Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant : Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) et Mme Florence Borelly, membre du bureau Long-métrage du SPI ; Mme Laëtitia Galitzine, membre du conseil de direction de l’Union des producteurs de cinéma (UPC), Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale et Mme Nadia Mathern, déléguée aux affaires sociales, et Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale de l’Association des producteurs indépendants (API) 2
– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Valérie Lépine-Karnik, présidente du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique et publicitaire, M. Didier Carton, délégué à l’hygiène et la sécurité et M. Jean Loup Chirol, membre du CCHSCT cinéma, et de M. Laurent Jullien, président du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production audiovisuelle, M. Jimmy Shuman, membre du collège Salarié et Mme Louise Lebecq, membre du collège Employeur 17
– Présences en réunion.....................................32
Jeudi
21 novembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
La commission procède à l’audition, sous forme de table ronde, ouverte à la presse, de Mme Florence Borelly, membre du bureau Long-métrage du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) et Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales ; Mme Laëtitia Galitzine, membre du conseil de direction de l’Union des producteurs de cinéma (UPC), Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale et Mme Nadia Mathern, déléguée aux affaires sociales, et Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale de l’Association des producteurs indépendants (API).
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’ai le plaisir d’accueillir, pour la première audition de la matinée, les représentantes des producteurs : pour le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), Mme Florence Borelly, membre du bureau « Long-métrage » et Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales ; pour l’Union des producteurs de cinéma (UPC), Mme Laëtitia Galitzine, productrice et membre du conseil de direction, Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale et Mme Nadia Mathern, déléguée aux affaires sociales ; pour l’Association des producteurs indépendants (API), Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. Le producteur porte la responsabilité financière et juridique du film. Il est donc, en tant qu’employeur, au cœur des préoccupations de la commission d’enquête. C’est à lui qu’il appartient de protéger ses salariés lorsque des faits de violence surviennent dans le cadre de la production d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle, mais il semble exister une sorte de conflit d’intérêts lorsque l’arrêt d’un tournage peut signifier la fin d’un projet ou qu’une dénonciation peut « abîmer » un film avant même sa sortie. Nous savons que chaque projet est unique et qu’il fait l’objet d’une forte pression liée aux contraintes d’espace et de temps. Ce climat est-il propice à une certaine légèreté dans l’application du droit du travail, notamment en ce qui concerne le temps de travail et peut-être la protection due aux salariés ? On nous a dit il y a quelques jours : « Rien ne doit arrêter la marche du film. » Est-ce exact, de votre point de vue ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Louise Lebecq, Florence Borelly, Laëtitia Galitzine, Valérie Lépine-Karnik, Nadia Mathern et Hortense de Labriffe prêtent successivement serment.)
Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales du Syndicat des producteurs indépendants. Le SPI, fondé en 1977, est une organisation professionnelle d’employeurs constituée en syndicat au sens du code du travail. Il est le seul syndicat unitaire du secteur : il représente à la fois des producteurs audiovisuels et de cinéma et il rassemble un peu plus de 500 sociétés de production, réparties dans l’ensemble du territoire français – 40 % des sociétés sont domiciliées en région. Parmi nos structures adhérentes, 42 % sont dirigées ou codirigées par des femmes. Le SPI est représentatif dans trois branches professionnelles : la production cinématographique et de films publicitaires, la production audiovisuelle et celle d’animation. À ce titre, nous participons activement au dialogue social dans chacune de ces branches, ainsi qu’à l’échelle multiprofessionnelle puisque le SPI est membre de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac). Nous siégeons également dans différentes instances paritaires sociales et professionnelles, ce qui nous permet de participer activement au dialogue social.
Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l’Union des producteurs de cinéma. Je tiens tout d’abord à saluer la reprise des travaux de cette commission d’enquête sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité : il ne faut en effet pas se cantonner au cinéma car il n’a pas le monopole des violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS).
L’UPC a été créée après la seconde guerre mondiale, au lendemain d’événements tragiques, sous le nom de chambre syndicale des producteurs et des exportateurs de cinéma. Elle rassemble actuellement 265 membres, producteurs et productrices indépendants dans les secteurs du cinéma et de la publicité. Son président est Marc Missonnier.
Tout comme nos collègues du SPI et de l’API, notre syndicat est représentatif. Il est majoritaire dans le secteur et siège dans les instances paritaires, qui sont à l’origine du droit social sectoriel – conventions collectives, formation, métiers, santé au travail, prévoyance, hygiène et sécurité, retraite. L’UPC est également membre de la Fesac.
Au cours des dernières années, nous avons énormément agi tous ensemble dans la lutte contre les VHSS. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment fait connaître le travail que nous avons réalisé : cette audition nous en offre l’occasion, ce dont nous vous remercions.
Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale de l’Association des producteurs indépendants. Je représente l’API, créée en 2002 et présidée par Sidonie Dumas, par ailleurs directrice générale de Gaumont. Nous siégeons au Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic). L’API représente vingt sociétés, dont chacune d’elles pèse en moyenne annuelle 30 millions d’entrées dans les cinémas. Le conseil d’administration et le bureau de l’Association sont paritaires.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Puisque vous avez dit que le travail engagé n’était pas suffisamment connu, peut-être pourriez-vous commencer par nous le présenter ?
Mme Louise Lebecq. Les partenaires sociaux ont pris le sujet à bras-le-corps depuis quatre à cinq ans. En 2020, la Fesac a conclu avec les organisations syndicales, à l’échelle multiprofessionnelle – spectacle vivant et enregistré –, le plan d’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutte contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels. Il s’est notamment traduit par l’instauration, en 2020, de la cellule d’écoute – vous avez auditionné le groupe Audiens pour en parler – et par l’offre de services sur la lutte contre les VHSS, déployée en 2021 par l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas), opérateur de compétences (Opco) dans lequel nous siégeons puisqu’il s’agit d’un organisme paritaire. Cette offre de services comprend plusieurs parcours de formation sur la prévention des VHSS, adaptés aux différents niveaux hiérarchiques des salariés ; les modules de formation, dont la durée varie entre un et trois jours, sont ouverts à tous les salariés, aux manageurs, aux dirigeants d’entreprise et aux référents. Les différentes instances de l’Afdas ont ratifié des conditions de prise en charge de ces formations visant à en faciliter l’accès, pour les salariés permanents envoyés par leur entreprise comme pour les salariés intermittents.
En 2022, les comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) des branches des productions cinématographique et audiovisuelle ont publié un kit de prévention des VHSS, lequel se compose de quatorze fiches-outils qui déclinent, sur un plan opérationnel, le code du travail dans nos secteurs d’activité. Ces fiches, très pratiques, accompagnent les employeurs dans le déploiement de leur politique de prévention et les salariés pour les aider à réagir en tant que victimes ou témoins. Le kit a été mis à jour en 2023. La même année, la Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation de l’audiovisuel (CPNEF-AV) a publié une étude dressant un état des lieux de la coordination d’intimité en France, document prolongé par des travaux visant à créer un certificat de qualification professionnelle de coordinateur d’intimité en France, lequel devrait voir le jour l’année prochaine. En 2024, enfin, les avenants à la convention collective de la production cinématographique ont été signés : un avenant est dédié à la prévention et au signalement des VHSS et un autre porte sur la protection des artistes mineurs. Tous ces aménagements conventionnels ont été négociés dans le cadre du dialogue social.
Mme Valérie Lépine-Karnik. Tout ce travail est paritaire : employeurs et salariés travaillent main dans la main dans ce domaine. Les facteurs de risque se situent au cœur de nos réflexions et nous avons identifié, à l’occasion de séminaires, les situations dangereuses. Nous avons eu à cœur d’assurer la gratuité des formations pour les salariés : elles n’entament donc pas dans leur crédit de formation.
Mme Hortense de Labriffe. Les aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) sont conditionnées au suivi de la formation. L’article 6 de la proposition de loi déposée par le sénateur Jérémy Bacchi prévoit que les aides sont retirées si une condamnation pénale frappe le producteur délégué à la suite d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une personne sur un tournage.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je n’ai pas lu la proposition de loi, mais l’article que vous évoquez s’applique uniquement à une condamnation pénale et non civile, n’est-ce pas ?
Mme Hortense de Labriffe. Tout à fait.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Condamnation pénale qui n’intervient que dans 0,7 % des cas…
M. Erwan Balanant, rapporteur. Au-delà de son champ d’application, cette proposition de loi n’est même pas inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, donc ses dispositions sont loin de faire partie du droit positif.
J’ai pris connaissance des fiches-outils, qui sont en effet très complètes et bien faites. L’écart entre les règles posées par le droit du travail et ces fiches-outils et les réflexions des personnes que nous avons auditionnées tirées de leur expérience, nous semble profond. Des représentants du groupe Réactivité, éthique, sécurité, professionnalisme, efficacité, confiance, transparence (Respect) nous ont fait part de leur manque d’informations et de compréhension du cadre légal, notamment du code du travail.
Où sont les hommes ce matin ? Votre métier ne compte que 40 % de femmes, mais ses représentants répondant à notre convocation sont toutes des femmes. Les producteurs masculins s’intéressent-ils au sujet ? Il ne me semble pas neutre qu’il n’y ait devant nous que des femmes.
Le producteur est l’employeur des salariés permanents et intermittents dans un tournage et le directeur de production en assure la direction ainsi que l’organisation générale du travail. Dans le domaine de la sensibilisation et de la formation, quelles actions sont déployées, au-delà des formations obligatoires, pour prévenir les VHSS lors du tournage d’un film ? Le gérant de la production doit suivre une formation en la matière. Dans les sociétés de production, les producteurs qui n’assument pas la fonction de gérant doivent-ils tout de même suivre la formation ?
Les directeurs de production informent-ils l’ensemble des salariés des risques de VHSS dans un tournage ? Le règlement intérieur et la loi en vigueur sont-ils affichés ? Où le sont-ils : dans les loges, sur les plateaux techniques ?
Que stipule le contrat de travail des employés dans ce domaine ? Des clauses particulières sont-elles prévues ? Pourriez-vous nous transmettre des contrats de travail de chaque poste, afin que nous examinions leur rédaction ?
Mme Florence Borelly, membre du bureau « long-métrage » du Syndicat des producteurs indépendants. Je ne veux pas répondre à la place des hommes, mais il est vrai que ce sont principalement des femmes qui s’occupent des questions sociales dans nos syndicats. Je suis élue au bureau « long-métrage » du SPI et je soutiens Louise Lebecq, qui est chargée des sujets sociaux : je participe à des réunions, je préside la commission paritaire dérogatoire de l’annexe III, je siège dans la commission d’agrément du CNC – entité qui structure le secteur du cinéma. En revanche, des hommes participent aux groupes de travail. Vous pourrez les interroger sur les raisons de leur absence ce matin, mais il n’y a pas d’approche de genre et je travaille d’ailleurs avec un producteur sur ces questions.
Quand le CNC a ouvert la formation de trois heures contre les VHSS, le public destinataire s’est plaint et a demandé pourquoi il était le seul concerné. Malgré la brièveté de la formation, son lancement fut une initiative formidable. Nos structures sont petites, si bien que le producteur est souvent le gérant ou le président de la société ; je suis moi-même productrice et présidente d’une société, donc j’ai suivi cette formation de trois heures. Nous avons été surpris par l’étendue du champ de notre responsabilité. Tout le monde savait que l’employeur était responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés ayant signé un contrat de travail, mais nous avons compris que notre responsabilité était également en jeu dans les moments hors travail, lorsque des équipes étaient en déplacement pour une mission effectuée à notre demande. Le travail dans le cinéma mêle des aspects affectifs et professionnels : lors d’un tournage, les gens sont loin de leur famille et ils constituent une collectivité, que je qualifie parfois de colonie de vacances, dans laquelle on oublie vite la frontière entre le domaine professionnel et la sphère privée. Essentielle, cette première formation a été l’occasion d’une prise de conscience.
Néanmoins, elle s’est révélée insuffisante. D’ailleurs, Laëtitia Galitzine et moi avons suivi, sans nous concerter, une formation complémentaire de trois jours, offerte par l’Afdas, notre organisme de formation. Nous en sommes très heureuses car cette séance a complété les éléments de la première formation tout en rafraîchissant notre mémoire sur les règles et les définitions : qu’est-ce qu’un harcèlement sexiste ? Qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Quels sont les droits et les devoirs de chacun ?
Je sais que nous sommes dans l’œil du cyclone et je souhaite dire que beaucoup a été fait en quatre ou cinq ans. Au début, nous n’étions certes pas très nombreux, autour du collectif 50/50, à nous pencher sur la question, mais une réelle prise de conscience a eu lieu grâce à l’heureuse libération de la parole, à la fin de l’omerta et au refus de mélanger subordination née du contrat de travail et domination. Les producteurs ont évolué, de manière contrainte ou volontaire, et ont suivi ces formations destinées à réduire les VHSS.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’absence d’hommes à cette audition pose question : je suis sûre qu’il y a de très bonnes raisons pour l’expliquer, mais elle donne à voir un aspect du monde de la production. J’invite les hommes à se mobiliser sur le sujet et à venir témoigner de leur responsabilité dans le domaine dont nous parlons.
Vous dites que, dans les tournages, la frontière entre le professionnel et le privé se révèle floue. Notre travail porte sur les violences sexuelles : qu’elles soient commises dans la sphère professionnelle ou privée n’est pas le cœur du sujet. Depuis le début des auditions, les personnes que nous avons reçues ont beaucoup insisté sur les moments qui ne relevaient pas du contrat de travail comme les castings, la préparation dans les loges, les trajets ou les soirées. Des coordinateurs d’intimité et des référents sur le harcèlement peuvent être présents sur le plateau de tournage, mais ils sont parfois liés à la production, ce qui pose un problème sur lequel j’aimerais vous entendre. Quels dispositifs déployez-vous pour sécuriser les personnes dans tous les moments extérieurs au contrat de travail et comment recueillez-vous la parole en cas d’incident ou dès qu’un dysfonctionnement apparaît ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Des clauses relatives à ces moments figurent-elles dans les contrats de travail ?
Mme Laëtitia Galitzine, membre du conseil de direction de l’Union des producteurs de cinéma. Désormais, les contrats de travail des techniciens et des comédiens comportent systématiquement un paragraphe sur ce point : je ne vais pas vous en lire ici, mais nous vous en transmettrons. Les règles sont systématiquement affichées, notamment dans les loges, les locaux de la production et de préparation et la table de régie. Cette dernière se déplace dans chaque décor : elle est le centre névralgique du plateau car c’est le seul endroit où tout le monde se rend à un moment.
Les formations obligatoires du CNC représentent une révolution et une révélation. La formation constitue le cœur de la question : savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas et connaître la loi sont essentiels. Les formations obligatoires se déroulent en deux volets : le premier est individuel et le second, collectif, est organisé sous la responsabilité du producteur à la fin de la préparation du tournage ou au début de celui-ci. Tout le monde doit assister à cette session, qui constitue une révolution. Tous les intermittents avec lesquels nous avons échangé se réjouissent d’être formés et de ne plus être pointés du doigt. Notre métier s’adapte en permanence : c’est l’une de ses forces, que nous avons pu éprouver lors de la crise du covid. Les intermittents changent parfois de lieu de travail toutes les deux heures, donc ils ont une grande force d’adaptation. Depuis que les conventions collectives comprenant ces formations ont été adoptées, ils nous demandent avec empressement quand celles-ci auront lieu. Ils exercent un métier de passion et ils déplorent d’en entendre parler dans les médias uniquement sous le prisme, bien entendu essentiel, des VHSS. La formation doit éradiquer les violences et les harcèlements des plateaux.
Mme Valérie Lépine-Karnik. La nomination d’un référent est un autre élément important. Je sais que la responsabilité et la neutralité de celui-ci vous tiennent particulièrement à cœur, madame la présidente et monsieur le rapporteur : sachez que le statut de lanceur d’alerte du référent a été récemment inscrit dans la collection collective.
Mme Nadia Mathern, déléguée aux affaires sociales de l’Union des producteurs de cinéma. L’avenant paritaire à la convention collective que nous avons signé en mai dernier commence à s’appliquer. Il possède une dimension pédagogique, afin que la prévention soit connue de tous et que l’information circule : la transparence est totale. Dans les vingt-cinq pages de l’avenant figurent tous les aspects relatifs à la prévention et au traitement des VHSS. Les clauses de consentement des comédiens, inscrites dans les contrats de travail, participent également à la prévention.
L’avenant précise quels sont les différents types de référent pour les VHSS. Le code du travail prévoit la désignation d’un référent au sein du comité social et économique (CSE), mais cette disposition trouve rarement à s’appliquer dans le secteur, à cause de la taille des entreprises. La convention prévoit également qu’un salarié permanent de l’entreprise puisse être nommé référent – nous parlons alors de « référent boîte de production » –, mais seules les entreprises dont les effectifs le permettent se saisissent de cette faculté.
La désignation d’un « référent film », en revanche, est obligatoire pour chaque production dès lors que l’un des salariés de la production se porte volontaire et a suivi une formation longue sur les VHSS – je pense notamment à celles délivrées par l’Afdas. Le producteur choisit le référent en prenant en compte toutes les phases de la production de l’œuvre et pas seulement le tournage – même si les effectifs sont plus importants lors de celui-ci que lors de la préparation du film et de la post-production.
L’avenant prévoit un échange entre le producteur et le référent du film, afin de définir son indemnité, ses moyens ainsi que sa mission de prévention et d’information auprès des salariés. Ce point est fondamental ; il faut souvent clarifier les responsabilités de chacun. L’employeur est chargé des préventions primaire, secondaire et tertiaire. Le référent, quant à lui, n’a pas à mener d’enquête ; il doit recueillir les signalements et les transmettre à la personne compétente pour les traiter. Ce partage des responsabilités n’est pas évident pour les salariés, s’ils ne sont pas au fait du code du travail.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que les problèmes persistent. Quelles résistances identifiez-vous et comment la loi pourrait-elle vous aider à les lever ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Confirmez-vous qu’il est obligatoire de nommer un référent pour le film ?
Mme Nadia Mathern. Oui, il est obligatoire de nommer un référent pour le film, dès lors que l’un des salariés participant au projet cinématographique – c’est-à-dire un intermittent, technicien ou non – est volontaire et formé pour cela.
Quant à la nomination d’un référent pour la boîte de production, elle n’est pas obligatoire, car beaucoup d’entreprises du secteur ne comptent pas suffisamment de salariés permanents.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si aucun intermittent n’est volontaire, que se passe-t-il ?
Mme Nadia Mathern. Nous espérons que les formations, notamment celles prévues pendant les tournages, permettront de faire émerger des volontaires. Toutefois, certaines personnes ne sont pas à l’aise avec ces questions.
En l’absence de référent pour le film ou pour la boîte de production les victimes peuvent saisir le CCHSCT du secteur, qui transmettra le signalement à l’employeur.
Mme Hortense de Labriffe. Audiens a également créé une cellule d’écoute. Ses représentants ont dû l’évoquer pendant leur audition.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Oui, mais ils m’ont précisé que quand ils recueillaient un témoignage, ils ne le transmettaient pas au producteur. Or vous ne pouvez pas agir si aucun témoignage ne vous est transmis.
Mme Florence Borelly. Nous travaillons actuellement avec le CCHSCT pour obliger tout producteur ayant connaissance de faits problématiques survenus lors d’un tournage à en référer à cet organisme. Lors de tels signalements, transmis avant l’enquête, l’anonymat des personnes concernées est préservé.
Songeons au bonus parité prévu par le CNC. Pendant des années, il ne concernait que deux ou trois productions ; désormais, nombreuses sont celles qui en bénéficient. Les avenants instaurant des responsables des enfants et des référents pour les VHSS sur les tournages ne datent que du mois de mai 2024. Nous n’en sommes donc qu’au début. Il faut du temps pour que les acteurs du secteur s’habituent, pour que les intermittents se forment.
D’ailleurs, la formation instaurée paritairement par les organisations de producteurs, les organisations de salariés, le CNC et l’Afdas n’a pas pu commencer en septembre, comme prévu initialement, à cause de l’appel d’offres.
Récemment, lors du tournage d’un court-métrage, deux intermittents se sont portés volontaires pour être référents. C’était un homme – le régisseur général – et une femme – une ingénieure du son –, ce qui permettait d’atteindre la parité, comme ils le souhaitaient. Le problème est qu’ils n’étaient pas formés et ne savaient même pas qu’une formation existait.
Pour diffuser les formations, il faudrait en assouplir l’organisation. Pour un intermittent, il est compliqué de s’inscrire à des formations de trois jours trois ou quatre mois à l’avance, car cet engagement risque de l’obliger à refuser des missions, si on lui en propose entre-temps. Nous avons donc demandé à l’Afdas de réduire les délais.
Enfin, je ne connais pas d’exemple de film pour lequel aucun intermittent ne s’est porté volontaire.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je m’en félicite, la précédente commission d’enquête a mis un coup de pression au secteur et l’a obligé à accélérer ses progrès. Toutefois, des points doivent encore être clarifiés.
Comment le producteur, qui désigne le référent, s’assure-t-il de sa compétence, de sa neutralité et de son impartialité ? Quel est le rôle exact des référents prévus par la convention collective ? S’il est clair pour vous, il ne l’est pas pour certaines des personnes auditionnées. De quels moyens disposent-ils ?
Un tournage est un moment de tension extrême, où le temps est compté et où chacun doit tenir son poste. Comment un intermittent peut-il concilier sa mission de référent et son travail ? Sur les plus grosses productions, ne faudrait-il pas prévoir un référent à plein temps pour s’assurer que tout se passe bien ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Madame Borelly, vous demandez une saisie obligatoire du CCHSCT par les producteurs. Pouvez-vous préciser ?
Mme Valérie Lépine-Karnik. Aux termes de la convention collective, « le référent VHSS veille à ce que son intervention respecte le principe d’impartialité. Il se déporte de sa mission temporairement dans le cas contraire ».
Le référent rapporte l’information d’un dysfonctionnement au producteur, qui reste le responsable de la situation. Ainsi, il ne devrait pas être mis en cause. Si tel était toutefois le cas, il est protégé par son statut de lanceur d’alerte. Voilà pour la théorie.
Mme Louise Lebecq. L’avenant prévoit qu’en cas de signalement de VHSS, les employeurs en informent le CCHSCT à travers une fiche de notification. Celle-ci préserve l’anonymat des personnes concernées.
Le CCHSCT pourra adapter sa politique de prévention au niveau de la branche, grâce aux informations ainsi recueillies sur les violences, les harcèlements et leur traitement – la fiche de notification permet par exemple de préciser si une enquête a eu lieu, combien de temps elle a duré et si des mesures disciplinaires ou organisationnelles ont été prises. Les entreprises et les salariés peuvent également obtenir des conseils et des informations du CCHSCT à tout moment.
Monsieur le rapporteur, les coordonnées de cette structure figurent partout – dans les contrats de travail, sur la feuille de service, dans la bible de tournage. Les intermittents du spectacle l’identifient comme leur interlocuteur sur les questions de santé et de sécurité au travail.
Mme Laëtitia Galitzine. Les formations pour devenir référent actuellement programmées sont complètes. C’est bon signe. Pour l’instant, des volontaires se sont manifestés sur chaque tournage pour devenir référent. Il faut encore du temps pour qu’ils se forment, mais ils le souhaitent.
En tant que producteurs, nous avons souvent le choix entre plusieurs volontaires ; notre problème est surtout de ne pas vexer ceux que nous ne choisissons pas. Le plus souvent, nous nommons deux référents, un homme et une femme, afin que tout le monde se sente à l’aise.
Enfin, le référent doit respecter la volonté des victimes. Certaines souhaitent maintenir leur anonymat, d’autres non.
Mme Nadia Mathern. La convention précise qu’« en aucun cas l’employeur ne peut déléguer ses responsabilités en matière de sécurité et de mise en œuvre des procédures internes au référent VHSS. Le référent n’est donc pas responsable du traitement des sujets liés aux VHSS ni de la procédure de traitement de ces signalements. Il ne saurait en outre être responsable des manquements aux règles de sécurité édictées par l’employeur ni même des éventuels manquements de l’employeur dans le traitement de ces situations ».
L’avenant précise en outre que le référent doit « informer et orienter les salariés vers les ressources utiles », « participer aux actions de sensibilisation et de prévention des VHSS », « communiquer sur la procédure de signalement interne à l’entreprise, en lien avec l’employeur » et « recueillir les signalements des salariés » pour les « transmettre par écrit à l’employeur et ses représentants ».
Par ailleurs, l’avenant prévoit que le référent, même s’il ne participe pas à l’enquête, doit être « informé du suivi et de la clôture de la procédure de traitement des signalements, le cas échéant ». En effet, les partenaires sociaux ont observé que l’ignorance dans laquelle les référents étaient tenus sur le sort de leur signalement les frustrait.
Enfin dans l’exercice de ses missions, le référent peut s’appuyer sur le CCHSCT et sur le kit évoqué précédemment.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Comment garantir la disponibilité du référent ? Si le référent est le chef ingénieur du son, par exemple, il doit déjà gérer son équipe. Aura-t-il le temps d’écouter une victime ?
Par ailleurs, la fonction de référent donne-t-elle lieu à une rémunération ? Comment s’assurer que le référent peut faire son travail dans les cas les plus graves, alors qu’il dépend financièrement de la production et que celle-ci n’a pas intérêt à arrêter un tournage ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je réitère ma question : le référent est-il compétent pour les VHSS qui surviennent en dehors des heures de travail ?
Dans le secteur de la santé, après de multiples enquêtes qui n’avaient pas donné grand-chose, la parole s’est libérée. Ce matin, le Conseil national de l’Ordre des médecins a ainsi publié une étude d’ampleur, qui montre qu’une femme médecin sur deux se plaint de violences sexistes et sexuelles par des collègues dans l’exercice de ses fonctions.
Les VHSS ne semblent pas moins systémiques dans votre secteur. Or le nombre de témoignages reçu par Audiens, s’il est élevé, n’en apparaît pas moins faible, au vu de l’ampleur du problème. Tout se passe comme si, malgré tous les dispositifs instaurés, quelque chose coinçait. Que manque-t-il encore pour assurer la sécurité de chacun lors des tournages ?
Mme Laëtitia Galitzine. Sur un plateau, les équipes sont très hiérarchisées ; le référent peut donc toujours demander à son n –°1, à son n –°2, à son n + 1, ou à son n + 2 de le remplacer pendant qu’il recueille un témoignage. Surtout, sur un tournage, les intermittents ne travaillent pas en même temps. Les temps morts sont donc nombreux.
Par ailleurs, et les formateurs insistent sur ce point, si un référent n’est pas disponible au moment où une victime le sollicite, il doit s’autoriser à proposer un créneau plus tard dans la journée, afin d’être pleinement disponible pour accueillir la parole.
Quant à l’indemnisation des fonctions de référent, avec un montant de 30 euros par semaine, elle est d’ordre symbolique. Je ne pense pas qu’elle suffise à inféoder un référent à son employeur.
Enfin, dans les cas les plus graves, les producteurs ont besoin d’être assurés, pour pouvoir arrêter le tournage. Sur ce point, la loi doit nous aider.
Vous nous demandez ce qui coince. Le problème est simplement que les dispositifs instaurés depuis un an ne sont pas encore effectifs, mais ce n’est qu’une question de minutes ou d’heures avant qu’ils le soient. Les formations révolutionneront la situation. Elles permettront aux victimes de prendre conscience des problèmes ; les signalements augmenteront. Espérons que cette prise de conscience conduira également les agresseurs à s’amender.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Certains assureurs ont fourni des efforts. Leurs contrats prévoient jusqu’à 500 000 euros d’indemnisation des frais liés à un retard de tournage, quand celui-ci est dû à des harcèlements ou à des violences, par exemple. Or ils indiquent que ce dispositif n’était presque jamais activé.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Supposons qu’un référent signale au producteur des faits graves. Quelle est la procédure ensuite ? La convention collective précisera-t-elle qui doit lancer l’enquête, quel doit être son déroulement ? Nous attendons votre scénario !
Enfin, seuls deux assureurs, la Maif et Aréas assurances, acceptent d’indemniser les frais liés aux VHSS. Rappelons que la moitié des films ne sont pas assurés.
Mme Florence Borelly. Les tournages sont très ramassés. Par contraste, les délais prévus par le code du travail pour les VHSS se comptent en mois, comme nous l’avons constaté lors de notre formation.
De même, les clauses des assurances ne sont pas applicables. C’est un serpent qui se mord la queue ! En effet, les contrats ne prévoient d’indemnisation que dans les cas où un signalement a été transmis au procureur et où le salarié a porté plainte. Or les producteurs n’ont pas le droit de demander aux victimes si elles ont porté plainte ; parfois, aucune plainte n’est déposée, malgré des VHSS. Il est donc impossible de satisfaire les deux critères et d’activer la clause.
Nous en avons discuté au sein du CNC, notre maison commune, mais sans parvenir à une solution.
Le directeur général d’Aréas assurances, M. Mortera, suggère que la clause d’indemnisation des frais liés à des VHSS soit obligatoire. De fait, une agression sexuelle devrait conduire à l’arrêt du tournage, de même que nous arrêtons un tournage si un comédien se casse une jambe.
Les assureurs ont envie de nous soutenir, mais ne veulent pas crouler sous des demandes d’indemnisation déposées au moindre événement.
Mme Laëtitia Galitzine. La loi doit obliger les assureurs à couvrir les VHSS au même titre que les autres risques. Cela améliorerait grandement la situation.
Mme Nadia Mathern. S’il est difficile d’activer les clauses assurantielles concernant les VHSS, c’est également à cause des délais. Le temps nécessaire à la victime pour faire valoir ses droits ne coïncide pas avec celui prévu pour le traitement des signalements.
Une victime a parfois besoin de temps pour assimiler ce qui lui est arrivé, demander conseil, appeler la cellule d’écoute, contacter un psychologue ou un avocat. Or un tournage ne dure en moyenne que cinq semaines. Certains signalements ne nous sont transmis qu’une fois qu’il est achevé.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Donnons crédit aux assureurs qui ont choisi d’indemniser les frais liés aux VHSS. La gestion du risque sur les tournages est particulière, certes, mais les assureurs savent faire – ils couvrent bien les risques en haute mer !
Il reste à savoir si les clauses doivent être activées en cas de dépôt de plainte ou lors du déclenchement de l’enquête. Nous pouvons tout à fait imaginer qu’une victime n’ait pas envie de porter plainte, après qu’une enquête d’une semaine a permis de régler le conflit à l’amiable, dans les cas les moins graves.
Les producteurs que vous êtes seraient-ils prêts à contracter des assurances un peu plus chères ? Les financeurs doivent-ils prendre leur part ? Lors de leur audition, les représentants de Canal+ nous ont dit ne pas être opposés à supporter ce surcoût. En tant que législateurs, ne nous faudrait-il pas faire en sorte de rendre obligatoire cette nouvelle clause ? Cela me semblerait logique, compte tenu de la multiplicité des clauses existantes dans d’autres domaines. Dans cette perspective, il serait sans doute utile d’organiser rapidement des rencontres entre les assureurs, les financeurs, les producteurs et les diverses parties prenantes.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour revenir au fait générateur, ne pourrait-il pas s’agir d’une incapacité totale de travail (ITT) constatée par le médecin ? Dès lors qu’une personne ayant subi des violences sexuelles sur un tournage produit une ITT, la démarche d’indemnisation serait enclenchée.
Mme Florence Borelly. Les intermittents sont peu enclins à déclarer des interruptions de travail.
Nous sommes bien évidemment prêts à considérer toutes les possibilités, y compris payer plus cher les contrats d’assurance, dans les limites de nos possibilités budgétaires, mais cette clause doit être réellement applicable. Il nous arrive de constater très rapidement qu’on n’entre pas dans les critères actuellement requis.
Il faut avoir à l’esprit qu’une affaire d’agression sexuelle sur un tournage constitue un traumatisme, bien sûr pour la victime, pour l’équipe, mais aussi pour le producteur, en tant qu’employeur astreint à la garantie de bonne fin. Dans un temps très court, il doit avoir les bons réflexes et savoir comment faire correctement les choses. Avec Caroline Bonmarchand, que vous avez auditionnée, nous avons beaucoup échangé au sein de notre syndicat dont elle est membre : elle nous a dit qu’en pensant bien faire, elle s’était mise en infraction avec le code du travail. La plupart des sociétés de production sont de petites structures, presque artisanales, comptant moins de onze salariés : elles n’ont ni service de ressources humaines, ni service juridique. On peut le regretter et c’est pour la raison pour laquelle nous essayons de mettre en place un système de soutien autour du CCHSCT et d’Audiens pour orienter les producteurs. C’est le rôle, aussi, de nos syndicats.
À partir du moment où il y a une libération de la parole, nous avons tous intérêt à ce que les choses ne soient plus tues. Il faut que les agressions s’arrêtent. Nous avons une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultat. Nous aurons beau mettre en place des sanctions, il y aura toujours des gens pour enfreindre la loi ou le code du travail.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Lors d’une précédente audition, il a été question de la mise en place d’une hotline par le CNC destinée à assurer un soutien juridique aux producteurs ou aux équipes. Nous avons bien compris que le fait de ne pas avoir les bons réflexes, de ne pas suffisamment connaître la loi, les procédures, le code du travail était source d’inquiétudes. Pensez-vous que le CNC pourrait appliquer des sanctions financières aux producteurs, soit parce qu’ils ne respecteraient pas les bonnes pratiques, soit parce qu’on apprendrait a posteriori qu’ils ont étouffé ou minimisé des affaires ? Si oui, de quel type seraient-elles ?
Mme Florence Borelly. Le cas s’est déjà présenté. Un employeur n’ayant pas respecté les règles lors du tournage d’un film s’est vu retirer ses subventions.
Mme Valérie Lépine-Karnik. Je voulais revenir très rapidement sur la clause assurantielle concernant les VSS. Comme elle est gratuite, on peut comprendre que, du côté des assureurs, il y ait des limites à sa mise en œuvre. Si elle devient obligatoire pour tous et payante, l’effet de mutualisation entraînera une réduction des coûts, évolution que nous attendons.
La hotline, comme nous l’avons appelée, est un projet que nous avons élaboré entre partenaires sociaux, notamment en travaillant avec les CCHSCT pour l’audiovisuel et pour le cinéma. Il s’agit de répondre aux besoins de la profession : sur un plateau, savoir qualifier les faits et orienter la victime dans un temps très restreint est extrêmement compliqué. Sachez que nous œuvrons de manière suivie à son développement.
Mme Nadia Mathern. Il me semble que nous avons oublié de répondre à votre question sur la procédure de traitement. Celle-ci est obligatoire. Dans le kit que nous avons mis au point, nous préconisons une certaine démarche mais nous ne pouvons pas obliger les employeurs à la suivre. Dans la convention collective, il est aussi fait référence dans les derniers avenants à la procédure de traitement figurant dans le kit. Dans les toutes prochaines semaines, nous comptons diffuser un logigramme très simple destiné à guider les employeurs les moins outillés en matière de conduite à tenir.
Le signalement est transmis à l’employeur, dans le meilleur des cas, soit directement par la victime, soit par un référent, soit par un témoin. Une fois recueilli, il doit déterminer s’il correspond à une situation de VSS justifiant une enquête. Si c’est le cas, il met en sécurité l’équipe, conformément aux obligations du code du travail. Viennent ensuite les étapes de la constitution de la commission d’enquête et de la réunion préparatoire destinée à identifier les personnes à entendre. Les faits sont étudiés, les entretiens conduits puis il revient à l’employeur de décider quelles suites donner à l’enquête. Une fois qu’elle est close, il procède à une restitution auprès de la ou des personnes concernées et notifie sa décision au référent qui est associé à la procédure d’enquête.
M. Thierry Perez (RN). Madame Borelly, j’ai cru comprendre qu’il y avait moins de violences, et c’est heureux, mais j’aimerais connaître l’ampleur du mal. Il est sans doute difficile d’avoir des chiffres précis : d’abord, parce que tous les faits ne sont pas signalés ; ensuite, parce qu’il y a des faits plus graves que d’autres. Combien y a-t-il de cas ? Combien de tournages sont concernés ?
Mme Aurore Bergé (EPR). Qu’attendez-vous de nous, en tant que législateurs ? Quelles clarifications seraient utiles à apporter s’agissant du droit du travail, des responsabilités contractuelles et plus largement des enjeux assurantiels ? Je pense notamment à la prise en compte de la taille des entreprises concernées pour déterminer les responsabilités.
En dehors du champ législatif, il me semble que nombre des actions que vous recommandez renvoient plutôt à des bonnes pratiques, qui relèvent de la voie réglementaire ou du domaine d’intervention du CNC.
Mme Florence Borelly. Monsieur Perez, je ne pense pas avoir dit qu’il y en avait de moins en moins de violences. Bien au contraire, la libération de la parole contribue à en révéler toujours plus.
Il faut que les techniciens, techniciennes, les talents de nos films sachent qu’il est en leur pouvoir de faire des signalements. La formation à la prévention des violences va devenir obligatoire pour chaque tournage. Autrement dit un technicien travaillant sur trois films dans l’année assistera à trois réunions préalables avec le producteur, le chef de poste, le réalisateur, les talents, les acteurs principaux, une psychologue ou une psychosociologue mandatée par un organisme de formation. J’ose espérer que la libération de la parole, la meilleure information des personnes concernées sur leurs droits mais aussi leurs devoirs – il s’agit aussi d’éviter les accusations abusives – feront leur œuvre et que d’ici à deux ou trois ans, le déroulement des tournages s’en trouvera amélioré.
Il y a d’autres violences qu’il faudra aussi aborder, ce sont celles liées au harcèlement moral. J’y ai été confrontée sur un de mes tournages, alors que je n’ai jamais été eu connaissance de cas de violences ou agressions sexuelles pour les autres.
Mme Laetitia Galitzine. S’agissant du domaine législatif, les améliorations à apporter concernent surtout les assurances. Pour le reste, les choses sont à peu près carrées : nous savons que nous avons à mettre en place des formations.
Mme Valérie Lépine-Karnik. Les diverses dispositions juridiques existantes, notamment celles issues du code du travail, nous semblent déjà bien couvrir nos métiers. C’est tout le travail des partenaires sociaux que de les adapter.
Mme Graziella Melchior (EPR). Je me pose une question au sujet de la libération de la parole. Nous savons que du fait du phénomène de sidération et de la peur qu’inspire le regard des autres, elle est susceptible d’intervenir tardivement. Or le temps des tournages est très court, de quelques semaines, d’après ce que vous dites. Comment agissez-vous lorsque le signalement a lieu après le tournage ? Votre responsabilité est-elle toujours engagée ?
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je rebondis, madame Borelly, sur ce que vous venez de dire au sujet des violences morales, lesquelles entrent dans le champ de notre commission d’enquête. Des auditions que nous avons conduites, des témoignages qui émergent, ressort l’impression qu’un mouvement de prise de conscience des violences sexuelles et sexistes s’est enclenché. Toutefois, on peut se demander pourquoi les violences morales, qui sont quasiment devenues la norme sur les tournages, ont été tolérées si longtemps alors que cela fait plus de vingt ans que le code de travail les sanctionne ?
La question est d’importance car à mon sens, ces violences, infligées par ceux qui ont du pouvoir, soit qu’ils soient des stars, soit qu’ils aient le pouvoir économique, soit qu’ils soient placés haut dans la hiérarchie, créent un rapport de force qui incite à pardonner et suscitent une tension qui favorise les violences sexistes et sexuelles.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous constatons qu’on fait porter la responsabilité du signalement sur la victime. Adèle Haenel et Judith Godrèche ne se sont pas plaintes au moment du tournage quand elles étaient mineures et les adultes autour d’elles, pourtant en position de voir ce qui se passait, n’ont pas signalé les faits. Quelle conduite doivent selon vous tenir les personnes présentes sur un tournage face à des agissements qu’elles pensent être en dehors du droit ou de nature à mettre en danger une autre personne ? Il me semble que cette question n’est pas prise en compte dans la réflexion, notamment parmi les assureurs et les producteurs.
Mme Louise Lebecq. Il est assez fréquent que la parole se libère après le tournage. Pourquoi ? Les salariés ont peur de remettre en cause le bon déroulement du tournage, ce qui renvoie encore une fois à la nécessité de faire intervenir les assurances. Il m’est arrivé plusieurs fois d’être contactée par des producteurs, ayant eu connaissance une fois le tournage terminé de tel ou tel fait plus ou moins grave. Ils ne savaient pas quoi faire. Les enquêtes ont pour but d’objectiver les faits afin de décider d’éventuelles mesures disciplinaires ou de mesures organisationnelles, mais que faire quand il est trop tard ? Nous leur conseillons toujours de reprendre attache avec l’équipe pour orienter les personnes concernées vers des cellules d’écoute, la médecine du travail, l’inspection du travail. Même si le signalement intervient après, il doit être pris en compte, notamment à des fins de prévention.
Les sociétés de production ont l’obligation de mettre en place une procédure de signalement et une procédure de traitement interne de ces signalements. Les cas susceptibles de se reproduire doivent nourrir un processus d’amélioration. Le dispositif que nous avons mis en place au niveau conventionnel a pour objectif de favoriser des signalements précoces afin d’éviter que la situation ne dégénère jusqu’à devenir gravissime. Tout cela suppose un travail de longue haleine.
Mme Laetitia Galitzine. Nous avons en France un système extraordinairement protégé avec, en haut de la pyramide, en potentielle position de toute-puissance, un auteur-réalisateur, exception culturelle que tout le monde nous envie depuis la Nouvelle Vague. Le cinéma, comme le reste de la société, évolue et les changements de mentalité font leur chemin. Reste que les projets de films se montent autour du nom de deux ou trois acteurs et d’un réalisateur. Nous sommes toujours exposés au risque qu’un financeur nous appelle en disant : « Ah, tu as perdu un tel, du coup, ce sera 200 000 euros en moins. » Cela nous arrive régulièrement et je ne sais pas si la loi pourra changer quelque chose à cela.
Tout est une histoire d’argent. Les chaînes de télévision, qui financent nos films, ont des niveaux d’audiences à atteindre. Si c’est mon cousin qui joue, il y aura peut-être moins de téléspectateurs à vingt heures trente que si c’est un acteur connu. Si on peut éviter de perdre de l’argent quand il faut remplacer quelqu’un qui ne se comporte pas bien, certains hésiteront plus à mal se comporter, dans le cinéma en tout cas car, dans le domaine audiovisuel, le réalisateur est moins identifié. Certains acteurs signent leur contrat intuitu personae parce qu’un tel réalise le film. Si une nouvelle clause permet de remplacer un réalisateur ou une réalisatrice qui se comporte mal, sans que les financements ne s’écroulent, je pense que cela pourra changer les choses. Du reste, il existe déjà une clause de substitution pour raisons médicales : un réalisateur rencontrant un problème de santé après avoir commencé un tournage peut être remplacé par un autre.
Mme Florence Borelly. J’ai eu connaissance de cas de harcèlement moral. Une équipe s’est plainte, par exemple, que le directeur de la photo ne lui adressait pas la parole. Nous avons pu dénouer les choses en organisant une rencontre entre le directeur de production, le producteur, le directeur photo et son équipe. Je dirai que cela se gère facilement. Là où les choses sont plus difficiles, c’est lorsque toute la structure d’un film est mise en danger parce que les talents ne peuvent pas être remplacés.
Je tiens particulièrement à un principe : lorsqu’il y a une victime, il serait bon que cela ne se passe pas comme à l’école, et que ce ne soit pas à elle de partir. L’agresseur ne doit pas rester parce qu’il est plus important – nous savons comment pèsent les rapports de domination. Il faudrait ouvrir la possibilité d’écarter l’agresseur potentiel, dans le strict respect, bien sûr, du droit du travail. S’agissant des acteurs et actrices principaux, sur lesquels le film se monte, il y a évidemment toujours un risque de panique.
Pour ce qui est des réalisateurs et réalisatrices, le droit d’auteur en France étant très protecteur, des questions se posent. Lors de son audition, Sara Forestier a suggéré que, plutôt que d’exclure, on pourrait accompagner. Un tiers de confiance ne remplirait-il pas ce rôle auprès du réalisateur ? Comment trouver un système permettant à tout le monde de rester pour poursuivre le tournage ? Tout cela renvoie aussi à la gestion de ressources humaines et à la capacité à dénouer les situations.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je formulerai une remarque au sujet des talents. Il me semble que la question réputationnelle va permettre de régler certaines choses dans le financement des films. Les financeurs vont en effet devoir prendre en compte le risque de ne plus pouvoir sortir leur film s’il y a une affaire.
Par ailleurs, pourriez-vous nous transmettre des exemples de clauses de contrat d’assurance ? J’aimerais bien savoir à combien est indemnisé le rhume de tel réalisateur alors que rien n’est prévu pour le risque de viol sur un tournage.
Mme Laetitia Galitzine. Les frais d’assurance, pour couvrir tous les risques, représentent à 1 % du budget de la production du film et l’indemnisation varie ensuite en fonction de la durée d’interruption du tournage.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est 500 000 euros au maximum dans la limite d’une interruption de cinq jours en cas de VSS.
Je n’ai pas reçu de réponses à ma question sur le signalement que pourraient faire les adultes quand un mineur est en difficulté pendant un tournage mais nous arrivons à la fin de cette table ronde.
Il y a un parallèle à établir avec le monde politique. Au sein d’un parti, compte tenu des loyautés internes, il est difficile de dénoncer un autre membre. S’agissant de l’aspect financier, la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a constitué une avancée : instance indépendante des partis, elle peut saisir la justice et recueillir des témoignages. Je me demande dans quelle mesure il ne faudrait pas mettre en place une structure similaire pour le cinéma et l’audiovisuel. Ce n’est qu’une idée en l’air mais je pense que cela pourrait aider à libérer la parole, sans mettre en danger les victimes ni fragiliser les tournages.
Je vous remercie, mesdames, et vous invite à nous transmettre par écrit toute précision que vous jugeriez utile et à nous indiquer des noms de personnes qu’il vous semble important que nous auditionnions s’ils ne figurent pas dans notre programme. Nous vous recontacterons si nous avons besoin de vous auditionner à nouveau.
La commission procède ensuite à l’audition conjointe, ouverte à la presse, de Mme Valérie Lépine-Karnik, présidente du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique et publicitaire, M. Didier Carton, délégué à l’hygiène et la sécurité et M. Jean Loup Chirol, membre du CCHSCT cinéma, et de M. Laurent Jullien, président du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production audiovisuelle, M. Jimmy Shuman, membre du collège Salarié et Mme Louise Lebecq, membre du collège Employeur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition de membres des comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique et audiovisuelle. Je souhaite la bienvenue à Mme Valérie Lépine-Karnik, présidente du CCHSCT de la production cinématographique et publicitaire, à M. Didier Carton, délégué à l’hygiène et la sécurité et M. Jean Loup Chirol, membre du CCHSCT cinéma ainsi qu’à M. Laurent Jullien, président du CCHSCT de la production audiovisuelle, M. Jimmy Shuman, membre du collège Salarié et Mme Louise Lebecq, membre du collège Employeur.
Mesdames, messieurs, comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment.
Les CCHSCT ont été mentionnés à de nombreuses reprises au cours des auditions précédentes, parfois pour signaler que leurs moyens étaient insuffisants pour en faire des référents efficaces, parfois pour indiquer qu’ils devaient faire partie de la solution. Aussi avons-nous souhaité vous recevoir afin de faire le bilan de votre action, et esquisser, je l’espère, quelques propositions constructives.
Je le rappelle, cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Laurent Jullien, M. Jean Loup Chirol, Mme Valérie Lépine-Karnik, M. Jimmy Shuman, M. Didier Carton et Mme Louise Lebecq prêtent successivement serment.)
M. Laurent Jullien, président du CCHSCT de la production audiovisuelle. Le CCHSCT de la production audiovisuelle a été créé en février 2010. Son objectif est d’œuvrer pour la prévention et l’amélioration des conditions de travail. Sa gouvernance est paritaire : les employeurs et les salariés sont représentés à parts égales, quatre organisations syndicales de salariés, quatre collèges employeurs. Nous nous réunissons quatre fois par an en réunion plénière, en plus des dix à vingt réunions de travail que nous tenons selon l'actualité, auxquelles nous invitons régulièrement Thalie Santé et l’inspection du travail.
Nous avons recruté en 2016 une conseillère en prévention des risques professionnels. Elle effectue près de 120 visites de tournage par an. Nos projets d’amélioration des conditions de travail et de sécurité avancent grâce à la connaissance et à l’expérience des délégués de branche professionnels de la production et aux comptes rendus de la conseillère.
Nous disposons d'un budget propre constitué de cotisations versées par les employeurs de la branche et géré par l'association pour le paritarisme de la branche. Il s’élève à quelque 300 000 euros par an.
Nos missions s'adressent à environ 6 000 sociétés de production et couvrent les domaines du documentaire, du magazine, du divertissement, de la fiction et de la captation de spectacles.
Notre première mission consiste à informer et à conseiller les entreprises et les salariés en matière d'hygiène, de santé, de sécurité et de conditions de travail. Dans le cadre de cette mission, nous aidons à la réalisation du document unique d'évaluation des risques et de prévention (Duerp) au sein des sociétés de production et nous accompagnons la formation en matière de santé et sécurité.
Notre deuxième mission vise à promouvoir et à diffuser les bonnes pratiques et à formuler des recommandations contribuant à la prévention des risques et à l'amélioration des conditions de travail. Nous avons ainsi publié un guide de préconisation sanitaire pendant la crise du covid-19 et un kit de prévention des violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS).
Je mentionnerai pour finir une autre de nos missions, la mise à disposition de ressources documentaires sur des thèmes liés à la sécurité. Un outil interactif d’évaluation des risques, réalisé en partenariat avec l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), est ainsi disponible sur notre site.
M. Jean Loup Chirol, membre du CCHSCT cinéma. Je m’exprime en tant que secrétaire permanent du syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision (SNTPCT). Ce syndicat, créé en 1937, est à l’origine de la première convention collective du secteur, qui a été suivie de deux autres. Cette institution ancienne s’est dotée dès 1956 d’un conseiller social.
Les entreprises de la branche ont compris la nécessité de se doter d’un organisme adapté aux spécificités des conditions de travail, les techniciens étant amenés à travailler sur des lieux itinérants, et aux caractéristiques des entreprises – des entreprises de petite taille qui se retrouvent, au moment du tournage, à gérer un budget important et à engager parfois plusieurs centaines de salariés. En 1963, cet organisme est devenu le comité d’hygiène inter-entreprise, qui a très vite engagé un délégué chargé de vérifier les conditions de travail sur les tournages. Il a connu un développement considérable dans les années 1990 sous l’impulsion de Pascal Rogard, à l’époque délégué général de la chambre syndicale des producteurs et de Stéphane Pozderec, délégué général de notre syndicat.
Le CCHSCT cinéma a trouvé sa structure finale dans un accord de décembre 2006 signé avec les syndicats de producteurs, qui garantit son fonctionnement et ses moyens financiers. Les partenaires sociaux se sont montrés capables de construire un outil adapté à nos pratiques. L’investissement que font les producteurs dans la sécurité se traduit normalement par la baisse des cotisations pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Nous tenons beaucoup à cet organisme, inestimable pour la sécurité des salariés, des techniciens et des artistes.
Mme Valérie Lépine-Karnik, présidente du CCHSCT de la production cinématographique et publicitaire. Les employeurs financent le CCHSCT à hauteur de 0,04 % des salaires des intermittents engagés sur les différents tournages, mais le comité demeure une organisation indépendante dont la mission est la prévention des risques professionnels. Il ne dispose en aucun cas de pouvoirs coercitifs. Son rôle est d’émettre des recommandations grâce auxquelles l’employeur doit être en mesure d’exercer sa responsabilité vis-à-vis des salariés. Il est également une source d’informations notamment pour la rédaction des conventions collectives et pour les organismes chargés des formations comme l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas)
M. Erwan Balanant, rapporteur. En tant que législateur, nous nous intéressons bien sûr au cadre légal. Notre droit du travail est déjà solide, mais pensez-vous qu’il faudrait rendre certains conseils, comme vos préconisations pour les scènes d’intimité à caractère sexuel, obligatoires, que ce soit dans le code du travail ou dans les conventions collectives ? Toute scène à risque demande une préparation en amont et les cascades sont, j’imagine, obligatoirement préparées. Cela pourrait être le cas également des scènes d’intimité, qui pourraient obligatoirement demander la participation d’une coordinatrice ou coordinateur d’intimité.
M. Jimmy Schuman, membre du collège Salariés. Oui. Je représente le Syndicat français des artistes-interprètes, qui est un des membres fondateurs de la Fédération internationale des acteurs. Grâce aux rencontres internationales, cela fait déjà plusieurs années que nous connaissons le métier de coordinateur ou coordinatrice d’intimité, qui s’est d’abord développé dans les pays anglophones et les pays nordiques. Cela ne fait que cinq ou six ans qu’on en parle en France. Netflix et les autres plateformes américaines rendent obligatoires certains dispositifs dont nous n’avons pas l’habitude en France, dont la coordination d’intimité.
Le guide que nous avons élaboré avec le collectif 50/50 contient des recommandations inspirées de l’étranger et adaptées à la situation française. Certaines dispositions sont déjà conventionnellement obligatoires dans le cinéma. C’est en cours pour l’audiovisuel. Les discussions se poursuivent.
Mme Valérie Lépine-Karnik. Nous ne partageons pas la position de M. Schuman sur le caractère obligatoire de ces dispositions. Nous demandons ainsi que le recours à des coordinatrices d’intimité – j’emploie ce terme au féminin car ce métier est aujourd’hui exercé exclusivement par des femmes – soit une possibilité et non une obligation. Cette position n’est pas seulement celle des employeurs puisque certains comédiens et comédiennes ainsi que certains réalisateurs et réalisatrices la partagent. Sur le tournage du film Le Consentement, il n’y avait pas de coordinatrice d’intimité à la demande de la réalisatrice, mais la comédienne a été accompagnée d’une personne tout au long du tournage pour recueillir son ressenti. Les deux producteurs du film étaient en permanence sur les lieux de tournage afin de veiller aux conditions de travail et les comédiens disposaient de prothèses pour le tournage des scènes plus délicates. Il existe donc des solutions alternatives à la coordinatrice d’intimité.
M. Didier Carton, délégué à l’hygiène et la sécurité. Je tenais à vous remercier pour votre invitation, qui nous donne une chance de faire évoluer la situation.
Pour toutes les scènes particulières, comme celles d’intimité ou de cascade, nous proposons des outils clés en main, mais la question pour nous préventeurs est d’abord celle de la capacité de l’employeur à identifier les risques – tous les risques, pas seulement ceux liés aux VHSS – de telle ou telle scène et de proposer des réponses adaptées. Une montée en compétences de notre secteur est nécessaire, surtout quand on sait qu’y travaillent de nombreuses petites entreprises dont les dirigeants sont souvent dépourvus face à ces questions.
La prévention doit être adaptée aux situations de travail, qui varient beaucoup dans notre secteur. Nous proposons donc des outils clés en main, comme des recettes de cuisine, qui incitent par exemple au recours à un coordinateur d’intimité. Se pose alors la question de ses compétences, comme elle peut se poser à un régleur de cascades ou à un chargé d’effets spéciaux. Il faut réfléchir à la manière de valider leurs compétences.
M. Jean-Loup Chirol. Le CCHSCT a établi des directives de sécurité, en collaboration notamment avec la caisse primaire d’assurance maladie d’Île-de-France, imposant notamment la présence d’un régleur de cascades pour préparer les scènes.
Nous pouvons aussi agir au niveau conventionnel. La convention impose par exemple, pour la production cinématographique, mais pas pour la production audiovisuelle, la mise à disposition d’une chambre individuelle avec douche pour les techniciens en déplacement. Il nous revient donc de porter nos revendications auprès des syndicats de producteurs pour améliorer les choses au niveau conventionnel, mais cette amélioration peut également se faire au niveau des directives du CCHSCT ou au niveau législatif.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. N’oublions pas la question des espaces entre les temps de travail. Nous en reparlerons.
Mme Louise Lebecq, membre du collège Employeur. L’employeur a déjà l’obligation d’évaluer les risques. Il lui revient d’analyser, notamment grâce à un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité, le scénario pour anticiper les risques liés à des scènes de cascade, d’intimité ou de violence. Cette analyse pourra aboutir à la présence d’un coordinateur d’intimité sur telle ou telle scène, pourvu que les comédiens soient d’accord.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Rendre la présence d’un coordinateur d’intimité obligatoire semble relever du bon sens, mais cela peut parfois poser des problèmes. L’obligation, dans l’accord contractuel, de recueillir le consentement et de bien décrire les scènes afin d’en évaluer les risques pourrait-elle être une solution ?
M. Jimmy Schuman. C’est aujourd’hui une pratique courante. Les textes prévoient que le consentement doit être recueilli initialement et à chaque modification.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Est-ce obligatoire ?
Mme Louise Lebecq. Les avenants à la convention collective de la production cinématographique signés en mai le prévoient. Des clauses d’intimité doivent désormais être prévues dans les contrats.
Un même type d’accord est en cours de négociation dans l’audiovisuel.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En tant que vice-présidente d’université, j’ai été confrontée à la question de la protection syndicale de personnes mises en cause par un témoignage.
Avez-vous déjà vécu des situations de conflit d’intérêts dans la protection que vous devez à tous les salariés sur un tournage ?
M. Didier Carton. Désormais, ces sujets font souvent l'objet d’un emballement. En cas de signalement sur un plateau, nous sommes sommés de prendre parti pour un camp ou pour un autre. Dans de telles situations, nous marchons sur une corde raide, mais les deux personnes doivent être protégées et il faut éviter qu’elles se retrouvent dans une situation de confrontation en attendant la conclusion d’une enquête au sein de l’entreprise. Cela peut nécessiter une réorganisation du travail.
Je peux vous raconter une anecdote qui n’a rien à voir avec le cinéma, mais que je trouve significative. J’œuvre depuis longtemps dans la prévention, pour tous secteurs d’activité, et on m’appelle donc de temps en temps pour me demander des conseils en dehors du cinéma. J’ai ainsi eu un échange avec un représentant au CSE (comité social et économique) d’une entreprise qui avait été saisi d’une plainte d’une salariée portant sur des faits de harcèlement sexuel commis par un collègue. L’entreprise, au vu du témoignage reçu, avait décidé de suspendre le salarié en attendant les conclusions de l’enquête. Celle-ci a établi qu’ils étaient l’un et l’autre dans un jeu de séduction, puis qu’un vrai problème était apparu quand monsieur avait signifié à madame qu’il était marié et qu’il fallait décidément arrêter. C’était la conclusion de l’enquête, que je n’avais aucune raison de questionner. Or ce monsieur a vu sa situation familiale se dégrader fortement et il a tenté de se suicider. Il faut prendre en compte les effets potentiels des décisions prises, que les gens soient coupables ou non. Au-delà de la question des sanctions, nous avons besoin de sécuriser les parcours – j’ai été très choqué par la situation dont je vous parle.
Par ailleurs, la première fois que j’ai eu à traiter d’un cas de harcèlement sexuel, il s’est révélé que cela n’en était pas un, en réalité. Lorsque la notion de harcèlement moral en entreprise est apparue, à la suite des écrits de Marie-France Hirigoyen – cette notion n’existait pas jusque-là dans le code du travail –, elle a été le révélateur d’un malaise bien plus grand des salariés, qui sont aussi allés voir l’inspection du travail parce qu’ils n’étaient tout simplement pas payés, ce qui n’est pas du harcèlement moral, mais une non-exécution du contrat.
Il faut aborder ces situations avec une grande prudence : des vies sont très clairement en jeu.
M. Jean-Loup Chirol. J’ai une position en tant que membre du CCHSCT cinéma et une autre en tant que permanent syndical.
Je rappelle tout d’abord que c’est l’employeur qui a un pouvoir de sanction. Le CCHSCT, comme Valérie Lépine-Karnik l’a rappelé, n’a pas ce pouvoir, mais le sien est peut-être plus grand encore. L’intérêt du CCHSCT est double : il est extérieur au tournage et neutre – il se situe à mi-chemin. La base de son intervention est le respect des règles de sécurité, parmi lesquelles se trouve le devoir de ne pas agresser – c’est un manquement à la sécurité. La seule chose que le CCHSCT peut faire est de mettre le producteur face à ses responsabilités en lui rappelant les règles. On lui parle de la situation et on lui demande de suivre les recommandations en matière de sécurité. Le CCHSCT n’a pas de pouvoir de coercition, mais à partir du moment où il émet un avis, il renvoie le producteur à son devoir, qui est de garantir la sécurité de ses salariés. C’est une intervention intéressante, par laquelle une personne extérieure rappelle un certain nombre de règles. Ce qui s’est passé récemment nous pousse à approfondir les modes et les processus d’intervention en vue de formuler et de diffuser des recommandations d’ordre général.
En tant que permanent syndical, je peux vous dire que notre organisation traite 150 cas de harcèlement moral par an, ce qui n’est pas rien. En la matière, nous sommes du côté des victimes, mais nous faisons attention à ce qu’il y ait une réalité dans les affaires. C’est assez vite déterminé : quand la personne vous dit qu’elle est allée voir un psychiatre, qu’elle prend des médicaments, qu’elle n’en peut plus et qu’elle se met à pleurer dans votre bureau, vous comprenez qu’il faut faire quelque chose. Si le syndicat intervient, dès lors, c’est pour faire cesser la situation. La lettre au producteur est toute prête et elle part très vite. Nous avons là un autre regard : il s’agit de soutenir la victime et, si elle est obligée de partir du tournage, d’obtenir pour elle une réparation. Plusieurs questions se posent alors. Comment réparer ? Par ailleurs, faut-il aller jusqu’à un litige ou, ce qui est de loin préférable, peut-on arriver à s’entendre sur un mode transactionnel ?
M. Didier Carton. Je crois que tout milite vraiment pour une systématisation ou une obligation en matière d’enquête. On a tendance à essayer de trouver une porte de sortie de gré à gré, mais cela peut être très préjudiciable à la personne mise en cause, parce que la lumière n’est pas faite et que la réputation est entachée malgré tout. Il faut donc aller jusqu’au bout, ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir le plus tôt possible, dès qu’il y a des signaux faibles, pour éviter d’avoir à enquêter sur des situations graves, ou de réfléchir aux modalités de mise en place d’une médiation ou d’autres dispositifs – le management peut être plus présent, plus encadrant, en tout cas dans ce domaine.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il a été question des risques pour les personnes visées par des témoignages, mais je rappelle qu’il en existe aussi, notamment en matière de tentative de suicide, pour les personnes qui témoignent.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Carton, la question du management et de la vie en équipe sur les tournages me semble effectivement essentielle. Il existe des règles extrêmement claires, issues du code du travail, qui a été élaboré pour la majorité du monde du travail dans notre pays, c’est-à-dire pour la vie en entreprise. Or dans votre secteur, la vie en entreprise est ponctuelle : on fait société pendant trois, cinq semaines, et parfois moins – des techniciens peuvent être là pour seulement trois jours. C’est une particularité forte qu’il faut prendre en compte.
Il existe sur les plateaux des référents VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels), qui ont été formés. Mais qui se charge de la bonne vie d’un tournage, c’est-à-dire le fait que les gens se sentent bien, qu’ils parlent entre eux ? Est-ce le directeur de production, la maquilleuse, comme on nous l’a parfois dit, ou, ce dont je doute un peu, le réalisateur ? Quelqu’un s’en occupe-t-il ? Ne pensez-vous pas que la vie sur un tournage devrait être organisée en tenant compte de ses spécificités – les délais qui sont courts, la tension et le rythme particulier qui fait qu’on peut travailler de façon très intense pendant une demi-heure, puis attendre trois heures, sachant que l’attente peut générer de l’ennui, et l’ennui, parfois, une envie de faire des bêtises. Quelles préconisations feriez-vous en vue d’assurer la présence, même si vous trouverez peut-être que cela fait « bisounours », d’un référent pour la bonne vie sur le plateau ?
Mme Valérie Lépine-Karnik. Ou peut-être d’un chief happiness officer sur les tournages ? (Sourires.)
Les postes sont très hiérarchisés sur un plateau : chaque chef de poste est en quelque sorte chargé de ses troupes. Le directeur de production est également là pour organiser, harmoniser, dans un temps effectivement très bref, les rapports entre les personnes et les équipes. Parfois, les producteurs sont également sur place pour assister aux tournages, comme celui du Consentement. Le cinéma est une industrie de prototype : les modalités de mise en œuvre sont différentes à chaque fois. Dans l’audiovisuel, la temporalité peut être différente.
M. Laurent Jullien. Il se trouve que je suis directeur général chargé des productions chez TF1 Production : je connais donc le tournage des émissions de divertissement, dont nous n’avons pas encore parlé. Je précise aussi que le CCHSCT de la production audiovisuelle couvre le divertissement ou encore les captations.
Les différences notables lors de la production d’une émission de divertissement sont qu’il y a non seulement beaucoup plus de techniciens pendant une durée nettement plus courte – un divertissement représente au maximum deux ou trois jours de travail sur un plateau, sauf séries –, mais aussi une très grande coactivité avec des entreprises extérieures, en raison de la technicité et des enjeux économiques.
Ce que vous évoquez n’est pas incarné par une seule personne. Les producteurs en question sont des producteurs artistiques et non exécutifs – et ce ne sont pas non plus des personnes qui investissent de l’argent. Il s’agit presque de techniciens de l’artistique. Ils sont, par ailleurs, entourés de coordinateurs artistiques. Or qui dit coordinateur dit coordination – avec un tout pan de la production. Et vous avez aussi un directeur de production, qui va toujours de pair avec un directeur artistique.
M. Thierry Perez (RN). Prenons le cas d’une personne agressée lors d’un tournage et qui développe ensuite un syndrome dépressif qui la neutralise, au moins professionnellement, pendant un certain temps. La reconnaissance d’une maladie professionnelle est-elle systématique dans ce cas ?
Lors d’un tournage à l’étranger organisé par une société de production française, avec du personnel français mais aussi des techniciens locaux, comment gérez-vous une éventuelle situation de conflit entre des personnes qui ne sont pas forcément régies par le même droit ? Comment le CCHSCT peut-il intervenir ? Par ailleurs, quels peuvent être juridiquement les points de blocage ?
M. Didier Carton. S’agissant du management, la durée des tournages est effectivement un élément crucial. Parce qu’elle est très courte, elle impose aux équipes une opérationnalité immédiate : il n’y a pas de réglage préalable. De plus, les compétences sont variées : ce n’est pas du tout la même chose de construire un décor et de faire une image. Cela impose de l’autonomie et de la confiance dans chaque ligne de métier : il existe une espèce de délégation de fait, de gestion autonome de chaque secteur, qui est peut-être une clef pour comprendre ce qui se joue.
La reconnaissance d’une maladie professionnelle est régie par des critères très compliqués. Dans le cas d’une agression, on entrerait davantage dans le cadre d’un accident du travail : vous avez un événement violent clairement identifiable et un effet. Je pense que les caisses de sécurité sociale reconnaîtraient très volontiers un accident du travail : il faudrait questionner la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie) à ce sujet.
Il me semble que le code du travail s’applique aussi à l’étranger en ce qui concerne les entreprises de droit français qui ont des salariés français. Elles devraient en tout état de cause mettre en place ce qu’il faut pour protéger leurs salariés, voire les sanctionner s’ils sont les fauteurs de troubles. Il doit également exister un contrat entre des entreprises qui travaillent ensemble à l’étranger, pour établir les modes de fonctionnement.
Il faut penser en termes de coordination, cela vient d’être dit. C’est vrai aussi pour les services internes, dans le cas d’une production française, afin d’assurer un management un peu cohérent, partagé et qui véhicule des valeurs. De même, on doit coordonner la coactivité de deux entreprises, qui doivent se mettre d’accord sur la manière de travailler ensemble. Ce sont des pratiques à développer.
Mme Valérie Lépine-Karnik. J’ajoute simplement que 80 % des jours de tournage dans la production ont lieu en France – le risque est donc circonscrit.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous été formés, en tant que membres des CCHSCT, aux violences sexistes et sexuelles ?
Peut-on dire que lors d’un tournage, y compris d’un divertissement, tout le monde connaît la procédure de saisine du CCHCST ?
Quand il existe des témoins des faits mais que la victime ne parle pas, que se passe-t-il ?
S’agissant des syndicats, les expériences sont très différentes selon les pays. Aux États-Unis, les syndicats d’acteurs ou de scénaristes sont beaucoup plus puissants, notamment dans ce domaine. Qu’en pensez-vous ? Et quelles seraient, là aussi, vos préconisations ?
Mme Louise Lebecq. Les deux salariés des deux CCHSCT ont suivi la formation de référent VHSS, en complément de leur formation initiale à la prévention des risques professionnels. S’agissant plus généralement des membres des CCHSCT, nous avons organisé un séminaire durant lequel sont intervenus des avocats ou encore des psychosociologues, ce qui a permis de former tout le monde et d’échanger sur ces questions.
Nos modalités de saisine sont-elles connues ? Elles le sont en partie, mais sûrement pas assez. Les deux CCHSCT pourraient encore gagner en visibilité pour les professionnels, aussi bien les entreprises que les salariés. Nous avons eu l’avantage d’être mis en lumière pendant la période du covid : le CCHSCT a produit un guide de préconisations de sécurité sanitaire très opérationnel. Nous continuons un peu sur cette vague, mais nous pourrions encore avancer sur ce plan.
M. Jimmy Shuman. Le SAG-AFTRA (Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio Artists), qui est notre syndicat frère aux États-Unis, est effectivement très puissant : il compte 160 000 membres. Nous sommes tout petits à côté, mais nous avons quand même la possibilité d’agir si des cas nous reviennent souvent – c’est bien plus fréquent, d’ailleurs, dans le spectacle vivant que dans l’audiovisuel. Nous les découvrons en général à travers un conflit au travail, qui peut révéler un harcèlement moral ou, de temps en temps, sexuel ou des violences sexistes et sexuelles.
Nous orientons les intéressés vers la cellule d’écoute quand il s’agit de violences sexuelles. Une de nos juristes a récemment fait un stage de référent. Nous essayons de démêler les faits, mais nous ne faisons pas beaucoup de médiation. S’il existe vraiment un problème, nous conseillons d’abord aux parties de s’adresser à la cellule d’écoute. Si la personne est syndiquée, nous l’accompagnons juridiquement, auprès de la police ou des prud’hommes. Si la personne n’est pas syndiquée, nous pouvons éventuellement lui donner des noms d’avocats, mais nous dirigeons surtout les gens vers le CCHSCT, quand il s’agit de l’audiovisuel. Dans le cas du spectacle vivant, qui n’a pas de CCHSCT, la cellule d’écoute peut orienter vers des psychologues, si nécessaire, vers la police ou vers un avocat.
M. Laurent Jullien. Sur le plan technique, il est obligatoire, en ce qui concerne le cinéma et la fiction télé, de déposer une déclaration de tournage sur le site du CCHSCT, ce qui nous permet de connaître le lieu et la période de tournage. Un lien se crée déjà à cette occasion et un conseiller en prévention peut faire des visites de tournage. En revanche, cela n’existe pas pour le divertissement, le magazine et le documentaire, car ce serait plus difficile : le nombre de déclarations préalables serait énorme – on tourne parfois avec trois personnes. Nous en avons discuté tous ensemble, de manière approfondie, il y a quelques années, et cela nous a paru difficilement gérable. Pour le reste, il est vrai qu’un effort reste à accomplir pour se faire reconnaître par les sociétés de production. Nous avons profité de la période du covid, marquée par beaucoup d’interactions, mais c’est à prolonger.
M. Jean Loup Chirol. Le syndicat est pour nous le lieu de la bienveillance absolue, où le technicien peut se réfugier, où il est accueilli, où on lui dit qu’il est chez lui et que les producteurs n’entreront pas. C’est important : il faut que les techniciens puissent sentir qu’ils ont leur organisation, qui leur appartient et qui est en mesure de leur apporter des réponses juridiques ou au niveau social. De quoi avons-nous à nous occuper ? De mauvaise gestion du personnel. Quand les gens se font renvoyer et arrivent vers nous, c’est que quelque chose ne va pas. Ils ont des contrats à durée déterminée : seule une faute grave, comme des violences, pourrait justifier un renvoi.
Nous rencontrons maintenant des cas dans lesquels des personnes se plaignent d’avoir été accusées injustement. Le producteur doit avoir un certain doigté en la matière. Nous souhaitons être prévenus tout de suite, pour pouvoir dire qu’il faut arrêter – les sanctions ne sont pas notre affaire. Les choses prennent parfois des proportions qui posent un problème, surtout dans l’ambiance actuelle. Quand des personnes arrivent avec leur dossier, on peut s’apercevoir qu’il existe des différences avec ce qui est dit, et il est arrivé à un autre syndicat de refaire des enquêtes et de susciter des témoignages pour permettre à la personne de se défendre. Tous les cas sont possibles : la situation est assez complexe.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Prenons le cas de Judith Godrèche, qui a fait la une. Sur le moment, elle ne s’était pas plainte de la situation qu’elle a vécue, même si c’était une violence. La question qui se pose, dès lors, est celle des adultes présents. Dans quelle mesure des témoins ou des personnes qui s’inquiéteraient d’une situation, sans forcément pouvoir la qualifier, peuvent-elles vous saisir ? Comment voyez-vous cela concrètement ?
Mme Valérie Lépine-Karnik. C’est l’information et le début de qualification de la situation qui posent vraiment un problème. Il est compliqué de savoir à quoi on fait face. Notre fameux kit, qui définit des types de situation, donne de premiers indices. Par ailleurs, des situations peuvent être remontées au CCHSCT par différentes sources, notamment les syndicats, par le biais de personnes présentes sur les tournages. Toutes les voies sont possibles : on peut également s’adresser, sur place, au préventeur ou à la préventrice.
Je reviens sur la question de la temporalité : bien souvent, les comités d’hygiène et de sécurité sont prévenus alors que la situation est déjà compliquée – elle peut même avoir commencé à être traitée. Il faut accompagner, ce qui est difficile, les personnes concernées, qui sont très souvent en grande souffrance, et toute l’équipe, qui est également en souffrance dans ce type de cas.
S’agissant des enfants, un début de réponse a été apporté par un ajout, au mois de mai, à la convention collective. Une personne doit désormais accompagner l’enfant jusqu’à ses 16 ans sur un tournage, pour aider, accompagner et prévenir des situations douloureuses.
M. Didier Carton. Nous avons pour ambition de prévenir les risques, ce qui suppose de comprendre les phénomènes accidentels. En 1963, lorsque les partenaires sociaux ont créé le CCHSCT cinéma, ils lui ont donné mandat pour enquêter – au même titre que les caisses régionales d’assurance maladie (Cram) ou que l’inspection du travail – afin de comprendre les mécanismes conduisant à un accident, dans un objectif de prévention. Cette démarche est tout à fait bénéfique. La difficulté vient de ce que, dans les situations de RPS, l’objectif de l’enquête n’est plus tout à fait le même, puisqu’il s’agit de pointer une responsabilité.
Dès les premiers cas, nous avons été très soucieux d’être informés des témoignages, même si nous ne réalisions pas nous-mêmes les enquêtes. Cet exercice étant très difficile, une doctrine s’est formée au fil de nos travaux. Nous renvoyons désormais systématiquement les signalements à l'employeur, que nous accompagnons dans sa réaction. Nous pouvons par exemple l’orienter vers des prestataires externes, pour lesquels il faudrait d’ailleurs peut-être prévoir une certification obligatoire, ou encore l’inciter à constituer une délégation d’enquête paritaire au sein de l’entreprise, même si la temporalité d’un tournage ne le permet pas toujours. Nous avons donc un rôle d’alerte et de conseil.
Les avenants à la convention collective prévoient aussi que nous soyons informés des conclusions des enquêtes. Nous ne disposons, en revanche, d’aucune statistique sur le nombre d’incidents survenus – il m’arrive encore d’apprendre au détour d’une conversation que quelque chose est arrivé sur un tournage, par exemple. Nous aimerions obtenir davantage de données sur ces questions.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre travail se rapproche en quelque sorte de celui de cette commission d’enquête, puisqu’il consiste plutôt à déceler les causes d’un dysfonctionnement et à identifier ce qui pourrait être amélioré qu’à enquêter vous-mêmes sur des cas individuels.
Le référent est-il tenu de vous informer et de vous adresser un rapport lorsqu’un problème survient sur un tournage ? De tels éléments vous seraient-ils précieux pour continuer à améliorer les dispositifs en place ? Dans vos secteurs d’activité, il me semble en effet que c’est sur la prévention qu’il faut mettre l’accent, car les temporalités ne permettent pas toujours de conduire des enquêtes, ne serait-ce que parce que les personnes ne travaillent plus forcément ensemble quelques jours après les faits dénoncés.
Tous les professionnels sont-ils d’ailleurs suffisamment formés au droit et à la réglementation ? Faudrait-il renforcer ces formations, voire les rendre obligatoires ? Avez-vous identifié des angles morts dans le droit positif en vigueur ?
Mme Louise Lebecq. Outre la procédure de traitement des signalements transmis au CCHSCT, notre instance est évidemment soumise au code pénal : si nous avions connaissance de faits de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles sur mineur, nous serions tenus de les signaler au procureur de la République.
Le référent n’est pas tenu de faire remonter les informations aux CCHSCT. Cette possibilité pourrait être abordée dans le cadre du bilan de l’accord collectif que nous comptons réaliser chaque année pour identifier les axes de développement ou les modifications à envisager. Ces données nourriraient en effet les instances et leur permettraient sans doute de mieux accompagner les référents dans leurs missions, en intervenant directement dans les entreprises.
Il nous semble en effet que toutes les écoles devraient intégrer, à destination des étudiants, donc des futurs salariés, une formation minimale en droit du travail. C’est d’autant plus important que le régime de l’intermittence est particulier et nécessite une connaissance encore plus fine de ses droits à la formation, au chômage, en matière de sécurité sociale, etc. Nous militons donc pour que des formations juridiques soient dispensées dans les écoles, notamment dans celles qui mènent aux métiers de la production : il est particulièrement important que les futurs employeurs soient au fait de leurs obligations.
Mme Graziella Melchior (EPR). Je pense moi aussi que la formation en droit du travail manque dans beaucoup d’écoles.
Le kit de prévention contre les VHSS est-il commun aux deux CCHSCT ? Avez-vous identifié des améliorations qui pourraient lui être apportées ? Si oui, lesquelles ?
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Dans l’hypothèse où une situation ne peut pas être résolue à l’amiable, une des parties peut décider d’engager une procédure devant les prud’hommes. Dans les cas d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel, il peut arriver que la décision de ces derniers fasse l’objet d’une requalification devant un tribunal judiciaire, qui peut être très lourde de conséquences si les deux verdicts divergent. Ces éventualités influent-elles sur la manière dont vous appréciez les situations, dès leur signalement ? Comment les acteurs compétents sont-ils formés à agir en amont d’une procédure ? Je suis notamment très attentive à la question de la collecte de la preuve : comment accompagner la victime et la sécuriser dans son parcours afin qu’elle reste convaincue, tout au long du processus, qu’elle ne sera pas abandonnée au détour d’une réunion et que son témoignage ne sera pas mis en doute ?
Mme Valérie Lépine-Karnik. Le kit de prévention a été élaboré par les deux CCHSCT, qui travaillent très étroitement ensemble, notamment depuis la crise du covid. Cette démarche nous semble avoir beaucoup de sens, tant nos deux secteurs d’activité sont devenus proches, voire fusionnels. Cette collaboration, très structurante et appréciable, nous permet d’ailleurs de parler ici d’une même voix.
Pour ce qui est de la prise en charge de la victime, le CCHSCT, sans être tenu au secret professionnel, est soumis à une obligation de discrétion. Nous veillons donc à ce que la victime soit préservée tout au long du parcours. Au-delà, si une procédure est lancée, notre mission s’arrête à partir du moment où le préventeur émet des recommandations et où le producteur est accompagné, comme dans n’importe quelle autre situation.
M. Jean Loup Chirol. Dans notre secteur, les salariés sont engagés sous le régime du contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) et les équipes de travail se forment souvent par affinité professionnelle. Les procédures se heurtent donc à la peur des personnes, qui craignent de ne pas être réengagées pour des projets ultérieurs si elles se plaignent. Les victimes subissent parfois des mesures de rétorsion, encore maintenant. Traiter ces cas n’est donc pas simple, même si une menace forte s’exerce aussi sur les agresseurs potentiels, parce que la loi est sévère.
Pour cette raison, il nous est arrivé de privilégier un règlement transactionnel des situations. J’irai même plus loin : les producteurs estiment parfois ne pas pouvoir être tenus pour responsables d’une agression, dans la mesure où ils ne pouvaient pas anticiper de tels comportements, qu’ils assimilent même à un sinistre. Ils n’ont pas forcément tort. Dans ce contexte, où les procédures sont si lourdes et où l’angoisse du plaignant est si forte, ne pourrait-on pas imaginer un système assurantiel, que le producteur pourrait solliciter pour garantir à la victime une indemnisation transactionnelle ? Cela permettrait de calmer les tensions sur le plateau, sans préjuger des éventuelles suites pénales à donner aux faits, qui relèvent d’un autre champ – même si nous devons évidemment aussi informer les personnes qui se signalent de leurs possibilités d’action en la matière. Le coupable pourra toujours être amené à répondre de ses actes devant la justice ou professionnellement – des personnes sont désormais mises au ban en raison d’agissements de ce type –, mais, sur le plan civil, cette solution permettrait d’offrir une réparation rapide, sinon automatique, à la victime, plutôt que de la mettre à l’écart sur le plateau parce que le producteur ne sait pas comment gérer le problème.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cette démarche comporte deux limites. D’abord, le droit français limite très fortement les transactions, ce qui est d’ailleurs une bonne chose car elles s’accompagnent souvent d’une clause de confidentialité, ce qui signifie que, si la personne dénoncée fait une autre victime, la première sera réduite au silence et ne pourra pas ajouter sa voix à la sienne. Le deuxième témoignage s’en trouvera affaibli. Ensuite, lorsqu’une personne se comporte mal sur un lieu aussi clos qu’un tournage, elle peut tout à fait mettre en danger d’autres personnes.
Pardon si cette remarque vous est désagréable, mais je note que vous avez plusieurs fois évoqué le risque pour les personnes accusées d’agression et semblé déplorer la période actuelle. Vos prises de parole ne me semblent pas refléter le caractère systémique des violences dont on nous a témoigné l’existence, alors qu’elles soulèvent un enjeu très important de protection des personnes : une certaine maltraitance semble installée de façon systémique dans le monde du cinéma et de l’audiovisuel. Évidemment, certains tournages se déroulent très bien, et c’est tant mieux, mais d’autres se passent mal. Or, à vous écouter, il ne me semble pas que vous ayez pleinement pris conscience, en tant que protecteurs des salariés, de la gravité de la situation, de l’ampleur du problème et de l’urgence à y répondre.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Pour rebondir sur l’intervention de M. Chirol, s’il est toujours possible de prévoir des assurances civiles, on ne peut pas assurer le risque pénal. La présidente souligne par ailleurs un risque réel : régler une situation en mettant la poussière sous le tapis, sans traiter le comportement de l’auteur, semblerait problématique.
Le reproche qu’elle a formulé à votre encontre me semble en revanche un peu excessif, dans la mesure où, contrairement à de nombreux acteurs, vous vous impliquez fortement pour traiter ces cas.
La question se pose néanmoins de savoir comment on en est arrivé à la situation actuelle. La dénonciation des violences sexistes et sexuelles est devenue un fait de société, sans doute parce que certaines personnes ont commencé à se former et que le niveau de tolérance a baissé, mais comment a-t-on toléré si longtemps des rapports si conflictuels et un management si dur sur les plateaux de tournage, malgré la présence des représentants du personnel ? Est-ce lié aux risques économiques associés à un tournage, ou à une forme de snobisme français qui fait de l’auteur un être tout-puissant auquel on passe tout, y compris lorsqu’il parle mal aux gens, incitant toute la chaîne hiérarchique à en faire de même ? Comment expliquer que personne n’ait rien dit pendant si longtemps ? Peut-on laisser les choses en l’état, ou faut-il au contraire essayer de faire évoluer les pratiques – ce qui, j’en suis convaincu, ne nuirait nullement à la qualité des films produits, bien au contraire ?
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’ajoute une question : comment faire respecter l’intégrité des personnes pendant les castings, qui sont très difficiles à appréhender pour nous dans la mesure où le droit du travail ne s’y applique pas vraiment ?
Mme Valérie Lépine-Karnik. Je suis un peu choquée d’entendre que nous n’aurions que très faiblement conscience des victimes. Tout le travail que nous avons réalisé et que nous vous avons présenté tend à montrer que nous sommes responsables, conscients et actifs sur cette question. Dieu merci, tous les tournages ne se passent pas mal. Comme dans tous les secteurs de la société, il y a cependant des ratés, que nous déplorons et auxquels nous souhaitons remédier. Notre présence devant vous est le signe de notre engagement en ce sens.
Pour répondre à M. le rapporteur, qui se demandait comment nous en sommes arrivés là, il se trouve que nous réunissons un grand nombre de facteurs critiques.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je n’exprimais nullement une critique à votre endroit, puisque vous tentez précisément de faire bouger les choses.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Surtout, comprenez notre étonnement comme une manifestation de l’importance que nous accordons à vos structures. Vous faites très clairement partie de la solution. Il est donc normal que l’importance de votre rôle s’accompagne d’une responsabilité importante.
Mme Valérie Lépine-Karnik. C’est bien ainsi que nous le prenons.
L’itinérance, le fait de travailler au sein d’un collectif éloigné de son domicile, la durée de travail très courte, la forte féminisation de certains métiers, comme celui de maquilleuse, qui placent les personnes dans un rapport de proximité au corps des artistes, sont autant de facteurs fragilisants, que nous recensons dans notre kit de prévention.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le talent de l'artiste est aussi un facteur de vulnérabilité pour les personnes qui l’entourent et qui ne bénéficient pas de la même reconnaissance.
M. Didier Carton. Nous cumulons effectivement les facteurs de risque. Notre secteur est très attractif, tout en étant attaché à une très grande précarité, dont témoigne le recours constant aux CDDU et qui se traduit par l’obligation de se repositionner en permanence sur le marché du travail – mettons-nous un instant à la place des intermittents, qui doivent retrouver un employeur tous les trois mois. Cette attractivité s’accompagne d’une certaine reconnaissance qui se manifeste autrement que par le salaire : lorsqu’une personne annonce lors d’un dîner qu’elle fait du cinéma, elle suscite généralement des réactions enthousiastes, ou au moins intéressées : tout le monde a envie d’en être.
Je crois qu’il faut mesurer la situation actuelle à l’aune de l’évolution de la société. Un chef machiniste m’a expliqué que, quand il est entré dans le monde du travail, il sortait de son service militaire, et que l’attitude de son chef de poste lui semblait tout à fait supportable comparée à celle de l’adjudant-chef qui lui avait hurlé dessus pendant un an. Voilà d’où nous sommes partis. Nous évoluons, ce qui est une très bonne chose. Le phénomène actuel est très intéressant et mérite d’être accompagné. En rester là ne serait pas rendre service aux employeurs.
Ce constat m’amène à la question de l’offre de formation. On ne peut pas traiter d’un sujet sans être compétent. La proposition formulée par Mme Lebecq me semble, à cet égard, tout à fait pertinente : les formations doivent être systématisées et étendues aux employeurs, qui sont pour l’heure complètement démunis pour gérer les catastrophes industrielles qui peuvent survenir, parfois au point de perdre le sommeil parce qu’ils doivent prendre une décision douloureuse dont ils n'avaient pas imaginé l’ampleur. Les employeurs doivent être mis en situation de comprendre pleinement leur rôle en matière de prévention, et pas uniquement des VHSS.
Nous devons également réfléchir à la manière de poser la pierre fondatrice de toute démarche de prévention, c'est-à-dire d’obtenir l’engagement de l’employeur. Des incitations financières accordées par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) existent, mais peut-être devons-nous les renforcer ou inventer d’autres moyens. Nous devons en tout cas parvenir à emmener tous les employeurs qui ne sont pas encore engagés.
M. Jean Loup Chirol. La question n’est pas tant de savoir comment on en est arrivé là que de savoir comment sortir d’une situation immémoriale. Lorsque je suis entré à Vaugirard, en 1980, on ne comptait que deux filles sur vingt-quatre élèves. Elles me rapportaient subir des remarques sexistes absolument insupportables sur les tournages. Depuis, les choses ont changé. Les propos sexistes sont moins nombreux, en partie parce que la loi a évolué et qu’elles peuvent maintenant justifier un licenciement, mais aussi parce que les métiers se féminisent : les directrices de la photographie, les chefs décoratrices sont beaucoup plus nombreuses que par le passé.
La prise de conscience est réelle, ce qui, bien sûr, n’empêche pas les déviances ni les situations pénibles. Notre métier est fait d’interactions, d’effervescence. Les professionnels s’engagent artistiquement et techniquement sur de brèves périodes.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Corporellement et psychologiquement, aussi.
M. Jean Loup Chirol. C’est encore plus vrai pour les artistes, en effet. Il suffit de voir les yeux d’un acteur qui découvre un décor éclairé : il est pris dans un jeu d’artifices. Tout cela joue et doit être intégré pour apporter des réponses. Je crois que nous avons démontré que nous avons à cœur de nous occuper des victimes, de prendre leur parole en considération, et de leur apporter des solutions et des réparations. Le travail doit se poursuivre, mais il est tout de même engagé.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les fiches techniques que vous avez produites sont d’ailleurs une part réelle et tangible de ce travail.
M. Laurent Jullien. Je me permets de nous inscrire tous dans un mouvement : voilà deux ans que nous travaillons sur ces questions, qui représentent 80 % de l’activité des CCHSCT, et que nous avons le projet d'engager une deuxième conseillère à la prévention des RPS, qui devrait se concrétiser cette année.
J’ai connu l’ère du parler-mal, qui a prévalu de manière insupportable pendant des années et des années et qui constitue la première des violences, parce qu’il peut donner lieu à des réactions terribles et s’apparente parfois à du harcèlement.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cette ère est-elle révolue ?
M. Laurent Jullien. Certainement pas, mais le phénomène s’est fortement atténué. Ce constat positif doit nous engager à continuer à travailler en ce sens.
M. Erwan Balanant, rapporteur. La société était elle-même friande de ce parler-mal : la séquence montrant Jean-Pierre Mocky hurlant sur un ingénieur du son faisait rire tout le monde et passait chaque année au bêtisier. Nous avons tous une part de responsabilité.
M. Jimmy Shuman. Le cinéma et l’audiovisuel ne sont pas les seuls secteurs où les choses peuvent mal se passer : le théâtre et le spectacle vivant sont également concernés.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons bien prévu d’auditionner les représentants du stand-up, du théâtre et de la musique.
M. Jimmy Shuman. Par ailleurs, les conservatoires privés et publics devraient proposer des cursus de formation à l'environnement social du spectacle : les gosses doivent savoir où ils mettent les pieds.
S’agissant des castings, même si nous précisons dans le kit de prévention qu’ils doivent être considérés comme un temps professionnel et que nous recommandons qu’ils se tiennent dans un espace dédié, il est vrai qu’ils se déroulent en dehors du cadre du contrat de travail et dans des conditions très variables, parfois même dans des bistrots. Les équipes impliquées sont souvent très restreintes et nous ne pouvons pas avoir connaissance de toutes les pratiques qui ont cours. Nous formulons toutefois bien des préconisations. L’Association des responsables de distribution artistique fournit également un travail important en la matière.
Enfin, les jeunes – filles ou garçons, techniciens ou artistes – sont de plus en plus présents dans le métier et n’acceptent plus n’importe quoi. Grâce à eux, la situation devrait évoluer dans le bon sens.
Mme Louise Lebecq. Les sociétés de production ont l’obligation, pour ouvrir un chantier, de faire une déclaration de production qui englobe les travaux de pré-production, de repérage, de construction de décors ou de tournage, mais il est vrai que le casting et les émissions de divertissement restent un angle mort. Peut-être faudrait-il prévoir que le CCHSCT soit informé des lieux de casting.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Seriez-vous compétents pour agir en cas d’événement survenant pendant un casting, dans la mesure où les personnes castées ne sont pas salariées ? Devrions-nous élargir votre champ de compétence pour que vous puissiez intervenir dans ces zones grises ?
Mme Louise Lebecq. Les castings – dont nous essayons de faire admettre qu’ils constituent bien un processus de recrutement comme un autre, même si les professionnels concernés ne les conçoivent pas exactement ainsi – impliquent la société de production et ses salariés, en l’occurrence les directeurs de casting. Je ne vois donc pas pourquoi nous ne serions pas compétents pour intervenir. Nous pourrions par ailleurs tout à fait faire évoluer la convention collective qui définit les prérogatives de notre instance. En tout état de cause, l’obligation de déclarer les lieux de castings n’est pas prévue par le droit en vigueur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Merci à tous. Pardon si mes propos vous ont choqués, mais ils montrent l’importance que j’accorde à votre rôle. Espérons d’ailleurs que nos échanges permettront une prise de conscience bien au-delà de cette salle.
La séance s’achève à douze heures cinquante.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Graziella Melchior, M. Thierry Perez, Mme Sandrine Rousseau, Mme Céline Thiébault-Martinez