut.
La troisième question importante était de déterminer à qui il revient d’attribuer le statut de repenti. Dans le texte du Sénat, le Service interministériel d’assistance technique (Siat) instruit la demande, la CNPR – généralement qualifiée de « commission des repentis » – donne un avis et un procureur – ou un juge d’instruction - prend une décision. Il nous semble préférable que ce dernier rôle revienne à la chambre de l’instruction, comme le prévoit donc notre amendement CL512.
Enfin, dans le dispositif adopté par le Sénat, la convention paraît beaucoup trop précise et contraignante, ce qui emporterait des conséquences pour la gestion future du repenti, comme les services nous l’ont clairement expliqué. Nous proposons donc que la convention soit moins précise dans ses aspects techniques, afin de ne pas imposer trop de contraintes au Siat, qui sera ensuite chargé de gérer le repenti.
La nouvelle rédaction que je vous propose a été élaborée en lien avec les services de la Chancellerie ; elle s’appuie sur les éléments qui nous ont été remontés au cours des auditions. Notre objectif est de créer un véritable statut du repenti, attractif, qui permette d’aller plus loin dans les enquêtes et de faire tomber des narcotrafiquants.
M. le président Florent Boudié. Je confirme que le statut de repenti créé par la loi Perben manque singulièrement d’attractivité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Nous ne voterons pas cet amendement, qui bat en brèche la logique suivie par le Sénat. Je relève d’ailleurs une contradiction dans votre argumentation, monsieur le rapporteur : alors que l’on constate que le dispositif actuel ne fonctionne pas, vous voulez revenir sur une mesure visant à favoriser son attractivité.
Nous devons passer outre la moralité – ou l’apparence de moralité – du dispositif et regarder plutôt son efficacité pour démanteler les réseaux et faire cesser les trafics. Si nous voulons avancer sur cette question, nous devons aller au bout de la logique ; sinon, ne faisons rien du tout !
M. le président Florent Boudié. C’est plutôt une question d’équilibre, si je peux me permettre.
M. Paul-André Colombani (LIOT). S’il est essentiel d’ouvrir le dispositif aux crimes de sang, il convient de modérer les dispositions adoptées par le Sénat : nous nous opposons nous aussi à ce que les coupables de tels crimes bénéficient d’une immunité totale.
Mon sous-amendement CL673 vise à compléter l’amendement du rapporteur afin que le dispositif s’applique non seulement aux auteurs de meurtre et d’assassinat, mais aussi aux condamnés pour meurtre en bande organisée. C’est ainsi que nous pourrons lutter efficacement contre la criminalité organisée.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis favorable à ce sous-amendement. Le repentir en cas de meurtre en bande organisée est effectivement un élément majeur du dispositif que nous devons mettre en place.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous constaterez, à la manière dont nous abordons cet article, que la question des repentis nous intéresse. Ces personnes nous permettent en effet d’obtenir des informations utiles pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Plus elles ont été intégrées dans une organisation criminelle, plus elles ont commis des infractions pénalement répréhensibles, plus les informations qu’elles nous livrent ont de valeur et sont susceptibles de nous permettre de faire tomber l’ensemble du réseau d’un seul coup. Pour rendre le dispositif attractif, il faut donc, par la force des choses, étendre le repentir aux auteurs de crimes très graves. Ainsi, toute proposition visant à limiter ce dispositif nous pose problème.
Nous nous inspirons en grande partie du dispositif mis en place en Italie pour lutter contre la mafia, qui a montré toute son efficacité.
Comme nous l’expliquons dans le rapport d’information que j’ai corédigé avec M. Mendes, la protection des repentis relève d’un bureau rattaché au Siat. Selon les chiffres communiqués par ce dernier, au 1er janvier 2024, seules quarante-deux personnes étaient protégées dans le cadre de ce dispositif. Il faut donc aussi avoir en tête la question des moyens : si nous parvenons à augmenter le nombre de repentis, nous devrons accroître les moyens du Siat.
Ce dispositif nous paraît donc très utile. Nous nous sommes contentés de déposer un amendement de précision à la fin de l’article.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Une interrogation m’est venue en lisant les différents amendements. Si quelqu’un décide de dénoncer son réseau mais que sa peine n’est remise que de moitié, alors il sera quand même incarcéré. En s’apercevant qu’il ne purge qu’une moitié de peine, ses codétenus vont comprendre qu’il a parlé. Dès lors, comment sera-t-il protégé durant sa détention ? Ce point délicat ne risque-t-il pas de dissuader des personnes de dénoncer leur réseau ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je partage la préoccupation de M. Iordanoff. M. Darmanin expliquait que si les gens allaient parler, c’est parce que cela leur éviterait d’être soumis à un régime de détention horrible. En réalité, ce n’est pas la raison principale : celui qui accepte de parler veut avant tout être protégé, en détention comme à l’extérieur, de même que sa famille et ses proches. On a d’ailleurs bien vu qu’il ne servait à rien de déplacer des mineurs pour les extraire d’un réseau de trafiquants si l’on ne protégeait pas leur famille et leurs proches des pressions qu’ils pourraient subir ; sans cela, ils retombent dans le piège du narcotrafic.
Nous attendions de prendre connaissance des amendements du rapporteur pour mener une réflexion plus approfondie sur ce sujet et défendre des amendements en séance. Par principe, nous pensons que le dispositif doit être le plus large possible. Il faut faire confiance aux magistrats pour conclure des transactions en fonction des situations ; ce qui compte est que le dispositif soit efficace.
Vous considérez, monsieur le rapporteur, que les dispositions relatives à la convention ne doivent pas être trop précises, et vous nous proposez de revenir en arrière lorsque vous jugez que les sénateurs sont allés trop loin. L’article adopté par le Sénat comporte certes une longue énumération, mais aucune disposition obligatoire s’agissant du contenu des conventions. Il faut pourtant que le repenti soit certain d’être protégé, faute de quoi nous risquons de tomber à côté. Si nous décidons d’aller dans cette direction, nous devons y aller à fond, jusqu’au bout ! Si nous examinons les choses du point de vue de la moralité, personne ne votera cet article, car les crimes de sang sont inacceptables, mais c’est à l’efficacité de la lutte contre le narcotrafic que nous devons penser ici.
M. Michaël Taverne (RN). La question des repentis, ou des « collaborateurs de justice », est ô combien sensible, car elle comporte une dimension morale. Il y a quelques années, j’ai évoqué ce sujet avec des carabiniers italiens : ils me disaient que ce dispositif existait depuis quarante ans dans leur pays, tandis que nous commençons seulement à y réfléchir en France, la tentative réalisée dans le cadre de la loi Perben n’ayant pas vraiment fonctionné. Il faut aussi se demander si la société française est capable d’accepter cela. Le système devra nécessairement être très encadré, notamment pour les auteurs de crimes de sang.
Il y a d’ailleurs une chose assez cocasse, avec l’extrême gauche : elle nous dit du matin au soir que les policiers sont des assassins – celui qui a tiré sur Nahel n’est même pas encore condamné que vous êtes déjà en train de lui marcher dessus –, mais pour les auteurs de crimes de sang, ça passe crème…
Je disais donc que le sujet était très sérieux, très sensible, et que le dispositif devrait être encadré. Il faudra faire preuve de proportionnalité, et sans doute prévoir des aménagements ainsi qu’une protection des collaborateurs de justice.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je précise que l’amendement CL510 comporte une batterie de mesures qui visent à harmoniser les conditions d’octroi des réductions et des exemptions de peine.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
En conséquence, les amendements CL505 de M. Xavier Lacombe et CL119 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
Amendement CL450 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Le statut de collaborateur de justice, qui doit être encadré avec rigueur, ne saurait justifier tous les compromis. Ainsi, il ne serait pas de bonne justice qu’un assassin ou un terroriste puisse en bénéficier. Ce serait une faute majeure à l’égard des victimes, que nous devons toujours avoir présentes à l’esprit lorsque nous évoquons ces questions.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je comprends vos préoccupations ; nous nous sommes posé les mêmes questions. Toutefois, nos longs échanges avec le Siat et le président de la CNPR nous ont convaincus que, pour être attractif, le dispositif devait inclure les crimes de sang. En revanche, il me paraît problématique que l’auteur de tels crimes puisse bénéficier d’une immunité, comme en a décidé le Sénat.
Je vous proposerai donc de maintenir les crimes de sang dans le dispositif mais de supprimer la possibilité d’octroyer l’immunité totale à leurs auteurs, en lui substituant des remises de peine. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Si le dispositif Perben n’a pas fonctionné, ce n’est pas pour des raisons liées à l’acceptabilité sociale mais parce que son périmètre était si restreint et les contreparties tellement imprévisibles qu’il n’a intéressé personne. Si l’on veut éviter cet écueil, il faut donc étendre son périmètre. C’est d’autant plus nécessaire que le niveau des informations détenues par le potentiel repenti est corrélé à la gravité des crimes qu’il a commis.
Sur le plan de la morale, personne ne peut approuver une mesure de ce type. Mais si l’on veut prendre des mesures efficaces pour démanteler la criminalité organisée, on peut l’envisager. Je ne suis pas certain que les sénateurs soient des êtres immoraux. S’ils sont allés jusqu’à proposer l’immunité aux auteurs de crimes de sang, c’est sans doute parce que certains criminels détiennent des informations tellement cruciales qu’il faut envisager cette hypothèse. Toutefois, je comprends que le rapporteur préfère d’autres mesures à l’immunité ; peut-être pourrons-nous nous ranger à ses arguments. Mais le dispositif doit inclure tous les cas de figure.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’Italie s’est doté d’un dispositif qui a montré son efficacité au cours des vingt dernières années – il a concerné 6 500 repentis, dont 1 000 sont actuellement traités – et lui a permis d’obtenir des résultats dans sa lutte contre les organisations mafieuses. Or ce dispositif inclut les crimes de sang sans accorder pour autant l’immunité à leurs auteurs.
Par ailleurs, il est vrai que si le Siat, qui s’occupe actuellement de quarante-deux repentis, doit en gérer à l’avenir trois ou quatre fois plus, il aura besoin de moyens importants. Or les ministères de la justice et de l’intérieur ont la volonté de se donner les moyens d’utiliser le statut de repenti dans la lutte contre le narcotrafic, notamment en assurant la sécurité du repenti et de sa famille par des procédés sophistiqués, dignes d’une série de Netflix.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL512 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement, dont j’ai présenté les grandes lignes, est le fruit de notre travail avec la chancellerie et les instances que nous avons auditionnées. Il tend notamment à renforcer l’attractivité du dispositif Perben en restreignant encore les conditions dans lesquelles la juridiction de jugement peut ne pas accorder la réduction ou l’exemption de peine, c’est-à-dire seulement quand des éléments nouveaux ont fait apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations.
Se pose en effet la question de la fiabilité de la confession du repenti. Les Italiens nous ont indiqué que certaines des informations qu’ils ont recueillies auprès de repentis au cours des vingt dernières années n’étaient pas fiables et, pis, que d’autres leur avaient été livrées pour faire tomber le clan adverse. Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est en effet un point crucial : il faut s’assurer que les informations obtenues sont de qualité.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’adoption de cet amendement en fera tomber plusieurs autres, notamment mon amendement CL177, qui a trait à la protection des repentis. J’insiste donc sur le fait que ceux-ci ne doivent pas purger leur peine dans le même établissement que des personnes qu’ils auraient contribué à faire condamner ou qui ont participé à la même structure criminelle qu’eux. Or, actuellement, cet élément n’est pas toujours pris en compte par l’administration pénitentiaire.
Mme Elsa Faucillon (GDR). La présence de l’avocat est-elle bien prévue lors du recueil des informations ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Madame Regol, tout ne peut pas, pour des raisons compréhensibles, être inscrit dans la loi. Je pense au lieu et au régime d’incarcération ou aux différentes modalités de la nouvelle vie du repenti. Ces questions relèvent du Siat – qui est d’ailleurs allé jusqu’à évoquer la possibilité que l’incarcération ait lieu à l’étranger. Dans ce domaine, nous sommes obligés de faire confiance aux services et de nous en remettre éventuellement à nos moyens de contrôle. Du reste, je propose, dans mon amendement CL512, qu’un rapport d’évaluation soit remis au Parlement dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi.
Par ailleurs, la présence de l’avocat est, bien entendu, prévue.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements suivants tombent.
La commission adopte l’article 14 modifié.
Article 14 bis (nouveau) (art. 706-59, 706-61, 706-62-1, 706-62-2 du code de procédure pénale) : Renforcement de la protection des témoins
Amendement CL637 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit de procéder à une réécriture des peines prévues pour la révélation de l’identité d’un témoin, qui n’est pas réprimée par la rédaction actuelle de l’article.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cela rejoint la question de la protection des jurés populaires, que j’ai évoquée tout à l’heure. Faute d’une réelle volonté politique et de moyens suffisants, les services de l’État ont des difficultés à assurer cette protection. Cet amendement va donc dans la bonne direction.
Par ailleurs, il faudra que nous nous penchions sur le cas des mineurs qui participent aux trafics et qui, compte tenu de leur rôle marginal dans l’organisation, ne pourront sans doute pas accéder au statut de repenti. Je rappelle, en outre, qu’en tant que mineurs, ils sont considérés davantage comme des victimes que comme des délinquants. Il faudra donc aller plus loin dans ce domaine. Des auteurs d’infraction peuvent également être témoins et contribuer à l’enquête.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le service de protection nationale est un élément central du dispositif italien. Or il intervient dès le début de la procédure, bien avant la sortie de prison. Certes, nous ne pouvons pas tout écrire dans la loi. Mais, si nous voulons éviter des drames, nous devons nous assurer à tout le moins que l’homologue français de ce service interviendra tout au long de la procédure.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis d’accord avec Mme Faucillon. Le Siat, dont j’ai rencontré des membres à plusieurs reprises, m’apparaît comme un service efficace qui connaît bien son sujet. Mais il est évident que, si nous voulons nous doter d’un véritable statut de repenti, ce service devra être doté de moyens et intervenir dès le début de la procédure, comme c’est le cas en Italie.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL38 de M. Antoine Léaument et CL40 de M. Ugo Bernalicis tombent.
Amendement CL511 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit, d’une part, d’étendre aux victimes, pour l’ensemble des infractions relatives à la délinquance et à la criminalité organisées, les mesures de protection, comme la possibilité de se domicilier au commissariat ou de faire usage d’une identité d’emprunt, d’autre part, d’étendre aux victimes et aux témoins protégés les mesures de réinsertion que peut mettre en œuvre le Siat pour les repentis et les possibilités de comparaître anonymement prévues pour les repentis.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 14 bis modifié.
Article 15 (art. 230-10, 706-74-1 [nouveau], 706-80 A [nouveau], 706-80-1 [nouveau] du code de procédure pénale, 3 bis [nouveau], 3-1 [nouveau] de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales et 55 bis du code des douanes) : Anonymisation des services enquêteurs dans les procédures de criminalité organisée
Amendements identiques CL593 de M. Vincent Caure et CL493 de M. Pouria Amirshahi
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous proposons de supprimer la présomption d’habilitation des enquêteurs à accéder aux informations figurant dans les fichiers d’antécédents judiciaires. Une telle disposition ne paraît pas nécessaire, dès lors que l’article 15-5 du code de procédure pénale prévoit déjà que « l’absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation [de traitements au cours de l’enquête] n’emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure. »
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En matière d’accès aux fichiers, il faut se prémunir de tout excès. Je ne prête de mauvaises intentions à personne, mais les préconisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) n’étant souvent pas respectées, je me méfie des extensions inutiles de l’accès aux fichiers.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL594 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de supprimer les dispositions spéciales permettant d’occulter l’identité des services judiciaires dans les décisions susceptibles d’être rendues publiques, car une telle procédure est déjà prévue à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire. Qui plus est, le droit positif est d’application plus large que ces dispositions, qui ne couvrent que le domaine de la délinquance et de la criminalité organisées.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL494 de M. Pouria Amirshahi et CL178 de Mme Sandra Regol tombent.
Amendement CL43 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous proposons de supprimer l’alinéa 7, qui prévoit l’anonymisation automatique des policiers ou des gendarmes affectés dans un service spécialisé dans la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées. Nous sommes favorables à l’anonymisation, car, nous le savons, la connaissance de l’identité des agents permet de faire pression sur eux, voire de les mettre en danger, ainsi que les membres de leur famille, par des menaces d’assassinat. En revanche, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité de son automaticité, qui remet en cause l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
M. Vincent Caure, rapporteur. Je précise tout d’abord que l’anonymisation est prévue pour les actes de procédure dans le cadre desquels les agents interviennent.
Par ailleurs, le code de procédure pénale prévoit déjà deux procédures similaires : celle de l’article 15-4, qui s’applique aux agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, quel que soit leur service d’affectation, et celle de l’article 706-24, qui concerne les agents affectés dans les services de lutte contre le terrorisme et dont s’inspire l’anonymisation prévue à l’article 15.
En outre, j’insiste sur les garanties qui entourent ce dispositif. Celui-ci n’est applicable qu’aux agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale affectés dans un service spécialisé de lutte contre la criminalité organisée et l’agent ne peut pas se prévaloir de l’anonymat lorsqu’il est mis en cause en raison d’un acte commis dans l’exercice de ses fonctions. Enfin, il est prévu une voie de recours spécifique qui permet aux parties à la procédure de demander la révélation de l’identité de l’agent, notamment pour l’exercice des droits de la défense.
Avis défavorable.
Mme Edwige Diaz (RN). Je rappelle à nos collègues de La France insoumise qu’en moyenne, entre janvier et juillet 2024, vingt-trois membres des forces de l’ordre ont été agressés chaque jour, soit une augmentation de 88 % en dix ans. Aucun département n’est épargné. Partout, il existe des immeubles où le nom de policiers, voire de membres de leurs familles, a été affiché, jeté en pâture. Leur anonymisation permettrait de les protéger. C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les arguments du rapporteur sont assez convaincants, mais des questions demeurent. Certes, le code de procédure pénale permet déjà l’anonymisation des agents de police. Bien entendu, nous devons protéger ces derniers lorsqu’eux ou leur entourage sont en danger de mort. Mais il est problématique que la défense d’un justiciable ne puisse pas identifier l’agent qui a pris telle décision. Il faudrait qu’à tout le moins, chaque décision prise par un agent dont l’anonymat est garanti soit signée par un supérieur hiérarchique identifié – le ministre, par exemple – de façon qu’elle puisse faire l’objet d’un recours.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’ai le sentiment que le Rassemblement national n’a pas suffisamment travaillé sur le texte. La question qui se pose n’est pas celle des agressions de policiers, lesquelles sont évidemment condamnables, comme le sont celles commises par des personnes portant l’uniforme, notamment – je ne fais que citer un rapport de l’Organisation des nations unies (ONU) – dans le cadre de contrôles d’identité au faciès.
Encore une fois, je me réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont plusieurs articles concernent la police. Je pense à son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » Je pense également à son article 7, qui concerne, cette fois, les personnes interpellées : « […] tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »
Le problème, et c’est en cela que le Rassemblement national va à l’encontre de l’identité nationale française, au sens républicain du terme – le drapeau tricolore, La Marseillaise, la devise Liberté, Égalité, Fraternité –, c’est qu’il estime que l’arbitraire est roi, quoi qu’il arrive. Ils sont donc d’une certaine manière, du côté de Louis XVI plutôt que de celui des révolutionnaires.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Toutes les personnes intervenant dans une chaîne de décision, quel que soit le domaine d’intervention, doivent être protégées – les élus, les policiers, les magistrats.
La décision prise de manière anonyme sera différente de celle qui sera signée ; son auteur sera davantage susceptible de la prendre à la légère dans la mesure où il ne l’assumera pas. Cette anonymisation pourrait conduire à une forme de déshumanisation. Pour cette raison, nous voterons pour cet amendement.
M. Vincent Caure, rapporteur. Des voies de recours existent déjà dans le dispositif proposé. L’alinéa 16 de cet article prévoit ainsi une voie de recours qui permet aux parties de contester la décision. En fin de procédure, il sera possible de demander à l’agent les raisons qui ont motivé sa décision.
Par ailleurs, vous avez évoqué les décideurs alors que l’article 8 concerne les enquêteurs.
Enfin, l’anonymisation est un moyen de réduire les risques de corruption car le nom des agents n’apparaît pas dans les documents auxquels les parties ont accès dans le cadre de la procédure.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL595 et CL596 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL597 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas répondu à ma question. Les autorités responsables de la décision prise par un agent sous couvert d’anonymat seront-elles identifiées ?
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL45 de M. Ugo Bernalicis et CL48 de M. Antoine Léaument (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Personne ne commet d’infraction avec un code pénal à la main : aggraver les peines en cas de divulgation de l’identité de la personne, ne sera pas efficace. Du reste, seuls les magistrats et les policiers sont en mesure de révéler l’identité de l’agent.
Lorsque des narcotrafiquants seront inculpés, un procès aura lieu auquel le supérieur hiérarchique des policiers assistera pour expliquer l’enquête ; il sera donc connu. L’anonymisation n’est pas la solution magique : on ne pourra pas faire l’économie de mesures de protection des agents et de prévention des risques de corruption.
Je rappelle que dans le renseignement, l’anonymisation est la règle pour les notes blanches versées aux dossiers, que les magistrats prennent pour argent comptant. Mais nombre d’avocats contestent le procédé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable sur ces amendements qui ne sont pas opportuns. Nous mesurons tous, en effet, les risques qui pèsent sur les agents des forces de sécurité intérieure affectés dans des services dédiés à la lutte contre la criminalité organisée.
Vos amendements sont incohérents par rapport à l’échelle des peines en vigueur pour les infractions relevant de ce domaine. Le quantum des peines est rigoureusement identique à celui prévu pour des infractions similaires, telles que l’infraction de révélation de l’identité d’un agent anonymisé ou infiltré. L’amendement CL45 introduirait donc une incohérence dans l’échelle des peines.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’aggravation des peines ne dissuadera pas les têtes de réseau de commettre des crimes, souvent d’ailleurs par l’intermédiaire d’autres personnes.
En outre, vu les conditions de détention actuelles, la prison est davantage l’école de la récidive pour n’importe quel délinquant. Je soutiendrai donc ces amendements qui soulèvent la question de l’incarcération et de la nature de la peine.
Je comprends la nécessité d’anonymiser. Néanmoins, la responsabilité de la décision doit être assumée par quelqu’un. Lorsqu’on prend une décision de manière anonyme, on s’octroie davantage de libertés que lorsqu’on doit la signer. Au sein de l’administration, il existe un système simple, la décision sous couvert du supérieur hiérarchique, qui permet d’identifier l’autorité qui l’a prise. C’est une question de principe : l’autorité responsable d’un acte portant atteinte à une liberté doit être identifiée.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il y a systématiquement une levée de boucliers de la part de la gauche et de l’extrême gauche contre les mesures visant à protéger les policiers et les gendarmes.
À chaque fois que nous tentons d’améliorer la protection des forces de l’ordre contre les voyous qui affichent, eux, leurs prénoms sur les murs de nos quartiers, vous faites en sorte, même lorsque vous dites être d’accord, de minorer les dispositions qui leur permettraient de faire correctement leur travail et de les protéger, eux et leur famille. C’est désolant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Plutôt que d’augmenter le quantum des peines, ce qui ne protégera pas davantage les agents car personne ne commet d’infraction avec un code pénal à la main, il conviendrait de prendre d’autres mesures essentielles. Il faut commencer par protéger les logiciels au sein desquels est enregistré le matricule de l’agent. Je rappelle au passage que seuls les policiers et les magistrats sont en mesure de commettre ces infractions de divulgation. Le rapport annuel de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) pour 2023 pointe l’augmentation des infractions relatives à la consultation illégale de fichiers et à leur divulgation.
Enfin, l’intérêt d’harmoniser les peines m’avait échappé : les peines relatives au trafic de stupéfiants ne font précisément pas l’objet d’une telle harmonisation.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’article 15 modifié.
Après l’article 15
Amendement CL413 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous proposons de renforcer l’encadrement de la consultation des fichiers, qui est une question sensible, afin d’augmenter la confiance dans les agents habilités à accéder à ces informations et d’éviter au maximum leur divulgation.
Ce nouveau cadre s’articule autour de cinq axes majeurs : la nécessité d’un examen personnalisé de l’habilitation ; une formation régulière des agents habilités ; un réexamen de la pertinence de maintenir l’habilitation tous les trois ans ; l’inscription préalable des motifs de consultation avant l’accès aux données contenues ; la transmission d’un rapport annuel au procureur de la République.
M. Vincent Caure, rapporteur. Cette question est en effet sensible. Cela étant, l’article 15-5 du code de procédure pénale prévoit déjà qu’une habilitation est nécessaire.
Par ailleurs, des dispositions réglementaires garantissent la traçabilité des opérations de consultation et encadrent l’accès à chacun de ces fichiers.
Enfin, élaborer un rapport annuel ne me semble pas pertinent.
Ainsi, votre amendement est en grande partie satisfait. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons contre cet amendement car les dispositions en vigueur garantissant la traçabilité des opérations sont suffisantes. Il y a quelques années, des consultations de fichiers ont en effet conduit à des drames au sein des forces de l’ordre.
Outre qu’il relève du réglementaire, l’encadrement proposé conduirait à une surveillance accrue des policiers qui les dissuaderait de demander une habilitation.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le cadre juridique relatif à la traçabilité est insuffisant, contrairement à celui relatif à l’habilitation puisqu’il n’y aura pas d’automaticité.
La traçabilité des logiciels évoqués par M. Taverne n’a pas été mise en œuvre lors du déploiement de ces outils précisément parce que les dispositions qui la prévoyaient étaient d’ordre réglementaire. L’inscrire dans la loi c’est se donner la garantie que l’État sera rigoureux avec lui-même. Au regard du nombre de logiciels développés et d’accès aux différents fichiers, il serait bon de vérifier qu’ils font tous l’objet d’une traçabilité.
Il ne s’agit pas de surveiller les données personnelles des agents. En contrepartie de l’accès à des données sensibles, la traçabilité des opérations doit être garantie par la loi.
Mme Sandra Regol (EcoS). Aucune formation n’est prévue, ce qui est préjudiciable aux agents et au fonctionnement des services.
Selon le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, la divulgation d’information fait l’objet de problèmes récurrents. Il préconise d’instaurer des procédures plus encadrées pour éviter que les services de renseignement et de police soient accusés d’en être responsables. Cet amendement reprend les propositions de ce rapport.
La commission rejette l’amendement.
Article 15 bis A (nouveau) (article 706-105-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Anonymisation des interprètes intervenant à l’occasion d’une procédure en matière de criminalité organisée
Amendement CL598 de M. Vincent Caurre
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à préciser le champ d’application de la nouvelle procédure d’anonymisation des interprètes, sur le modèle de l’article 706-24-2 du code de procédure pénale, afin d’assurer leur protection pour l’ensemble de leurs missions d’assistance.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL179 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). La question des interprètes est sensible, tant ces personnels nécessaires dans le cadre de la lutte internationale contre le narcotrafic sont précaires. Ils se sont regroupés dans un collectif afin d’obtenir le règlement intégral de leurs honoraires, qui est rarement effectué.
Cet amendement vise à prévoir des sanctions pénales en cas de révélation de leur identité lorsqu’ils ont bénéficié d’une anonymisation. Bien qu’il existe des dispositifs en la matière, il s’agit de renforcer la sécurité des interprètes afin d’éviter que leur vie ne soit mise en danger.
M. Vincent Caure, rapporteur. De telles sanctions sont prévues en cas de révélation de l’identité de l’agent anonymisé d’un service d’enquête. Il est donc cohérent de prévoir des infractions identiques pour renforcer la protection des interprètes anonymisés. Avis favorable.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Le Nouveau Front populaire se soucie de l’anonymat des interprètes, mais pas de celui des policiers, ce qui relève de la discrimination. Et quelle incohérence !
Vous reprochez à tout le monde de mal rédiger les amendements ou de manquer de sérieux : mais c’est vous qui manquez de sérieux. Ce matin, au Beauvau des polices municipales à Meaux, tous les représentants des policiers ont insisté sur la nécessité de bénéficier de l’anonymat. Vous devriez plutôt vous rendre sur le terrain pour recueillir les témoignages des policiers victimes des refus d’obtempérer.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous avons participé à des dizaines d’auditions avec le plus grand sérieux pour préparer l’examen de ce texte. Nous avons rencontré tous les corps professionnels concernés, notamment des policiers appartenant à différents grades et services.
En plus d’être régulièrement sur le terrain dans nos circonscriptions, auprès des agents des services publics, nous confrontons la réalité de ce que vivent nos concitoyens avec ce que disent les experts. Du reste, telle est la finalité de la politique : mettre en adéquation des idées avec le monde réel. C’est sur cette base que nous rédigeons nos amendements et nos interventions. J’accepte que vous soyez en désaccord avec nos opinions, mais au nom de la sincérité des débats, je ne peux vous laisser dire que nous avons voté contre l’anonymisation des policiers en danger ; c’est un mensonge. Nous avons même voté pour l’article 15 sur lequel nous avions déposé des amendements ! Cette attitude ne vous mènera nulle part, à moins qu’il ne s’agisse de vous mettre en scène sur les réseaux sociaux. Nous n’admettons pas ce travestissement des faits.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 15 bis A modifié.
Après l’article 15 bis A
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL415 de Mme Sabrina Sebaihi.
Article 15 bis (nouveau) (article 230-46 du code de procédure pénale, 67 bis, 67 bis-1 A et 67 bis-1 du code des douanes) : Possibilité d’utiliser des procédés de transformation de la voix et de l’apparence dans le cadre de l’enquête sous pseudonyme
La commission adopte l’article 15 bis non modifié.
Article 15 ter (nouveau) (article 706-96 du code de procédure pénale) : Activation à distance d’un appareil électronique fixe aux fins d’enregistrement de l’image et du son
Amendements de suppression CL52 de M. Ugo Bernalicis, CL213 de Mme Colette Capdevielle, CL317 de Mme Émeline K/Bidi, CL349 de M. Sacha Houlié et CL495 de M. Pouria Amirshahi
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article 15 ter entend contourner la censure par le Conseil constitutionnel du dispositif de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, dont nous avions déjà souligné le caractère disproportionné. Ces amendements visent donc à le supprimer. Certes, activer à distance des appareils électroniques fixes aux fins d’enregistrement des images et du son est plus facile que de poser des micros. Néanmoins, l’ensemble des associations de défense des droits et libertés fondamentaux considèrent que le périmètre de la mesure est disproportionné et porte atteinte aux libertés.
Cette mesure, ajoutée à celle relative au dossier coffre, dont la définition est large et le cadre juridique flou, permettra de disposer d’informations sensibles qui ne seront même pas versées aux dossiers.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet article, qui porte une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles, est inconstitutionnel au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 16 novembre 2023.
Il n’existe aucune garantie que les échanges des personnes dépourvues de tout lien avec le narcotrafic ne soient pas enregistrés. Qui plus est, l’enregistrement des échanges entre la personne soupçonnée et son avocat violerait l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce dispositif, qui vise à contourner la censure du Conseil constitutionnel, a déjà fait l’objet de longs débats parlementaires qui avaient éclairé sa décision.
Des échanges relevant de la vie privée étrangers à l’enquête pourront être enregistrés, ce qui porte atteinte aux libertés. Cette mesure n’est ni proportionnée ni nécessaire. En notre qualité de commissaires aux lois, il est de notre devoir de la supprimer.
M. Sacha Houlié (NI). En examinant les amendements déposés au Sénat, qui ont donné lieu à la création d’articles, je me suis souvenu d’un texte auquel avaient été ajoutées de nombreuses dispositions sans lien direct ou indirect avec le texte. Les articles 15 bis A, 15 bis, 15 ter, 15 quater et 16 bis, s’ils étaient adoptés, relèveraient très certainement de la jurisprudence relative à l’article 45 de la Constitution portant sur les cavaliers législatifs. Il sera intéressant d’étudier le résultat des recours constitutionnels les concernant, le cas échéant.
Les techniques spéciales d’enquête, notamment l’activation à distance de certains logiciels, ont déjà fait l’objet d’une censure. À cet égard, il est utile de lire le considérant 68 de la décision n°2023-855 DC du Conseil constitutionnel sur l’activation à distance des téléphones mobiles : le problème ne réside pas tant dans la création de la mesure que dans son application à toutes les infractions, notamment celles relatives à la délinquance et à la criminalité organisées. Il est donc impossible d’étendre ces techniques à l’intégralité des infractions ni de les appliquer à toutes les infractions relevant de la criminalité organisée.
Tel qu’il est rédigé, l’article 15 ter est attentatoire à toutes les libertés publiques, aux conventions internationales et à la Constitution ; il le restera même si nous adoptons l’amendement CL600 du rapporteur, qui est trop imprécis.
Si nous n’adoptons pas ces amendements de suppression, le Conseil constitutionnel nous fera passer pour des amateurs, ce qu’aucun d’entre nous, en tant que législateur, n’appréciera.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les dispositions techniques prévues dans cet article vont manifestement à l’encontre de la protection de nos libertés individuelles essentielles. La nécessité d’activer ces systèmes de captation à distance pour enquêter sur des activités illicites n’a pas été démontrée. Les appareils qui pourraient ainsi être activés ne concernent pas directement les criminels : ce sont des appareils domotiques, utilisés par d’autres membres de leur famille.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a pris une décision claire et générale à ce sujet, comme vient de le rappeler notre collègue Sacha Houlié.
Ces raisons justifient à elles seules l’adoption de ces amendements de suppression. Mais si nos arguments relatifs à la protection des libertés n’étaient pas suffisants et si le Conseil constitutionnel acceptait le principe de cet article, il nous faudrait garder à l’esprit que l’activation à distance des appareils domotiques est considérée comme une arme de guerre. Nous devons donc envisager ce genre de dispositions avec une main tremblante.
M. Vincent Caure, rapporteur. À défaut de convaincre, je vais m’efforcer d’expliquer la logique qui sous-tend l’article 15 ter. Celui-ci prévoit la possibilité d’activer à distance un appareil électronique fixe pour procéder à une captation d’images et de sons, c'est-à-dire une nouvelle modalité d’utilisation d’une technique existante. Pour les services d’enquête, un tel dispositif présente un double intérêt opérationnel : une efficacité accrue et le renforcement de la sécurité des enquêteurs.
La captation d’images et de sons est une technique spéciale d’enquête déjà existante, qui est encadrée par des garanties applicables en procédure pénale : une autorisation judiciaire, délivrée par le juge des libertés ou le juge d’instruction, est nécessaire, et cette pratique est exclue dans certains lieux protégés, pour éviter toute atteinte au secret professionnel de certains métiers.
En outre, ces dispositions ne sont pas applicables aux appareils électroniques fixes, attachés à un lieu particulier et sont circonscrites aux personnes pénétrant dans un lieu déterminé, limitant ainsi le risque que les paroles ou l’image d’un tiers à la procédure soient captées. Enfin, un tel dispositif doit être entouré de garanties juridiques solides ; je n’ignore pas les décisions passées du Conseil constitutionnel, qui ont censuré de précédentes dispositions autorisant l’activation à distance d’appareils électroniques, mais qui n’ont pas interdit le recours à de tels procédés. Ainsi, le Conseil constitutionnel a validé l’activation à distance des appareils électroniques aux fins de géolocalisation.
L’activation à distance est donc juridiquement possible, dès lors qu’elle s’accompagne de garanties renforcées. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à assurer la robustesse juridique de ces dispositions en limitant leur périmètre d’application aux infractions les plus graves.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de cet article.
M. Michaël Taverne (RN). Tous ces propos sont affligeants ! Les avocats des criminels doivent se frotter les mains en écoutants nos débats.
Comment voulez-vous que les enquêteurs s’attaquent au haut du spectre ? Faites-leur confiance, d’autant qu’ils agissent sous la responsabilité d’un magistrat et d’un juge des libertés.
Vous parlez de proportionnalité et de nécessité, vous vous opposez à la possibilité de suivre un chef de gang grâce à une balise à distance, permettant de l’interpeller et de faire tomber son réseau criminel : dans quel monde vivez-vous ? Il n’est pas étonnant que nous soyons à la ramasse en la matière ! Les Italiens sont plus intelligents : depuis trente ans qu’ils s’attaquent à la criminalité organisée, ils ont obtenu des résultats, alors que nous en sommes à tergiverser au sujet des droits fondamentaux. Le ministre de l’intérieur a raison : réveillez-vous !
Vous dites que la technologie d’activation à distance est une arme de guerre, mais les masques à gaz sont aussi classifiés comme du matériel de guerre ! Soyons sérieux et donnons les moyens aux policiers de faire leur travail. La filière investigation est confrontée à un problème d’attractivité, ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on vous écoute ! Pensez-vous sincèrement que ce texte donnera envie aux policiers de démanteler les réseaux criminels ? Il leur donnera plutôt envie de tout laisser tomber et de nous laisser nous débrouiller.
Mme Sandra Regol (EcoS). Pour lutter contre le narcotrafic et frapper le haut du spectre, il faudrait doter la police et la justice d’outils de suivi des flux financiers ; c’est ce que prévoyait le rapport du Sénat et c’est ce qui devait présider à nos travaux. Au lieu de cela, cet article prévoit la possibilité d’écouter les proches de personnes ciblées et d’exploiter des failles de sécurité de matériels fixes.
Les dernières affaires impliquant ce type de matériel ont montré que des robots ménagers, fabriqués en série, étaient munis d’équipements de commande vocale et d’enregistrement, permettant à des hackeurs d’écouter les conversations de leurs propriétaires. En toute logique, nous devons condamner de telles pratiques. D’autres affaires concernaient des robots hackés pour proférer des propos racistes à leur propriétaire – cela plaira peut-être à certains.
À chaque fois que la sécurité de ces matériels est fragilisée, leurs propriétaires sont mis en danger ; or c’est précisément ce que prévoit l’article 15 ter en donnant la possibilité d’activer à distance les écoutes sur des matériels fixes.
En tout état de cause, le Conseil constitutionnel retoquera de nouveau ces dispositions : les garanties que vous proposez, monsieur le rapporteur, ne sont pas suffisantes.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je souscris aux différents propos de mes collègues du NFP.
Ce n’est pas parce que des garanties sont prétendument apportées que les dispositions sont acceptables. La même logique a prévalu pour la loi sur la sécurité globale : les drones ont été censurés, puis des garanties – qui n’en étaient pas – ont rendu le dispositif acceptable. Quelles que soient les garanties apportées, elles ne le seront que du point de vue rédactionnel et ne s’appliqueront pas.
Comme l’ont souligné de nombreuses associations, parmi lesquelles La Quadrature du net, il est inacceptable de légaliser, même indirectement, l’utilisation de logiciels espions comme ceux de NSO ou Parangon, ainsi que le permettrait l’article 15 ter.
J’invite tous nos collègues qui n’ont pas saisi le Conseil constitutionnel en 2023 à relire sa décision. Il serait dommage, pour une commission qui a souligné il y a deux semaines à peine l’amateurisme de M. Richard Ferrand, de lui offrir l’opportunité de se présenter comme le défenseur des libertés fondamentales, alors même que nous devrions le mettre en difficulté s’agissant d’autres dispositions.
Par ailleurs, le rapport du Sénat estime que « le renseignement humain demeure[ant] la clé de voûte des investigations ». La discussion que nous avons eue au sujet des repentis montre que le renseignement humain est le plus utile et décrédibilise tous les autres dispositifs de surveillance prévus dans ce texte. Mis à part violer la vie privée et la liberté d’expression, on ne voit pas ce que l’adoption de cet article apporterait à la lutte contre le narcotrafic.
Enfin, il est inacceptable que la qualification d’association de malfaiteurs s’applique aux militants écologistes.
M. Sacha Houlié (NI). Je considère les ajouts sénatoriaux comme des cavaliers législatifs ; leur inconstitutionnalité pourrait être constatée à ce seul titre, ou à tout le moins relevée d’office en cas de déferrement au Conseil constitutionnel du texte voté.
Par ailleurs, l’article 15 quater prévoit des limites qu’aucun d’entre nous n'a trouvé utile d’ajouter à l’article 15 ter, ce qui signifie que les conversations des personnes protégées par le secret professionnel – avocats, médecins, magistrats – pourraient être écoutées et retranscrites sans aucune autre forme de protection.
Le considérant 68 de la décision du Conseil constitutionnel que j’ai déjà évoqué critiquait, dans le précédent dispositif qui est reproduit à l’article 15 quater, l’énumération de très nombreuses infractions. Or l’amendement CL600 du rapporteur, qui tente de blanchir – si je puis dire – la disposition prévue, reprend plus de la moitié des infractions visées à l’article 706-73 du code de procédure pénale. Le nombre d’infractions qui seraient concernées par la technique spéciale d’enquête est donc largement disproportionné et s’expose à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Monsieur Taverne, il est inutile de vociférer : les officiers de police judiciaire connaissent l’État de droit et le défendent, souvent mieux que vous. La France n’est pas à la ramasse, comme nous l’avons prouvé hier. Il serait préférable de vous abstenir de donner des leçons plutôt que de dire autant d’âneries sur les techniques spéciales de renseignement ou sur le traitement algorithmique des données. Heureusement, nous n’avons pas attendu que vous votiez les projets de loi de finances pour donner des moyens à la police et au renseignement, car nous attendrions encore !
M. Vincent Caure, rapporteur. Les techniques spéciales d’enquête ont précisément pour but de compléter les moyens humains, afin que les policiers puissent mener des enquêtes sur des réseaux particulièrement violents et dans un cadre très complexe.
Par ailleurs, l’article 706-96-1 du code de procédure pénale détaille les professions et les lieux qui sont protégés de toute écoute – le domicile d’un journaliste, le cabinet d’un médecin, d’un notaire ou d’un huissier, les locaux d’une juridiction.
Nous sommes tous attachés à la conformité constitutionnelle. La réécriture que je vous propose avec l’amendement CL600 restreint le champ des infractions concernées aux infractions les plus graves relevant de la délinquance et de la criminalité organisées, conformément à la décision du Conseil constitutionnel censurant l’activation à distance aux fins de captation de sons et d’images en raison d’un champ infractionnel trop large.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 15 ter est supprimé et l’amendement CL600 de M. Vincent Caure tombe.
Article 15 quater (nouveau) (articles 706-99 et 706-100 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Activation à distance d’un appareil électronique mobile aux fins d’enregistrement de l’image et du son
Amendements identiques de suppression CL54 de M. Antoine Léaument, CL188 de Mme Sandra Regol, CL214 de Mme Colette Capdevielle et CL318 de Mme Elsa Faucillon.
Mme Sandra Regol (EcoS). De nombreux arguments précédemment évoqués peuvent être à nouveau convoqués pour justifier la suppression de cet article, qui concerne les appareils mobiles – tels que des dispositifs médicaux ou des appareils auditifs.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Par une heureuse cohérence, mon amendement vise également à supprimer cet article.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons qu’à l’article précédent. L’article 15 quater concerne les appareils mobiles, dans un cadre juridique renforcé et plus protecteur : la durée d’application des dispositifs est limitée ; l’utilisation de ce procédé est subsidiaire, c’est-à-dire qu’il ne peut être mobilisé en premier recours ; l’exigence de motivation est renforcée.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 15 quater est supprimé et les amendements CL601 de M. Vincent Caure, CL241 de M. Michaël Taverne et CL599 de M. Vincent Caure tombent.
Article 16 (articles 194, 230-33, 706-95, 706-102-3, 706-104 et 706-104-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Possibilité de recourir à un procès-verbal distinct
Amendements identiques de suppression CL57 de M. Ugo Bernalicis, CL120 de M. Jérémie Iordanoff, CL215 de Mme Colette Capdevielle, CL319 de Mme Émeline K/Bidi et CL469 de Mme Naïma Moutchou.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 16 tend à créer un dossier coffre, dans lequel seraient rassemblés les procès-verbaux relatifs à certaines techniques d’enquête dites spéciales, ayant permis d’obtenir des informations.
Avec mon corapporteur Ludovic Mendes, nous avons étudié cette proposition avec attention et il nous est apparu qu’elle allait trop loin, puisqu’elle remet en cause l’article préliminaire du code de procédure pénale : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. […] Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. »
La défense a le droit de connaître les éléments ayant conduit à une mise en accusation. Si une partie de ces éléments a été produite de manière frauduleuse, il doit en avoir connaissance pour faire annuler une partie des actes d’accusation. C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer l’article 16.
M. le président Florent Boudié. Je vous propose de lever la séance maintenant, ce qui nous permettra d’aller voter dans l’hémicycle.
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La séance est levée à 19 heures 45.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Paul-André Colombani, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Sébastien Delogu, M. Jocelyn Dessigny, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, M. Roger Vicot, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan
Excusés. – Mme Andrée Taurinya
Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Blanchet, M. Sacha Houlié, M. Emmanuel Mandon