Compte rendu
Délégation aux droits des enfants
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Agnès Canayer, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la famille et de la petite enfance 2
– Membres présents ou excusés.........................3
Mardi
19 novembre 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 6
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Perrine Goulet,
Présidente
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La séance est ouverte à 16 heures 30
Présidence de Mme Perrine Goulet, Présidente de la Délégation
La Délégation aux droits des enfants auditionne, Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance.
Mme la présidente Perrine Goulet. Dans le cadre de la Journée internationale des droits de l’enfant, nous auditionnons Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance, sur la politique du gouvernement en faveur de la protection de l’enfance.
Madame la ministre déléguée, mes premières questions porteront sur les plus petits. Lors de la précédente législature, la Délégation aux droits des enfants avait mené une mission flash visant à évaluer les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches. Alors que le service public de la petite enfance (SPPE) devra être opérationnel au 1er janvier 2025, quels sont les moyens mis en œuvre pour garantir son effectivité ? Vous avez annoncé un renforcement des contrôles dans les crèches : comment seront-ils assurés ? J’aimerais aussi avoir votre avis sur certaines recommandations émises par les corapporteures de la mission telles que l’interdiction des accueils en surnombre ou des places ponctuelles en crèche, la fin du financement à l’heure, ou encore l’inversement du ratio de qualification résultant du décret du 7 juin 2020.
Je souhaite également vous interroger sur la famille. Alors que nous constatons la difficulté à être parent, ne vous semble-t-il pas nécessaire de développer la politique des 1 000 premiers jours de l’enfant ? La réforme du congé parental, amorcée par votre prédécesseur il y a quelques mois, est-elle toujours d’actualité ?
Lors de la précédente législature, la Délégation a mené un cycle d’auditions sur la lutte contre les violences faites aux mineurs et la protection de l’enfance. Quelle politique le gouvernement souhaite-t-il mettre en œuvre dans ce domaine ? Allez-vous relancer le comité interministériel à l’enfance ?
J’en viens à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Aucun taux d’encadrement n’est prévu dans les structures d’accueil des enfants placés sous protection, sauf dans les pouponnières – et il date de 1974. Il serait pourtant nécessaire d’en fixer un pour prendre en compte les besoins des enfants et rendre ces métiers attractifs. Il faudrait d’ailleurs que les mêmes taux soient établis pour tous les modes d’accueil dès 0-3 ans, puis que d’autres taux soient fixés en fonction de l’âge et du développement des enfants. Puisque vous disposez du pouvoir réglementaire, allez-vous engager un travail avec les collectivités pour définir de tels taux rapidement, ou au moins une trajectoire pour y parvenir ? Il y a urgence.
Nous devons aussi nous pencher sur le contrôle des établissements et des personnels dépendant de l’ASE, au vu notamment de plusieurs faits divers survenus au cours des dernières semaines. Les contrôles sont actuellement menés par les départements, qui sont aussi chargés d’autoriser, d’agréer et de financer ces établissements. Il me semble nécessaire de permettre un contrôle externe. Comment envisagez-vous de faire intervenir l’État dans ce domaine, afin d’aller au-delà des quelques contrôles effectués par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) durant les vingt dernières années ?
Le manque de places d’accueil pour les enfants ayant fait l’objet d’un jugement de mise sous protection, dont le nombre progresse de 2 % par an, est préoccupant. Selon les syndicats de magistrats, 3 500 enfants restent sans solution après jugement. Outre le placement en foyer ou chez un assistant familial, la loi a prévu d’autres solutions, comme l’accueil durable par des bénévoles ou le placement chez un tiers digne de confiance. Or celles-ci ne se développent pas. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
Alors que nombre de professionnels du secteur font un travail formidable, ils sont souvent vilipendés, ce qui conduit à une désaffection à l’égard de ces métiers. Allez-vous réfléchir à un nouveau mode de sélection des candidats à l’entrée de ces formations, afin de pallier les difficultés liées à Parcoursup ? Envisagez-vous de revoir les formations des métiers du domaine du social afin d’éviter une spécialisation – enfance, handicap ou personnes âgées – qui entrave les déroulés de carrière et nuit à l’attractivité de ces métiers ? Nous proposons enfin de créer une nouvelle catégorie d’assistants familiaux, constituée de personnes autorisées à exercer une autre activité à temps partiel, notamment dans la fonction publique. Qu’en pensez-vous ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la famille et de la petite enfance. Je suis honorée de votre invitation en cette semaine du trente-cinquième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide). Nous partageons un attachement réciproque à l’intérêt supérieur de l’enfant, aux droits fondamentaux qui en découlent, ainsi qu’à l’effectivité de ces droits. L’attachement profond que la République française porte aux droits des enfants est toujours aussi vif, et nous savons qu’il nous reste beaucoup à faire pour que chaque enfant soit protégé. C’est par un engagement sans faille que je veux honorer cet attachement. Deux mois après ma prise de fonction comme ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance, auprès de Paul Christophe, je veux vous présenter nos priorités, qui s’attacheront toujours à prendre en compte l’intérêt de l’enfant, à entendre sa voix, à lutter contre les violences qui lui sont faites, à le protéger.
La protection des enfants passe par la sécurisation des parents. La famille, dans toutes ses formes et sa diversité, doit être le lieu premier d’éducation et d’épanouissement de l’enfant. Aussi faut-il soutenir, accompagner et sécuriser les familles, les parents, pour protéger les enfants.
Dans un contexte préoccupant de déficit de naissances, je tiens à faciliter la réalisation du désir d’enfant. Cela passe nécessairement par une confiance accrue des futurs parents dans la société tout entière. Chacune et chacun doit pouvoir envisager une parentalité sereine.
Nous entendons conduire une politique familiale de soutien aux foyers qui accueillent un enfant, afin de les accompagner et de les soutenir dans ce moment de vie si particulier. Grâce aux travaux de Boris Cyrulnik, nous savons que les 1 000 premiers jours de l’enfant sont une période cruciale pour son développement. Nous devons porter une attention particulière aux parents vulnérables, aux familles isolées et aux foyers qui éprouvent des difficultés. J’insisterai fortement sur l’accompagnement des jeunes mères, sur la prévention et le suivi de la dépression post-partum, ainsi que sur tout ce qui permet de créer du lien entre parents et enfants. Plus globalement, je tâcherai de prévenir l’altération de ce lien et de l’éducation. Nous travaillerons aussi activement à promouvoir la coparentalité, indispensable pour garantir le lien parents-enfants après la séparation du couple.
Une parentalité sereine et un développement harmonieux de l’enfant exigent une bonne conciliation entre la vie professionnelle et personnelle. C’est tout le sens de la mise en œuvre, dès janvier prochain, du service public de la petite enfance, qui vise à garantir l’accueil de tous les jeunes enfants de façon sécurisée, inclusive, accessible financièrement, sur l’ensemble du territoire. Il permettra de placer la qualité de l’accueil du jeune enfant au centre de notre action, en s’appuyant sur un nouveau référentiel, qui doit être adopté d’ici à la fin de l’année, ainsi que sur des contrôles renforcés et mieux coordonnés. Le SPPE assurera par ailleurs une meilleure reconnaissance et une plus grande attractivité des métiers de la petite enfance.
J’ai souhaité engager un chantier complémentaire, celui de la réforme du financement des lieux d’accueil du jeune enfant. Il s’agit notamment de favoriser la création de places par les collectivités publiques et de mieux réguler l’ensemble du secteur. Cette approche globale vise à éviter toute dérive, les limites du système actuel ayant été documentées par plusieurs rapports et livres récents.
Je serai aussi très attentive aux autres modes d’accueil du jeune enfant, notamment à l’accueil individuel, afin que la diversité d’une offre qualitative corresponde à la diversité des choix et aux besoins des familles et des enfants. Nous actionnerons ainsi tous les leviers permettant de garantir la qualité et l’accessibilité de l’accueil du jeune enfant. Plus généralement, nous créerons les conditions permettant à ce dernier de bien grandir, de s’épanouir, de s’éduquer et de se sociabiliser. Je veillerai tout particulièrement à ce que soit favorisé l’accueil des enfants des familles monoparentales, au bénéfice de l’enfant comme de son parent, notamment au travers du développement des crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip). Je serai tout aussi attentive s’agissant de l’accueil des enfants issus des familles les plus modestes et de la lutte contre la pauvreté infantile. Vous me trouverez pleinement engagée, aux côtés de Paul Christophe, pour conduire et renforcer les politiques en faveur de ces enfants, que les conclusions de votre mission d’information sur la pauvreté infantile mise en place par la Délégation nourriront très utilement.
Pour vivre une parentalité sereine, il faut aussi être outillé pour protéger et éduquer l’enfant face aux mutations du monde moderne. Les parents sont parfois démunis pour faire face aux différents risques auxquels leurs enfants sont confrontés. Nous nous concentrerons prioritairement sur la protection des enfants dans l’environnement numérique, face aux risques liés à l’usage et aux contenus des écrans. Nous savons qu’il faut éviter l’usage des écrans pour les tout-petits. Quant aux plus grands, ils sont souvent confrontés à des contenus inappropriés à leur âge, ce qui menace leur bon développement, et exposés au cyberharcèlement. D’une manière générale, l’omniprésence des écrans n’est pas sans conséquences sur les enfants comme sur les familles. Il nous faut donc agir sur toutes ces composantes, interdire ce qui doit l’être, soutenir la parentalité numérique, lutter contre les cyberviolences et définir des solutions alternatives. Je m’y emploierai avec force. J’aurai également à cœur de faciliter la prévention, la détection et l’accompagnement des troubles de santé mentale des enfants, ainsi que de lutter contre la stigmatisation de ceux qui en sont atteints. Je souhaite poursuivre et renforcer les plans de lutte contre les violences faites aux enfants. Je soutiendrai les actions conduites par la sphère publique et le milieu associatif en vue de prévenir les risques et de lutter contre toutes les violences faites aux enfants, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychiques.
Enfin, je veux partager avec vous ma préoccupation et mon ambition concernant la protection de l’enfance. Comme vous, comme les départements, comme les différents acteurs de la filière, nous constatons que le secteur va mal, depuis de nombreuses années, et que la situation s’est probablement aggravée au cours de ces dernières années. Je me félicite que l’Assemblée nationale ait créé une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance. Nous pourrons ainsi disposer d’un état des lieux et de données fiables. Les conclusions de la commission d’enquête alimenteront les travaux de refondation de la protection de l’enfance, évoqués par le premier ministre la semaine dernière, que nous allons engager avec les départements et le ministère de la justice.
Mon ambition est de refonder la politique de la protection de l’enfance, en étroite concertation avec tous les acteurs – départements, ministère de la justice, associations, familles, parlementaires. J’ai la conviction qu’il faut désinstitutionnaliser la protection de l’enfance, retravailler le parcours de l’enfant, renforcer la prévention, en lien avec les familles, et mobiliser davantage toutes les solutions possibles dans le cadre d’un parcours individualisé – recours à la famille ou à des tiers de confiance, révision des conditions d’adoption.
Nous devrons évidemment actionner d’autres leviers pour refonder cette politique. Au-delà du nécessaire renforcement de l’attractivité des emplois, que vous avez évoqué, il faudra repenser les conditions d’accueil des enfants, depuis les pouponnières jusqu’aux établissements. Nous devrons réfléchir à une redéfinition des taux d’encadrement – une question sur laquelle nous avons déjà eu des échanges très constructifs – et à un renforcement du contrôle des établissements de l’ASE.
Une autre impérieuse nécessité est de garantir le parcours de soins, le parcours scolaire et l’accès à l’autonomie des jeunes sortant ou s’apprêtant à sortir de l’ASE. Nous avons pris des dispositions pour accélérer la publication des derniers décrets d’application de la loi Taquet du 7 février 2022. Afin d’améliorer l’attractivité du secteur, nous avons posé le principe de la création d’un comité de filière qui, à l’instar de celui mis en place pour la petite enfance, rassemblera les acteurs pour formuler des propositions en matière de valorisation des métiers, d’accès aux formations et de contenu des enseignements.
Cette refondation est devant nous. Les travaux de la commission d’enquête, ceux de la mission d’information sur les mineurs non accompagnés que votre Délégation avait créée sous la précédente législature, ainsi que les nombreuses propositions que vous avez formulées dans le cadre d’amendements, sont et seront autant d’éléments indispensables pour nourrir notre réflexion et concrétiser notre action.
Voilà les priorités de mon action, que je voulais présenter devant vous. Nous avons la même boussole : l’intérêt supérieur de l’enfant. Soyez assurés de toute ma détermination.
J’ai déjà répondu à certaines de vos questions, madame la présidente. Je peux néanmoins approfondir quelques-unes de mes réponses.
Le premier sujet auquel j’ai été sensibilisée, dès ma prise de fonction, est celui du contrôle qualité dans les crèches, à un moment où le rapport de l’Igas et plusieurs livres, dont celui de Victor Castanet, faisaient état de certaines dérives dans la prise en charge, l’accueil et l’accompagnement des jeunes enfants.
Nous allons publier un rapport et un référentiel national sur la qualité des crèches. Les contrôles actuels portent surtout sur la sécurité : on regarde si les clenches sont posées à la bonne hauteur, si le crépi est assez gros, s’il y a bien un jardin et des couches, mais on ne vérifie pas que les enfants vont réellement dans ce jardin et qu’ils sont régulièrement changés. En fait, on ne contrôle jamais réellement la qualité de l’accueil et l’engagement des professionnels de la petite enfance qui travaillent dans les crèches au quotidien. C’est tout l’objet des nouveaux contrôles qualité, qui seront mieux coordonnés à l’échelle des départements, dans le cadre d’un plan annuel de contrôle, et effectués par la caisse d’allocations familiales (CAF), par la protection maternelle et infantile (PMI) ou par l’État, par le biais de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS). Nous disposerons ainsi d’une vision globale, et nous pourrons réagir de manière plus réactive si des dysfonctionnements sont suspectés. Le comité de filière travaille sur le taux d’encadrement dans les structures de la petite enfance, qui sera lié au référentiel qualité publié d’ici à un mois environ.
S’agissant de la politique en faveur des familles, vous avez justement relevé l’importance du dispositif des 1 000 premiers jours, qui couvre une période allant du quatrième mois de grossesse aux 2 ans révolus de l’enfant. Nous devons développer les actions de prévention, notamment les entretiens périnataux et post-partum – nous savons à quel point une dépression post-partum peut entrainer de lourdes conséquences sur le développement psychique et somatique des enfants. Nous continuons de réfléchir à une réforme du congé parental, car le projet qui m’a été présenté lors de ma prise de fonction n’est pas abouti : certaines questions restent en suspens, s’agissant notamment de la durée du congé, de l’articulation entre le temps pris par le père et celui pris par la mère, ou encore du niveau de la rémunération des parents. Avec Paul Christophe, nous voulons proposer un véritable congé de naissance tel que le souhaitent de nombreuses familles.
En matière de lutte contre les violences subies par les mineurs en général, et par ceux qui dépendent de l’ASE en particulier, nous voulons agir le plus en amont possible. Florence Dabin, présidente du Conseil départemental de Maine-et-Loire, a publié un rapport dont nous allons fortement nous inspirer. Il s’agit de favoriser un meilleur croisement des faisceaux d’indices et de détecter les violences en amont des signalements, notamment par le biais des cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip).
Je travaille avec mes collègues à l’élaboration d’une feuille de route visant à relancer le Comité interministériel à l’enfance. Si la protection de l’enfance relève principalement de mon ministère, je ne dois pas moins travailler avec Geneviève Darrieussecq, Anne Genetet, Didier Migaud et d’autres ministres, parce que nous sommes confrontés notamment à des questions de santé, d’éducation et de justice.
Le décret du 15 janvier 1974 relatif aux pouponnières a vécu. Nous devons réfléchir non seulement à l’actualisation du taux d’encadrement, mais aussi à la qualité de l’accompagnement et de l’accueil des nourrissons dans ces structures, sachant que le nombre d’enfants qui y sont placés est plutôt en baisse. Nous devons notamment nous assurer que les bébés sont portés au moins vingt minutes par jour, comme le recommandent les études récentes. J’espère pouvoir vous faire rapidement des propositions dans ce domaine. Qu’il s’agisse des pouponnières ou des établissements de l’ASE, nous sommes très réceptifs à vos propositions d’échelonnement des taux d’encadrement.
Des Comités départementaux pour la protection de l’enfance (CDPE) sont actuellement expérimentés dans dix départements. Ils permettent une meilleure coordination entre l’ASE et les acteurs de la justice, de la santé et de l’éducation nationale. Une évaluation était prévue au bout de cinq ans, mais j’ai souhaité la réalisation d’un bilan intermédiaire afin d’étendre le dispositif à d’autres départements avant cette échéance.
Nous ne pouvons nous satisfaire que des enfants restent sans solution après un jugement de mise sous protection ; c’est pourquoi nous avons engagé une réflexion sur la désinstitutionnalisation de la prise en charge des enfants confiés à l’ASE. Avec le ministère de la justice et les départements, nous devons envisager une manière de favoriser le placement auprès de tiers dignes de confiance, d’assistants familiaux ou de familles de cœur. Quelques points restent à régler concernant les tiers dignes de confiance, notamment la question de l’honorabilité. En outre, des travaux sont en cours pour mieux valoriser le métier d’assistant familial, car la population de ces professionnels essentiels est vieillissante, et pour favoriser le statut des familles de cœur.
Mme la présidente Perrine Goulet. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Caroline Parmentier (RN). La Délégation aux droits des enfants nous a désignées, Béatrice Piron et moi-même, corapporteures d’une mission d’information sur la pauvreté infantile. Nos premières auditions mettent en évidence le grave défaut général de politique de l’enfance en France. Il n’y a pas de pauvreté infantile en soi, mais des familles pauvres en raison de multiples facteurs – effondrement du pouvoir d’achat, impossibilité de vivre de son salaire alors même que les deux parents travaillent, chômage, maladie, spirale de pauvreté des familles monoparentales. Les ministres valsent et les problèmes s’aggravent. La protection de l’enfance a besoin d’un ministère spécialement dédié, non d’un ministère délégué. Sachant qu’il faut six générations pour sortir de la pauvreté, quelle politique comptez-vous mettre en œuvre pour enrayer ce fléau ? Quelle sera votre priorité, votre marque personnelle ? Concrètement, où en est la mise en place des cantines à 1 euro ? Quel est le bilan de cette mesure depuis 2019 ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). J’aimerais insister sur la hausse des demandes de placements et l’augmentation du nombre d’enfants remis à leur famille après jugement de mise sous protection, faute d’accompagnement disponible.
Je viens de conduire, avec Sandrine Rousseau, une mission d’information sur les urgences psychiatriques. Nous avons constaté que des enfants, notamment ceux qui font l’objet d’une demande de placement, peuvent souffrir dès le plus jeune âge de troubles psychologiques et psychiques très importants, mais que ces derniers sont difficiles à repérer, notamment dans un cadre scolaire. Nous devons travailler en lien avec l’éducation nationale pour que des infirmières scolaires en nombre suffisant puissent faire du dépistage, de l’orientation et du suivi, en insistant sur la coordination entre les différents professionnels de santé.
Enfin, il serait bon d’envisager, avec le ministère de la justice, une révision de l’ordonnance de protection des enfants victimes de violences intrafamiliales, afin d’accroître son efficacité.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous êtes la deuxième ministre que nous auditionnons depuis la création de cette délégation, et votre propos liminaire n’a fait qu’accroître mon inquiétude. Que faites-vous depuis deux mois ? C’est la première question qui me vient à l’esprit, tant vos sorties et vos interventions dans les médias sont rares. Que faites-vous pour répondre au scandale des crèches privées lucratives ? Au passage, je signale qu’aujourd’hui est un jour de grève et de mobilisation dans le secteur de la petite enfance. Que faites-vous pour la protection de l’enfance ? Vous avez dit que le secteur va mal et que « la situation s’est probablement aggravée au cours de ces dernières années ». Comment pouvez-vous utiliser le mot « probablement » ? Je ne sais pas où vous habitez ni ce que vous avez pu lire pour utiliser un tel mot !
Vous attendez la conclusion des travaux de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance pour avoir des données fiables. Or nous avons déjà ces données, car le sujet a fait l’objet de rapports à n’en plus finir. Tout le monde constate que la protection de l’enfance est en grave danger et que les enfants en subissent les conséquences, parfois au prix de leur vie.
Vous parlez de vingt minutes de portage par jour pour les bébés en pouponnière. Qui a sorti un chiffre aussi idiot, qui méconnaît les besoins fondamentaux des enfants ?
La désinstitutionnalisation est un bel objectif, mais il faudrait déjà répondre à l’urgence, qui est d’exécuter les placements : 3 000 enfants patientent là où ils sont victimes de violences. Je suis très inquiète, car je ne vous ai pas entendue parler de mesures d’urgence en la matière. Le secteur continue de s’effondrer et, je le répète, des vies d’enfants tombent avec lui. Qu’allez-vous faire, concrètement, pour que les 3 000 enfants dont j’ai parlé bénéficient d’une solution, qu’il n’y ait plus de syndromes d’hospitalisme dans les pouponnières, que des enfants ne se suicident plus dans des hôtels, et que certains départements cessent de faire ce qu’ils veulent en matière de protection de l’enfance ?
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je partage l’inquiétude de Mme Marianne Maximi. Il ne se passe pas une semaine sans qu’éclate un scandale à propos d’un lieu accueillant des enfants que nous devons protéger. Ce ne sont pas des faits divers : nous en sommes responsables.
S’agissant des lieux où sont placés des enfants – familles d’accueil, foyers et autres structures –, il est entendu qu’il faudrait exercer un contrôle accru mais que, finalement, celui-ci serait confié aux départements. Je me demande ce que deviendrait l’inspection du travail si les employeurs étaient chargés de mettre en place les mesures d’inspection…
Il est urgent d’agir, sans attendre un comité interministériel, en partant des mesures préconisées par différents rapports, notamment celui remis récemment par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) à la suite d’une saisine du Sénat. Il faut créer très rapidement une instance de contrôle indépendante qui réponde à l’État et non aux départements, parce que le dispositif doit être uniforme plutôt qu’à la main des collectivités.
Le temps de l’enfant n’est pas celui des institutions. Il y a urgence, car des enfants souffrent. On parle de ceux qui meurent, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : pensons aussi à toutes les vies brisées. Quand on a échangé avec de nombreux anciens enfants placés, on sait qu’ils traînent derrière eux des années de souffrance, qui ont un coût aussi bien pour eux que pour toute la société.
M. Thibault Bazin (DR). Vous le savez, le groupe Droite républicaine est très attaché à la politique familiale, dont il a historiquement défendu l’universalité. Votre propos liminaire témoigne d’une prise de conscience de la baisse inquiétante de la natalité, et nous saluons votre souhait de répondre aux besoins des parents et surtout des enfants – il y a tant à faire ! Nous souhaitons y contribuer en étant force de proposition.
Ce matin, à Rosières-aux-Salines, je suis allé à la rencontre des professionnels grévistes d’un multi-accueil géré par un acteur privé non lucratif qui œuvre de concert avec la municipalité. Ils dénoncent un référentiel bâtimentaire inadapté, un taux d’encadrement insuffisant pour une prise en charge de qualité, notamment des plus petits, un manque d’attractivité des métiers, des écueils en matière de formation ainsi qu’un modèle de prestation de service unique (PSU) défini au niveau national. Tout cela ne relève pas des collectivités territoriales, mais de l’échelon national.
Nous avons mené, au premier semestre, une commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements. La rapporteure, Mme Sarah Tanzilli, a fait plus de soixante-dix recommandations, dont certaines concernent des réformes structurelles – comme la révision du modèle de la PSU, à laquelle vous semblez vous atteler –, tandis que d’autres demandent que l’exécutif modifie des dispositions réglementaires. La plupart des préconisations, en réalité, ne relèvent pas du domaine législatif, mais du niveau réglementaire ou de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Quelles mesures comptez-vous prendre dans les prochaines semaines ? Êtes-vous prête à demander une modification de la convention d’objectifs et de gestion (COG) de la Cnaf ? Il faudra mettre les moyens en cohérence avec les besoins, dans une perspective ambitieuse de rétablissement de véritables politiques familiales de soutien à la petite enfance et à ses métiers.
Je souhaite également vous interroger sur l’absence de recensement centralisé des réservations de berceaux par les acteurs publics, alors que plus de la moitié des réservations relèvent de ces derniers, en particulier des sections régionales interministérielles d’action sociale (Srias). Que comptez-vous leur demander en vue d’assurer davantage de qualité dans les établissements d’accueil du jeune enfant ?
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Une soixantaine de parlementaires et de représentants d’associations ont envoyé vendredi dernier un courrier au premier ministre au sujet d’une affaire profondément choquante, qui illustre les dysfonctionnements de notre système judiciaire en matière de violences sexuelles incestueuses. Une petite fille de 4 ans, Louise Bourgoin, a été confiée par un juge à la garde de son père, en juillet dernier, alors qu’elle avait fait l’objet, il y a deux ans, d’un placement à l’ASE à la suite de dénonciations de violences incestueuses, et que le juge des enfants notait quelques mois auparavant que la résidence de l’enfant chez son père était inenvisageable du fait qu’elle désignait ce dernier comme un agresseur. Cette affaire relève de la juridiction d’Orléans, mais nous sommes fréquemment alertés au sujet de situations concernant d’autres territoires.
Ce ne sont évidemment pas les personnels de la justice qu’il faut blâmer, mais un système, un manque chronique de temps et de moyens qui place les enfants dans des situations de violence que nous pourrions et devons leur éviter. Dans cette affaire, les signataires de la lettre au premier ministre, dont je fais partie, demandent une inspection de la juridiction d’Orléans pour faire toute la lumière sur les conditions qui ont pu mener à une telle décision. Comment expliquez-vous que de pareils dysfonctionnements persistent et que des décisions de justice puissent être rendues en contradiction avec les avis des professionnels de santé ou de la protection de l’enfance ? Quelles actions comptez-vous mener pour qu’un suivi rigoureux garantisse à l’avenir que les décisions de justice protègent pleinement les enfants au lieu de les mettre en danger ?
Mme Béatrice Piron (HOR). Votre engagement en faveur des enfants et des familles est essentiel, et nous sommes heureux de pouvoir échanger directement avec vous. Je tiens également à vous remercier pour votre intervention, vendredi, au Sénat, à l’occasion des trente-cinq ans de l’adoption de la Cide. Cet événement a rappelé avec force notre responsabilité collective envers les enfants, qui doivent être placés au cœur des politiques publiques.
Je suis actuellement corapporteure, avec Mme Caroline Parmentier, d’une mission d’information relative à la pauvreté infantile. Cette question, qui touche non seulement au droit au logement, à l’éducation et à la santé, mais aussi au bien-être de nos enfants, doit être une priorité réelle dans le cadre d’une vision élargie de l’enfance. Cela m’amène à vous interroger sur le champ d’action de votre ministère. Si la famille et la petite enfance sont explicitement au cœur de votre portefeuille, la notion plus globale de l’enfance semble en partie occultée. Le périmètre de l’enfance relève-t-il intégralement de votre ministère ? Une clarification serait précieuse pour comprendre comment les différents ministères collaboreront afin de garantir une action publique cohérente et efficace en faveur des enfants.
Je reviens également sur une question évoquée vendredi lors du colloque au Sénat : comment envisagez-vous la représentation et la participation des enfants au sein des différentes instances ? Vous avez dit qu’il était prioritaire de les entendre et de les écouter : comment faire en sorte qu’ils aient véritablement voix au chapitre et que les mesures adoptées répondent pleinement à leurs besoins ?
M. Olivier Serva (LIOT). Avec M. Max Mathiasin, nous avons fait adopter en 2023 une proposition de loi visant à renforcer le principe de la continuité territoriale en outre-mer. Nous avons prévu dans ce texte, avec le soutien du gouvernement, que l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom) prendrait en charge les titres de transport des victimes de violences intrafamiliales rapatriées de l’Outre-mer vers l’Hexagone dans le cadre de leur mise en sécurité. Quand l’Hexagone enregistrait 2,7 violences intrafamiliales pour 1 000 habitants en 2022, la Guadeloupe en comptait 4,5 – nous l’avons souligné dans le rapport de la Délégation concluant les travaux de la mission d’information sur la lutte contre les violences faites aux mineurs en outre-mer. La notion de victime doit englober les conjoints et conjointes ainsi que les enfants, trop souvent tenus à l’écart des dispositifs actuels. Pensez-vous qu’une évolution pourrait être décidée rapidement ?
Plusieurs travaux ont mis en lumière la complexité et les effets délétères de la PSU pour l’accueil des enfants en crèches et pour les professionnels. Dans son enquête Les Ogres, le journaliste Victor Castanet a confirmé les constats déjà dressés par l’Igas et la commission d’enquête parlementaire : la PSU, qui repose sur une tarification horaire, incite à la suroccupation. Les établissements cherchent à remplir toutes les heures vides potentielles au détriment d’un accueil de qualité. Il existe aujourd’hui un consensus quant au remplacement du financement horaire par un dispositif forfaitaire, plus respectueux des besoins des enfants, des familles et des professionnels. Êtes-vous prête à travailler à une telle réforme ?
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Je souhaite vous interroger sur la situation dramatique de nombreux enfants qui sont à la rue avec leurs parents. Beaucoup n’ont pas d’autre possibilité que de dormir dehors, y compris les nuits d’hiver. Le baromètre « Enfants à la rue » révèle une situation alarmante : en août 2024, 2 043 enfants n’avaient pas trouvé de solution d’hébergement après un appel de leur famille au 115 – un chiffre en hausse de 120 % par rapport à 2021. Ces données nous rappellent combien il est urgent d’agir pour protéger des enfants qui méritent un toit, un lit chaud et la sécurité nécessaire pour grandir dignement.
De nombreux cas m’ont été récemment signalés, dans ma circonscription, à la suite des expulsions intervenues juste avant le début de la trêve hivernale. Il y a quelques jours, une famille sans domicile qui compte deux enfants m’a contactée : elle vit dans une grande précarité, contrainte d’alterner entre des nuits chez des amis, dans un gymnase ouvert illégalement par une école, ou à l’hôtel grâce à des mesures d’urgences prises par les mairies.
Cette situation illustre les difficultés rencontrées par de nombreuses personnes : les aides proposées sont temporaires et n’offrent pas de réponse structurelle à la crise humanitaire actuelle. Les centres d’accueil et le 115 sont dépassés : ils ne répondent plus à la demande croissante d’aide et d’hébergement d’urgence. Par ailleurs, il n’existe pas de logements d’urgence disponibles, ou très peu, dans de telles situations. Des vies, notamment celles d’enfants, sont mises en danger, ce qui conduit régulièrement à des interventions de l’ASE ; ces dernières peuvent mener au placement des enfants, ce qui plonge les parents dans une profonde détresse. Il est inacceptable qu’un pays comme le nôtre tolère une telle indignité. Que comptez-vous entreprendre, concrètement et rapidement, pour garantir qu’aucun enfant ne soit contraint de dormir dans la rue cet hiver ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Madame Caroline Parmentier, la pauvreté infantile touche principalement – mais pas seulement – des familles monoparentales. En effet, 41 % des enfants vivant dans ce type de famille sont en grande précarité.
S’agissant plus globalement de la question de la pauvreté, dont je suis chargée avec mon collègue Paul Christophe, nous mettons, avant tout, en place le pacte des solidarités, qui contient des mesures en faveur des enfants, notamment en ce qui concerne l’accès à des places en crèche – je pense en particulier aux crèches Avip.
Pour ce qui est de la lutte contre la malnutrition, les cantines à 1 euro se développent. Paul Christophe y travaille en lien avec les collectivités. Je ne suis pas en mesure de vous présenter une évaluation précise de ce dispositif, mais je peux vous dire qu’il s’agit d’un enjeu important et que les conséquences sont réelles pour les enfants qui n’ont pas trois repas par jour – cela leur en assure au moins un. La mobilisation du ministère des solidarités pour développer ce dispositif et faire en sorte que le plus grand nombre possible de collectivités y participe est très forte.
Mme Caroline Parmentier (RN). Le dispositif existe depuis 2019. On n’avance pas !
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Cela concerne principalement les communes, ainsi que les départements au titre des collèges. Je le répète, Paul Christophe se mobilise afin qu’un nombre croissant de communes s’engagent dans ce programme. Il s’agit d’un axe important du pacte des solidarités.
M. Thibault Bazin (DR). Mais toutes les communes ne sont pas éligibles !
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Effectivement. L’objectif n’est pas que toutes les communes participent au dispositif, mais qu’elles soient de plus en plus nombreuses à le faire. Il en est de même pour le dispositif des petits déjeuners, au sujet duquel une évaluation a pointé certaines difficultés.
Le pacte des solidarités vise aussi à faciliter l’accès aux vacances, notamment dans le cadre du pass colo et des aides apportées aux familles les plus en difficulté.
Il importe à mon ministère de sécuriser financièrement les familles monoparentales, grâce notamment à l’intervention de l’Agence de recouvrement et d’intermédiation des pensions alimentaires (Aripa) et au versement de l’allocation de soutien familial (ASF). Je sais par ailleurs que de nombreuses propositions sont en train d’être préparées au Parlement, notamment dans le cadre d’un groupe de travail transpartisan. J’ai rencontré le député Philippe Brun, qui m’a présenté les mesures qu’il compte intégrer dans sa proposition de loi. Le Sénat a également fait des propositions, dans le cadre des travaux menés par Xavier Iacovelli et par la Délégation aux droits des femmes. J’étudierai très attentivement toutes vos idées, car il convient d’adopter de façon transpartisane des dispositions visant à éviter la précarisation des familles monoparentales, qui sont de plus en plus nombreuses – un enfant sur cinq vit aujourd’hui dans ce type de famille.
Madame Nicole Dubré-Chirat, les dispositifs Santé protégée et Pégase sont en cours d’expérimentation. Les évaluations menées sur le fondement de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 ont démontré leurs effets bénéfiques pour les enfants, grâce notamment aux parcours coordonnés de soins. Nous travaillons donc à leur généralisation, dont le principe est acquis, dans les plus brefs délais. Il faudra pour cela trouver le meilleur dispositif de coordination à l’échelle des départements, ainsi qu’un financement. Il s’agit là d’un sujet important, compte tenu des effets réels constatés de ces dispositifs, qui ont permis le recul des hospitalisations des enfants placés à l’ASE ainsi qu’un accès accru de ces derniers aux soins ORL et ophtalmologiques.
Je suis d’accord avec vous s’agissant de l’importance de la santé scolaire en matière de prévention. J’ai participé hier au gala organisé par l’association Im’Pactes, présidée par Céline Greco : cette dernière expliquait très clairement que c’était une infirmière scolaire qui lui avait permis de sortir de la situation de violences intrafamiliales qu’elle subissait et de rebondir grâce à son placement. La question qui se pose aujourd’hui est celle de la démographie médicale. Nous devons y travailler.
S’agissant de l’ordonnance de protection, il faut évidemment avancer avec le ministère de la justice, et je suis très preneuse de vos propositions. Un texte visant à créer une ordonnance de sûreté a été examiné la semaine dernière au Sénat, mais d’aucuns ont préféré étendre l’ordonnance de protection aux enfants victimes de violences lorsqu’il n’en existe pas entre les parents. Je ne sais pas si cette proposition de loi sera inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou si vous examinerez d’autres dispositions, mais il est évident que nous ne pourrons pas faire évoluer l’ASE et la protection des enfants si nous ne travaillons pas avec la justice et si nous ne faisons pas adhérer les magistrats, juges des enfants et procureurs de la République aux évolutions nécessaires.
Madame Marianne Maximi, vous trouvez que je montre peu d’entrain dans mon action. L’essentiel n’est pas d’être dans les médias, mais d’agir au quotidien. J’ai rencontré aujourd’hui des représentants de l’association Pas de bébés à la consigne et j’ai fait part, à plusieurs reprises, des dispositions concrètes que je souhaitais mettre en œuvre pour éviter les dysfonctionnements dans les crèches, notamment – mais pas seulement – dans certaines structures relevant d’entreprises privées à but lucratif. Je vous ai parlé du référentiel qualité, de l’extension des contrôles et de leur meilleure coordination, ainsi que des rapports de l’Igas. Le travail mené par le comité de filière devrait, par ailleurs, aboutir très prochainement. Nous agissons, peut-être sans bruit, mais avec la volonté de mener des actions concrètes et de travailler avec tous les partenaires. Vous savez que les départements et les communes font beaucoup : nous devons agir avec eux pour assurer une protection plus adaptée de tous les enfants dans tous les territoires. C’est l’engagement que nous avons pris jeudi dernier aux assises des départements de France.
L’exemple des vingt minutes de portage, que j’ai cité tout à l’heure, visait à alimenter la réflexion sur les taux d’encadrement, qui sont un enjeu important, même si ce n’est pas le seul. Ce qui compte, c’est la qualité de l’accompagnement et de la prise en charge, l’éveil et l’épanouissement des enfants, notamment dans les pouponnières.
Effectivement, madame Ayda Hadizadeh, les départements ne peuvent être juges et parties : ils ne doivent pas être les seuls à contrôler les structures. Certes, le contrôle interne est essentiel, mais il faut aussi une meilleure coordination dans le cadre d’inspections-contrôles menées sous le pilotage de l’État, ne serait-ce que pour vérifier que les départements utilisent bien les fonds publics pour les politiques publiques de protection de l’enfance et que les garanties prévues en matière d’accueil sont respectées dans les établissements de l’ASE. Tels sont les objectifs des plans d’inspection-contrôle qui doivent être déployés chaque année par les départements.
Monsieur Thibault Bazin, il faut mener une réflexion globale et s’assurer que le cadre qui s’impose aux structures d’accueil de la petite enfance n’a pas seulement pour base la sécurité, même si celle-ci est importante, mais aussi la qualité.
S’agissant du financement des structures, qui est source de difficultés – on a bien vu la pression qui s’exerce sur les gestionnaires ainsi que les dérives dans l’utilisation des fonds publics par certains acteurs –, notre volonté est de procéder à une remise à plat. J’ai donc lancé, avec la Cnaf, signataire de la COG, le chantier de la refonte des financements. Il faudra s’assurer que cela ne se fait pas au détriment de la création de places de crèches. Tout un travail technique, d’une extrême complexité, doit être mené dans ce but, et nous ne devrons pas adopter un dispositif moins-disant par rapport à celui qui existe aujourd’hui. C’est pourquoi ce chantier prendra un peu de temps. La COG 2023-2027 de la Cnaf est très bénéfique ; nous verrons s’il est possible de l’aménager, en évitant que cela se fasse au détriment des structures existantes. Mon objectif est de créer plus de places de crèches en mobilisant les élus locaux, notamment communaux et intercommunaux, qui bénéficieront du soutien de l’État à travers la création du fonds qui accompagnera la mise en place du SPPE, ainsi que des financements déjà prévus dans le cadre de la COG.
Monsieur Jean-Claude Raux, la situation que vous avez évoquée relève de la justice, et je ne prendrai pas d’engagement au nom du garde des sceaux. Des décisions de placements ne sont pas exécutées, et on me dit que certains magistrats se limitent quand ils doivent prendre de telles décisions parce qu’ils savent qu’il n’y aura pas forcément de solution derrière, ce qui n’est pas satisfaisant. Nous devons assurer une meilleure coordination entre les décisions de justice et les mesures d’exécution, qui relèvent des départements. Voilà à quoi servent les dix CDPE existants. J’ai demandé qu’une évaluation de cette expérimentation soit rapidement menée, dans l’espoir que le dispositif puisse être généralisé. La création de ces comités s’accompagne de l’installation de délégués départementaux à la protection de l’enfance, placés auprès des préfets, ce qui permet de mieux assurer l’interministérialité sur le terrain. Des lois et des dispositifs existent ; il faut maintenant s’assurer qu’ils sont correctement appliqués jusqu’au dernier kilomètre, au niveau des acteurs locaux.
Si nous voulons favoriser le placement individuel auprès de tiers dignes de confiance, ce qui est une nécessité, il faut vraiment avoir les moyens de mener des enquêtes socio-éducatives pour regarder si l’enfant n’a pas dans sa famille une tante, un oncle, un cousin, un référent à même de le prendre en charge. Par ailleurs, nous pourrons peut-être faire évoluer le statut de ces tiers dignes de confiance – nous y travaillons.
Madame Béatrice Piron, l’intitulé de mon ministère, qui évoque « la famille », au singulier, a fait beaucoup jaser. Ce qui compte, pour moi, c’est l’enfant et sa protection. Il a « une » famille, quelle qu’elle soit. Pourquoi la mention de la « petite enfance » ? Je n’en ai jamais discuté avec le premier ministre, mais il voulait sûrement mettre l’accent sur la politique prioritaire du service public de la petite enfance. Rassurez-vous, le domaine de la politique de l’enfance figure dans mon décret d’attribution. L’important est de couvrir largement.
La représentation des enfants dans les instances est effectivement un enjeu important, comme en témoigne la mobilisation des associations à ce sujet. J’ai eu la chance d’installer le sixième collège du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui est celui des enfants placés à l’ASE. Ils peuvent dorénavant donner leur avis sur les dispositions et les politiques publiques qui les concernent. Par ailleurs, de nombreux responsables départementaux m’ont fait part, la semaine dernière, à Angers, de l’installation d’un collège des enfants de l’ASE au niveau départemental, avec un véritable investissement pour accompagner les enfants, écouter leur parole et la prendre en compte dans les mesures qui sont prises. Je sais que vous êtes aussi convaincus que moi de cette nécessité. Les enfants ont souvent un regard plus lucide, plus naturel, a fortiori sur les dispositions qui les concernent directement.
Monsieur Olivier Serva, je n’ai pas de réponse précise à votre question, qui touche au principe de la continuité territoriale, mais je suis très intéressée par les mesures qui ont été prises et par l’adaptation de ces dernières aux spécificités de l’outre-mer.
La PSU entre évidemment dans le cadre du chantier que j’ai lancé avec la Cnaf et qui concerne toutes les structures d’accueil de la petite enfance.
Enfin, madame Soumya Bourouaha, nous travaillons avec Valérie Létard afin d’éviter que des enfants dorment dans la rue. Nous ne pouvons-nous satisfaire de cette situation.
Mme la présidente Perrine Goulet. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Céline Hervieu (SOC). Tenez bon, madame la ministre déléguée ! Votre tâche est compliquée, car nous entrons dans une phase de restrictions budgétaires.
Je travaille beaucoup sur le sujet de la petite enfance, et je vous ai adressé un courrier pour vous alerter sur la crise de ce secteur. Plusieurs collègues ont déjà évoqué les questions relatives au financement, qui sont urgentes : il ne faut pas attendre la COG de 2028, mais au contraire réformer dès maintenant le système. La PSU est dénoncée par l’ensemble des acteurs, publics, privés et associatifs. Il s’agit véritablement d’un enjeu majeur.
On parle d’une crise d’attractivité de ces métiers. Je sais que Mme Élisabeth Laithier réalise un travail intéressant et important, que je salue, dans le cadre du comité de filière, et que le gouvernement essaie de faire des efforts, mais lorsque vous direz que les moyens ne sont pas au rendez-vous, on vous rétorquera qu’il faut faire des économies. J’espère – et nous serons à vos côtés si c’est le cas – que vous répondrez que nous allons dans le mur. Les professionnels, qui sont des femmes invisibilisées, sont à bout. J’ai rencontré celles que vous avez reçues ce matin – ce qui était très bien –, et qui ne sont pas suffisamment rémunérées. De vrais problèmes se posent s’agissant des conditions de travail dans tout le secteur. Le SPPE ne peut pas simplement se décréter : il faut que des moyens soient alloués aux collectivités. Les budgets pour augmenter les salaires ne sont pas au rendez-vous, ce qui nuit forcément à l’attractivité de ces métiers.
Par ailleurs, il faut que les pouvoirs publics s’attachent à réguler le secteur privé lucratif. L’Igas et les journalistes ont fait leur travail ; les pouvoirs publics doivent désormais agir. C’est votre responsabilité et j’espère que vous serez à nos côtés pour cela. J’ai déposé une proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif. Ce secteur représente une place de crèche sur deux. Ce n’est plus possible. Il faut soutenir les acteurs publics, qui font très bien leur travail, et freiner la marchandisation du secteur, car elle ne permet pas de garantir la qualité de l’accueil des jeunes enfants.
Mme Alexandra Martin (DR). Le plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants vise à renforcer la prévention, la détection et la prise en charge des enfants victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Ce plan ambitionne de mettre fin à l’impunité des auteurs de violences et d’améliorer la réponse des institutions et des professionnels face à ces situations tragiques.
Cependant, les premiers retours d’expérience soulignent que plusieurs défis restent à surmonter. Des lacunes persistent, même si des mesures concrètes ont été prises – je pense par exemple à la formation renforcée des professionnels, à la mise en place d’un numéro d’urgence spécifique, ou encore à la généralisation des référents violences dans les écoles et structures médico-sociales. En particulier, il faut mieux détecter les violences psychologiques et l’exposition aux violences conjugales, qui touchent souvent les enfants de manière invisible, et accompagner davantage les victimes, ce qui n’est pas facile. L’accès aux dispositifs de soutien spécialisés et les délais d’intervention demeurent trop longs dans certaines régions.
Quelles actions supplémentaires envisagez-vous pour renforcer la mise en œuvre du plan, en ce qui concerne notamment la détection précoce des violences, l’amélioration des délais d’intervention ainsi que la coordination entre les différents acteurs ?
M. Stéphane Vojetta (EPR). Je suis peiné de constater que la commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans n’a pas servi à grand-chose. Elle a pourtant beaucoup travaillé au cours de l’hiver dernier – je fais partie des députés qu’elle a auditionnés – et présenté son rapport au président de la République le 1er mai. Ce dernier avait alors demandé au gouvernement de lui remettre une série de propositions dans un délai de six semaines. Malheureusement, tout cela n’a pas eu de suites en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Comme vous l’avez relevé, il existe désormais un large consensus, au sein de la société, sur le fait que le temps excessif d’exposition aux écrans est nuisible, voire dangereux, en particulier pour les jeunes enfants – je ne parle même pas des contenus inappropriés.
Que pouvons-nous faire ? Avec mon collègue Arthur Delaporte, nous sommes à l’origine de la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, et nous avons envie de continuer à travailler sur les sujets numériques. Que faut-il interdire pour mieux protéger nos enfants du temps d’écran excessif ? Comment le faire de manière effective ?
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants présenté par le gouvernement en novembre 2023 constitue une avancée importante pour la protection de l’enfance face aux violences intrafamiliales. Cependant, il est important de connaître son état d’avancement afin de s’assurer que les engagements pris se traduisent concrètement.
Un point d’étape est donc nécessaire s’agissant des mesures visant à prévenir les violences intrafamiliales et conjugales qui ont des effets sur les enfants, des dispositifs effectivement déployés pour accompagner les enfants victimes ou témoins de violences, ainsi que des outils mis à la disposition des professionnels pour repérer ces situations en amont.
Par ailleurs, il est primordial de rappeler que les enfants exposés aux violences conjugales ou victimes collatérales de féminicides subissent des traumatismes profonds et durables, qu’ils soient témoins de ces violences ou indirectement affectés par leur environnement familial. Cette réalité, largement documentée, doit conduire à renforcer les dispositifs spécifiques destinés à ces enfants. La loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants covictimes de violences intrafamiliales vise à renforcer leur protection et leur accompagnement, mais des inquiétudes subsistent s’agissant de son application effective.
Pourriez-vous préciser quels seront les moyens supplémentaires déployés pour améliorer la prise en charge psychologique et éducative des enfants touchés par ces violences ? Quelles mesures spécifiques sont envisagées pour mieux protéger les enfants qui y sont exposés et prévenir les conséquences graves, notamment dans les cas de féminicides ? Comment votre ministère entend-il garantir une meilleure coordination entre les acteurs de la protection sociale, de la justice et des associations pour répondre à ce problème ?
Mme Sylvie Bonnet (DR). Avec mon collègue Pierre Cordier, nous avons été alertés au sujet de la détresse de nombreuses personnes nées d’une mère ayant accouché sous le secret.
On compte environ 400 naissances sous X chaque année dans notre pays. Cette procédure évite d’ajouter un drame à la détresse en permettant que la naissance ait lieu à l’hôpital dans des conditions optimales de sécurité, pour la mère comme pour l’enfant. Cela prive toutefois l’enfant de l’accès à ses origines, alors que ce droit a été consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la France en 1990, et par la Convention européenne des droits de l’homme.
Plusieurs évolutions législatives sont venues renforcer l’information délivrée à la femme enceinte, notamment sur la possibilité de laisser à son enfant des informations précises concernant ses origines – généalogie, antécédents médicaux, contexte de la grossesse. Par ailleurs, la jurisprudence française accorde une importance croissante au droit d’accès aux origines, plusieurs décisions de justice ayant reconnu des droits au père ou aux grands-parents de l’enfant né sous X.
Dans ce contexte, le collectif Nés sous X d’ici et d’ailleurs rappelle que la France et la Pologne sont les deux seuls pays européens à interdire les tests génétiques pour rechercher ses origines. Ce collectif estime également qu’il serait souhaitable de trouver un meilleur équilibre entre les intérêts de la mère et ceux de l’enfant, avec un accouchement dans la discrétion plutôt que dans l’anonymat total.
Quelles solutions envisagez-vous afin de permettre aux personnes nées sous X d’avoir accès à leur origine ?
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Madame Céline Hervieu, vous avez posé tout à l’heure une question au gouvernement sur un sujet qui vous tient à cœur, et nous débattrons de votre proposition de loi en décembre. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut remettre à plat l’ensemble des dispositifs de financement des structures d’accueil de la petite enfance. Il faut le faire avec une vision globale, car poser des rustines aurait pour seul effet de créer de nouveaux dysfonctionnements.
Je suis bien consciente que le service public de la petite enfance ne va pas tout résoudre. Néanmoins, je crois beaucoup au rôle des élus locaux et des maires, ainsi qu’à leur capacité à trouver les solutions adaptées, qu’il s’agisse de crèches de vingt à trente berceaux ou de micro-crèches, de maisons d’assistants maternels (MAM) voire de modes de garde itinérants. L’objectif est d’avoir une offre suffisante.
Effectivement, nous ne pourrons pas développer les modes d’accueil de la petite enfance si nous ne disposons pas d’un nombre suffisant de professionnels. Le principal enjeu est donc bien celui de l’attractivité de ces métiers. Il faut que le travail de réflexion mené par le comité de filière débouche désormais sur des actions concrètes.
La difficulté n’est pas tellement liée aux rémunérations, car ces dernières ont été augmentées dans le cadre des accords du Ségur, même si certaines entreprises privées ont encore du mal à mettre en place des accords de branche pour faire bénéficier leurs salariés du bonus attractivité. Il faut aussi se pencher sur les conditions d’exercice de la profession et sur le temps disponible pour des réunions d’échange sur les pratiques. Le SPPE pourra y contribuer, grâce notamment à des professionnels référents à l’échelle communale ou intercommunale. C’est l’un des enjeux du déploiement de ce service public et de son accompagnement par l’État.
Sont également posées les questions de la validation des acquis de l’expérience, des parcours de formation ainsi que des possibilités de stages et d’insertion. Je viens du monde de l’insertion des jeunes : il y a encore deux mois, je présidais les missions locales de ma région, et j’ai souvent rencontré des jeunes filles qui souhaitaient travailler avec des enfants mais y parvenaient rarement. Il y a donc un obstacle entre ce désir et sa réalisation. C’est un point sur lequel nous devons tous travailler. Parcoursup est l’un des éléments du problème, mais pas le seul.
Le gouvernement a fait des annonces s’agissant du secteur privé lucratif. J’attends les conclusions des travaux entamés à la suite du rapport de l’Igas sur La Maison bleue, qui devraient donner des clés de lecture pour l’ensemble de ces entreprises. Comme vous le savez, une enquête a été ouverte contre People & Baby. Les choses évoluent. L’Igas pourra contrôler d’autres structures afin de vérifier que les fonds publics sont utilisés non pas au profit de leurs dirigeants mais bien pour améliorer la qualité de l’accueil. Nous y serons très attentifs.
Madame Alexandra Martin, vous avez évoqué la détection des violences faites aux enfants. C’est principalement le rôle du 119, administré par le groupement d’intérêt public (GIP) France Enfance protégée. Nous avons augmenté ses moyens, ce qui lui a permis de recruter cinq équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour étoffer son offre d’écoute et l’étendre aux professionnels, afin qu’ils puissent mieux détecter et signaler les violences faites aux enfants, notamment intrafamiliales.
On a beaucoup agi sur les violences entre conjoints, mais il existe aussi des familles où les violences touchent seulement les enfants. Il faut trouver le bon moyen pour les détecter. Florence Dabin a remis un rapport sur le recueil des signalements, et nous analysons les solutions concrètes qui pourraient être apportées pour que les informations remontent plus rapidement.
Le développement des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) permettra de mieux prendre en charge les enfants et de libérer leur parole. On compte actuellement 147 Uaped, et le projet de loi de finances pour 2025 prévoit des moyens supplémentaires pour en déployer vingt-cinq supplémentaires, afin qu’il y en ait une par juridiction. Je sais que la présidente de la Délégation, Madame Perrine Goulet a souhaité accélérer le développement de ces structures et accroître leurs moyens.
Monsieur Stéphane Vojetta, vous avez abordé la question du temps passé devant les écrans. J’ai rencontré quelques acteurs de ce dossier, mais je n’en ai pas encore fait le tour complet. Nous souhaitons adopter des mesures fortes. Pour ma part, je serais assez favorable à une interdiction des écrans pour les enfants de moins de 3 ans, mais il faut voir comment appliquer une telle mesure en pratique, car nous n’irons jamais contrôler au sein des familles. Peut-être est-ce possible dans les lieux publics et en faisant passer des messages d’éducation. Je suis frappée par la demande d’aide formulée par les parents à ce sujet. Lors d’une récente inauguration d’école, les parents d’élèves m’ont tous parlé des difficultés liées à la place prise par les écrans dans la vie des enfants. Il faut aider les parents en fixant un certain nombre de limites. Un travail est également en cours sur les contenus, notamment pour contrôler l’accès aux images pornographiques. Je suis preneuse de vos suggestions et nous pourrons nous rencontrer pour discuter plus en détail de ces questions.
Madame Nathalie Colin-Oesterlé, le plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants prévoit vingt-deux mesures, quasiment toutes opérationnelles.
J’ai déjà indiqué que nous avions prévu cinq ETP supplémentaires pour le 119, pour un coût de 1 million d’euros. Nous venons d’attribuer 2 millions à quarante et une associations pour créer des supports de prévention destinés à sensibiliser les jeunes et les enfants, et 330 000 euros à l’association Contre les violences sur mineurs pour réaliser une mallette pédagogique sur la détection et le signalement.
En juillet dernier, nous avons envoyé une instruction aux préfets pour rappeler le cadre juridique applicable à la remontée des incidents et aux contrôles dans les établissements et services de la protection de l’enfance. Le décret relatif au contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant auprès de mineurs, publié en juin 2024, impose à tous les professionnels de l’accueil et à toutes les familles d’accueil de présenter une attestation d’honorabilité pour obtenir un agrément.
Nous avons aussi prévu 100 000 euros pour le Centre régional d’information pour l’agir solidaire (Crias), afin de mieux écouter et orienter les personnes attirées sexuellement par les enfants et ainsi de prévenir le passage à l’acte. L’association France Victimes déploie un support pédagogique pour aider les enfants à mieux comprendre le parcours de la justice. Une campagne de communication nationale sera organisée pour relancer le 119. Dix postes de délégués départementaux à la protection de l’enfance ont été créés, et j’espère pouvoir étendre ce dispositif.
Enfin, un investissement de 350 000 euros a été fait dans la recherche.
Comme vous le voyez, le plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants est déployé de manière concrète, avec les financements correspondants.
Nous généralisons l’expérimentation de l’ordonnance de protection de huit jours, qui permet une hospitalisation systématique des enfants directement victimes de violences intrafamiliales ou qui en ont été témoins. Cela permet de les prendre en charge très rapidement, tant du point de vue psychologique que sanitaire, et de mettre en place un accompagnement renforcé.
Madame Sylvie Bonnet, vous m’avez interrogée sur l’accès aux origines des enfants nés sous X. Nous y travaillons avec le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), dont le secrétariat général est assuré par le GIP France Enfance protégée. Je suis convaincue qu’il faut que nous allions plus vite et plus fort.
Mme Caroline Parmentier (RN). Un décret en Conseil d’État relatif au statut des personnels du GIP n’a pas encore été publié, et cela inquiète ses agents.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Lors des assises des départements de France, vendredi dernier, le premier ministre a annoncé qu’il allait donner davantage d’autonomie aux départements. Quid des différences rencontrées par les frontaliers ?
Par ailleurs, il faut être attentif à la démographie. On crée des places de crèches, mais on ferme parfois des MAM parce qu’il y aura moins d’enfants à garder.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Le GIP vient de saisir les services de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du projet de décret sur l’accord-cadre. Ce GIP a pour particularité d’employer beaucoup de personnels mis à disposition, qui viennent d’administrations différentes et dont les conditions d’exercice professionnel diffèrent. Il convient d’harmoniser ces dernières. Je veillerai à ce que cela soit fait rapidement, car le GIP France Enfance protégée a connu quelques soubresauts lors de sa création. Il faut qu’il puisse rapidement remplir au mieux ses missions.
Il existe effectivement toujours des problèmes spécifiques dans les zones frontalières, avec des situations qui diffèrent en Suisse et au Luxembourg. Il faut regarder cela au cas par cas.
Les schémas pluriannuels de maintien et de développement de l’offre d’accueil du jeune enfant, que doivent réaliser les communes, ont pour objectif de tenir compte de l’évolution démographique. Il faut aussi faire évoluer les structures et les modes d’accueil, afin que l’offre corresponde aux besoins des parents.
Mme la présidente Perrine Goulet. Même si cela relève du ministère de la justice, je tiens à vous alerter au sujet du projet de décret sur les administrateurs ad hoc, envoyé pour avis au CNPE. Il y manquerait les éléments concernant la formation et le financement.
Je vous remercie, madame la ministre déléguée, pour le temps que vous nous avez consacré. Ensemble, nous ferons avancer la protection de l’enfance.
La séance est levée à 18 heures
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Présents. - M. Thibault Bazin, M. Arnaud Bonnet, Mme Sylvie Bonnet, Mme Soumya Bourouaha, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Fait, Mme Perrine Goulet, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Céline Hervieu, Mme Tiffany Joncour, Mme Alexandra Martin, M. Denis Masséglia, Mme Marianne Maximi, Mme Julie Ozenne, Mme Caroline Parmentier, Mme Béatrice Piron, M. Jean-Claude Raux, Mme Catherine Rimbert, Mme Béatrice Roullaud, M. Olivier Serva, M. Stéphane Vojetta.
Excusées. - Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago.