Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

- Union syndicale des employeurs publics du spectacle vivant (USEPSV) :

- Mme Aurélie Foucher, membre du Profedim

- M. Sébastien Justine et Mme Gaëlle Le Dantec, membres des Forces Musicales

- Mme Laurence Raoul, membre du Syndicat national des scènes publiques (SNSP)

- M. Vincent Moisselin et Mme Anne Monfort, membres du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC)

- M. Jean-Yves Mirski, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC) et Mme Astrid Reymond, secrétaire générale

- M. Denis Declerck, délégué général de La Scène indépendante, Mme Jessie Varin, directrice de La Nouvelle Scène et Mme Chrystèle Jongenelen, responsable communication et relations extérieures de la Scène indépendante              2

– Présences en réunion................................18

 


Mercredi
11 décembre 2024

Séance de 14 heures 45

Compte rendu n° 16

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures cinquante.

 

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos auditions en recevant les organisations professionnelles du spectacle vivant.

J’accueille donc Mme Aurélie Foucher, membre du Profedim ; M. Sébastien Justine et Mme Gaëlle Le Dantec, membres des Forces Musicales ; Mme Laurence Raoul, membre du Syndicat national des scènes publiques (SNSP) ; M. Vincent Moisselin et Mme Anne Monfort, membres du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC) ; M. Jean-Yves Mirski, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC) et Mme Astrid Reymond, secrétaire générale ; M. Denis Declerck, délégué général de La Scène indépendante, Mme Jessie Varin, directrice de La Nouvelle Scène et Mme Chrystèle Jongenelen, responsable communication et relations extérieures de La Scène indépendante.

Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant, notamment. Le théâtre, la danse et la musique sont, comme le cinéma, traversés par le mouvement MeToo. Ils connaissent en effet les mêmes facteurs de risque : précarité de l’emploi, carrières fragiles et reposant sur la force d’un réseau, personnalités puissantes et médiatisées qui peuvent décider du sort des uns et des autres, exigence artistique aiguë et engagement du corps.

Comment les entreprises que vous représentez prennent-elles à bras-le-corps leur responsabilité juridique, en tant qu’employeurs, et leur responsabilité sociale, en tant que partenaires économiques d’autres acteurs ? Quels garde-fous existent aujourd’hui pour préserver les artistes, les techniciens, les personnels, les éventuels bénévoles ou les festivaliers des violences morales, sexistes ou sexuelles ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale, et que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Aurélie Foucher, Mme Laurence Raoul, M. Sébastien Justine, Mme Gaëlle Le Dantec, M. Vincent Moisselin, Mme Anne Monfort, M. Jean-Yves Mirski, Mme Astrid Raymond, M. Denis Declerck, Mme Jessie Varin et Mme Chrystèle Jongenelen prêtent successivement serment.)

M. Jean-Yves Mirski, président de la FESAC. La FESAC regroupe vingt-neuf organisations professionnelles d’employeurs représentatives dans dix conventions collectives et représentant plus de 4 000 entreprises adhérentes. Elle est l’unique organisation professionnelle d’employeurs du secteur du spectacle vivant et du spectacle enregistré qui soit représentative au niveau national et multiprofessionnel. Elle intervient principalement dans le champ social auprès des pouvoirs publics et négocie des accords professionnels interbranches, comme celui relatif à l’assurance chômage.

Le point de départ de la lutte de la FESAC contre les violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) est la signature en juin 2020, avec les organisations syndicales de salariés, d’un plan d’action pour promouvoir l’égalité femmes-hommes et lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans le secteur du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma. Il est important de rappeler que l’initiative est venue du secteur lui-même. Le cinquième axe de ce plan, dédié à la lutte contre les VHSS, prévoyait notamment la mise en place d’une cellule d’écoute des victimes et de suivi psychologique et juridique, qui est aujourd’hui opérationnelle, ainsi que la formation des personnels de structure, qui fait l’objet de travaux au niveau des branches.

La FESAC a encouragé l’ensemble de ses organisations membres à s’impliquer et à négocier des accords visant à renforcer la lutte contre les VHSS dans les entreprises. De nombreuses branches ont suivi, élaborant notamment des guides pratiques.

La FESAC a donc été à l’initiative, aux côtés des organisations syndicales de salariés, de la création de la cellule gérée par Audiens, qui a ouvert en juin 2020. Elle est partie décisionnaire au comité de pilotage, assure le suivi de la cellule chaque année depuis sa mise en place et contribue à son financement à hauteur de 20 000 euros annuels environ.

Pour renforcer la lutte contre les VHSS, il nous semble nécessaire de développer l’aide juridique aux victimes au delà de la consultation proposée par la cellule, mais aussi de mieux accompagner les petites et moyennes entreprises et structures dans lesquelles sont signalés des faits : celles-ci ont besoin d’un appui pour prendre des décisions à la fois appropriées et plus réactives qu’aujourd’hui. Du fait de leur taille et de leurs faibles moyens financiers, elles sont en effet souvent démunies de ressources internes, sur le plan humain comme juridique. Confrontées à ce type de situation, certaines appellent même la cellule d’écoute, qui n’est pourtant pas le dispositif adapté. Depuis quelques mois, nous évoquons avec le ministère de la culture et avec Audiens la mise en place d’une cellule parallèle qui renseignerait les entreprises sur ce qu’elles doivent faire quand des faits sont avérés, toujours dans l’idée d’aider les victimes.

Enfin, l’élargissement du champ d’action de la cellule à de nouveaux secteurs relevant du ministère de la culture nous semble nécessaire ; il est d’ailleurs en cours, avec pour objectif de conserver un numéro unique et d’éviter la multiplication des cellules.

Mme Anne Monfort, SYNDEAC. Nous avons mis en place et financé des formations dès 2023, avant que l’État ne prenne le relais et n’en fasse une condition nécessaire au versement de toute subvention. Ce qui nous semble essentiel, c’est que plusieurs personnes soient formées au sein d’une même structure, et non pas seulement les membres de la direction ou la personne qui se sent concernée par le sujet. Cela vaut également pour les toutes petites structures employant très peu de permanents, voire aucun, comme la compagnie que je dirige.

On sait de longue date, comme nous l’exposons dans le livret « Les égalités dans le spectacle public », que les violences sexistes ont à voir avec la question du pouvoir. C’est la raison pour laquelle il nous semble important de travailler sur la parité des moyens entre hommes et femmes : qui écrit les récits ? Qui a le pouvoir d’employer ?

M. Sébastien Justine, membre des Forces musicales. L’USEPSV représente les entreprises du secteur public du spectacle vivant, qui assurent une mission de service public et dont le financement est assuré par l’État et les collectivités locales. Les quatre organisations qui la composent ont pris à bras-le-corps la question des violences sexistes et sexuelles afin de renforcer au sein de la branche, au delà des mesures sectorielles, l’arsenal juridique mis en place pour que les entreprises puissent remplir leurs obligations. Le respect de celles-ci peut en effet soulever quelques difficultés, et deux volets de l’accord portant sur la prévention et les sanctions entré en vigueur en novembre 2022 méritaient d’être renforcés.

La première concerne la prévention : il faut que les entreprises puissent instaurer des procédures internes, de signalement notamment, qui s’adressent à l’ensemble des personnels permanents mais aussi intermittents, lesquels ne sont présents que de façon temporaire. Nous avons tous fait le constat qu’il était difficile pour les employeurs de faire remonter les signalements ou témoignages relatifs aux comportements inappropriés ou aux violences. Nos structures emploient non seulement plusieurs catégories de personnel mais accueillent aussi diverses entreprises, si bien qu’elles ne sont pas nécessairement l’employeur de tous les intervenants : il s’agit d’articuler la coactivité. Nous avons donc renforcé les moyens de prévention, en termes notamment d’affichage et de procédures, et travaillons aujourd’hui sur les règlements intérieurs afin que, quel que soit son statut, toute personne soit soumise à des règles communes.

Le second volet concerne la gestion des actes délictueux, notamment les sanctions. L’une des difficultés tient au fait que, certains personnels n’étant pas permanents, ils ne sont plus sous l’autorité de l’employeur au moment où l’enquête est déclenchée. C’est la raison pour laquelle nous avons renforcé les procédures d’intervention.

L’enjeu est non seulement d’accompagner les entreprises et de former les personnes en charge des VHSS, notamment les référents, mais peut-être aussi de développer de nouvelles compétences pour gérer les relations entre directions artistiques et interprètes, voire entre interprètes eux-mêmes. L’affaire Chloé Briot, survenue il y a quelques années dans le milieu de l’opéra, a soulevé la question des scènes pouvant générer des comportements abusifs. L’intervention d’un coordinateur d’intimité, comme il en existe déjà dans d’autres secteurs, pourrait s’avérer très utile dans ce type de situation.

Mme Aurélie Foucher, membre du PROFEDIM. Les très petites entreprises et associations représentent 98 % de nos adhérents : de fait, la branche leur apporte un appui important pour traiter les sujets sociaux. Pour faciliter l’application de notre accord de branche, nous avons mis en place une boîte à outils très complète que nous continuons d’enrichir. Nous nous sommes efforcés de penser à tout et avons mis à disposition des modèles de conduite d’entretien et d’enquête, ainsi que des courriers types destinés aux victimes, aux mis en cause et aux témoins. Néanmoins, nous avons constaté que cet outillage n’était pas suffisant pour déclencher les signalements. Nous soumettons donc à votre commission l’une de nos pistes de réflexion, inspirée de ce qui se fait à l’étranger : dans certains pays, une autorité en charge des enquêtes permet d’opérer des recoupements entre des faits commis dans des entreprises différentes. En France, on pourrait imaginer que ce rôle soit confié à la cellule d’écoute, à un haut fonctionnaire ou bien au Défenseur des droits. Cette piste nous semble intéressante pour multiplier les points d’entrée et surmonter la difficulté qu’il y a à témoigner – laquelle perdure, d’après le bilan de la cellule d’écoute.

Alors que nous sommes parfois contactés par des témoins, nous ne pouvons pas, en tant qu’organisations professionnelles, saisir le procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Nous les renvoyons alors vers la cellule d’écoute, vers la haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations du ministère de la culture ou vers les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Mais nous nous heurtons à un obstacle important, celui de l’anonymat, qui est important pour protéger les victimes. Interrogée à ce sujet, la haute fonctionnaire nous a indiqué que, pour saisir le procureur dans le cadre de l’article 40, il fallait un témoignage circonstancié – fût-il anonyme –, mais qu’une levée de l’anonymat était nécessaire pour que la procédure aille plus loin. Ce qu’il faudrait, pour faciliter les témoignages, c’est que des faits commis par une même personne, ayant fait l’objet d’un recoupement, puissent conduire au déclenchement d’une pré-procédure sans que l’anonymat des victimes soit levé. On constate en effet que les dépôts de plaintes surviennent lorsqu’il y a convergence des témoignages : les victimes ne souhaitent pas agir seules.

Mme Laurence Raoul, membre du SNSP. L’accord signé dans la branche du spectacle vivant subventionné prévoit des dispositions pouvant s’appliquer hors situations contractuelles : la procédure d’enquête peut ainsi être engagée même si la personne mise en cause a entre-temps changé de structure. L’accord prévoit aussi une prise en charge financière et matérielle pour permettre à l’employeur de prendre part à une enquête ou à une procédure non obligatoire. Il ouvre également la possibilité pour toutes les structures, y compris celles qui emploient moins de 50 équivalents temps plein (ETP), de faire appel à un référent VHSS.

Nous avons beaucoup travaillé aussi sur les formations destinées aux dirigeants, à leurs adjoints et aux cadres, que nous avons eu la chance de pouvoir organiser dans les salles de spectacle de nos adhérents. À la fois opérationnelles et techniques, ces formations abordent les évolutions législatives, jurisprudentielles et sociétales : ce qui était tolérable il y a trente ans ne l’est parfois plus du tout aujourd’hui. Elles permettent aux dirigeants de relayer au sein de leurs structures le discours sur le respect dû aux uns et aux autres, et leur apprennent à mesurer les signaux faibles.

Mme Chrystèle Jongenelen, responsable communication et relations extérieures de La Scène indépendante. La Scène indépendante, Syndicat national des entrepreneurs de spectacle, existe depuis 1920, ce qui en fait le plus ancien syndicat de la profession. Nos adhérents sont des entreprises privées, mais nous nous associons aux démarches engagées dans la branche et avons conclu un accord portant sur la prévention des violences sexuelles et des agissements sexistes, entrés en vigueur le 1er janvier 2024. Depuis de nombreuses années, nous organisons aussi des formations à destination de nos adhérents et avons mis en place une boîte à outils pour l’ensemble des professionnels du secteur. Cet accord, qui complète les dispositifs mis en place, a une visée pédagogique très forte. Nous encourageons le dialogue au sein des entreprises et nous efforçons d’assurer, à notre échelle, leur suivi et leur accompagnement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La spécificité du secteur tient au fait que travaillent parfois sur un même projet les salariés d’un théâtre – les techniciens, par exemple – et les comédiens de la compagnie hébergée. Comment faire si le directeur de cette compagnie décide de protéger l’un de ses acteurs accusés de faits délictueux à l’encontre d’un salarié du théâtre – et vice versa ? Que prévoient vos procédures de crise ?

Les enquêtes administratives ont un caractère obligatoire lorsque des faits de VHSS sont signalés, mais elles ne font pas l’objet de règles précises. Qui les réalise, au sein de vos structures ? Estimez-vous nécessaire de mieux les encadrer ?

L’article 40 fait obligation à une personne dépositaire de l’autorité de signaler au procureur de la République un délit ou un crime dont il a connaissance. Mais sachez que tout le monde peut faire un signalement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Lorsque les faits concernent des mineurs, l’obligation de signaler vaut pour tout le monde.

Mme Aurélie Foucher. L’article 18.6 de l’accord de branche prévoit que, dans le cas de la coactivité, les entreprises ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les règles et les mesures de lutte contre les VHSS s’appliquent à tout le monde, qu’il s’agisse des sous-traitants ou d’une compagnie accueillie. Dans les faits, ce n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. C’est un sujet sur lequel on travaille.

L’intérêt de l’article 40 est, d’une certaine manière, de renverser la charge de la preuve. Je vous cite un cas auquel nous avons été confrontés : un signalement pour des faits anciens et répétés a été effectué dans une structure membre de notre organisation professionnelle. Selon le protocole que nous avons mis en place, nous recevons le responsable légal de la structure pour savoir quelles mesures de prévention et de protection ont été prises et quelles étapes ont été suivies depuis l’alerte. Or le président de structure a ensuite fait l’objet d’une plainte pour diffamation. L’article 40 prémunit contre une telle issue puisque l’autorité constituée peut signaler les faits tels qu’ils lui ont été rapportés sans engager sa responsabilité. On pourrait réfléchir à l’opportunité de l’étendre à tout le monde, mais c’est un autre débat. Quoi qu’il en soit, la notion d’autorité constituée mériterait d’être bien définie pour être plus adaptée à la réalité.

La question de savoir qui fait les enquêtes est très pertinente. Compte tenu de la multiplicité des situations, les modalités d’enquête sont très variables et mériteraient d’être un peu encadrées. Selon que les enquêtes sont menées par une structure spécialisée, un cabinet d’avocats, ou un autre interlocuteur, elles ne sont pas effectuées de la même manière ni peut-être avec la même objectivité – par exemple, lorsqu’il existe des liens entre les enquêteurs et la gouvernance de la structure ou ses mécènes. L’indépendance des auteurs de l’enquête devrait être questionnée.

Mme Laurence Raoul. Dans le cadre des formations que nous avons nous-mêmes suivies, la question de l’objectivité et de l’indépendance par rapport à l’autorité est largement abordée. La personne chargée de l’enquête interne doit non seulement être indépendante mais aussi dotée d’un savoir-faire dans la prise de parole et l’écoute ainsi que dans l’appréciation des éléments de preuve, qui sont rarement évidents. Cela signifie être capable d’interpréter un faisceau d’indices et des changements de comportements soudains.

En tant qu’organisation professionnelle, nous recommandons vivement aux entreprises de s’assurer de l’indépendance de la personne qui enquête. Nous leur fournissons des noms pour leur éviter d’avoir à chercher dans la panique. Nous insistons beaucoup sur la valeur des conclusions de l’enquête. Si une procédure judiciaire était ouverte, l’enquête interne n’aurait pas d’intérêt.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je veux tordre le cou à une idée reçue : une enquête administrative et une enquête pénale peuvent tout à fait être menées de front.

Mme Laurence Raoul. Je n’ai pas dit le contraire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En pareil cas, l’enquête administrative conserve tout son intérêt puisqu’elle a l’avantage du temps court, contrairement à la justice pénale qui a besoin du temps long.

M. Sébastien Justine. Je souscris à ce qu’ont dit mes collègues.

Plusieurs de nos adhérents ont mis en place des protocoles en vertu desquels les enquêtes sont menées par les entreprises elles-mêmes. Lorsqu’un tel choix est fait, il nous est systématiquement signalé les problèmes de conflictualité, de loyauté ou d’intérêt qu’il pose, quand bien même la personne chargée d’enquêter est formée. Par ailleurs, selon la taille de la structure ou les habitudes de travail, le signalement peut créer une ambiance extrêmement complexe à gérer pour les responsables. La meilleure solution est de déporter l’enquête hors de l’entreprise pour que ses auteurs puissent travailler en toute sérénité, à l’écart des complexités relationnelles.

En ce qui concerne la prévention, nous recommandons aux entreprises trois types de mesures. En premier lieu, il faut créer un environnement propice. Autrement dit, l’information et la pédagogie doivent donner le sentiment aux salariés que ces questions sont prises en considération et traitées, et que leur éventuel témoignage ne les placera pas dans une position d’insécurité. C’est la raison pour laquelle l’accord renforce les obligations d’affichage mais aussi toutes les mesures concourant à créer un climat de nature à rassurer les personnes susceptibles de témoigner ainsi qu’à inciter les personnels à intégrer cette problématique dans leur attitude au quotidien.

En deuxième lieu, l’obligation de formation des dirigeants est l’une des premières décisions qu’ont prises les entreprises. De plus en plus, celle-ci s’impose à l’ensemble des personnels. Il ne suffit pas d’être sensibilisé, il faut être formé, c’est-à-dire avoir une approche experte du sujet pour dépasser les préjugés.

En troisième lieu, les entreprises peuvent prendre des mesures pour que leur fonctionnement même empêche la survenance des violences. C’est assez fréquent s’agissant des mineurs ; des règles sont établies pour éviter que des mineurs se retrouvent seuls avec un adulte.

En ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles sur des majeurs, il est nécessaire d’encadrer de manière renforcée le travail artistique. Je pense au métier de coordinateur d’intimité et plus généralement aux moyens de gérer le travail artistique lorsqu’il occasionne des atteintes à l’intégrité physique ou à l’intimité.

Par ailleurs, il faut aussi trouver des solutions aux difficultés liées à l’organisation spécifique de notre travail d’entreprise de spectacle : comment gère-t-on le temps long d’une tournée où des gens passent beaucoup de temps ensemble, y compris hors du temps de travail ? Les relations entre les équipes artistiques permanentes peuvent s’étendre sur la durée ; parfois des liens se créent à l’intérieur des équipes. Comment gérer ces situations dans lesquelles la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle n’est pas toujours très claire ? Comment éviter que cette frontière ne soit trop poreuse et comment appréhender les violences en dehors du temps de travail ? Ce n’est pas une mince affaire pour des employeurs qui, normalement, n’exercent leurs responsabilités que pendant le temps de travail.

Mme Anne Monfort. Je reviens sur l’interférence entre compagnies et lieux.

Nos adhérents ont porté à notre connaissance le cas d’équipes programmées dans leur lieu, qui comptaient un membre sur lequel pesait un faisceau d’indices concordants. Ils ont décidé, au nom du principe de précaution et de l’obligation qui leur incombe de garantir le bien-être au travail et la sécurité de leurs salariés, d’annuler la venue de ces personnes. C’est donc possible.

Par ailleurs, certains de nos adhérents ont décidé de former l’ensemble de leurs salariés et c’est vrai, cela change tout.

La dimension financière et la formation jouent un rôle mais le soutien des tutelles est aussi important. Dans le cas que j’ai cité, celui qui a pris la décision a eu du mal à obtenir l’autorisation de sa tutelle parce que c’était difficile à faire comprendre. Cela s’est passé il y a quelque temps, ce serait sans doute mieux compris aujourd’hui. Au-delà des démarches individuelles ou de branche, il faut pouvoir compter sur l’engagement du service public dans son ensemble.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous représentez des secteurs qui cumulent les particularités, ce qui complique singulièrement le traitement des cas.

Dans le secteur du cinéma, il existe un comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) dont les auditions semblent mettre en lumière le rôle majeur qu’il pourrait jouer dans la prise en compte plus systématique des violences. Avez-vous une structure similaire ?

J’imagine que l’information circule aisément lorsqu’une star est en cause. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un technicien ou d’un membre d’une équipe, cela doit être plus compliqué puisque vous les embauchez sans connaître l’historique. Le CCHCST, s’il était chargé de mener les enquêtes administratives et de les centraliser, pourrait apporter une réponse au problème.

Mme Laurence Raoul. Le cinéma a fait le choix de créer un CCHSCT interbranches. Pour nous, la question s’est posée et nous sommes parvenus à la conclusion que ce n’était pas forcément opportun.

Le cinéma représente 200 ou 300 tournages par an. Pour le spectacle vivant, j’ignore le nombre de lieux et de représentations annuelles, mais il est évident qu’un préventeur n’est matériellement pas en mesure d’effectuer tous les contrôles.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le CCHSCT couvre le cinéma mais aussi la production audiovisuelle.

Mme Laurence Raoul. Chaque secteur a son CCHSCT.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Un préventeur vient effectuer des contrôles.

Mme Laurence Raoul. Oui. Outre la quantité de représentations, notre particularité tient à ce que certaines structures publiques, du fait de leur rattachement aux collectivités territoriales, sont dotées d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). En outre, si les tournages peuvent être très brefs, dans notre domaine, les productions peuvent l’être encore plus.

M. Vincent Moisselin, directeur du SYNDEAC. Les signalements ne concernent pas que les stars.

Depuis la conclusion de l’accord et le développement des formations au sein des entreprises elles-mêmes, la sensibilité au sujet est plus forte et les signalements beaucoup plus réguliers. Cela concerne aussi bien les techniciens que les accompagnateurs ou accompagnatrices administratives et tous les personnels de l’entreprise – du balayeur à l’agent de sécurité. Les formations ont cette grande vertu d’accroître la sensibilité et les signalements, bien plus nombreux que par le passé.

Notre objectif est d’éviter d’être entravé par le délai de prescription. La mission fondamentale de la cellule est, une fois les violences caractérisées, de convaincre les personnes qui appellent de déposer plainte et de faire procéder aux éventuelles constatations médicales. Le changement de paradigme trouve son illustration dans l’engagement de tout faire pour qu’il y ait des procès et des condamnations en misant sur la valeur d’exemplarité des décisions judiciaires.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si je me suis mal exprimée, je vous prie de m’en excuser, mais mon propos était précisément de dire que toute la difficulté portait sur les personnes peu connues qui pouvaient échapper aux procédures par manque de mémoire d’un lieu à l’autre.

Mme Anne Monfort. Si des faits nous sont rapportés, c’est aussi grâce à la présence de nombreux militants sur le terrain – je pense évidemment aux camarades de MeTooThéâtre – et à un éveil des consciences.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous rejetez donc l’idée d’un CCHSCT pour le spectacle vivant ? Ne serait-il pas un bon outil pour centraliser les informations, en particulier si l’on confiait aux référents la mission de faire un rapport à chaque fois qu’ils constatent une situation dysfonctionnelle ou problématique.

Quelle est la politique en matière de référent ? Y a-t-il un référent pour chaque salle et chaque compagnie ? Y a-t-il des référents par production de spectacle pour chaque étape – création, production, tournée – ou un référent par entité, qui peut être juge et partie ? Ce sont des questions importantes, car le travail sur les référents ne semble pas complètement abouti. D’autant qu’ils pourraient jouer un rôle de signalement auprès du CCHSCT. Ils seraient en effet en mesure de capter les signaux faibles. Si chacune des productions d’untel ou d’une telle donne lieu à des signalements, on peut commencer à envisager de mener une enquête.

M. Sébastien Justine. La question du CCHCST s’est posée il y a plusieurs années, à un moment où la question des violences n’était pas encore une préoccupation.

Dans notre souci de renforcer l’accompagnement des entreprises et de trouver l’outil ad hoc adéquat, il apparaît que le CCHSCT couvre un champ bien plus large que les seules violences puisqu’il s’intéresse aussi à la santé au travail. Lorsque nous avions examiné cette piste, il nous semblait difficile de le transposer au spectacle vivant en raison de la diversité des situations.

C’est la raison pour laquelle nous nous tournons aujourd’hui plutôt vers un outil spécifique qui pourrait pallier les difficultés que rencontrent les petites structures par manque de ressources et répondre au besoin d’un appui extérieur, indépendamment de la taille de la structure. Je m’interroge ; je ne sais pas si le CCHSCT permettrait de résoudre la question de l’information.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je n’ai pas obtenu de réponse sur les référents.

S’agissant des CHSCT, il faut prendre en considération le privé et le public. Dans le privé, en vertu de l’article 15.5 de la convention collective, « les partenaires sociaux entendent à travailler à la création d’un CHSCT de branche ». Où en est la réflexion, qui devait aboutir sous trois ans ?

M. Denis Declerck, délégué général de La Scène indépendante. Je ne dispose pas ici des éléments pour répondre à votre question avec précision.

Nous avons décliné l’accord dans la branche du spectacle vivant privé en reprenant la boîte à outils du public et en introduisant des dispositions particulières notamment pour répondre à la problématique de la coactivité. Nous avons élaboré un logigramme qui établit les responsabilités des uns et des autres et retrace les différentes étapes de la procédure pour traiter les signalements.

Quant au CCHSCT, les personnels naviguent du spectacle vivant au spectacle enregistré, du secteur public au secteur privé. Il y aurait donc sans doute un intérêt à ce qu’une entité centralise les informations. Nous nous sommes engagés à suivre cette piste. Il faut que nous avancions.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans votre secteur, les structures sont de nature et de taille si différentes que ce ne doit pas toujours être facile. Mais il en est de même dans le cinéma ou l’audiovisuel. Le CCHSCT apparaît comme une solution intéressante.

Les aides que vous recevez de la part des collectivités, des financeurs ou du ministère de la culture sont-elles conditionnées à la formation de vos personnels et à la mise en place d’une cellule ?

Mme Anne Monfort. Oui, les DRAC ont instauré une conditionnalité des aides et les collectivités territoriales s’y mettent aussi peu à peu. Néanmoins, c’est uniquement déclaratif. Une attestation est normalement nécessaire mais on peut la contourner en faisant état d’une réflexion en cours sur le sujet.

Mme Aurélie Foucher. En ce qui concerne les référents, c’est un point central sur lequel nous disposons encore d’une marge de progression.

Dans la branche des entreprises artistiques et culturelles, l’accord impose un comité social et économique conventionnel (CSEC) dans les entreprises dès 11 salariés. À partir de ce seuil, les référents bénéficient d’un crédit de vingt et une heures de formation.

Pour les autres structures, nous avons fortement préconisé la nomination de référents en assurant une certaine diversité : parité de genre, entre cadres et non-cadres, entre fonction administrative et artistique. Nous les encourageons à désigner un référent pour leurs effectifs intermittents et à faire une annonce en début de chaque production pour indiquer le numéro de la cellule d’écoute, qui est aussi affiché sur les lieux. Nous avons aussi rédigé une clause type à insérer dans les contrats des permanents et intermittents.

Nous expérimentons, nous tâtonnons un peu pour le moment. L’une des entreprises adhérentes à notre organisation professionnelle a fait le pari de nommer comme référent une personne externe à la structure. Il s’agit d’une personne qui fait un petit peu autorité, qui est formée et militante. Elle-même s’interroge sur sa capacité à se saisir des sujets le moment venu. Nous verrons si c’est une bonne idée ou pas.

Le message sur les référents est bien passé auprès de nos entreprises, me semble-t-il. La cellule d’écoute reste importante de par sa position extérieure. Même si une personne est en confiance avec un administrateur, permanent d’une structure mais détaché de la direction artistique, elle n’a pas forcément envie d’aller vers lui pour parler de quelque chose qui l’a mise mal à l’aise.

Mme Gaëlle Le Dantec, membre des Forces Musicales. Un réseau national des référents se met progressivement en place. Dans la musique, une association qui dispense des formations sur l’égalité et la lutte contre les VHSS a pris le parti de faire un état des lieux de l’existence de référents et d’enquêter auprès d’eux sur leurs besoins, les lacunes et les freins auxquels ils sont confrontés. C’est un poste que l’on peut accepter avec enthousiasme mais qui ne fait pas l’objet d’une fiche de poste ni d’un cadre très précis. D’où, souvent, un sentiment d’isolement, notamment lors du recueil de la parole, qui n’est pas si simple. L’enjeu est de ne plus rester silencieux, de partager des expériences, de mutualiser des ressources.

Mme Chrystèle Jongenelen. Depuis 2020, le Centre national de la musique (CNM) demande que les représentants légaux ou désignés d’une structure soient formés. Ce principe a été acté en 2023. L’Association du soutien pour le théâtre privé (ASTP) demande au minimum une formation de sept heures.

Mme Laurence Raoul. Au sein de l’Assurance formation des activités du spectacle (AFDAS), où nous siégeons tous, nous avons demandé et obtenu des déplafonnements afin que les actions de formation dans ce domaine, pour les référents mais pas seulement, soient libres d’accès, que leur financement soit assuré – dans la limite, bien sûr, des fonds de cet opérateur de compétences (OPCO).

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je voudrais revenir au lien entre formation ou prévention et subventions, qui m’apparaît encore peu clair.

Le producteur ou le responsable de la structure doit avoir suivi les formations pour bénéficier des aides de l’ASTP ou du CNM. Ce type d’obligation existe-t-il aussi dans le théâtre public pour les directeurs de compagnie ?

Les collectivités qui accordent les subventions demandent-elles la preuve de la formation ?

Tout cela pourrait-il être uniformisé, à partir des bonnes pratiques qui existent dans certains endroits ?

M. Vincent Moisselin. Pour le moment, les collectivités coupent, et dans tous les budgets ! C’est plutôt à cela que nous sommes attentifs ces temps-ci…

Les choses évoluent, mais nous ne pouvons pas pousser les feux à ce sujet compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales. En tout cas, les dispositifs se déploient et ce type de demande est de plus en plus fréquent. Cela ne nous pose pas de difficulté puisque nous formons sans cesse. Je ne suis pas sûr du chiffre à 100 %, mais je pense que la proportion de dirigeants d’entreprise – cadres, encadrants, administrateurs généraux – qui sont formés est d’au moins 80 %, et, comme nous l’avons dit, il en résulte souvent que les salariés sont formés à leur tour.

Le SYNDEAC envisage même désormais la mise à jour des formations pour les personnes déjà formées. En deux ans, il s’est passé énormément de choses, des jurisprudences se sont constituées. Nous proposerons donc prochainement une deuxième formation, peut-être pas aussi longue que celle qu’elle viendra compléter, mais qui permettra d’entretenir le niveau de compétence.

Mme Aurélie Foucher. Le recyclage des formations est une vraie question. Nous pouvons nous féliciter du fait que près de 80 % de nos encadrants aient été formés ; toutefois, il y a formation et formation. Ces encadrants sont ceux qui sont en lien avec les équipes ou ont une délégation pour s’occuper d’elles. Mais, dans un monde idéal, chacun devrait être formé précisément à l’endroit où il est.

Je pense aux directions artistiques. Dans les entités adhérentes à mon organisation, la plupart des coordinations artistiques sont assurées par des artistes qui sont eux-mêmes intermittents dans les structures dont le financement repose sur le projet qu’ils incarnent. Je trouverais intéressant – nous nous en étions ouverts au ministère de la culture, à sa délégation musique et à sa haute fonctionnaire chargée de l’égalité et de la diversité – que l’on sensibilise les personnalités à fort potentiel d’encadrement artistique au fait que lorsqu’on assure une direction artistique, même quand on est intermittent, on n’est pas seulement le collègue des gens avec qui on travaille. On peut être celui qui décide qui va revenir travailler pour la production suivante. On a une place particulière. Il y a encore du chemin à faire pour parvenir à cette prise de conscience. C’est une modalité de formation spécifique, différente de celle d’un directeur de théâtre, d’un directeur de festival ou d’un administrateur général. Qu’est-ce que j’incarne et qu’est-ce que cela peut induire pour les autres ? C’est une question de positionnement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est une réflexion très intéressante : il s’agit d’un angle mort. Mais cet aspect fait partie de la spécificité de votre secteur.

Le document que vous nous avez transmis comporte des chiffres effarants sur le caractère masculin des équipes artistiques. Les donnez-vous aux financeurs ?

M. Vincent Moisselin. Le document est public et nous l’adressons évidemment au ministère de la culture et à toutes les DRAC. Ce travail de comptage annuel de la présence des artistes femmes dans les distributions et programmations des théâtres publics est mené depuis cinq ans ; il y a eu des progrès les trois premières années, mais on constate maintenant une espèce de plafond. Notre objectif était d’atteindre la parité réelle en cinq ans ; nous en sommes encore loin. C’est un énorme problème. Nous allons donc procéder à des entretiens individuels avec les directions.

Les mauvais chiffres sont souvent dus à quelques très mauvais élèves alors que, globalement, les résultats ne sont pas si négatifs. Par exemple, les centres dramatiques nationaux atteignent presque la parité ; le fait que des établissements dirigés par des artistes soient les plus attentifs à la situation des artistes est un très bon signal.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Si je comprends bien le document, le problème est que d’importantes structures publiques, qui concentrent les budgets, sont davantage dirigées par des hommes que par des femmes.

Mme Anne Monfort. C’est un peu plus compliqué.

Il existe des inégalités certaines : on arrive à 46 % de centres dramatiques dirigés par des femmes, donc à une quasi-parité ; mais les femmes gèrent les plus petits centres et un tiers seulement des budgets – comme d’habitude. De plus, jamais une femme artiste n’a été nommée à la tête d’un deuxième centre dramatique après en avoir dirigé un premier. Les mandats sont de dix ans au maximum. Beaucoup d’hommes quittant la direction d’un « petit » centre dramatique se voient confier celle d’un gros centre où ils gèrent beaucoup d’argent. Pour les femmes, cela n’existe pas. Elles en dirigent un, en général petit, et ça s’arrête là : « Merci, bonsoir, vous commencez à être un peu âgée par ailleurs. »

Le livret que nous vous avons transmis présente le comptage interne à nos adhérents – nous avons tenté cette démarche pédagogique. La progression la moins forte concerne l’écriture. En 1924, Le Cri de Paris se demandait pourquoi il y avait peu de femmes auteurs dramatiques ; cent ans plus tard, on arrive toujours à la même conclusion – il y en a, mais leurs œuvres ne sont pas jouées et elles sont moins payées.

Par ailleurs, les aides déconcentrées relèvent du ministère de la culture et des structures déconcentrées en région.

On constate là, comme d’habitude, un « plancher collant », comme disent les Québécois et Québécoises : à la sortie des écoles d’art dramatique, le chiffre est de 50 %, mais il décroît à mesure que l’on monte dans les hauteurs. Ce qui recoupe la question précédente : les compagnies les plus riches, donc qui ont le plus fort potentiel d’emploi, sont dirigées par des hommes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il existe des indicateurs plutôt positifs. La carrière étant longue avant de prendre la direction d’un centre dramatique, n’y a-t-il pas simplement un effet retard ? Cette hypothèse ne vaudrait pas pour l’écriture, où les choses ne bougent pas ou guère, malgré les actions et les aides. Mais pour les postes de direction, je pense que l’on va dans le bon sens et que le retard ne peut pas être rattrapé d’un coup. Il est possible d’organiser en un an un festival dont on décide qu’il sera paritaire ; pour les centres dramatiques, l’évolution ne peut être que progressive, car les changements de direction n’ont pas lieu tous les ans.

Pour les compagnies de théâtre qui sont associatives, voyez-vous des lacunes à combler ou des éléments à améliorer au niveau législatif ? Je pense, par exemple, à l’application du code du travail aux membres d’une association.

Pour faire de la prévention, la formation suffit-elle ou y a-t-il des actions spécifiques à mener ?

J’aimerais enfin aborder les nouveaux métiers, comme la coordination d’intimité, dont on parle beaucoup à propos du cinéma mais qui n’est pas sans pertinence au théâtre, où le rapport direct au public s’ajoute à la nudité et à l’intimité. Ce métier se développe-t-il ? Pourrait-il être mutualisé entre le cinéma et le spectacle vivant ?

M. Sébastien Justine. Dans notre branche, 98 % des structures sont des associations. Pour mon organisation et le SNSP, les structures de droit public – régies, syndicats mixtes, etc. – font exception. Ces associations sont soumises aux mêmes règles et relèvent de la convention collective.

En ce qui concerne la coordination d’intimité, les exemples dont nous disposons viennent d’outre-Atlantique et du monde anglo-saxon en général : les États-Unis, le Canada ont beaucoup développé ces métiers, à la fois dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel et dans celui du spectacle vivant. Une étude d’observation menée par la Fédération internationale des acteurs et que l’on nous a récemment présentée dans le cadre du dialogue social européen montre que, souvent, les coordinateurs d’intimité exercent dans les deux secteurs. Néanmoins, il existe effectivement des spécificités dans le spectacle vivant : au rapport direct au public s’ajoute la temporalité. Un tournage occupe un temps relativement court dans la durée d’exploitation d’une œuvre et l’artiste ne joue plus une fois qu’il est terminé, alors que nous cumulons le temps de la répétition, où les coordinateurs d’intimité sont déjà présents, et celui de la représentation, où ils le sont davantage et doivent pouvoir intervenir au besoin. De plus, au stade de la représentation, on répète chaque jour les mêmes scènes.

Outre ces spécificités, il est aussi nécessaire de réfléchir aux compétences que requièrent ces métiers. On constate qu’ils sont exercés par des personnes aux profils divers : d’anciens juristes, mais aussi d’anciens danseurs, en raison de l’aspect chorégraphique du travail.

Mme Graziella Melchior (EPR). Avez-vous du recul sur l’action des référents ?

C’est M. le rapporteur, je crois, qui disait lors d’une autre audition que ce n’était pas la parole qui s’était libérée, mais l’écoute qui était plus répandue. Avez-vous aussi cette impression ?

Insistez-vous pour que les témoins signalent les faits ? Parfois, ils sont en difficulté car leur témoignage est considéré comme une dénonciation, qui peut être malvenue dans le secteur.

Mme Aurélie Foucher. La cellule d’écoute est également accessible aux témoins. Il était important pour nous qu’elle le soit car, souvent, les signalements sont transmis plutôt par ricochet.

Nous pouvons tous nous approprier la phrase de M. le rapporteur. L’écoute s’est modifiée, y compris la nôtre après tout le travail que nous avons fait. Nous souhaitons que cela continue.

Mme Laurence Raoul. Nous sommes tous très sensibles au problème des témoignages. Ce que les témoins potentiels craignent, c’est d’être déloyaux envers leur entreprise en dénonçant même une infraction grave et d’avoir moins de chances de trouver un emploi dans cet univers très précaire. Outre la cellule, nous avons donc proposé un système permettant la confidentialité.

M. Sébastien Justine. Dans la procédure d’enquête, nous devons appliquer les préceptes propres à toute enquête : confidentialité, contradictoire, etc. Nous y avons beaucoup réfléchi dans le cadre de notre accord de branche. C’est d’ailleurs en cherchant à garantir ces principes, pour que les gens ne redoutent pas des difficultés professionnelles s’ils témoignent, que nous en sommes venus à créer une boîte à outils.

Le développement de l’écoute est clairement l’axe principal des outils et des formations que nous proposons. Il s’agit d’apprendre à ceux qui sont aux responsabilités la manière d’accueillir la parole.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Quand il y a des mineurs sur un plateau, comment s’assurer des antécédents d’un intervenant ou de l’interdiction d’entrer en contact avec des mineurs qui pourrait peser sur lui ? Ne pensez pas que mon jugement soit fait à ce sujet : c’est une question très compliquée qui a aussi trait au respect de la vie privée.

M. Denis Declerck. Quand un mineur est employé dans un spectacle, une autorisation administrative est examinée par les services de l’État sous l’autorité du préfet. Celui-ci a accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Des recoupements sont donc possibles quand un enfant a été victime d’infraction. Mais l’équivalent n’existe pas pour les personnes amenées à entrer en contact avec des mineurs dans le cadre d’un spectacle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. L’autorisation administrative ne permet pas de vérifier leurs antécédents.

M. Denis Declerck. Il faut donc probablement muscler le dispositif.

Monsieur le rapporteur, notre organisation syndicale, qui assurait jusqu’à une date récente le secrétariat de la convention collective du spectacle vivant privé, a proposé la création d’un CCHSCT. Nous n’avons pas encore réussi à convaincre l’ensemble de nos partenaires au sein de la convention collective d’avancer concrètement sur cette voie.

S’agissant des modalités novatrices de lutte contre les VHSS au-delà de la formation et de l’information, je laisserai la parole à Mme Jessie Varin, membre de notre comité de direction et qui s’occupe de cette question au sein de notre syndicat.

Mme Jessie Varin, directrice artistique de La Nouvelle Seine. En tant que directrice d’une salle de spectacle d’humour, je représente un domaine assez jeune, où tout est à faire. Après avoir été bousculés, il y a quelques mois, par un MeTooStandUp et une enquête poussée de Mediapart, nous avons créé une charte des comedy clubs – des lieux en pleine expansion, qui fédèrent un grand nombre d’artistes et drainent beaucoup de spectateurs. La charte a été écrite aussi simplement qu’elle a été diffusée. Environ 250 personnes l’ont signée, ce qui représente quelque 90 comedy clubs partout en France. Les artistes étaient au courant, comme les spectateurs et les clients. Depuis, nous n’avons eu aucun signalement : elle a figé les VHSS autour du stand-up. Des remarques sexistes perdurent évidemment, surtout dans le monde de l’humour où la frontière est très fine. Nous avons conçu un petit kit de communication très simple, avec des stickers, qui a fait beaucoup de bien à ce milieu, en libérant la parole. C’est une toute petite initiative qui a eu des répercussions assez fortes, pour les artistes femmes notamment, qui ont réussi à s’exprimer beaucoup plus librement sur des sujets plus intimes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. À notre grand étonnement, pas une audition ne se passe sans que l’on mentionne une charte ! Il y a donc bien un sujet à creuser. Y a-t-il une clause éthique dans le contrat de stand-up ? Y réfléchissez-vous ? Est-elle impossible à inscrire ?

Mme Jessie Varin. Je vais vous lire un extrait de notre charte, qui a fait un peu débat : « Dans ce comedy club, aucune censure n’est appliquée sur les textes des artistes qui assument leur liberté de penser, d’écrire, de rire et de faire rire dans le respect des valeurs de non-discrimination portées par ce lieu. » La rédaction de cet article a demandé une grande réflexion ; les patrons de comedy clubs craignaient une censure.

Ces lieux sont très peu encadrés – c’est aussi pour cela que nous nous sommes associés à Derrière le Rideau. N’importe qui peut décider d’organiser un comedy club ; il n’y a aucun accompagnement. Quand la charte a été diffusée, nous avons reçu beaucoup de demandes de formation, mais de personnes qui n’étaient pas forcément des dirigeants d’entreprise. Nous avons étendu notre champ d’action et créé un événement relatif à la formation, qui aura lieu au mois de mars, pour lequel nous avons reçu un soutien du CNM.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La charte concerne le spectacle et non les comportements hors de la scène. Qu’en est-il de ce point de vue ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Y a-t-il une réflexion autour de loges non mixtes ? Dans les contrats avec vos artistes, y a-t-il des clauses éthiques et des rappels de la loi ? Êtes-vous assurés contre le risque d’une interruption de spectacle due à des violences sexistes et sexuelles, et des dépôts de plainte ?

Mme Aurélie Foucher. Concernant les loges, on ne nous a pas fait part de difficultés particulières. Cela peut peut-être poser un problème dans des lieux qui ne sont pas dédiés au spectacle – je pense notamment aux musiques de patrimoine qui utilisent parfois des lieux de culte assez mal équipés.

Nos contrats comprennent une clause, aux termes de laquelle l’employeur s’engage à garantir un environnement de travail épanouissant et sécurisant, en veillant au respect de chaque individualité dans le collectif. Elle précise que nous menons une politique active de prévention des violences sexistes et sexuelles, avec l’affiche informative de la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles (CCNEAC) et les coordonnées des référents.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est donc pas un engagement du comédien à bien se tenir ?

Mme Aurélie Foucher. On considère que la loi l’y oblige.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La loi n’est pas très connue. Surtout, vous savez bien qu’elle ne suffit pas pour empêcher la commission des violences sexistes et sexuelles.

Mme Laurence Raoul. La question des loges demanderait une analyse un peu plus approfondie. Il est préconisé d’y afficher les alertes, parce que c’est un endroit où l’on a le temps de lire.

Sur l’encadrement, en tant qu’entreprise, nous ne pouvons demander que le bulletin n° 3 du casier judiciaire.

Quant aux assurances, nous nous sommes penchés sur cette question. Lorsqu’une tête d’affiche fait l’objet d’une dénonciation dans la presse, les directions des lieux se retrouvent très démunies. Nous réfléchissons avec des agents d’assurances pour essayer de mutualiser cette question majeure.

M. Denis Declerck. Dans le spectacle vivant privé, les règlements intérieurs contiennent une clause spécifique sur la lutte contre les VHSS. Elle renvoie à la convention collective et à l’accord de branche, aux articles du code du travail relatifs aux sanctions encourues, à la cellule d’écoute Audiens et à la liste des conseillers conventionnels. En l’absence d’un CCHSCT, c’est un moyen de tracer les faits réels ou supposés dans les entreprises.

Mme Aurélie Foucher. Sur nos quelque 220 adhérents, aucun festival n’est assuré contre les risques VHSS. C’est très cher. Les contrats d’assurance sont assez basiques dans nos structures, dont le contexte économique est particulier. Contrairement au cinéma, dans notre secteur, il y a beaucoup de dates uniques. Nous avons parfois recours à des artistes intermittents qui peuvent faire l’objet d’un signalement. Quand la structure employeuse nous appelle pour prendre conseil, nous prônons l’obligation de santé et de sécurité et l’orientons vers une mesure conservatoire. Elle suspend donc quelqu’un avec qui elle avait signé un contrat de travail, c’est-à-dire qu’elle continue de le rémunérer, tout en devant recruter quelqu’un d’autre. Cela paraît très anecdotique, mais vu le nombre des signalements, cela commence à peser sur l’économie des structures. Le Fonds national pour l’emploi dans le spectacle (Fonpeps) ne permet malheureusement pas de recourir à une aide spécifique dans le cas où l’on fait bien son travail et où l’on prend une mesure conservatoire. Il est très important de pouvoir élargir la cellule d’écoute. Les structures sont très fragiles et le problème est systémique. On doit agir à tous les endroits et apporter aux entreprises tous les moyens d’agir correctement pour les victimes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous vous transmettrons un questionnaire pour que vous complétiez vos réponses, le cas échéant. Nous sommes également preneurs de vos chartes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous vous remercions pour vos réponses. Si nous avons des questions supplémentaires, nous nous permettrons de vous réinterroger, par écrit ou lors d’une nouvelle audition.

 

La séance s’achève à seize heures trente-cinq.


Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, M. Stéphane Mazars, Mme Graziella Melchior, Mme Sandrine Rousseau