Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

- Mme Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le Rideau

- Mme Emmanuelle Truan Dancourt, présidente de l’association MeTooMédia et M. Florent Pommier, trésorier

- Mme Françoise Bellot, trésorière du Collectif féministe contre le viol (CFCV) et Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation              2

– Présences en réunion................................20

 


Mardi
5 novembre 2024

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures.

La commission procède à l’audition de Mme Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le Rideau, Mme Emmanuelle Truan Dancourt, présidente de l’association MeTooMédia et M. Florent Pommier, trésorier et de Mme Françoise Bellot, trésorière du Collectif féministe contre le viol (CFCV) et Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Chers collègues, nous reprenons les travaux de la commission d’enquête relative aux violences commises sur des personnes mineures et majeures dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Cette commission d’enquête avait été créée au printemps dernier, mais la dissolution l’a interrompue avant qu’elle n’aille à son terme. Sa reprise a été décidée le 9 octobre dernier.

Pour cette première audition, j’ai l’honneur d’accueillir Mmes Françoise Bellot et Sophie Lascombes, respectivement trésorière et membre du conseil d’administration du Collectif féministe contre le viol, Mme Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le rideau, ainsi que Mme Emmanuelle Truan Dancourt et M. Florent Pommier, respectivement présidente et trésorier de l’association MeTooMédia. Je vous remercie vivement, mesdames, monsieur, d’avoir accepté de nous faire bénéficier de votre éclairage et de votre expertise.

Fondé en 1985, le Collectif féministe contre le viol est une association qui offre une permanence téléphonique anonyme et gratuite aux victimes de viol ou d’agression sexuelle. Elle propose également des groupes de parole, forme des professionnels à la prise en charge des victimes et réalise des études statistiques.

Créée en 2022, l’association Derrière le rideau lutte contre toutes les formes de violence et milite en faveur de la libération de la parole dans le spectacle vivant grâce à l’organisation de groupes de parole et d’actions de sensibilisation des acteurs culturels et du grand public.

L’association MeTooMédia a été fondée en 2021, dans le contexte des révélations relatives aux agissement supposés de Patrick Poivre d’Arvor. Son objet est également de lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde des médias et de la culture. L’association a notamment créé un violentomètre, ainsi qu’un guide d’autoprotection pour aider les professionnels à se prémunir contre les violences sexistes et sexuelles. Vous avez déjà été auditionnés dans le cadre de la précédente commission d’enquête, mais il nous semble utile de vous entendre de nouveau.

Nous sommes certains que vos différents regards nous serons très précieux pour établir un état des lieux de la situation dans l’ensemble de la sphère culturelle, comprendre les ressorts du problème et trouver les moyens d’y remédier.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, vous fait obligation de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Mélodie Molinaro, Mme Emmanuelle Truan Dancourt, M. Florent Pommier, Mme Françoise Bellot et Mme Sophie Lascombes prêtent successivement serment.)

Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation au sein du Collectif féministe contre le viol. Le Collectif féministe contre le viol a été fondé en 1985 et a ouvert sa première ligne téléphonique l’année suivante. Celle-ci est accessible de dix heures à dix-neuf heures du lundi au vendredi et s’adresse aussi bien aux victimes elles-mêmes qu’à leur entourage, aux professionnels, et à toute personne qui aurait besoin d’être épaulée dans une démarche. Je précise que cette ligne téléphonique n’est pas destinée aux urgences – les services de police et de santé ont vocation à répondre à ce type d’appels –, mais à un accompagnement au long cours.

Tous les éléments que nous communiquerons sont issus des 80 000 appels que nous avons reçus en quarante ans d’existence, étant précisé que nous ne comptabilisons que les premières sollicitations. Ce chiffre indique que le nombre de victimes est élevé, mais aussi que nous avons apporté de l’aide et procuré un endroit où parler à beaucoup de personnes, ce que je considère comme une bonne nouvelle. Toute notre expertise vient de la parole des victimes : nous les remercions de nous l’avoir partagée. Grâce à elles, nous avons réfléchi, appris, synthétisé les enjeux, progressé, dans l’objectif d’améliorer les pratiques et les règles.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt, présidente de l’association MeTooMédia. Je vous remercie d’avoir relancé cette commission d’enquête. Toutes les associations du secteur l’espéraient et sont heureuses que vous ayez tenu bon.

Vous l’avez dit, MeTooMédia est née de l’affaire PPDA, puis nous nous sommes impliqués dans de nombreuses autres affaires. Certaines ont un retentissement médiatique, comme celles concernant Gérard Depardieu, Stéphane Plaza, NRJ, ou encore Jean-Jacques Bourdin, mais la majorité ne sont absolument pas visibles. Nous nous intéressons aux champs des médias et de la culture, qui sont très vastes, et je tiens à préciser que tous les membres de l’association sont bénévoles, ce qui suppose un engagement à 100 %.

Notre mantra est d’essayer de passer de #MeToo – « moi aussi » – à #WeToo – « nous aussi ». Florent Pommier et moi-même avons tous deux été victimes, lui de viol et moi d’agression sexuelle et de harcèlement, aussi nous sentons-nous personnellement concernés par la question, mais nous sommes convaincus qu’elle ne pourra être réglée que si nous embarquons toute la société. Tout le monde n’a pas été victime de ce type d’agissements mais, statistiquement, nous connaissons tous quelqu’un qui a subi des violences sexistes et sexuelles, celles-ci touchant une femme sur trois dans le monde – sans compter les victimes masculines. Il faut donc vraiment que tout le monde s’implique : femmes et hommes, victimes et non-victimes.

Depuis le mois de mai, moment de notre première audition, le mouvement #MeToo a connu de nombreux soubresauts en France, où nous avons comme un #MeToo de l’aller-retour : quand on avance d’un pas, on recule de dix. Nous sommes d’ailleurs en plein backlash. Cela ne nous a pas empêchés d’étendre notre action au-delà des médias, en lançant des #MeToo dans les secteurs du théâtre, de la critique de cinéma – où le mouvement peine d’ailleurs à prospérer – de la musique classique avec, entre autres, le cas de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, ainsi que de la photographie, où la situation est effarante. Je sais que vous prévoyez de vous pencher sur différents secteurs, ce qui est heureux, car il existe énormément d’affaires dont on n’entend pas nécessairement parler. En effet, si dénoncer quelqu’un de connu fonctionne très bien dans les médias, il est nettement plus difficile de s’attaquer à l’ensemble d’un système, les journalistes rencontrant des difficultés pour conduire leurs enquêtes puis pour les publier – sachant que le temps politique, cela n’aura échappé à personne, a été quelque peu bousculé ces derniers mois.

Mme Mélodie Molinaro, fondatrice de l’association Derrière le rideau. Je suis très honorée d’avoir été invitée à témoigner devant cette commission d’enquête.

Je suis comédienne, chanteuse, autrice, metteuse en scène et donc fondatrice de l’association Derrière le rideau, qui lutte contre les violences dans le spectacle vivant. L’association est née d’un podcast pour lequel je recueillais des témoignages anonymes d’agressions, dans l’optique de dénoncer le système dans lequel les violences ont lieu, de montrer que depuis des décennies nous banalisons des comportements abusifs, de mettre en lumière les comportements répréhensibles et d’apporter un soutien aux victimes grâce à la libération de la parole.

L’association mène également des actions de prévention dans les écoles, afin d’apprendre aux jeunes artistes et aux professeurs à construire un cadre et à sortir de ce système ancestral où les abus de pouvoir sont fréquents et la pédagogie insuffisante. Je suis donc très heureuse d’être présente pour réfléchir aux moyens de créer un système qui procure soutien et sécurité aux victimes et qui mette fin à l’impunité des agresseurs.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ma première question s’adressera peut-être en priorité au Collectif féministe contre le viol, dont le spectre est plus large que celui de la commission d’enquête, mais vous pourrez bien sûr toutes et tous répondre. Sur le fondement des témoignages que vous avez recueillis jusqu’à présent, diriez-vous que les violences sexistes et sexuelles sont plus nombreuses dans le monde de la culture que dans le reste de la société ?

Mme Sophie Lascombes. Les nombreux appels que nous avons reçus à la suite de la création de notre ligne téléphonique ont mis en évidence ce que l’on peut appeler la stratégie de l’agresseur, c’est-à-dire le système que ce dernier établit pour tirer profit de son environnement, cibler ses victimes et parvenir à ses fins. À cet égard, il ressort que l’agresseur vient le plus souvent de l’entourage. C’est ce que notre présidente, Emmanuelle Piet, qualifie de « tiercé perdant », à savoir le papa, l’employeur, le professeur.

Ensuite, nous avons constaté un certain corporatisme dans de nombreux secteurs. Avant le déclenchement du mouvement #MeToo, le ministère des sports, par exemple, prétendait qu’il n’y avait pas d’agresseurs dans son domaine. Cette forme de pensée magique était répandue. Depuis, les différents secteurs ont travaillé sur cette question et développé un regard nettement plus éclairé sur les mécanismes de violence interne qui peuvent exister. C’est ce que j’appelle souvent le mouvement #MeToo2.

En ce qui concerne plus particulièrement les domaines de la culture et de l’audiovisuel, les professionnels que nous avons entendus ont souvent indiqué que la libération de la parole leur était particulièrement difficile et que leur cadre de travail imposait davantage le secret, même si nous avons constaté les mêmes mécanismes que dans les autres métiers.

Quel que soit le secteur, la chose importante est d’identifier les facteurs de vulnérabilité. Dans le domaine de la culture, le statut d’intermittent est certainement le principal. Le fait de beaucoup travailler sur un temps court, tout en cherchant à faire son réseau et à préparer de prochains projets, est source de précarité. Une personne qui viendrait à parler risquerait en effet d’être ostracisée, voire de mettre en péril le reste de sa carrière. Il s’agit donc d’un frein à la parole des victimes et des témoins.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous décrire plus en détail les ressorts de l’impunité ou de la protection dont peuvent bénéficier les agresseurs dans le monde de l’audiovisuel et de la culture ? Comment se décline précisément la stratégie des agresseurs, dont vous avez parlé ?

Mme Sophie Lascombes. La priorité d’un agresseur sera de recruter des alliés et plus généralement de bénéficier d’un entourage fort et acquis à sa cause.

À cet égard, le Collectif féministe contre le viol s’attache à accompagner les victimes lors des procès, car nous savons que leurs bancs seront vides, tandis que ceux des mis en cause seront remplis de ces alliés auxquels je fais référence. J’insiste : ils ne sont jamais seuls, alors que leurs victimes sont isolées. Nous apportons donc un accompagnement solidaire et bienveillant, ne serait-ce qu’en faisant acte de présence dans ce parcours compliqué.

Mme Mélodie Molinaro. Le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles dans le monde du spectacle ont selon moi cinq spécificités.

La première est celle de la précarité. Cela a été dit, le risque permanent d’être remplacé, de se retrouver sans emploi ou de devoir en occuper un sous la direction de son agresseur pour accomplir ses heures et bénéficier de l’intermittence – c’est-à-dire du chômage ­– entre énormément en ligne de compte au moment de dénoncer des agissements.

La deuxième spécificité est l’utilisation de la démarche artistique comme justification de l’emprise psychologique, laquelle donne lieu à des abus tels que des humiliations et des maltraitances. Pour ne citer qu’un exemple, j’ai recueilli le témoignage d’une élève comédienne très timide dont la professeure a jugé bon, pour la mettre à l’aise, de lui faire imiter une fellation, lui faisant comprendre que si elle ne le faisait pas, elle ne serait jamais capable de rien dans le métier – comme si, bien sûr, une telle chose allait aider cette élève à surmonter sa timidité.

Troisièmement, subsiste encore en 2024 une forme de droit de cuissage dans le milieu du spectacle, où les carrières sont parfois soumises à une pression sexuelle pouvant aller jusqu’au viol. Je pense, par exemple, à un directeur de casting qui proposerait à une candidate d’aller boire un verre pour faire plus ample connaissance, puis qui lui mettrait la main sur la cuisse et plus encore.

La quatrième caractéristique que j’ai identifiée est celle de la confusion des limites. C’est un milieu où la proximité physique est constante, mais sans que le consentement ne soit toujours garanti. De plus, les sphères personnelle et professionnelle se mélangent et l’absence de cadre et de limites conduit logiquement aux abus.

Enfin, en écho avec nos précédents échanges, la cinquième spécificité est celle de la liberté d’action et de l’impunité des agresseurs, qui agissent dans un système ancestral qui se reproduit de génération en génération. En effet, les jeunes artistes qui le subissent sans avoir été entendus, ni soutenus auront tendance à l’entretenir une fois qu’ils seront à leur tour en position d’autorité. C’est ainsi que les agresseurs s’entoureront facilement d’alliés et qu’ils feront ce qu’ils souhaitent en toute impunité.

En corollaire, nous pourrions ajouter l’omerta comme sixième caractéristique du milieu du spectacle. Souvent évoquée, elle englobe la peur des représailles.

S’entremêlent ainsi le risque d’exclusion, la précarité, les relations de pouvoir, la normalisation des comportements abusifs, l’isolement des victimes dont a parlé Mme Lascombes, le sentiment de honte, la peur des réactions publiques et du harcèlement en ligne, ou encore le manque de soutien juridique et organisationnel – soit autant de freins à la libération de la parole des victimes.

M. Florent Pommier, trésorier de l’association MeTooMédia. Pour compléter ce qui a été dit, je raconterai une petite partie de mon histoire. Sans entrer dans les détails, lorsque j’ai été violé, je me trouvais en situation d’extrême précarité. Je sortais d’école de journalisme et je cherchais des piges, ce qui est, si je puis me permettre, un système encore moins avantageux que celui de l’intermittence. Il n’y a en effet pas un nombre d’heures à atteindre pour bénéficier d’une couverture : il faut réaliser un nombre assez important d’articles pour simplement accéder au régime général, lequel s’est d’ailleurs récemment dégradé – actuellement, je n’y ai d’ailleurs même plus droit.

Or les piges rendent très dépendant des employeurs. Pour ma part, j’en cherchais en radio et j’avais rencontré au cours de mes études une personne qui pouvait m’en commander. Comme le travail se trouvait loin de Paris, elle m’a proposé de m’héberger. Je la connaissais et je n’y ai pas vu de malice, mais je me suis enferré dans un système d’emprise. Je dormais dans son salon et il n’y avait eu ni ambiguïté ni attirance ; pourtant, un soir, cet homme a attaqué. En tout et pour tout, je n’ai travaillé que trois jours en un mois et demi, puis je suis reparti dans l’autre sens, en disant à mes parents, qui ne comprenaient pas bien la situation, qu’il n’y avait simplement pas assez de travail pour moi. C’est tout ce que j’ai pu dire, car j’ai connu une amnésie totale de dix ans à partir du moment où cet homme a fait ce qu’il a fait.

Ce n’est qu’en 2017 que tout a ressurgi, à la faveur d’une psychothérapie et de séances d’hypnothérapie. Ce n’est pas un remède magique, mais dans mon cas, cela a fait remonter des détails post-traumatiques. Je me suis reconstruit et je vais mieux, mais je tiens à insister sur le fait que c’est mon extrême précarité qui m’a placé dans une situation de dépendance en matière de logement.

Je sais qu’il subsiste, au sein de la grande entreprise d’audiovisuel public qui m’employait au moment des faits – je ne la citerai pas, mais vous l’aurez reconnue –, un système d’accueil des jeunes recrues par les chefs ou les collègues. Être hébergé de la sorte dans une chambre et sur un canapé peut être sympathique sur le plan humain, mais un tel fonctionnement peut aussi susciter des situations comme celle que j’ai connue. Je crois que la vigilance s’est améliorée, mais il me semblait important d’évoquer mon cas, et cette entreprise, dans le cadre de cette commission d’enquête. Je n’en dirai pas plus, mais je pourrai donner davantage de détails par écrit si vous le souhaitez.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Comme l’a dit Mélodie Molinaro, les milieux de la culture et de l’audiovisuel se caractérisent par l’engagement du corps. Il s’agit selon moi d’un élément très important. Par exemple, nous avons recueilli des témoignages indiquant que des professeurs de musique très connus insistent pour masser les pieds – avant de passer à d’autres parties du corps – de leurs élèves au motif qu’ensuite leur posture sera meilleure pour chanter ou tenir leur instrument.

Et lorsque le corps est engagé, l’ego l’est souvent aussi. Pour être animatrice de télévision depuis vingt-cinq ans, je peux vous assurer que ceux de ma profession sont complètement surdimensionnés.

Par ailleurs, dans des cas comme celui de Florent Pommier, ou comme le mien étant donné que, moi non plus, je ne me souviens pas de l’ensemble de mon agression, on ne donne pas crédit aux victimes. Dans le bureau de PPDA, soit la seule fois de ma vie où je suis entrée dans les locaux de TF1, je me rappelle qu’il a éteint la lumière, qu’il a fermé la porte et qu’il m’a agressée, mais je n’ai aucun souvenir de la suite. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai porté plainte pour agression sexuelle et non pour autre chose. Je pense avoir les épaules pour supporter la vérité, mais les faits ne me reviennent pas, ce qui est pénalisant.

À une femme qui porte plainte après s’être fait voler son sac à main, on lui demande ce qu’il y avait dedans, pas si elle est certaine de ce qu’elle dit, ni comment elle était habillée à ce moment-là. À l’inverse, une femme qui dénonce un viol, une agression sexuelle ou des faits de harcèlement, c’est elle qu’on va mettre sur le gril et qu’on va envoyer voir un psy ! Notre système est ainsi fait et c’est très dur pour les victimes.

De la même manière, cela me crispe énormément lorsqu’une institution culturelle ou un média concerné par des dénonciations s’appuie sur le droit pénal pour invoquer la présomption d’innocence et attendre que justice se fasse. Au sein de MeTooMédia, nous passons notre temps à rappeler qu’il existe aussi le droit du travail et que celui-ci ne prévoit pas de présomption d’innocence. C’est ainsi qu’une chaîne de télévision dont le nom comporte un 6 ne suspend pas l’un de ses animateurs qui fait le plein d’audiences, alors que cette entreprise est censée protéger les personnes et les stagiaires qui travaillent avec ce monsieur, ainsi que les invités de son émission.

MeTooMédia propose des formations aux entreprises, mais inutile de dire que notre action ne nous suffira pas ! Il faut que, collectivement, nous les convainquions de ne plus systématiquement s’abriter derrière le droit pénal et d’appliquer le droit du travail qui oblige à agir tout de suite et non trois, quatre ou cinq ans plus tard, pourvu qu’un hypothétique procès n’ait pas blanchi – un autre mot que nous abhorrons – la personne mise en cause. Peut-être le législateur peut-il d’ailleurs trouver le moyen de forcer ces entreprises à prendre leurs responsabilités en matière de droit du travail, dont les dispositions s’appliquent de manière plus immédiate.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Parmi les cinq spécificités que vous avez énumérées, madame Molinaro – je ne peux d’ailleurs qu’encourager à écouter vos podcasts très intéressants et enrichissants –, celle de la reproduction du système me semble particulièrement importante, car elle fait justement écho au respect du droit du travail, à l’établissement d’un cadre et à la prévention des abus. Interrogées sur ce point avant que la dissolution ne suspende la première commission d’enquête, des écoles de théâtre nous avaient indiqué avoir établi des chartes et des règles vis-à-vis des attitudes intolérables – chartes et règles qui reprenaient d’ailleurs souvent des dispositions du droit pénal et du droit du travail. En tout état de cause, ici réside certainement une clé d’amélioration.

À cet égard, mesdames Molinaro et Truan Dancourt, sur le fondement des témoignages de victimes que vous avez recueillis, voyez-vous des pistes d’amélioration du droit du travail et de la prévention, voire des obligations nouvelles qui devraient s’imposer aux employeurs ? Je rappelle que ces derniers, quel que soit le type de structure, sont responsables de la santé physique et morale de leurs employés.

Mme Mélodie Molinaro. Je partage les propos d’Emmanuelle Truan Dancourt : dans notre milieu, le code du travail est peu connu et très mal appliqué.

Pour éviter la reproduction des violences, j’ai plusieurs propositions concernant le référent VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), que les structures doivent avoir désigné pour obtenir une subvention. Sur le principe, c’est très bien, mais nombre de ces référents se sont autodéclarés, sans avoir suivi de formation ni être certifiés. Ils n’ont donc pas forcément les clés pour recueillir la parole de victimes qui se tourneraient vers eux pour trouver de l’aide après une agression ou des faits de harcèlement. La moindre des choses serait donc d’obliger les référents VHSS à suivre une formation certifiante, puisque les fondamentaux, comme le code du travail, y sont bien expliqués – je suis moi-même en train d’en suivre une.

De plus, les référents VHSS occupent souvent des postes à responsabilités, en particulier dans les petites structures. Si un producteur ou un metteur en scène est aussi le référent VHSS, comment faire et vers qui me tourner lorsqu’il m’agresse, moi qui suis comédienne ? Dans un parc d’attractions par exemple, organisé selon plusieurs pôles et disposant d’une direction des ressources humaines, le référent VHSS n’occupe pas nécessairement un poste à responsabilités ou une fonction d’autorité. C’est la raison pour laquelle je propose, pour les petites structures, que les référents VHSS soient des personnes indépendantes – autoentrepreneurs ou free-lance, peu importe – et formées, afin de permettre aux victimes de se sentir en sécurité lorsqu’elles parleront de leur traumatisme.

Mme Sophie Lascombes. La nomination d’un référent VHSS n’est pas soumise à une vérification préalable du Fijais (fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes) : c’est peut-être une piste d’amélioration. Ainsi, à l’université, on a vu des agresseurs se porter volontaires pour être référents VHSS après avoir été mis à l’écart pendant un temps.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous proposez que les référents VHSS soient des personnes indépendantes, mais le droit du travail prévoit déjà la responsabilité de l’employeur : il doit prendre des mesures pour assurer la sécurité de ses employés et protéger leur santé physique et mentale. Dans ce cadre, une personne indépendante ne serait plus le référent direct de l’employeur, ce qui mettrait celui-ci dans une position problématique. Cela étant, le rôle de la commission d’enquête consiste à examiner le fonctionnement de la chaîne de responsabilité, quitte à transformer le droit du travail.

Mme Sophie Lascombes. Je n’avais pas fini de me présenter : j’ai une carrière de cascadeuse, de professeure dans les écoles supérieures des arts du cirque, de formatrice aux diplômes d’État, professeure de danse diplômée d’État et danseuse.

S’agissant des référents VHSS dans les écoles, la question du salaire et du travail supplémentaire que cela implique est très floue. Des financements existent, mais cette mission est confiée à des personnes sans qu’elles sachent combien d’heures y consacrer, dans quel cadre l’exercer et pour quelle rémunération.

M. Emeric Salmon (RN). Madame Truan Dancourt, je n’ai pas bien compris ce que signifiait l’expression « un #MeToo de l’aller-retour », pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Par ailleurs, la multiplication du nombre d’associations – MeTooMédia, MeTooThéâtre, etc. – ne complexifie-t-elle pas les choses pour les victimes ?

Vous avez parlé des contraintes et des difficultés imposées par l’intermittence. Venant du secteur privé, qui n’est pas non plus exempt de harcèlement et d’agressions, je n’en connais pas le fonctionnement. Je suis enclin à aborder le problème des VSS par l’angle du rapport au corps, dont il a été question, plutôt que sous celui de l’intermittence, mais je me trompe peut-être. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Pour votre information, un #MeTooIndustrie existe. Un représentant de ce mouvement était signataire de la tribune « #metoo "On persiste et on signe !" » publiée en mai dernier en une du Monde, accompagnée de la photo des 100 visages de #MeToo.

Pourquoi avons-nous en France un #MeToo de l’aller-retour ? Les autres pays font souvent leur #MeToo en une fois. En Espagne, un énième féminicide a provoqué des manifestations monstrueuses, qui ont conduit le pays à bousculer les règles de droit et à créer des tribunaux spécifiques pour juger les VSS. La Suède aussi, comme d’autres pays, a complètement bousculé ses règles de droit : désormais, la personne mise en cause doit prouver que la victime était consentante et 86 % des affaires débouchent sur des condamnations.

Dans le droit français, la preuve est à la charge de la victime, qui doit prouver qu’elle n’était pas consentante ; 94 % des affaires, y compris des viols, sont classées sans suite, le plus souvent par manque de preuves. Nous, les victimes, avons tendance à faire disparaître les preuves, parce que ça poisse : on brûle la jupe pleine de sperme, on jette le téléphone portable contenant les SMS – en 2008, on n’imagine pas qu’un jour on va porter plainte contre Patrick Poivre d’Arvor. Et sans preuve, c’est parole contre parole.

Selon une étude américaine, qui commence à dater, 2 % des victimes mentent ; c’est encore trop, mais c’est finalement peu. Nous aurions tout intérêt à bousculer nos règles de droit nous aussi. C’est la raison pour laquelle, avec de nombreuses associations féministes, nous demandons l’adoption d’une loi intégrale reprenant 142 propositions. Nous espérons que cette commission d’enquête contribuera à changer les choses à cet égard.

En France, nous avons un #MeToo de l’aller-retour, parce qu’après avoir fait un pas en avant, on recule de dix. En août 2018, Charlotte Arnould porte plainte contre Gérard Depardieu pour deux viols ; en 2019, Adèle Haenel, se lève et quitte la cérémonie des Césars : dans les deux cas, il ne se passe rien. Ça a commencé à frétiller après que Judith Godrèche a pris la parole devant le public de la cérémonie des César – qui est resté de glace.

L’association MeTooMédia compte 20 % d’hommes, ce qui est beaucoup pour une association féministe, mais on cherche encore les hommes dans le mouvement #MeToo ! Sans les hommes et sans celles et ceux qui ne sont pas victimes, on n’y arrivera pas. En France, on n’arrive pas à faire un #MeToo d’un seul coup ; depuis deux ans, on est en plein backlash et il est compliqué de continuer d’expliquer ce qu’est une victime. L’affaire des viols de Mazan nous aide, hélas, à faire prendre conscience que 91 % des violeurs ne sont pas des monstres – ils n’existent pas –, mais des proches : votre père, votre employeur, votre professeur – le fameux tiercé perdant évoqué tout à l’heure –, votre voisin ou votre grand frère. Tant que cette vérité n’aura pas pénétré les consciences, on n’y arrivera pas.

Elle progresse dans le grand public, mais pas dans la sphère politique, ce qui suscite de nombreuses questions : où êtes-vous ? Où sont les budgets pour les tribunaux, la police, les associations féministes ? Aidez-nous ! C’est un choix politique.

Mme Mélodie Molinaro. La précarité est aussi importante que le rapport au corps. Dans ce milieu comme dans beaucoup d’autres, la concurrence est très forte. Un petit groupe de privilégiés décide de qui travaille et qui ne travaille pas ; en rentrant en conflit avec eux, on prend le risque de ne plus jamais travailler, comme une stagiaire s’opposant à son directeur parce qu’il lui a mis une main aux fesses. Il y a toutefois des différences : dans le milieu du spectacle, le code du travail est peu respecté. De plus, le rapport au corps et l’emprise psychologique rendent les personnes plus vulnérables et plus à même d’être victimes de violences.

Qu’il s’agisse d’intermittents ou de salariés en contrats courts ne change rien : on nous répète à longueur de journée qu’on peut être remplacé si on n’accepte pas tout ce qu’on nous demande. Dans ce milieu, la précarité joue un rôle très important.

Mme Sophie Lascombes. Les violences sexuelles sont avant tout des violences ; le sexe, en tant qu’effraction de l’intime, est un outil puissant pour exercer des violences sur une personne. Quel que soit l’outil d’expression artistique, il ne s’agit pas de sexualiser un corps mais d’exercer une violence.

Vous avez évoqué la multiplicité des associations. Sur le terrain, les victimes ont besoin de parler à des personnes qui connaissent l’environnement dans lequel elles travaillent. C’est la première marche, qui mène ensuite à des associations plus généralistes, comme le CFCV. Celui-ci a cependant différentes casquettes qui l’aident à être au plus près du terrain. La stratégie de l’agresseur consistant à mettre à profit des vulnérabilités, il s’agit d’identifier les lieux spécifiques au secteur d’activité où cette vulnérabilité existe. Ainsi, un comédien peut agresser la jeune femme qui l’accompagne de sa caravane au plateau, a fortiori si le tournage a lieu la nuit et si l’itinéraire comporte des espaces où il peut l’isoler. Dans l’armée, on peut imaginer comment isoler une victime dans un sous-marin, par exemple.

Sur le terrain, il est plus facile de parler à des personnes dont on est proche : c’est un corporatisme dans le bon sens du terme. C’est le contraire de l’omerta consistant à se taire pour protéger la famille. Enfin, les associations généralistes s’appuient sur le droit du travail et sur le code pénal : quand on parle de viol, on parle de crime.

M. Florent Pommier. Les associations sont certes nombreuses et souvent spécialisées, mais elles communiquent beaucoup entre elles, notamment par le biais des messageries. Leur hyperspécialisation n’est pas synonyme d’inefficacité, au contraire.

Une cinquantaine d’entre elles, de tailles diverses, ont constitué une coalition chapeautée par la Fondation des femmes. Elles ont élaboré un document, en cours de finalisation – nous le tenons à votre disposition – présentant 142 mesures précises, documentées et juridiquement établies, avec lesquelles vous serez à l’aise en tant que législateurs. Ces mesures ont vocation à constituer le socle d’une loi intégrale contre les VSS, qui doit marquer un avant et un après, comme la loi de 2012 en Espagne.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Je vous remercie pour votre présence précieuse devant cette commission d’enquête décisive, dont la reprise me réjouit. Je vous remercie également pour tous les travaux que vous avez déjà menés, concernant notamment la stratégie de l’agresseur. J’ai été formée par le CFCV et je sais à quel point il est utile de connaître les facteurs de vulnérabilité qui favorisent les VSS, quel que soit le secteur d’activité.

Enfin, je vous remercie pour les propositions que vous venez d’évoquer, visant à produire une loi intégrale. En France, le travail législatif est un peu saucissonné, si je puis dire : la dimension budgétaire ne figure pas nécessairement dans une loi intégrale. Parmi les mesures que vous proposez, celles qui concernent la justice ou la formation peuvent faire l’objet d’une circulaire, alors que d’autres relèvent de la loi et devront être soumises au débat. Nous devons nous engager à défendre tous les aspects de la lutte contre les VSS et l’examen du budget, qui est en cours, peut constituer une première étape.

Vous avez parlé du code du travail, mais il existe différentes réponses au problème de l’impunité. On dit beaucoup que la peur et la honte doivent changer de camp, ce qui soulève la question du prix à payer. D’après vos propos, rien ne changera tant que ce sont les victimes qui paient le prix, tant qu’un employeur n’a pas honte de maintenir en poste un agresseur contrevenant au droit du travail, tant qu’il ne doit pas payer un prix – à moduler en fonction des faits, tout n’appelant pas une réponse pénale.

Considérez-vous que le droit du travail existant est suffisant ? Avez-vous déjà eu affaire à l’inspection du travail et considérez-vous qu’elle peut être utile dans vos secteurs d’activité, pour rappeler le droit ? Préconisez-vous la création d’autres types de sanction, plus lourdes, permettant notamment aux employeurs de comprendre qu’ils contreviennent à leurs obligations s’ils n’appliquent pas le principe de précaution ? Préconisez-vous que les employeurs, plutôt que les victimes, soient blacklistés et empêchés de poursuivre leurs activités professionnelles ? Avez-vous une palette de propositions qui permette de ne pas se limiter aux seules sanctions pénales ? Bien souvent, on manque d’options et on finit par s’en remettre à la sanction finale de la justice.

M. Thierry Perez (RN). Dans vos témoignages et dans ceux que vous avez recueillis, il est question du passé et du présent. Je souhaite parler de l’avenir.

Pour en avoir discuté avec des enseignants du secondaire, l’accès à la pornographie est massif et de plus en plus précoce – dès 10 ou 11 ans. Or la pornographie diffuse une vision des rapports entre hommes et entre hommes et femmes, qui ne sont ni réalistes ni souhaitables. Dans certains collèges et lycées, des garçons de 14 ou 15 ans harcèlent des filles avec des exigences justifiées par une prétendue normalité issue de la pornographie. Dans quelques années, ces adolescents seront sur le marché du travail, dans différents secteurs : ne voyez-vous pas, dans cette déferlante de la pornographie, un risque d’augmentation des VSS ? Dans l’affirmative, ne faudrait-il pas l’anticiper, puisque gouverner, c’est prévoir ? Nous aurons affaire à des jeunes adultes déformés par tout ce qu’ils auront vu et nous devons réfléchir à la manière de nous prémunir des conséquences de cette vague, dont il ne faut pas négliger la force. La pornographie existait déjà il y a quinze, vingt ou trente ans, mais y avoir accès était beaucoup plus difficile. C’est désormais d’une telle facilité que cela risque d’engendrer des comportements encore plus néfastes que ceux d’aujourd’hui.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les auteurs présumés de VSS dont nous parlons ne sont pas concernés par ce développement massif de la pornographie.

L’accès à la pornographie représente un véritable problème, mais ce n’est pas le sujet qui nous occupe dans cette commission d’enquête.

M. Philippe Fait (EPR). J’ai bien noté votre besoin de recruter des alliés. Pour bien comprendre les mécanismes des VSS, j’ai besoin de savoir si elles sont des actes volontaires ou instinctifs, irréfléchis ?

Dans le secteur de la restauration, les chefs ont longtemps été tout-puissants et certains se permettaient de brimer et de violenter leurs subordonnés. Depuis, de nombreux efforts, notamment en matière de formation dans les écoles, ont permis des avancées. Dans les différents secteurs d’activité que vous représentez, les formations abordent-elles le sujet de la toute-puissance des supérieurs ?

Mme Graziella Melchior (EPR). J’étais membre de la précédente commission d’enquête et je me réjouis qu’elle ait été reconduite. Ces premiers travaux, il y a quelques mois, ont-ils changé quelque chose ? De nouvelles attentes ont-elles émergé ?

Les victimes sont-elles toujours plus nombreuses à se manifester ? Pensez-vous que davantage vont se signaler, grâce à la libération de la parole et parce que certains freins, comme la crainte de perdre son emploi, auront été levés ? Comment vos associations peuvent-elles contribuer à libérer davantage la parole et à améliorer l’accompagnement des victimes ? Vous demandez plus de moyens, mais pour faire quoi ?

Enfin, s’agissant des auteurs présumés, quelles sont vos actions contre, pour ou avec eux ?

Mme Mélodie Molinaro. Concernant le travail éducatif à mener dans les écoles, il faut apprendre en même temps aux jeunes artistes à reconnaître les violences et à faire valoir leurs droits. Il est essentiel de former aussi les professeurs et de faire en sorte qu’ils changent de posture : on ne peut plus accepter que certains continuent de dire : « je vais t’apprendre ça de cette manière, parce qu’on m’a forcé à le faire comme ça. »

Les écoles doivent aussi s’engager à signer une charte, qui pourrait reprendre le code du travail notamment, et à créer un réseau de partenaires vers lesquels les élèves ou les professeurs pourraient se tourner en cas de harcèlement ou de violence. Enfin, s’agissant de la pornographie, une formation au consentement et à la gestion de l’intimité serait utile pour les élèves et pour les professeurs. Ils auraient ainsi la même base et cela limiterait les débordements. Tout cela créerait un cadre sécurisant et respectueux, indispensable compte tenu de l’importance du rapport au corps.

Nous avons parlé des référents VHSS, mais pas des coordinateurs d’intimité, qui sont très peu nombreux en France. Ils interviennent sur les plateaux pour orchestrer les scènes de sexe. Je pense qu’ils devraient être présents dès qu’une scène implique un contact physique entre deux acteurs, afin que le comédien ou la comédienne puisse exprimer son consentement ou son refus, en présence du metteur en scène. Il agirait comme un référent en matière de consentement.

Que proposer pour que les victimes se sentent plus en sécurité et que la honte change de camp ? La création d’une base de données confidentielle serait une première solution. Celle-ci permettrait d’identifier les comportements récurrents ayant fait l’objet d’une plainte ou d’une enquête au sein d’une structure, comme le prévoit le code du travail, sans publier de nom. Je ne crois pas nécessairement à l’utilité de livrer des noms au tribunal médiatique. Un agresseur comme Gérard Depardieu divisera la profession et sera finalement excusé, alors qu’une victime sera catégorisée comme telle jusqu’à la fin de sa carrière et ne pourra plus exercer son activité.

Rendre publics les noms des agresseurs ne sert pas la cause, alors qu’une base de données confidentielle sur les agresseurs, accessible aux référents VHSS, créerait un système sécurisant et permettrait de s’assurer que l’agresseur ou l’agresseuse présumée ne fait plus de victime, en attendant que l’enquête, ou l’instruction, aboutisse.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Vous demandez comment procéder. Ces gens-là rapportent des fortunes. On a bâti des dizaines de films sur la présence de certains acteurs ; M6 empoche des millions grâce aux émissions et aux agences immobilières de Stéphane Plaza – pardon, je cite des noms. Tant qu’on ne touchera pas le porte-monnaie, on n’y arrivera pas. Tout le reste est vertueux et nécessaire, mais il faut commencer par là pour engager la discussion.

Vous m’interrogez sur la pornographie. Ceux qui en regardent ignorent que 80 % des contenus sont passibles d’une condamnation pénale. L’an dernier, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) a réalisé une enquête auprès de personnes âgées de 18 à 35 ans. Les résultats sont effarants : lorsqu’on montre à des hommes une scène de viol issue d’un film et qu’on leur demande ce qu’ils voient, ils répondent que les personnages font l’amour ; si on leur affirme qu’il s’agit d’un viol, ils expliquent que la femme dit non, mais qu’elle veut dire oui. Quant aux filles qui ont été éduquées avec le porno, elles croient que ces films montrent la vie normale, qu’il faut qu’on leur attrape la tête, qu’on a le droit de les violenter et de ne pas demander leur consentement. La pornographie pose un vrai problème.

Vous parlez de formation, il faut commencer dès le plus jeune âge. L’éducation à la vie affective et sexuelle n’est pas dispensée dans toutes les écoles. Or on peut apprendre dès la maternelle aux enfants que leur corps est à eux, que ni papi, ni papa, ni le professeur n’a le droit de toucher – tout commence par là. La culture occidentale a décidément du mal à penser le corps. De manière générale, la formation est sans aucun doute insuffisante. MeTooMédia anime des formations dans les écoles de journalisme, les rédactions, les boîtes de production : nous expliquons comment rédiger des articles en reprenant à la base – par exemple, en expliquant que tel acte n’est pas un attouchement mais une agression sexuelle. Il faut apprendre à nommer les choses.

Par ailleurs, il faudrait ne pas accorder la Légion d’honneur aux agresseurs – je ne sais pas si cela dépend de vous.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous allons auditionner le grand chancelier.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Le général Lecointre me connaît bien.

Il faut faire attention avant de la décerner, parce qu’il est très compliqué de la retirer. Quand nous venons avertir d’une difficulté, on nous oppose que le code prévoit d’attendre une condamnation pénale. Il ne faut plus attendre le pénal : PPDA et Depardieu ont montré qu’on ne devait pas être membre de l’ordre à vie. Il faut absolument pouvoir l’ôter, afin qu’il n’y ait pas deux poids, deux mesures. S’agissant de Harvey Weinstein, le retrait n’a pas posé de problème, mais avec PPDA et Depardieu, on rame, parce qu’on attend une condamnation.

M. Florent Pommier. Notre association compte entre 200 et 250 adhérents, dont la moitié ont été victimes. Nous avons créé une commission pour les victimes qui se professionnalise, avec une formation interne des écoutants. Nous y arrivons grâce aux moyens dont nous disposons, aux militants bénévoles et à notre bonne volonté. Mais nous n’avons pas assez d’argent : dès octobre, nous avions déjà épuisé le budget alloué à l’aide aux victimes. En effet, nous payons des honoraires d’avocat pour elles, après avoir vérifié qu’ils étaient justifiés.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Mme Aurore Bergé est ici. Nous remercions le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Malgré les fréquents changements à sa tête, il nous a beaucoup soutenus : Mme Isabelle Rome et Mme Aurore Bergé nous ont accordé des subventions pour aider les victimes. Mais nous sommes déjà à sec. Heureusement que les associations sont nombreuses, parce que les témoignages arrivent en masse.

M. Florent Pommier. Le nombre des victimes ne diminue pas : le robinet coule de plus en plus fort. Toutes les associations y sont confrontées de la même manière. Nous nous organisons donc pour que la commission victimes puisse écouter encore plus, mais nous n’y arriverons pas tout seuls.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’argent est le nerf de la guerre, pour agir contre les agresseurs comme pour aider les victimes – nous l’avons bien compris.

Mme Sophie Lascombes. Vous avez évoqué le droit du travail. Les associations assurent un maillage territorial et proposent des partenariats solides. L’AVFT, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, et la Collective des droits, par exemple, existent de longue date et proposent des formations. Le problème est général : aucun secteur d’activité n’est au-dessus des lois et ne peut exercer des pressions ou des violences sur une personne, notamment sous prétexte de création.

S’agissant de la pornographie, vous avez employé le mot « fléau ». Nous l’évitons car il donne l’impression d’avoir affaire à un phénomène comparable à une invasion de sauterelles : il fait perdre de vue les protagonistes. Or il faut regarder comment l’auteur agit. Le CFCV a construit son expertise à partir de la parole des victimes, en particulier celle délivrée pendant les procès, quand les mis en cause sont censés répondre de leurs actes. On constate que les récits des victimes sont parcellaires parce qu’elles ont des problèmes de mémoire, et non parce que leurs souvenirs manquent de justesse : certaines pièces du puzzle peuvent faire défaut mais celles qui sont là sont claires. Les plaignantes reconnaissent que des moments peuvent leur échapper, comme le déroulement de certaines actions, à cause de la sidération. L’agresseur, quant à lui, adapte son discours en fonction de ce que ça va lui coûter. On voit alors que sa parole est organisée. Prenons l’exemple d’une fête de fin de tournage. Il commence par dire que la femme était bourrée, que c’est elle qui l’a chauffé – je cite les termes d’un vrai procès, à l’issue duquel le prévenu a été reconnu coupable. Lorsqu’on lui explique qu’il s’agit d’une circonstance aggravante, il répond qu’en fait, ce n’était pas elle qui était bourrée, mais lui, et qu’il ne savait donc pas ce qu’il faisait. On lui précise que c’est également une circonstance aggravante, il dit que finalement, ils avaient bu après. C’est le principal problème du recueil de plainte : l’agresseur est plus à l’aise que la victime pour délivrer son récit, parce qu’il a réfléchi.

Nous ne disons pas que la parole se libère, mais que les oreilles se débouchent. Il y a longtemps que les personnes parlent. Emmanuelle Béart a d’ailleurs intitulé son documentaire Un Silence si bruyant. Le film La Conspiration des oreilles bouchées date de 1983. Ne réinventons pas, écoutons. On pense que les problèmes naissent des témoignages, pas des agressions. Prenons l’exemple du cinéma. En tant que cascadeuse, je fais partie d’une équipe, qui travaille sur un projet avec ardeur, s’y consacre corps et âme. Lorsqu’une victime parle, on pense que c’est elle qui met à mal le projet. Mais si on examine les faits plus attentivement, comme lors d’une enquête de police, on s’aperçoit que le comportement de l’agresseur a déjà affecté le projet, en dehors même des violences sexuelles, en imposant un continuum de violences – il y a d’autres dégâts.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Maintenant, comment mener le combat ? Vous l’avez dit, celui-ci n’est pas nouveau. Maria Schneider et d’autres ont témoigné. Chaque fois, il y a eu un contrecoup ; c’est un aller et retour, on ne progresse pas.

Vous avez souligné l’importance de connaître ses droits, c’est peut-être une piste. Les employeurs doivent connaître le droit du travail, donc leurs obligations – c’est la moindre des choses. Comment faire en sorte que dans ce milieu, comme dans tous les autres, on connaisse ses droits ? Faut-il approfondir l’éducation dès le plus jeune âge, en apprenant aux enfants que leur corps, c’est leur intimité ? Faut-il rendre le droit pénal et le droit du travail obligatoires dans la formation des comédiens ?

On pourrait généraliser la présence d’un coordonnateur pour toute scène d’intimité. Faut-il selon vous que la loi prévoie une obligation contractuelle en la matière ? Aux États-Unis, les comédiens signent un contrat qui stipule les détails de chaque séquence. Pour modifier une scène, il faut modifier le contrat. En France, depuis la Nouvelle Vague, il n’y a déjà pas de scénario, alors le contrat…

Madame Truan Dancourt, vous nous conseillez de taper au portefeuille. Quel portefeuille faut-il viser, et comment ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous dites qu’il faudrait des référents extérieurs. J’ai été vice-présidente de l’université de Lille, qui compte 90 000 étudiants – la question s’y est posée. Le caractère extérieur n’est pas toujours facteur de simplification : les victimes doivent se tourner vers quelqu’un qu’elles ne connaissent pas et qui ne connaît ni leur univers ni les gens qui y évoluent. Par ailleurs, cela ne facilite pas non plus la gestion de la situation. Pourquoi pensez-vous que c’est une meilleure solution ? Avez-vous des exemples précis ?

Les soirées étudiantes sont des lieux de violences. Dans le monde du spectacle, les soirées se situent dans un entre-deux, à la lisière du travail. Comment les encadrer ? Considérez-vous qu’elles font partie du travail ? Il faut déterminer la responsabilité de l’employeur.

Mme Sophie Lascombes. Outre les soirées, votre question concerne les résidences de création : elles impliquent des moments de vie en commun, parfois des temps festifs. Il faudrait clarifier le cadre en définissant ce qui relève du temps de travail. On peut être tenté de continuer à travailler pendant le repas, or cela ne devrait pas arriver. Le flou profite aux agresseurs, et on se trouve là dans une zone de flou.

Les soirées de fin de tournage intègrent des personnes satellites : elles n’étaient pas employées sur le tournage mais sont des proches de ceux qui y ont participé, des gens qui voudraient exercer un métier de cinéma. Elles sont parfois présentes dès la fin du tournage, pour voir comment cela se passe. Il faut donc identifier clairement qui est présent et définir les responsabilités des organisateurs : ils doivent encadrer l’événement qu’ils ont créé.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Est-ce que quelqu’un crée l’événement ? Est-ce une coutume de sortie de plateau ou y a-t-il un organisateur ?

Mme Sophie Lascombes. Cela coûte de l’argent, donc il y a un budget, une organisation et une responsabilité. Les écoles supérieures de cirque par exemple prévoient une tournée de fin de scolarité, avec un spectacle que des programmateurs viennent voir. Ces soirées sont donc aussi l’occasion de créer un premier réseau professionnel. Il faut les contrôler, faire en sorte que l’encadrant soit proche des élèves pour surveiller le comportement des professionnels qui s’intègrent à ces moments.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Il ne faut pas oublier les castings. Nous travaillons à sortir un MeeTooCasting. Les contrats doivent inclure ce moment-là. Les producteurs sont malins : ils font évidemment démarrer le contrat après le casting et le font cesser avant la soirée. Dans l’affaire des Volets verts, nous avons eu une chance folle : les faits se sont passés sur le tournage et il y a eu des témoins. Ce qui se passe sur les castings et dans les soirées échappe au contrat, donc le producteur ne se sent pas concerné – les directeurs de casting pourront vous en parler.

Sous couvert de flou artistique, on n’applique pas le droit du travail. Pourquoi les tournages, les productions de théâtre, de danse, de chant en seraient exemptés ? C’est un mystère. Il faut les obliger à respecter la loi, comme il faut y contraindre la télévision, où il y a également beaucoup d’argent. Vous n’avez pas suspendu M. Machin alors qu’il est dangereux sur son lieu de travail, parce qu’il a recruté ses victimes dans sa propre équipe ou parmi les invités de son émission ? Grosse amende ! Il faut que ça fasse mal, sinon, ça ne sert à rien. Surtout, il faut prendre tout le champ en considération, pas seulement les tournages et les soirées – et nous n’avons pas parlé de la drogue et de l’alcool qui circulent.

Mme Sophie Lascombes. La venue d’une personne dans une loge, par exemple pour un concert, donne lieu à l’élaboration d’une fiche technique. Il arrive que celle-ci contienne des demandes qui contreviennent à la loi, notamment au droit du travail : il faut faire appliquer le droit dans ce cadre-là également.

Aujourd’hui, j’ai appelé un cascadeur pour lui demander si son contrat de travail stipulait l’interdiction d’exercer des violences, sexuelles notamment. C’était le cas, mais en page 9 : il ne l’avait pas vu – il a ajouté que c’était la preuve qu’il n’avait pas lu son contrat jusqu’au bout ! Si c’était mentionné plus près du salaire, on le lirait davantage.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous citez le cas d’un cascadeur qui admet ne pas avoir lu son contrat. On voit qu’il y a un problème. La sensibilisation est insuffisante. Il faut armer juridiquement les comédiens et les techniciens. Je ne dis pas qu’ils sont responsables des lacunes, au contraire, mais dans ce domaine, on peut peut-être renforcer le cadre légal.

Mme Sophie Lascombes. Cette mention pourrait figurer au début du contrat. Elle ne doit pas être banalisée, mais mise en avant. Pendant la crise liée au covid-19, les gens devaient parfois signer pour attester qu’ils avaient vu une vidéo mais celle-ci abordait tellement de sujets que certains passaient à la trappe, notamment les violences sexuelles. Le problème concerne aussi les documents qui réinterprètent la loi ou la citent partiellement. Il est essentiel que tous les supports de communication citent la loi avec exactitude et que tous les professionnels soient informés dès leur entrée dans le métier.

Mme Mélodie Molinaro. Comment informer les jeunes artistes ? De même qu’on leur apprend à reconnaître les violences, il faut leur enseigner le droit du travail. Je ne connais aucune école de spectacle qui le fasse. On nous demande d’être au service de l’art, au service du metteur en scène, de nous mettre à nu – ce sont les mots qu’on emploie. D’où l’importance du coordonnateur d’intimité. Peut-être faut-il que les metteurs en scène et les professeurs, tous ceux qui sont en position d’autorité, reçoivent une formation, que tout le monde fasse l’apprentissage du consentement, de sorte que chacun puisse poser ses limites, même en dehors des scènes de sexe ou d’intimité. Tout passe par la formation et la sensibilisation de tous les professionnels. Nous avons tous besoin d’une remise à plat, comme de disposer des outils pour se défendre, de savoir vers qui se tourner et comment procéder si on est victime d’une violence.

S’agissant de l’indépendance des référents VHSS, il serait intéressant d’avoir le choix. Certaines personnes se tournent vers mon association, Derrière le rideau, parce qu’elles savent que je suis artiste et comédienne, tandis qu’en appelant Audiens, elles ne sauraient pas qui répond au téléphone. Les victimes ont besoin de s’identifier, c’est pour cela que les MeToo sont si nombreux. Pour déterminer jusqu’où on est prêt à aller dans son parcours de victime, il faut pouvoir mettre des mots sur ce qu’on a vécu, et il faut savoir que la personne à qui on se confie nous comprendra parce qu’elle connaît le système dans lequel on évolue. D’un autre côté, les référents indépendants sont utiles, en particulier dans les petites structures qui ne comptent par exemple que le producteur et la metteuse en scène. La possibilité d’un recours externe évite de leur donner trop de responsabilité et résout la question du financement. Les deux ne sont pas incompatibles.

M. Florent Pommier. Mon expérience au sein du Syndicat national des journalistes (SNJ) me suggère deux idées. Lors du congrès annuel, un groupe de personnes est constitué pour recevoir les éventuels témoignages de violences survenues pendant son déroulement. De plus en plus fréquent dans les festivals et les soirées, ce dispositif devrait exister partout. Il peut s’agir d’un numéro d’urgence.

Tous les référents VSS doivent absolument être formés et bien formés. Certains arrivent d’on ne sait où, sans avoir reçu de formation reconnue, ou une de deux heures – on ne forge pas en deux heures les compétences d’écoute nécessaires pour entendre des victimes de violences sexuelles.

Mme Aurore Bergé (EPR). Vous avez évoqué le flou artistique des contrats de travail. C’est la zone grise où se nichent les principales difficultés : ce qui n’est pas intégré au contrat de travail mais devrait y figurer. Faut-il considérer que la présence en soirée fait partie du travail d’un artiste, en vertu d’un contrat moral ? Est-il nécessaire de mieux déterminer ce qu’on attend des professionnels, y compris hors du lieu de travail ? Je pense aux à-côtés, comme les promotions et les événements, qui participent au flou.

Vos métiers se distinguent par un rapport au corps spécifique. Le problème ne vient pas de là mais du pouvoir que certains exercent sur les corps et des abus qui peuvent en résulter. Vous estimez qu’il faudrait former tous les professionnels. Faut-il aller au-delà ? S’agirait-il de formation initiale, continue ? Chaque début de tournage doit-il inclure une formation de tous les professionnels présents, pour réaffirmer la tolérance zéro ?

S’agissant des référents internes ou externes, je crois beaucoup aux tiers de confiance. Ils ne peuvent pas toujours appartenir à l’entourage immédiat ou professionnel : cela fait peser une responsabilité énorme sur des personnes dont ce n’est pas le métier, qui ont seulement reçu une formation supplémentaire – certes utile. Nous avons besoin de gens qui se consacrent à cette tâche, des professionnels, qui ne sont pas de parti pris, faute de quoi ils risquent de ne pas oser dénoncer les faits ou accompagner les victimes.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Avez-vous des constats particuliers à formuler concernant les mineurs ? Font-ils l’objet de dispositifs spécifiques d’accompagnement ? C’est notamment à cette période de la vie que les violences surviennent, provoquant des fragilités.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le code du travail, s’il était appliqué, serait assez puissant. Faut-il renforcer certaines dispositions pour qu’il soit adapté aux spécificités de vos métiers – travail de nuit, touchant à l’intimité, en promiscuité, qui donne au corps une place toute particulière ?

Vos cellules d’écoute recueillent beaucoup de témoignages. Pourriez-vous nous communiquer par écrit vos statistiques ?

Mme Mélodie Molinaro. Les soirées de fin de tournage ne sont pas obligatoires mais elles sont importantes : elles concluent une période de travail et offrent l’occasion de se créer un réseau. Plutôt que de les inclure dans le contrat, je suggère d’établir une charte qui définisse les règles et les limites de l’acceptable, pour que tous les gens présents les connaissent. Plus généralement, c’est une bonne solution pour tous les à-côtés du contrat de travail.

Nous n’avons pas recueilli de témoignages de mineurs donc nous n’avons pas l’expérience nécessaire pour en parler. En ce moment, Le Roi lion se joue tous les soirs à Paris. Tous les soirs, un majeur accompagne les enfants de leur entrée en scène à leur sortie : ils ne sont jamais seuls.

Pour s’adapter aux spécificités du métier, il faut vraiment prendre conscience de la précarité de ses travailleurs et de l’omerta qui y règne. La méconnaissance du droit n’est pas seule en cause : c’est un petit milieu, où il est difficile de parler. On est de plus en plus entendu mais ce n’est pas toujours suivi d’effets. Il faudrait également former les officiers de police aux spécificités du spectacle. J’ai reçu le témoignage d’une actrice : elle expliquait dans sa plainte s’être mise nue lors d’un casting, pour une scène qui exigeait qu’on soit à l’aise avec son corps ; le policier lui a affirmé que si elle s’était mise toute nue, elle était une pute. Non, elle n’est pas une pute, on lui a demandé de se mettre nue dans le cadre de son travail parce que la scène s’y prêtait, ça ne veut pas dire qu’elle devait être violée.

Mme Emmanuelle Truan Dancourt. Les images frappent les esprits. Pourquoi ne pas lancer une grande campagne de publicité ? Elle serait composée de saynètes qui se déroulent par exemple dans une soirée, ou dans un environnement de travail, comme une entreprise en Haute-Saône, pour contextualiser des gestes. On verrait un homme mettre la main sur une partie du corps qu’il n’a pas à toucher, pour dire que ça, c’est non. Il faudrait à chaque fois chiffrer la sanction encourue. Nous dénonçons les lacunes du droit en matière de viol et d’agression sexuelle, mais il est très bien conçu pour répondre au bas de la pyramide des violences. Or on ne sait pas que l’amende pour l’outrage sexiste ou sexuel peut se monter à 3 750 euros. Pas une femme ne porterait plainte parce qu’elle s’est fait injurier, parce qu’on ne sait même pas qu’on peut porter plainte. Si une campagne de publicité affichait que tel comportement est interdit, qu’il ne faut pas se laisser faire et que l’auteur encourt telle peine, les gens se rendraient compte que ce n’est pas tolérable.

M. Florent Pommier. On pourrait diffuser ce type de film, court, avant chaque tournage ou spectacle, pour que tout le monde sache ce qu’il ne peut pas faire. On pourrait également faire figurer en tête du contrat de travail une charte de prévention des violences sexuelles rédigée en termes appropriés et reproduisant les références juridiques adéquates. Elle serait nationale, afin que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas.

Mme Sophie Lascombes. L’important n’est pas d’expliquer à l’agresseur ce qui est interdit : il le sait. La charte sert plutôt à proclamer la tolérance zéro dans un lieu, afin qu’il ne puisse pas dire qu’il ne savait pas.

La question du consentement est à prendre avec des pincettes. L’agresseur cherche précisément le non : c’est ça qui le fait bander. Le problème n’est pas qu’il y ait une zone de flou, puisqu’il s’assure que la victime ne veuille pas. Il arrive que la personne ait donné son consentement dans une situation et que l’agresseur le dévie jusqu’à lui faire subir des violences.

Pour la protection des mineurs, nous avons formulé trois recommandations en 2019, quand on nous a demandé notre avis. L’accompagnement sur le tournage péchait ; il a été renforcé. Les encadrants accompagnent les enfants partout, à la loge, aux toilettes – je ne sais pas d’ailleurs si l’on vérifie qu’ils ne sont pas inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Deuxièmement, il faut veiller à l’écriture du scénario et à la place que l’enfant y occupe : est-il sexualisé ? Le film raconte-t-il une histoire d’amour entre un enfant et un adulte ? Enfin, nous sommes une association générique, nous recevons des témoignages venus de tous les secteurs. Dans le trio perdant, on trouve les parents. Ces derniers accompagnent les enfants pendant les castings, et certains objectivent leur enfant. Il faudrait observer les comportements et ne pas permettre à un enfant d’exercer ce métier si sa carrière est le projet de ses parents.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il est possible d’avoir des référents VHSS dans les soirées. Comme Sam, ils ne s’alcoolisent pas, ne se droguent pas. À l’université, leur présence a radicalement changé les soirées étudiantes : il suffit que deux ou trois personnes dans une soirée endossent cette responsabilité pour faire évoluer la situation.

Je vous remercie chaleureusement pour vos témoignages. Le rapporteur et moi sommes d’accord pour que cette commission d’enquête n’aboutisse pas seulement à rédiger une charte. Nous devons instituer un cadre en passant par la loi, pour responsabiliser.

 

 

La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Pouria Amirshahi, M. Erwan Balanant, Mme Aurore Bergé, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Fait, Mme Sarah Legrain, Mme Graziella Melchior, M. Thierry Perez, Mme Lisette Pollet, Mme Josy Poueyto, Mme Sandrine Rousseau, M Emeric Salmon

Excusée.  Mme Nathalie Colin-Oesterlé