Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des producteurs :......2
- M. Olivier Delbosc, producteur (Curiosa Films)
- M. François Kraus, producteur (Les Films du Kiosque)
- M. Dimitri Rassam, producteur (Chapter 2)
- M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films
- M. Hugo Sélignac, président de Chi-Fou-Mi Productions
– Présences en réunion....................................22
Jeudi
13 mars 2025
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 43
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission
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La séance est ouverte à dix heures trente.
La commission procède à l’audition de : M. Olivier Delbosc, producteur (Curiosa Films), M. François Kraus, producteur (Les Films du Kiosque), M. Dimitri Rassam, producteur (Chapter 2), M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films, et M. Hugo Sélignac, président de Chi-Fou-Mi Productions.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous poursuivons nos auditions en recevant des producteurs d’œuvres essentiellement cinématographiques : M. Hugo Sélignac, président de Chi-Fou-Mi productions, à qui l’on doit récemment L’Amour ouf et Leurs enfants après eux, M. Dimitri Rassam, président de Aka productions et producteur à la tête de Chapter 2, filiale de Mediawan qui a notamment produit Le Comte de Monte-Cristo, M. François Kraus pour Les Films du Kiosque, entreprise qui a notamment produit Sarah Bernhardt, la divine et Bonnard, Pierre et Marthe, M. Olivier Delbosc, producteur chez Curiosa Films, qui a notamment produit Les Illusions perdues et la série D’Argent et de Sang, et M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films, filiale de production du groupe Pathé qui a récemment participé à la production d’Emilia Perez.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Après avoir reçu les organisations professionnelles il y a quelques semaines, il nous a semblé utile de compléter cette audition en recevant des producteurs de terrain, à quelques jours de la finalisation du rapport de M. Balanant.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Nous garderons toutefois un temps d’échanges à huis clos si vous souhaitez nous transmettre certaines informations qui doivent rester confidentielles.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Olivier Delbosc, François Kraus, Dimitri Rassam, Ardavan Safaee et Hugo Sélignac prêtent successivement serment.)
M. François Kraus, producteur (Les Films du Kiosque). J’ai créé ma société voilà trente ans et produit une quarantaine de films. J’ai fait des études de cinéma et de lettres, passant par le département production de la Fémis, animé d’abord et avant tout, très jeune, par une vraie passion du cinéma. C’est la cinéphilie qui m’a amené à la production. J’ai eu la chance de découvrir très tôt que c’était, dans le cinéma, un métier qui me convenait et que je voulais exercer parce qu’il permettait de couvrir tous les spectres de la fabrication d’un film, du synopsis et du scénario jusqu’à la sortie.
Avec ma petite entreprise, qui compte six ou sept employés et un associé, nous avons donc produit une quarantaine de films, dont dernièrement, comme vous le rappeliez, Sarah Bernhardt et Bonnard. J’ai également produit quatorze premiers films, dont ceux de Maïwenn, Andréa Bescond, Igor Gotesman, Nicolas Bedos, Thierry Klifa et beaucoup d’autres. J’ai également produit des cinéastes comme Emmanuelle Bercot, Marion Vernoux, Martin Provost ou Guillaume Nicloux – en un mot, des films « du milieu ».
J’ai aussi produit trois films emblématiques de la thématique que nous abordons ce matin : Pardonnez-moi, de Maïwenn, sur les violences intrafamiliales, La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot, sur la justice des mineurs, et Les Chatouilles, inspiré d’un spectacle que j’ai vu à Avignon en 2015 et que j’ai produit pour des raisons personnelles et intimes. Ce film a beaucoup compté dans notre filmographie.
Enfin, puisque nous allons aussi aborder la question de la parité, mon associé et moi-même avons compté que 60 % des films que nous avons produits avaient été réalisés par des hommes et 40 % par des femmes, soit un peu plus que la moyenne nationale, même si nous ne sommes pas tout à fait à la parité.
M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films. J’ai commencé ma carrière il y a une vingtaine d’années en travaillant dans des sociétés de production ou de distribution indépendantes, avant de rejoindre, voilà environ dix ans, la société Pathé, dont je dirige depuis cinq ans la filiale Pathé Films, qui compte environ quatre-vingt-dix personnes travaillant au service des films sur lesquels nous sommes engagés. Notre métier consiste essentiellement à exploiter des droits de distribution en salles, en vidéo et à la télévision, ainsi que de vente à l’étranger dans le monde entier pour des films que nous finançons pour des montants souvent conséquents.
Nous travaillons presque exclusivement avec des producteurs indépendants, qui sont également chargés de la production. Notre intervention en la matière est variable, allant de la distribution simple de films en salles jusqu’à la coproduction, voire, à de rares occasions, à la production déléguée seule.
Nous recevons à peu près 600 projets par an et en choisissons dix à douze, sur lesquels nous nous engageons par des montants de coproduction et des mandats de distribution en France et à l’étranger.
Nous avons participé, comme vous l’avez dit, à Emilia Perez, au Comte de Monte-Cristo, à Emmanuelle, à Monsieur Aznavour, aux films de Dany Boon, à la série des Tuche, aux films de Pedro Almodovar, au dernier film d’Alice Winocour, aux Trois mousquetaires et aux Astérix : nous coproduisons et distribuons, chez Pathé, un spectre de production assez large.
M. Dimitri Rassam, producteur (Chapter 2). J’ai fondé la société Chapter 2, que je dirige encore, il y a une vingtaine d’années. Nous avons produit une vingtaine de films – des comédies comme Le Prénom, Le Brio ou Papa ou maman et, plus récemment, des films d’aventures comme Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo. La société compte neuf salariés. Il y a environ huit ans, je me suis associé avec le groupe Mediawan et je continue à diriger la société et à en être le producteur.
M. Olivier Delbosc, producteur (Curiosa Films). Je suis producteur indépendant depuis environ vingt-huit ans. J’ai produit un peu plus de 110 films par le biais de deux structures. La première s’appelait Fidélité, créée avec Marc Missonnier. La deuxième structure est Curiosa Films. J’ai toujours été producteur indépendant, donc entrepreneur indépendant, avec des structures que j’anime seul. Leur particularité est que nous sommes assez structurés : en dehors d’un directeur de production qui est intermittent du spectacle sur le plateau, j’ai une directrice des productions qui supervise toutes nos productions.
Les metteurs en scène avec lesquels j’ai travaillé sont nombreux et très différents – François Ozon, Cédric Kahn, Xavier Giannoli, Olivier Assayas, Claire Denis – avec une grande diversité de budgets et de lignes éditoriales. Je suis actuellement en tournage d’une adaptation du Mage du Kremlin, un gros film à l’étranger, et en préparation, avec Xavier Giannoli, d’une grande fresque sur la collaboration.
Ayant, en outre, produit trois films du Petit Nicolas, je connais bien le problème soulevé par la gestion des mineurs sur les plateaux et pourrai vous en parler.
M. Hugo Sélignac, président de Chi-Fou-Mi Productions. Je n’ai pas fait d’études et j’ai commencé à travailler à 18 ans, dans la société des Films du Trésor, dirigée par Alain Attal, pour qui j’ai travaillé pendant dix ans. En 2012, j’ai créé Chi-Fou-Mi Productions. Nous avons démarré en produisant beaucoup de premiers films : ceux de Jérémie et Yannick Renier, de Sara Forestier, de Jeanne Herry, avec qui j’ai produit trois films, dont Pupille et Je verrai toujours vos visages. J’ai produit cette année L’Amour ouf de Gilles Lellouche, avec deux mineurs dans les rôles principaux, Leurs enfants après eux, Ni chaînes ni maîtres de Simon Moutaïrou, ainsi que des films de Cédric Jimenez, dont Novembre et BAC Nord.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Voudriez-vous ajouter à cette présentation quelques éléments sur les violences sexistes et sexuelles et les violences envers les enfants ?
M. Ardavan Safaee. Depuis cinq ans que je dirige Pathé Films je n’ai pu que constater un changement considérable des mentalités. Le mouvement MeToo et la libération de la parole qui a suivi, notamment dans le secteur du cinéma, ont définitivement changé les mentalités dans nos sociétés de production et sur les plateaux, ainsi que notre manière de travailler et de nous organiser au quotidien. Cela va de la lecture du scénario, où nous sommes de plus en plus vigilants quant au traitement des personnages féminins, jusqu’à la communication auprès du public. Nous constatons ces changements chez les permanents de nos sociétés, pour lesquels nous avons instauré des codes de conduite et introduit dans le règlement intérieur des articles spécifiques relatifs aux violences physiques et morales. Nous constatons aussi ces évolutions au sein des équipes de film, avec tous les outils dont nous parlerons tout à l’heure. Depuis l’apparition de ce mouvement, nous sommes très soucieux, du moins chez Pathé, d’accompagner la libération de la parole et d’adopter une attitude exemplaire, tant au sein de l’entreprise que sur les plateaux où nous travaillons.
M. François Kraus. Le mouvement MeToo a huit ans et je constate pour ma part, depuis deux ou trois ans, une vraie révolution dans nos pratiques, que ce soit sur les tournages ou lors de leur préparation, avec les très nombreuses mesures qui ont été instaurées et dont vous avez discuté au cours des précédentes auditions de votre commission d’enquête.
J’insisterai, plus concrètement, sur les formations. Nous avons, tous les cinq, été formés, il y a deux ou trois ans, dans le cadre des premières formations organisées dans ce domaine, qui étaient des séances de deux heures à deux heures trente destinées uniquement aux producteurs et gérants de sociétés de production. Depuis janvier, une nouvelle formation comportant une partie théorique et une partie pratique sur les plateaux, de deux heures trente chacune, a été créée à destination des techniciens, chefs de poste, réalisateurs et stars – c’est-à-dire absolument tout le monde. Ayant suivi cette formation pour en connaître le contenu et le fonctionnement, je pense qu’elle se traduira par une véritable révolution. Dorénavant, en effet, les techniciens ou acteurs qui tourneront deux ou trois films par an suivront chaque année deux ou trois formations plateau – ce qui est considérable –, ainsi qu’une formation théorique, qui créent un langage commun et une connaissance unique des règles juridiques et législatives qui s’appliquent à notre métier. Je sais que cela n’existe que dans le cinéma et n’a pas d’équivalent dans les domaines de la culture et du spectacle vivant. Pour le vivre aujourd’hui, je vois qu’une révolution est en train de s’opérer.
Depuis trois ans, des référents sont présents sur quasiment tous les tournages car, même si ce n’est pas obligatoire, la prise de conscience est générale et l’évolution se fait naturellement. Souvent, du reste, il n’y a pas un référent unique, mais deux – dans la plupart des cas, un homme et une femme. Cette courroie de transmission sur le plateau est un élément complètement nouveau, qui est quasiment systématique chez nos collègues, que j’ai interrogés. Nous faisons, quant à nous, intervenir des référents depuis trois ou quatre ans et, dès le début, en informons les équipes. Cette procédure est indiquée dans les contrats de travail et dans tous les documents liés au projet. Cela non plus, me semble-t-il, n’existe pas dans les autres secteurs d’activité, du moins culturels.
Tous les changements introduits par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), et par la prise de conscience générale qui se fait dans le monde où nous vivons, ainsi que par les travaux menés depuis un an par cette commission, sont le fruit et la conquête du mouvement MeToo dans le cinéma. Il existe encore d’autres mesures, très importantes, mais je tenais à insister sur celle-ci, car c’est ce que nous vivons maintenant. Pour terminer sur une note positive, je suis convaincu que cette démarche portera ses fruits dans les années à venir.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Puissiez-vous avoir raison…
M. Hugo Sélignac. Le mouvement est en marche et nous n’en sommes qu’au début. Il y a beaucoup de choses à améliorer, à créer et à changer, mais il faut parler aussi des points positifs. Ayant dû, pour ma part – et nous en parlerons peut-être plus tard –, gérer sur un tournage une situation de VHSS – violences et harcèlement sexistes et sexuels –, je pense que ni mes équipes ni moi-même n’aurions pu, il y a quatre ou cinq ans, le faire comme nous l’avons fait, parce que nous n’y étions pas préparés. À cette époque, en effet, il n’y avait pas encore de référents et la victime n’aurait peut-être pas eu le courage de parler à quelqu’un. Ce qui a été entrepris depuis MeToo et, en France, depuis peut-être deux ou trois ans, avec les prises de parole de certaines comédiennes, a vraiment fait évoluer les choses, ce qui me semble très positif. Nous sommes mieux accompagnés et nous savons mieux faire face.
Ce n’est que le début, mais cette formation, qui me semblait d’abord être bêtement obligatoire, sous peine de ne plus recevoir d’aides, m’a servi et elle sert aujourd’hui à mes équipes. Toutes les structures qui nous entourent et nous conseillent font beaucoup de bien et nous aident à déconstruire un monde et une profession qui en avaient besoin.
M. Dimitri Rassam. Nous avons appris à codifier et à gérer les processus. La prise de conscience que nous avons vécue avec le mouvement MeToo, en tant que citoyens et en tant qu’hommes, a été significative. Je n’avais pas pris auparavant la pleine mesure de ce à quoi les femmes sont confrontées dans le monde personnel ou professionnel. Malheureusement, pour beaucoup d’hommes – et je ne sais pas si cela relève d’un déni –, il y avait de toute évidence une déconnexion entre ce que vivaient les femmes et ce que nous en percevions.
À titre personnel, je ne pense pas que cela ait participé à un changement comportemental, mais la prise de responsabilité juridique est désormais beaucoup plus concrète. Je suis par ailleurs associé au groupe Mediawan, qui a imposé à toutes ses structures une charte qui renforce les processus imposés par le CNC. Concrètement, cela se traduit par la diffusion de cette charte auprès de tous les personnels, soit nos neuf permanents. Comme Olivier Delbosc, j’ai un directeur des productions compte tenu du volume de nos productions, notamment des films « d’envergure » que nous produisons.
Le changement doit certes s’appliquer à toutes les productions, mais un devoir d’exemplarité s’impose peut-être plus encore aux « gros » films. Nous disposons de tous les moyens pour accompagner, pour accueillir la parole le cas échéant, mais surtout pour prévenir et pour assurer un cadre sécurisant. Depuis quatre ou cinq ans, en effet, nous cultivons les réflexes juridiques du traitement des problèmes et, surtout, de leur prévention. Il est évidemment important de savoir réagir mais, pour nous, il s’agit principalement de prévenir.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Vos premières interventions montrent l’immense responsabilité qui incombe à votre profession dans le domaine qui nous préoccupe. Il s’agit d’abord d’une responsabilité juridique – vous êtes en effet garants du respect du code du travail sur les tournages –, mais elle consiste aussi à accompagner les mutations, les transformations du monde dans ce domaine.
Je vous poserai deux questions. La première est de savoir s’il est des choses que, dans d’autres temps, vous n’auriez pas vues ou mal faites, et que vous feriez aujourd’hui très différemment. La deuxième porte sur votre responsabilité dans la manière de faire vos films : avez-vous engagé de vous-mêmes, comme le laisse penser l’intervention de M. Rassam, une réflexion plus poussée sur les moyens de faire en sorte que, lors des tournages – dont nous ne sous-estimons pas la tension ni la difficulté, compte tenu de vos importantes responsabilités et de l’argent engagé – chacun se sente bien et que l’on puisse prévenir des problèmes qui pourraient concerner aussi bien une technicienne visée par des propos sexistes qu’une comédienne subissant des relations tendues et conflictuelles, voire des situations dépassant le cadre légal, de la part du réalisateur ou de la réalisatrice ? Cette question vous importe-t-elle, non seulement en tant que citoyens, comme vous l’avez dit, mais également en tant que responsables de ces structures ?
M. Olivier Delbosc. J’ai la chance de n’avoir jamais été confronté, sur aucun des films que j’ai faits, à des problèmes de VHSS, et c’est tant mieux – je touche du bois ! De telles situations s’étant produites sur les plateaux de certains de mes collègues, nous avons, depuis trois ou quatre ans, anticipé les choses au sein de nos productions. Nous prévoyons ainsi, dans tous les contrats d’engagement des techniciens ou des comédiens, qu’il s’agisse de stars ou de plus jeunes comédiens, des clauses relatives au harcèlement sexuel et à la bonne conduite. Depuis deux ou trois mois, nous conditionnons l’engagement des techniciens à l’obligation de suivre deux modules de formation associant les chefs de poste et les acteurs principaux des films, dispensés pendant deux heures ou deux heures et demie par un intervenant qui les sensibilise au sujet. Nous encadrons donc de plus en plus notre profession afin d’anticiper les problèmes. Je confirme que la prise de conscience est totale et très concrète.
M. Dimitri Rassam. Il est intéressant de se remettre en question. Je n’ai pas connu d’incidents mais, si je devais revisiter les vingt dernières années, je suis certain que je constaterais que la hiérarchie des incidents a changé. Je pense par exemple à un signalement fait trois mois après un tournage par une technicienne qui faisait état de propos sexistes prononcés par son responsable. Il y a dix ans, je n’aurais jamais eu connaissance d’un tel incident. Pour contribuer à la création d’un environnement de sécurité, il faut appliquer une tolérance zéro envers toutes les formes d’expression de VHSS. C’est là certainement quelque chose qui a changé significativement depuis quatre ou cinq ans. Au-delà de l’éthique personnelle de chacun et du cadre qu’il applique en tant que dirigeant, le fait que le curseur se soit déplacé et qu’on puisse désormais détecter des cas qui étaient autrefois jugés anecdotiques contribue aussi au changement des mentalités.
Bien que je n’aie pas connu de cas d’incidents, nous devons réfléchir à codifier davantage l’engagement des personnes avec qui nous travaillons. Ces questions se posent en amont, durant le tournage, mais aussi en aval, car des signalements peuvent intervenir postérieurement. Le fait que la prise de conscience des dirigeants et de ceux qui assument la responsabilité juridique sur le plateau soit connue des techniciens et de toute l’équipe impose un cadre qui a certainement contribué à faire évoluer encore davantage les mentalités.
M. François Kraus. Dans les cinq dernières années, nous avons dû gérer deux affaires, qui n’auraient peut-être pas été signalées antérieurement. Mon associé et moi-même avions remarqué qu’un mouvement s’opérait et, à la suite du signalement de l’agression sexuelle subie par une actrice, nous avons dû écarter un chef de poste. Cela s’est passé assez simplement, car le signalement a été fait dans la soirée par l’actrice et par son agent. Le lendemain, nous avons convoqué le chef de poste, qui a reconnu les faits et s’est excusé, mais nous l’avons immédiatement écarté du tournage, parce que nous ne voulions pas continuer avec lui et parce que l’actrice le demandait. Cela nous paraissait tout à fait légitime.
Nous avons également eu le cas d’un acteur secondaire engagé sur un cachet, qui tenait à la cantine des propos sexistes et nauséabonds, et qui était en outre impliqué dans des violences conjugales envers sa femme. Cette attitude avait mis la réalisatrice très mal à l’aise et nous avons écarté l’acteur – avec son accord, d’ailleurs, car il avait compris.
Ces incidents ont eu lieu dans les trois dernières années. Il est assez récent, en effet, que ces comportements remontent jusqu’à nous pour nous permettre de réagir, mais il est bon que ce soit le cas.
M. Hugo Sélignac. Je risque de répéter des choses qui ont déjà été dites, car nous sommes souvent du même avis sur ces questions. Avant même que les formations soient obligatoires pour l’ensemble des techniciens, la demande en a été exprimée, pour plusieurs de mes projets, par bon nombre de mes directrices et directeurs de production, qui sont les responsables des tournages, sur lesquels ils sont présents quotidiennement. Outre les référents VHSS qui ont demandé des formations sur les plateaux, des techniciens ont également demandé à pouvoir en suivre pour des films exigeant une préparation très longue ou pour la postproduction, qui peut durer plus d’un an. De fait, la préparation est particulièrement longue pour les films d’époque. Je viens ainsi de terminer un polar futuriste intitulé Chien 51, de Cédric Jimenez, pour lequel l’équipe de décoration a été réunie pendant huit mois avant le début du tournage. Il a été demandé que des formations soient dispensées non seulement pour la durée du tournage, mais également pour celle de la préparation et de la postproduction. Ces initiatives viennent des techniciens et ouvrent un échange. Tout le monde est aujourd’hui très concerné et il s’exprime un désir d’améliorer les choses grâce à des mesures qui ne sont pas encore obligatoires, mais qui pourraient le devenir.
M. Ardavan Safaee. J’ai eu le cas d’un signalement et d’une plainte pour agression sexuelle lors d’un tournage en 2020, avant que soient mises en place les formations et toutes les procédures que nous connaissons aujourd’hui. Cette plainte visait le réalisateur et avait été déposée par une technicienne.
Cela conduit à se poser beaucoup de questions sur la manière dont nous avons alors géré cette affaire et sur ce que nous ferions aujourd’hui.
À l’époque, nous n’avions pas été formés. Le mouvement MeToo avait débuté mais toutes les procédures qui sont désormais en vigueur n’existaient pas. On s’est senti un peu démunis sur le moment et face à l’urgence. Les faits ont eu lieu pendant une soirée festive, alors qu’on en était à la moitié du tournage.
La productrice du film s’est déplacée sur les lieux et a entendu tout le monde. Sur les conseils d’un avocat, nous avons décidé de mettre à pied le réalisateur. Nous pouvions le faire dans le cadre de son contrat de travail, mais pas de son contrat d’auteur, lequel stipulait qu’il resterait l’auteur de ce qu’il avait réalisé. Le tournage a été achevé par le chef opérateur. Nous avons décidé que le réalisateur ne participerait à la postproduction qu’en travaillant à distance. Il a également été écarté de la communication, du marketing et de la promotion du film.
Rétrospectivement, on se pose deux questions. Cela serait-il arrivé si l’on avait alors mis en place les mesures de prévention qui sont désormais à notre disposition ? Aurait-on mieux fait face à la situation si nous avions eu en main tous les outils que nous avons maintenant ? On peut se triturer les méninges pendant des heures, mais je pense que nous avons alors su réagir très rapidement.
Les producteurs se sont immédiatement demandé si une assurance pouvait les aider. Nous avons compris tout de suite que ce n’était pas le cas et qu’il fallait qu’on se débrouille. Nous avions engagé des millions d’euros dans cette production, nous n’étions pas protégés et il fallait agir vite. La décision a été acceptée par tout le monde.
Cela nous amène à la partie de votre question qui porte sur les mesures supplémentaires qui pourraient être adoptées.
Quelques équipes ne sont pas présentes sur le plateau, car elles préparent les costumes et les décors. Nous faisons en sorte que ces équipes comprennent des référents spécifiques, car elles sont nombreuses et fonctionnent en vase clos pendant longtemps. Il est important d’étendre le plus possible les mesures de prévention à l’ensemble des personnels, y compris ceux qui travaillent un peu loin du plateau.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les directeurs de production agissent comme vos délégués sur les tournages. Quel est leur statut juridique ? Je crois avoir entendu qu’ils relèvent la plupart du temps du statut des intermittents du spectacle. Le fait qu’ils ne soient pas des salariés permanents de sociétés de production ne les place-t-il pas dans une position de très forte dépendance par rapport à vous ? Si vous estimez que les choses ne se passent pas bien, il vous est très facile de ne plus recourir à leurs services.
Avez-vous déjà envisagé d’employer des directeurs de production en CDI ? Les exemples que vous avez cités montrent bien qu’il est plus facile d’écarter un technicien voire un chef opérateur que le comédien principal ou le réalisateur.
Comment les directeurs de production, qui sont les bras armés de la production, peuvent-ils vraiment faire leur travail sur un tournage – c’est-à-dire s’assurer de son bon déroulement et faire respecter le droit du travail ? Pourriez-vous nous faire des propositions sur ce point, y compris si elles conduisent à des modifications législatives ?
Les référents ont souvent un lien de subordination avec la production. Pourrait-on imaginer qu’ils n’en aient plus ? Quel statut faudrait-il alors prévoir pour eux ?
M. Dimitri Rassam. Vous avez devant vous des représentants de producteurs de films importants. Comme Olivier Delbosc, j’emploie un directeur des productions en CDI – et il reçoit le plus gros salaire après le mien. Son travail consiste à superviser la production.
Mais nous travaillons aussi très régulièrement avec les mêmes intermittents, afin de nous adapter au volume d’activité. Compte tenu de la taille des films que nous produisons, nous ne pourrions pas tous les employer en CDI.
Ceci dit, pour les gros films, la prise en compte du risque juridique et du risque d’image prime désormais – et c’est vertueux. Ceux qui pensent que mettre la poussière sous le tapis serait la meilleure stratégie se trompent lourdement.
Votre question peut se poser pour les sociétés de production dont la situation est plus précaire et qui n’ont pas les moyens de faire appel à un conseil juridique externe. Dans notre groupe, nous disposons de deux juristes en interne et nous avons recours aux services d’un cabinet extérieur – sans parler des conseils qu’utilise le groupe dans son ensemble. Comme le public français a un rapport affectif avec son cinéma, nous avons à cœur d’imposer les bonnes pratiques. Mais comment les structures économiquement les plus fragiles pourront-elles faire face à des contraintes supplémentaires ?
Cela nous amène au sujet de l’assurance. Il est actuellement difficile de la faire jouer car il faut prouver la matérialité du sinistre. La première chose qu’on apprend lors des formations sur les VHSS, c’est qu’il existe un décalage entre le temps juridique et celui de la gestion de ces problèmes. Pour bien gérer les choses, il est nécessaire de faire appel à un cabinet extérieur, car enquêter soi-même n’est pas une bonne idée. Cela fait partie des contraintes économiques.
Il serait nécessaire que le CNC rende obligatoires un certain nombre de bonnes pratiques et démarches. Leur coût étant mutualisé, cela les rendrait accessibles pour toutes les structures, y compris celles qui sont plus fragiles que les nôtres.
M. François Kraus. Il se trouve que nous avons également la chance d’avoir un directeur de production employé à plein temps. Mais le lien de subordination peut être moindre lorsqu’il s’agit d’un directeur de production qui n’est employé que le temps d’un tournage. Il convient de bien réfléchir à cette question car la réponse n’est pas univoque.
En revanche, il est pour nous très clair que le rôle de référent ne peut pas être assuré par un directeur de production. Ce serait incohérent. En revanche, prévoir que le référent fasse partie d’une des équipes travaillant sur le tournage relève du bon sens. En tout cas, c’est ainsi que nous avons toujours procédé.
L’assurance est un vrai sujet. Pour bénéficier d’une indemnisation, il faut tout d’abord qu’une plainte soit déposée, puis que nous fassions un signalement au procureur de la République. Ces conditions n’ont à ce stade jamais été réunies. Par ailleurs, une seule compagnie – Aréas Assurances – couvre les risques de faits de VHSS. Cette police d’assurance est proposée par un courtier, qui travaille d’ailleurs avec d’autres compagnies qui n’assurent pas les VHSS. Il serait utile que toutes les compagnies d’assurance proposent de couvrir ce risque, ce qui permettrait de fédérer les primes d’assurance de tous les films et de faire participer l’ensemble du secteur à ce surcoût. En outre, le préjudice indemnisé est limité à 500 000 euros et à trois jours de tournage, ce qui est un peu faible car des sinistres peuvent coûter davantage.
Comme l’a indiqué Dimitri, le deuxième problème réside dans l’élément déclencheur de la garantie. S’il faut attendre le dépôt de plainte, cela peut être compliqué. On sait bien que les phénomènes de sidération et d’emprise psychologique peuvent parfois conduire à ce que la plainte soit déposée après le tournage.
Le groupe de travail Respect – réactivité, éthique, sécurité, professionnalisme, efficacité, confiance, transparence – a proposé à juste titre que l’élément déclencheur puisse être constitué par une enquête du producteur ou d’un organe extérieur, par exemple le CCHSCT (Comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Il pourrait décider qu’un cas mérite de déclencher la garantie.
Il faudrait que le producteur saisisse le CCHSCT, que ce dernier mène une enquête et que l’assureur indemnise assez rapidement, sans attendre le dépôt d’une plainte car cela peut prendre du temps.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Cette clause assurantielle fait aussi peser sur la personne qui a subi les faits une charge morale et mentale, car elle sait que sa plainte pourra aboutir à l’arrêt du tournage.
Lors des auditions, nous avons réfléchi à une évolution des conditions d’indemnisation et le CCHSCT pourrait en effet jouer un rôle important.
M. Hugo Sélignac. Le rapporteur s’est interrogé sur l’opportunité d’externaliser les référents. Un directeur de production ne peut pas assurer la fonction de référent, mais des membres de ses équipes peuvent le faire. On fait peut-être une erreur en s’attachant au fait que le référent travaille sur le plateau. Ce rôle peut être joué par le secrétaire de production ou l’administrateur qui, sans être directement sur le plateau, sont présents tous les jours. C’est une solution intéressante car elle permet à la victime de se confier sans être vue.
M. Olivier Delbosc. Externaliser le référent serait une très mauvaise idée.
Il faut tout d’abord que vous ayez conscience que, même lorsqu’il dure peu de temps, un tournage est une microsociété où tout se régule humainement. Les gens ont des valeurs morales. Les faire observer par un tiers comme s’ils étaient des animaux de laboratoire serait pris comme une intrusion.
En revanche, je vous confirme que sur mes plateaux, les référents sont des volontaires. Ils ne sont jamais choisis au sein de la production. Ce sont des hommes ou des femmes. La plupart du temps, je prévois deux référents. Ils sont indemnisés mais ce ne sont pas des professionnels et cela se passe très bien.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Si tout se régulait toujours, cette commission ne serait pas réunie.
Monsieur Kraus, vous avez indiqué que vous ne souhaitiez pas que le référent soit lié à la production. Avez-vous toujours pratiqué ainsi ou bien avez-vous évolué en fonction de l’expérience ?
M. François Kraus. Je ne souhaite pas que le référent soit le directeur de production. Il est en quelque sorte le chef de chantier et a déjà beaucoup de responsabilités en matière de contrats de travail, d’organisation et de négociation des salaires.
Ce que nous avons mis en place me semble plus adapté. Le rôle de référent a été parfois confié à des secrétaires ou des coordinatrices de production, à des scriptes ou à des assistantes réalisatrices. Dernièrement, nous avons essayé de doubler le nombre de référents, en ayant un homme et une femme.
M. Dimitri Rassam. Il nous semble impératif que deux référents figurent sur la feuille de service : un homme et une femme. Il est également nécessaire qu’y soit mentionné le moyen de contacter la production et la médecine du travail, car plusieurs guichets doivent pouvoir être utilisés – par exemple dans le cas où le référent serait lui-même impliqué.
Toutes ces informations sont disponibles sur la feuille de service adressée chaque jour à tous les personnels, y compris pendant la phase de préparation du tournage.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous reviendrons sur ce point important, car il faut aussi protéger les référents eux-mêmes. Comment faire pour qu’ils soient efficaces sur les plateaux et pour éviter qu’ils soient blacklistés parce qu’ils ont dénoncé des choses ? C’est un risque qu’ils courent. Leurs responsabilités en tant que référent ne correspondent pas toujours à leur place dans la hiérarchie sur le plateau.
Vous faites partie des dernières personnes à être auditionnées. Nous avons fait le tour de l’ensemble des parties prenantes de ce secteur, en tous cas dans le monde du cinéma. Nous avons reçu beaucoup de témoignages, dont certains anonymes. Or ce qu’ils décrivent est assez éloigné du tableau que vous avez brossé. Il est donc important que cette commission d’enquête démêle les choses.
Vous nous avez fait part de signalements qui concernaient surtout des techniciens au cours des cinq dernières années. Mais avez-vous eu connaissance de faits commis par ceux que, dans votre métier, on appelle des talents ? Avez-vous eu à gérer les situations qui en découlaient ?
Avez-vous employé certains d’entre eux alors que vous étiez au courant de leur comportement ? Si oui, qu’avez-vous mis en place pour protéger les personnes sur les tournages ?
M. François Kraus. J’ai vécu une expérience très traumatisante en 2017, lors d’un tournage avec Sara Forestier. Elle a témoigné de ce qu’elle avait vécu devant votre commission. J’ai écouté son audition et j’ai été plus qu’ému d’entendre tout ce qu’elle avait subi au cours de sa carrière, lorsqu’elle était mineure et avant ce fameux tournage. Je la connaissais auparavant, car j’avais produit La Tête haute, film dans lequel elle jouait. Mais je n’étais pas au courant de tout ce dont elle a témoigné devant vous.
Elle vous a ensuite raconté ce tournage cataclysmique il y a huit ans – j’ai d’ailleurs produit Les Chatouilles la même année. Une dispute d’une violence verbale inouïe a éclaté entre les deux comédiens principaux au bout de trois jours de tournage. Il s’agissait de Sara et de son partenaire. Je ne sais pas si je dois rentrer dans les détails, car une enquête est en cours.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En effet, une commission d’enquête ne peut pas s’intéresser à une affaire judiciaire en cours. Comme une plainte a été déposée, je vous propose de ne pas entrer dans le détail des faits mais de nous indiquer comment vous avez réagi et quelles leçons vous en avez tiré ? Que feriez-vous désormais si vous étiez confronté à une situation similaire ?
M. François Kraus. Il est très compliqué de répondre à vos questions sans entrer dans les détails.
Je peux vous raconter ce qu’il s’est passé de notre point de vue. Au-delà des traumatismes subis par Sara, la réalisatrice et le comédien, c’est un souvenir terrible, parce que le tournage a failli s’arrêter. Le sort du film ainsi que celui de notre société étaient en jeu.
Nous en parlerons après, si vous le souhaitez.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous propose d’aborder cette question lors de la partie de cette audition qui aura lieu à huis clos. On parle d’une dispute, mais ce n’est pas ainsi que Sara Forestier a qualifié les faits. Par ailleurs, il s’agit aussi de questions qui concernent la santé.
S’agissant de M. Bedos, étiez-vous au courant ? Comment avez-vous réagi ? Referiez-vous la même chose ?
On hésite souvent moins à se séparer d’un technicien en cours de tournage. Mais que faites-vous lorsque vous savez qu’un talent a un comportement à tout le moins inapproprié ?
M. François Kraus. J’ai produit les trois premiers films de Nicolas Bedos entre 2017 et 2021. Je n’ai pas produit la série qu’il a réalisée, ni OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire.
Il purge une peine pour un délit d’agression sexuelle, tout en étant soumis à une obligation de soins du fait de son alcoolisme. Il se trouve que je n’ai eu aucune remontée concernant des VHSS lors du tournage de ses trois films dont j’étais le producteur – ni de sa part ni de celle d’un des techniciens présents. C’est un point très important.
Lorsque l’affaire est sortie, nous nous sommes interrogés avec mon associé et avons décidé de notre propre chef de mener une enquête. Nous avons appelé les douze chefs de poste et techniciens avec qui il avait travaillé. Il a une équipe très fidèle, qui compte des femmes – cheffe de poste, assistante-réalisatrice, scripte, monteuse, costumière et compositrice. Nous avons demandé à chacun s’il y avait eu des faits de VHSS liés à Nicolas et à son comportement sur les tournages. Tous nous ont parlé de son intensité, de son exigence et de son tempérament, mais rien concernant des VHSS.
Il a été jugé pour des faits commis en dehors du cadre professionnel. La question de principe consistant à savoir s’il est possible de travailler de nouveau avec lui se pose évidemment. Dès lors qu’il aura purgé sa peine et aura pris véritablement conscience de son alcoolisme, rien ne s’oppose par principe au fait de refaire un film avec lui – sous réserve qu’il trouve des partenaires financiers, des acteurs et qu’il nous propose un scénario qui nous plaise, ainsi qu’à Ardavan Safaee qui était le distributeur de ses deux derniers films.
Il ne nous appartient pas de nous substituer à la justice et d’aller au-delà de ce qu’elle a décidé ; nous devons avoir confiance en elle. La peine prononcée et l’obligation de soins doivent forcément provoquer une prise de conscience chez les personnes condamnées, sans quoi la justice n’aurait pas de sens.
Ce sont des questions délicates, importantes et compliquées. Je n’ai pas de projet avec Nicolas à ce stade, mais je pense qu’il est important de répondre dès maintenant de cette manière à la question de principe. En tout cas, c’est ainsi que nous y répondons avec mon associé.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Dans ce cas précis, une condamnation a été prononcée, ce qui simplifie les choses d’une certaine manière. La justice est passée.
Mais parfois la justice n’a pas tranché ou bien intervient dix ans après. Que se passe-t-il entre le signalement et le jugement ? Je rappelle que seulement 0,6 % des viols font l’objet d’une condamnation et que la part des faits de harcèlement sexuel qui sont punis ne dépasse pas 1 %.
La justice ne peut pas être l’alpha et l’oméga de vos réactions. Le droit du travail vous oblige à protéger les personnes que vous employez et à assurer leur sécurité.
Comment faites-vous lorsque vous travaillez avec des personnes dont vous savez qu’elles présentent des risques ? Je conviens que cette question n’est pas simple.
M. François Kraus. Vous avez mentionné des cas très variés, avec des délits, des crimes – viols et viols répétés – et des affaires en cours. À chaque fois, la réponse doit être différente. Il nous appartient de la prendre en notre âme et conscience, en tenant en effet principalement compte de la nécessité de protéger les gens que l’on embauche, qu’il s’agisse des équipes techniques ou des acteurs. Il faut mesurer si l’acteur ou le réalisateur incriminé pose un problème pour le tournage que l’on va lancer.
On doit aussi prendre en considération le risque en matière de réputation. On ne produit pas un film tout seul. Il faut trouver des acteurs, des agents et des distributeurs qui veulent bien nous accompagner – et ils se posent les mêmes questions que nous. Chaque cas est donc différent.
M. Hugo Sélignac. On parle beaucoup des violences sexuelles mais il faut aussi se préoccuper des violences psychologiques.
En tout cas, je n’ai jamais été confronté à un acteur qui avait la réputation d’en commettre – j’utilise le masculin car je sais que les victimes sont très majoritairement des femmes, même si les hommes sont également susceptibles de subir des violences psychologiques sur les tournages.
Avec MeToo, on a assisté à une prise de conscience générale. Auparavant, je prévenais les équipes que tel réalisateur ou telle réalisatrice, que tel acteur ou telle actrice avait la réputation d’être colérique sans raison. Désormais, peut-être n’engagerais-je plus cette personne. C’est quelque chose de compliqué et, comme l’a noté François Kraus, chaque cas est différent.
Une œuvre cinématographique est collective. Un producteur ne choisit jamais seul l’intégralité du casting, de l’équipe technique et des partenaires. Tout cela relève de décisions collectives, de même que le fait de savoir si l’on souhaite travailler avec une personne à qui des faits sont reprochés sans qu’ils aient fait l’objet d’un jugement.
Dans certains cas, les gens ont changé de comportement. Lorsque j’ai débuté dans le métier, il y a vingt-deux ans, j’ai rencontré des personnes qui étaient susceptibles d’être violentes. Mais je les ai vues évoluer avec le temps.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Y a-t-il des signalements que vous n’avez jamais traités ?
M. Hugo Sélignac. J’ai dû traiter un cas de viol sur un tournage. On ne l’aurait absolument pas géré comme cela il y a cinq ans. La victime n’aurait peut-être pas eu le courage de parler sans la présence de référentes sur le tournage, avec qui elle avait créé un lien fort. Cela lui a pris du temps : elle les a prévenues le lundi de la dernière semaine car elle ressentait le besoin d’en parler avant que le tournage s’arrête. Elle a demandé aux référentes de ne pas en parler au directeur de production ni à la production. Après plusieurs séances, les référentes ont dit qu’elles n’étaient là que pour entendre le signalement et le transmettre, afin que le directeur de production ou la production puisse l’accompagner sur un plan juridique et psychologique, en faisant appel à des conseils. Finalement, les référentes ont réussi à convaincre la victime de parler au directeur de production : il s’est tout de suite mis en relation avec Audiens et le CCHSCT, qui ont été de très bon conseil.
Toutefois, la victime n’a pas souhaité porter plainte ni bénéficier d’un suivi psychologique. Au départ, elle ne voulait pas que cela s’ébruite car elle avait vraiment peur de parler. Nous avions beaucoup travaillé avec le technicien en cause. On évoque souvent l’omerta ; ce mot me dérange car je l’associe à la mafia, avec un grand patron qui dirige tout, mais il est exact que la victime a eu peur.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. La question de l’omerta se pose et nous y reviendrons. Est-ce que vous continuez à travailler avec le technicien en question ?
M. Hugo Sélignac. Non.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre exemple est assez révélateur : les gens n’ont pas voulu vous avertir alors que vous étiez le producteur, autrement dit le responsable légal. Peut-il arriver qu’un directeur de production ou des chefs de poste ne remontent pas l’information au producteur en raison de la pression économique et du coût très élevé de l’heure de tournage ? Pensez-vous que la parole se libère ? En remontant dans des films ou dans des productions plus anciennes, est-il possible que vous soyez passé à côté de certains faits ?
M. Hugo Sélignac. La victime ne voulait pas parler et les référentes ont mis trois jours à la convaincre qu’il était important pour elle de bénéficier d’un suivi, que les choses avaient changé et qu’il fallait parler – il s’agit d’un cas récent. Le producteur est rarement informé de ces faits ; on apprend peu à peu, on essaie de les traiter le mieux possible. Une chaîne s’est mise en place, jusqu’au directeur de production, pour que l’information sorte et remonte jusqu’à moi.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez donc jamais reçu de signalement concernant un talent pour lequel vous n’avez pas su ou pas pu agir ? À chaque fois, vous avez agi ?
M. Hugo Sélignac. À chaque fois. Il s’agissait d’un viol et nous avons agi en respectant les désirs et les envies de la victime, avec un directeur de production qui continue le suivi en prenant des nouvelles.
M. François Kraus. Ce n’est pas tant la notion d’omerta qui est dérangeante, car elle fait référence à un super patron mafieux qui serait au-dessus et dirigerait tout d’une main tentaculaire. Il est important de préciser que, en tant que producteurs, nous embauchons le réalisateur, les acteurs principaux et les chefs de poste. Ensuite, il y a une succession de départements qui s’embauchent les uns les autres. Quand j’arrive sur un tournage, je découvre entre trente et soixante personnes – cela dépend de la taille du tournage – mais je n’ai pas recruté chacune d’elles : chaque chef de poste embauche son sous-chef, qui lui-même embauche, et ainsi de suite. On découvre parfois des gens avec qui on est lié contractuellement mais qu’on ne connaît pas.
Le système de silenciation des VHSS, parfois même des réputations, se fait à l’intérieur de chaque département. Cela ne remonte pas forcément au directeur de production, et encore moins aux producteurs : cela se gère dans un département. Ainsi, dans le département image, il peut y avoir une stagiaire qui ne va pas oser parler au premier assistant, qui lui-même ne va pas parler au chef opérateur. Nous sommes parfois nous-mêmes victimes du silence qui règne dans les équipes. L’arrivée d’un référent sur les plateaux permettra, je l’espère, de déverrouiller ces silences et de faire remonter les informations jusqu’à nous car il sera transversal, et non pas lié à un département ou à un autre.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous parlez de déverrouiller le silence. Or, selon les témoignages que nous avons reçus dans cette commission, il n’y a pas vraiment de silence : à chaque fois, des mots ont été prononcés. La question est de savoir s’ils remontent suffisamment haut, au bon endroit, d’une part, et s’ils sont pris en compte correctement, d’autre part.
Par ailleurs, quelle est la responsabilité du collectif ? Selon plusieurs témoignages, il arrive qu’une personne subissant des violences s’entende dire par une autre sur le plateau, qui a une forme d’autorité morale, si ce n’est hiérarchique, qu’elle doit se taire, ne pas le dire au chef, ne pas parler comme ça… La responsabilité est collective : la personne qui subit ne doit pas être la seule à devoir suivre la bonne procédure. Comment faire en sorte que le collectif soit protecteur ?
M. Olivier Delbosc. Pour répondre à M. le rapporteur concernant l’indépendance du directeur de production, il se trouve que j’ai une directrice de toutes les productions, qui est en CDI chez moi. Je vous assure que je fais de la pédagogie au quotidien avec les directeurs de production pour que l’information concernant un signalement soit prioritaire et que je sois prévenu en premier : il est hors de question que je ne sois pas prévenu.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. De plus, c’est un risque économique.
M. Olivier Delbosc. Pas seulement : humain aussi. Un plateau est une microsociété : s’il y a un incident de cette nature, cela va au-delà de l’économique. Humainement, c’est une catastrophe : les gens ne peuvent pas travailler dans la sérénité, dans la sécurité, le film sera très mauvais, les acteurs joueront mal, les techniciens filmeront mal. C’est un sujet essentiel. Sur nos plateaux, nous travaillons avec quelques directeurs de production : il y a très peu d’entrants nouveaux. Je les connais donc très bien. Avant chaque tournage, nous faisons de la pédagogie avec eux – depuis déjà quinze ou vingt ans : c’est une question d’éducation et de valeurs morales. Il a toujours été une évidence que si un incident de cette nature se produisait, il fallait prévenir la production en premier – vraiment !
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous reçu des signalements, même avant ces trois ou quatre dernières années, que vous n’avez pas su traiter correctement, concernant des talents ?
M. Ardavan Safaee. Le seul cas que j’ai connu chez Pathé est celui du metteur en scène dont je vous ai parlé. Je n’ai pas eu d’autres signalements.
Pour répondre à votre question sur le temps judiciaire et sur ce que nous faisons après, nous respectons scrupuleusement le temps judiciaire, quand il existe. Vous avez évoqué le cas particulier de Nicolas Bedos : nous avons travaillé sur deux films avec lui sans recevoir de signalement, ni pendant le tournage, ni pendant sa préparation, ni en post-production. Les agissements incriminés ont été commis dans un cadre privé. Le temps judiciaire est passé, il a été jugé et condamné, il purge sa peine. Une fois que sa peine sera purgée, le cadre de discussion concernant la façon de travailler sur son prochain film, pour nous, sera normal, en principe.
La décision de produire un film n’est pas théorique et ne s’anticipe pas. Chaque film, chaque individu est un cas particulier. Cela dépend aussi du moment où l’on reçoit le sujet. Il y a une multitude de critères, qui vont de l’artistique aux compétences des équipes techniques, à l’économique et au commercial.
D’une manière générale, quand des talents nous proposent des projets alors que l’on sait qu’il y a eu un temps judiciaire, ou des rumeurs, ou une réputation antérieure, il est de notre responsabilité de mettre en place toutes les mesures de protection et de transparence sur la préparation, le tournage et la post-production, et de faire en sorte que les informations remontent de manière très claire et très transparente. Une directrice de production de Pathé se déplace au tout début, sur la préparation et les plateaux de tournage, pour expliquer l’importance de faire remonter les informations rapidement et de manière claire.
Les référents, il faut qu’il y en ait deux et qu’ils soient déportés quand les équipes sont déportées. C’est notre responsabilité qui est en jeu ici, pas celle des référents – la responsabilité des référents consiste seulement à nous informer, pas autre chose. En tant que chefs d’entreprise et employeurs, nous devons d’abord assurer la protection des collaboratrices et des collaborateurs du plateau ou de nos permanents. Nous avons aussi une responsabilité économique et commerciale. On doit prendre en compte tout cela quand on décide de tourner un film car des millions d’euros sont en jeu. Nous avons une responsabilité très forte de protection et une responsabilité fiduciaire, commerciale et économique sur nos films.
M. Erwan Balanant, rapporteur. On voit bien que vous avez changé depuis la prise de conscience de ces trois, quatre ou cinq dernières années. Dans des époques antérieures, avez-vous eu la tentation, vous ou vos équipes, de minimiser des faits qui vous auraient été remontés pour que le tournage puisse continuer ? Je comprends la situation : les tournages coûtent cher. C’est une question difficile mais elle mérite d’être posée.
De plus, en tant que producteur du film, vous êtes juridiquement responsable de tout. Or la chaîne de responsabilités se dilue quand le chef opérateur achète une prestation à une société qui elle-même embauche des intermittents. Il faut vérifier si le devoir de vigilance prescrit par la loi Sapin 2 à l’égard des sous-traitants peut s’appliquer à vous.
M. Hugo Sélignac. Cela a pu arriver en matière de violences psychologiques – pas de violences sexuelles. Certains tournages étaient très compliqués et, à une époque où la parole était moins libérée, où l’on était moins préparé, où l’on faisait moins de prévention et où la dimension psychologique était peut-être moins importante, il est possible que des réalisateurs ou des réalisatrices aient eu des méthodes relevant de violences psychologiques. Ces violences sont terribles mais avant ces changements, en ce qui me concerne, il m’est arrivé de me dire qu’il fallait serrer les fesses et que ce serait bientôt fini.
M. Dimitri Rassam. Pour ma part, ce n’est pas le cas mais ce n’est pas pour cela que les mentalités n’ont pas évolué. Je parlais de hiérarchie : je ne sais pas ce qui ne m’est pas remonté mais je n’ai jamais eu connaissance d’un incident pour lequel on s’est dit qu’on demanderait à la personne concernée de mettre ce sujet de côté afin de préserver le film. Mon absence de réponse ne signifiait pas qu’il y avait un sujet dont je ne voulais pas parler : il n’y en a pas eu.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Un sujet nous est très souvent remonté lors des auditions : celui des drogues et de l’alcool hors temps de tournage, hors temps de travail, pendant les fêtes. Avez-vous déjà eu à gérer des situations d’hyperalcoolisation ou de présence de drogue ? Si un acteur ou une actrice vous demande à avoir de la drogue, comment réagissez-vous ?
M. Dimitri Rassam. À titre personnel, je suis contre les fêtes durant les tournages, je les réduis au maximum. On est obligé d’en faire un peu parce que sinon, les équipes bougonnent. J’ai un directeur de production qui partage cet avis. On n’est pas fun mais c’est ainsi. On fait souvent une fête à la fin du tournage, très encadrée. J’ai une crainte : c’est l’alcool au volant. L’idée qu’un technicien ou une technicienne ait un accident en rentrant d’une fête où cette personne se serait trop alcoolisée me hante.
Bref, si vous me le demandez : le moins possible de fêtes durant le tournage. Je ne trouve pas que ce soit très compatible avec l’exercice professionnel. Il se trouve que plus les films sont gros, plus il est facile d’expliquer qu’on a mieux à faire. On encadre donc au maximum, on organise du covoiturage. On ne flique pas les gens dans leur vie personnelle mais vu les enjeux et ce qui se pratique, ce n’est pas une colonie de vacances.
M. François Kraus. Cela a beaucoup changé. Il y a un an et demi, deux ans, j’ai spontanément proposé une fête de fin de tournage et le réalisateur m’a dit : « Non, on n’en fait pas. » J’ai trouvé cela plutôt bien et j’en ai parlé avec l’équipe, qui a compris. C’est vrai que nous n’en faisons plus. Nous organisons maintenant des pots de début de tournage et des pots de fin de tournage dans nos bureaux ; moi ou mon associé sommes présents, quoi qu’il arrive, jusqu’au bout. Nos métiers étaient réputés festifs même en dehors des festivals : il y avait une tradition du pot de fin de semaine de tournage, le pot de l’équipe, le pot de l’équipe déco, le pot de l’acteur, le pot de fin de tournage. Cela a largement diminué chez moi mais également de manière générale, parce qu’on sait que la plupart des agressions sexistes, et des actes de harcèlement sexuel ont lieu soit lors des fêtes, soit dans les déplacements en province. Les producteurs, dont je suis, et les réalisateurs veulent limiter les fêtes parce que le risque est trop important, pour les victimes, évidemment, mais aussi pour les films. Cela a donc très largement diminué.
M. Olivier Delbosc. Je suis comme mes collègues : zéro tolérance pour l’alcool et la drogue. Pour moi, la drogue sur un tournage est même une cause de licenciement. Si un metteur en scène ou un talent en prenait, j’irais jusqu’au bout pour le virer du plateau. Les enjeux sont économiques mais pas seulement : je ne pense pas qu’on puisse créer sous drogue ou sous alcool. Il s’agit de métiers créatifs mais avec beaucoup d’enjeux. Ce sont aussi des métiers collectifs : comme au foot ou au rugby, vous engagez toute une équipe autour de vous. Si un seul se drogue ou boit, toute la chaîne s’écroule. Cela existait peut-être dans le passé mais, pour ma part, cela fait peu de temps que je suis producteur et j’appartiens à la nouvelle génération qui est très sensibilisée à ces sujets.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est noté : cela ira jusqu’au licenciement en cas de consommation de drogue.
M. Hugo Sélignac. Dans ma société, nous faisons des fêtes de fin de tournage. Je n’interdis pas les fêtes de fin de semaine avec les techniciens mais elles sont mieux encadrées, avec des taxis, des rappels de prévention sur l’invitation à la fête.
Le fait que le référent sur le plateau, la prépa ou la post-production fasse partie de l’équipe est important. Peut-être faudrait-il réfléchir à un référent soirée – 30 % ou 40 % des agressions ont lieu lors de ces soirées – pour tous les gens qui n’agressent pas et qui ont envie de se retrouver, de discuter, d’échanger sur leur semaine, parce qu’ils ne rentrent pas chez eux le week-end et ont envie de passer un bon moment.
Je ne veux donc pas vous dire qu’il n’y a pas de fêtes mais elles sont de mieux en mieux encadrées. Auparavant, on s’en foutait de savoir comment la personne rentrait mais, depuis quinze ans – cela ne date pas de MeToo –, il y a eu une évolution du code de la route. On améliore les conditions d’organisation de ces fêtes, on les encadre, mais je ne les interdis pas.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Y compris quand il y a de la drogue ou de l’alcool ?
M. Hugo Sélignac. Non, justement, on va accompagner. La consommation de drogue n’est pas visible mais si une personne va au bar pour demander un verre, on voit qu’elle boit. C’est pour cela qu’on propose un service de taxi : il n’y a pas une fête sans taxi ou sans navette si la fête ne se tient pas dans le lieu où les techniciens, les comédiens et le réalisateur logent. Les tournages en province représentent un double facteur de risque. Ce qui est compliqué, dans le cinéma, c’est que les techniciens et les acteurs sont loin de chez eux, en province, pendant de longues périodes. Les risques sont donc beaucoup plus grands dans ces fêtes. À l’inverse, sur les tournages parisiens, il n’y a pas de fêtes parce que les gens veulent rentrer chez eux. Il est donc vrai qu’en province, et le vendredi soir…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En province et en post-production aussi. On nous a décrit, sur certains de vos films, des consommations très importantes de drogue le soir, avec une mise à disposition, ce qui présente aussi une forme de danger pour les personnes.
M. Hugo Sélignac. Mise à disposition de drogue ou d’alcool ? J’assume totalement que l’on mette à disposition de l’alcool dans les soirées. Les fêtes de fin de tournage sont prises en charge par ma société : c’est nous qui les organisons. Les fêtes de semaine, je ne les interdis pas. Chaque semaine, sur un tournage, il y a la fête de l’équipe costume, la fête des régisseurs…
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est donc une mise en risque.
M. Hugo Sélignac. C’est totalement une mise en risque. Si demain une nouvelle loi interdit les fêtes de fin le tournage et les fêtes de fin de semaine, il n’y aura plus de fête de fin de tournage sur mes films et il n’y aura plus de fêtes à la fin de la semaine. Aujourd’hui, nous cherchons à encadrer, à améliorer et à sécuriser au maximum les fêtes plutôt qu’à les interdire.
Il faut aussi voir le bon côté de ces fêtes, qui permettent une mixité sociale. Il ne s’agit pas de les promouvoir mais j’ai vu des stagiaires parler de cinéma pendant une heure trente avec de grandes comédiennes ou de grands comédiens lors de ces fêtes.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il y a un rôle social de ces fêtes, c’est indéniable. La question qui se pose, c’est la prise de risque.
M. Hugo Sélignac. Si les lois changent, chez Chi-Fou-Mi, elles seront respectées mais aujourd’hui je ne vais pas vous dire qu’il n’y a pas de fêtes de fin de tournage sur mes films, car il y en a.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Les fêtes, si elles sont bien gérées, peuvent en effet créer du lien social. Toutefois, il y a un paradoxe à organiser une fête en semaine quand on doit travailler le lendemain ; on n’est pas toujours très opérationnel… La question est presque d’ordre économique : des techniciens complètement crevés et des acteurs avec des poches sous les yeux parce qu’ils auraient un peu trop fait la fête, cela pose un problème.
Je reviens sur la question de la vie sur les plateaux. Comment rappeler ce qui se fait, ce qui ne se fait pas ? Pourrait-on envisager de charger quelqu’un, peut-être le directeur de production, de veiller à la bonne vie du plateau, de s’assurer que l’ambiance est sympa, que tout le monde se parle bien, qu’il y a à boire et à manger ? Je sais que les Américains ont un tel poste. On sent que, sur certains plateaux, c’est hyper tendu, les gens ne sont pas bien, il y a un malaise. Comment fait-on dans ce cas ? J’entends que c’est peut-être moins vrai sur les grosses productions, parce qu’elles disposent de moyens. Mais comment faites-vous quand vous êtes amenés à faire des petits films ?
M. Dimitri Rassam. Sur les tournages, il peut y avoir des pots à des horaires encadrés. La gestion de la vie sur le plateau incombe à la direction de production, laquelle impose un cadre et des valeurs d’exemplarité. J’ai interdit l’alcool au déjeuner, mesure qui n’a pas été populaire auprès de certains techniciens, mais l’alcool me semble incompatible avec le travail. Des changements culturels s’opèrent : lorsque j’étais jeune producteur, les gens buvaient au déjeuner en France et, malgré les bougonnements, certaines évolutions s’imposent, même si cela existe peut-être encore sur d’autres tournages. Les valeurs s’incarnent dans la production, la mise en scène et l’équipe. Certaines pratiques très vertueuses existent, grâce à des gens engagés.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. La commission d’enquête souhaite formuler des propositions législatives visant à apporter davantage de protection. Nous avons recueilli des témoignages pointant des dysfonctionnements massifs. Ces derniers ne se retrouvent pas partout et ne touchent pas tout le monde, mais nous devons agir.
M. François Kraus. Lorsque l’on présente le travail fini à l’équipe, on organise une projection autour d’un pot. Cette tradition doit perdurer.
Dans les petites productions, celles dont le budget du film oscille entre 3 millions et 5 millions d’euros, je ne peux pas engager une personne chargée du bien-être de l’équipe car chaque corps de métier réclame un assistant, un cadreur ou un régisseur adjoint supplémentaire. La tension sur le personnel est forte dans les films à petit budget, donc il ne me semble pas possible que les équipes acceptent qu’une personne soit embauchée uniquement pour remplir cette fonction, dont la responsabilité échoit au régisseur général ou au directeur de production.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Qui pourrait jouer le rôle de référent dans ce domaine ?
M. François Kraus. Il est difficile de trouver des référents formés, car la demande de formation dépasse largement l’offre. Certaines personnes se déclarent référentes sans avoir été formées. Il serait préférable que cette fonction ne soit pas remplie par les directeurs de production.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’avez jamais utilisé les directeurs de production comme référents ?
M. François Kraus. J’ai utilisé des coordinateurs de production, qui occupent un poste inférieur, celui de secrétaire de production.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Quelles améliorations pourrions-nous apporter au cadre régissant la présence d’enfants dans un film ? Pensez-vous, ce qui n’est pas mon cas, que les enfants sont suffisamment suivis sur les tournages ? Nous n’aimerions pas être contraints de recommander l’interdiction de faire tourner des enfants, car de nombreuses histoires nécessitent la présence d’enfants, notamment pour faire passer de beaux messages. Comment faire en sorte que le tournage se passe bien et que les enfants soient protégés et ne subissent aucun traumatisme ? Plusieurs personnes nous ont dit qu’elles avaient abandonné le métier d’acteur qu’elles aimaient après un tournage traumatique. Comment encadrer la promotion des films, temps qui constitue souvent un angle mort de la protection des enfants ?
M. Olivier Delbosc. J’ai produit trois films sur Le petit Nicolas, dont les acteurs principaux étaient des enfants. Un film reflète la personnalité de son producteur et de son metteur en scène. Quand je me suis mis en tête de produire ces trois films, je pensais avant tout comme un père. Les tournages en France avec des enfants sont extrêmement encadrés : la direction de la cohésion sociale du département est présente et de nombreuses autorisations sont nécessaires. Dans d’autres pays comme la Belgique, les tournages avec des enfants ne sont pas aussi structurés, si bien qu’il convient de se féliciter du modèle français en la matière.
Sur mes tournages, il y a un coach spécialisé et formé dans les rapports avec les enfants. Avec mes équipes, nous effectuons un travail étroit avec les parents des enfants. Quand on choisit un enfant pour un tournage, on sélectionne aussi des parents ; en effet, si ces derniers sont réticents et trop méfiants ou mettent, à l’inverse, trop de pression sur leur progéniture en voulant être acteurs par procuration, le travail ne se déroule pas dans de bonnes conditions. Les enfants tournent pendant un temps très limité : d’autres enfants ou des adultes de très petite taille peuvent les doubler dans certaines scènes. Le temps scolaire n’est pas affecté par les tournages, pas plus que les vacances. J’ignore quelle mesure le législateur pourrait prendre pour accroître l’épanouissement des enfants sur les tournages en France. Tout s’est très bien passé sur mes plateaux où il n’y avait presque que des enfants, près de trente par épisode.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est peut-être parce qu’il n’y avait que des enfants que tout s’est bien déroulé. Lorsqu’il n’y a qu’un enfant avec des adultes, l’atmosphère peut être plus délicate pour le jeune. En outre, l’âge joue : les enfants et les adolescents ne sont pas exposés aux mêmes dangers. La présence d’alcool et de drogue sur les tournages peut être un problème pour les adolescents. Certaines expériences montrent que la prise en compte du caractère d’enfant d’un jeune dans un collectif d’adultes se révèle insuffisante.
M. Olivier Delbosc. Je ne peux pas vous répondre sur les adolescents, car je n’en ai pas fait tourner.
M. Hugo Sélignac. La présence de référents est obligatoire pour les enfants de moins de 16 ans : peut-être pourrions-nous étendre cette obligation à l’ensemble des mineurs, mais également lors des castings et des promotions. Les formations dans ce domaine sont facultatives pour les directeurs de casting.
Nous produisons de gros films pour lesquels les enjeux sont élevés ; nous prenons donc de nombreuses précautions. Les castings se déroulent toujours dans des bureaux et ils ne peuvent se tenir dans des lieux publics. Les embrassades et les simulations d’actes sexuels sont interdites pendant les castings, même si de telles scènes sont prévues dans le film, et des coordinateurs d’intimité sont présents sur les tournages. Les castings pourraient être filmés par une deuxième caméra, même si tout changement rencontre des oppositions. Il n’y a plus d’alcool au déjeuner ni au dîner sur les tournages : cette mesure a suscité des mécontentements, mais elle ne pose dorénavant plus de problème, donc il ne faut pas s’interdire d’imposer des évolutions.
M. François Kraus. La présence de référents pour les mineurs est désormais obligatoire, mais nous en avons toujours engagé sur nos tournages : sur celui du film Les Chatouilles, un référent était présent du début à la fin du tournage. Comme le temps de tournage des mineurs est restreint, il est nécessaire qu’un adulte s’occupe d’eux pendant les nombreux temps morts : cela ne peut pas être le régisseur ou le réalisateur car ils sont trop occupés, donc nous embauchons des référents pour les mineurs depuis des années.
Il y a un angle mort sur les castings, car il n’y a pas de formation ni de certification pour les directeurs de casting. Quand on confie à ces personnes, parfois débutantes, des mineurs qui n’ont jamais joué dans un film et qui ne connaissent pas le cinéma, on s’expose à un risque. Voilà pourquoi je ne retiens que des directeurs de casting confirmés. Lorsque le budget du film est limité, les références du directeur de casting sont parfois moins vérifiées. Il serait opportun d’imposer une formation et une certification aux directeurs de casting.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. On nous a beaucoup dit que les feuilles de service des mineurs étaient souvent fausses et qu’elles affichaient des durées de travail inférieures à la réalité.
Votre proposition de filmer les castings en plan large et d’obtenir une image complète de son déroulement est une très bonne idée. Pour ce faire, il faut que le casting soit encadré et non sauvage. La question de l’encadrement des castings sauvages est d’ailleurs importante.
M. Olivier Delbosc. Cela ne me choquerait pas de rendre obligatoire la présence d’accompagnateurs pour les mineurs sur les tournages ; cette mesure ne s’applique actuellement qu’aux enfants âgés de moins de 16 ans. Laisser un jeune de 16 ou 17 ans livré à lui-même sur un plateau peut causer des ravages : une telle situation requiert notre plus grande vigilance.
L’audition se poursuit à huis clos.
La séance s’achève à douze heures cinquante.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Graziella Melchior, Mme Sandrine Rousseau.