Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, ouverte à la presse, de représentants du groupe TF1 : Mme Julie Burguburu, secrétaire générale, Mme Valérie Languille, directrice générale adjointe des relations humaines et de la RSE, Mme Laure Bezault, secrétaire générale de l’information de TF1, M. Fabrice Bailly, directeur des programmes et acquisitions du groupe TF1 et président de TF1 Production, Mme Nathalie Toulza-Madar, directrice générale de TF1 Films Production et M. Julien Godin, cofondateur du label Play Two, filiale musicale du groupe TF1.              2

– Présences en réunion................................22

 


Lundi
9 décembre 2024

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La commission procède à l’audition de représentants du groupe TF1.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos travaux en recevant le groupe TF1. Nous accueillons Mme Julie Burguburu, secrétaire générale du groupe TF1, Mme Valérie Languille, directrice générale adjointe des relations humaines et de la RSE (responsabilité sociale des entreprises), Mme Laure Bezault, secrétaire générale de l’information de TF1, M. Fabrice Bailly, directeur des programmes et acquisitions du groupe TF1 et président de TF1 Production, Mme Nathalie Toulza-Madar, directrice générale de TF1 Films Production et M. Julien Godin, cofondateur du label Play Two, filiale musicale du groupe TF1.

Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant, notamment. Vous représentez le groupe audiovisuel privé en clair le plus ancien et un acteur majeur de l’audiovisuel français, avec neuf chaînes, dont cinq en clair, mais aussi une plateforme de streaming. Vous possédez également plusieurs filiales de production et de distribution. Vous intervenez bien sûr également dans la publicité et le spectacle vivant, avec Play Two, TF1 Spectacle et La Seine musicale. Autrement dit, votre champ d’activité recouvre presque parfaitement celui de notre commission d’enquête.

Nous avons souhaité vous entendre sur la façon dont votre entreprise gère les faits de violence, qu’ils soient internes au groupe – nous avons tous en tête l’affaire PPDA – ou qu’ils concernent directement votre activité – je pense aux acquisitions d’œuvres et de programmes et à leur diffusion, mais aussi aux spectacles que vous produisez ou qui concernent vos partenaires économiques, notamment les producteurs. Le sujet ne peut pas laisser indifférent une entreprise cotée comme la vôtre compte tenu du risque que de tels faits peuvent faire courir sur sa réputation.

Cette réunion est ouverte à la presse et est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Julie Burguburu, Mme Laure Bezault, Mme Valérie Languille, M. Fabrice Bailly, Mme Nathalie Toulza-Madar et M. Julien Godin prêtent successivement serment.)

Mme Julie Burguburu, secrétaire générale du groupe TF1. Le groupe TF1 est un acteur central du paysage médiatique français et européen, et notre ambition s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la francophonie. Il se compose de la chaîne TF1, qui reste la première chaîne privée d’Europe, de quatre autres chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) – TMC, LCI, TFX et TF1 Séries Films –, de chaînes payantes, de notre filiale Newen, un des premiers acteurs européens de la production, ainsi que de Play Two, une filiale d’activités musicales. Pour se cantonner aux chaînes de télévision, 51 millions de Français sont en contact chaque semaine avec nos programmes et nos rendez-vous d’information rassemblent plus de 10 millions de personnes quotidiennement. Ce sont enfin plus de 35 millions de streamers qui se rendent chaque mois sur notre plateforme TF1+. Soyez assurés que nous avons pleinement conscience des responsabilités liées à la puissance du groupe et à la place que la télévision conserve dans les foyers français.

Je suis pour ma part arrivée au sein du groupe TF1 comme secrétaire générale en janvier 2023. Le secrétariat général couvre un champ large qui englobe des fonctions telles que les affaires juridiques, les affaires institutionnelles et réglementaires ou encore la conformité du groupe TF1 et de ses filiales. Pour vous présenter le groupe et la manière dont il avance sur les sujets liés à la violence, notamment sexuelle et sexiste, je suis accompagnée des cinq personnes que vous avez citées.

Nous allons nous exprimer à plusieurs titres. Tout d’abord, comme média : notre offre d’information figure parmi les plus larges et est le fruit d’un investissement de plus de 540 millions d’euros par an. Avec le lancement de la matinale en janvier dernier, nous avons recruté 70 personnes supplémentaires, dont 30 journalistes. Plus de 700 personnes travaillent au quotidien pour proposer sur nos différentes antennes et plateformes une information sérieuse et fiable.

Le groupe est également un acteur central du financement et de l’exposition de la création française. Notre contribution au financement de la création représente 25 % de notre chiffre d’affaires, ce qui correspond à près de 400 millions d’euros. Nous sommes fiers de proposer de nombreux programmes engagés qui contribuent indéniablement à donner de la visibilité aux débats de société et notamment à celui relatif aux violences. Nous sommes convaincus que les histoires que nous exposons contribuent à faire avancer la prise de conscience sur ces sujets et à faire évoluer les comportements.

Nous allons également témoigner et répondre à vos questions en notre qualité d’employeur. Notre groupe compte près de 3 000 collaborateurs, qui exercent des professions et des activités très variées.

Voilà, à grands traits, ce que représente aujourd’hui TF1, mais ce groupe a une histoire. Les faits révélés remontent à des années qui nous paraissent lointaines, mais aussi loin du groupe dans lequel je suis entrée, même si elles ne le sont pas pour les victimes – nous en sommes tous conscients.

Comme vous pourrez le constater, le groupe TF1 a renforcé ses procédures et la circulation de l’information sur les plateformes, étape par étape, dans le cadre d’un dialogue permanent avec ses salariés et en s’inspirant des réflexions et propositions du secteur. Nous avons choisi de proposer un large panel d’interlocuteurs et de dispositifs à même de traiter de ces sujets pour que celles et ceux qui souhaitent être entendus puissent avoir le choix. Le nombre de cas déclarés augmente, ce qui montre que les dispositifs fonctionnent mais aussi que la parole se libère.

Vous avez évoqué, dans les auditions précédentes, les spécificités du secteur des médias et des industries culturelles, la notoriété, les enjeux d’image et de rapport à l’apparence physique, les fausses proximités, les tournages, l’entre-soi, les enjeux financiers colossaux des projets, la pression du temps, la précarité de certains. Ces éléments ne sont pas propres à l’audiovisuel et aux industries culturelles, même si, indéniablement, comme l’évoquait Raphaëlle Bacqué, les faits dans ce secteur sont beaucoup plus médiatisés et visibles. Ces contraintes et ces spécificités nous poussent à faire davantage.

Vos travaux ont déjà permis de mettre en lumière un grand nombre des difficultés que nous rencontrons lorsque nous nous efforçons de concilier les principes qui nous guident ou d’opérer un arbitrage entre eux – je pense en particulier à la protection de nos salariés et de nos collaborateurs, au recueil de la parole et à l’instruction de ces affaires – sans affaiblir la présomption d’innocence, dans le respect du travail de la justice, lorsqu’elle est saisie, et de l’intégrité du travail collectif que constituent les œuvres de création. Nous sommes ici pour parler de la libération de la parole des victimes, de la sanction des auteurs et des dispositifs destinés à faire cesser ces violences. Nous avons parcouru les premières étapes d’un chemin collectif qui doit nous conduire à satisfaire ce que nous considérons comme des obligations de résultat, notamment en ce qui concerne la prévention. Je peux témoigner du fait que ces sujets sont portés au plus haut niveau chez TF1, par son PDG, Rodolphe Belmer, mais également au sein du groupe Bouygues, qui impose une dynamique de progression soutenue sur ces sujets. Soyez donc certains de notre engagement.

Mme Valérie Languille, directrice générale adjointe des relations humaines et de la RSE. J’ai rejoint le groupe TF1 il y a deux ans, en tant que directrice des relations humaines et de la RSE. Conformément à ses valeurs sociales et humaines très fortes, le groupe TF1 accorde une importance de premier plan au respect et à l’épanouissement de ses collaborateurs. Il est particulièrement engagé en faveur de l’égalité professionnelle et de la place des femmes dans l’entreprise. Ces engagements sont portés au plus haut niveau du groupe par son PDG, Rodolphe Belmer, et son comité exécutif (comex) – qui, comme toutes nos instances managériales, est paritaire –, mais également par le groupe Bouygues.

Nos salariés sont à la fois des techniciens de plateau, des journalistes, dans les rédactions et sur le terrain, des commerciaux, au sein de la régie, des spécialistes du numérique et des systèmes d’information, des conseillers artistiques, etc. Ils travaillent soit dans la tour TF1, à Boulogne, soit sur les terrains de guerre ou sur de nombreux plateaux de tournage. Nous devons appréhender tous ces profils, les accompagner, les protéger contre toutes les formes de violence, qu’elles soient physiques ou mentales. En tant qu’employeur responsable, notre mission consiste à garantir un environnement respectueux, inclusif et protecteur, au sens large. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) s’inscrit dans ce cadre. Elle implique quatre niveaux d’implication et d’action : la prévention, l’écoute, le traitement des signalements et l’accompagnement des victimes.

Premier niveau, la prévention passe notamment par la formation. Dès la fin 2020, nous avons déployé une formation consacrée à la mixité et aux stéréotypes auprès de 500 collaborateurs et, depuis la fin 2021, 91 % des titulaires de CDI ont été formés dans le cadre d’un e-learning obligatoire, qui a concerné 2 400 personnes. Cette formation est obligatoire pour tous les nouveaux arrivants au sein du groupe. Des ateliers de prévention sont également mis en place à destination des managers et sont régulièrement déployés. Enfin, l’ensemble de nos référents CSE (comité social et économique), de nos référents d’entreprises et des membres de la DRH ont suivi une formation complémentaire d’une journée consacrée au harcèlement et aux agissements sexistes.

La prévention passe aussi par des actions de sensibilisation régulières de l’ensemble de nos équipes à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous mettons en place régulièrement des ateliers dans le cadre du dispositif « une heure avec », qui consiste à inviter une personne extérieure spécialiste de certains sujets pour échanger avec les salariés. Soucieux d’accompagner tous les collaborateurs, nous affirmons nos engagements et communiquons en direction de ces derniers très régulièrement, par divers canaux et supports. Nous déployons ces actions dans toutes nos sociétés et les étendons progressivement aux intermittents et sur tous nos sites délocalisés afin d’avoir des dispositifs homogènes.

Le deuxième niveau d’implication concerne la mise à disposition de moyens pour faire remonter les témoignages. Notre objectif est de proposer un maximum d’actions pour offrir aux personnes qui souhaitent témoigner le choix du vecteur le plus approprié à leurs besoins et à leur situation. Il s’agit de leur permettre de s’exprimer en toute confiance. Différents dispositifs sont donc accessibles : des interlocuteurs au sein des ressources humaines, qui ont été formés, les représentants du personnel, une plateforme d’alerte – à laquelle on peut recourir anonymement –, les services médicaux du groupe. En outre, depuis le 1er janvier 2019, seize référents harcèlement, violence et harcèlement sexiste et sexuel ont été désignés et formés spécifiquement au sein de toutes les entités du groupe.

Libérer et protéger la parole ne suffit pas : encore faut-il qu’elle soit entendue. C’est le troisième niveau d’implication. Nous sommes très attachés à traiter efficacement et rapidement les signalements grâce à une procédure très précise. En cas de signalement, une phase de préqualification des faits s’ouvre avec la direction des relations sociales et la direction des affaires juridiques. Si l’examen des faits conduit à l’ouverture d’une procédure, une commission d’enquête se réunit, composée de trois personnes : le référent harcèlement de l’entreprise, le référent harcèlement du CSE et un représentant de la DRH. En cas de divergence entre certains d’entre eux, un représentant d’une société spécialisée externe apporte son concours.

L’enquête a lieu impérativement sous trois semaines, suivies d’une semaine complémentaire consacrée à la rédaction des conclusions. Celles-ci peuvent déboucher soit sur des actions dans le champ des ressources humaines si un problème a été relevé, soit au prononcé de sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement si les faits sont constitués, soit à un classement sans suite si les faits ne sont pas avérés. En 2022, deux enquêtes ont eu lieu au sujet de faits présumés de harcèlement moral ou sexuel et d’agissements sexistes ; il y en a eu sept en 2023 et, à ce jour, neuf en 2024, parmi lesquelles six se sont conclues par des sanctions : trois mises à pied et trois licenciements. L’augmentation du nombre d’alertes montre que les dispositifs fonctionnent. Les sanctions que nous n’hésitons pas à prendre illustrent notre exigence.

Au delà de la procédure et du traitement des témoignages, il est important d’accompagner les collaborateurs et les collaboratrices. Aussi, nous mettons à leur disposition des dispositifs de soutien psychologique accessibles soit par le service de santé au travail de TF1, soit par une ligne d’écoute spécialisée, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, soit par la ligne d’écoute d’Audiens. En outre, depuis 2014, nous avons mis en service une plateforme Allodiscrim qui permet aux salariés de recevoir des conseils juridiques sur ces sujets.

De nombreuses actions ont été menées, mais nous avançons avec humilité et avons à cœur d’améliorer nos dispositifs et d’être à l’écoute des salariés. C’est pourquoi nous évaluons très régulièrement ces dispositifs au moyen d’une enquête interne anonyme. D’après celle-ci, 95 % des collaborateurs estiment aujourd’hui que le groupe TF1 est activement engagé contre le sexisme ordinaire ; en 2024, 82 % des femmes – elles étaient 60 % en 2022 – pensent que les salariés sont traités équitablement, mais ce chiffre s’élève à 95 % pour les hommes, ce qui montre la persistance d’un petit écart. Nous progressons mais c’est une démarche d’amélioration continue.

Enfin, je souhaiterais évoquer des faits, survenus pendant un temps festif, auxquels notre groupe a été confronté récemment. Un salarié occupant des fonctions de direction a eu un comportement dénoncé comme inapproprié pendant une soirée. Il a été mis à pied dès le lundi matin, le temps qu’une enquête soit réalisée par un prestataire indépendant. Les faits ayant été confirmés, il a été licencié. Nous avons conscience que les temps informels entourant les horaires de travail, dans un environnement qui reste professionnel, peuvent poser problème. Nous travaillons sur des actions de communication interne systématiques pour rappeler à nos collaborateurs que les valeurs et les règles de comportement applicables dans l’entreprise le sont également dans le cadre de ce temps hors entreprise mais en lien avec l’environnement professionnel.

M. Fabrice Bailly, directeur des programmes et acquisitions du groupe TF1 et président de TF1 Production. Je suis directeur des programmes et acquisitions du groupe TF1 depuis 2016, en charge notamment des acquisitions de droits. Je suis également président de TF1 Production depuis 2019. Je voudrais vous faire part de notre engagement en tant que média. Nos programmes rencontrent des audiences massives et le slogan du groupe, « Les Français ensemble », prend un sens particulier lorsque nous abordons un sujet aussi difficile que celui des violences. À la programmation des antennes du groupe TF1, nous sommes évidemment intimement convaincus de la gravité du problème des VSS qui touche toute la société française et n’épargne pas l’audiovisuel.

Voilà des années que nous abordons ce sujet dans nos programmes, notamment dans nos fictions. Dès janvier 2015, nous diffusions la fiction unitaire L’emprise, l’histoire vraie d’Alexandra Lange qui, en mars 2012, avait été accusée du meurtre de son mari – qui l’avait battue et torturée durant les dix-sept années de leur mariage – avant d’être finalement acquittée. Le film a réuni près de 10 millions de téléspectateurs. En octobre 2018, nous diffusions Jacqueline Sauvage : c’était lui ou moi, avec Muriel Robin : là encore, une histoire de violence conjugale et de légitime défense ; plus de 8 millions de personnes ont été au rendez-vous. Nous avons aussi traité du sujet du féminicide dans Le mystère Daval, diffusé en septembre 2022, qui était inspiré du fait divers tristement célèbre. Nous sommes convaincus que ces œuvres de fiction contribuent à la mise en lumière des violences conjugales.

Nous avons également abordé le sujet des violences sexuelles dans le milieu du sport, notamment sur des mineurs, avec les fictions Service volé et Le colosse aux pieds d’argile, diffusées en 2021 et 2023. Dernier exemple : en octobre 2023, lors d’une soirée consacrée à l’inceste, nous avons diffusé la fiction Les yeux grands fermés – dans laquelle jouait également Muriel Robin – qui est inspirée, là encore, d’une histoire vraie. En proposant ces œuvres, presque toutes tirées d’affaires réelles, nous entendons informer et sensibiliser un large public, donner la parole aux victimes, provoquer le débat et faire évoluer les comportements.

Le groupe TF1 propose également des feuilletons quotidiens qui font passer des messages importants dans le domaine des violences, qu’elles soient psychologiques ou physiques, notamment les violences sexuelles et sexistes. Ils touchent un public plus jeune et suscitent un dialogue au sein des foyers. Nous portons une attention particulière aux messages qui y sont exprimés et échangeons régulièrement avec les auteurs sur les thèmes abordés dans nos intrigues et la façon dont ils sont traités.

Le grave sujet du viol a ainsi été abordé à deux reprises dans Demain nous appartient. À chaque fois, la question de la reconstruction des victimes y était centrale. L’accent était mis sur le fait que la honte devait changer de camp et que la parole des victimes devait être respectée. Dans cette série, nous avons également abordé le sujet de l’emprise et de la violence conjugale. Dans Ici, tout commence, autre feuilleton quotidien qui se déroule dans un institut de formation de jeunes adultes, nous avons traité de plusieurs questions telles les agressions homophobes, le harcèlement, son amplification par les réseaux sociaux ainsi que l’abus de pouvoir dans les relations entre professeurs et élèves. À chaque fois, nous avons veillé, en collaboration avec les producteurs et les auteurs, à ce que les situations reflètent la réalité. Nous espérons ainsi donner des clés pour aider les victimes à faire face.

Dans le cadre de sa riche programmation de magazines et de documentaires, le groupe TF1 a traité de nombreux cas de féminicides et de violences faites aux femmes, en s’attachant systématiquement à diffuser les témoignages des familles et des proches des victimes. En matière de violences conjugales, ce sont les victimes elles-mêmes qui ont témoigné. Dans le magazine « Quotidien », nous abordons très régulièrement ces sujets, soit par l’intermédiaire de chroniques telles que celles de Maïa Mazaurette, de décryptage sociétaux avec des journalistes spécialistes de la libération de la parole des femmes en matière de VSS, mais aussi d’invités. Ainsi, Judith Godrèche, qui a participé à plusieurs reprises à l’émission, a témoigné au sujet du consentement dans le milieu du cinéma.

L’engagement du groupe nous conduit également à soutenir des projets qui ont du sens. Nous allons diffuser, après-demain, le concert Nos voix pour toutes, enregistré le 27 novembre, qui s’est tenu à l’initiative de la Fondation des femmes, avec le concours de très nombreuses associations, pour dénoncer les violences faites aux femmes et lutter contre ce fléau.

Nous avons également choisi d’aborder le sujet des violences faites aux femmes dans certaines de nos émissions emblématiques de première partie de soirée comme « Danse avec les stars », au cours de laquelle nous avions chorégraphié à plusieurs reprises la chanson N’insiste pas. Adeline Toniutti avait témoigné de sa douloureuse expérience. Nous avons diffusé dans l’émission quotidienne « Star Academy », actuellement à l’antenne, une séquence où trois élèves se moquent de certains aspects de la masculinité toxique. Cela nous paraissait d’autant plus important que cette émission s’adresse à un public très jeune.

Il n’y a pas d’omerta à ce sujet sur nos antennes, mais au contraire, comme le montrent ces nombreux exemples, une volonté d’affronter la réalité de ces violences et de leur donner une large audience auprès du grand public. Depuis que j’occupe ces fonctions, je constate qu’il n’y a pas non plus d’omerta sur les violences pouvant survenir dans nos murs et sur nos plateaux, pas plus que sur ceux de nos partenaires. Nous échangeons depuis plusieurs années avec eux sur ces questions, ce qui favorise une prise de conscience commune et l’institution de cadres efficaces. Chaque nouveau cas fait l’objet d’une mobilisation collective et donne lieu à une appréciation sur la base de l’ensemble des éléments disponibles. Nous apprenons en marchant et allons collectivement poursuivre cet apprentissage. Cette commission d’enquête nous offre l’occasion de partager nos pratiques, nos questionnements et nos difficultés pour appréhender cette réalité complète et protéiforme sans fatalisme, de manière réaliste et, surtout, humble.

Mme Nathalie Toulza-Madar, directrice générale de TF1 Films Production. Je fais partie du groupe TF1 depuis dix-sept ans en tant que directrice générale de TF1 Films Production et directrice générale déléguée de TF1 Studio. Je vais témoigner aussi devant vous de notre engagement. Les équipes du groupe TF1 ont conscience de l’ampleur et de la gravité des violences sexistes et sexuelles et du harcèlement dans notre société, dans le secteur audiovisuel et particulièrement dans celui du cinéma. Nous devons nous assurer que les actions de prévention et les actions correctives qui ont été appliquées sont efficaces et, le cas échéant, identifier les mesures complémentaires nécessaires pour que tous les agissements soient sanctionnés et que les violences cessent.

Les filiales de production cinématographique de TF1 bénéficient de l’impulsion globale du groupe sur ces différents sujets. Ce dernier développe une politique éthique très ambitieuse qui repose notamment sur la formation interne en complément de la formation obligatoire dispensée par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) en matière de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS). Nous saluons d’ailleurs l’engagement du CNC sur ce sujet et espérons qu’au-delà des dernières annonces, son rôle prescripteur sera encore renforcé. TF1 Films Production, qui est une filiale du groupe TF1, a préfinancé dix-sept films français et européens par an en moyenne au cours des trois dernières années au titre de l’obligation de préfinancement du cinéma du groupe TF1. Le préfinancement, qui représente 3,5 % de son chiffre d’affaires, soit un peu plus de 40 millions d’euros en 2024, permet à TF1 Films Production de bénéficier du statut de coproducteur, à titre minoritaire – il s’agit généralement d’un financement compris entre 15 et 30 % du film. L’apport de TF1 Films Production est essentiellement financier. Nous ne contribuons que marginalement au processus créatif ; nous ne sommes pas associés directement au tournage et à la production, qui relèvent du producteur délégué.

Le préfinancement de TF1 Films Production est conditionné à la livraison d’un film conforme au scénario et aux éléments artistiques initialement présentés. Sa capacité de contrôle, notamment sur les tournages, est par conséquent limitée. Nous choisissons avec soin les projets auxquels nous participons et n’hésitons jamais à faire part au producteur délégué de nos remarques sur le scénario, en particulier lorsque nous estimons que le traitement des personnages féminins ne correspond pas aux valeurs populaires et familiales du groupe TF1.

L’autre facette de mon activité concerne TF1 Studio. Cette filiale de Newen, société de production intégrée au groupe TF1, a pour mission de coproduire et de distribuer des œuvres cinématographiques pour le groupe TF1 mais également pour les autres acteurs du secteur. Elle investit sous forme d’apports en coproduction et en minimum garanti en échange, respectivement, d’une part minoritaire de la propriété de l’œuvre, comprise entre 10 et 15 %, et de mandats de distribution dont TF1 Studio partage systématiquement l’exercice avec un tiers. Cette année, TF1 Studio a assuré la sortie de quatre films.

Jusqu’en 2024, TF1 Studio contribuait de façon variable au processus créatif, selon les projets, mais n’était jamais associé directement aux étapes de tournage et de production. Depuis cette année, nous endossons également le rôle de producteur délégué. Nous avons assuré, en partenariat, la production déléguée de deux films : Regarde ! et Natacha presque hôtesse de l’air. Ce dernier, qui bénéficie d’un budget de plus de 15 millions d’euros, est très important pour nous car il est réalisé par une femme, est produit par des femmes et met en scène une héroïne féminine. C’est un film que nous accompagnons également avec TF1 Films Production.

Les premières révélations MeToo concernaient le cinéma. Nous intervenons, chez TF1, à un titre particulier, en notre qualité de diffuseur et de producteur porteur de valeurs familiales et fédératrices. Les travaux de cette commission auront contribué à nous imposer de regarder ces sujets de façon factuelle et de constater que nous avons encore du chemin à parcourir collectivement.

M. Julien Godin, cofondateur du label Play Two. Je représente la société Play Two, qui occupe une position un peu singulière dans l’écosystème de TF1. Mon associé Sébastien Duclos et moi-même avons créé cette société en 2016, avant d’être rejoints par le groupe TF1 en 2017. Nous sommes devenus l’actionnaire de référence et contrôlant. La société Believe, spécialisée dans la distribution de musique, nous a rejoints, en prenant une part minoritaire, en 2022.

Nous exerçons deux métiers principaux. D’une part, au titre de la production musicale, nous accompagnons les productions phonographiques de chanteurs et de musiciens, à 90 % francophones. Il s’agit aussi bien d’artistes dits installés, tels Gaëtan Roussel ou Raphaël, que de jeunes artistes en devenir comme Carbonne ou Lynda. D’autre part, nous produisons des spectacles vivants. Nous accompagnons près de 1 000 concerts ou spectacles, parmi lesquels on peut citer les concerts d’Indochine, de MC Solaar, de Slimane ou de Lara Fabian ; les spectacles musicaux, comme Molière, actuellement en tournée ou le ballet Mon premier Lac des Cygnes, au théâtre Mogador ; des expériences de nouvelle génération, comme l’expérience immersive Toutânkhamon, qui se tient en ce moment aux Galeries Montparnasse, ou encore les rencontres d’e-sport de l’équipe française Karmine Corp. Au sein de cette société de production très généraliste, nous employons une cinquantaine de salariés permanents.

La prévention des risques de violence sur nos lieux de travail est un enjeu majeur, auquel je suis très attentif. Nous agissons pour que Play Two soit à la pointe du déploiement des outils de prévention pour nos collaborateurs, nos prestataires et nos artistes. Plus largement, en notre qualité de partenaires, nous devons répondre aux attentes que nourrit, à notre égard, une nouvelle génération d’artistes.

Mme Laure Bezault. Je suis journaliste depuis 1995 et secrétaire générale de l’information du groupe TF1. Je travaille avec le directeur de l’information et les équipes qui fabriquent les contenus pour les différentes éditions – c’est-à-dire les journaux télévisés, la matinale, les magazines et la chaîne LCI – ainsi qu’avec les équipes numériques de l’information. Cela représente environ 700 collaborateurs, dont la moitié sont des journalistes. Je suis également responsable des relations avec les agences de presse qui contribuent à nos contenus, correspondants de TF1 en région ou à l’étranger.

La mission du secrétariat général de l’information se résume à faire en sorte que les ressources dont nous disposons – et notamment les ressources humaines – soient utilisées à bon escient, en répondant bien sûr aux objectifs stratégiques et éditoriaux mais aussi dans le respect du cadre juridique et social. Si nous ne sommes pas ici pour parler spécifiquement de déontologie et d’éthique, ces dernières sont cependant aussi au cœur de l’engagement de toutes nos rédactions – et j’y veille particulièrement.

J’ai débuté ma carrière en tant que journaliste et cela fait une quinzaine d’années que je travaille dans l’encadrement des médias d’information audiovisuels. Cela implique de repérer des personnalités très différentes et complémentaires, de faire en sorte qu’elles travaillent ensemble dans le respect des uns et des autres grâce à la meilleure organisation possible pour répondre aux impératifs du quotidien. Nous devons gérer ce qui est prévisible et imprévisible dans nos locaux et sur tous les terrains, même les plus sensibles, avec toujours la même exigence et le même esprit de responsabilité. Dans les équipes de l’information de TF1 se côtoient des collaborateurs de tout statut, majoritairement en CDI et en CDD, mais aussi des stagiaires, des pigistes et des intermittents ou des prestataires. Nous ne pouvons en négliger aucun.

Cette responsabilité est partagée par l’ensemble des managers de la direction. Je peux témoigner que nous travaillons étroitement avec la direction des ressources humaines. C’est l’une des spécificités du groupe TF1. Nous sommes en effet responsables du respect des règles en matière de ressources humaines et des accords d’entreprise, qu’il s’agisse de la gestion du temps et de la charge de travail mais aussi de la sécurité des collaborateurs. À ce titre, je suis régulièrement invitée à dialoguer avec les représentants du personnel. Nous communiquons aussi beaucoup avec les équipes chargées de l’information sur les outils mis en place au sein du groupe et qui ont été évoqués par Julie et Valérie.

La qualité de vie au travail fait partie des critères d’évaluation des collaborateurs, et plus spécifiquement de leurs managers. Au sein de la direction de l’information, nous avons institué des rendez-vous réguliers avec les chefs de service et les rédacteurs en chef, notamment pour favoriser la communication et la remontée de toutes les informations qui concernent nos équipes. Nous dialoguons aussi avec les sociétés de journalistes.

S’agissant plus particulièrement de la lutte contre le harcèlement, les violences au travail et les comportements sexistes, nous rappelons régulièrement l’existence de canaux d’échanges pour signaler tout comportement inapproprié. Nous avons également deux référentes pour les rédactions de TF1 et de LCI. Journalistes, elles contribuent à la production de contenus d’information et sont présentes au cœur des rédactions. Elles sont volontaires, formées, engagées et mobilisées pour faire acte de pédagogie, conseiller et écouter en cas d’alerte éventuelle.

En outre, avec la direction des ressources humaines, la direction de la sécurité et la direction juridique, nous avons mis en place une procédure intitulée « violences en ligne et cyber harcèlement » ainsi qu’un programme de formation spécifique pour les journalistes dont l’image ou le nom apparaît sur nos antennes ou dans l’espace numérique.

Nous avons aussi élaboré des programmes de formation à destination des journalistes et des reporters pour faire face aux situations violentes sur le terrain. D’autres formations sont proposées aux journalistes, monteurs et documentalistes confrontés à des images violentes.

En tant que diffuseur de contenus d’information, nous sommes engagés dans la lutte contre les violences dans la société et contre les stéréotypes. Cela nécessite de donner la parole à toutes les femmes, victimes mais aussi expertes. Nous proposons régulièrement des enquêtes sur les violences parfois commises dans certains milieux professionnels.

Notre travail éditorial, le renouvellement du management, sa féminisation et l’arrivée de nouvelles générations engagées plus sensibles à ces violences ainsi qu’à la qualité des relations professionnelles contribuent à faire progresser les consciences et les comportements – aussi bien individuels que collectifs – au sein des rédactions du groupe TF1 et dans la société.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez rappelé votre vision, vos efforts et votre souhait de proposer des programmes en rapport avec l’évolution de la société, car il y a des choses que l’on ne tolère plus. Mais M. Bailly a également relevé qu’il vous arrivait de faire face à des difficultés et il faut que nous abordions plusieurs sujets.

Laissant provisoirement le cinéma de côté, je voudrais tout d’abord évoquer la question du spectacle vivant, qui a été la moins abordée lors de cette commission d’enquête. Confiez-vous à d’autres producteurs tout ou partie de certaines émissions musicales ? Si oui, les contrats qui vous lient à ces producteurs comportent-ils des clauses relatives aux VHSS ? On sait que les producteurs de cinéma doivent respecter des obligations de formation, mais il ne me semble pas que cela soit encore le cas dans le domaine du spectacle vivant.

Exercez-vous une vigilance particulière pour éviter certaines situations comparables à celles que l’on a connues dans d’autres secteurs ?

M. Fabrice Bailly. Ma réponse portera à la fois sur les œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

D’un point de vue juridique, la garantie de bonne fin ne repose pas sur nos entités qui préfinancent ces œuvres. Nous n’avons pas pris l’initiative de l’écriture des scénarios ni celle des castings et nous ne sommes pas responsables du contrôle des conditions de production, mais nous assumons ces différentes décisions. Nous veillons attentivement à sensibiliser nos producteurs délégués au strict respect des règles, y compris par le biais des contrats. Les rappels qui figurent dans les clauses de ces derniers montrent à nos producteurs toute l’importance que nous accordons à ces sujets.

Nous sommes également favorables au fait que le CNC conditionne ses aides au suivi d’une formation spécifique sur les VHSS. Nous avons intégré depuis plusieurs années dans nos contrats de coproduction et de préachat d’œuvres aidées par le CNC une clause qui reproduit les obligations imposées par ce dernier. Elle prévoit un engagement bilatéral de respecter les obligations légales de prévention du harcèlement sexuel et la mise en œuvre des mesures propres à y mettre un terme et à le sanctionner.

Cette clause a récemment été étendue à nos contrats de préfinancement d’œuvres audiovisuelles qui ne sont pas aidées par le CNC.

Indépendamment de ces clauses, nous savons que nombre de nos producteurs partenaires prévoient de nombreuses formations qui vont au-delà de celles prévues par le CNC. Ils ont aussi renforcé les clauses contractuelles avec leurs sous-traitants en matière de VHSS.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Madame Languille, vous avez indiqué qu’un salarié avait été sanctionné pour avoir eu un comportement ou des gestes déplacés lors d’un temps festif. Ce dernier a-t-il eu lieu à l’intérieur des locaux de l’entreprise ou bien en lien avec l’entreprise ?

Mme Valérie Languille. Il s’agissait d’une fête organisée par l’entreprise en dehors de ses locaux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez indiqué que vous rappelez des règles de comportement extraprofessionnel aux collaborateurs du groupe, madame Languille.

À ce sujet, imposez-vous des clauses contractuelles particulières aux personnalités les plus en vue de la chaîne, car ils engagent aussi l’image de leur employeur ?

Mme Valérie Languille. Les contrats de la plupart des présentateurs comportent des clauses rappelant l’obligation de respecter le code éthique et le règlement intérieur.

Elles figurent aussi dans les contrats des intermittents et des comédiens employés pour les tournages de notre société Newen Studios. Au début de chaque tournage, il leur est rappelé les règles de comportement ainsi que les engagements de notre groupe en matière de VHSS et des documents sont annexés aux feuilles de service.

M. Fabrice Bailly. J’ajoute que nous avons généralisé les clauses de sensibilisation et d’engagements sur ces sujets, avec par exemple celle relative à l’image et à la réputation pour les animateurs et les talents. Elle vise « tout agissement et/ou comportement et/ou propos à même de contrevenir aux engagements du groupe TF1, contraire à la loi et aux bonnes mœurs, notamment toute forme de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination ou tout comportement tendant à placer une personne en situation de détresse ou portant atteinte à sa dignité ».

Un manquement à cette clause contractuelle peut conduire à l’adoption de mesures correctives, au réaménagement du contrat voire à sa résiliation et au versement de dommages et intérêts.

Mme Laure Bezault. Je précise que, depuis 2019, la direction de l’information prévoit une clause dite « image et réputation » dans les contrats de prestation des éditorialistes-chroniqueurs recrutés plus spécifiquement pour la chaîne LCI. Cette clause rappelle le cadre éthique du groupe TF1 et nous exigeons de ces intervenants un comportement et des propos exemplaires à l’antenne.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur Bailly, pourriez-vous nous fournir un contrat-type anonymisé ? Je suis intéressé par la clause contractuelle qui prévoit des dommages et intérêts, notamment afin de voir comment elle est rédigée. Cela pourrait contribuer à notre réflexion.

M. Fabrice Bailly. Bien entendu.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’image a de l’importance et ce que vous diffusez en a évidemment aussi. Vous avez cité de nombreux programmes que vous avez produits ou diffusés et qui tendaient à faire prendre conscience de l’importance des violences faites aux femmes et aux mineurs.

L’un des programmes que vous diffusez joue sur le regard sexiste de la société. Il s’agit de « Quatre mariages pour une lune de miel ».

On y voit des femmes mariées qui sont en concurrence et qui critiquent ouvertement les cérémonies des autres. Cela fait appel à tous les ressorts inconscients du sexisme : les femmes qui se crêpent le chignon et se dénigrent les unes les autres, alors que les hommes sont quasiment absents de cette affaire et regardent de loin avec amusement.

Avez-vous une réflexion à ce sujet, car selon moi cette émission véhicule une image très discriminante ?

M. Fabrice Bailly. Ce programme est à l’antenne sur TF1 puis sur la chaîne de la TNT TFX depuis dix ans. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) n’a jamais réagi de manière particulière.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce n’était pas ma question…

M. Fabrice Bailly. Je voulais juste le signaler, mais je comprends parfaitement votre question.

Le programme a beaucoup évolué depuis sa création, le climat et le ton étant plus bienveillants qu’auparavant. On a récemment introduit un regard extérieur, avec l’organisatrice de mariages Élodie Villemus, ce qui permet de prendre un peu de recul par rapport à certaines remarques.

« Quatre mariages pour une lune de miel » est aussi un programme très inclusif, qui favorise la positivité corporelle, et dont le casting est des plus diversifiés s’agissant de l’âge, de la catégorie socio-professionnelle, de l’origine, de la culture et de l’orientation sexuelle.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Depuis une décision de la Cour de cassation de 2009, les candidats de la téléréalité sont considérés comme des salariés sous contrat avec le producteur.

Pourriez-vous nous fournir un contrat-type de participant à ces émissions ?

La Cour de cassation a souhaité protéger les candidats d’un point de vue financier, mais il y a peut-être un angle mort. À partir du moment où ils sont salariés, il existe un lien de subordination avec la production. Conservent-ils toute leur liberté de choix par rapport au déroulement de l’émission ? Peuvent-ils abandonner cette dernière quand ils le veulent ? Nous trouvons que les candidats supportent parfois des tensions qui sont très éloignées de la réalité professionnelle et de la vraie vie.

Toujours s’agissant de la téléréalité, en 2018 vous avez arrêté le tournage d’une saison de « Koh-Lanta » du fait d’une accusation d’agression sexuelle. Quelle procédure a été suivie pour aboutir à cette décision ? Quels accompagnements financiers et psychologiques ont été offerts aux employés et candidats ?

M. Fabrice Bailly. C’est une vaste question.

Je précise tout d’abord que le groupe TF1 ne produit pas d’émissions de téléréalité.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce n’est pas vous qui produisez « Quatre mariages pour une lune de miel » ?

M. Fabrice Bailly. Non, c’est le groupe ITV.

Comme l’a souligné Raphaëlle Bacqué lors de son audition par votre commission, toutes les émissions de téléréalité ne se ressemblent pas.

Par exemple, dans la « Star Academy » ou dans « Secret Story », le clash est interdit. Bien au contraire, la production de ces émissions insiste sur les valeurs de respect et de bienveillance, qui doivent structurer les relations entre les participants. Les candidats y sont sensibilisés et doivent signer une charte avant de participer.

Nous collaborons désormais avec les producteurs pour nous assurer qu’ils sont particulièrement vigilants, en particulier lors des castings pour ce type d’émission. Ainsi, pour la « Star Academy » et pour « Secret Story », chaque candidat voit un psychologue et un psychiatre. Des engagements éthiques forts sont demandés à tous les participants et salariés. Des référents harcèlement sont présents. Un briefing oral est réalisé avant chaque démarrage de saison et il est possible en permanence d’entrer en contact avec des membres de la production.

Il est très clair que tout comportement perçu comme inapproprié ou provoquant un malaise doit être immédiatement signalé, écouté et traité avec sérieux et fermeté. Il nous est arrivé d’exclure des candidats en raison de comportements que nous avons jugés inappropriés, et ce même si les faits étaient intervenus en dehors de l’enceinte du tournage.

En définitive, le cadre mis en place par nos producteurs-partenaires est destiné à réduire le plus possible les risques de VHSS et, le cas échéant, permet aux victimes de s’exprimer et aux responsables des productions de réagir avec célérité.

En ce qui concerne les évènements survenus lors de la saison 19 de « Koh-Lanta », voilà les faits précis : durant la nuit, une candidate a déclaré auprès d’une équipe de tournage qu’elle s’était sentie agressée sexuellement et a décrit ce qu’elle avait vécu. L’équipe a prévenu le producteur, qui s’est rendu immédiatement sur place. La première mesure a été d’isoler la candidate, de l’entourer et de dialoguer. Elle a été prise en charge par le médecin. Le candidat incriminé a lui aussi été isolé. Tous les autres candidats ont été entendus par le médecin. Ils étaient choqués et ont été diagnostiqués psychologiquement inaptes à poursuivre sereinement l’aventure.

En parallèle et presque dans le même temps, une réunion a été organisée à TF1 avec la production pour évaluer la situation et envisager les différentes solutions. Il a été décidé d’annuler le tournage.

Toutes ces étapes se sont déroulées en quinze heures.

Le bien-être des candidats a été l’élément déterminant de la décision.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Petite question triviale : quel est le poids économique de la téléréalité pour votre groupe ?

M. Fabrice Bailly. En pourcentage du coût de grille ou des investissements ? Je ne dispose pas immédiatement des éléments pour vous répondre.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Un certain nombre de personnes nous ont dit que la téléréalité ne rapportait pas autant qu’on l’imaginait, mais toutes les chaînes privées en font.

M. Fabrice Bailly. Encore une fois – et ce n’est pas de la rhétorique –, toutes les émissions de téléréalité ne se ressemblent pas.

Mme Julie Burguburu. Nous verrons quelles sont les indications chiffrées qu’il est éventuellement possible de vous transmettre, mais en tout état de cause par écrit pour respecter le secret des affaires.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il faudra nous préciser si vous souhaitez que nous n’en fassions pas état dans le rapport.

« Miss France » est un programme qui pose beaucoup de questions en matière de représentation des femmes. Même si l’on interroge désormais les candidates sur de nombreux sujets pour aller au-delà de leur seul physique, cela reste un concours de beauté.

La preuve la plus manifeste qu’il alimente une représentation encore très sexiste de la femme c’est que quand une femme à la peau noire ou aux cheveux courts gagne, elle subit ensuite une vague de cyberharcèlement qui peut être d’une intensité extrême.

L’élection de Miss France est particulièrement regardée. Comment justifiez-vous désormais un tel programme ?

M. Fabrice Bailly. Les temps ont changé, la société a évolué et le programme avec elle.

Dès 2017, les Miss prenaient la parole devant un public nombreux afin de dénoncer les violences faites aux femmes dans un clip diffusé pendant la cérémonie et intitulé « Les Miss se mobilisent contre la violence faite aux femmes ». Miss France, c’est aussi ça. En 2021, Miss Réunion – ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres – prônait dans son discours la diversité culturelle et s’engageait en faveur de l’émancipation des femmes et de la lutte contre les violences conjugales.

Alors oui, une candidate ayant les cheveux courts a gagné et de nombreuses Miss France étaient issues de la diversité. C’est une très bonne chose.

À plusieurs reprises au cours des dernières années, le jury était 100 % féminin. Ce sera encore le cas samedi prochain : il sera présidé par Sylvie Vartan et composé de la championne Marie-José Pérec, l’animatrice Cristina Cordula, la danseuse Fauve Hautot, l’humoriste Nawell Madani, la pianiste Khatia Buniatichvili et l’ex-miss France Flora Coquerel.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous ne répondez qu’à moitié à ma question. La vague de cyberharcèlement hallucinante qu’a subie, après son élection, la dernière Miss à cause de ses cheveux courts interpelle. On peut se demander ce que véhicule ce programme pour provoquer de telles réactions.

M. Fabrice Bailly. Les valeurs véhiculées par le programme ne sont pas en cause puisque, précisément, une femme aux cheveux courts a pu gagner, le temps et l’évolution de la société ayant fait leur œuvre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous voulez dire qu’elle n’aurait pas gagné avec les cheveux courts si le programme était si rétrograde. Cela reste tout de même un concours de beauté.

M. Fabrice Bailly. Oui, bien sûr.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je voulais revenir sur une affaire récente qui concerne la société Play Two, laquelle fait partie du groupe TF1, et un chanteur, étroitement lié à la chaîne – lauréat en 2016 de « The Voice », membre du jury de « The Voice Kids » et qui participe au concert des Enfoirés. Encore récemment, celui-ci était mis à l’honneur lors de la cérémonie des NRJ Music Awards diffusée par TF1 : il était sur scène et s’est vu décerner deux récompenses.

À quel moment le groupe TF1 a-t-il été informé des faits qui lui étaient reprochés et quelle a été votre réaction ? Eu égard à ses responsabilités vis-à-vis de ses salariés, considérez-vous que l’entreprise a failli en ne suspendant pas la tournée à titre conservatoire ? Avez-vous envisagé de ne pas diffuser l’émission dans laquelle il apparaît ? A-t-il été demandé à la personne de ne pas se produire sur scène et de ne pas venir recevoir ses récompenses lors des NRJ Music Awards ? Cela s’est vu dans d’autres cérémonies, l’idée étant d’invisibiliser ou, à tout le moins, de ne pas mettre en lumière des personnes à qui des faits sont reprochés. Avez-vous instauré, à la suite de cette histoire malheureuse et d’autres qui l’ont précédée, des procédures pour prendre des décisions rapidement en pareille situation ?

Puisque des plaintes ont été déposées, vous aurez noté que je n’ai pas prononcé le nom de la personne, vous pouvez le faire si vous le souhaitez.

M. Julien Godin. En tant que producteur du spectacle de l’artiste en question, je suis dans l’impossibilité d’entrer dans le détail puisque l’affaire est en cours d’instruction.

En revanche, je peux préciser notre fonctionnement de manière générale et dans le cas d’espèce.

Vous l’aurez compris, l’industrie du spectacle est une constellation de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME). Play Two est une PME qui profite, grâce à son partenariat avec TF1, des procédures et des outils mis à disposition par le groupe dans ce domaine. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes mieux-disants mais nous avons la volonté d’être le plus efficace possible.

Dès janvier 2021, nous avons commencé à mettre en place des dispositifs, sur la base des recommandations du CNM (Centre national de la musique). La prise de conscience de nos équipes a eu lieu. Nous ne sommes pas parfaits mais la dynamique est bien là.

Ces dispositifs consistent en la formation des dirigeants ; des affichages obligatoires tant dans les locaux de travail fixes que sur les lieux de spectacle ; la nomination de référents pour chaque spectacle que nous produisons ; la prise de parole devant l’ensemble de l’équipe systématique au lancement d’un spectacle puis selon les besoins en cours de spectacle pour indiquer les moyens mis à disposition ; des messages de rappel des principes éthiques de la société en matière de VHSS envoyés à l’ensemble des collaborateurs permanents et non permanents – ce que nous avons fait il y a de cela un mois.

S’agissant de l’affaire que vous évoquez, nous avons été informés des faits et dans les vingt-quatre heures qui ont suivi, nous avons procédé au recueil des témoignages, nous avons accédé sans délai à la demande de retrait des personnes concernées – techniquement, il s’agit d’une dénonciation anticipée d’un contrat de prestation. Avant le redémarrage de la tournée, nous avons rencontré l’ensemble des corps de métier séparément pour nous assurer qu’elle continue dans des conditions de travail sereines. La tournée est repartie en janvier pour soixante-dix nouveaux Zénith, sans qu’aucun épisode nouveau ne nous soit rapporté. Voilà ce que nous avons fait avant le dépôt de plainte et la mention dans la presse. Les faits s’étaient déroulés neuf mois avant que la presse ne s’en fasse l’écho.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Quand l’information a-t-elle été portée à votre connaissance ?

M. Julien Godin. Les faits nous ont été rapportés de manière relativement immédiate par les personnes qui considéraient en avoir été victimes. Nous les avons rencontrées dans les vingt-quatre heures. Elles ont souhaité se retirer de la tournée et nous avons accédé sans problème à leur demande.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mais ce sont elles qui ont quitté la tournée.

M. Julien Godin. Ce sont elles qui ont demandé à quitter la tournée et nous avons accédé à leur demande. Il y avait un contrat.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Elles ont continué à être payées ?

M. Julien Godin. Il n’y a pas eu de problème sur ce point. La décision a été prise d’un commun accord ; il ne s’agissait en aucun cas d’une quelconque sanction.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ma question était plus précise. Je voulais savoir comment vous avez réagi. À un moment donné, le groupe TF1 a-t-il envisagé de tout arrêter compte tenu des conséquences potentiellement importantes pour son image ?

Cela peut aussi avoir des conséquences sur la réalisation des programmes. Nous avons ainsi appris que pendant un duo, les techniciens avaient coupé le micro de l’un des deux interprètes en signe de protestation. J’imagine qu’un producteur de spectacle préfère éviter ce genre de mésaventure.

Comment les employeurs font-ils pour protéger les salariés ? Si certains ont souhaité se retirer immédiatement, c’est bien parce qu’ils ressentaient des craintes.

Dans le cadre de la cascade de sous-traitances que vous avez mentionnée, quels sont les moyens dont dispose le groupe TF1 pour gérer sa réputation ? Comment les contrats sont-ils rédigés sur ce point ?

Enfin, qu’en est-il en matière d’assurance ? Existe-t-il des clauses spécifiques ? L’annulation d’une tournée complète a un coût.

M. Julien Godin. Pour ce qui est du choix de continuer ou pas, notre première boussole, quels que soient le spectacle ou le projet, c’est la protection et la sécurité des équipes artistiques et techniques. Nous avons rencontré tous les corps de métier impliqués dans le spectacle et nous avons considéré que les conditions étaient réunies pour continuer.

L’annulation d’un spectacle doit se gérer de manière collective puisque le modèle économique repose sur une coproduction avec l’artiste qui est sur scène.

Enfin, s’agissant des assurances, des travaux sont en cours avec nos courtiers. Le chantier, qui vient tout juste de commencer, ne peut pas être mené au plan microéconomique. Il concerne toute l’industrie du spectacle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il est question de violences au travail dans cette affaire. Cela vous concerne donc très directement en tant qu’employeur. Que faites-vous pour prévenir les risques ?

M. Julien Godin. La prévention des risques repose sur les outils que nous avons mis en place en nous appuyant sur le CNM et TF1. L’arsenal dont nous disposons – information, référents sur place – fonctionne. La prévention est désormais systématique.

Le sujet a pris de l’ampleur ces derniers temps, mais nous sommes une petite société donc nous ne sommes pas confrontés tous les jours à des problèmes de ce type. Notre ligne de conduite est de préserver la présomption d’innocence tout en garantissant la sécurité des employés.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les deux peuvent être incompatibles.

M. Julien Godin. Nous avons considéré qu’ils étaient compatibles. La plainte a été déposée en novembre et les évènements ont eu lieu…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Donc vous nous garantissez sous serment avoir pris toutes les mesures possibles pour que les techniciens et techniciennes ne soient pas exposés ?

M. Julien Godin. Je vous ai indiqué ce que nous avons fait pour nous assurer que les conditions étaient réunies pour reprendre le spectacle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez pas fait pression sur les techniciens ?

M. Julien Godin. Aucunement.

En ce qui concerne la coupure du micro, je nie la version que vous avez donnée, monsieur le rapporteur. À notre connaissance, il s’agissait d’un incident technique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce sont certes des temps anciens mais je vais évidemment évoquer l’affaire PPDA qui a dû marquer profondément la chaîne. Nous avons déjà reçu M. Namias.

Nous nous interrogeons sur le fait que des policiers aient pu venir dans les locaux de la chaîne en 2005 sans que personne n’ait été au courant, mais laissons les enquêteurs faire leur travail sur ce point.

Ma question porte sur les leçons qu’a tirées la chaîne de ces faits graves. Avez-vous fait évoluer vos procédures ? Avez-vous mis en place un accompagnement ? Autrement dit, y a-t-il eu un avant et un après PPDA ?

On continue malgré tout à se poser la question de savoir comment ces agissements ont pu pendant si longtemps rester sous les radars et échapper aux salariés. Nous ne pouvons évidemment pas vous interroger précisément pour deux raisons : à l’exception de Mme Laure Bezault peut-être, aucun de vous n’était salarié à l’époque ; l’affaire est en cours d’instruction.

Compte tenu du traumatisme que les révélations, perlées mais massives, ont provoqué chez nombre de salariés qui étaient présents au sein de l’entreprise à l’époque et le sont encore, leur avez-vous proposé un accompagnement ? On parle de plus de soixante victimes – ce n’est pas rien. Il y a une dimension sérielle importante.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce qui nous a surpris dans la réponse de M. Namias, c’est son ignorance totale du problème.

Mme Julie Burguburu. Je veux commencer en ayant un mot très sincère pour les victimes.

Évidemment, TF1 dans son ensemble est extrêmement affecté par l’association qui peut être faite entre des faits d’une telle gravité et l’entreprise à laquelle nous sommes tous attachés. Que l’on soit entré plus récemment ou qu’on ait été présent à l’époque des faits, c’est de toute façon une difficulté, une blessure. Je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer sur ce point.

De nombreuses choses ont été faites au moment de la révélation qui a été une révélation pour tout le monde au sein de l’entreprise. Je le redis parce que c’est de toute évidence ce qui s’est passé, mais aussi parce que, monsieur le rapporteur, dans un souci de concision, vous avez rapproché des faits qui ne sont pas de même nature : si certaines choses se savaient sur certains comportements, je pense très sincèrement pouvoir affirmer que personne ne se doutait de la gravité des faits potentiels en cause.

Pour répondre à votre question sur la venue de policiers dans les locaux de TF1 en 2005, nous avons appris l’existence de la plainte qui a été classée sans suite par l’article du Monde qui est paru récemment. Nous n’avons pas plus d’informations, nous n’avons pas eu accès aux procès-verbaux d’audition dont le journaliste fait état. Il y est question non pas d’une audition mais d’une visite dans les locaux de TF1.

Très honnêtement, aussi surprenant que cela puisse paraître, en 2005, les mesures de sécurité n’étaient pas les mêmes – Vigipirate existait déjà mais les attentats de la décennie suivante n’avaient pas encore eu lieu. Il est tout de même possible d’imaginer qu’il y a près de vingt ans, les policiers n’ont pas décliné leur fonction, qu’ils avaient rendez-vous avec Patrick Poivre d’Arvor, que l’assistante peut-être était déjà dans le hall à les attendre et que tout cela est passé, si vous me passez l’expression, sous les radars. C’est l’explication la plus plausible. Il n’y a de notre part aucune volonté de cacher quoi que ce soit.

Mme Laure Bezault. J’ai été salariée de LCI de 1995 à janvier 2001. À l’époque, LCI était situé rue Olivier-de-Serres dans le 15e arrondissement, donc pas dans les mêmes locaux que TF1. Certes, Patrick Poivre d’Arvor enregistrait une émission littéraire mais personnellement, je ne le côtoyais pas. De 1999 à 2001, j’ai travaillé pour la société qui produisait le magazine littéraire « Vol de nuit ». J’étais reporter et chargée de la chronique multimédia et littérature. Une fois que je vous ai dit ça, je peux aussi vous dire que je n’ai pas été victime de PPDA.

Cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion – je ne sais pas si le terme est bien choisi – pour les victimes aujourd’hui et de mesurer leur détresse. Les révélations ont décuplé ma volonté de faire en sorte que les collaboratrices et les collaborateurs travaillent dans un climat serein et de confiance.

J’en viens aux mesures que la direction de l’information du groupe TF1 a prises à la suite des révélations en 2021. Nous avons surtout voulu dire à nos collaborateurs et à nos collaboratrices, dont certains et certaines travaillaient déjà à TF1 à l’époque où Patrick Poivre d’Arvor était présentateur du journal télévisé, qu’ils pouvaient trouver des personnes susceptibles de les entendre s’ils avaient des choses à dire. Nous souhaitions installer et cultiver un climat de confiance et de tolérance zéro. Le directeur de l’information et moi sommes passés dans les services pour le dire. Cela a généré des discussions dans les services, que nous n’étions pas toujours là pour entendre, en particulier entre les collaborateurs présents à l’époque et les ceux arrivés après, qui étaient souvent plus jeunes. Cela a libéré la parole, notamment parce que les collaborateurs qui étaient présents à l’époque ont pu mesurer à quel point les temps avaient changé. Nous avons également confié à ceux qui l’acceptaient la mission de référent. Deux journalistes femmes ont endossé ce rôle auprès de leurs collègues de travail.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous pris des décisions très particulières au moment de la révélation en 2021 compte tenu de la gravité des faits et de sa dimension sérielle ? Avez-vous créé une commission d’enquête interne ? Avez-vous proposé des moyens d’écoute renforcés ?

Face à ce qui a constitué un électrochoc et très certainement un traumatisme, quels moyens avez-vous déployés pour protéger les salariés, même si PPDA n’était plus salarié dans l’entreprise ? On a beaucoup entendu que TF1 n’avait rien fait. Qu’avez-vous fait à ce moment-là ? La culture de l’entreprise en a-t-elle été modifiée ?

Mme Julie Burguburu. Il faut replacer les choses dans leur temporalité. Patrick Poivre d’Arvor a quitté TF1 en 2008, les révélations datent de 2021. Entre 2008 et 2021, outre MeToo, il s’est passé des choses – ainsi la définition légale du harcèlement a-t-elle évolué en 2012 – qui ont poussé l’entreprise à prendre des mesures, sans lien avec les révélations, parmi lesquelles l’ouverture de la ligne téléphonique Allodiscrim qui permet d’avoir un conseil juridique sur la qualification des faits – c’était un des nœuds du problème : on ne qualifiait pas les choses comme on le ferait en tout cas aujourd’hui.

Comme dans toute grande entreprise, les interlocuteurs étaient nombreux : on peut parler à son manager ou à son référent ressources humaines ; il existe un service médical ; il y a aussi des syndicats. Un programme de prévention un peu plus classique, si je peux m’exprimer ainsi, était déjà en train d’être déployé en amont des révélations.

En ce qui concerne l’électrochoc, voire le tsunami de 2021, j’ai vu un mail du directeur de l’information, adressé à tous les collaborateurs, indiquant les personnes à contacter selon la situation dans laquelle l’employé se trouvait – volonté de témoigner, besoin d’une aide psychologique, etc. Au moins quatre cas de figure étaient mentionnés. Donc des choses ont été faites.

Quant à l’enquête interne, il a été décidé de ne pas en faire en raison de la temporalité dont on a déjà parlé. Trois générations de directions s’étant succédé entre-temps, une telle investigation était un peu vaine. Surtout, il semblait bien plus important de rechercher d’autres victimes éventuelles et d’autres témoignages. C’est sur ce point que l’effort devait porter et non sur une chasse aux sorcières qui n’avait pas lieu d’être puisque les personnes qui auraient pu s’exprimer ou être auditionnées n’étaient plus là. La responsabilité de l’entreprise s’exerçait en premier lieu à l’égard des collaborateurs.

Mme Valérie Languille. Le dispositif existant a été complété en 2021. Plusieurs opérations de sensibilisation ont été menées auprès des collaborateurs de l’information, notamment à l’occasion de réunions plénières. Une experte est intervenue devant l’ensemble des journalistes et des collaborateurs de l’information. Deux référentes dédiées à l’information ont été nommées en complément des autres référents dans l’entreprise.

C’est également en 2021 que la formation en e-learning a été rendue obligatoire pour l’ensemble des collaborateurs. Enfin, nous avons rappelé à l’ensemble des collaborateurs la mise à disposition, outre Allodiscrim qui offre du conseil juridique, d’une plateforme téléphonique d’accompagnement psychologique qui pouvait éventuellement les réorienter vers tous les autres interlocuteurs que sont les ressources humaines, les représentants du personnel, le management, etc.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous tiré de l’affaire PPDA des leçons sur la starification et l’isolement ou l’impunité qui peut en résulter ?

Mme Laure Bezault. Monsieur le rapporteur, les révélations ont assurément accéléré le changement de culture si ce n’est de l’entreprise, à tout le moins des rédactions. Les échanges avec les collaborateurs nous ont permis d’en prendre conscience.

D’une certaine passivité des collaborateurs, qu’ils soient hommes ou femmes, qui n’auraient jamais pu imaginer que le comportement de Patrick Poivre d’Arvor pouvait mener à des agressions ou à des crimes sexuels – seules les victimes le savaient –, nous sommes passés à un climat dans lequel chacun se sent responsable. Les discussions ont lieu au sein des équipes ; les mentalités ont évolué, de même que les dispositifs, pour identifier et éviter les VHSS.

S’agissant de la starification, la proximité de la direction de l’information avec les rédactions et les collaborateurs – autrement dit, les équipes qui font les journaux télévisés au quotidien et qui rassemblent des millions de téléspectateurs tous les jours, celles qui font les antennes ou même les supports numériques – ainsi que le constant rappel que les compteurs sont remis à zéro chaque jour sont de bons antidotes.

Certes, une personne présente devant des millions de téléspectateurs tous les soirs un journal mais elle est dépendante du travail et de la bonne volonté de chaque membre de la rédaction – constituée de 700 collaborateurs – : celui qui allume votre micro, celui qui vous éclaire, celui qui vous met un peu de poudre pour éviter de briller, celui qui est sur le terrain, dans des zones géographiques où il faut un certain courage et une certaine responsabilité pour rapporter des images et raconter ce qui est en train de se passer. Ce qui importe, c’est le travail de chacun et la responsabilité de chacun. Le présentateur, ou celui qui passe à l’antenne, ou celui qui a quelques galons ou quelques étoiles sur son costume, ou sur sa robe, n’est pas si important. Voilà la culture que nous essayons d’entretenir à TF1 aujourd’hui. Je ne sais pas si elle est différente de celle qui existait avant mon arrivée.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie beaucoup pour ces réponses. N’hésitez pas à nous adresser des compléments éventuels, en précisant pour les informations qui pourraient relever du secret des affaires si vous ne souhaitez pas les voir diffusées. Pour notre part, si nous avons des questions complémentaires, nous nous réservons la possibilité de vous auditionner à nouveau.

 

La séance s’achève à quinze heures trente.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau