Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS, opérateur de compétences (OPCO) des secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Renaud, acteur, réalisateur et scénariste 12

– Présences en réunion................................29


Jeudi
12 décembre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

La commission auditionne M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS, opérateur de compétences (OPCO) des secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS, qui est l’opérateur de compétences (OPCO) des secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement.

L’AFDAS est un guichet unique pour la formation et l’accompagnement des carrières des salariés, des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel et des artistes-auteurs.

Depuis le début de nos auditions, nous entendons très régulièrement parler de votre action en matière de formations relatives à la lutte contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS). Il nous a dès lors paru indispensable de vous entendre dans le cadre de cette commission d’enquête.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous céder la parole pour des propos liminaires, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thierry Teboul prête serment.)

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Parmi les missions de l’AFDAS se trouve en effet la participation à la professionnalisation des acteurs du secteur. Je me concentrerai, lors de cette audition, sur le secteur du spectacle vivant et enregistré. Depuis 2020, nous sommes fortement sollicités par les partenaires sociaux — tout autant du côté des organisations syndicales que des organisations patronales — pour construire une véritable politique de formation sur la lutte contre les VHSS.

Après une période de tâtonnements, nous sommes aujourd’hui dans une logique de mise à l’échelle de ces politiques de formation.

Il nous a d’abord fallu trouver des contenus et des formats ainsi que toute l’agilité nécessaire pour les faire correspondre à des modes de création, de production et de diffusion qui ne facilitent pas l’instauration d’une culture de la prévention, car les personnes sont souvent de passage.

Il n’est pas facile de procéder à une institutionnalisation du sujet dans la durée. En matière d’ingénierie, nous nous sommes ainsi attachés, avec les équipes de l’AFDAS, à fabriquer des parcours qui rencontrent l’adhésion des professionnels.

Les acteurs, la gouvernance de l’AFDAS et les partenaires sociaux ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter un effet d’éviction de ce type de formation par rapport à une autre formation, ce qui constituait un enjeu majeur. Pour cela, nous avons levé un certain nombre de carences et réservé des budgets spécifiques. Ainsi, l’année dernière, nous avons consacré près de 1 million d’euros sur les 800 millions d’euros de notre budget à ces formations.

Nous sommes donc dans une logique de passage à l’échelle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Merci pour ces précisions. Nous avons beaucoup entendu parler de vos formations et de l’utilité du travail effectué par l’AFDAS.

Compte tenu de votre position et de l’expérience acquise à travers ces formations, quels obstacles persistent selon vous pour obtenir un véritable changement de comportement et un plus grand respect dans les secteurs du cinéma et du spectacle vivant ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Contrairement à ce que l’actualité médiatique pourrait laisser penser, je constate davantage de raison, et moins de passion, dans le traitement de ce sujet. Cette première phase de passion, qui était nécessaire pour poser ces questions sur la table, me semble quelque peu derrière nous. Je précise que j’évoque ici le monde du travail et non le monde artistique en tant que tel.

Ce sujet n’était pas traité jusqu’alors, car on considérait que le travail dans le secteur de la culture n’en était pas vraiment un. Il nous a fallu opérer un recadrage. En effet, dans la mesure où il s’agit d’un travail, le code du travail s’applique. L’un de nos principaux objectifs a été de réinscrire les activités de création, de diffusion et de production dans un cadre de travail, ce qui n’avait pas toujours été bien pensé comme tel. En termes de prévention, nous réglerions peut-être un certain nombre de problèmes en rappelant le cadre, notamment en définissant mieux les frontières entre temps de travail et temps personnel, particulièrement floues dans le secteur culturel.

La liberté de création ne peut pas être opposable à un cadre de travail.

Ce sujet a été beaucoup évacué par le passé. Le temps est au procès du passé, mais j’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une autre phase, comme en témoigne l’intérêt pour des formations, notamment en management, auxquelles peu d’attention était auparavant portée dans ces structures.

Bien que le terme lui-même, et ses contingences idéologiques, aient pu précédemment être écartés d’un revers de main par le monde du spectacle vivant et enregistré, ce dernier développe aujourd’hui sa propre doctrine de management. Après tout, nous ne sommes pas obligés de faire de l’importation idéologique en même temps que nous importons sémantiquement cette question dans nos structures.

À partir du moment où nous identifierons des liens de subordination, nous aborderons différemment la question de la déviance sur les tournages, les festivals ou les scènes de théâtre. C’est le vrai tournant que nous prenons aujourd’hui.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pensez-vous que les formations sur les VHSS ont joué un rôle dans cette évolution ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Je le crois en effet, car, dans les contenus que nous avons élaborés, il y a toujours l’idée de réinscrire le traitement et la prévention des VHSS dans un cadre de travail.

Si le secteur culturel passe médiatiquement pour le vilain petit canard, il me semble au contraire presque en avance par rapport à d’autres secteurs, qui devraient s’inspirer des questions que nous nous sommes posées. De par son exposition, le monde de la culture est rapidement mis en lumière en cas de problème mais, plutôt que recevoir des leçons, il pourrait au contraire, parfois, en donner.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je souhaite rebondir sur votre remarque concernant le sentiment que le travail n’en serait pas vraiment un dans le secteur culturel. Je note qu’il s’agit évidemment d’un travail, parfois difficile.

Nous avons constaté, même si nous sentons que cela s’arrange, un manque global de formation en matière de droit du travail. Il ressort de nos auditions que nombreux sont ceux qui ne disposent pas d’une connaissance aiguë du code du travail, de l’encadrement et des règles relatives au rapport employé-employeur, notamment des obligations de l’employeur en matière de protection de la santé mentale et psychique de l’employé. Proposez-vous des formations spécifiques sur le code du travail ? Si ce n’est pas le cas, envisagez-vous d’en proposer ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Concernant les relations de travail, nous constatons actuellement une forte demande du secteur pour un accompagnement en matière d’ingénierie de formation, après une période où les logiques d’importation ont primé.

J’ai plutôt l’impression qu’il existe aujourd’hui une demande pour que nous fabriquions des programmes de management spécifiquement dédiés à la culture, prenant en compte les particularités des processus de création, de diffusion et de production. L’AFDAS a publié, sous ma coordination, un ouvrage intitulé Pour en finir avec les idées fausses sur le management dans la culture. Il faut d’abord désapprendre certaines pratiques pour réapprendre à travailler.

Des expériences très intéressantes sont menées, telles que la création, par l’organisation d’employeurs Ekhoscènes, de la formation au management « Quel cap ? », suivie conjointement par un dirigeant et un salarié afin de repenser ensemble un new deal social au sein de l’entreprise autour de ces questions de relations de travail.

Nous assistons donc à une effervescence quasi créatrice au sujet du management dans le secteur culturel. Bien que nous n’en soyons pas encore à la phase de mise à l’échelle ni d’industrialisation, nous utilisons ces premières expériences pour les modéliser et les diffuser plus largement.

Nous gagnerons à développer, presque en amont, ce type de formations de lutte contre les risques psychosociaux et les VHSS.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il faut savoir dans quel cadre on les applique.

Nos auditions ont effectivement révélé une transition d’un processus de création basé sur le don et la vocation vers un processus de travail formalisé en tant que tel. Certains acteurs étaient conscients d’être dans une relation de travail mais celle-ci était souvent floutée afin de dépasser les horaires et les contraintes.

Cette situation soulève également des enjeux financiers, dont nous avons mesuré l’ampleur au sein de cette commission et qui jouent également un rôle.

Vos formations sont-elles payantes pour les structures ? Quel budget représente le suivi d’une formation ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Nous finançons les formations mais ne les dispensons pas. L’AFDAS est l’OPCO qui accueille les demandes et les finance auprès de ceux qui ont des droits à la formation.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous intervenez donc dans le cadre des droits à la formation.

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Tout à fait. C’est pour cela que nous veillons à ce qu’il n’y ait pas d’effet d’éviction entre, par exemple, la formation sur les VHSS et d’autres formations liées au cœur de métier. Notre volonté politique est forte dans ce domaine. Ainsi, nous avons décidé d’affranchir ces formations de toutes contraintes financières et avons isolé un budget de 1 million d’euros spécialement dédié à ce sujet sur le budget total d’environ 50 millions d’euros destinés à la formation des intermittents du spectacle. De plus, ces formations sont affranchies de toute carence. Si un intermittent du spectacle se forme sur ce sujet, cela ne l’empêchera donc pas de demander une autre formation liée à son cœur de métier.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est intéressant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous collaboré avec le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) sur les formations obligatoires pour l’obtention de leurs aides ? Avez-vous des retours sur ces formations et des suggestions d’amélioration ? Le CNC lancera, à partir du 1er janvier 2025, un nouveau cycle de formation plus large, avec un budget conséquent, d’environ 2 millions d’euros.

Par ailleurs, les intermittents du spectacle ne savent pas forcément à l’avance à quel moment ils disposeront de temps pour effectuer une formation. Rencontrez-vous une difficulté particulière de ce fait ?

Enfin, pourriez-vous nous donner un aperçu des types de formations proposées avec le budget de 50 millions d’euros dédié aux intermittents du spectacle, en dehors de celles qui concernent les VHSS ? Certaines formations pourraient en effet être utiles à l’appréhension de ces sujets.

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Auparavant, nous avions deux offres distinctes, ce qui posait problème. En effet, le CNC proposait une formation de sensibilisation sur la lutte contre les VHSS d’une demi-journée pour les producteurs, tandis que nous avions bâti en parallèle une formation d’un à trois jours pour les managers, référents, donneurs d’ordres ou intermittents — car nous avions estimé que les premières violences avaient lieu entre pairs et ne s’inscrivaient pas toujours dans une relation de subordination. La durée d’un à trois jours a pu constituer un frein, car il est difficile de consacrer trois jours à une formation.

Au début de l’année 2024, nous avons convergé avec le CNC, dont le marché de formation arrivait à son terme, afin de créer une offre unique pensée à partir des formations que nous proposions respectivement.

L’ingénierie d’un programme, qui fera foi pour témoigner de la formation sur le sujet des VHSS et déclencher les aides du CNC, nous a été confiée. Nous avons donc construit un programme hybride, comprenant une demi-journée à distance sur les aspects réglementaires et légaux et une demi-journée en présentiel sur le cadre de travail à fixer lors d’un tournage. La première partie n’est à suivre qu’une fois, tandis que la seconde partie doit être suivie en présentiel avec les équipes pour chaque tournage. L’idée est d’être dans une logique de formation-action, visant à se former à nouveau tout en se fixant ensemble un cadre de travail pour toute la durée du tournage.

Nous pourrons vous faire un retour sur ce programme, qui commencera le 1er janvier 2025. Ces formations, coûtant 1 500 euros chacune, ont été planifiées pour 200 à 300 tournages par an.

Par ailleurs, nous poursuivons toutes les actions que nous menons en parallèle, telles que l’ingénierie d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) pour le métier de coordinateur d’intimité, qui sera déposé au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et bientôt éligible à nos financements.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La formation de coordinateur d’intimité est-elle prévue uniquement pour le cinéma ou également pour le spectacle vivant ? En outre, quel type de formation est envisagé, étant donné que ce métier semble nécessiter une formation approfondie et diplômante ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. La formation de coordinateur d’intimité est diplômante puisqu’elle est proposée dans le cadre d’un CQP, qui est un diplôme de branche. Il ne s’agit pas d’une compétence socle, comme dans le cadre de la prévention contre les VHSS, mais d’un métier, qui nécessite donc une certification. Nous avons opté, pour le moment, pour un CQP en raison de la facilité et de la rapidité de sa mise en œuvre.

Nous avons également un projet de programme relatif à l’encadrement des enfants sur les tournages, dont nous tâchons de rendre cohérente l’ingénierie pédagogique et financière, assurant ainsi la viabilité de l’offre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Concernant les formations de coordinateurs d’intimité, le processus est-il sur le point d’aboutir ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Le dossier permettant l’inscription au RNCP est pratiquement achevé. Un dernier comité de pilotage a eu lieu. Le dossier sera ensuite déposé.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La formation débutera-t-elle à partir du mois de janvier ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Il existe tout de même un délai. France compétences a reconnu que ce métier pouvait devenir prioritaire, ce qui permettra une inscription assez rapide au RNCP, et un déploiement effectif au cours du premier semestre de l’année 2025.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le projet de formation des coachs d’enfants nous a semblé, lors des auditions que nous avons menées, beaucoup plus flou.

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Ce projet est en effet moins mature.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comment procédez-vous pour créer une certification pour la formation de coach d’enfants ? Quel est le contenu de cette dernière ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Lorsque nous fabriquons une certification ou un diplôme, nous suivons un processus classique. Nous commençons par réunir des professionnels pour définir un référentiel d’activité, à partir duquel nous élaborons un référentiel de compétences, puis un référentiel de formation et de certification. Cette approche est importante, car elle nous permet de travailler à partir des besoins réels de l’activité.

Nous réunissons donc des professionnels pour qu’ils définissent les contours de ce type de métier. Notre rôle est d’apporter notre expertise en ingénierie pédagogique, car les professionnels du secteur ne sont pas toujours familiers avec la distinction entre activité, compétence et formation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Existera-t-il une validation des acquis pour les personnes déjà expérimentées dans le domaine de la coordination d’intimité ? Il serait regrettable que l’expérience de ces personnes, notamment celles ayant suivi des formations américaines, ne soit pas reconnue.

Par ailleurs, comment vous adaptez-vous à l’évolution rapide de ces métiers ?

Concernant la formation de coordinateur d’intimité, combien de temps a-t-il fallu entre l’identification du besoin et la finalisation de la formation ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. La préparation et l’ingénierie ont duré une bonne année. Nous avons la chance d’avoir obtenu de France compétences une inscription urgente au RNCP, mais cela peut prendre plus de temps sans cela.

Dans le secteur de la culture, nous ne fabriquons pas de grandes cohortes, et nous avons dès lors du mal à être entendus et à faire valoir nos diplômes. Les organismes de labellisation s’interrogent souvent sur la pertinence de certifier des formations pour un nombre restreint de professionnels. Or, je ne me pose pas cette question, car il est très important de consacrer une formation comme un métier à travers sa diplomation et sa certification.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Concernant les coachs d’enfants, envisagez-vous de demander les extraits de casier judiciaire ? Comment peut-on empêcher une personne condamnée à ne plus être en contact avec des enfants d’exercer ce métier ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Il est compliqué de réaliser un contrôle d’honorabilité même si c’est indispensable. Ce sujet est encore plus prégnant dans le secteur du sport, où l’absence de contrôle d’honorabilité a fait l’objet d’une prise de conscience tardive. Ce point soulève la question de la responsabilité des ministères, qui pourraient réglementer davantage, à l’instar de ce que fait le ministère de l’Intérieur.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Des ajustements législatifs ont été apportés depuis 2021. Un dispositif a été créé à la suite d’un certain nombre d’affaires.

Quel est le coût de ces formations et qui les finance ? Existe-t-il des prérequis ou un niveau de diplôme exigé pour les formations de coach d’enfant ou de coordinateur d’intimité ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Je vous adresserai l’intégralité du programme.

Par ailleurs, ces formations sont financées par les fonds mutualisés de l’OPCO. Nous réglons cette facture au même titre que d’autres formations.

Concernant le spectacle vivant, la dynamique dans laquelle nous sommes crée un effet d’émulation très fort. Notre coopération avec le CNC a initié des discussions avec le centre national de la musique (CNM). Des plannings de travail sont prévus avec le CNM et l’association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) afin de tenter de trouver, à partir de la base de formation, un système à peu près équivalent. Dans la mesure où la base de formation est déjà établie, il est maintenant assez facile de la décliner et nous pourrons consacrer le temps dont nous disposons à l’ajustement, pour le secteur du spectacle vivant, de ce qui a été réalisé pour le spectacle enregistré.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pourriez-vous nous transmettre le catalogue des formations ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Ce serait fastidieux, car nous accompagnons en théorie 220 000 intermittents du spectacle. L’accès aux fonds de formation professionnelle nécessite de témoigner de sa professionnalité, et donc de justifier de deux ans d’intermittence. Nos formations sont artistiques et techniques. Il faudrait donc que je vous distingue les deux chapitres.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Demandez-vous un extrait de casier judiciaire avant la certification ou cette démarche relève-t-elle de la responsabilité des employeurs ? Où est le bon endroit pour s’assurer qu’il n’est pas possible d’exercer le métier de coach d’enfants tout en ayant un casier judiciaire ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Cela relève plutôt de la responsabilité des employeurs à mon sens.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cela signifie qu’il pourrait y avoir des coachs d’enfants certifiés ayant un casier judiciaire. Ce n’est pas possible. Vous voyez bien que cela ouvre une brèche.

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Sauf si c’est sanctionné dans le code du travail, qui dirait qu’il est incompatible d’être coach d’enfants et d’avoir un casier judiciaire.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Où devons-nous, en tant que législateurs, mettre ce contrôle ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Il est compliqué de vous donner une réponse spontanée, car il faut s’assurer de la faisabilité. Ce qui m’inquièterait, dans la première hypothèse que vous évoquez, est que, dans la mesure où la formation professionnelle est devenue un véritable marché libéralisé depuis la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, cela nécessiterait de faire confiance aux organismes de formation, car ce ne sont pas, pour l’AFDAS, des points de validation d’une demande de prise en charge. La logique qui prévaut est celle de la libre entreprise dans le champ de la formation ; on a vu à quoi cela a conduit concernant le compte personnel de formation (CPF) et l’apprentissage. Il ne me revient pas de juger le choix qui a été fait. Je remarque toutefois que, dans ce cadre, il sera difficile d’empêcher l’entrée en formation d’une personne pour cette raison. En revanche, il me semble plus aisé de réguler son recrutement et son embauche.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je crains que, si nous nous prévalons d’une certification de coach d’enfants, certaines petites structures ne vérifient pas systématiquement les casiers judiciaires. Nous réfléchirons à cette question, qui constitue un point important.

Mme Graziella Melchior (EPR). Constatez-vous une croissance de ces formations depuis leur mise en place ?

Par ailleurs, votre catalogue est vaste. Existe-t-il une mise en avant de certaines formations à des moments spécifiques ? Comment améliorer la visibilité de l’offre dans un catalogue si fourni ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Notre rôle d’OPCO est aussi de développer l’accès à la formation, avec une mission d’information et de communication à l’endroit des salariés, permanents ou intermittents. Nous réalisons donc de nombreuses opérations de communication sur ces sujets. Je rappelle que l’AFDAS compte 14 implantations régionales et que ce sujet est abordé en permanence dans l’accompagnement des petites et grandes structures. Nous sommes partenaires d’un certain nombre d’actions dans le secteur du cinéma, telles que, récemment, la remise d’un prix à une jeune technicienne ayant travaillé sur un film sélectionné au festival de Cannes. Nous surfons sur ces sujets afin de promouvoir ce type d’opérations au prisme de l’égalité entre les femmes et les hommes — même si je ne fais pas la confusion avec la lutte contre les VHSS. Il existe donc une volonté forte du conseil d’administration de l’AFDAS de promouvoir ce sujet. À partir du moment où une enveloppe fermée est allouée à cette question, nos équipes et nos services ont pour mission de la promouvoir.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pouvez-vous nous fournir des données chiffrées sur le volume de personnes formées, globalement et plus particulièrement sur le sujet qui nous préoccupe ? Vous avez mentionné des tâtonnements initiaux. Pouvez-vous préciser la nature de ces difficultés ? Ces tâtonnements étaient-ils d’ordre technique, pédagogique ou liés à l’adaptation au contexte spécifique du monde du spectacle ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Les tâtonnements concernaient le format des formations. Nous sommes en effet face à des professionnels — intermittents du spectacle, permanents ou producteurs — ayant une approche très utilitariste de la formation, liée à la nécessité d’actualiser ses compétences pour assurer son employabilité. Expliquer l’intérêt d’une formation préventive a été un vrai sujet d’« évangélisation ». Bien que ce point ait représenté une première difficulté, nous avons trouvé notre rythme, puisqu’environ 1 700 personnes ont été formées en 2023, contre 3 841 personnes formées et 1 035 actions de formation conduites en 2024, ce qui montre une montée en régime qui commence à satisfaire tout le monde.

Nous travaillons également sur la certification de ces formations. Sans en faire un permis de travail, nous envisageons de délivrer des open badges que les participants pourront ajouter à leur CV, augmentant ainsi leur employabilité, ce qui permet de contourner la perception d’inutilité de ces formations.

De plus, nous hériterons de la plateforme de formation des Jeux olympiques de Paris, qui sera ouverte aux 31 branches professionnelles. Nous prévoyons d’y intégrer la délivrance de badges vérifiables par les employeurs, ce qui permettra de retrouver la notion d’honorabilité et de désigner l’AFDAS comme tiers de confiance.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous pourrions envisager que certaines formations, relatives au bien-vivre ensemble et aux comportements, soient obligatoires, même si je sais que ce n’est pas l’esprit de l’intermittence. L’avez-vous imaginé ? Au sein des branches, l’idée que la formation à la lutte contre les VHSS soit obligatoire fait-elle l’objet d’un refus catégorique ?

Si cette formation était gratuite et prise en charge, nous pourrions imaginer que les intermittents la suivent pendant leurs périodes sans emploi — même si ce moment constitue souvent un moment de création. Vous avez en partie répondu à cette question en évoquant cette idée d’open badges, qui pourrait effectivement être intéressante.

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Je suggère d’observer d’abord les résultats de la conditionnalité des aides, qui est déjà une forme de contrainte. Les producteurs doivent désormais être vigilants quant aux personnes qu’ils emploient et à leurs pratiques. Aller plus loin dans un contexte déjà assez réglementé, où les techniciens ont déjà de nombreuses formations obligatoires, pourrait être problématique. De plus, il faut être prudents et ne pas créer des obligations que nous ne pourrions pas mettre en œuvre, tant en termes de temps que de financement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Un électricien a, par exemple, un certain nombre de prérequis en matière de sécurité. On pourrait se dire que la prévention des VHSS relève aussi de la sécurité. La question n’est donc pas complètement anodine. Dans la mesure où le fait de bien se comporter et de ne pas être à l’origine de blessure figure dans la formation d’un électricien, il devrait en être de même pour la formation des réalisateurs, chefs opérateurs, techniciens ou comédiens.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Actuellement, les référents VHSS présents sur les tournages, spectacles et festivals ont généralement suivi la formation du CNC ou une formation équivalente. Pensez-vous qu’il serait utile de créer une formation spécifiquement dédiée à ces référents VHSS ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. Cette formation existe et fait partie de notre catalogue.

Vos deux questions s’adressent aux gestionnaires de fonds ou aux citoyens.

Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il s’agit d’un risque tout aussi majeur que le risque lié à l’électricité.

Dans la mesure où nous sommes dans une phase de construction d’une offre, nous devons prendre en compte toutes les contraintes possibles. Or, il existe des sujets de financement de la formation professionnelle dans notre pays. Je jongle avec des priorités et il n’est pas toujours possible d’éviter l’effet d’éviction. En imposant certaines réglementations à un endroit, d’autres formations peuvent être écartées, par le bénéficiaire mais aussi par l’AFDAS. Je rappelle que nous gérons près de 800 millions d’euros. Or, force est de constater qu’au regard des budgets subventionnés, notamment par les régions et l’État, nous atteignons des niveaux de capacités de financement nous obligeant à faire des choix.

M. Erwan Balanant, rapporteur. D’où proviennent les 800 millions d’euros de vos fonds ? Ne pourrait-on pas envisager que ceux qui financent les films, à savoir les distributeurs et diffuseurs de films, participent eux aussi à la prévention de ces risques en amendant davantage la question de la formation ? Toute action de prévention et de formation permet d’éviter des accidents.

De plus, on pourrait imaginer que les polices d’assurance exigent un certain nombre de personnes formées ou un référent pour accorder une couverture. Il s’agit donc d’une économie à recréer. Auriez-vous des pistes de réflexion sur le financement et sur l’amendement de ce dernier ?

M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS. La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a modifié le financement de la formation professionnelle. Autrefois, les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) vivaient des contributions légales – prévues par le Code du travail – et conventionnelles – décidées par les partenaires sociaux –, directement versées par les employeurs, ainsi que des fonds volontaires qui pouvaient leur être confiés. Depuis la loi de 2018, ces contributions sont versées aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), puis reversées aux OPCO via France compétences. Le montant à disposition des OPCO est déterminé à l’aide d’algorithmes et n’est pas toujours identique au montant des contributions versées par les entreprises.

Cette évolution a conduit à flécher les fonds de la formation professionnelle vers le CPF et l’apprentissage. En effet, sur les 800 millions d’euros que nous gérons, 500 millions d’euros sont liés à l’apprentissage.

La lutte contre les VHSS étant à la fois un sujet de formation initiale et de formation continue, nous essayons d’introduire nos modules afin de les rendre obligatoires dans les écoles de théâtre et de cinéma. L’un de nos combats est d’infléchir les pratiques des professionnels d’aujourd’hui tout en mettant sur de bons rails les professionnels de demain. Nous utilisons les fonds à la fois pour la formation initiale et la formation continue.

Concernant les pistes de réflexion, la question de rendre la formation obligatoire se pose. Ce point pose la question de la manière de sanctionner cette formation. Par exemple, si nous voulons l’inscrire au CPF, il faudra procéder à une véritable certification, comme ce que nous faisons pour les coordinateurs d’intimité. Or, comme il ne s’agit pas d’un métier, ce n’est pas si simple que cela. Si les branches y sont favorables, je serai d’avis de déposer la formation que nous avons conduite depuis un an au répertoire spécifique du RNCP relatif aux habilités professionnelles pour favoriser l’employabilité des personnes formées.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie beaucoup pour ces pistes intéressantes et innovantes. Vous pouvez nous faire part de tout élément que nous n’avons pas encore abordé et qui vous semble important.

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*     *

La commission auditionne ensuite M. Francis Renaud, acteur, réalisateur et scénariste.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mesdames, messieurs, chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant M. Francis Renaud.

Vous êtes acteur, réalisateur et scénariste. En 2017, vous avez publié l’ouvrage La rage au cœur, témoignage qui porte notamment sur votre parcours professionnel, dans lequel vous dénoncez le droit de cuissage auquel un directeur de casting a tenté de vous soumettre, les avances appuyées d’un réalisateur ainsi que les scènes de sexe non prévues qu’une réalisatrice vous a contraint à jouer. Vous avez d’ailleurs porté plainte contre deux de ces personnalités, mais vos plaintes ont été, à ma connaissance, classées pour cause de prescription.

Nous aimerions connaître l’impact de ce livre sur votre carrière. Vous avez fait l’objet de tentative d’intimidation avant sa parution et Olivier Marchal prévient, dans la préface, que vous risquez fort d’être blacklisté. Je voudrais que vous nous expliquiez si cela a été le cas et si vous pensez que la situation a évolué depuis cette publication, avec l’émergence des mouvements #MeToo, #MeTooGarçons et les prises de parole fortes d’Adèle Haenel, Judith Godrèche et d’autres.

Comment peut-on faire en sorte que la parole se libère et que les oreilles se débouchent ?

 Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale, ce dont je vous remercie.

Avant de vous céder la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Francis Renaud prête serment.)

M. Francis Renaud, acteur, réalisateur et scénariste. La situation n’a pas évolué : les lanceurs d’alerte sont toujours mis au banc. Nous faisons un métier magnifique, mais lorsque nous parlons, ce métier ferme les rideaux et c’est fini pour nous.

Monsieur le rapporteur, madame la présidente, nous avions tous un rêve en commun : devenir acteur ou actrice.

Mon histoire est celle aussi malheureusement de beaucoup d’autres, qui ont subi des violences physiques, psychologiques, verbales, sexistes et qui ont été mis au banc de la société. Nos bourreaux, ces prédateurs du vice, sont nombreux et exercent en toute impunité au-dessus de tout soupçon. Ils interviennent dans différentes activités du spectacle qui regroupent le cinéma, l’audiovisuel, le théâtre, la musique, le chant, la danse et dans bien d’autres professions.

Je ne suis pas du sérail et je ne suis pas un enfant de la balle. Je suis né en 1967 à Thionville en Lorraine, fils d’ouvrier. Mon père est mort alors que j’avais 4 ans. Pour ne pas sombrer, je me suis accroché à ce rêve, devenir acteur. Je suis monté à Paris en 1985.

Voici mon parcours, de figurant à acteur.

Je rencontre ce directeur de casting, Gérard Moulévrier, au studio de Boulogne-Billancourt en 1988, via une chargée de file, Pascale Béraud, qui me recommandera ce rendez‑vous important pour ma carrière. Un personnage très influent. Connu de toute la profession, des agents artistiques aux acteurs et producteurs. Gérard Moulévrier me fera faire quelques silhouettes et petits rôles.

Pour nous faire connaître des directeurs de casting, nous devons faire des photos, un book et avoir un CV. Un portrait et une photo de plain-pied en général, que nous laissons dans les productions. Elles finissent le plus souvent dans une poubelle ou sur un bureau.

C’est comme ça qu’ils font leur marché.

Gérard Moulévrier m’invitera un soir au théâtre. Il me fera du genou tout au long de cette pièce. Je serai pétrifié, assis dans ce fauteuil. Je sentirai sa main, entre mes cuisses, me toucher le sexe. Je ne saurai pas réagir, tétanisé, voulant fuir ce lieu devenu glauque. La pièce s’achève, je n’ose pas le regarder. Il m’invite à saluer les acteurs dans leurs loges en sa compagnie. Il est tard, plus de métro. Je préfère partir. Il me raccompagnera en voiture, insistant. Me parlant d’un projet de film, La sorcière de Marco Bellocchio. Gérard Moulévrier me propose d’être son assistant, en plus d’un rôle dans ce film. Nous sommes arrivés en bas de chez moi. Il est lourd et pédant, il se rapproche et me prend par le cou et me dira ceci : « Le droit de cuissage, ça existe. Pour réussir, il faut coucher ».

Je le repousse. Je retire sa main d’entre mes cuisses et sors de sa Fiat 500. À cette époque, je n’ai pas encore d’agent artistique. Je vais raconter cette histoire à mes camarades de cours. Je ne travaillerai plus avec lui ni Pascale Béraud. Je continue à prospecter, à laisser des photos un peu partout dans l’espoir de pouvoir jouer.

Quelques années après, j’appelle une production qui prépare un film qui sera réalisé par Jean-Jacques Beineix, IP5 : L’île aux pachydermes.

Au téléphone, je me présente : « Bonjour, je m’appelle Francis Renaud, je suis jeune acteur et j’aimerais rencontrer… »

Je suis interrompu par une voix que je reconnais et qui me dira : « Ce n’est pas trop dur le métier pour toi ? » C’est Gérard Moulévrier au téléphone, et il raccrochera. Me voilà blacklisté. Je n’ai pas accepté ses avances. Je continue d’espérer, je vais de casting en casting.

Robert Donat, un directeur de casting, me demandera de me masturber devant sa caméra. Je partirai désappointé.

Anita Benoist, une directrice de casting, me recevra chez elle en talons aiguilles et porte-jarretelle, dans un peignoir ouvert, très provocante. Je partirai, lui laissant juste des photos.

Julie Philippe, directrice de casting, lors d’essai pour un épisode de Commissaire Moulin, me demandera d’y aller à fond et de la prendre par la suite dans son bureau, ce que je ne ferai pas.

J’ai 20 ans et je ne lâcherai pas, comme tant d’autres qui ont préféré abandonner.

Le pire est à venir et, pourtant, je m’accroche à ce rêve comme à la proue d’un navire en pleine tempête. Je rencontre, un samedi après-midi en 1990, André Téchiné, via le père d’un ami affichiste qui a une longue liste de numéros de téléphone de réalisateurs. Je vais donc appeler André Téchiné, qui décrochera.

Il me donnera rendez-vous dans un bistrot, L’Espoir, métro Maubert-Mutualité dans le 5e arrondissement de Paris. Il est très vite familier et me paraît sympathique. Il me parle de sa tante, du Sud-ouest, de ses années aux Cahiers du cinéma. Je l’écoute, ébloui par ses mots. J’ai déjà vu Barocco et Hôtel des Amériques, je lui demande comment était Patrick Dewaere sur le film.

Il restera différent à cette question. Il me demandera de l’appeler dès le lundi pour que nous puissions nous revoir. Nous nous quittons, je rentre chez moi, des rêves plein la tête, je m’imagine déjà en train de tourner pour lui. J’avais fait une figuration en 1987 dans son film Les innocents avec Sandrine Bonnaire et Simon de La Brosse. Je vais revoir André Téchiné une fois par semaine durant plusieurs mois.

Il me parlera d’un de ses assistants, Michel Béna, qui prépare son premier long-métrage, Le ciel de Paris. « Il a un rôle important pour toi dans son film ! » me confiera André.

André Téchiné me pose des questions et il écrit. Je lui parle de mon enfance, de la mort de mon père. D’une mère absente et qui reviendra un jour enceinte d’un autre homme après m’avoir laissé chez mes grands-parents paternels. D’une enfance maltraitée par un beau‑père violent, trop violent, dans ses coups et ses paroles. D’un jeune frère qui arrive et que je déteste déjà. Lui l’enfant aimé, moi l’accident, me dira ma mère un jour.

C’est l’été, nous sommes à la terrasse d’un café. André Téchiné me prend la main et me caresse le bras en me disant : « Francis, tu me perturbes, je n’arrive plus à écrire, il faut que tu ailles plus loin ! » Je suis stupéfait par sa demande que je refuse. Il se lèvera de table, vexé, et partira après avoir payé l’addition. Il me rappellera pour que je rencontre Michel Béna qui prépare son film.

Je dois rencontrer Michel Béna chez lui. Il devait y avoir ce soir-là la scripte et quelques acteurs. Je vais me retrouver seul, face à face dans sa cuisine, pour dîner. Nous nous retrouverons ensuite dans son salon, assis côte à côte sur un canapé. Il y a une table basse avec le scénario et un plan de travail. Il me propose le rôle principal de son film, puis me dira : « J’ai envie de te sucer. » Je lui colle une droite. Il tombe à genou en larmes en me disant : « Va-t’en, fuis, c’est le diable, il a brisé ma vie, c’est un monstre ! », en parlant de Téchiné. Je rentre chez moi, furieux, et j’appelle André Téchiné le lendemain pour le voir. Je suis chez lui et je lui dis : « J’en ai marre de vos histoires de cul ! » André Téchiné me répondra ceci : « J’espère que tu n’as pas couché avec lui, car il est séropositif. »

J’ai cru devenir fou. Je suis parti furieux, en colère. Comment a-t-il pu m’envoyer chez ce type ? Il savait, il aurait pu appeler les agents artistiques et les prévenir. Il aurait pu éviter la mort de Marc Fourastier, qui interprétera le rôle que j’aurais dû jouer et, malheureusement, Marc décédera du sida après le film, tout comme Michel Béna.

J’aurais pu coucher, moi aussi. Nous sommes des proies faciles, nous n’avons pas de nom, nous ne sommes pas encore connus dans la profession. Ils ne feront jamais ça à Vincent Cassel, Clovis Cornillac, Victor Belmondo, Louis Garel et j’en passe.

On me contactera quelques mois après pour me proposer de faire des essais dans un film d’André Téchiné, J’embrasse pas. Je suis assez surpris par cette demande. Je me rends à cette production pour faire des essais avec Philippe Landoulsi, un autre de ses assistants. Il me recontactera pour me dire que ça ne marche pas pour le rôle principal, mais il y a un autre personnage, le frère. J’y retourne une seconde fois, en vain. Je comprends alors le message de Téchiné à travers ces essais, de son pouvoir. Philippe Landoulsi m’invitera chez lui pour me parler d’un autre film qu’il prépare pour un autre réalisateur, Jean-Luc Raynaud. Il est plutôt agréable et courtois. Il habite dans un somptueux appartement rue Saint-Antoine, métro Saint-Paul. Il ne comprend pas pourquoi Téchiné ne m’a pas donné le rôle qu’interprétera Manuel Blanc, aux côtés d’Emmanuelle Béart. Il me trouve bon acteur. Je vais très vite me retrouver sous l’emprise de cet individu. J’avais pourtant résisté jusque-là, aucune compromission, rien.

Un jour, après avoir consommé une boisson, je vais me retrouver dans sa chambre ou sur son lit. Je ferme les yeux, je pense à autre chose. Il me fera une fellation et je partirai écœuré. Il me donnera un billet de 500 francs, un Pascal, que je filerai à un SDF. La honte m’emporte, le silence aussi.

Il me rappelle pour déjeuner avec lui. Je vais jouer dans ce film de Jean-Luc Raynaud avec Guillaume Canet, Laurent Lafitte, un premier long-métrage, Madame Verdoux, un beau projet que nous tournerons et qui ne verra jamais le jour.

Je suis chez lui un après-midi. Il insiste lourdement pour que je l’accompagne à nouveau dans sa chambre, son mec n’est pas là. Il va dans la cuisine pour me faire un café. Je me retrouve à nouveau sur son lit. Il va enlever mon pantalon et mon caleçon pour tenter de me pénétrer, tout en me bloquant les bras. Il est sur moi, je sens son sexe entre mes cuisses, son poids, son corps, sa bouche. Je le repousse. Je refuse. J’essaye de me sortir de cette situation grotesque et cauchemardesque.

Je me lève rapidement et je me rhabille. Je quitte cet appartement. Je vais me laver et ne rien dire. Je n’en parlerai jamais, sauf en février 2024, après avoir porté plainte contre lui, Gérard Moulévrier et André Téchiné. Philippe Landoulsi n’a pas réussi à me sodomiser. Mais ils ont réussi à nous briser. Je savais qu’il y aurait prescription, mais ils ne partiront pas les mains propres. Je l’ai fait sans doute tardivement, mais en soutien pour toutes les victimes et en solidarité avec #MeToo.

Les années passent. J’ai enfin trouvé un agent artistique et je continue aussi les petits boulots, manutentionnaire, animateur à la Ville de Paris. Je vais enfin pouvoir jouer en 1993, huit années après mon arrivée en 1985 à Paris, dans un premier long-métrage, intitulé Pigalle, de Karim Dridi. J’obtiendrai après ce film le prix spécial du jury à Genève en 1994 et le prix Michel Simon en 1996, mais je verrai aussi une chose pendant la fête de fin de film que je n’aurais jamais dû voir.

Je vais y croiser Simon de La Brosse, qui me dira ce soir-là : « Avec qui tu as couché ? » Simon de La Brosse se suicidera le 17 avril 1998.

Je lui répondrai : « Avec personne », avant de retrouver le réalisateur et le directeur de casting dans une salle au sous-sol. Il y a une jeune fille légèrement vêtue assise sur un lit de camp, voire même dénudée. Karim fume un joint. Il y a une caméra sur pied, branchée, allumée. Le directeur de casting, Bobby Pacha, est surexcité, dans un état second. Il me demande de regarder dans l’œilleton de cette caméra. Il y a un carton rempli de petites cassettes, genre Betacam numériques, sur une chaise.

Je suis pris d’effroi. Une scène horrible, un vieux matelas au sol, plein de taches. Je vois une jeune fille brune que l’on jette sur cette couche immonde. Elle est nue et elle est violée par trois individus, dont un qui filme. Je colle Bobby Pacha contre un mur, de rage. Je quitte cette fête, qui n’en sera pas une, mais un véritable cauchemar.

Je vais en parler à ma copine de l’époque et à mon agent artistique, Danielle Gain, qui me suppliera de ne rien dire, car ma carrière risquerait de s’arrêter net. J’irai voir la police. Ils mettront un an à démanteler un gang mafieux, des figurants professionnels à la retraite qui se faisaient passer pour des producteurs et qui rabattaient de jeunes filles sur les Champs-Élysées. Ces vieux briscards du spectacle proposaient à ces filles de faire des essais pour un réalisateur prestigieux, pour le rôle principal d’un film. Les plus naïves montaient dans cette production fantôme, rue de Berri. On leur offrait un verre avec du GHB, un psychotrope puissant utilisé à des fins médicales ou à des fins détournées, une substance endogène appelée aussi la drogue du violeur. Si j’ai vu cela, bien d’autres ont dû voir aussi ces vidéos monstrueuses de jeunes filles violées par plusieurs individus. Mais le silence règne sous l’œil de l’omerta.

Je vais enchaîner avec un autre film, Parfait amour de Catherine Breillat, inspiré d’un fait réel. Breillat me prendra pour le rôle principal sans faire d’essais après avoir vu Pigalle. Je donnerai la réplique à plusieurs actrices pour le rôle féminin, notamment à Christine Pascal, une actrice et réalisatrice qui avait réalisé ce magnifique film, Le petit prince a dit. Elle est aussi très proche de Breillat, elles sont amies. Je déjeune un jour avec Christine Pascal qui me supplie de l’aider à avoir ce rôle. Malheureusement, Breillat ne la prendra pas et, pourtant, elle avait été remarquable dans ses essais. Elle choisira une autre actrice. Christine Pascal se suicidera en août 1996.

Un matin, sur le décor, dans un grand appartement à Dunkerque, je découvre dans une chambre plusieurs acteurs et actrices qui se chauffent dans des positions hard et dans des râles insupportables. Alain Soral est là aussi. Breillat me présente Coralie, une actrice de film X. Coralie m’explique la scène de jeu. Elle est déjà en petite tenue très sexy : « Je te fais une fellation tout en te mettant un préservatif et je monte sur toi pour te prendre ! »

Je vais refuser, tout refuser et reprendre cette séquence en faisant semblant, je ne retirai rien. Je garderai mon caleçon sous les yeux de Soral un peu déçu. Catherine Breillat me le fera payer très cher. Je vais arrêter de tourner quelques heures en appelant mon agent Danielle Gain.

Le lendemain, le producteur Georges Benayoun débarquera sur le plateau pour me dire : « Je vais briser ta carrière ! »

Breillat avait essayé de me mettre dans son lit auparavant, j’avais refusé tout comme ce soir-là, avant le tournage, où j’ai préféré partir de cette limousine où j’étais pris en sandwich entre elle et un certain Schlumberger. Elle tentera de me briser devant toute son équipe, de m’humilier constamment. Je vous invite à lire le livre de Caroline Ducey, La Prédation, un long réquisitoire contre Breillat et le monde du cinéma dominé par quelques puissants.

Je ne veux plus subir tous leurs caprices infâmes. Je veux crier au monde ce que j’ai vu, subi et entendu. Je commence à écrire un ouvrage.

Je refuse les rôles glauques, je n’en peux plus. Je rêve de jouer des héros. Je ne tourne plus beaucoup pour le cinéma. Il y a le théâtre, mais j’ai un tract qui me paralyse. Je quitte Danielle Gain et cette agence CinéArt, devenue TalentBox. La télévision me permettra de m’épanouir dans d’autres registres comme acteur.

En 1999, j’avais réalisé un téléfilm pour l’unité fiction d’Arte dirigée par Pierre Chevalier, intitulé Marie, Nonna, la Vierge et moi. Durant la préparation, Max Morel, directeur de casting, me sortira d’un carton différentes photos de jeunes actrices en me disant : « Tu peux les rencontrer et en plus, elles couchent ! » Je vais lui demander de remballer son carton et ses photos, de rentrer chez lui sur le champ, mettant un terme définitif à cette collaboration. Je ferai le casting des rôles moi-même, seul.

Heureusement, je vais rencontrer un acteur passionné, tout comme moi, par le cinéma et qui passera à la réalisation, Olivier Marchal, à qui je vais tout raconter. Il va m’éloigner de ces êtres indésirables et me proposer des rôles dans quasiment tous ses films : Gangsters, 36 quai des Orfèvres, MR73, Les Lyonnais, Section Zéro, Bronx, Overdose. Il écrira la préface de mon autobiographie, des années plus tard, où il dépeint très bien ce milieu, ces abus, cette grande famille et toute cette hypocrisie et arrogance.

En 2010, j’accepte de jouer dans un téléfilm pour France 2 réalisé par Serge Meynard : Je, François Villon, voleur, assassin, poète, d’après le roman de Jean Teulé.

Nous avons travaillé sur le scénario après une lecture, comme pour Breillat et d’autres scripts, ce qui nous permet de changer ou d’améliorer des scènes, des dialogues avant de les jouer. Mais, bien souvent, certains réalisateurs nous imposent tout de même ces séquences modifiées sur le tournage et reviennent à la première version. Là, nous tournons une séquence dans une cave. Villon vient de voler des pièces d’or et il a été surpris par un moine, interprété par Jean-François Gallotte. Il est derrière moi, il me sert contre lui pour simuler une sodomie dans cette scène que filme Serge Meynard, qui me demandera de réagir. La caméra est en gros plan sur mon visage, je pense alors à la mère de Villon et je pleure. Il coupe la caméra en me disant : « On la refait, on ne pleure pas, gueule ! »

« Mais comment veux-tu que je gueule puisque je ne me suis jamais fait sodomiser ? » On refait une deuxième prise et là, l’acteur qui est derrière moi, Jean-François Gallotte, va mettre sa main dans mon caleçon, à ma grande stupeur, et il me touchera le sexe. J’arrête de tourner, je me retourne fou de rage et il me glissera à l’oreille : « C’est pas moi, je ne suis pas pédé ! » Je regarde Serge Meynard qui se cache derrière son chef opérateur. Je vais quitter les lieux et ne pas tourner durant deux heures. J’appelle Frédérique Moidon, chez Artmédia, mon nouvel agent, et je lui raconte cette séquence sordide. Elle va rire un instant et me dira de retourner jouer, car je suis sous contrat.

Voilà ce que nous subissons. On pourrait parler aussi de Jean-Claude Brisseau, réalisateur de Noce Blanche, De Bruit et de Fureur, décédé depuis, mais, heureusement, des actrices ont signalé ses comportements abjects avant qu’il ne parte.

Abdellatif Kechiche est accusé d’agression sexuelle, l’enquête sera classée sans suite.

Les ravages du casting sauvage dont Dominique Besnehard et Romain Brémond furent les pionniers du genre, à cette époque où tout était permis, le pire comme le meilleur dans cette débauche où l’on vous offrait un rôle, un prix. De l’ombre à la lumière, de festival en festival, de Venise à Cannes, dans des palaces et des discothèques. C’est là aussi que beaucoup ont sombré dans ces nuits fauves avec la drogue, l’alcool et autres stupéfiants. Dans ces niches et backrooms.

Patrick Aurignac, réalisateur de Mémoires d’un jeune con, se suicidera en 1997 à son tour, découvert par Dominique Besnehard. Simon de La Brosse, découvert par Dominique Besnehard, se suicidera après une belle carrière en 1998. Il avait 32 ans. Gérald Thomassin, découvert par Dominique Besnehard, a disparu mystérieusement en 2019.

Sans parler des autres, de tous ces orphelins du septième art.

Quel gâchis ! Tout le monde sait, personne ne dit rien. Trop d’argent en jeu et de saloperies, d’abus de pouvoir, de harcèlement, de viols, de manipulations et de mensonges. Ils sont très forts pour acheter votre silence par la suite, si jamais vous avez percé et réussi dans le métier, en vous proposant des rôles afin de vous faire taire.

Du côté de France Télévisions, ce n’est pas mieux depuis l’arrivée d’Anne Holmes, qui pratique le mensonge, l’ostracisme, la manipulation, pour vous faire disparaître du petit écran et mettre d’autres acteurs à votre place qui ne diront jamais rien. La place est bonne ! Un jeune producteur me dira au sujet de cette personne, et en parlant de la directrice actuelle des programmes de la fiction française : « Tu peux y aller, elle aime ça ! »

Je tourne à l’époque dans cette série, Un village français, le personnage de Jacques. Il n’y aura qu’une seule saison en ce qui me concerne. Frédéric Krivine, le scénariste, m’annoncera la fin de cette aventure pour mon rôle de déserteur qui aurait pu trouver sa place dans les autres saisons qui suivront.

Alain Tasma me propose de jouer dans son téléfilm, Alias Caracalla, au cœur de la Résistance. Le contrat signé, il m’appellera quelques jours après et me demandera ce qui s’est passé avec Anne Holmes, qui refusera de me faire travailler, tout comme avec Christian Bonnet, un autre réalisateur avec qui j’avais fait Longue peine quelques années auparavant. Elle émettra un refus à tous mes projets de films avec des réalisateurs qui me solliciteront pour tourner avec eux et pour France Télévisions. Elle arrivera à ses fins pour m’évincer de tout. Elle recevra un après-midi une scénariste accompagnée d’une productrice, Dominique Antoine, qui lui propose un scénario intitulé Un an, trois fois par semaine, écrit par Jennifer Miramont, que je connais bien. Anne Holmes ne portera aucun intérêt à cette histoire en humiliant son auteur. Jennifer me rapportera ses propos violents. Le lendemain, j’appellerai Anne Holmes pour lui demander pourquoi elle avait été aussi dure avec mon épouse. Il y a eu un blanc, puis je lui ai dit qu’elle ne savait pas lire les bons scénarios. Anne Holmes m’a répondu qu’elle n’avait pas à se justifier en me raccrochant au nez.

Paule Zajdermann, une responsable de la fiction chez France 2, m’appellera un peu plus tard, pour me demander pourquoi j’ai traité Anne Holmes de salope et de perverse au téléphone, ce qui est faux. J’essaye de me faire entendre. Paule m’explique qu’Anne Holmes, en larmes, est allée voir Rémy Pflimlin, président à l’époque de ce paquebot qu’est France Télévisions, pour lui porter ses mots, qui mettront un terme à ma carrière avec France Télévisions sur beaucoup de projets. Olivier Marchal me confirmera qu’Anne Holmes me boycotte. Delphine Ernotte n’a jamais voulu me recevoir pour clarifier cette affaire sordide. Pourtant, entre cette série, L’affaire Villemin, Le Cri et de nombreux téléfilms, j’ai beaucoup travaillé à une époque bien plus glorieuse et moins glauque, lorsque Patrick de Carolis était à la tête de cette grande maison du service public. Elle signera ainsi mon arrêt de mort, tant attendu par beaucoup.

J’ai écrit tout cela dans mon autobiographie parue en 2018 chez Hugo & Cie, La rage au cœur.

Un mois avant sa parution, j’ai reçu un message d’une personne sur Facebook, que je devais appeler. Elle avait des révélations à me faire. Au téléphone, j’ai compris qu’elle ne minaudait pas. Elle connaissait bien ma fille aînée, qui était très amie avec sa fille. Elle m’a dit qu’ils l’avaient lu et qu’ils allaient me casser les jambes. Une épreuve de mon autobiographie avait été envoyée à des individus. Il y a donc une taupe chez Hugo & Cie, mon éditrice me confirmera que non, évidemment. Je vais avoir une fenêtre très courte pour m’exprimer dans certains médias. Je vais pouvoir m’exprimer chez Valérie Bénaïm dans son émission « C’est que de la télé », sur LCI et chez Morandini. La rage au cœur est numéro un sur Amazon, je passe devant Depardieu et David Lynch, me dit mon éditrice, qui rêve d’un procès pour faire le buzz. Il n’y aura aucun procès en diffamation et certains vont tout faire pour arrêter les ventes. Ils y arriveront. Plus de 2 800 exemplaires seront vendus, malgré un boycott. On n’aime pas trop les lanceurs d’alerte dans ce pays. J’ai une pensée pour Boualem Sansal, à l’heure où j’écris ce texte.

J’ai reçu des menaces de mort. J’ai été suivi par une Berline jusque chez moi dans le Vexin. J’ai retrouvé son conducteur et son passager lors de ma première dédicace à la librairie Delamain, dans le 1er arrondissement de Paris. Ils sont rentrés à l’intérieur, l’un est venu se mettre en face de moi et l’autre a fait le tour de cette boutique. J’ai eu un accident de voiture en allant au Festival de Cognac pour une autre dédicace. Je roulais à 130 kilomètres/heure lorsque j’ai perdu le contrôle de mon volant et des freins, qui ne fonctionnaient plus. Par chance, j’ai pu m’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence sans provoquer un accident. Ce véhicule a été en atelier une fois par an pour un entretien complet, comme il se doit.

Nous avons dû vendre notre maison à perte. Ma deuxième fille, née d’un second mariage, va se retrouver dans un studio avec sa maman, nous allons nous séparer, pour d’autres raisons. Je vais me retrouver dans un logement social à Vernon. J’ai perdu mon statut d’intermittent du spectacle. Je me retrouve au RSA, je suis devenu persona non grata.

La double peine pour avoir déjà dénoncé tout ce que je vous ai lu ici, et ce, depuis des années. Mais on vous demande de vous taire, de la boucler. Sur les conseils d’Olivier Marchal, j’appellerai le commissaire divisionnaire Christophe Gavat pour lui relater tous ces faits. Il me conseillera de prendre rendez-vous avec le procureur de la République du Val-d’Oise, ce que je ne ferai pas, par crainte de déclencher une procédure judiciaire qui demande du temps et beaucoup d’énergie. Je rencontrais à cette époque trop de problèmes, étant fiché Banque de France depuis peu, suite à l’arrêt brutal de tous mes projets comme réalisateur et acteur.

J’avais déjà raconté mon histoire au Japon, à Tokyo, en 1996, où je présentais deux films, Pigalle et Parfait amour, à la presse. Mais une attachée de presse m’a trahi en appelant Unifrance Film, à l’époque, et en leur disant qu’il y avait un acteur français qui balançait tout sur un certain directeur de casting et un réalisateur très connu.

L’omerta est un cancer qui brise trop de carrières. J’écris la suite actuellement pour que le public sache.

Le 2 mars 2024 paraît mon interview filmé pour le Nouvel Obs par Emmanuel Anizon, grand reporter journaliste. Je reçois alors beaucoup de soutien, de commentaires et de témoignages sur YouTube à la suite de la diffusion de cet entretien. Je vais vous lire quelques témoignages.

« Bonjour, cela fait tellement d’années maintenant que j’ai été la proie des velléités sexuelles d’André Téchiné. Contacté par Philippe Landoulsi pour une rencontre soi-disant professionnelle, j’ai été par la suite courtisé par Téchiné, qui m’invitait ici et là pour des rencontres qu’il aurait voulues charnelles. Même mon agent d’alors, qui ne m’a jamais proposé aucun casting, s’est fendu alors de ce conseil : " Il y a de belles histoires qui peuvent naître d’une telle rencontre ". Téchiné, qui m’a finalement reçu chez lui dans le Marais, le long des quais, d’après mon souvenir, m’a confié qu’il faisait de ces rencontres cinématographiques des histoires d’amour et qu’il espérait que je ferais le premier pas… Au lieu de quoi, je bâtis en retraite. Là s’arrêta ma collaboration. Depuis, j’ai intégré l’école du Théâtre national de Strasbourg, où je n’ai plus eu affaire aux envies concupiscentes de réalisateurs en mal de sexe. Sinon, Bergala, qui, heureusement pour moi, était hétérosexuel comme je le suis, mais là n’est pas le débat : il porta son dévolu sur une jeune élève de l’école afin d’asseoir son ascendant de pédagogue !

André Téchiné via son avocate : " Je suis évidemment désolé que [Francis Renaud] ait été embarrassé par mon approche verbale sentimentale, maladroite, lors de ce déjeuner. J’ai bien sûr eu tort à l’époque de ne pas avoir su percevoir que notre relation n’était pas à ses yeux sur un pied d’égalité en raison de mon statut de réalisateur. En revanche, je ne peux qu’exprimer mon incompréhension aujourd’hui face à ce dépôt de plainte pénale. " Eh bien, je conclurais que non, André, tu n’es pas sincèrement désolé, tu n’as fait que poursuivre une technique de drague par ascendant que tu as dû répéter à l’envi dans ta carrière de cinéaste prédateur. Si vous avez besoin d’un témoignage, croyez en mon soutien. »

« Je suis un homme de 42 ans. En décembre 2000, j’ai été victime de Gérard Moulévrier. Pareil, il m’a emmené au théâtre, à la Comédie française. Après, il m’a emmené voir une femme réalisatrice dans le 11e arrondissement de Paris. À cette époque, je vivais à Montreuil, en Seine–Saint-Denis. Il était très tard. J’ai demandé à Gérard de me raccompagner, ce dernier a refusé, prétextant effectivement l’heure tardive, et m’a emmené chez lui. Il m’a fait rentrer dans sa chambre. J’avoue que je ne sais vraiment pas comment je me suis retrouvé nu dans son lit, lui, en face de moi, m’a sorti son sexe. Il voulait que je lui fasse une fellation, ce que j’ai refusé. Je n’ai par la suite plus jamais revu Gérard et je n’ai jamais travaillé. »

« Francis, je voulais vous remercier pour votre courage et vos mots. Nous sommes trop d’hommes à avoir subi des agressions et le traumatisme qui en découle. Demain, je serai interviewé pour l’émission " C l’hebdo ", qui passera samedi à 19 heures, par Aurélie Casse, au sujet du double viol que j’ai subi lors de mon service militaire. C’est votre courage qui m’a décidé à parler à mon tour à visage découvert. J’ai connu Téchiné aussi, lorsque j’étais au cours Florent, sans avoir vécu votre histoire. Je serais heureux de vous rencontrer ou de discuter avec vous un jour prochain. »

« Bonjour, je peux apporter mon témoignage pour ton avocat. J’avoue que la presse, je ne suis pas prêt encore. Ce qui s’est passé avec les deux que tu cites et d’autres remontent depuis à peu près un an. Je me suis fait aider par un psy et un kinésiologue, etc. Les murs de la culpabilité et de la honte sont tombés, mais j’ai encore du chemin. Et la presse, je ne suis pas encore prêt. J’admire ton courage et que ta parole soit libératrice pour les autres. Pour ton avocat, avec plaisir. Bien à toi. D’autant que c’est un système rodé, Téchiné, Jacques Grant, etc. »

« Message à l’attention de Francis Renaud : j’ai une histoire qui, forcément, ne vous surprendra pas. À la fin des années 1990, un dénommé Christian, sans doute un pseudonyme, arrivait au centre de secours des pompiers de Paris de Courbevoie-La Défense, afin de procéder à un casting pour André Téchiné. Son profil était simple, il recherchait des blonds aux yeux bleus dans le but de faire partie de futurs figurants pour son prochain film. Pour faire court, on leur offrait un aller-retour en TGV, chambre offerte. Au final, André Téchiné leur proposait de l’argent s’ils acceptaient une fellation de sa part, ou autre si affinités. »

Toutes ces pièces constituent un dossier chez mon avocat, Maître Mathieu Croizet.

J’aimerais entendre plus de voix solidaires d’acteurs et d’actrices, d’agents artistiques, de producteurs, de distributeurs, de diffuseurs sur ce sujet, qui devrait nous suivre dans ce combat afin d’éradiquer ce fléau et de redonner à ce merveilleux métier, le cinéma, ses lettres de noblesse.

Il faut que ça change, que les coupables payent et que les victimes puissent retrouver le chemin du travail, des tournages, des projets et de la sérénité. Il faut abolir toutes prescriptions, changer les lois, ces lois obsolètes qui protègent ces prédateurs et enfoncent les victimes dans l’oubli.

Aujourd’hui, j’ai dû solliciter des agences d’intérim pour faire quelques missions, trouver du travail. Une réinsertion à 57 ans, ce n’est pas évident, surtout lorsque vous avez travaillé plus de 30 ans dans l’audiovisuel et le cinéma. Je ne tourne plus assez. Il n’y a que Fabrice Lambot, producteur, qui me fait tourner dans ces films actuellement, mais ce n’est pas suffisant.

Soyons tous lucides et déterminés à stopper cette infamie qui touche bien trop d’humains dans tous les secteurs, et notamment le nôtre, qui doit ouvrir le chemin de la vérité et de la fermeté à l’égard de ces dérives.

J’espère que Nicolas Seydoux, Sidonie Dumas, Rafaèle Garcia, Rodolphe Belmer, Delphine Ernotte, Maxime Saada, Vincent Bolloré, Ghislain Gauthier, Rachida Dati, Bruno Patino et bien d’autres nous entendront et réagiront pour nous réhabiliter, loin de tout cynisme et ostracisme.

Comme me l’a dit récemment mon avocat : « Sois fier de ton combat ! »

Je n’aurais jamais pu imaginer que ce combat puisse nous amener tous ici, aujourd’hui, face à vous, entre ces murs. Tout cela est bien triste, mais plein d’espoir. Nous avons un devoir de protéger nos cadets et nos cadettes de ces prédateurs connus et reconnus. Célèbres ou pas, ils doivent être condamnés et les victimes indemnisées, qu’elles puissent retrouver leurs fonctions, leurs droits et l’estime publique, leur dignité. Il faut faire tomber la loi du silence. Nous avons le devoir d’informer et de dénoncer tous ces actes odieux, d’évoluer humainement, culturellement, pour le bien de cette société, avec un peu plus de spiritualité et moins d’avarice, mais avec panache.

Je finirai avec cette citation de Samuel Johnson : « Les grands accomplissements sont réussis non par la force, mais par la persévérance. »

Merci de m’avoir écouté et j’aimerais dédier cette commission d’enquête à Simon de La Brosse et à toutes les victimes de harcèlement sexuel, de viol, d’agression et d’abus de pouvoir dans ce monde.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie beaucoup pour ce témoignage extrêmement précis, détaillé et évidemment très fort. Quelle est votre situation économique et psychologique ? Comment allez-vous et que faites-vous aujourd’hui ?

M. Francis Renaud. Psychologiquement, je vais bien parce que je suis père de deux filles et que je dois donc être présent. Même si j’ai parfois des idées suicidaires, j’essaye de rester debout.

Financièrement, c’est la catastrophe. Olivier Marchal et mon ex-épouse m’ont aidé. Je ne tourne plus beaucoup. Je perçois heureusement le revenu de solidarité active (RSA). J’ai récemment réalisé des missions d’intérim, mais il est difficile de trouver du travail.

J’écris beaucoup de projets, notamment un scénario intitulé Le chaos des flocons, qui a été refusé par le centre du cinéma et de l’image animée (CNC). On nous a dit non. On me dit non depuis très longtemps. On n’a pas envie de me voir derrière une caméra en train de filmer des histoires. Et on n’a plus envie de me voir en tant qu’acteur.

J’ai tourné cette année dans le film Gibier, réalisé par Abel Ferry et produit par Fabrice Lambot, qui devrait sortir en 2025 et qui porte sur la maltraitance des animaux dans les abattoirs. Ce n’est pas assez et il faudrait encore que le film sorte.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous remercie beaucoup pour ce témoignage, qui décrit des faits violents.

Vous avez parlé d’une « époque où tout était permis ». Vous avez évoqué des faits qui commencent dès votre sortie d’école et se poursuivent jusqu’en 2004 ou plus tard encore. Pouvez-vous préciser les dates ?

M. Francis Renaud. Je suis arrivé à Paris le 27 septembre 1985, à l’âge de 18 ans. J’ai commencé en tant que figurant. J’ai fait beaucoup de petits boulots et, très vite, nous avons affaire à des prédateurs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous fait une école ?

M. Francis Renaud. Je n’ai pas fait d’école, mais j’ai suivi des cours auprès de Véra Gregh, de Sarah Eigerman ou encore au sein du conservatoire du 10e arrondissement. Enfant, j’étais dyslexique. Je ressentais beaucoup de trac et il m’était impossible de m’exprimer au théâtre ou même dans les cours. J’avais été humilié par mon beau-père à l’époque et il fallait donc que je me reconstruise à travers la culture et les livres.

Ces prédateurs nous tombent dessus parce que nous ne sommes pas connus. Il faut bannir les castings sauvages. Il y a des acteurs qui prennent des cours de théâtre pendant plusieurs années. Le casting sauvage consiste à aborder des mômes et de jeunes filles dans la rue, à les mettre dans une suite de l’hôtel Raphaël et à leur proposer le rôle principal d’un film.

Gérald Thomassin a eu un César pour le film Le petit criminel de Jacques Doillon. Mais où est-il aujourd’hui ? Il a disparu.

Ces prédateurs nous prennent et font leur marché.

Simon de La Brosse était beau et a tourné dans de nombreux films. Il a été découvert par Dominique Besnehard à la terrasse d’un bistrot de Montmartre. Qu’a fait Dominique Besnehard ? Simon s’est suicidé. Il n’avait pas à se suicider, il avait encore plein de films à faire. On ne devrait pas se suicider à 32 ans.

En plus, ces gens étaient séropositifs et ne mettaient pas de préservatif. André Téchiné était au courant de tout cela. C’est honteux ! J’ai porté plainte pour qu’il ne parte pas les mains propres. Je me fous qu’André Téchiné m’ait volé mon histoire, mais il connaissait très bien Michel Béna, qui a transmis le sida à des acteurs qui en sont morts. C’est dramatique !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pouvez-nous expliquer ce qu’est un casting sauvage ? Cette pratique était-elle répandue ? À votre connaissance, continue-t-elle ? Vous avez parlé d’une « époque où tout était permis ». Tout est-il encore permis ? Que pouvons-nous améliorer ?

M. Francis Renaud. Il y a toujours du casting sauvage, mais c’est peut-être, heureusement, un peu moins le cas.

Concernant le fonctionnement de ce type de casting, vous êtes démarchés par des individus dans la rue, le métro, à la terrasse d’un café ou dans n’importe quel lieu. Ils viennent vous voir, vous regardent et vous demandent si vous aimeriez passer des essais pour faire du cinéma. Lorsque les directeurs de casting sont bienveillants, cela évite à de jeunes acteurs et actrices de tomber dans ce type de griffes. Ils vous proposent de les accompagner à des soirées ou au théâtre et vous proposent un rôle.

Beaucoup de jeunes acteurs se sont retrouvés à jouer leur propre rôle dans un film, mais ont été détruits par l’argent et les festivals. C’est déstabilisant de vivre dans une chambre de bonne, puis de se retrouver à Venise à prendre le vaporetto avec David Lynch ou Uma Thurman, à loger dans la chambre d’un palace, avec beaucoup d’argent et le rôle principal.

Il y a aussi ces soirées terribles, telles que les soirées Première ou Studio à l’époque, avec beaucoup de cocaïne. Il n’y a que de la cocaïne dans le cinéma. Cette drogue est aussi un fléau. Nous tombons tous dedans. J’en ai pris un jour parce que ma copine et un acteur que j’ai reconnu en prenaient. Pour ne pas être évincé et faire partie du club, j’en ai consommé pendant cinq ans. C’est une catastrophe ! Il ne faut pas prendre ça. C’est terrible ! C’est comme l’alcool, c’est violent.

Robert Donat m’a demandé de me masturber devant la caméra. Je ne sais pas quels témoignages vous avez entendus, mais j’espère que beaucoup vont dans mon sens et que des acteurs et des actrices ont eu le courage de dénoncer des gens, car il faut dire les noms.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour l’instant, ce sujet est compliqué. Nous auditionnons beaucoup d’institutionnels, qui nous expliquent tous les dispositifs mis en place. Je vous remercie d’ouvrir ce champ de la parole.

M. Émeric Salmon (RN). Je vous remercie de ce témoignage très fort et je salue votre courage.

Vous avez évoqué une « époque où tout était permis ». Cette phrase m’a un peu perturbé, comme tout le monde. Vous avez témoigné sous serment et vous nous avez indiqué qu’il n’y a pas eu de plainte en diffamation à la suite de votre livre. Nous avons donc toute raison de vous croire. Si ces personnes que vous avez citées s’en vont, d’ici quelques années, pensez-vous que les problèmes cesseront ou faut-il tout de même mettre des actions en place ?

Lorsque vous avez été victime de ces agissements, l’existence d’un organisme à votre écoute afin de vous soutenir, notamment pour porter plainte, aurait-elle pu vous aider ? Des initiatives auraient-elles pu être mises en place pour vous aider au moment où vous avez été victime ?

M. Francis Renaud. Tout d’abord, Danielle Gain, mon premier agent, n’aurait pas dû me dire de me taire pour préserver ma carrière. Je ne suis pas carriériste ou opportuniste. J’avais le rêve de devenir acteur, tout simplement. J’étais émerveillé par le cinéma, qui est un art fantastique où l’on joue avec l’émotion, l’on raconte des histoires et l’on peut pleurer ou rire. Le cinéma était un univers que je ne connaissais pas mais qui m’attirait beaucoup — et c’est encore le cas, car j’adore mon métier. Toutefois, les agents artistiques ne devraient pas nous pousser à nous taire. C’est l’omerta !

Les agents représentent une vraie mafia. Ils se connaissent tous. Cécile Felsenberg, qui est directrice d’UBBA et était auparavant chez Artmédia et VMA, connaît mon histoire. Frédérique Moidon, qui était mon dernier agent, connaît également mon histoire.

Vous savez, les acteurs parlent sur un plateau de tournage. Je suis moi-même obligé de parler, sinon je serai déjà mort. J’ai besoin d’écrire, car c’est un exutoire. Si nous avons une bouche, c’est pour parler, crier et se défendre. Si nous avons des yeux, c’est pour regarder, et non pour les fermer.

On aurait pu sauver des gens, comme Simon de La Brosse. On aurait pu sauver de nombreux acteurs — ceux que l’un de mes amis appelle les « orphelins de la lumière » —, qui ont arrêté ce métier parce qu’ils ont refusé de coucher ou de sucer. Moi, je n’ai jamais voulu sucer pour faire ce métier ou avoir un rôle. Beaucoup d’acteurs et actrices ont vécu la même chose, mais ne parleront pas parce qu’ils ont honte.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. En plus de la honte, le risque sur la carrière est également très manifeste.

Notre commission a auditionné deux agents à huis clos. Toutefois, j’ai trouvé leur témoignage extrêmement décevant. J’aimerais vous questionner sur le rôle de ces agents, qui semblent être des maillons très importants dans l’organisation du métier, mais aussi dans l’omerta qui peut avoir lieu. Comment percevez-vous leur rôle ? Comment pourrait-on débloquer la situation avec eux ?

M. Francis Renaud. Les agents constituent un pilier ayant beaucoup de pouvoir dans le cinéma. À une époque, les distributeurs et les producteurs ont également eu un poids très important.

Dans les années 1980-1990, après avoir été directeur de casting, Dominique Besnehard est devenu agent artistique chez Artmédia. Il a alors eu ce pouvoir d’attirer vers lui de nombreux acteurs et actrices à travers le casting sauvage et par sa réputation, de faire briller et de proposer des rôles, mais il ne fallait rien dire. Bertrand de Labbey, Cécile Felsenberg et Frédérique Moidon sont au courant. 

Un agent m’a dit dernièrement que des actrices se plaignent, encore actuellement, de producteurs qui demandent des fellations en échange d’un rôle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Que pourrions-nous faire ?

M. Francis Renaud. Il faudrait leur retirer leur commission de 10 %, car c’est la raison de leur silence et ce qui flingue le métier.

À une époque, il n’y avait pas de directeur de casting. Ce poste a été créé dans les années 1960-1970 par une femme nommée Margot Capelier. Auparavant, le réalisateur et le premier assistant faisaient eux-mêmes le casting et il n’y avait pas tous ces délires obscènes. C’est un métier, nous ne sommes pas là pour nous prostituer. Il y a eu une dérive avec des gens malhonnêtes et des prédateurs qui ont tout mélangé, comme Gérard Moulévrier.

 Gérard Moulévrier m’a d’ailleurs appelé, en 2024, pour me demander ce qu’il pouvait faire. Je lui ai répondu que c’était trop tard, que les gens devaient savoir qui il est.

J’ai honte pour les agents artistiques, car ils devraient parler et protéger leurs clients. Un avocat se doit en effet de protéger son client. Or les agents artistiques ne le font pas et privilégient leurs petits poulains qui ne parlent pas. On va faire des Jean Dujardin, Gilles Lellouche ou Pierre Niney, qui ne parlent pas. On va faire croire beaucoup de choses. On va enjoliver. Ça leur permet de rester entre eux, au sein du gratin. Mais ça pue tout ça ! Il faudrait condamner ces gens, qui sont aussi responsables de cette dérive et de l’omerta.

Je n’invente rien. Ce n’était pas mon souhait d’être auditionné par cette commission d’enquête, mais j’ai une responsabilité en tant qu’acteur par rapport à ceux qui exerceront ce métier à l’avenir, qui est le plus beau métier du monde. Nous avons affaire à des gens infâmes, qui nous disent simplement de nous taire et qui nous font du chantage. Les agents artistiques nous disent de nous taire pour préserver notre carrière. Or je n’ai pas pu et j’ai commencé à parler très tôt.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez évoqué des fêtes, avec des backrooms, ainsi que le fait que vous aviez porté plainte et qu’un réseau avait été démantelé. C’est étonnant, car on a l’impression que ces faits n’ont pas eu de conséquences et qu’il n’y a pas eu de médiatisation. Pourriez-vous nous préciser les faits, la période à laquelle ils se sont déroulés et l’impact qu’ils avaient eu à ce moment-là ?

M. Francis Renaud. Les faits ont eu lieu en 1993, lors de la fête de fin de tournage du film Pigalle de Karim Dridi, qui s’est déroulée rue André-Antoine dans d’anciens studios de son aménagés.

Le tournage de ce film avait été assez éprouvant, mais je me suis investi pour jouer le personnage de Fifi, qui n’était pas facile à interpréter. Si j’avais eu une autre proposition, je ne l’aurais pas forcément fait, mais on me l’a proposé et il fallait donc le faire.

 Le soir de la fête de fin de film, j’ai retrouvé Karim Dridi, qui était en train de fumer un joint. Il y avait un lit de camp, une jeune fille de 16 ans dénudée et Bobby Pacha, le directeur de casting. Une caméra sur pied était branchée. En regardant dans l’œilleton, j’ai vu un lit tout sale, couvert de tâches, sur lequel était jetée une jeune fille, qui m’a semblé âgée de moins de 18 ans. J’ai vu trois personnes d’un certain âge circuler autour d’elle et la violer. C’était filmé. J’ai retiré mon œil de l’œilleton de la caméra et j’ai collé Bobby Pacha contre un mur. Je suis parti. J’en ai parlé à ma copine de l’époque, qui a été assez stupéfaite, et, le lendemain, je suis allé voir Danielle Gain, qui travaillait chez CinéArt, afin de tout lui raconter. Danielle Gain m’a dit de me taire. C’est comme la presse, qui ne raconte rien.

Je n’ai pas déposé plainte, mais j’ai rencontré un inspecteur de police, qui a pris mon témoignage. J’ai su qu’un an plus tard — en 1996, il me semble —, un réseau de rabatteurs a été démantelé. Ce réseau était composé d’anciens figurants qui se faisaient passer pour des producteurs sur les Champs-Élysées et qui rabattaient des jeunes filles venant de banlieue en leur promettant le rôle principal d’un film. Des essais étaient faits, au cours desquels les jeunes filles devaient se déshabiller. Les filles les plus naïves montaient malheureusement dans cette production fantôme, située rue de Berri. Un verre contenant du GHB leur était servi. Elles se retrouvaient alors dénudées sur un lit et étaient violées. Les viols étaient filmés. J’ai vu un carton plein de cassettes VHS. La police a fait un beau travail et est parvenue à démanteler ce réseau mafieux, qui était assez connu.

À l’époque, on m’a demandé de me taire. Olivier Marchal et de nombreuses personnes, telles que Karim Dridi, connaissent cette histoire. J’ai attendu que Karim Dridi m’appelle. Lors du festival d’Avoriaz, en 1997 ou en 1998, j’ai rappelé à Karim Dridi ce qu’il s’était passé et je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas agi avec moi et essayé de savoir ce que j’avais vu. Karim Dridi m’a rappelé des années plus tard, pour jouer dans Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès. J’ai refusé le rôle et, devant sa productrice, je lui ai demandé pourquoi il n’avait rien dit ce soir-là. Je l’ai planté là et je suis parti.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous été témoin de faits sur des enfants ? Lors de tournages avec des enfants, avez-vous vu des situations de vulnérabilité particulières ?

M. Francis Renaud. Personnellement, non. Toutefois, des actrices m’ont parlé, notamment Jennifer Miramont, qui a porté plainte contre Nils Tavernier pour des faits s’étant déroulés lorsqu’il avait 26 ans et qu’elle était âgée de 12 ans. Jennifer Miramont a témoigné dans un entretien pour le Nouvel Obs. À la suite à cet entretien, deux autres personnes ont porté plainte. Comment peut-on s’en prendre à un enfant de 12 ans ? Sur les plateaux, je n’ai jamais constaté de faits envers des enfants. Mais, dans la mesure où je regarde et protège, de tels faits ne pourraient pas se produire.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Des faits survenus dans le cadre de castings sauvages d’enfants ont été évoqués.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le projet de film que vous avez mentionné, Le chaos des flocons, est-il tiré du livre de Mme Jennifer Miramont ?

M. Francis Renaud. Oui.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez fait de beaux films et vous avez eu une belle carrière. Tout le monde reconnaît que vous étiez un grand acteur. Vous avez d’ailleurs reçu deux prix. Pour la deuxième fois, nous auditionnons un grand acteur qui, à un moment, a été broyé par un système. Vous avez également expliqué que des acteurs magnifiques se sont suicidés. Comment parvient-on à tenir un temps dans ce monde compliqué ? Je vois votre passion très forte et encore vivante pour ce métier.

Comment pourrions-nous protéger les personnes qui ont envie d’être acteurs et de faire de grands films ?

Votre témoignage est difficile et nous trouble évidemment un peu. Vous décrivez, comme Sara Forestier l’avait fait, une machine à broyer. Nous avons perçu que le secteur avait mis en place beaucoup d’actions. J’espère que l’époque que vous nous décrivez n’est plus la même aujourd’hui. Si vous pouvez nous donner des éléments sur ce point, cela nous rassurerait un peu.

Comment pourrions-nous faire pour que tous ces faits n’arrivent pas ? Auriez-vous des propositions concrètes, en plus de toutes les réflexions qui sont en cours autour des coordinateurs d’intimité ? Est-ce une initiative qui vous semble importante ? Sur chaque tournage, il y a une discussion avec un spécialiste afin de savoir comment on tourne une scène d’intimité dénudée. Quelle vision avez-vous sur ce point ?

M. Francis Renaud. Votre démarche est extrêmement importante et positive à notre égard et pour notre profession. Heureusement que cette commission d’enquête mène ses travaux et que les choses évoluent en 2024.

Nous pourrions tout d’abord parler et effectuer de la prévention. Lorsque nous faisons une lecture d’une pièce ou d’un scénario, la responsabilité du réalisateur est d’être bienveillant, de soutenir ses acteurs et ses actrices et de dire : « Dites-moi s’il se passe quelque chose, je veux l’entendre. » Ce point relève également surtout de la responsabilité du producteur. Or, aujourd’hui, la plupart des producteurs – hormis Fabrice Lambot, qui me permet de travailler – ferment les yeux, car il y a beaucoup d’argent en jeu. Il me semble indécent de gagner 500 000 euros pour un film. C’est l’argent qui corrompt et abîme un peu. Il faut être intransigeants et fermes. De plus, cette intransigeance devrait aussi venir des agents artistiques.

Beaucoup de choses sont à créer, notamment des lois pour protéger les enfants. Des intervenants devraient être présents sur les tournages.

Par ailleurs, des personnes extérieures au milieu du cinéma devraient assister aux scènes de sexe, car des gens obscènes et malsains reviendront, tels que Catherine Breillat, qui est épouvantable. Je n’ai personnellement pas été violé par Rocco Siffredi, mais Caroline Ducey a vécu des choses effroyables et a été brisée alors qu’elle aurait pu être une grande actrice césarisée.

Il faut que de nouveaux métiers soient créés et que des intervenants soient présents sur le tournage de chaque série ou film. Durant la période de la pandémie de Covid-19, une infirmière était présente du matin au soir. De la même manière, il faudrait qu’un nouveau poste soit créé, afin qu’une personne habilitée et salariée par la production soit présente lors du tournage des scènes les plus troubles et complexes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ce point évolue un peu actuellement avec les coordinateurs et coordinatrices d’intimité, dont nous parlons beaucoup dans cette commission d’enquête, même si c’est encore marginal. Après, cela ne résout pas tout ce que vous décrivez, à savoir cette phase de casting et même de pré-casting. D’une certaine manière, pour avoir accès au casting, il faut déjà, a minima, avoir fait allégeance.

Je voulais vraiment vous remercier de votre témoignage, de sa force et de votre courage. Nous vous entendons. Nous respectons votre parole.

Je voudrais aussi envoyer un message, en tant que présidente de cette commission d’enquête, pour dire aux acteurs, aux actrices et aux personnes qui travaillent dans ce milieu et qui ont des choses à dire que notre commission est un lieu où elles peuvent venir s’exprimer, que leur parole sera respectée et entendue et que, grâce à elles, nous pourrons changer les choses.

Je vous remercie.

 

La séance s’achève à onze heures trente-cinq.


Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Graziella Melchior, Mme Sandrine Rousseau, M. Emeric Salmon