Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la refondation de Mayotte (n° 1470) (M. Philippe Vigier, rapporteur général, M. Philippe Gosselin, Mme Agnès Firmin Le Bodo et Mme Estelle Youssouffa, rapporteurs) et du projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au Département Région de Mayotte (n° 1471) (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure) : examen des articles 2
Mercredi
11 juin 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 75
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Florent Boudié,
président
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La séance est ouverte à 9 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine les articles[1] du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la refondation de Mayotte (n° 1470) (M. Philippe Vigier, rapporteur général, M. Philippe Gosselin, Mme Agnès Firmin Le Bodo et Mme Estelle Youssouffa, rapporteurs) et du projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au Département Région de Mayotte (n° 1471) (Mme Estelle Youssouffa, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Nous allons commencer l’examen des articles du projet de loi. J’ai accepté la demande des membres du bureau de la commission d’examiner en premier lieu l’article 1er, qui renvoie à un rapport annexé de nature politique et non normative. Il n’en sera peut-être pas de même en séance, le gouvernement en décidera.
Par ailleurs, les amendements visant à demander des rapports, qui sont toujours très nombreux, seront examinés à la fin de nos débats pour les rendre plus fluides.
Enfin, les amendements normatifs déposés sur le rapport annexé ont été déclarés irrecevables.
TITRE IER
OBJECTIFS DE L’ACTION DE L’ÉTAT POUR MAYOTTE
Article 1er : Approbation du rapport annexé
Amendement CL204 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à prévoir non seulement l’approbation du rapport annexé, qui constitue le volet programmatique du présent projet de loi, mais également la mise en place d’un mécanisme de suivi annuel, sur la base des crédits et des autorisations d’engagement votés chaque année dans le cadre du projet de loi de finances.
Le rapport annexé constitue un document programmatique fondamental. Il fixe les grandes orientations de la refondation de Mayotte et formule des engagements concrets à l’égard de la population. Pour les Mahoraises et les Mahorais, ces promesses n’ont de valeur que si elles sont suivies d’effets réels et mesurables. Trop souvent, des annonces ont été faites sans traduction tangible sur le terrain, nourrissant un profond sentiment de défiance envers l’État et ses représentants.
L’évaluation annuelle constitue donc une exigence de clarté, de constance et de justice à l’égard d’un territoire trop longtemps relégué aux marges de la République. Elle est la condition d’un renforcement durable du lien entre l’État et les citoyens mahorais.
M. Philippe Vigier, rapporteur général et rapporteur pour le titre Ier. Nous partageons votre exigence de suivi et de contrôle des efforts particuliers et massifs consentis par l’État ; soyez convaincu que nous y répondrons.
Deux éléments de réponse. D’abord, l’alinéa 303 du rapport annexé prévoit déjà que la programmation annuelle des investissements sera présentée au Parlement avant le 31 décembre 2025. Par ailleurs, j’ai déposé un amendement pour que le comité de suivi, dont seraient membres des parlementaires mais aussi des élus locaux, soit créé dans la loi : celui-ci devra rendre un premier rapport intermédiaire avant le 1er juillet 2028. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement CL366 de Mme Dominique Voynet
Mme Dominique Voynet (EcoS). Au cours du texte, les habitants de Mayotte sont qualifiés, à plusieurs reprises, de Mahorais. On voit bien quelle tentation cela peut révéler.
Or tant les Mahorais que les personnes qui travaillent à Mayotte, que ce soit à l’hôpital ou dans les écoles, ont été frappés par le cyclone Chido. L’île compte beaucoup de mouzoungous comme on dit à Mayotte. Il serait donc rusé de remplacer Mahorais par habitant de Mayotte à chaque fois que cela est possible. Cet amendement vise à procéder à cette modification dans l’intégralité du rapport annexé, à l’exception de l’alinéa 7 qui fait référence au choix des Mahorais pour la France.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Ce qui nous anime c’est d’améliorer la qualité de vie au quotidien des Mahorais, et donc des habitants de Mayotte. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL45 de M. Jean-Hugues Ratenon
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Par cet amendement, les députés du groupe LFI-NFP souhaitent rappeler la responsabilité des gouvernements successifs, tant dans la catastrophe sociale qui frappe Mayotte depuis des décennies que dans l’impréparation de ce territoire face aux aléas climatiques, tels que le cyclone Chido.
Cet amendement vise à compléter la seconde phrase de l’alinéa 3 par les mots : « qui subissent des années de délaissement de l’État français ».
M. Philippe Vigier, rapporteur général. J’ai examiné votre amendement avec le plus grand intérêt. Vous soulignez le délaissement de l’État. Nul n’ignore ici les retards importants que connaît Mayotte. Ce département, le plus jeune de France et qui doit faire face à des enjeux exceptionnels – climatiques, migratoires et économiques –, est celui qui a le plus souffert. Néanmoins, on ne peut pas dire que l’État a abandonné Mayotte. Eu égard aux sommes d’argent qui ont été mises sur la table depuis de longues années, ce serait mentir et travestir les chiffres.
Le présent projet de loi traite de la question non seulement de l’immigration, mais également du sujet de la convergence sociale, attendue depuis longtemps. Il comporte également des éléments structurants et prévoit les évolutions institutionnelles du département qui deviendra une région, ainsi que le réclament les élus locaux.
Par ailleurs, en 2024, 100 millions d’euros supplémentaires ont été alloués aux dépenses sociales, notamment à la protection maternelle et infantile (PMI) et à l’aide sociale à l’enfance. Cet exemple prouve à lui seul que nous avons été en mesure de réagir. Ce texte vise à rattraper les retards en apportant une réponse forte pour les dix prochaines années, à tout le moins. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL347 de Mme Elsa Faucillon et CL368 de Mme Dominique Voynet (discussion commune)
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Certes, vous n’aimez pas entendre que l’État français a abandonné Mayotte, mais de là à dire qu’il l’a pleinement soutenu et qu’il a été à ses côtés… Oui, c’est un jeune département comparé aux autres départements français. Cela étant, Mayotte n’est pas devenue française il y a trois ans. C’est l’absence de réalisation de toute une série d’actions qui a conduit à la situation actuelle. On peut toujours se voiler la face avec ce projet de loi de programmation qui, du reste, n’en est pas tout à fait un, les choses sont ce qu’elles sont.
Nous proposons donc de préciser que l’État n’a été que partiellement au rendez-vous ; et cette formule est plutôt gentille.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Nous avons tenté de nuancer l’alinéa 5 s’agissant de la capacité de l’État à « répondre aux urgences immédiates ». Si la volonté existait, la capacité à répondre concrètement aux besoins en matière de fourniture d’eau et d’électricité, et à libérer les voies de circulation n’a pas toujours été au rendez-vous. Il ne s’agit pas d’une critique de l’État, le cyclone Chido a effectivement été exceptionnel et a laissé des traces considérables.
Néanmoins, il n’est pas raisonnable de laisser penser que tout a été fait comme cela aurait dû l’être. Nous aurons besoin d’un retour d’expérience (Retex) sérieux et d’acquérir la culture de crise qui nous manque.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer. J’ai le souci d’entendre tous les députés pour que nous puissions avancer ensemble. Le gouvernement en est conscient, le dossier est très complexe et les réponses qu’il faut apporter à ces crises ne sont jamais simples.
La question n’est pas pour moi d’assumer ou pas tout ce qui a été fait, ou pas. Vous auriez pu d’ailleurs déposer des amendements visant à saluer l’action de Nicolas Sarkozy, qui a permis la départementalisation de Mayotte, ou le vote quasi unanime de l’Assemblée nationale en faveur de cette mesure ; ou d’autres tendant à critiquer ou à saluer le plan Mayotte 2025, que j’ai moi-même signé, lancé par le président Hollande lorsqu’il s’est rendu sur place ; ou d’autres, enfin, visant à revenir sur les raisons pour lesquelles toutes les mesures de ce plan n’ont pas été mises en œuvre dans les années qui ont suivi. Chacun est libre de déposer les amendements qu’il souhaite.
Nous sommes en train d’examiner le deuxième texte relatif à la crise Chido. Hier, j’ai précisé que 500 millions d’euros de dépenses d’urgence avaient été engagées en décembre et en janvier, qu’un fonds d’amorçage pour les collectivités territoriales de 100 millions d’euros avait été créé, que le fonds de secours outre-mer avait été abondé de 15 millions d’euros à destination de la filière agricole et que 22,8 millions d’euros d’aides avaient été versés aux entreprises. J’ai parlé de ce que nous sommes en train de mettre en œuvre, du bataillon militaire qui a été mobilisé, du travail qui a été engagé pour apporter une réponse sanitaire. Tout cela est loin d’être parfait. Vous l’avez dit, il y a encore des manques. En tout cas, l’État est mobilisé.
La vraie question pour moi est de savoir comment tirer toutes les leçons des difficultés que Chido a révélées et comment répondre aux manques criants que chacun a constatés. Je ne détiens pas aucune vérité. Certains présentent de manière catégorique ce qui aurait pu être fait. Or le problème vient du retard et des raisons de ce retard dans la mise en œuvre de l’égalité concrète que la départementalisation, qui est la grande attente des Mahorais depuis des décennies, devait permettre. Le débat étant néanmoins essentiellement sémantique et politique, je donnerai un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis défavorable. Pour avoir promu le plan Eau et l’avoir hissé à son niveau actuel, je peux vous assurer que l’État est au rendez-vous. Une fois qu’on a fixé un objectif, il convient de l’atteindre. Or, en matière de soutien à l’ingénierie, par exemple, il reste beaucoup à faire.
Avec beaucoup d’humilité, nous pouvons dire qu’avec ces deux projets de lois, tous deux examinés en moins de six mois et comportant des engagements financiers considérables, nous nous donnons les moyens d’agir – je parle sous le contrôle de Mme Voynet, qui a exercé des responsabilités importantes à Mayotte. Nous devons néanmoins être exigeants, et veiller à l’exécution de ces engagements et à l’atteinte des objectifs que nous aurons fixés ensemble.
La commission adopte l’amendement CL347 et rejette l’amendement CL368.
Elle adopte l’amendement CL408 rédactionnel de M. Philippe Vigier, rapporteur général.
Amendement CL367 de Mme Dominique Voynet
Mme Dominique Voynet (EcoS). Il s’agit d’un amendement de cohérence qui vise à déplacer l’alinéa 10 après l’alinéa 19 qui dresse la liste des engagements que prend l’État pour « garantir l’accès aux Mahorais aux biens et ressources essentiels » – eau potable, souveraineté alimentaire, offre de soins, etc. L’alinéa 10, qui traite de la gestion des déchets, est inséré entre un alinéa relatif au patrimoine naturel de Mayotte et un autre concernant la jeunesse.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Nous partageons le même objectif : il faut réduire la part d’enfouissement à Mayotte. Néanmoins, c’est bien l’intégralité du rapport qui recense les engagements de l’État et pas seulement le paragraphe que vous visez : il n’est donc pas nécessaire de modifier la structure comme vous le proposez. Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL333 de Mme Elsa Faucillon.
Amendement CL335 de Mme Elsa Faucillon
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Mayotte subit une véritable crise de l’eau et manque d’infrastructures en la matière. Du reste, il est dommage que les moyens dévolus à ces infrastructures figurent dans le rapport annexé ; nous aurions souhaité que ces mesures visant à sortir Mayotte de la crise économique et sociale aient une valeur normative. Si l’on avait investi dans les infrastructures pour apporter de l’eau potable à tous les Mahorais, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis défavorable. Vous le savez, je me suis beaucoup occupé de la crise de l’eau. Oui, nous sommes en retard sur les investissements. Cela étant, la compétence, s’agissant de l’eau, relève des collectivités locales. Oui, nous sommes en retard sur les forages. Néanmoins, lors de l’été 2023, nous avons quadruplé le nombre de forages réalisés.
Par ailleurs, nous recherchons depuis longtemps l’emplacement de la troisième réserve collinaire qu’il est indispensable de créer. Durant l’été 2023, l’une des deux retenues existantes était remplie à 4 %.
S’agissant de l’usine de désalinisation, nous avons porté la production de 7 500 mètres cubes d’eau potable par jour à 10 000. Il reste que sa capacité est de 20 000 mètres cubes alors qu’il faudrait en produire entre 40 000 et 45 000 par jour. Il n’y avait donc plus qu’une solution : fournir des bouteilles d’eau.
Enfin, il y a le problème des fuites dans les canalisations – le ministre a rappelé hier que de nombreuses fuites avaient d’ores et déjà été colmatées.
Tous ces retards sont devant nous. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi prévoit 730 millions d’euros d’investissement en faveur de l’eau. Il appartient à présent aux autorités locales d’agir, avec l’accompagnement de l’État et du syndicat Les Eaux de Mayotte (Lema). Un cercle vertueux va être enclenché afin que la crise de l’eau relève désormais du passé.
M. Yoann Gillet (RN). On ne pourrait que s’en féliciter, monsieur le rapporteur général. Les Mahorais se sont soulevés contre la pénurie d’eau. Les solutions présentées, hier ou aujourd’hui, ne permettent cependant pas d’apporter de l’eau aux Mahorais tout de suite, maintenant. Or tout de suite, maintenant, les Mahorais n’ont pas tous accès à l’eau.
Anchya Bamana vous a proposé, monsieur le ministre, un projet de bateau de désalinisation qui permettrait tout de suite, maintenant de répondre aux besoins de la population dans l’attente de la construction de la nouvelle usine. À ce jour, vous ne lui avez fait aucun retour. Il faut prendre conscience de la situation et écouter les parlementaires mahorais. Ma collègue se tient à votre disposition. Elle vous a rappelé à de nombreuses reprises qu’il existe des solutions pour que les Mahorais aient accès à l’eau : les Mahorais sont des Français et les Français ont le droit d’avoir de l’eau potable.
M. Manuel Valls, ministre d’État. L’eau est un sujet compliqué et la situation ne s’est pas améliorée avec le passage du cyclone Chido. À chaque fois que je me suis rendu à Mayotte, j’ai participé à des réunions de travail avec l’ensemble des acteurs.
Le projet de loi prévoit les dispositifs attendus depuis un certain temps. Certes, leur mise en œuvre nécessitera un peu de temps – même si, selon le préfet, les expropriations en lien avec la troisième retenue collinaire pourront être accélérées. Il faut avancer sur la construction de la deuxième usine, sur la réalisation de la troisième retenue, sur les nouveaux forages et la réparation des canalisations. Certaines situations restent en effet très difficiles.
Ensuite, nous examinons des solutions qui permettront, au cours des prochains mois et des trois prochaines années, de parer au risque d’une crise de l’eau, au-delà des améliorations du quotidien qui ont déjà été apportées. Aujourd’hui, nous sommes plutôt rassurés mais la situation peut évoluer. La captation d’eau est ainsi envisagée.
J’ai reçu Mme Bamana, qui était accompagnée des promoteurs du projet parmi lesquels Charles Millon, ancien président du conseil régional de Rhône-Alpes. Le projet qu’elle a présenté n’était pas inintéressant mais son plan de financement repose à 100 % sur l’État ; en outre, ce navire n’existe pas encore. L’État devrait donc investir 45 millions d’euros pour la construction du bateau puis 35 millions d’euros par an pour son fonctionnement, ce qui représente un certain coût. Or je ne doute pas un seul instant que vous soyez attentifs aux deniers de l’État et à l’efficacité du projet.
Je n’ai pas balayé d’un revers de main la proposition de Mme Bamana qui est très engagée sur ce sujet mais vu qu’elle repose sur un financement à 100 % par l’État nous devons l’examiner de près. Je respecte le travail réalisé mais je suis obligé d’étudier au préalable d’autres projets susceptibles d’être les plus efficaces possible. Cela étant, je suis bien conscient de la difficulté.
M. Yoann Gillet (RN). Il existe des solutions qui permettraient au bateau de fonctionner très rapidement. Vous ne pouvez ajourner l’examen du projet au prétexte qu’il coûterait 45 millions d’euros. Je vous rappelle que les Mahorais n’ont pas accès à l’eau potable. Je propose qu’on coupe l’eau au ministère des outre-mer tant que les Mahorais n’auront pas accès à l’eau. On verra combien de temps vous tiendrez.
M. Philippe Gosselin (DR). Le projet de troisième réserve collinaire se heurte à des difficultés foncières qui durent depuis un certain temps ; c’est un vrai sujet. Les propriétaires opposent une résistance ; je la comprends dans un certain nombre de cas. Cela étant, rappelons que l’intérêt collectif est supérieur à l’intérêt personnel.
Au cours des débats sur ce texte, et pas uniquement lors de l’examen de l’article 19, nous reviendrons sur cette question.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Sur la question de l’eau, l’honnêteté commande de le reconnaître : nous n’en sommes pas arrivés à cette situation en cinq ans. On peut dire qu’il a été procédé à des sous-investissements durant des décennies. Quant aux investissements aujourd’hui annoncés, soyons lucides, ils ne permettront pas, lorsqu’ils porteront leurs fruits dans quelques années, de mettre un terme aux coupures d’eau car ils ne couvriront pas les besoins actuels – hors progression démographique.
Dans le cadre du mix hydrique qui doit être mis en œuvre – la désalinisation ou les retenues collinaires ne sauraient suffire à elles seules – la récupération de l’eau de pluie dans les maisons individuelles doit être envisagée. Lors de l’examen de la loi d’urgence pour Mayotte, j’avais proposé de rendre automatique l’installation de collecteurs d’eau de pluie dans les foyers mahorais. Cela ne me paraissait pas complètement idiot en période de reconstruction. Or le gouvernement a émis un avis défavorable sur mon amendement. Si le gouvernement n’envisage pas toutes les solutions à un problème, il ne peut alors prétendre qu’on lui fait un faux procès.
Enfin, je rappelle que les Mahoraises et les Mahorais ont accès à l’eau du robinet quelques jours seulement. Ils paient donc de leur poche des bouteilles d’eau.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. S’il y a des propositions qui permettent d’apporter une réponse immédiate, monsieur Gillet, tout le monde les regardera avec bienveillance. Il faudra simplement s’assurer qu’elles fonctionnent bien. En 2023, on m’a expliqué qu’une usine de désalinisation serait opérationnelle en l’espace de vingt-quatre mois et qu’elle coûterait 30 millions d’euros ; or elle coûtera finalement 80 à 100 millions et, sur place, nous nous sommes heurtés à plusieurs reprises à un problème d’expropriation. L’implantation du projet de troisième retenue collinaire a fait l’objet d’études pendant cinq ans mais les réserves existantes d’eau, qui étaient remplies à 4 % et 8 %, le sont aujourd’hui à 100 % et 95 %. Estelle Youssouffa a raison : il faut pouvoir produire 50 000 mètres cubes.
Tout cela n’est pas simple car le pompage de l’eau de mer peut avoir des conséquences environnementales. Comme vous, je considère que les tours d’eau ne sont pas acceptables mais je vous invite à regarder ce qui a été fait : j’ai diligenté le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour accélérer la campagne de forages. Nous en avons triplé le nombre, sachant que sur dix, il n’y en a parfois qu’un ou deux qui fonctionne. Nous nous sommes donné les moyens et sommes mêmes parvenus, avec la sécurité civile, à rendre potable l’eau de rivières grâce à de petits sachets individuels distribués aux enfants des écoles.
Nous aurons besoin de toutes les intelligences et de toutes les énergies pour faire en sorte que l’indispensable soit réalisé. Croyez bien que nous serons au rendez-vous ; j’imagine que vous le serez aussi.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL142 de M. Aurélien Taché et CL338 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Mayotte connaît une situation catastrophique ; 77 % des habitants y vivent sous le seuil de pauvreté. Or nous constatons, sans grand étonnement, que la question des migrations sert à expliquer, tout au long du texte, les problèmes que rencontre l’île. Onze articles y sont consacrés tandis que quatre seulement portent sur les questions de santé – alors qu’il n’y a qu’un seul hôpital public.
Nous proposons un changement de stratégie, considérant qu’il ne s’agit pas d’enfermer y compris des enfants en centre de rétention – ce pour quoi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France – mais de mettre en œuvre immédiatement des mesures de convergence sociale, écologique et économique.
Vous me direz que les habitants de Mayotte prônent les mesures de lutte contre l’immigration. Ce n’est pas étonnant, vu que c’est à peu près la seule réponse politique qui est apportée – sachant que les lois et règlements d’exception en vigueur à Mayotte sur les questions migratoires ne règlent rien.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Il m’a été indiqué hier que le gouvernement ne donnait pas la priorité à la lutte contre l’immigration même si, dans le texte, ce qui relève du développement n’a pas de portée normative, contrairement à ce qui relève de la lutte contre l’immigration.
À la lecture du rapport annexé, on constate néanmoins que le gouvernement établit bien une hiérarchie : il souhaite d’abord lutter contre l’immigration et l’habitat insalubre – ce qui, pour lui, revient peu ou prou au même – avant de développer Mayotte. Nous n’acceptons pas cette logique qui revient à faire une fausse promesse aux Mahorais. Vous savez pertinemment qu’il n’existe pas de solution miracle au problème de l’immigration : attendre qu’il soit réglé pour s’attaquer au problème suivant, c’est condamner la population à la pauvreté.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis défavorable ; nous avons là une divergence forte. À Mayotte, un habitant sur deux environ est immigré. Aucun de nos territoires ultramarins ne connaît une immigration aussi massive et celle-ci n’est pas soutenable pour nos services publics. Il faut que nous puissions la freiner, en particulier lorsqu’elle est clandestine – on sait bien que l’immigration zéro n’existe pas. Les Mahoraises et les Mahorais nous demandent de ne pas les abandonner.
Ce serait cependant faire un mauvais procès au gouvernement que d’affirmer que le texte ne comporte qu’un volet immigration. Jamais un plan aussi massif n’a été présenté pour Mayotte ; il apporte une réponse en matière d’évolution institutionnelle comme de convergence sociale.
L’immigration peut être une chance à certains endroits, lorsqu’elle est régulée, mais en l’occurrence elle ne l’est pas.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Mme la députée Martin ne souhaite pas que figure dans le rapport annexé cette phrase : « La pression démographique – exercée principalement par l’immigration clandestine – constitue un facteur majeur de déstabilisation du territoire qui met directement en péril la paix civile et la cohésion sociale à Mayotte, affaiblit les services publics et dégrade la qualité de vie des Mahorais. » Or refuser ce constat, c’est méconnaître la réalité de la situation de l’île.
S’il y a plus d’articles consacrés à l’immigration qu’à la santé, c’est parce que nous avons des marges de manœuvre sur le cadre juridique de la première tandis qu’il n’est pas besoin d’articles de loi pour construire un hôpital. Le gouvernement s’engage sur le plan des moyens financiers – à hauteur de 4 milliards d’euros – et sur celui des projets, alors que ni les uns ni les autres n’avaient été précisés jusqu’alors.
Enfin, le titre du projet de loi comprend les mots « pour la refondation de Mayotte ». En faisant porter le débat uniquement sur l’immigration, vous niez les mesures de convergence sociale dont nous allons discuter, qui répondent à une attente forte des Mahorais.
J’émets donc un avis défavorable aux deux amendements. Vous nous faites un faux procès en niant la réalité de l’immigration et en faisant semblant d’oublier ce à quoi le gouvernement s’engage avec de texte de loi.
M. Yoann Gillet (RN). Avec ces amendements, l’extrême gauche tente de gommer toute référence à la submersion migratoire, alors qu’il s’agit du principal problème des Mahorais et que, même s’il n’est pas le seul, il accentue les autres.
Notre collègue d’extrême gauche prétend que, la législation d’exception n’étant pas opérante, le renforcement des mesures de lutte contre l’immigration ne servirait à rien. Or la législation applicable aujourd’hui à Mayotte est bien trop timorée. Elle ne suffit pas, c’est du « en même temps » ! Au Rassemblement national, nous demandons, comme les Mahorais, une vraie politique migratoire de fermeté et sans détour. Il faut que Mayotte retrouve des frontières et que celles-ci soient maîtrisées – et ce n’est pas avec un petit radar que l’on réglera le problème : même lorsque l’ensemble des radars étaient en service, toutes les côtes n’étaient pas couvertes. Il faut taper du poing sur la table, renvoyer systématiquement les clandestins et entamer un véritable bras de fer avec les Comores, qui poussent leurs ressortissants à migrer pour des raisons géopolitiques.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous ne nions pas la réalité, nous disons deux choses : d’abord, qu’il faut changer de stratégie car le fait de repousser les personnes sans respecter leur dignité ni créer de conditions dignes d’accueil ne réglera rien ; ensuite, qu’il y a là une question d’honnêteté. En quoi l’immigration est-elle responsable du fait que 21 % des logements sont précaires et ne disposent ni d’eau ni d’électricité ? En quoi est-elle responsable du fait qu’il n’y a qu’un seul hôpital ?
Vous dites comme toujours que le problème, ce sont les Comoriens, mais Mayotte souffre en réalité d’un délaissement de la part de la métropole depuis des années. La traversée cause 10 000 morts par an. Nous ferions bien mieux d’utiliser autrement l’argent que vous souhaitez consacrer aux technologies de surveillance.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je ne nie pas l’importance du phénomène migratoire à Mayotte, ni ses effets, mais c’est sur la hiérarchie des sujets que nous avons un différend profond : je refuse que l’on fasse primer la lutte contre l’immigration sur la lutte contre la pauvreté.
Si l’on ne lutte pas contre la pauvreté, ceux qui peuvent quitter Mayotte s’en iront. Je suis bien placée pour le savoir car ceux qui ont les moyens de s’acheter un billet d’avion viennent à La Réunion. J’aimerais quant à moi qu’ils ne soient plus contraints à l’exil et qu’ils puissent vivre dignement dans leur territoire. Si vous commencez par lutter contre l’immigration, il n’y aura plus de Français à Mayotte lorsque vous entamerez enfin la lutte contre la pauvreté.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il faut dire les choses clairement : la priorité est effectivement la lutte contre l’immigration clandestine, car celle-ci sature tous les services publics. Vous dites, depuis votre piédestal moral, vouloir lutter contre la pauvreté. Or celle-ci est d’abord celle des migrants comoriens. Il n’est pas possible de lutter contre la pauvreté sans lutter contre l’immigration comorienne. Après le cyclone, les services publics sont allés d’abord vers les habitants des bidonvilles, en majorité étrangers ; cela a posé de très lourds problèmes.
Lorsque vous dites qu’il faut absolument reloger les migrants qui occupent des écoles, alors qu’il n’y a plus un seul bâtiment debout, je m’excuse de vous le dire chère collègue, mais vous êtes sur Mars ! Vous ne comprenez pas la réalité de l’insularité : l’île ne fait que 375 kilomètres carrés et ne peut plus accueillir toute la misère du monde ! Nous n’avons plus d’eau ni d’abris mais vous voudriez qu’on laisse les frontières grandes ouvertes. Il faudrait que Mayotte continue d’accueillir les migrants dont ni la métropole ni La Réunion ne veulent ! Vous faites abstraction de l’instrumentalisation des flux migratoires organisée par les Comores. Par vos amendements, dont l’un tendait à remplacer les Mahorais par les habitants de Mayotte, vous souhaitez donner plus de droits aux étrangers pour valider la stratégie de conquête par l’immigration orchestrée par les Comores. Assumez vos propos : vous êtes la cinquième colonne des Comores à l’Assemblée nationale et vous voulez utiliser le texte pour faciliter la prise de contrôle de notre île.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Le sujet est trop grave, madame Martin, pour citer des chiffres erronés. Je ne peux pas vous laisser dire, par ailleurs, que le texte comporte uniquement un volet immigration car c’est faux. Nous allons inscrire dans la loi, et non pas seulement dans une ordonnance, une trajectoire de convergence sociale dès le 1er janvier 2026. Si nous refondons le territoire avec les 4 milliards d’euros annoncés par M. le ministre d’État mais que nous laissons ouvertes les vannes de l’immigration, nous n’y arriverons pas !
Mayotte est un département depuis 2011 et personne ne peut contester le retard pris en termes d’investissements, mais reconnaissez que les efforts sont bien présents aujourd’hui. Nous défendons simultanément les quatre exigences, car c’est ainsi que nous nous en sortirons – vous pourriez d’ailleurs vous réjouir que nous actions enfin la construction du deuxième hôpital tant promis.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL64 de Mme Anchya Bamana
Mme Anchya Bamana (RN). Je propose de compléter l’alinéa 16 car, pour effectuer le travail de planification, nous devons connaître la population de Mayotte et la stabiliser. Qui construit sa maison sans savoir s’il s’agira d’une habitation familiale, d’une auberge ou d’un camping ? C’est pourtant l’exercice auquel il faut se livrer quand on ne connaît pas le nombre d’habitants ! Cet exemple vaut pour tous les sujets : eau, insécurité, utilisation des terres constructibles ou agricoles, santé et enseignement.
Tant que nous ne mettrons pas les moyens nécessaires pour que la France se fasse respecter dans l’océan Indien, nous pourrons toujours discuter, planifier, financer et faire venir des fonctionnaires de métropole, nous serons des Sisyphe. La jugulation de l’immigration est un enjeu de souveraineté pour la France et un droit pour les Mahorais.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. J’émets un avis défavorable mais je sais que nous partageons le souhait de refonder Mayotte. Vous m’accorderez que nous déployons des moyens considérables pour nous doter d’outils de détection et d’interception, après qu’un grand nombre ont été détruits par le cyclone. Le but est d’avoir un rideau de fer le plus important possible.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis que le rapporteur.
Je voudrais revenir sur le chiffre évoqué précédemment par Mme Martin : selon les estimations, les chiffres varient entre 7 000 et 10 000 morts depuis 1995, et non par an. Chaque année, sous la coordination du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross), les services de l’État sont engagés sur les chavirements de kwassa-kwassa. Chaque mort est évidemment un mort de trop et un drame, mais je tenais à rappeler ces chiffres pour que nous sachions exactement ce dont nous parlons.
M. Yoann Gillet (RN). Les radars et les drones sont des outils nécessaires de protection des frontières, que nous réclamons depuis longtemps, mais je voudrais rappeler quelques vérités. Le plan global de sécurité, de prévention de la délinquance et de lutte contre l’immigration clandestine annoncé en 2016 n’a jamais été réellement mis en œuvre et les radars qu’il prévoyait ne sont jamais arrivés. En 2022, au sein de notre commission, Gérald Darmanin promettait la livraison, au plus tard en 2024, de nouveaux drones. Quelques mois plus tard, j’ai pu constater qu’ils n’avaient été ni livrés ni même commandés. Les gouvernements successifs n’ont rien fait en la matière.
J’espère qu’une prise de conscience va enfin s’opérer mais les propos qu’a tenus hier le ministre d’État ne sont pas de nature à nous rassurer : visiblement, le gouvernement continue de considérer qu’il n’est pas nécessaire que les radars couvrent l’intégralité des côtes. Or cela est bien nécessaire pour lutter contre l’immigration irrégulière mais aussi pour pouvoir sauver les migrants qui tentent la traversée.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL449 de M. Philippe Vigier
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je remercie mes collègues corapporteurs, qui ont tous signé cet amendement important.
Initialement, le sujet de la convergence sociale était renvoyé à une ordonnance. Mais nous souhaitons apporter une réponse forte aux Mahorais : pour cela, nous proposons d’inscrire dans le rapport annexé que le montant du Smic net y est porté à 87,5 % du niveau national dès le 1er janvier 2026. Pour accompagner les entreprises, nous élargirons à Mayotte le dispositif d’exonération de cotisations patronales pour les employeurs d’outre-mer, dit Lodeom – l’île est en effet aujourd’hui le seul territoire ultramarin dans lequel il ne s’applique pas. Je souhaite que chacun mesure l’effort que le gouvernement fait ainsi au niveau interministériel, auquel Manuel Valls a aussi pris toute sa part.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous proposez deux évolutions substantielles. S’agissant du Smic, votre proposition correspond à l’engagement qu’avait pris le gouvernement dans le but de favoriser le travail, tout en étant lucide sur la situation économique et sociale. Le gouvernement partage aussi votre objectif s’agissant du dispositif Lodeom : il correspond au schéma annoncé dans l’étude d’impact. J’émets donc un avis favorable à cet amendement.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Cette mesure est effectivement attendue car il n’est pas normal que le salaire minimal soit différent dans l’un des départements français. Quand bien même les entreprises seront soutenues par l’État, c’est cependant sur elles que pèsera essentiellement cette mesure. À la convergence, je préférerais quant à moi l’égalité – qui n’existe toujours pas –, y compris en matière de prestations sociales. Qu’en est-il des dispositifs de solidarité nationale, comme le RSA ou les allocations familiales ? J’entends bien que la situation de la France n’aidera pas mais nous en sommes en droit d’attendre que l’État fasse aussi un effort sur ce volet.
M. Yoann Gillet (RN). Je voudrais d’abord souligner que Les Républicains n’ont pas pris part au vote de l’amendement précédent, qui portait sur la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte, et que les députés du groupe Horizons ont voté contre. C’est original mais, quant à moi, je ne suis pas très étonné. Et au moins, les Français le sauront.
Je voudrais par ailleurs rappeler, monsieur le ministre d’État, que vous aviez promis en 2015 l’alignement des droits sociaux dans le cadre du plan Mayotte 2025. Or cet alignement ne s’est pas fait : comment vous faire confiance alors que, pas plus que vos prédécesseurs, vous n’avez tenu vos promesses ?
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’alignement du Smic est fondamental pour le pouvoir d’achat des Mahoraises et des Mahorais car, à travail égal, nous ne sommes pas payés comme les autres Français, alors que le coût de la vie est de 150 % supérieur à ce qu’il est dans l’Hexagone. Je soutiens toutes les avancées et l’exonération, au titre de la Lodeom, des cotisations patronales des entreprises à Mayotte est une mesure de justice économique et d’égalité de traitement par rapport aux autres départements ultramarins qui bénéficient de ce dispositif. Nous ne pouvons donc que la saluer.
Cela ne règle pas pour autant la question des prestations sociales non contributives, car le gouvernement reste silencieux quant à un effort qu’il est seul à pouvoir consentir. L’attente est donc forte et légitime, comme l’ont exprimé tous les élus à l’occasion des visites officielles du président de la République, du premier ministre et de membres du gouvernement au lendemain du cyclone Chido. Au moment où notre île a le plus besoin de la solidarité nationale, il est anormal que les prestations sociales non contributives ne soient pas alignées pour Mayotte.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Pourquoi attendre pour garantir une égalité réelle entre le Smic dans l’Hexagone et à Mayotte ? La population mahoraise est frappée de plein fouet par la pauvreté – 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, soit cinq fois plus que dans l’Hexagone, alors que le coût de la vie est plus élevé, les produits alimentaires coûtant en moyenne 30 % et la santé 16,9 % de plus. Cette situation d’inégalité, dont l’État porte la responsabilité, est inacceptable et attendre davantage revient à continuer à la tolérer.
M. Philippe Naillet (SOC). Si nous saluons cette augmentation immédiate du Smic à 87,5 % de son niveau dans l’Hexagone, pour atteindre 100 % au 1er janvier 2031, nous devons aussi être réalistes quant à la soutenabilité de cette mesure pour le tissu économique mahorais, caractérisé par de très petites entreprises, comme je l’ai encore constaté voilà quelques jours.
Augmenter le Smic, c’est bien, mais il faut aussi tenir compte de la « prestation différée » qu’est la retraite. L’augmentation du Smic pose également la question des régimes complémentaires, comme l’Arrco, qui est la caisse de retraite des salariés, et l’Agirc, qui est celle des cadres. De fait à La Réunion, un retraité sur deux perçoit moins de 800 euros bruts par mois. Cette faiblesse des retraites tient à deux causes essentielles : la première a longtemps été le travail informel et la seconde l’arrivée tardive des caisses de retraite complémentaire. Je ne voudrais pas que les Mahorais subissent dans quelques années ce que subissent aujourd’hui les Réunionnais.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Mme Youssouffa a décrit une situation bien réelle : le Smic mahorais est très inférieur à celui de la métropole. Il faut toutefois dire aussi que la société mahoraise n’est pas à deux, mais à trois vitesses, avec une segmentation très forte entre des fonctionnaires qui bénéficient notamment de surrémunérations et d’indemnités de sujétion géographique, des personnes qui bénéficient d’un emploi salarié souvent payé au Smic – lequel est, on l’a dit, inférieur au Smic métropolitain –, souvent précaire et assorti de conditions de travail très défavorables par rapport à la métropole, qu’il s’agisse de médecine du travail ou d’avantages sociaux en entreprise, et une troisième catégorie, qui représente une partie importante de la population, française ou non, en situation régulière ou non, et qui survit parfois avec moins de 200 euros par mois, dans des conditions très précaires et souvent grâce à la solidarité familiale. C’est à cette réalité qu’il va falloir nous atteler pour converger vers un niveau de développement satisfaisant et à la hauteur des attentes de la France.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Cet amendement est une réelle avancée. Procéder par paliers doit permettre de rendre cette augmentation nécessaire acceptable par le tissu entrepreneurial – le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (Cpme), que nous avons auditionnés, sont favorables à l’augmentation, tout en nourrissant des craintes qui leur sont propres. Il était donc nécessaire de prévoir en même temps l’application du dispositif dit Lodeom. Nous avons mené la réflexion sur l’Agirc-Arrco et c’est maintenant aux partenaires sociaux de s’en saisir. Nous devrons y être vigilants ensemble.
M. Philippe Gosselin. Je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. La convergence a été affirmée et réaffirmée, avec des effets positifs dès le 1er janvier 2026, et les prochains articles que nous examinerons expriment une volonté très claire. On ne peut pas à la fois reprocher aux autres de faire du département une exception et considérer qu’il est insatisfaisant de le soumettre au droit commun de la Lodeom. Chacun devra gérer ses divergences et ses difficultés propres.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Je souscris à l’analyse de Mme Voynet, et ce qu’elle décrit comme une spécificité de Mayotte est aussi un problème général dans les outre-mer. Je ne dirai rien de la surrémunération, mais ces questions sont très anciennes et font partie des contradictions soulevées dans le discours de Gaston Defferre de 1956 que j’évoquais hier.
Le gouvernement assume le fait de privilégier le travail mais, dès 2026, nous avancerons sur la protection universelle maladie (Puma), sur la complémentaire santé solidaire (C2S) et sur la prime d’activité. Nous envisageons même – je le dis à l’intention de Mme K/Bidi et à celle de Mme Youssouffa, qui nous demande à juste titre de ne pas être silencieux –, de déposer un amendement à ce propos lors de l’examen du texte en séance.
Pour ce qui est du RSA, le premier pas de convergence est prévu, il est vrai, en 2029, avec une fin en 2031.
Quant au vocabulaire, la convergence est le processus dont l’alignement – ou, si vous préférez, l’égalité – avec le territoire national doit être le résultat en 2031. Nous vous avons présenté les chiffres relatifs au Smic qui s’appliqueront dès 2026 et je sais que le rapporteur voudra aussi avancer sur la question des retraites au cours du débat. Nous allons donc clarifier ces points : nous le devons évidemment aux parlementaires, mais aussi et surtout aux Mahorais.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avec cette convergence tant attendue – dont la date a même été ramenée de 2036 à 2031 – le compte y sera pour l’ensemble des prestations sociales. Nous avons la volonté d’envoyer un signe à propos des retraites, comme cela nous a du reste été demandé et comme en ont attesté les auditions. Pour ce qui est des retraites complémentaires du système Agirc-Arrco, ce sont les partenaires sociaux qui ont la main. Entre tout le souhaitable et tout le possible, le chemin emprunté est un chemin vertueux.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL73 de Mme Nadège Abomangoli tombe.
Amendements CL148 de M. Aurélien Taché et CL349 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Lorsque l’on vit avec, en moyenne, 260 euros par mois et qu’il y a 260 médecins pour 320 000 habitants, la question n’est pas l’immigration. Sur le plan migratoire, on assiste à un durcissement du droit du sol par comparaison avec ce qui se passe en métropole et à une limitation du droit d’asile, tandis que le placement en centre de rétention est facilité et sa durée allongée, mais cela ne règle rien. Nous vous proposons donc un changement de stratégie. Même si cela ne nous satisfait pas complètement, le plan conjoint de La Valette est évoqué dans le rapport, ainsi que le processus de Rabat, sur lequel il eût toutefois fallu des éléments de bilan plus précis pour objectiver davantage ce qui fonctionne – ou non – et ce qui est nécessaire, et pour voir aussi s’il ne s’agissait pas là de promesses de Gascon – c’est-à-dire si ce processus s’inscrit effectivement dans la réalité.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Il s’agit d’engager le débat pour savoir quel est le problème principal à Mayotte et quelle a été jusqu’ici l’attitude de l’État envers ce territoire. Selon nous, la départementalisation répondait davantage à des volontés géostratégiques de la part de la France qu’à une volonté d’égalité sociale, et c’est malheureusement ce qu’on retrouve dans ce texte, avec l’idée que l’égalité sociale n’est pas pour tout de suite – vous parlez d’ailleurs de « convergence ». Je ne vous conteste pas l’ambition d’améliorer les choses mais, outre la persistance des motifs d’intérêt géostratégique, l’analyse est faussée par l’idée que le problème principal serait l’immigration clandestine. Il faut d’abord souligner qu’après des mois de fermeture du service des étrangers, les seules personnes qui peuvent y accéder depuis sa réouverture sont celles qui ont rendez-vous pour aller chercher leur titre de séjour : celles qui veulent le renouveler ne peuvent même pas le faire, et on les place donc en situation irrégulière.
Je suis opposée aux mesures d’exception, même si les territoires d’outre-mer ont des spécificités, car ces mesures ne se limiteront jamais au domaine régalien et elles toucheront aussi le domaine social. J’ai bien conscience que mon amendement CL349 ne sera pas adopté, mais il permet de préciser notre manière d’aborder le texte.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis naturellement défavorable. L’Insee prévoit que la population de Mayotte atteindra 500 000 habitants à l’horizon 2030-2035. Le texte acte enfin un véritable recensement exhaustif, qui permettra de connaître exactement le chiffre de la population – ce qui est un problème pour les collectivités et un sujet de débat à Mayotte, car cela a une incidence sur les ressources.
Nous sommes, nous aussi, attachés au pacte social. Merci d’avoir reconnu qu’un effort de convergence était sur la table et acté dans le temps – ce qui n’était pas le cas auparavant. Nous ramenons le terme de cette convergence du Smic de 2036 à 2031 et nous l’engageons dès 2026 : je ne laisserai pas dire que nous restons les bras croisés et je reconnais humblement en public que Manuel Valls a obtenu des arbitrages que je n’avais pas obtenus.
Quant aux bangas, il faut se demander pourquoi on les utilise. Disposons-nous des capacités d’hébergement, de l’eau et des structures de santé nécessaires ? C’est là que vous faites erreur : il faut fortement resserrer une immigration qui n’est pas compatible avec un mode de développement qu’aucune ville de l’Hexagone ne serait capable d’assurer si elle devait absorber de 10 000 à 30 000 habitants de plus en deux ans. J’ai vu jusqu’à 15 000 enfants non scolarisés : combien seront-ils demain si nous laissons ouvertes les vannes de l’immigration ? On ne peut pas défendre le pacte social que nous avons en partage si on laisse faire cela.
M. Yoann Gillet (RN). Une fois encore, l’extrême gauche nie le problème de la submersion migratoire que subit Mayotte. Il faut être conscients que le chiffre de 500 000 habitants est certainement déjà atteint. La moitié au moins de ces personnes sont étrangères et une grande partie d’entre elles sont présentes irrégulièrement sur le territoire national.
Les Mahorais veulent l’expulsion des clandestins et affichent fièrement leur appartenance à la France. Ils manifestent régulièrement – et les Mahoraises en premier lieu –leur sentiment d’abandon par l’État français face à cette submersion migratoire. Je vous rappelle, collègues d’extrême gauche qu’aux élections législatives de juillet dernier, la gauche et l’extrême gauche ont obtenu moins de 3 % à Mayotte, ce qui signifie peut-être que les Mahorais ont conscience que votre volonté de nier la réalité est nocive pour eux. Lors de ces mêmes élections, une députée du Rassemblement national a été élue à Mayotte, parce que les Mahorais ont bien conscience qu’il y a encore en France des gens qui veulent les défendre et lutter efficacement contre l’immigration.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Il ne fait aucun doute que la terrible situation sociale à Mayotte crée du ressentiment, parfois de la colère, et qu’elle porte parfois à des passions tristes. Il y a une responsabilité des gouvernements successifs de l’État français et d’un processus de départementalisation qui, pendant des années, n’a eu que faire de la situation sociale des Mahorais.
L’erreur, c’est que ce ne sont pas les mesures d’exception et le renforcement des murs et des barbelés qui feront disparaître l’asymétrie entre les Comores et Mayotte. Si vous attendez que l’immigration clandestine baisse pour instaurer enfin des mesures qui ressemblent à de l’égalité, les Mahorais peuvent attendre longtemps, car celles que vous proposez ne vont pas faire baisser l’immigration qui existe à Mayotte : elles vont créer beaucoup plus de précarité. Il faut assumer une chose : plus on fait monter les murs et plus on pose de barbelés, plus il y a de morts – mais il n’y a pas moins d’immigration, parce qu’il y a toujours de l’asymétrie.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Si nous partagions le diagnostic selon lequel la densité de population à Mayotte est bien trop élevée et qu’elle est la source des problèmes sociaux, économiques et civiques qui touche une population dont une bonne partie vit dans des conditions irrégulières – plutôt que « clandestines », car personne n’est clandestin et les immigrants sont bien visibles –, serions-nous capables pour autant d’inventer une façon de lutter contre l’immigration qui ne serait pas une façon de lutter contre les immigrés ? C’est un sacré défi ! Faire en sorte que le bureau des étrangers ne fonctionne pas et que les personnes qui bénéficiaient d’un titre de séjour en soient désormais privées n’est pas une solution de moyen ou de long terme, pas plus que de bouleverser la localisation des bidonvilles.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à la question que je vous ai posée hier à propos du bilan des opérations Wambushu et Mayotte Place nette qui, pour l’essentiel, ont consisté à déplacer des gens d’un site à un autre en les renvoyant aux Comores, d’où ils sont revenus dès le lendemain. Le retard de Mayotte en matière de développement et d’emploi ne date pas d’hier et n’est pas très différent de celui des Comores, où il est toutefois amplifié par l’impéritie du gouvernement comorien et par son goût de l’argent. Notre responsabilité est fortement engagée.
M. Philippe Gosselin. La réalité de la faiblesse du tissu économique et social, ainsi que les grandes difficultés liées à la pauvreté sont une réalité que les chiffres nous rappellent, avec 77 % de la population disposant de revenus inférieurs au seuil de pauvreté, mais il faut reconnaître aussi, sans être monomaniaques – et je pense que la gauche peut partager ce point de vue –, que le problème majeur est l’immigration, qui fait que, même si le lien n’est pas absolu, on trouve à Mamoudzou le plus grand bidonville et la plus grande maternité d’Europe. Ces irrégularités, cette surpopulation et cette précarité entraînent notamment une embolisation des services publics tels que l’école et la santé. Il faut donc vraiment s’attaquer à cette immigration.
Quant aux mesures d’exception, elles tiennent au fait que nous connaissons une situation exceptionnelle, extraordinaire, qui n’appelle pas des mesures habituelles.
Je le répète, ce texte ne procède pas d’une vision monomaniaque de notre part : il s’agit bien d’un texte de refondation, avec des convergences sociales et des projets de construction – un port en eau profonde à Longoni, la piste longue, le second hôpital et l’eau. Les enjeux vont plus loin que l’immigration, mais traiter celle-ci en mettant la poussière sous le tapis ne résoudra rien, et, au contraire, amplifiera même les problèmes. Nous devrions donc partager le constat et une grande partie des propositions.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il est troublant que, dans le rapport, tout ce qui suppose une mobilisation, notamment financière, soit toujours assez vague, renvoyant – certes à l’indicatif – à un futur qui ne précise pas quand cela se réalisera, y compris pour ce qui concerne le matériel de surveillance ou d’interception qui permettrait d’éviter l’arrivée à Mayotte des personnes venant des Comores.
De même, pour ce qui est du plan d’action conjoint de La Valette et du processus de Rabat, les formulations sont relativement vagues. La coopération avec les Comores est pourtant intéressante et relève d’une stratégie différente de celle des murs et des barbelés. La responsabilité des difficultés est donc fortement imputée aux réfugiés et, en matière de planification, le compte n’y est évidemment pas – le risque est même réel que les engagements de coopération, notamment en matière financière, ne soient pas tenus, étant donné qu’ils sont très mal définis.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Je ne reviendrai pas sur les éléments stratégiques. Je relisais hier le rapport de la Cour des comptes et de la chambre régionale, de 2022 qui revenait, d’une manière d’ailleurs assez sévère surla mise en œuvre du plan de 2015, et rappelait ce qui a été fait à partir de 2017, avec des points positifs et d’autres qui l’étaient moins, comme l’abandon d’un projet prévu en 2022.
Nous y sommes ! Le texte que nous présentons a un caractère stratégique. Il faut évidemment le consolider avec la convergence sociale et le développement économique, lequel suppose notamment des infrastructures attendues, comme l’aéroport et le port, ainsi que des liens entre ces infrastructures et, au cœur de tout cela, l’école, la santé et le logement. Comme les Mahorais eux-mêmes, vous ne le croirez que lorsque tout cela sera véritablement mis en œuvre, et cela vaut dans bien des domaines de la vie quotidienne.
Madame Voynet, l’opération Wambushu, en 2023, a donné lieu à la destruction de 700 logements informels, à près de 25 000 reconduites à la frontière et à 1 300 interpellations, dont celles de 60 chefs de bande. Quant au plan Mayotte place nette de 2024, il reposait sur le renforcement de la lutte contre la fraude. Il faut rappeler à ce propos une réalité qui pose le problème du rapport avec les Comores : Mayotte est au cœur d’un système d’économie circulaire avec les Comores, reposant sur le travail dissimulé et sur la fraude. Les chiffres que j’ai rappelés montent qu’il existe – et des deux côtés – une économie derrière ces activités. Quand on contrôle les flux financiers qui transitent essentiellement par voie maritime depuis Anjouan, quand on lutte contre le travail non déclaré dans le BTP, contre les marchands de sommeil et contre la pêche ou l’agriculture illégales, on lutte à la racine contre un système qui affaiblit le territoire en le pillant. Ainsi, en 2024, à l’occasion du plan Mayotte place nette, 100 chefs de bande ont été interpellés, 4 200 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière et 600 cases ont été détruites. Ce n’est évidemment pas suffisant et les activités éliminées se reconstituent ensuite, mais on ne peut pas dire que rien n’est fait, que l’État n’a rien fait. Une géographie particulière nous oblige incontestablement à avoir un dialogue ferme avec les Comores. Le problème est extrêmement complexe et il faut donc continuer à mettre en place des dispositifs. J’ai évoqué hier les radars et je préciserai ces éléments, si nécessaire, au cours du débat, sans perdre de vue l’effort qu’il faut continuer à fournir.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Nous avons parlé de la route des Comores, mais la région des Grands Lacs est aussi une zone d’émigration ; nous travaillons depuis plusieurs années avec le Rwanda et le Burundi, mais aussi avec la Somalie. Les Comores, utilisées comme un territoire de rebond, sont elles-mêmes en discussion avec ces pays pour organiser des opérations de reconduite.
Mme Voynet le sait : plus de 60 % des 11 000 femmes qui accouchent à la maternité de Mamoudzou sont comoriennes.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL144 de Mme Sandrine Nosbé
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). En matière d’immigration, prendre des mesures dérogatoires par rapport à la métropole ne constitue pas une bonne façon de procéder ; c’est pourquoi nous voulons supprimer le titre de séjour territorialisé. Il nous faut également reprendre et approfondir les discussions avec les Comores, qui participent à ce problème, dans le cadre du plan d’action conjoint de La Valette et du processus de Rabat.
Par ailleurs, le principe du droit du sol est pour nous absolument fondamental. Les dérogations concernant le placement en centre de rétention n’ont apporté aucun changement : nous devons travailler différemment, non seulement en proposant un accueil digne, mais aussi en améliorant les conditions de vie dans les pays d’émigration, en collaboration avec eux. Nous préconisons donc un renforcement de l’égalité et des efforts en matière de diplomatie.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis défavorable.
Chère collègue, lorsque nous évoquons les relations avec les outre-mer, nous n’utilisons pas le terme de métropole, mais celui d’Hexagone, par respect pour nos compatriotes ultramarins, qui y sont sensibles.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). J’ai utilisé ce terme volontairement !
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Nous assumons pleinement notre divergence de vues avec vous en matière d’immigration.
Vous évoquez la diplomatie : de nombreux efforts ont été faits ces derniers mois et seront confortés au cours des prochaines semaines. Sans accord avec les pays d’émigration, nous ne parviendrons pas à progresser.
Les Mahorais sont les premières victimes de l’immigration et nous devons nous donner les moyens de les aider. Le titre de séjour territorialisé fera l’objet d’une discussion dans le cadre de l’examen de ce texte.
Les adaptations du droit de la nationalité ont été jugées conformes au principe d’indivisibilité de la République et d’égalité par le Conseil constitutionnel. On ne peut reprocher à ce texte d’être anticonstitutionnel.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Vous avez rappelé à quel point la coopération avec le gouvernement comorien était difficile ; nous ne parviendrons à aucune avancée durable sans la renouveler.
J’avais déposé un amendement visant à évaluer rapidement le plan de développement France-Comores ; puisqu’il est question des relations diplomatiques avec les Comores, j’en profite pour vous demander de communiquer cette évaluation aux parlementaires dans les meilleurs délais.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). J’ai employé le terme de métropole de façon délibérée – ce n’est pas celui que nous employons dans nos amendements –, parce qu’il dit quelque chose du rapport entre un centre et sa périphérie.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes assez critiques à l’égard des intercommunalités ainsi dénommées, qui témoignent de la même réalité : un centre dominant, qui capte les richesses, les emplois et les services publics, et sa périphérie négligée. Les relations entre l’Hexagone et Mayotte reproduisent ce schéma.
M. le président Florent Boudié. Madame Martin, ce terme a une histoire, qui n’est pas tout à fait celle que vous indiquez.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Tu m’étonnes !
M. Philippe Naillet (SOC). Ce texte a pour principal objectif le développement de Mayotte, mais nous ne pouvons faire abstraction de la situation réelle de son plus proche voisin : l’île d’Anjouan, de l’archipel des Comores, n’est distante que de 70 kilomètres.
Il faut évidemment lutter contre l’immigration clandestine, mais nous devons comprendre pourquoi les Comoriens viennent à Mayotte. Le PIB moyen par habitant de Mayotte est quatre fois moins élevé que le PIB moyen par habitant de l’Hexagone, mais le PIB moyen par habitant des Comores est huit fois moins élevé que celui de Mayotte.
Il ne s’agit ni de trouver des excuses au gouvernement comorien ni de reléguer le développement de Mayotte au second plan, mais de tenir compte de la situation réelle des Comores, sans quoi nous ne diminuerons pas les départs et nous ne faciliterons pas les retours.
M. Philippe Gosselin. Comme l’a dit Mme Voynet, il serait intéressant de connaître les résultats de l’évaluation du plan de développement France-Comores. Il est très difficile d’appliquer les accords passés avec les gouvernants comoriens en raison de la duplicité dont ils font preuve.
La proximité géographique de l’archipel explique l’afflux migratoire ; même si Mayotte nous semble économiquement fragile – 77 % des habitants se trouvent sous le seuil de pauvreté –, l’île demeure une oasis au milieu d’une zone de pauvreté. L’accueil des migrants sera d’autant plus digne que l’immigration sera maîtrisée. J’ai déposé un amendement, signé par l’ensemble des corapporteurs, visant à mettre fin, à terme, à la territorialisation des titres de séjour ; ce serait une avancée, mais nous y reviendrons.
Quant au code de la nationalité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante : outre sa décision de 2018, celle du 7 mai 2025 indique que « […] ces lois ne sauraient avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu duquel toute personne née sur le territoire français a le droit d’accéder à la nationalité française sans restriction. »
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL146 de Mme Sandrine Nosbé
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Je me réjouis que, contrairement à notre habitude mais conformément à la demande du groupe LFI, nous commencions l’examen de ce texte par le rapport annexé, qui présente l’orientation du texte, à savoir la lutte contre l’immigration : trente-huit alinéas successifs portent exclusivement sur ce sujet.
Or ce n’est pas la bonne façon de faire : il nous faut rétablir l’égalité en matière de droit, de revenus et de prestations sociales. Nous devons lutter contre la misère et la précarité, plutôt que contre l’immigration.
Cet amendement vise à pointer le caractère xénophobe du texte : l’alinéa 25 établit un lien direct entre immigration et habitat illégal. Or à Mayotte, l’habitat précaire est un problème général qui doit faire l’objet d’un plan d’urgence et d’un investissement massif de la part des pouvoirs publics, afin de garantir un logement digne pour tous.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Le rapport annexé compte 320 alinéas au total ; ceux que vous évoquez n’en représentent qu’un dixième, ce qui ramène le sujet à une juste proportion.
Nous avons souhaité, avec le président, commencer l’examen du texte par le rapport annexé, parce qu’il en expose la vision ; je ne peux vous laisser dire qu’elle ne porte que sur l’immigration.
Le lien entre immigration et habitat illégal est avéré. Dans les semaines qui ont suivi l’opération Wuambushu, décidée par Gérald Darmanin, le nombre d’éloignements des étrangers en situation irrégulière a triplé, ceux-ci rencontrant encore plus de difficultés que les Mahorais à se loger.
Avis défavorable.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Je n’imaginais pas un seul instant que votre avis serait favorable, puisque ce texte vise à opérer une véritable chasse aux migrants, dans la continuité des politiques des précédents gouvernements.
Monsieur le rapporteur, vous affirmez que je me trompe, mais je peux en dire autant de vous : des études ont montré que deux tiers des ménages habitant un logement précaire avaient à leur tête un adulte de nationalité française ou en situation régulière.
Quant à la fréquence d’utilisation du terme « immigration » dans ce texte, une simple recherche montrerait qu’elle est beaucoup plus importante que ce que vous avancez. Ce texte revendique une politique migratoire opposée à celle défendue par La France insoumise, qui est un mouvement de gauche et non d’extrême gauche comme se plaît à le dire l’extrême droite.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je parlais de l’opération Wuambushu, qui visait des habitants dont les trois quarts étaient en situation irrégulière. Les chercheurs qui s’intéresseront à cette opération aboutiront aux mêmes résultats.
Par ailleurs, pouvez-vous me citer un autre territoire ultramarin comptant plus de 50 % d’habitants en situation irrégulière ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL66 de Mme Anchya Bamana
Mme Anchya Bamana (RN). Il vise à modifier l’alinéa 27 afin de préciser qu’à Mayotte, l’immigration illégale ne compromet pas seulement le pacte social, mais est un sujet existentiel. Il est vital de traiter le problème du respect des frontières et de la souveraineté de la France, ainsi que celui du retour des clandestins dans leur pays.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Vous venez de l’entendre, je n’ai pas l’intention de minimiser le problème de l’immigration. Ce texte vise à contribuer au renforcement du pacte social, qui est une exigence cruciale – ce que nul ne conteste –, avec un financement de 4 milliards sur neuf ans, soit un effort considérable.
Les contrats de convergence et de transformation (CCT) signés à l’été 2023 représentaient 23 % d’augmentation – soit 2,4 milliards – de l’effort consenti par l’État pour l’ensemble des territoires ultramarins. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL339 de Mme Elsa Faucillon
Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, je ne crois pas me tromper en rappelant qu’en 2018, vous apparteniez à la majorité qui a défendu la loi Elan. Or celle-ci prévoit que des propositions d’hébergement d’urgence soient soumises à celles et ceux dont les habitations d’infortune sont concernées par des destructions, ou qui sont eux-mêmes visés par des expulsions, et ce, même si leur situation est irrégulière.
Que les chiffres que vous avancez au sujet de l’opération Wuambushu soient réels ou non, il n’en demeure pas moins que la moitié des foyers habitant les 700 cases détruites n’ont pas bénéficié de propositions d’hébergement d’urgence.
Enfin, la façon même de nommer ces opérations est révélatrice : le choix du nom « Mayotte place nette », en contradiction avec la volonté affichée de s’affranchir des héritages de la colonisation, annonce d’emblée que les droits et libertés fondamentales ne seront pas respectés.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Les conditions de vie dans les bangas sont indignes et encouragent la violence. L’opération Wuambushu a donné lieu à 1 327 interpellations, dont de nombreux chefs de gangs ; elle était indispensable, tant sur le plan sanitaire que sur le plan sécuritaire.
J’entends vos propos relatifs à la loi Elan, et je pourrais à mon tour évoquer la loi Dalo ; ce sont des échecs collectifs, parce que nous nous étions fixé des objectifs quasiment inatteignables.
Tout comme vous, nous souhaitons reconstruire des logements, à Mayotte comme ailleurs dans les outre-mer et dans l’Hexagone. Mais comme il nous faut du foncier pour cela, j’espère bénéficier de votre soutien lorsque nous débattrons de l’expropriation, en particulier d’un nouveau mode d’action apportant une réponse sécurisée pour les résidents.
Avis défavorable.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Ceux-là mêmes qui ont voté en 2018 un engagement normatif nous expliquent désormais qu’ils l’ont fait en sachant qu’il ne pourrait être tenu. Que feront-ils alors des engagements non normatifs pour 2031 figurant dans ce rapport annexé ?
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je vous invite à prendre connaissance des engagements financiers ; je défends une position exigeante concernant les autorisations d’engagement, les crédits de paiement et l’annualisation. Nous devons nous fixer des objectifs assez élevés, tout en nous efforçant de converger pour les atteindre.
Les objectifs relatifs au logement n’ont pas toujours été remplis, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer. À Mayotte, cet enjeu est encore plus crucial : les bangas sont des habitations illégales, qui présentent des conditions sanitaires totalement inacceptables et qui sont cause d’insécurité. Mme Dominique Voynet, qui a dirigé l’ARS, ne me contredira pas.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL316 de Mme Estelle Youssouffa et CL195 de M. Philippe Naillet
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). La lutte contre l’immigration clandestine joue un rôle central et ses résultats nous importent. Mais à l’impossible nul n’est tenu, a fortiori avec des radars qui ne fonctionnent pas ou qui regardent au mauvais endroit ; avec une base navale absente du rapport annexé, contrairement aux promesses de M. le ministre en commission de la défense ; avec la mobilisation de la marine nationale et de Frontex qui n’est toujours pas d’actualité.
Je ne sais de quel nom swahili de poisson rouge sera baptisée la prochaine opération sortie de l’imagination de la place Beauvau, mais nous, à Mayotte, nous voulons juste stopper l’arrivée des kwassa-kwassa. Dès le lendemain du cyclone Chido, ils étaient de retour ! L’inertie de l’État provoque l’expansion des bidonvilles, facilitée par la déforestation causée par le cyclone. La situation migratoire a empiré.
Quant au relogement, permettez-moi de rappeler qu’après le passage du cyclone, les clandestins ont refusé d’évacuer les bâtiments scolaires qu’ils occupaient, empêchant la rentrée scolaire. Alors que 80 % des bâtiments ont été détruits par le cyclone, comment envisager le relogement sans nouvelles constructions ?
Afin de garantir une plus grande transparence sur ce qui est véritablement effectué, mon amendement vise à prévoir la transmission au comité de suivi de la loi de programmation de l’étude technico-opérationnelle relative à la lutte contre l’immigration clandestine. Prévue dans le rapport annexé, cette étude recense les moyens de surveillance, de détection et d’interception terrestre et maritime.
La situation est critique et les annonces ne suffisent pas : nous avons besoin de la transparence si souvent promise par les gouvernements successifs.
M. Philippe Naillet (SOC). À Mayotte, la lutte contre l’immigration clandestine s’effectue dans des conditions géographiques et logistiques très spécifiques, qui appellent des réponses adaptées.
Le rapport annexé indique qu’une étude technico-opérationnelle relative à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte, réalisée par la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa) du ministère de l’intérieur servira de base à cet effort de renforcement capacitaire. Cette étude technico-opérationnelle devra permettre d’identifier les besoins réels du 101e département en matière de surveillance, de détection, d’interception terrestre et maritime et plus largement d’adaptation des dispositifs à l’environnement local.
Cet amendement vise à préciser que l’étude de la Depsa sera communiquée au comité de suivi de la loi de programmation.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Les moyens humains et techniques ainsi que le calendrier d’action doivent être portés à la connaissance du comité de suivi de la loi de programmation pour la refondation de Mayotte : il y va de la crédibilité des mesures que nous voulons instaurer pour lutter contre l’immigration. Avis favorable.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL75 de M. Yoann Gillet et amendement CL371 de M. Philippe Gosselin (discussion commune)
M. Yoann Gillet (RN). Mayotte subit chaque jour une pression migratoire anarchique, massive et incontrôlée. Je me suis rendu sur place, avant le passage du cyclone Chido : ce que j’y ai vu est sans appel. Les forces de l’ordre sont sous-dotées et débordées par l’ampleur de l’immigration. À seulement 70 kilomètres des Comores, l’île aux parfums est devenue un couloir migratoire : chaque nuit, des dizaines de kwassa-kwassa y débarquent dans des conditions souvent dramatiques, avec leur lot de tragédies humaines et de déstabilisations locales.
En 2023, près de 1 000 kwassa-kwassa ont été détectés ; seuls 67 % ont pu être interceptés, contre 72 % l’année précédente. Ces interceptions s’ajoutent aux plus de 8 600 interpellations effectuées en mer – et ce ne sont que les cas enregistrés ! L’efficacité du dispositif diminue alors que le nombre d’arrivées clandestines explose. Depuis le passage du cyclone, qui a détruit plusieurs matériels, la situation ne s’est évidemment pas améliorée.
Depuis bien longtemps, le Rassemblement national propose de déployer un patrouilleur de la marine nationale dans les eaux internationales – cette mesure figurait dans le programme de Marine Le Pen à l’élection présidentielle. Cette mesure d’ordre public, de souveraineté et de sécurité n’est pas simplement symbolique : elle est nécessaire. Elle permettrait de décaler la ligne de contrôle en mer en interceptant les embarcations dès leur sortie des eaux comoriennes ou malgaches ; de soulager la flotte locale dépassée par l’intensité des rotations ; de projeter la puissance et la souveraineté de l’État dans une zone maritime sous tension croissante.
M. Philippe Gosselin (DR). Mayotte abrite déjà une base navale, qui accueille de petits bateaux. Pour maîtriser l’espace maritime, il faudrait une installation beaucoup plus importante. Le canal du Mozambique est une zone stratégique. Nous devons absolument acter cet investissement, de moyen et de long terme : il soulève des questions foncières et financières, mais il s’agit d’une pièce majeure de la stratégie indo-pacifique.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. J’émets un avis défavorable sur les deux amendements.
Monsieur Gillet, il faut renouveler tous les moyens de détection. Nous avons prévu de remplacer tous les radars et d’acquérir de nouveaux outils à même d’améliorer la détection, donc l’interception, en 2025 et 2026 ; de renouveler les bateaux de la gendarmerie maritime et d’en augmenter le nombre. De plus, il existe un projet, inédit, de ponton sur l’îlot Mtsamboro afin d’intercepter les embarcations en amont – ce sera très efficace.
La marine déploie un patrouilleur, qui effectue un travail de détection et de dissuasion. À ce stade, beaucoup de moyens sont déjà déployés.
Monsieur Gosselin, j’entends votre souhait, mais d’une part il existe déjà une base marine à La Réunion – certes, elle est distante de 1 600 kilomètres –, d’autre part un tel projet exige un investissement foncier et financier considérable – on parle de quelque 100 millions d’euros. Nous pourrions l’envisager dans un second temps.
Chido a dégradé ou détruit de nombreux éléments de dissuasion et de détection. Convenez que nous déployons un plan massif de renouvellement à court terme.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Monsieur Gillet, la marine nationale est déjà engagée dans la lutte contre l’immigration clandestine et mobilise régulièrement ses bâtiments.
Nous assistons à une sorte de polyphonie sur le thème : « l’État ne fait rien », dans un sens ou dans l’autre. Or, même si c’est difficile, même si nous sommes encore loin d’atteindre nos objectifs, des actions sont engagées. L’armée, les forces de défense, c’est l’État : nous mobilisons des frégates de surveillance, le bâtiment de soutien et d’assistance et le patrouilleur sympathiquement nommé Le Malin. Un nouveau patrouilleur outre-mer sera intégré à la flotte avant la fin de 2025. Pour des raisons pratiques, il sera basé à La Réunion, où se trouvent des infrastructures de soutien et de maintien en condition opérationnelle sans équivalent dans la zone maritime Sud de l’océan Indien ; il opérera dans cette même zone, notamment dans les Terres australes, dont vous connaissez le caractère stratégique, et dans le canal du Mozambique. Ces bâtiments sont régulièrement déployés aux abords de Mayotte pour mener des opérations de surveillance, à l’instar de Requin, menée début 2025 pour lutter contre le trafic de migrants.
Monsieur Gosselin, la nécessité d’optimiser les moyens des armées impose d’assurer une partie du renfort capacitaire depuis La Réunion. Le ministère des armées a étudié l’installation d’une base navale au port de Longoni, sur Grande-Terre : elle n’est ni soutenable ni cohérente du point de vue technique et opérationnel, notamment en raison de l’absence du tissu industriel nécessaire pour maintenir les bâtiments en condition opérationnelle. Cela ne signifie pas que la question ne pourra pas se poser à l’avenir. Les unités hauturières abritées à la base navale de La Réunion font régulièrement escale à Mayotte – au mouillage de Petite-Terre et au port de Longoni.
L’avis du gouvernement est défavorable sur les deux amendements.
M. Yoann Gillet (RN). Je me félicite que les membres du groupe LR reprennent le programme présidentiel de Marine Le Pen.
Monsieur le rapporteur général, vous balayez d’un revers de main toute nouvelle solution au motif que le gouvernement aurait prévu de renouveler la flotte d’intercepteurs et du matériel. C’est heureux : les moteurs des intercepteurs tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce que les constructeurs déconseillent, entraînant une forte usure et la nécessité de les renouveler régulièrement.
Vous vous félicitez de la construction d’un ponton : c’est une très bonne nouvelle et je m’en félicite également. Nous l’avions réclamé il y a deux ans déjà ; ainsi, les intercepteurs n’auront plus à faire le tour de l’île à chaque sortie. Mais ce n’est pas suffisant En fait, vous vous félicitez de rester à moyens constants, et on sait ce que ça donne : les flux de clandestins s’amplifient. Il faut davantage de moyens. Les membres de l’armée, notamment de la marine nationale, réclament un navire dans les eaux internationales pour pouvoir agir concrètement.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Monsieur le ministre, devant les commissaires de la défense, vous avez défendu l’installation d’une base de la marine nationale à Mayotte, mais ce n’est finalement pas possible, d’après le ministre des armées. La seule ligne du gouvernement clairement visible consiste à laisser les frontières de Mayotte grandes ouvertes.
En janvier, le président de la République a demandé une révision de la revue nationale stratégique ; il a nommé Mayotte et affirmé qu’il y avait un problème d’ingérence étrangère. Nous sommes le seul territoire français habité revendiqué par un pays étranger. Celui-ci instrumentalise les flux migratoires, que l’Otan et l’Union européenne définissent comme une menace hybride. Que répond le ministre chargé de la défense du territoire français ? Ne faisons rien, regardons les choses passer ! Il y a un énorme problème.
Je suis fille et sœur de marins : il existait une base à Mayotte – elle a été fermée. Le problème n’est pas qu’on manque de moyens, mais qu’on ne veuille pas les mettre !
Nous sommes face à une déstabilisation d’une partie du territoire national, organisée avec l’appui ouvert des Russes. Maintenant, la Russie et l’Azerbaïdjan, soutenus par les Chinois, déploient des ingérences pour aider les Comores. Et vous dites, devant la représentation nationale : circulez, il n’y a rien à voir, la marine nationale organise déjà des patrouilles. C’est peut-être la seule chose sur laquelle nous sommes d’accord, monsieur le ministre d’État, mais nous en avons discuté avec l’état-major : les quelques jours de mer à Mayotte comprennent aussi les patrouilles aux Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) – il vaut mieux protéger les pingouins que les ressortissants français de Mayotte !
M. Philippe Gosselin (DR). Nous n’avons pas attendu le RN : nous soulevions déjà ces questions au moment de la départementalisation.
Au-delà de la question de l’immigration, nous sommes confrontés à un problème de souveraineté, avec les îles Éparses. Il faut se poser la question de la présence française, non seulement dans la zone économique exclusive (ZEE), mais aussi dans les eaux internationales. Oui, nous devons avoir une base à La Réunion, mais nous devons également avoir des moyens hauturiers suffisants. J’ai bien entendu qu’il y aurait une modernisation des équipements et qu’un nouveau bâtiment arriverait en fin d’année, mais il faut aller au-delà.
Certes, il faut réaffirmer notre souveraineté ; nous devons également être présents là où d’autres le sont – les Russes et les Chinois, mais pas seulement.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je ne me satisfais de rien, monsieur Gillet, j’explique seulement que nous renouvelons le matériel détruit par Chido. Je ne peux pas vous laisser dire que nous travaillons à moyens constants : l’effort est considérable.
Monsieur Gosselin, j’ai dit que cette base pourrait être envisagée à l’avenir. Certes, le plus tôt sera le mieux mais je ne veux pas acter des mesures en sachant que nous ne pourrons pas les appliquer. Il ne serait pas raisonnable en l’état de prévoir une base de la marine nationale à Mayotte ; toutefois, nous porterons votre message.
Successivement, la commission rejette l’amendement CL75 et adopte l’amendement CL371.
Amendement CL346 de Mme Elsa Faucillon
Mme Elsa Faucillon (GDR). Les tentatives de traversée perdureront. On ne peut pas ignorer la question du sauvetage en mer. Avec le pacte sur la migration et l’asile, l’Union européenne fait comme si son immense territoire méditerranéen n’existait pas. Il existe quand il s’agit de prospecter les fonds marins, mais non lorsqu’il est question de sauver des gens en danger de mort dans des embarcations de fortune. Il faut nous mettre en conformité avec le droit maritime et faire en sorte de pouvoir sauver ces personnes d’une part, d’organiser de la prévention aux points de départ, d’autre part. De même, on manque largement de politiques de prévention à Calais, alors que cela pourrait éviter des drames.
On peut ne pas être d’accord sur la manière de traiter la question migratoire, mais j’espère que nous sommes d’accord sur la nécessité d’instaurer des dispositifs pour sauver les gens en train de mourir.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Il y a un protocole de sauvetage : le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Sud-Océan-Indien est basé à La Réunion. Des moyens existent, qu’on peut déployer à tout moment.
On ne peut pas comparer la situation avec celle de la Méditerranée ou de la Manche. En 2023, le Cross a mené 136 opérations de sauvetage – moins que l’année précédente –, contre plus de 1 200 pour le Cross Gris-Nez. Je déplore avec vous les neuf personnes disparues et les quatre décédées, mais la capacité d’intervention existe.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Le Cross est situé à 1 800 kilomètres de Mayotte. De plus, les moyens positionnés à Mayotte ne sont pas mobilisés pour effectuer du sauvetage au quotidien.
On l’a compris, le gouvernement des Comores ne fait rien pour limiter le nombre de départs. Par ailleurs, la stratégie des passeurs consiste à saturer les moyens français en envoyant simultanément jusqu’à dix kwassa. Ils expliquent aux gens que s’ils sont arraisonnés en envoyés en centre de rétention, ils pourront reprendre un kwassa sans payer une deuxième fois. Les kwassa prennent donc des risques et les accostages sont très brutaux – des journalistes les ont décrits, ainsi que des témoins, des gendarmes et des policiers. Il y a un travail de fond à mener sur les procédures de sécurité et de sauvetage.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le Cross a pour mission de secourir les embarcations en détresse ; cela ne fait pas un protocole de sauvetage pour les personnes interceptées. Nous demandons aussi que le protocole soit respecté dans la Manche. Que se passe-t-il quand les personnes sont ramenées sur le rivage ? Les laisse-t-on en hypothermie ? Les pompiers sont-ils suffisamment nombreux pour intervenir ? Voilà les questions qu’on doit se poser ; pour y répondre, il faut un protocole et de la documentation : on ne peut pas prétendre s’intéresser à l’immigration et ignorer que des gens traversent et peuvent se trouver en détresse.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Personne ne conteste la nécessité d’organiser le sauvetage en mer. Mais on ne doit pas alimenter l’idée que les forces de l’ordre qui s’embarquent sur le lagon pour sauver les clandestins ne font pas leur travail. Leur mission première est non l’interception mais le sauvetage et ils la remplissent, au péril de leur vie. Les vidéos et les témoignages le montrent : les passagers des kwassa et les passeurs sont de plus en plus agressifs, ils tapent et menacent de renverser leur bateau ou celui des forces de l’ordre plutôt que de stopper leur opération. Non seulement les forces de l’ordre vont au-devant du danger pour sauver les clandestins, mais ils se font agresser. Ne faisons preuve ni d’angélisme ni de naïveté : l’État français ne laisse pas les gens couler ; ce sont les autorités comoriennes qui encouragent et qui facilitent le trafic humain – il est kafkaïen de travailler avec elles.
La déconnexion avec la réalité du terrain est ici totale. Moi, je remercie les gendarmes et les policiers ; ils sont mal payés, ils travaillent dur, dans des conditions difficiles – ils sont en mer, au soleil ou sous la pluie et le vent –, avec un matériel qui n’est pas au niveau, mais ils accomplissent des sauvetages, au péril de leur vie.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Merci d’avoir rappelé le travail formidable des forces d’intervention et de secours.
Madame Voynet, on sait comment sont organisés les Cross. On détourne les bateaux qui sont à proximité. Dès qu’il y a le moindre risque, a fortiori si le passager d’une embarcation court un risque vital, ils interviennent. Nous pouvons donc remercier ceux qui s’y emploient au quotidien, qu’ils œuvrent pour le Cross de la Manche, pour celui de la Méditerranée ou pour celui du Sud de l’océan Indien.
La commission rejette l’amendement.
La réunion est suspendue de onze heures vingt à onze heures quarante.
Amendements CL340 de Mme Elsa Faucillon et CL145 de Mme Sandrine Nosbé (discussion commune)
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous sommes opposés à la restriction du droit du sol. Ce serait un recul fondamental, pour Mayotte en premier lieu. De plus, les débats relatifs à la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte ont montré que le danger pouvait s’étendre à tout le territoire.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Avis défavorable sur les deux amendements. Vous voulez supprimer l’alinéa 42, qui affirme que, sur le sujet du droit du sol, le gouvernement soutient la restriction des conditions d’accès à la nationalité française. Malgré les modifications de 2018 et de 2025, l’acquisition de la nationalité par le double droit du sol demeure possible, dans les mêmes conditions que dans l’Hexagone. Le juge constitutionnel a validé par deux fois ces dispositions. Lorsque des mineurs acquièrent la nationalité française leurs parents peuvent obtenir un titre de séjour, ce qui les protège de l’éloignement et leur ouvre le bénéfice des prestations sociales. Cela étant, nous lutterons contre les reconnaissances frauduleuses.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL129 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il tend à inscrire dans le rapport annexé la nécessité de lutter conjointement contre l’immigration clandestine et contre les ingérences étrangères des Comores, notamment en suspendant le concours financier de l’Agence française de développement (AFD). Nous devons impérativement faire cesser toute aide financière et toute coopération avec un État qui, refusant de reconnaître que Mayotte est française, conteste les frontières de la République. Avec le soutien de l’État, le Parlement avait décidé de retirer toute aide financière aux pays qui luttent contre la France.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. J’entends vos préoccupations. Toutefois, nous dialoguons avec les Comores. Le rapport annexé évoque largement les actions de coopération entre nos États, notamment pour la modernisation de leur état civil et le renforcement capacitaire des garde-côtes. Si nous suspendons notre soutien, les flux migratoires augmenteront.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous avons fait le choix du dialogue. Le couper n’est pas la bonne manière de faire : cela aggraverait la situation sans permettre d’avancer. Certes, le dialogue a ses limites, mais c’est toujours le cas. J’ajoute que mettre fin aux relations n’empêchera pas les ingérences étrangères. Même si nous manquons d’une évaluation précise du cadre de coopération, il semble bénéfique de favoriser un état civil plus rigoureux.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Depuis que nous avons accordé une aide financière aux Comores, le nombre des reconduites à la frontière a augmenté : il y a encore plus d’immigration clandestine. Les ministres chargés des affaires étrangères qui se sont succédé l’ont reconnu. Ainsi, l’échec de l’aide au développement des Comores est avéré. En cette période d’austérité budgétaire qui ne dit pas son nom, il est délirant de continuer à financer un État qui conteste la souveraineté française et qui a organisé une alliance avec la Russie, la Chine et l’Azerbaïdjan pour accentuer la pression sur Mayotte. C’est de l’argent public mal dépensé.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Il est difficile d’interpréter le nombre des reconduites à la frontière. Il y a sans doute toujours beaucoup d’arrivées, mais des personnes sont arrêtées dans les bidonvilles, dans la rue, parfois à proximité des établissements de santé ou scolaires, pour être reconduites, alors qu’elles résident à Mayotte depuis un moment.
Arrêter toute coopération serait contre-productif. Néanmoins, un bilan lucide et exigeant de la coopération avec les Comores est urgent, car indispensable pour savoir si elle a un effet sur la qualité de vie des populations et sur les traversées du bras de mer, ainsi que pour détecter la corruption, l’évaporation de l’argent, les doublons et peut-être l’inefficacité de certains aspects de cette politique.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous avez raison, des tentatives d’ingérence étrangère cherchent à déstabiliser nos territoires – dans l’Atlantique, le Pacifique, l’océan Indien, particulièrement à Mayotte.
Je vous renvoie à l’alinéa 112 du rapport annexé selon lequel « l’État sera particulièrement vigilant face à toute tentative d’ingérence étrangère ou de développement du fondamentalisme religieux visant à déstabiliser le territoire et mettre en péril la paix civile à Mayotte. » Les dangers sont clairement identifiés.
Notre politique d’investissement durable et solidaire ne s’inscrit pas seulement dans une logique de développement. Elle doit être une composante essentielle de notre stratégie migratoire, en s’attaquant aux causes profondes des migrations, en soutenant les capacités des États partenaires à lutter contre les trafics et les filières ainsi qu’en créant les conditions de retours et de réadmissions plus efficaces.
Cette approche a été confirmée lors du comité stratégique des migrations de janvier 2023, qui réunissait les ministères de l’intérieur et de l’Europe et des affaires étrangères. Elle est inscrite dans la stratégie interministérielle « migrations et développement » 2023-2030. Elle est rappelée dans le courrier adressé conjointement par les ministres de l’intérieur, des outre-mer et de l’Europe et des affaires étrangères au directeur général de l’Agence française de développement (AFD) le 11 janvier 2024. Cet objectif prioritaire a été réaffirmé par le Conseil présidentiel pour les partenaires internationaux, qui s’est tenu en avril dernier.
Les Comores figurent parmi les quinze pays prioritaires de notre stratégie migratoire faisant l’objet d’une attention spécifique et d’un dialogue régulier, même si ce dialogue peut être difficile ou rude parfois. Je l’ai constaté une nouvelle fois à Madagascar il y a quelques semaines, à l’occasion de la Commission de l’océan Indien. Vous connaissez les propos qu’y a tenus le président de la République en réponse aux déclarations inacceptables du président des Comores.
Néanmoins, la rupture pure et simple des relations donnerait, me semble-t-il, plus d’arguments encore à ceux qui veulent continuer l’épreuve de force avec la France à travers Mayotte. Il faut faire preuve de clarté et de détermination mais tenter encore le dialogue, notamment par le biais de l’aide au développement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL76 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Mayotte est à la croisée de deux failles majeures : la pression migratoire explosive et une politique diplomatique défaillante.
Chaque année, des milliers d’étrangers en situation irrégulière arrivent sur ce territoire français, souvent au péril de leur vie. L’obstacle invisible que constituent les difficultés de reconduites à la frontière des États d’origine comme les Comores, Madagascar et certains pays de la région des Grands Lacs est intolérable.
Les Comores, dont les ressortissants représentaient en 2019 la quasi-totalité des étrangers présents à Mayotte et dont les dirigeants contestent ouvertement notre souveraineté sur ce territoire, reçoivent 252 millions d’euros d’aide publique au développement. Pour quels résultats ? En 2019, date de la signature du document-cadre de partenariat renouvelé, la France avait reconduit plus de 27 000 clandestins ; aujourd’hui, elle peine à atteindre 25 000. Moins d’expulsions, plus d’argent public, voilà ce qu’a produit cet accord.
Pire encore, les Comores bloquent régulièrement leurs frontières pour empêcher les retours et se livrent à un chantage diplomatique permanent, auquel notre gouvernement cède année après année.
Nous proposons une mesure de fermeté et de bon sens, consistant à « conditionner la délivrance de tout visa pour Mayotte à l’engagement effectif des pays tiers en matière de reprise de leurs ressortissants en situation irrégulière ».
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Reconnaissez que la situation est différente de celle que connaît l’Hexagone avec les pays du Maghreb.
Le projet de loi apporte des réponses aux difficultés que vous pointez : d’une part, le rapport annexé mentionne le développement d’accords bilatéraux avec les pays de départ – des discussions sont en cours avec la Tanzanie tandis qu’un protocole existe déjà avec la République démocratique du Congo. D’autre part, l’article 6 ouvre à Mayotte l’aide au retour volontaire. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL409 et CL410 de M. Philippe Vigier, rapporteur général.
Amendement CL 355 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement vise à obtenir la révision de la doctrine d’interception des embarcations.
Les kwassa-kwassa se sont organisés pour arriver de manière groupée dans une zone particulière pendant que des émeutes à terre mobilisent les forces de sécurité. Ils saturent ainsi un dispositif de sécurité déjà bien faible à Mayotte.
Le pushback est bien pratiqué dans la Manche. Pourquoi ne l’est-il pas à Mayotte ?
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Le rapport annexé mentionne les nouveaux moyens qui seront consacrés à la détection et à l’interception.
La création d’une zone d’attente sur l’îlot de Mtsamboro à l’horizon 2027 en vue de ne pas admettre sur le territoire les étrangers interceptés en mer ou à l’issue de débarquements sauvage et l’installation d’un nouveau local de rétention administrative de quarante-huit places en 2026 pour les interpellations à terre permettront de renforcer les capacités d’éloignement. Votre amendement me semble donc satisfait.
M. Manuel Valls, ministre d’État. La nouvelle stratégie en matière de lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte est fondée sur trois principes. Le premier est une anticipation accrue pour les détections en mer, qui repose sur le développement de moyens technologiques formant le fameux rideau de fer. Après le rétablissement des capacités de détection avec le soutien des armées, les services du ministère de l’intérieur ont mené une étude technico-opérationnelle en vue de la création d’un système de détection le plus performant possible, composé de radars, de caméras et de balises. Le rapport annexé fait référence au projet, dont le déploiement a commencé en 2025 et doit se poursuivre jusqu’en 2027. Le système doit permettre de détecter la totalité des flux maritimes, de les différencier et de les intercepter grâce à un doublement des moyens nautiques et des équipes qui les utilisent. Depuis le début d’année, les vols de surveillance de jour comme de nuit se sont intensifiés.
En ce qui concerne les radars, contrairement à ce que j’ai entendu, quatre dispositifs légers couvrant un rayon de 9 milles nautiques ont été déployés et deux radars d’envergure le seront entre fin 2025 et janvier 2026, portant la capacité à 30 milles nautiques. Pour être pleinement opérationnel, le dispositif s’appuie aussi sur les aéronefs, qui sont dédiés à 100 % à la lutte contre l’immigration clandestine, les drones optroniques, les intercepteurs nautiques et l’ensemble des effectifs qui y sont affectés.
Le deuxième principe est une meilleure coordination des moyens nautiques par la création d’un état-major opérationnel permanent, comprenant des officiers de liaison. Il permettra à terme de soutenir le PC de l’action de l’État en mer et de faire le lien entre les opérations maritimes et terrestres.
Le troisième principe est le développement du renseignement, en lien avec les forces armées de la zone sud de l’océan Indien. Afin d’améliorer l’anticipation, une cellule d’échange de renseignements sur le trafic de migrants sera installée avant cet été. Cette structure s’inscrit dans le plan de lutte contre les filières et les passeurs. Le renseignement doit permettre d’anticiper les départs depuis l’Afrique et les Comores afin de rendre plus opérationnels les dispositifs d’interception en mer.
Ce dispositif est appelé à monter en charge sur le plan technologique et humain. C’est ainsi que nous réussirons à être plus efficaces.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je m’étonne de l’usage de l’expression « rideau de fer » alors que celui-ci a coupé le monde en deux pendant des décennies.
Vous pourrez inventer les murs les plus hauts et les technologies les plus pointues, vous n’empêcherez pas les gens de quitter leur pays car ils fuient la misère et l’absence de perspectives. Tant que nous ne serons pas capables de leur apporter des solutions, le désir de venir en France restera une réalité.
Dernière question : combien tout cela va-t-il coûter ? Je ne parle pas seulement de l’investissement, mais aussi des coûts de fonctionnement et de maintenance des nombreux équipements prévus.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL321 de M. Charles Fournier
Mme Dominique Voynet (EcoS). L’instruction gouvernementale du 25 janvier 2018 visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles ne s’applique pas en outre-mer. L’amendement vise à y remédier.
Ce texte ne se contente pas d’organiser l’évacuation des occupants, il s’inscrit dans une démarche plus globale, qui inclut l’accompagnement des habitants.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Vous le savez, l’habitat illégal et insalubre est bien plus présent à Mayotte qu’ailleurs. Mamoudzou est ainsi le plus grand bidonville d’Europe.
Le projet de loi offre des moyens exceptionnels pour faciliter la reconstruction et disposer enfin du foncier – j’espère que nous y arriverons tous ensemble. Il n’est pas question de mettre de côté le relogement ni l’accompagnement social, mais une course de vitesse est engagée : tant que nous n’aurons pas jugulé l’immigration, tant que nous n’aurons pas les capacités de logement nécessaires, nous ne pourrons pas satisfaire les préoccupations que vous mettez en avant. Avis défavorable, bien que je partage l’objectif.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL77de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). La résorption de l’habitat informel à Mayotte n’est pas une affaire de logement mais l’urgence sanitaire, sociale et sécuritaire la plus criante de France. Ce qui se passe à Mayotte n’est pas digne de la République : 39 % des logements sont informels, 60 % sans confort sanitaire de base et 1 000 bangas supplémentaires voient le jour chaque année. En 2024, le gouvernement recensait près de 30 000 baraquements de fortune, ils sont sans doute bien plus nombreux aujourd’hui, sachant par ailleurs que les chiffres concernant Mayotte sont souvent sous-estimés.
En décembre 2024, le cyclone Chido a tout ravagé sur son passage. Pourtant deux semaines plus tard, les bidonvilles étaient reconstruits. M. le rapporteur se félicitait tout à l’heure de l’opération Wuambushu au cours de laquelle quelques centaines de bidonvilles avaient été détruits, mais c’est oublier qu’ils ont été reconstruits en plus grands nombre. On ne peut donc pas vraiment parler d’un succès, mais il n’y a rien de très étonnant à ce flop quand on sait que le ministre Darmanin tenait alors les rênes de l’opération.
Cet amendement de bon sens vise à clarifier le texte pour coller à une réalité faite de tôle, de ravines, de précarité et d’un sentiment croissant d’abandon.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je ne me suis pas félicité, je me suis borné à rappeler les chiffres. Je sais parfaitement que les habitations illégales ont été reconstruites.
Je vous donne raison, l’opération d’intérêt national doit concerner l’ensemble du territoire de Mayotte afin d’apporter des solutions durables. Je suis donc favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL197 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Il s’agit de transmettre aux élus locaux concernés le contenu détaillé de l’opération d’intérêt national (OIN) et de les associer à son élaboration, à son pilotage ainsi qu’à son suivi.
À Mayotte, la précarité des logements constitue un défi majeur, aggravé par la multiplication des constructions informelles. La violence du cyclone Chido a révélé la vulnérabilité extrême d’un habitat largement insalubre. Les opérations telles que Wambushu ou Place nette se sont révélées peu – pour ne pas dire, pas du tout – efficaces pour résorber l’habitat illégal.
L’opération annoncée mobilise des moyens dérogatoires, une ingénierie d’État et des outils juridiques spécifiques. Il est fondamental que les élus mahorais et les parlementaires du cent unième département soient pleinement associés à sa mise en œuvre, afin d’assurer une coordination efficace entre l’État et les collectivités locales souvent démunies pour intervenir – manque d’ingénierie, de compétences urbanistiques, de capacités techniques.
La transmission du contenu de l’OIN et l’implication des élus du territoire sont des conditions indispensables pour accélérer les opérations et assurer leur mise en œuvre coordonnée.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je suis d’accord avec vous, les élus locaux doivent être associés à l’OIN. Rien ne pourra se faire sans eux.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je reviendrai en séance sur l’amendement précédent. La transmission du contenu de l’OIN est bienvenue mais il faudra prioriser les actions à mener : on ne pourra pas s’atteler à la résorption des bidonvilles de façon simultanée sur l’ensemble du territoire. Certains endroits doivent être traités de façon prioritaire, en raison de risques de glissement de terrain, d’inondation ou de tsunami par exemple.
La commission adopte l’amendement.
Amendements identiques CL342 de Mme Estelle Youssouffa et CL199 de M. Philippe Naillet
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement tend à créer à Mayotte un observatoire pour surveiller et étudier l’activité du volcan sous-marin Fani Maoré, qui est apparu en 2018. Cet événement géologique unique en son genre suscite l’intérêt des scientifiques du monde entier.
L’installation d’un tel établissement serait utile pour donner aux jeunes Mahorais la chance d’étudier le phénomène scientifique, mais aussi pour développer une expertise locale et une politique de protection de la population.
M. Philippe Naillet (SOC). Mayotte connaît une activité sismique depuis mai 2018. Plusieurs centaines de milliers de séismes ont été enregistrés par le réseau sismologique, dont plusieurs ont été ressentis par la population. Le volcan sous-marin de Fani Maoré, situé à une cinquantaine de kilomètres de Petite-Terre, est à l’origine de cette activité.
Actuellement, la veille est effectuée par l’Observatoire du piton de la Fournaise à La Réunion. Chacun comprend bien que ce n’est pas tenable. Compte tenu des enjeux scientifiques et des risques pour la population, il est essentiel que Mayotte dispose d’une équipe dédiée.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. L’activité du volcan est suivie par le réseau de surveillance volcanique et sismologique de Mayotte (Revosima), qui publie chaque mois un bulletin d’information. Vous avez raison de souligner le risque sismique mais il est déjà pris au sérieux. Votre demande est satisfaite.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Pour assurer la sécurité des populations au regard des risques et mieux appréhender le phénomène, le tableau de programmation prévoit de soutenir le réseau mentionné par le rapporteur ainsi que le projet Marmor (Marine advanced geophysical research equipment and Mayotte multidisciplinary observatory for research and response). Ce dernier comprend l’installation d’un observatoire câblé sous-marin, capable de surveiller en temps réel, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept l’activité sismo-volcanique exceptionnelle qui affecte Mayotte depuis 2018.
Si j’ai bien compris ce qui m’a été présenté dans le cadre du sommet de l’Unoc (conférence des Nations unies sur l’océan) il y a deux jours, l’aspect sismique inquiète davantage que l’aspect volcanique. Je laisse les scientifiques travailler sur ce sujet.
Le Bureau de recherches géologiques et minières dispose à Mayotte d’une équipe de sept personnes basée à Mamoudzou et qui est spécialisée dans la gestion des eaux souterraines, la géologie, la connaissance du sous-sol, les risques, l’aménagement du territoire, ainsi que la transition énergétique et le développement de la géothermie.
La flotte de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) est prête pour des campagnes de très grande qualité afin de répondre aux inquiétudes légitimes que rappelait Mme Youssouffa.
Les amendements me semblent satisfaits.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL200 de M. Philippe Naillet
M. Philippe Naillet (SOC). Il est proposé de mettre en place à Mayotte une réserve nationale. Pourquoi ? Afin de tirer les conséquences des défaillances dans l’organisation des premiers secours lors du cyclone Chido, il paraît essentiel de prépositionner des moyens nationaux de la sécurité civile sur le territoire mahorais compte tenu des difficultés d’acheminement des secours et des matériels. Mayotte ne peut pas dépendre de la réserve nationale située à La Réunion.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. L’installation d’une réserve nationale nécessite des infrastructures de stockage, dont Mayotte n’est pas dotée à l’heure actuelle. Le territoire mahorais dépend de la réserve basée à La Réunion. Vous avez constaté, comme moi, lors du drame de Chido, la mobilisation exceptionnelle des secours.
Votre demande me semble prématurée puisque les conditions ne sont pas réunies. J’émets donc un avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL149 de Mme Nadège Abomangoli
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Par cet amendement de repli, nous voulons insister sur le fait que le problème de Mayotte n’est pas lié aux migrations.
Le chapitre s’intitule « Protéger les Mahorais face à l’insécurité ». Par quelque incongruité, le terme d’immigration y figure. Une fois encore, le gouvernement cherche à faire croire que l’insécurité est liée à l’immigration. On le voit depuis le début de nos débats, le Rassemblement national, c’est-à-dire l’extrême droite, se réjouit de l’occasion qui lui est donnée de pouvoir alimenter son discours selon lequel tous les immigrés, les étrangers, les sans-papiers, les irréguliers, etc. sont forcément des délinquants.
Nous voulons supprimer les mots « en lien avec la lutte contre l’immigration irrégulière » parce que nous sommes persuadés que la reconstruction de Mayotte, dont la lutte contre l’insécurité est un élément, passe d’abord par des politiques sociales ambitieuses, des moyens humains renforcés et non par la stigmatisation d’une partie de la population.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Nous avons un désaccord de fond sur ce point, estimant pour notre part qu’il existe un lien entre l’immigration irrégulière et l’insécurité. Les élus locaux et les Mahorais tiennent eux-mêmes un discours complètement différent du vôtre, je peux en témoigner après avoir auditionné le président du conseil départemental, l’association des maires et de nombreux élus locaux. On ne réglera pas l’insécurité si l’on met de côté la part qui revient à l’immigration irrégulière. Avis défavorable.
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Quelles études montrent un lien entre insécurité et immigration ? Les immigrés n’étant pas accueillis dignement, ils plongent dans la précarité, ce qui provoque de la délinquance. Pour le résoudre, il faut prendre le problème à la racine en offrant un accueil digne aux immigrés. Nous tenons ce discours à chaque débat sur l’immigration. Nous sommes en profond désaccord et, je le répète, vous vous retrouvez avec l’extrême droite à accréditer cette vision dangereuse tendant à faire de toute personne étrangère forcément un délinquant, un criminel. Il faut changer de vision pour obtenir une amélioration de la vie dans ces territoires. Il y a déjà eu par le passé des politiques de restriction d’accès aux droits. Cela a-t-il fait chuter la délinquance et l’insécurité ? Pas du tout. Il faut donc revoir complètement la copie.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je voudrais rappeler à mes collègues la réalité de la violence à Mayotte : nos enfants vont à l’école sous la protection des gendarmes ; on donne des moyens pour blinder les bus scolaires et ceux qui transportent les soignants ; des quartiers entiers sont submergés de bombes lacrymogènes parce que les forces de l’ordre font face à des hordes de centaines de personnes masquées, cagoulées et armées de machettes qui vont à l’assaut des propriétés privées et des habitants, afin de chasser ces derniers et prendre le contrôle de l’île. Plus de 70 % des personnes mises en cause et arrêtées par la police nationale et la gendarmerie sont étrangères à Mayotte. Plus de 70 % des affaires jugées au tribunal concernent des étrangers. Plus de 70 % des personnes incarcérées sont des étrangers. À Mayotte, le lien entre insécurité et immigration n’est pas imaginaire. Continuer à nier cette réalité constatée sur le terrain, c’est vivre au pays des bisounours. Depuis l’enfer où nous sommes plongés à Mayotte, nous vous disons d’arrêter parce que ce que vous faites nous met tous en danger et alimente l’insécurité que nous subissons. Vous alimentez un discours d’impuissance et d’impunité qui est dangereux, scandaleux, inadmissible et sans corrélation avec la réalité du terrain. Nous, à Mayotte, nous vous demandons d’arrêter de propager ce discours, d’être dans la négation totale des faits et de notre réalité.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Madame Taurinya, la situation de Mayotte est exceptionnelle. Un habitant sur deux est issu d’une immigration irrégulière. Nous avons mobilisé la réserve sanitaire à de nombreuses reprises et je n’oublierai jamais la manière dont il a fallu protéger nos soignants, toutes les difficultés qu’il a fallu vaincre pour qu’ils puissent rejoindre l’hôpital alors que leurs véhicules étaient caillassés et interceptés. Je n’oublierai jamais ces images. Je suis en total désaccord avec vous.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je ne conteste pas la divergence de vues sur ce terrain, mais je voudrais rectifier les chiffres. S’il est vrai que la délinquance est importante à Mayotte, elle est assez largement partagée dans toutes les communautés. Il est hasardeux d’affirmer que les caillassages sont uniquement le fait des étrangers en situation irrégulière. Il est faux d’affirmer que ceux-ci représenteraient 70 ou 75 % des personnes incarcérées car le taux est plutôt de 50 %, ce qui fait dire au préfet que, s’agissent de la délinquance, les Mahorais ne laissent pas leur part aux chiens.
M. Philippe Gosselin (DR). Contrairement à ce que vous dites, madame Voynet, nous ne sommes pas dans une proportion de 50-50, la part des étrangers est très importante et voisine de 70 %. Nous ne sommes pas monomaniaques : le texte comporte d’autres mesures qui ne se rapportent pas à l’immigration. Mais allez voir le maire de Mamoudzou, chers collègues, vous verrez ce qui remonte des habitants. Allez voir les bangas. Nous n’inventons pas les difficultés. Il y a bien un lien entre immigration et insécurité. Peut-être n’est-il pas systématique à 100 %, mais on ne va pas ergoter pour quelques pourcentages. La réalité est que Mayotte affronte une difficulté existentielle en raison de l’immigration. Tant que nous ne l’aurons pas maîtrisé, ce phénomène jouera au détriment des Mahorais, mais aussi de ceux qui sont entrés de façon régulière sur le territoire. Tout le monde est pénalisé. Il faut prendre des mesures exceptionnelles et ne pas passer ce lien sous silence.
Mme Anchya Bamana (RN). Je confirme les chiffres énoncés par ma collègue Estelle Youssouffa et je conteste le discours de Mme Voynet. De toute façon, nous avons toujours été en désaccord concernant l’ampleur de l’immigration illégale à Mayotte.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Je confirme mes propos précédents je maintiens mon avis défavorable.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Loin de moi l’idée de donner des leçons car il est difficile d’aborder ces débats sans passion, mais il y a des réalités : 64 % des personnes incarcérées à Mayotte sont étrangères et pratiquement toutes de nationalité comorienne – 323 sur 334. Si je donne ce chiffre, ce n’est pas pour stigmatiser une population, mais pour souligner le lien évident entre l’immigration clandestine et la délinquance. Il revient à l’État de s’attaquer aux causes de cette immigration illégale et à ceux qui l’exploitent. Une sorte d’économie circulaire s’est développée entre les Comores – en particulier l’île d’Anjouan – et Mayotte, donnant naissance à des flux financiers de plusieurs dizaines de millions d’euros. Quand on ne maîtrise pas la situation, faute de cadre – y compris au niveau des familles –, on peut se retrouver avec des bandes qui posent de nombreux problèmes que déplorent les élus, quelle que soit leur tendance politique. Il ne s’agit pas de stigmatiser une population, mais il ne faut pas non plus nier la réalité comme le font les auteurs de ces amendements.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL353 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Nous voudrions que l’État s’engage à nommer un préfet maritime rattaché à Mayotte. Un préfet maritime coordonne l’action de l’État en mer, c’est-à-dire l’action de la marine nationale avec celle des affaires maritimes, des douanes et de la gendarmerie, afin d’organiser la défense des droits et intérêts nationaux, le maintien de l’ordre public, les secours et la sécurité maritime, la protection de l’environnement et la lutte contre les activités illicites en mer. Compte tenu des enjeux à Mayotte, cette nomination serait opportune. Pour une fois, la France honorerait ses outre-mer auxquels elle doit la majeure partie de son espace maritime, ce qui fait d’elle la deuxième puissance maritime mondiale. Il y a trois préfets maritimes, localisés à Brest, Cherbourg et Toulon. Pour une fois, Mayotte pourrait être un territoire pionnier. Puisque vous nous annoncez une montée en puissance de l’action de l’État en mer, autant y aller franchement.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Vous souhaitez une coordination encore plus efficace de l’action de l’État en mer à Mayotte. Jérôme Malet, sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine, compte l’action de l’État en mer au nombre de ses missions. Nul doute qu’il s’en acquitte avec un engagement de tous les instants. Votre souhait me semble satisfait.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Un préfet maritime défend les droits et intérêts nationaux, ce qui ne se limite pas à la lutte contre l’immigration clandestine, mais comprend aussi le secours, la sécurité maritime et la protection de l’environnement. Le préfet de Mayotte est à la tâche et fait son travail, mais un préfet maritime aurait autrement plus de pouvoir. Dans l’organisation de l’État, il ne dépendrait pas du secrétariat général. Il s’agit d’une mission très différente, à la hauteur des défis auxquels fait face Mayotte.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL80 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). À Mayotte, les forces de l’ordre sont en première ligne : lutte contre l’immigration clandestine, violences urbaines, trafics, agressions. Le contexte est dur, les tensions sont constantes et la pression sécuritaire ne faiblit pas. Il convient d’ailleurs de saluer le professionnalisme des forces de l’ordre qui travaillent dans des conditions difficiles. Et pourtant, ceux qui assurent la sécurité de nos compatriotes ne sont pas traités à la hauteur de leurs engagements : le coût de la vie est exorbitant, notamment en raison de loyers démesurés ; les transports sont saturés ; les services de base sont difficiles d’accès. Alors qu’ils font preuve d’un grand courage, les policiers qui acceptent de venir en mobilité sur l’île se retrouvent seuls face à des conditions de vie précaires. Pire encore, les personnels administratifs et les policiers adjoints, pourtant indispensables au fonctionnement des services de sécurité, ne bénéficient d’aucune indemnité équivalente à celle versée aux titulaires. L’existence d’un deux poids deux mesures est inacceptable : c’est injuste et contre-productif dans la mesure où cela nuit à la fidélisation des équipages, à la cohésion des services et à l’ancrage local. Dans un département où l’insécurité est l’une des premières préoccupations de la population, nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir des effectifs tournants, découragés et fragilisés. Nous proposons donc une mesure de justice et d’efficacité : revaloriser les dispositifs d’indemnisation des policiers en mobilité et surtout les étendre aux personnels administratifs et aux policiers adjoints.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Tous les fonctionnaires, en particulier ceux qui viennent de l’Hexagone, devraient pouvoir bénéficier de la revalorisation d’indemnités préconisée, sachant que le niveau des rémunérations est très différent à Mayotte afin d’y attirer les candidats. De surcroît, vous oubliez les gendarmes dans votre amendement. Comment pourrait-on revaloriser les indemnités des seuls policiers sans l’étendre aux autres forces de l’ordre ? Vous oubliez aussi les agents qui travaillent dans les hôpitaux. Il faut avoir une réflexion globale. Ce projet de loi, qui contient un article important concernant la mobilité des fonctionnaires et les carrières, apporte des réponses. Nous souhaitons bien sûr aller plus loin, mais, en l’état actuel des choses, nous faisons déjà passer quelques signes positifs par le biais de ce texte.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Beaucoup de professionnels interviennent à Mayotte. On ne peut pas regarder seulement les policiers et oublier les professeurs, par exemple. On ne peut pas non plus oublier une donnée mise en évidence dans un récent rapport de l’Observatoire des inégalités : les outre-mer, en particulier Mayotte et La Réunion, font partie de ces territoires où la différence entre ceux qui gagnent le plus et ceux qui gagnent le moins est la plus importante. Lorsque l’on s’engage à revaloriser les rémunérations des fonctionnaires, on ne doit pas se focaliser sur la police ni oublier qu’il faut réduire les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. À Mayotte, c’est un défi tant les salaires les plus faibles sont peu importants.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL334 et CL358 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement CL334 a pour objectif d’instaurer de nouveaux dispositifs de lutte contre l’immigration clandestine. Les ballons d’observation de type T-C60 permettraient d’offrir une couverture aérienne étendue et persistante, essentielle pour la surveillance des zones critiques. Cette technologie avait été déployée au Sahel. Par sa capacité à offrir une vue d’ensemble en temps réel, elle compléterait les moyens navals et terrestres sur place en augmentant le champ de surveillance.
L’amendement CL358 prévoit la création d’une cour d’appel dans un délai de cinq ans après la promulgation de la présente loi. Actuellement, les justiciables de Mayotte doivent se rendre à la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion pour les dossiers complexes ou les recours. En 2022, quelque 1 200 affaires relevant de la compétence d’appel de Mayotte ont été transférées à La Réunion, avec un délai moyen de traitement de dix-huit à vingt-quatre mois pour les affaires civiles et de douze mois pour les affaires pénales.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Nous avons déjà débattu du renforcement des moyens de surveillance et d’interception maritimes. Citons l’étude de la mise en œuvre de bases avancées pour l’interception en mer. Citons aussi le renouvellement de l’ensemble des radars et la poursuite de l’acquisition de moyens optroniques, balises et drones. L’effort est réel et programmé pour 2025-2026. Cet amendement étant satisfait, j’émets un avis défavorable.
J’en viens à votre demande de création d’une cour d’appel à Mayotte. Dans la loi de programmation, il est déjà prévu de créer une cité judiciaire, un centre éducatif fermé et un deuxième centre pénitentiaire, pour un montant de quelque 400 millions d’euros. Si ces trois équipements sont construits dans les cinq ans, nous aurons fait œuvre utile. Pour concrétiser cette ambition, les parlementaires doivent être associés de façon étroite au suivi de ce texte qui, je l’espère, sera adopté. Nous aurons aussi à régler le problème du déficit d’attractivité du territoire pour les magistrats : le procureur de la République nous indiquait que sur les trois postes de juge des libertés et de la détention (JLD), un seul était actuellement pourvu. Construisons déjà ce qui est prévu, ce qui devrait renforcer l’attractivité et contribuer à pourvoir les postes. Il sera alors possible d’envisager la création de la cour d’appel que vous appelez de vos vœux.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL78 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Le centre pénitentiaire de Majicavo est le plus saturé de France : conçu pour 278 détenus, il en accueille plus de 650. En début d’année 2024, l’établissement a même atteint un triste pic de 678 prisonniers, soit un taux d’occupation de plus de 244 %. Il y a donc quatre ou cinq détenus par cellule, parfois plus, ce qui n’est pas sans conséquences. Il y a quelques mois, le centre a été le théâtre d’une mutinerie massive et d’une prise d’otages nécessitant l’intervention du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Je m’en souviens bien car j’étais sur place à l’époque. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage aux agents pénitentiaires et aux personnels du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui tiennent malgré tout. Jusqu’à quand vont-ils tenir ? Actuellement, il n’y a que six personnels pour suivre plus de 600 personnes détenues à Majicavo. Qui peut croire qu’une telle situation soit tenable ? En 2022, le gouvernement avait promis la construction d’un deuxième centre pénitentiaire. Trois ans plus tard, le chantier n’a toujours pas commencé. On nous l’annonce désormais pour 2027, mais Mayotte n’a pas quatre ans devant elle. Nous proposons donc une chose simple : dire clairement et inscrire dans ce texte que les travaux seront lancés sans délai. Au passage, j’incite à écouter les professionnels. Le centre pénitentiaire de Majicavo a été conçu sans tenir compte des demandes légitimes des professionnels de l’administration pénitentiaire, et son architecture s’est révélée peu cohérente avec la réalité au quotidien.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Pour construire cet établissement dans les meilleurs délais, il faut un terrain disponible. Vous allez donc voter pour l’article 19 qui prévoit des dispositifs dérogatoires aux procédures d’expropriation afin de construire plus vite ! Il reste des délais incompressibles. Les financements sont inscrits dans la loi de programmation et le chantier doit démarrer en 2027. Ensuite, il faudra que l’ingénierie suive. Je suis bien placé pour savoir que le processus peut être long, même dans l’Hexagone : dans ma ville de Châteaudun, huit ans se sont écoulés entre le début et la fin de la construction du centre de détention. À Mayotte, nous allons aller beaucoup plus vite. J’imagine que vous serez au rendez-vous de l’exigence.
M. Philippe Gosselin (DR). S’agissant de ces nouvelles constructions, il faut en effet envoyer un signal. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la question peut se régler en quelques mois. Outre la disponibilité foncière, qui pose aussi problème dans l’Hexagone, il faut une vraie volonté politique. À cet égard, je signale que le plan 15 000 places de prison est devenu un plan 18 000 places grâce à des amendements du groupe Les Républicains. Or ce plan a pris énormément de retard, et pas seulement dans l’Hexagone. Sans faire des promesses parfois compliquées dans d’autres départements ultramarins, il serait bon que nous puissions tenir l’engagement. Je prends cet amendement comme un amendement d’appel. Comme beaucoup de Mahorais et de responsables, je m’associe à cet appel.
M. Romain Baubry (RN). Vous allez pouvoir démontrer votre volonté politique de faire accélérer ce chantier. La situation sur place est explosive. Les conditions de travail des personnels et de détention des prisonniers sont déplorables. Il y a des agressions tous les jours. Il ne faudrait pas qu’un nouveau drame se produise au sein de l’administration pénitentiaire pour prendre enfin la mesure de la situation. L’adoption de cet amendement serait un signal politique fort.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL330 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). À Mayotte, le système judiciaire et carcéral implose en raison des promesses non tenues et des retards accumulés, notamment en matière d’investissements, et il explose sous l’effet de la violence. Le début des travaux de la cité judiciaire est prévu en 2025, mais rien n’a commencé. Le lancement du chantier d’un centre éducatif fermé est aussi prévu en 2025, mais rien n’est prêt. Le début des travaux d’un deuxième centre pénitentiaire, doté de 400 places, est prévu en 2027. Les cyclones ont pu occasionner certains retards, mais il faut reconnaître que les promesses avaient été faites bien avant et que rien n’avait avancé. Nous demandons donc que, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un calendrier prévisionnel du déroulement des travaux ainsi qu’une programmation budgétaire soient communiqués au comité de suivi de la loi de programmation de refondation de Mayotte. Il est nécessaire d’agir en transparence, de manière rationnelle et raisonnable.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Madame Youssouffa, je suis d’accord avec vous. Je suis favorable à votre amendement. On ne peut pas faire des programmations sans que la représentation nationale et les élus locaux soient informés.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Il est vrai que les trois projets auxquels vous avez fait référence – la cité judiciaire, la deuxième prison et le centre éducatif fermé – sont très attendus. Nous avons déjà communiqué un certain nombre d’éléments, mais il me semble effectivement important de donner le maximum de visibilité aux parlementaires et aux Mahorais sur le calendrier des travaux et la programmation budgétaire.
Je suis donc moi aussi favorable à votre amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL345 de Mme Elsa Faucillon
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je précise d’abord que si l’amendement CL358 tendant à créer une cour d’appel était de nouveau mis aux voix, nous le voterions.
Quant au CL345, il est vrai qu’il contient une forme d’affirmation politique. Nous n’avons pas abusé de ce type d’amendements au rapport annexé – je crois que nous n’en avons déposé que deux –, dont je me satisfais d’ailleurs que nous l’examinons dès maintenant : cela permet de mieux contextualiser les débats et de connaître les orientations de chaque groupe.
En l’occurrence, il s’agit de pointer le fait que l’État français s’est bien trop peu préoccupé des questions d’égalité et de la qualité de vie des Mahorais et des Mahoraises, les enjeux stratégiques l’emportant sur l’intérêt porté à la population. Nous appelons donc à un changement radical. Or, à la lecture du texte, nous ne pouvons que constater le caractère non normatif des engagements en matière sociale et le caractère très normatif, au contraire, de toutes les mesures répressives liées à l’immigration irrégulière, cette dernière étant souvent utilisée comme prétexte pour ne pas régler les questions sociales.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. « Hier la colonisation, aujourd’hui la départementalisation, profite plus à nos intérêts stratégiques qu’à la qualité de vie des Mahorais et des Mahoraises. » Proposer d’ajouter cette phrase au rapport annexé est un peu provocateur, et même malhonnête, dans la mesure où ce texte signe l’effort considérable que nous faisons.
Nous faisons tous les mêmes constats. Aucune voix divergente ne s’est élevée pour nier les retards, la pauvreté immense dont souffre Mayotte, ni le fait que les enjeux relatifs à la cherté de la vie ou à l’accès à l’eau y sont encore plus cruciaux que dans le reste du pays. En revanche, affirmer que les intérêts stratégiques l’emportent sur le soutien à la qualité de vie des Mahoraises et des Mahorais n’est pas juste. Vous êtes naturellement libre de le dire, mais je m’oppose avec force à cet amendement.
M. Philippe Gosselin (DR). Je trouve moi aussi cet amendement provoquant, en ce qu’il me semble porteur, en quelque sorte, d’un procès colonial qui n’a pas lieu d’être ici. Vous cherchez à opérer un distinguo entre la France hexagonale et le reste du territoire. Or Mayotte, c’est la France. Les deux sont inséparables : c’est l’histoire des sultans batailleurs et de la départementalisation, une histoire qui est loin d’être achevée.
Nous sommes plusieurs, dans cette salle, à connaître le dossier et à être allés suffisamment souvent dans le territoire pour n’avoir aucune leçon à recevoir : nous aimons les Mahorais, nous travaillons dans leur intérêt, comme dans celui des Français. Au détour de cette phrase, il y a une petite provocation à laquelle il est normal que nous répondions, mais par laquelle nous ne nous laisserons pas piéger. Nous ne pourrons évidemment pas voter un tel amendement.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Au-delà de votre combat contre la colonisation et en faisant abstraction du fait que nous, à Mayotte, avons été consultés et avons voté pour rester français, ce que nous sommes depuis 1841 – ce qui signifie que vous utilisez notre île pour propager un discours qui ne nous est pas applicable –, vous vous permettez d’insulter le combat des Mahoraises et des Mahorais qui, depuis les années 1940, se sont battus pour la départementalisation.
Des hommes et des femmes ont versé leur sang, se sont battus, puis ont voté pour la départementalisation. Ce combat, c’est celui de notre ancrage dans la République et de l’égalité. Utiliser notre île, bafouer la mémoire de nos anciens, s’asseoir sur le vote des Mahoraises et des Mahorais pour faire votre propagande, c’est aller très loin dans la négation totale de ce qu’est Mayotte française et du combat qu’il a fallu mener pour en arriver là.
Que nous ne soyons pas satisfaits de notre qualité de vie et de nos difficultés d’accès aux droits, personne ne le nie. Mais cette situation n’est due ni à la départementalisation, ni à la colonisation. Si vous prétendez vouloir défaire les statuts qui sont le fruit du vote et du combat des locaux, c’est que votre volonté de respecter la démocratie est à géométrie très variable. Comptez-vous nous décoloniser à l’insu de notre plein gré ? Nous avons voté, mais vous entendez nous expliquer que nous sommes quand même malheureux, comme si vous saviez mieux que nous ce qui est bon pour nous. Venant de gens qui se gargarisent de leur attachement au consentement et de leur lutte contre les visions coloniales, c’est tout de même très fort ! On est en plein dans ce que vous dénoncez par ailleurs : vous arrivez de l’extérieur pour nous dire comment nous devons vivre et choisir, alors que nous avons déjà voté. Mayotte est pleinement française, et nous nous sommes battus pour qu’il en soit ainsi. La départementalisation fut le choix des citoyens éclairés et libres que nous sommes.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). J’invite nos collègues à relire attentivement l’amendement : il ne s’agit pas de remettre en cause la départementalisation – quoi que nous en pensions par ailleurs – ni la citoyenneté. Seulement, puisque nous réaffirmons ici l’appartenance de Mayotte à la France, permettez que nous parlions en tant que représentants de la nation française, donc des Mahorais et des Mahoraises – sauf si vous considérez que certains méritent davantage de les représenter que d’autres.
Nous nous permettons donc de soutenir cet amendement, qui n’est pas une provocation, mais un reflet de l’histoire et de la réalité. Y a-t-il eu une colonisation ? Oui, et pas uniquement à Mayotte. Y a-t-il eu une départementalisation ? Oui. Qu’y a-t-il de provocateur à rappeler ces faits et à souligner que notre pays, au-delà de Mayotte, est l’héritier de ces processus historiques ? Ce ne sont pas uniquement les députés des groupes GDR et LFI-NFP qui le disent : divers chercheurs expliquent que l’ensemble des territoires dits ultramarins subissent encore des inégalités structurelles du fait de cette histoire. Voilà ce que tend à rappeler cet amendement, qui ne vise nullement à remettre en cause la citoyenneté de nos compatriotes, mais à reconnaître notre histoire. L’Assemblée nationale s’honorerait à reconnaître cette réalité plutôt qu’à la nier.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Si, encore une fois, nous n’avons pas abusé de ce type d’amendements, nous avons des choses à dire sur la manière dont l’État français traite Mayotte et ses habitants. Il ne s’agit absolument pas d’une provocation. Comment nier que Mayotte est le département le plus pauvre de France ? La provocation, en réalité, c’est le fait que 42 % de sa population vive avec moins de 160 euros par mois ; qu’à peine un tiers des Mahorais et des Mahoraises aient accès à un emploi ; qu’une grande partie d’entre eux vivent dans des bidonvilles insalubres. Voilà autant de provocations de l’État français vis-à-vis de ces citoyens !
On ne peut pas non plus nier que la colonisation, puis la départementalisation – dont je ne nie pas qu’elle ait été voulue par les Mahorais et les Mahoraises –, répondait d’abord à des intérêts stratégiques et géostratégiques. Ne cherchez pas des sous-entendus là où il n’y en a pas : mon amendement est parfaitement explicite. Il s’agit, non pas de remettre en cause la départementalisation, mais de rappeler très clairement les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée – conditions qui, malheureusement, perdurent.
Je ne me prononce pas sur le futur. Si des choses s’améliorent, tant mieux : nous aimerions que les engagements pris dans le rapport annexé, comme celui relatif au Smic, soient tenus, contrairement à ceux qui figuraient dans la loi Elan de 2018. Permettez-nous, toutefois, d’avoir quelques doutes, dans la mesure où tous les engagements pris au cours des dernières décennies ont été largement défaits.
M. Manuel Valls, ministre d’État. Pour m’exprimer régulièrement sur ces questions, d’abord comme citoyen passionné d’histoire et désormais comme ministre, j’estime que tout ce qui a trait à la mémoire, à l’identité et aux rapports de la France avec ses territoires ultramarins doit être abordé avec lucidité, mais aussi avec une forme de courage, notamment s’agissant de l’esclavage ou de la colonisation.
Je n’ai aucun problème à soulever ces questions : lorsque j’évoque la Nouvelle-Calédonie, je n’hésite pas à souligner que nous sommes toujours dans un processus de décolonisation ; quand je parle de la vie chère et de ses stigmates, je n’élude pas le poids de l’esclavage et de la colonisation dans les Antilles. Je remarque aussi qu’il existe des histoires différentes, qui ne sont pas appréhendées de la même manière selon les territoires concernés.
Ces questions doivent être abordées avec les élus, avec les parlementaires de ces territoires et surtout avec les sociétés qui les composent. Je relisais récemment un magnifique texte d’Aimé Césaire qui, à l’occasion du centenaire de l’abolition de l’esclavage, en 1948, rendait un superbe hommage à Victor Schœlcher, dont certaines des statues ont été mises à terre alors qu’il est l’un des plus beaux visages de la République.
Nous pouvons parfaitement traiter de ces sujets. Le problème de votre amendement, c’est qu’il nous éloigne de cette démarche. En affirmant qu’« hier la colonisation, aujourd’hui la départementalisation, profite plus à nos intérêts stratégiques qu’à la qualité de vie des Mahorais et des Mahoraises », vous mettez sur le même plan la colonisation et la départementalisation. Or cette dernière, comme l’a rappelé Estelle Youssouffa, répondait à une demande très puissante de la société mahoraise. J’ai ainsi été très touché d’entendre un vieil élu de Mayotte nous dire à tous deux : « La France, c’est la liberté. »
Chaque territoire a son histoire. Celle qui nous lie à la Nouvelle-Calédonie, par exemple, est celle d’une prise de possession d’une très grande violence, que Victor Schœlcher, alors en exil, a d’ailleurs condamnée. L’histoire de Mayotte est très différente, d’où cet attachement profond à la France et l’absence des mouvements indépendantistes qu’on a pu observer ailleurs.
La départementalisation a été un long combat pour marquer cet attachement et cette relation avec la France. En expliquant qu’elle profite davantage aux intérêts stratégiques de la France qu’à la qualité de vie des Mahorais, vous suggérez que ceux qui la défendent, c’est-à-dire la large majorité d’entre eux, ne le font qu’au nom de ces mêmes intérêts.
Ces intérêts stratégiques existent, évidemment. Les Mahorais exigent d’ailleurs de la France qu’elle intègre davantage Mayotte dans sa réflexion stratégique pour l’océan Indien, d’où les amendements relatifs aux questions de défense que nous avons examinés. Ils nous accusent souvent de les avoir abandonnés, non seulement face à leurs difficultés économiques et sociales – il y a là une part de réalité que je ne peux pas nier –, mais aussi face aux influences étrangères, notamment celle de leur voisin, les Comores, qui ne reconnaissent pas le choix de Mayotte de rejoindre la France. En ouvrant ce débat, vous prêtez le flanc à l’idée selon laquelle – pardon d’être brutal – vous défendez non pas les intérêts de Mayotte, mais ceux de ce voisin.
Cet amendement est donc très gênant tant du point de vue historique que du point de vue stratégique. C’est pourquoi je m’y oppose totalement.
M. Philippe Vigier, rapporteur général. Lorsqu’on est passé par la rue Oudinot, on sait à quel point la question de la colonisation est difficile et violente. La départementalisation, en revanche, c’est l’émancipation, la liberté, la possibilité donnée aux Mahorais de choisir des élus à même de conduire des politiques publiques. Je rappelle également que nous nous apprêtons à donner davantage de moyens au département, qui est appelé à devenir un département-région. Même si personne n’en parle, cette évolution institutionnelle et la montée en compétence qui l’accompagne ne sont pas anodines, pas plus que ne l’est l’argent que l’État compte déployer pour mieux accompagner Mayotte.
Enfin, les Mahorais expriment depuis 1974 leur souhait de rester français, parce qu’ils y trouvent un intérêt stratégique et parce qu’ils éprouvent de l’amour pour ce pays. Nous n’oublierons jamais Mayotte. Mayotte, c’est la France.
La commission rejette l’amendement.
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La séance est levée à 13 heures.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Albertini, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Anchya Bamana, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, Mme Blandine Brocard, Mme Gabrielle Cathala, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, Mme Céline Hervieu, M. Patrick Hetzel, Mme Mathilde Hignet, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, M. Guillaume Kasbarian, Mme Émeline K/Bidi, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, Mme Brigitte Liso, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, Mme Élisa Martin, M. Stéphane Mazars, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, M. Philippe Naillet, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Philippe Vigier, Mme Dominique Voynet, Mme Estelle Youssouffa
Excusés. - Mme Sophie Blanc, M. Ian Boucard, M. Moerani Frébault, M. Michaël Taverne, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan
[1] Les articles 10, 19, 19 bis, 19 ter, 20, 21, 21 bis, 23 et 24 ont été délégués au fond à la commission des Affaires économiques et l’article 22 à la commission des Finances.