Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, à huis clos, de M. Stéphane Foenkinos, directeur de casting.2

– Présences en réunion....................................14

 


Lundi
17 mars 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission


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La séance est ouverte à onze heures.

La commission auditionne, à huis clos, M. Stéphane Foenkinos, directeur de casting.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Monsieur Foenkinos, vous avez longtemps été directeur de casting. Après avoir reçu vos organisations professionnelles il y a quelques mois, nous avons souhaité entendre directement des personnes chargées de la distribution artistique des œuvres cinématographiques et audiovisuelles.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Foenkinos prête serment.)

M. Stéphane Foenkinos, ancien directeur de casting. Ayant co-créé l’Association des directeur·rice·s de casting (Arda) et continuant à travailler dans le milieu, au sens large, j’ai suivi les auditions de votre commission d’enquête. Les premières prises de parole ont été comme une déflagration. Je suis depuis toujours du côté du respect de la personne : c’est cela qui m’a toujours animé, notamment dans l’exercice de ce métier, avant même les commissions, avant même les témoignages.

Je me suis donc retourné vers le passé pour faire un examen de conscience : même si c’était il y a trente ans et qu’il peut arriver d’oublier, il était très important pour moi de mener ma propre enquête – ce que j’ai fait, scrupuleusement, depuis un an et demi. C’était une manière de revisiter le passé : étais-je passé à côté de certaines choses ? C’est aussi pour cela que j’ai accepté de venir ce matin. Je suis désolé, vous n’aurez pas de scoop, mais je veux essayer de vous donner des pistes de réflexion parce que j’ai eu la chance de m’être engagé dans ce métier, à tous les niveaux.

Je viens de l’enseignement : je suis un professeur d’anglais qui s’est retrouvé dans le cinéma. Déjà très impliqué, j’étais délégué syndical. Quand je suis arrivé dans le milieu du cinéma, mon but est resté celui qu’il avait toujours été : j’ai voulu que les gens soient respectés.

Il y a des dysfonctionnements et j’espère que nous en parlerons.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est précisément ce pour quoi nous vous entendons ce matin. Souhaitez-vous parler d’abord des dysfonctionnements, ou commencer par les témoignages ?

M. Stéphane Foenkinos. Commençons par les témoignages pour que je puisse y répondre.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous n’êtes plus directeur de casting : quelle est maintenant votre fonction ?

M. Stéphane Foenkinos. Je suis plutôt metteur en scène de théâtre ; je suis aussi revenu à mes premières amours : l’enseignement. Je travaille  au théâtre avec Mme Tania de Montaigne, avec qui j’organise beaucoup d’ateliers. J’ai été très satisfait de mon métier de directeur de casting, de metteur en scène, de réalisateur. Je m’aventure aujourd’hui vers de nouveaux horizons en revenant vers le transmettre plutôt que vers le faire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons recueilli le témoignage d’une comédienne qui nous a indiqué qu’après une tentative de viol par Jacques Doillon, elle vous aurait été envoyée par ce dernier pour des essais chez le producteur Alain Sarde.

M. Stéphane Foenkinos. Vous avez dû y voir un double red flag !

M. Erwan Balanant, rapporteur. En effet : ces deux noms sulfureux éveillent des soupçons – avec toute la prudence nécessaire.

Quelles ont été vos relations avec Jacques Doillon et avec Alain Sarde ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette histoire qu’on nous a été rapportée et qui vous met aussi en cause ?

M. Stéphane Foenkinos. Absolument. Si je suis ici aujourd’hui, c’est sans doute parce que mon nom a été évoqué dans ce cadre. Il est tout à fait normal que je réponde.

Je me permets un retour en arrière : ces histoires nous ramènent très loin.

En 1997, je suis professeur d’anglais en banlieue parisienne. Je ne viens pas du tout d’un milieu artistique, je viens de la classe moyenne, je ne connais personne dans ce milieu mais j’éprouve, comme tant de gens, un désir, une passion pour le cinéma, avant de le connaître. Le hasard des rencontres, de la vie, m’a fait rencontrer Christine Gozlan, productrice qui travaillait pour Les Films Alain Sarde. Je ne savais pas vraiment quoi faire. J’avais eu bien plus jeune des velléités d’être acteur mais je me suis rendu compte que cette voie n’était pas faite pour moi – il faut être lucide ; mais j’aimais bien faire travailler mes camarades. L’enseignement n’a jamais non plus été un pis-aller, mais j’étais prêt à prendre une année sabbatique.

Christine Gozlan m’a reçu, a compris la passion que j’éprouvais pour le cinéma – je connaissais tous les acteurs, tous les génériques. Elle m’a dit que Jacques Doillon cherchait un assistant et m’a proposé de le rencontrer. On était en plein milieu de l’année scolaire, elle m’a conseillé de ne pas dire que j’étais encore enseignant. Je me suis retrouvé un soir avec plusieurs autres candidats, et j’ai rencontré Jacques Doillon. Il m’a proposé de faire du casting, j’ai répondu que je ne savais pas ce que cela recouvrait. Il m’a accordé sa confiance. Il faut replacer les choses dans leur contexte : nous sommes tout début 1997, c’est un metteur en scène célébré, voire adulé. Il venait d’avoir un prix à Venise. Sa proposition était une chance.

Je suis ainsi passé du RER C au RER A, de Sarcelles aux Champs-Élysées, et je suis devenu son directeur de casting – à défaut de pouvoir être assistant, car je n’avais pas mon permis de conduire ; je ne l’ai toujours pas.

On m’avait fait confiance, et c’était très important pour moi de me jeter dans ce métier. J’ai tout de suite eu une collaboratrice, Bénédicte Guiho : j’ai travaillé main dans la main avec une femme pendant toutes mes années de casting.

J’ai donc fait un premier film avec M. Doillon. Quatre rôles étaient à pourvoir. J’ai rencontré les agents un par un. En quelques mois, c’est un métier qui m’a choisi, plutôt que le contraire. J’ai toujours pensé que c’était la dernière fois que je travaillerais – peut-être une manière personnelle de fonctionner… Mais ce qui m’importait, c’était de faire mon travail. C’était un travail.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Avez-vous, vous, subi des choses dans ce métier ?

M. Stéphane Foenkinos. Je serai malhonnête si je vous disais que j’ai subi autre chose que des quolibets.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Y avez-vous vu des choses ?

M. Stéphane Foenkinos. Si j’avais vu quelque chose, la personne que je suis – les enquêtes de moralité que vous pourrez faire sur moi vous le confirmeront – ne les aurait jamais laissé passer.

Quand, à la suite des révélations, dès la prise de parole d’Adèle Haenel, j’ai fait l’enquête dont je vous parlais, j’ai parlé à Bénédicte Guiho, à Élodie Demey, qui ont été mes collaboratrices. Je leur ai demandé si nous avions vu des choses que nous n’aurions pas dites. Parfois, des rumeurs, des on-dit arrivaient jusqu’à nous. Nous encouragions les personnes à parler, mais quand les gens qui ont subi des choses ne vous parlent pas directement, il est très difficile, vous le savez, de parler à leur place.

Si j’avais vu quelque chose, jamais je ne l’aurais laissé passer.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. D’après les témoignages qui nous arrivent, le comportement d’Alain Sarde n’était pas confidentiel du tout !

M. Stéphane Foenkinos. Mais je ne le voyais jamais ! Les producteurs vivent dans un monde à part. Durant toutes les années où j’ai travaillé, j’ai dû le voir deux ou trois fois.

Je voudrais revenir sur le témoignage de Mme Le Roc’h, puisque, vous l’imaginez, je suis tombé de ma chaise en l’entendant – en tout cas en ce qui concerne la première partie de son témoignage. Jamais de ma vie je n’avais imaginé que mon nom – je ne me donnais pas tant d’importance ! – serait une monnaie d’échange, puisque c’est ce qu’elle a dit.

En revanche, j’atteste du fait qu’elle m’a été recommandée par Jacques Doillon, comme cela m’est arrivé des milliers de fois – je suis sûr que cela vous arrive également : recevrais-tu Untel ou Unetelle ? Et je suis sans doute malheureusement trop gentil, ou trop sympathique : je l’ai beaucoup fait. C’est dans ce cadre-là que j’ai vu Mme Le Roc’h. Je n’avais rien à lui proposer, même moi qui travaillais sur plusieurs projets. On me l’a recommandée, et je l’ai rencontrée : mon rôle s’arrête là.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est en effet une période ancienne, les choses ont beaucoup changé et nous allons faire en sorte qu’elles continuent d’évoluer.

S’agissant des castings, comment répondiez-vous aux demandes des réalisateurs ? Vous est-il arrivé qu’on vous demande dans ce cadre des essais dénudés ou des scènes d’intimité, comme des baisers ? Ce sont des choses qui nous ont été relatées.

Par ailleurs, avez-vous pratiqué les castings « sauvages » ? Sont-ils encore fréquents ?

M. Stéphane Foenkinos. Jamais je n’ai demandé de scènes dénudées et j’aurais évidemment refusé si on me l’avait demandé ! Nous étions peut-être plus libres dans la manière dont nous conduisions les castings, mais jamais, jamais on ne peut imaginer une demande de cette nature. Cela ne m’est jamais arrivé et cela ne serait jamais arrivé. Il m’arrivait de demander des répliques, ou de donner la réplique, et alors des acteurs pouvaient être amenés à se toucher, à se rapprocher. Mais c’était la seule interaction possible. Aujourd’hui, cela ne se ferait pas sans consentement, et c’est heureux.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les témoignages d’actrices et d’acteurs que nous avons reçus nous apprennent que c’est assez systématique dans les castings.

M. Stéphane Foenkinos. En tout cas ce n’était pas le cas chez moi, et vous pourrez toujours demander ! Jamais, jamais, jamais.

Quant à votre seconde question, j’ai toujours travaillé avec un scénario, qui prévoit différents rôles : je ne me suis jamais lancé dans une recherche de comédien ou de comédienne sans cet appui. J’avais la réputation de prendre le temps avec les gens : je n’ai jamais compris que l’on puisse mal recevoir des acteurs – c’était d’ailleurs une des raisons de la création de l’Arda. Trouver la bonne personne le plus vite possible est une chance pour nous : cela impose d’être bienveillant et respectueux.

Pourrait-on changer ce terme de « casting sauvage » ? Il est épouvantable ! Je préfère parler de street casting, de casting de rue. Dès que j’ai commencé – et j’ai eu la chance de travailler dès le début sur la figuration et sur les rôles principaux –, j’ai fait du casting de rue. J’ai ainsi eu une vue globale de tous les castings. Mais, ayant eu moi-même le désir d’être acteur, j’ai pu me rendre compte qu’il y a énormément de gens qui veulent faire ce métier : pour cette raison, je suis en désaccord avec beaucoup de mes collègues, et avec des agents, qui ont ce désir d’être, à l’instar d’un metteur en scène, un Pygmalion, c’est-à-dire de découvrir quelqu’un, de trouver une perle rare, une aiguille dans une botte de foin. À mon sens, au contraire, si le scénario ne spécifie pas qu’il faut chercher quelqu’un qui ne peut pas être trouvé en agence, ne serait-ce que pour des particularités physiques, des origines, le casting sauvage n’est pas nécessaire : il y a tant de gens qui veulent faire ce métier. Allons les chercher !

Nous sommes enseignants dans des écoles de théâtre, dont nous avons fait en sorte que les portes s’ouvrent à des personnes qui n’y avaient pas accès. La diversité, la parité sont mes combats depuis le début.

Je dois dire que Doillon, Pialat, Téchiné, même s’il y a eu évidemment des abus, ont su faire travailler et accompagner des personnes issues de castings de rue. Nous avons vu cette année Boris Lojkine avec L’Histoire de Souleymane ou Louise Courvoisier – notre élève à la CinéFabrique – avec Vingt Dieux. Leur but n’est pas de se servir des comédiens qu’ils vont chercher avant de les jeter comme des Kleenex. Cela a été un de mes combats. Il y a là un vrai accompagnement : quand Abou Sangaré obtient des papiers, quand on fait de lui un vrai acteur, c’est une responsabilité.

C’est un des dysfonctionnements de ce métier. Nous faisons des ateliers en milieu carcéral, et il m’est arrivé de me trouver dans une prison face à quelqu’un qui avait été dans un film, qui avait monté les marches du Festival de Cannes : il avait été utile, mais on l’avait ensuite renvoyé sans ménagement. Un grand metteur en scène doit avoir un intérêt pour ses comédiens. On ne peut pas s’en désintéresser au nom de l’amour de l’art, ou du sacro-saint statut d’auteur. C’est aussi important pour moi que la manière de traiter les mineurs.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous réalisé des castings d’enfants ?

M. Stéphane Foenkinos. Très peu – parfois quelques adolescents. J’ai tout de suite travaillé avec une collaboratrice qui s’occupait de ce genre de casting.

Je me réjouis que l’encadrement soit renforcé, mais il existait déjà à la fin des années 1990 : la Ddass (direction départementale des affaires sanitaires et sociales), qui participait à différentes commissions, faisait très attention. Évidemment il a pu y avoir des dysfonctionnements à ce niveau, mais il était en tout cas indispensable d’être très rigoureux sur les dates, en particulier.

M. Erwan Balanant, rapporteur. De loin, on s’imagine que les agents gèrent les intérêts des comédiens, qu’ils s’occupent de leur trouver des rôles mais aussi de les protéger. Au cours des auditions, cela ne nous a pas toujours semblé évident… Pouvez-vous nous parler des relations que vous entreteniez avec les agents ? Pensez-vous que les agents puissent jouer un rôle dans la lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) ?

M. Stéphane Foenkinos. Je vous l’ai dit, je cherchais des acteurs professionnels : nous avions toujours dans nos films 60 % à 70 % de comédiens qui provenaient d’agences, les autres venant de nos rencontres personnelles, car nous allions par exemple dans les cours de théâtre. Nous présentions aussi à des agents des acteurs que nous pensions intéressants. Nous entretenions donc avec eux une relation d’échange. Les gens pensent qu’un directeur de casting passe son temps à fréquenter des stars ; je vous assure que notre lot quotidien consiste plutôt à aider des intermittents du spectacle qui ont besoin de cachets. Les agents sont donc des partenaires privilégiés. Quand j’ai cocréé l’Arda avec Christel Baras, nous sommes allés les voir. Nous avons aussi créé une plateforme qui répertorie les acteurs, une nouveauté en France à l’époque, afin de professionnaliser le processus.

Nous en avons parlé, j’ai parlé avec eux depuis les affaires et les prises de parole. Face aux rumeurs, nous avons détourné le regard, c’est vrai. J’espère qu’ils en conviennent. Maintenant qu’il y a une série qui les met en valeur, tout le monde les aime et tout le monde veut être agent… Mais je crois qu’il y a une prise de conscience. J’espère qu’ils accompagnent mieux les comédiennes et les comédiens aujourd’hui.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez parlé du fantasme des directeurs de casting qui ne verraient que des stars. Pour les autres rôles, comment se passaient les castings ? L’expérience de cette commission d’enquête nous montre qu’il y a souvent des abus, même à l’encontre de gens célèbres qui ont une carrière fournie : on peut imaginer que des gens qui cherchent à décrocher leur premier rôle, qui sortent de l’école, qui sont encore précaires, sont encore plus vulnérables.

M. Stéphane Foenkinos. J’ai toujours voulu mettre le pied à l’étrier, aider, accompagner des personnes qui le méritent. Notre métier comporte toujours beaucoup d’arbitraire, mais j’étais totalement concentré sur le travail – c’est tout ce qui m’intéressait. Quand vous avez une passion, elle vous guide.

Je rappelle aussi que j’ai commencé à une période où internet n’existait pas, où on sollicitait les gens par courrier ! Cela paraît si lointain… Nous faisions un vrai travail d’enquêteur. Nous allions au théâtre tous les soirs, nous allions voir tous les films, tous les courts métrages.

Ce que nous voulions, c’était aider des gens, pas profiter d’eux – en tout cas ce n’est pas comme cela que j’ai exercé ce métier.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je suis toujours étonnée de voir à quel point des gens qui avaient de l’importance dans ce milieu – et vous en faites partie – ne voient rien. Nous avons entendu des témoignages effroyables sur des violences commises de façon récurrente, y compris sur des actrices et des acteurs qui ont des carrières très brillantes, et évidemment aussi sur des techniciens, des techniciennes, des maquilleuses, des décoratrices… Cette différence entre des gens qui font leur métier avec beaucoup d’amour et de passion mais qui ne voient rien et des personnes qui font ce métier avec passion malgré tout ce qu’elles ont subi est assez inexplicable. Je m’interroge beaucoup sur cet aveuglement face à la violence qui a touché tant de personnes dans ces métiers.

Je n’ai pas de réponse, mais il ne me semble pas possible, pour parler franchement, que vous n’ayez rien vu, surtout quand on sait avec qui vous avez travaillé.

M. Stéphane Foenkinos. Au-delà des VHSS, que je ne minimiserai jamais, je veux vous parler d’autres violences.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Desquelles ?

M. Stéphane Foenkinos. Des violences psychologiques et de l’abus de pouvoir. Le pouvoir est un fléau. Je voudrais répondre à votre question en dézoomant. Vous me demandez si j’ai vu des choses : non, je n’en ai pas vues. Jamais je ne les aurais laissées passer ! Si un comédien ou une comédienne était venu me trouver pour me raconter l’abus dont il ou elle aurait été victime, je n’aurais jamais laissé passer non plus. Je ne vais pas inventer des choses que je n’ai pas vues.

Mais si vous me demandez si l’on peut changer les choses – il me semble que c’est la raison pour laquelle vous auditionnez des professionnels –, je vais vous dire ce qui m’a toujours perturbé : notre métier, comme toute la société, est en proie à la notion de pouvoir. Si vous octroyez à quelqu’un un minimum de pouvoir alors qu’il ne sait pas s’en servir, il manque une base émotionnelle. Les gens viennent avec des failles : à tous les niveaux, on ne vient pas dans ce métier par hasard,

Il existe dans notre métier une disproportion dans la façon dont sont traités les uns et les autres. Si vous êtes figurant, on peut vous demander de rester trois heures dehors sous la pluie, alors que c’est interdit par la loi : vous ne direz rien, parce vous avez peur de perdre votre travail. Alors que si vous avez une phrase à prononcer dans le film, on vient vous chercher chez vous, on s’assure que vous allez bien, on vous demande vingt-cinq fois si vous voulez un café ou du thé et on vous met des chaufferettes dans les poches. Le fait de traiter les gens de façon aussi différente est déjà la base d’une violence. Nous avons laissé trop de place au sacro-saint auteur. Je vous ai parlé de quelqu’un qui n’aurait qu’une phrase à prononcer et une journée de tournage : imaginez ce qu’il en est pour un producteur ou un réalisateur. Bien sûr, les gens sont responsables de leur comportement ; je ne dis pas le contraire. Mais la disproportion dans la façon dont on les traite est la base de toutes ces violences.

Le fait d’être tyrannique, pour moi, est ce qu’il y a de plus grave. J’ai entendu des gens hurler parce que l’eau était chaude ou froide alors qu’ils la voulaient tiède. Et on courrait pour leur en apporter… Je veux rendre hommage à tous les techniciens, tous les comédiens, à tous ceux qui mettent de l’huile dans les rouages et font en sorte que cela fonctionne. Mais je veux aussi dire que nous sommes responsables d’avoir encouragé certains à être tyranniques. La tyrannie du quotidien provoque les VHSS. Et le fait que je n’ai pas vu de VHSS ne signifie pas que je n’ai pas vu la tyrannie et la violence de certains comédiens, comédiennes, réalisateurs ou réalisatrices.

C’est un problème très important, qui ne concerne pas uniquement le cinéma. C’est pour cela que j’ai créé l’Arda, je vous le jure : c’était une manière d’encadrer ce métier. C’est la seule chose que nous ayons pu faire. Je comprends votre désarroi…

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je ne suis pas du tout désemparée ! Nous avons quantité de témoignages très différents du vôtre. Je ne sais pas où se situe la réalité, mais ce que vous décrivez ne correspond pas tout à fait à ce que nous avons entendu dans cette commission. Même des acteurs aux cachets considérables peuvent être maltraités sur un plateau : la question n’est pas seulement celle du statut d’intermittent ou de bénévole ; elle est bien plus large.

M. Stéphane Foenkinos. L’un des témoignages recueillis par votre commission m’a profondément marqué : celui de Nina Meurisse racontant comment, alors qu’elle était adolescente, une réalisatrice lui a demandé de se mettre à l’eau par une nuit glaciale. C’est symptomatique, en effet, de l’absence totale de considération. Mais c’est aussi ce que nous avons accepté dans notre pays, dans notre système, pour l’amour de l’art. Ça, pour moi, c’est inadmissible, tout comme le fait que quelqu’un arrive sur un plateau sans dire « bonjour ». On a habitué les gens à de telles attitudes, alors que ce sont les prémices d’un dysfonctionnement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous rejoins sur ce point. Mais ce dysfonctionnement est systémique et autorise beaucoup de choses que l’on ne voit plus, même lorsque l’on est dans le métier.

Je voudrais que nous abordions le sujet des conditions de travail. Comment travaillez-vous avec les producteurs sur les tournages ? Un producteur peut-il se passer des agences Adéquat ou UBBA pour recruter les talents et pour les seconds rôles ?

M. Stéphane Foenkinos. Vous semblez aguerrie au système et aux noms des agences !

Ce que je trouve plus grave, c’est que des producteurs engagent des directeurs de casting qui n’en sont pas ! Un intermédiaire dont ce n’est pas le métier, c’est un premier pas vers un dysfonctionnement.

Il y a aura toujours de grosses agences qui essayeront de faire ce que l’on appelle des packages, c’est-à-dire de mettre plusieurs acteurs de leur agence, en accord avec le directeur de casting ou le producteur – même si, en général, l’équipe de casting n’est pas associée à cela. Sur certains films, les comédiens principaux étaient déjà choisis lorsque j’arrivais. Il peut y avoir un deal, en amont, entre le producteur et l’agence d’où viennent les comédiens principaux et le metteur en scène. Dans ce cas, on demande au directeur de casting de faire le reste du casting. On peut aussi lui demander de trouver un acteur connu, sur la base d’un scénario, pour déclencher un financement.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comment fonctionnent les packages, et d’où vient ce terme ? Si je comprends bien, vous négociez la présence de plusieurs comédiens de la même agence. Prenons l’exemple d’un acteur très connu : s’il est pris, ce sont dix comédiens de la même agence qui doivent être pris ?

M. Stéphane Foenkinos. Non, cela ne va peut-être pas jusque-là.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ou trois, ou deux, ou un…

M. Stéphane Foenkinos. On peut aimer ou pas ce fonctionnement, mais ce sont en quelque sorte des familles – le mot « package » est un mauvais terme, qui vient des États-Unis. L’agent d’un metteur en scène lit forcément le scénario en premier et va suggérer des acteurs de l’agence. Au bout d’un moment, tous les gens qui travaillent ensemble se retrouvent chez le même agent. C’est plutôt ainsi que cela se passe, même si ce n’est pas systématique. Le métier étant aussi soumis à des contraintes économiques, ce fonctionnement permet à un agent de percevoir plusieurs commissions pour un même film. Certains metteurs en scène, toutefois, restent très indépendants et ne se laissent rien imposer.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Lors de son audition, Grégory Weill a reconnu qu’il avait le pouvoir de blacklister certains talents. Cela paraissait évident, mais nous étions contents qu’ils le disent. Comme nous avons pu le constater lors de nos auditions, la peur d’être blacklisté concourt en effet à l’omerta. Avez-vous déjà été témoin de cette pratique, quelle qu’en soit la raison ? Avez-vous reçu des consignes pour blacklister quelqu’un lorsque vous étiez directeur de casting, ou bien à d’autres postes ? C’est un phénomène que l’on observe dès l’école.

M. Stéphane Foenkinos. Ceux qui m’auraient demandé cela auraient été très mal reçus ! Ce genre de chantage ne m’intéresse pas.

Néanmoins, je ne dis pas que cela n’existe pas. Il y a simplement une peur, parfois irrationnelle, de travailler avec telle ou telle personne. Le plus souvent, c’est un metteur en scène qui refuse un acteur ou une actrice en nous disant « il paraît qu’il est chiant ». J’ai toujours considéré que, dans ce cas, il fallait changer de point de vue, et se demander avec quel metteur en scène l’acteur avait travaillé. Nous essayons parfois de démonter des réputations.

Encore une fois, ce qui compte dans un casting, c’est que la personne corresponde au rôle. Je sais que c’est un peu trivial, mais je reviens toujours au travail. C’est ce qui m’a toujours animé, et je sais que certains collègues fonctionnaient également ainsi. Lorsqu’un producteur refuse un acteur, il y a parfois une part d’irrationnel : ce peut être parce qu’il l’a déjà fait tourner dans un autre film qui n’a pas marché, et considère de ce fait qu’il porte malheur. De ce que j’ai pu voir, on est plus dans le domaine de la superstition que du blacklistage.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Pourquoi avez-vous préféré être auditionné à huis clos, sans vos anciens collègues ? Nous nous attendions en effet à des révélations importantes et sommes un peu déçus, même si vos propos sont très intéressants. Nous menons un travail sérieux et avons mené un grand nombre d’auditions, qui sont toutes précieuses.

On observe par ailleurs une concentration dans le milieu des agents. C’est assez paradoxal, alors que l’on n’a plus besoin de carte professionnelle pour exercer ce métier. Vous avez employé vous-même le terme de « familles » : la concentration de tous les grands acteurs, à quelques exceptions près, au sein de deux grandes agences quasiment oligopolistiques ne favorise-t-elle pas l’omerta ? La question se pose d’autant plus que les packages sont problématiques du point de vue du droit de la concurrence.

M. Stéphane Foenkinos. D’abord, je n’exerce plus la même profession que mes anciens collègues depuis quinze ans. Si j’ai demandé un huis clos, c’est pour pouvoir vous parler sereinement. En outre, je ne me donne pas tant d’importance. S’il y a un compte rendu, ce sera très bien. Mais je ne suis pas très à l’aise devant les caméras : ce n’est pas mon métier. J’espère vous être utile à mon humble niveau, et pouvoir vous proposer quelques pistes car je sais que vous en recherchez.

Pour vous répondre au sujet des licences d’agents, je vais revenir au métier du casting. Lorsque j’ai débuté, j’ai été étonné de constater qu’il soit inscrit sur mes fiches de paye « premier assistant réalisateur ». Ce n’est pas du tout la même profession, ne serait-ce que sur le plan économique. Un premier assistant assure la préparation et le tournage du film, ce qui correspond à quinze à vingt semaines de travail environ. Dans le casting, au moment où j’ai débuté, nous avions au maximum sept à huit semaines de travail sur un long métrage, pendant lesquelles nous devions rémunérer un assistant ou une assistante si la production ne s’en chargeait pas. C’est la première inégalité dont j’ai été témoin. J’ajoute que nous étions très isolés : nous ne voyions pas les autres directeurs de casting. La société pour laquelle je travaillais, Les Films Alain Sarde, assurait cependant de nombreuses productions en même temps : j’ai ainsi pu converser avec des collègues qui avaient plus de métier que moi – et qui m’avaient accueilli dans la profession de façon très généreuse. Naïvement, je leur ai dit : « allons réclamer un statut. » Ils m’ont répondu que nous n’en aurions jamais, de même que les licences étaient impensables pour les agents. Il est vrai que le métier était assez jeune par rapport aux autres.

Néanmoins, j’ai toujours considéré que lorsque l’on n’est pas respecté, on ne respecte pas la personne en dessous de soi. J’étais toujours étonné d’entendre parler de directeurs de casting qui recevaient mal ou traitaient mal les comédiens. C’est ainsi qu’avec Christel Baras – dont la conception du métier était à l’opposé de la mienne, puisqu’elle faisait beaucoup de castings sauvages –, nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure de l’Arda. Si j’en parle, c’est parce que le statut est important. Nous avons très vite élaboré une charte de déontologie. Malheureusement, nous ne pouvions pas être derrière tout le monde pour vérifier qu’elle était respectée. En tout cas, elle a permis d’encadrer le métier, ainsi que de répondre à la volonté de certaines agences ou de certaines productions de nous mettre en porte-à-faux. Avant, une production pouvait décider que nous ne faisions plus l’affaire, nous mettre à la porte puis engager un autre casting sans lui dire que quelqu’un avait déjà travaillé sur le même                    film – sachant qu’en plus, nous avions des contrats à la semaine et que nous étions toujours payés très tard.

La création d’un lien entre les différents directeurs de casting a été l’une des victoires de l’Arda : nous nous parlions enfin. Même si les agents et les producteurs attisaient parfois la concurrence, nous sommes parvenus à instaurer une forme de solidarité pendant quelques années car ce combat bénéficiait à tous. J’ai toujours pensé que respecter les personnes, c’était aussi demander à nos collègues s’il était vrai que tel acteur ou telle actrice avait été mal reçu. Nous faisions notre propre mea-culpa, et cela faisait avancer les choses. Surtout, cela nous a permis d’être mieux considérés et de mieux considérer les acteurs. Cela m’a valu des heures de travail gratuites avec Christel Baras pendant dix ans. Nous sommes allés voir les syndicats et avons rencontré toutes les personnes décisionnaires pour pouvoir créer un poste à part. Je tiens à souligner que nous avons été traités de tous les noms, et pas du tout épaulés par les réalisateurs. Ils avaient très peur en effet du statut ! Or c’est le statut qui crée la violence. On peut compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où un acteur, ou un réalisateur, remercie un directeur de casting ! Ce n’est pas grave. Je me fichais d’exercer dans l’ombre. J’étais dans le travail. Je savais en revanche une chose : si l’on n’est pas respecté, on essaye de le faire payer à quelqu’un autre. Obtenir un statut était important. Cela nous a donné non pas du pouvoir – nous proposons sans décider, et c’est de leur propre fait que certains directeurs de casting ont du pouvoir – mais la possibilité d’être très vigilants, même si nous ne pouvions pas tout surveiller.

L’Arda a été quelque chose d’important dans ma vie. J’ai sué sang et eau avec Christel Baras pour obtenir ce statut : je savais que c’était le point de départ de la reconnaissance. Vingt‑cinq ans après, David Bertrand et Laurent Couraud, qui sont coprésidents, sont sur le point d’obtenir le statut de chef de poste, avec un poste d’assistant. Je sais que c’est un sujet qu’ils ont abordé devant votre commission.

Les histoires d’omerta et de pouvoir peuvent être contrecarrées quand on donne ces éléments, exactement comme dans une bonne démocratie. Cela a toujours été mon but, et j’espère voir arriver le statut de directeur de casting de mon vivant, car cela bénéficiera à tout le monde.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous préciser dans quelles conditions contractuelles vous travailliez ? À quel moment de la production d’un film le contrat est-il signé avec le directeur de casting ? Quelles sont les modalités de la rémunération ? Je pose la question même si je connais déjà la réponse pour partie : travailliez-vous avec certains réalisateurs de manière préférentielle ?

M. Stéphane Foenkinos. Je ne fais plus ce métier depuis quinze ans et j’espère que les choses ont changé. En tout état de cause, le fonctionnement variait selon les productions. En l’absence de statut – j’y reviens –, nous étions souvent mis en concurrence les uns avec les autres. Des metteurs en scène et des producteurs nous demandaient fréquemment si nous n’avions pas deux ou trois noms à leur donner – ce qui doit encore exister –, comme si nous avions un panier dans lequel nous piochions. Nous avons donc essayé d’expliquer que notre activité était un vrai métier dont il fallait encadrer l’exercice, et nous avons créé le principe de la consultation. Pour le prix d’une semaine de travail d’un premier assistant réalisateur, soit environ 1 500 euros, le directeur de casting œuvrait à trouver les acteurs principaux du film, en vue d’obtenir les financements nécessaires à sa production. Nous avons réclamé et obtenu cette forme contractuelle car, auparavant, nous travaillions sans être payés jusqu’à l’obtention de ces financements – ce qui peut prendre des mois. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les directeurs de casting participaient souvent à plusieurs films en même temps. Cela les conduisait, faute de temps pour essayer de trouver de nouveaux talents – alors que c’est l’intérêt de ce métier – à engager souvent les mêmes acteurs.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous n’êtes donc réellement payés qu’une fois le film bouclé.

M. Stéphane Foenkinos. Nous essayons d’être payés avant, la production avançant souvent une partie de la rémunération. Et si le film n’obtient pas l’avance sur recettes du CNC, les financements nécessaires, il faut alors négocier des semaines supplémentaires de travail. Il y a beaucoup plus de projets qui n’aboutissent pas que l’inverse.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Êtes-vous payés quand le film ne se fait pas ?

M. Stéphane Foenkinos. Non. Les directeurs de casting sont dans une situation comparable à celle des scénaristes, un autre métier que j’ai exercé et qui se trouve dans la précarité la plus totale. On vous promet le gros de la somme quand le film reçoit le feu vert, ce qui est très rare, en fait.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les directeurs de casting font partie des « découvreurs de talents ». Avez-vous vu certains de vos collègues abuser de cette position de pouvoir sur des personnes qui sortent d’une école ou, pour reprendre une expression que nous avons beaucoup entendue au cours des auditions, de leur province ? Savez-vous si des directeurs de casting ont eu des comportements inappropriés vis-à-vis de jeunes talents ?

M. Stéphane Foenkinos. Nous y étions vigilants au sein de l’Arda. Si quelqu’un était venu me signaler quelque chose, nous en aurions parlé avec le directeur de casting concerné. Cela étant, j’ai quitté ce métier avant que les langues ne se délient. Les comédiens ne parlaient pas, en raison de l’omerta qui régnait et de la peur d’être blacklisté. La seule chose que nous savions, c’est que certains directeurs de casting recevaient les acteurs de manière brutale et s’octroyaient le droit d’être tyrannique avec eux. Dans ces cas-là, nous en parlions avec les personnes concernées au sein de l’association.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez travaillé avec Lou Doillon. Avez-vous travaillé avec Judith Godrèche ?

M. Stéphane Foenkinos. Non.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Quelles seraient les préconisations auxquelles vous avez fait allusion concernant les violences morales – plutôt que sexistes et sexuelles – et les relations de pouvoir ?

M. Stéphane Foenkinos. Je reviens de nouveau sur l’importance de l’encadrement de la profession. Je vous garantis qu’obtenir un statut de chef de poste changerait la donne, d’autant qu’il est possible, j’en suis la preuve, de devenir directeur de casting sans avoir préalablement occupé un poste d’assistant. Un chef de poste sera auditionné, comme c’était le cas des agents par le passé. On ne devrait pas pouvoir exercer ce métier sans passer par des filtres. Il faut une enquête de moralité ; des prérequis sont nécessaires.

Ensuite, il revient à toutes et tous, au sein de la société, de ne pas tolérer la moindre incartade. Je suis d’ailleurs ravi que tous les professionnels du secteur soient obligés de suivre une formation. Peut-être qu’elles ne retiendront pas le message, mais je me félicite que certaines personnes entendent que certaines manières de parler aux gens ne doivent plus exister et qu’il n’est plus possible de s’octroyer certains pouvoirs. Nous ne disposons d’un pouvoir que parce qu’il y a une équipe autour de nous. Si vous me le permettez, j’aimerais rendre hommage à ces techniciens et techniciennes, car si nous avons beaucoup parlé des dysfonctionnements, il y a des gens qui se comportent bien dans ce métier.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Heureusement…

M. Stéphane Foenkinos. Vous avez peut-être l’impression que c’est ironique.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je n’ai plus d’ironie.

M. Stéphane Foenkinos. Vous devriez en avoir. Il y a des gens qui font bien leur boulot.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Permettez-moi de ne pas m’extasier sur le fait que certains fassent bien leur travail.

M. Stéphane Foenkinos. J’ai toutefois l’impression qu’il faut le redire. D’ailleurs, il y a sans doute des techniciens, des techniciennes, des machinos, des comédiens qui seraient heureux de faire de la politique pour essayer de remédier à certains dysfonctionnements.

Voilà trente ans, quand je recevais des scénarios, je voyais inscrit « un » avocat, « un » commandant de bord, « un » chirurgien. Comme de petites fourmis, nous avons essayé de changer les mentalités, de les faire évoluer. C’est ça, notre travail : mettre une comédienne dans un rôle d’avocate ou de cheffe d’armée. Vous n’imaginez pas d’où nous venons ! Nous venons de cette époque où la diversité était inexistante et où, je le répète, l’irrespect était complètement intégré dans notre manière de vivre et de faire. À mon humble niveau, j’ai essayé d’y remédier et d’améliorer l’encadrement de la profession. Je sais pertinemment que vous entendez des choses épouvantables. Sachez que je soutiens la parole qui se libère. J’ai été évidemment très perturbé par tout cela.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Aux États-Unis, on utilise le mot « blind » pour décrire quelqu’un en position dominante qui ne voit pas quelque chose. L’ensemble des auditions indiquent de manière très frappante combien il reste des yeux à dessiller s’agissant de certains mécanismes. Certaines personnes font bien leur métier et on peut les saluer, mais c’est tout de même normal.

M. Stéphane Foenkinos. Les regards sont toujours portés sur les dysfonctionnements.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ceux-ci sont néanmoins suffisamment nombreux pour que nous y consacrions une commission d’enquête, qui a conduit à l’audition de plusieurs centaines de personnes et qui représente des mois de travail. Notre vision est donc assez précise et l’aveuglement de certains fait partie du problème.

Je vous remercie pour votre témoignage, monsieur Foenkinos.

 

La séance s’achève à douze heures.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau