Compte rendu
Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Sarah El Haïry, ancienne ministre déléguée en charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles 2
– Présences en réunion................................19
Mardi
3 décembre 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 6
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Laure Miller,
présidente
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La séance est ouverte à seize heures trente.
La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Sarah El Haïry, ancienne ministre déléguée en charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles.
Mme la présidente Laure Miller. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance avec l’audition de Mme Sarah El Haïry.
Je vous remercie, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Vous avez été ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles entre février et septembre 2024. Bien que vous n’ayez exercé cette fonction que quelques mois, cette audition permettra de vous entendre sur votre bilan en matière de protection de l’enfance, les initiatives que vous avez lancées et les difficultés que vous avez rencontrées.
Les sujets qui intéressent notre commission d’enquête sont variés, qu’il s’agisse du renforcement de la connaissance statistique, de la continuité des parcours des enfants, de la formation et de l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance, ou encore de la gouvernance de ce secteur.
Les sujets sont nombreux, tout autant que les difficultés. En effet, malgré votre engagement et celui des autres ministres en charge de la protection de l’enfance, force est de constater que des dysfonctionnements importants demeurent. Pour y mettre fin, plusieurs acteurs ont appelé, à l’automne 2023, à bâtir un « plan Marshall » pour la protection de l’enfance. Vous pourrez nous éclairer sur les suites apportées à cette demande.
Par ailleurs, vous avez déclaré, lors d’une précédente audition devant le Sénat, que vous souhaitiez la pleine application de la loi Taquet. Comment expliquez-vous que les lois relatives à la protection de l’enfance soient si peu ou si mal appliquées, qu’il s’agisse de celle de 2007, de 2016 ou de 2022 ?
Enfin, vous avez, au cours des quelques mois où vous étiez en charge de la protection de l’enfance, lancé des initiatives, comme la tournée « France Familles ». Vous êtes également intervenue pour améliorer la situation dans les pouponnières. Vous pourrez donc nous éclairer sur votre action et les résultats que vous avez obtenus en la matière.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(Mme Sarah El Haïry prête serment.)
Mme Sarah El Haïry, ancienne ministre déléguée en charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles. Je rappellerai au préalable le contexte dans lequel j’ai eu le grand honneur de prendre en charge la protection de l’enfance – les jeunesses et les familles. Nous venions de vivre un énième drame : le suicide de la petite Lily. L’aide sociale à l’enfance (ASE) traversait alors une crise très profonde. C’est toujours le cas aujourd’hui.
À cet égard, je me réjouis que la commission d’enquête initiée par Mme la députée Santiago sous la précédente législature puisse reprendre ses travaux ; j’avais effectué des déplacements et travaillé avec certains d’entre vous. N’étant plus en fonction, je m’appuierai sur ma mémoire et mes souvenirs. Je peux dire que j’ai rencontré beaucoup de personnes de bonne volonté, de grandes disparités d’un département à l’autre, des enfants avec des réalités, des besoins et des difficultés spécifiques, qui m’ont énormément touchée. La République doit aider ces jeunes, tant les situations qu’ils vivent sont dramatiques, parfois même insupportables à entendre.
Vous m’avez interrogée sur les différents axes de mon bilan. J’en évoquerai deux : les actions spécifiques destinées aux enfants protégés ; la volonté de faire bénéficier ces enfants du droit commun, dont ils étaient largement exclus, par manque d’information ou d’accompagnement. Dès ma prise de fonctions, je n’ai eu de cesse de faire appliquer la loi, de prendre au plus vite les décrets d’application et d’échanger avec tous les acteurs de la protection de l’enfance afin de rétablir, voire d’instaurer, le dialogue.
Très vite, j’ai réussi à sortir trois textes. Le premier est le décret relatif au mentorat, un thème que j’avais déjà porté en tant que secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel (SNU), rattachée au ministre de l’éducation nationale. Le décret sur les structures d’hébergement – dit décret hôtel – a également été pris, tandis que l’instruction sur le contrôle des établissements a été renforcée. Ces trois textes avaient pour seul objectif d’améliorer les conditions de prise en charge. Par ma pugnacité, je voulais signifier que lorsqu’une loi est votée, elle a vocation à être appliquée. J’ai été confrontée à des difficultés d’entrée de jeu, les décrets ne sortant pas. Ayant eu la chance d’être députée, je savais à quel point c’était pourtant essentiel. Je ne pensais pas que la sortie de ces textes constituerait un objectif ambitieux. Or, cette action n’a pas été des plus évidentes, j’y reviendrai.
Par ailleurs, les débats institutionnels – certes, indispensables – sur l’attribution des champs de compétence prenaient énormément de place. Le temps qui leur était consacré nous conduisait à éluder l’urgence du quotidien. C’est la raison pour laquelle j’ai très vite voulu renouer la discussion, afin de trouver des solutions à très court terme. Nous avons ainsi relancé, avec les départements et le groupement d’intérêt public (GIP) « France Enfance protégée », sept groupes de travail en suspens – c’était l’une des demandes du « plan Marshall ». Ils portaient respectivement sur l’attractivité des métiers, qui constitue l’un des éléments de la crise, sur la fidélisation des professionnels, beaucoup de départs étant liés à l’épuisement, sur la sécurisation et la diversification des placements, sur l’articulation entre la justice et l’ASE, qui manquait de fluidité, sur les mineurs non accompagnés (MNA), pour lesquels les questions de l’évaluation et de l’accompagnement faisaient débat, sur l’accompagnement à l’autonomie, alors que les trop nombreuses sorties sèches étaient contraires à l’esprit du législateur et que la qualité d’accompagnement des jeunes majeurs variait d’un département à l’autre, sur la gouvernance et le financement de la protection de l’enfance. S’agissant de l’accès au droit commun, je me suis concentrée sur la question de la santé, en lien avec la crise de la pédopsychiatrie, qui manque de professionnels, et plus largement des secteurs médico-social et de l’éducation.
Avec l’appui du GIP, les travaux ont repris et ont été fructueux : des auditions ont été réalisées, débouchant sur des solutions très opérationnelles. Ainsi, la Banque des territoires a accordé des prêts bonifiés pour le foncier, à hauteur de 87 millions d’euros, afin de faciliter les rénovations énergétiques et la réhabilitation du bâti. La question de la formation initiale et continue a également été traitée. Du fait de la pénurie de personnel, le recours à l’intérim devenait massif, en effet, ce qui pouvait constituer un risque. Il fallait se préoccuper de la formation pour garantir la sécurité, y compris affective, des enfants. Compte tenu des difficultés auxquelles étaient confrontées les structures d’accueil, il fallait aussi recruter. Nous avons également veillé à l’accès au droit des jeunes de l’ASE. Cela passait par le contrat d’engagement jeune, le mentorat, l’accès au logement social, lui-même en crise, les Colos apprenantes, pour que les enfants sous notre responsabilité puissent bénéficier de beaux moments de mixité pour sortir de leur quotidien.
Par ailleurs, j’ai pu constater la nécessité d’un accompagnement concernant la protection maternelle et infantile (PMI). Une évolution est souhaitable, même si le temps m’a manqué sur ce sujet : comment séparer la question des contrôles de celle de l’accompagnement ? Comment recréer de la confiance ? J’ai vu en effet des parents qui avaient peur de demander de l’aide.
Il y avait aussi la généralisation du programme expérimental Pegase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l’âge de 5 ans d’une mesure de protection de l’enfance). J’avais pu constater la belle réussite de ce dispositif dans mon département de la Loire-Atlantique. Les professionnels attendaient toutefois des garanties financières pour la suite du dispositif « Santé protégée ». Je me suis aussi penchée sur le renforcement de l’accueil familial thérapeutique, car certains enfants ont besoin de soins, au sens médical du terme, ce qui suppose de mieux doter et accompagner les familles. C’était une opportunité de soutenir des professionnels de l’ASE.
La réalité était toutefois celle de la pénurie de professionnels, dans un contexte budgétaire extrêmement dur, notamment pour les départements, en raison de la chute des recettes liées aux droits de mutation. La question de l’humain demeurait, à mes yeux, la difficulté majeure, même s’il y avait énormément d’espérance : j’étais convaincue de la capacité des jeunes ayant réussi à s’en sortir, sinon à servir de modèles, du moins à donner de l’espoir aux autres.
Deux autres enjeux me tenaient à cœur : le tiers digne de confiance, pour que plus de personnes puissent garantir la sécurité affective ; le cumul d’activités, sur lequel je souhaitais avancer davantage.
Mon quotidien revêtait deux aspects, celui du travail interministériel stricto sensu, en lien avec les ministères de la santé, de l’éducation nationale et de la justice, et le dialogue avec les différents acteurs – départements, associations. Les enfants cependant ne participaient pas aux échanges. Je voyais donc se réunir d’un bon œil le collectif des anciens enfants placés, qui faisaient ainsi entendre leur voix.
J’ai eu la particularité de relever de trois tutelles, étant rattachée aux ministères sociaux, au garde des sceaux et à l’éducation nationale. Je l’ai vécu comme une chance, puisque cela a permis de mobiliser les administrations de manière plus directe et plus rapide.
Globalement, l’objectif était de faire prendre conscience de la priorité à accorder aux enfants protégés. Nous sommes intervenus en ce sens lors des assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant. En matière d’éducation, il existe certes le dispositif « Scolarité protégée » mais il n’est pas encore parvenu à maturité et mériterait d’être complété. Il y a aussi eu de jolis moments, comme lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, qui ont accordé une attention particulière aux enfants protégés.
Plus largement, les grandes avancées supposaient, selon moi, une mise en lumière de ces enfants et des difficultés rencontrées par la protection de l’enfance. S’agissant des deux champs complémentaires que sont les statistiques publiques et le travail, j’ai ainsi toujours donné la consigne de communiquer les données, notamment pour la recherche, même si nous n’avons pas été saisis. La reprise des travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a constitué une exception, permettant de donner de l’importance à la lutte contre les violences sexuelles sur les enfants les plus fragiles. J’ai également identifié de nouveaux facteurs de risque : les addictions, la prostitution des mineurs, la précarité des familles monoparentales, la hausse du nombre de placements. S’agissant de la judiciarisation, si les signalements augmentent, ce qui est une bonne chose, leur accompagnement n’est pas à la hauteur.
Le plus déterminant a été de parvenir à remettre tout le monde autour de la table, pour que le sujet ne soit plus isolé. J’ai également fait le choix d’avoir des remontées d’informations plus rock’n’roll, si vous me permettez l’expression : au-delà des remontées traditionnelles via les préfectures et les alertes, j’ai noué des relations plus directes avec des associations ou des jeunes. J’ai ainsi parfois été amenée à faire des déplacements en urgence.
Enfin, il y a des sujets sur lesquels nous n’avons pas suffisamment avancé. Je pense au tiers de confiance, à l’adoption simple, à la prévention et au soutien à la parentalité en amont, qui reste le parent pauvre de la politique de protection de l’enfance, au retour des enfants dans les familles, qui sont trop peu nombreux. Sur ce dernier point, comment accompagner les parents, lorsque la situation le permet ? Je pense aux cas de manques affectifs ou aux questions de précarité, mais j’exclus bien sûr toutes les situations comportant des violences physiques ou sexuelles. De même, j’ai l’obsession des fratries : comment les garder ensemble ? J’ai visité des structures de l’association SOS Villages d’enfants, un modèle intéressant mais qui nécessite le recrutement de profils particuliers.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Ma première question, sous la forme d’une observation, s’adresse à la femme politique que vous êtes. La protection de l’enfance est un sujet majeur et constitue un écosystème extrêmement complexe. Pour autant, les enfants doivent être au cœur de toutes les politiques publiques. Or, je constate que l’État ne s’est pas saisi de cette question de manière forte et efficace. Vous avez en effet été ministre déléguée durant quatre mois avant la dissolution, puis de nouveau quelques mois, tandis que d’autres ont exercé leurs fonctions pendant six mois. J’ai le souvenir d’un candidat, en 2022, qui avait fait de ce sujet l’une de ses priorités. Les ministres se sont pourtant succédé sur ce secteur, qui plus est avec des portefeuilles différents. Pensez-vous que les politiques publiques pour les enfants peuvent être efficaces dans de telles conditions ?
Les politiques publiques doivent en effet s’inscrire dans le temps long. S’agissant de questions aussi sensibles, qui nécessitent précisément de mobiliser l’ensemble des politiques publiques à travers tous les ministères, les services de l’État ne peuvent pas être au rendez-vous si les ministres changent fréquemment. Vous avez été plusieurs à dire en effet que le dialogue était brisé ou absent, que vous aviez relancé des groupes de travail et essayé de prendre des décrets qui n’étaient pas sortis. Pourquoi ne l’étaient-ils pas ? Sans doute en raison des résistances de l’administration. Je ne prendrai que l’exemple du décret relatif aux taux et aux normes d’encadrement et au fichier des assistants familiaux.
Je terminerai par un sujet qui m’a meurtrie. J’ai lancé une alerte nationale sur les pouponnières. J’ai expliqué que les enfants pris en charge dans ces structures, qui ont un méta‑besoin de sécurité, étaient en danger, que victimes d’hospitalisme, ils seraient porteurs de handicaps à vie. Or il ne s’est rien passé – ou si peu. Le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gespso) a, certes, réalisé une enquête flash. Je revois les visages de ces enfants, qui ont fêté aujourd’hui leurs 6 mois, ou leur 1 an. Toutes nos pouponnières sont en sureffectifs. Cette réalité s’impose à tous les ministres qui se sont succédé. La responsabilité n’incombe pas aux seuls départements : les services de l’État doivent être en mesure de bouger les lignes, pour que ces enfants aient un autre destin.
J’avais demandé une révision du décret de 1974 mais cela n’a pas été fait. Si je connais votre engagement, je voudrais comprendre comment de tels manquements sont possibles. Ce sont les enfants qui en font les frais. Dans cette commission d’enquête, ayons l’honnêteté de reconnaître que certains problèmes, au-delà de ceux posés par les départements, incombent aux services de l’État ou relèvent d’une organisation défaillante. Je dis souvent que l’État est le premier parent défaillant : il est en effet au cœur de la question de la protection de l’enfance, via la justice, la santé, l’éducation nationale. Le département, qui accueille les enfants, doit être, quant à lui, en mesure de les accompagner au mieux.
Enfin, je travaille depuis des années avec le Québec. Même si certaines réformes n’ont pas aidé, le système québécois de prévention, de recherche, de clinique et de projection pour accompagner les enfants et les familles est très différent ; nous pourrions grandement nous en inspirer. Aucun enfant de 0 à 5 ans n’est placé en collectif au Québec, sauf exception. Cela fait six ans que le ministre de la santé l’a demandé.
Mme Sarah El Haïry. J’ai agi tout le temps que l’on m’a donné, c’est-à-dire chaque jour où j’étais en responsabilité. Tous les ministres qui m’ont succédé, quelle que soit leur sensibilité politique, ont agi dans l’intérêt des enfants. Personne ne peut se dire que ce sujet n’est pas prioritaire, surtout après avoir rencontré les enfants et constaté l’urgence de la situation.
Afin de remédier aux lenteurs de l’interministérialité, ma nomination s’est traduite par un renforcement de mon autorité sur les administrations de la justice et de l’éducation. J’ai par ailleurs recruté des membres des cabinets précédents pour assurer une continuité dans les travaux. J’avais la possibilité de convoquer dans mon bureau les directeurs d’administration concernés par la santé des mineurs protégés, l’éducation, la jeunesse et les sports. Ainsi, c’était moi, et non pas mon collègue de l’éducation nationale, qui pilotais les Colos apprenantes. Disposer de temps permet de travailler plus en profondeur, comme j’ai pu le constater pendant quatre ans et demi lorsque j’étais chargée de la jeunesse. J’ai ainsi pu faire avancer les sujets relatifs au service civique, au SNU et à l’éducation populaire sans perdre de temps à découvrir les acteurs. Cependant, vous connaissez la situation électorale et les conséquences de la dissolution. Mon action s’en est trouvée restreinte mais les gens n’ont pas levé le stylo pour autant.
S’agissant des pouponnières, ce qui m’a le plus marquée, ce sont les mesures de placement non exécutées et la surpopulation. J’ai tenté d’organiser un déplacement au Québec pour tirer des enseignements de ce modèle – malheureusement, la dissolution est passée par là. La volonté politique était de sortir le décret sur les taux d’encadrement le plus vite possible. Toutefois, elle se heurtait au problème de son effectivité car on n’arrivait pas à l’appliquer. Alors que nous connaissons une crise générale de la protection de l’enfance, il est nécessaire d’adosser ce décret à un calendrier organisant le recrutement et la formation de familles d’accueil. Les objectifs doivent être fixés et leur exécution doit être suivie afin de ne pas accroître la pression sur les professionnels. Par ailleurs, la priorité doit être donnée au placement des enfants de 0 à 3 ans, qui sont ceux qui risquent le plus de subir de graves conséquences de la surpopulation dans les pouponnières.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). J’entends vos bons sentiments et je veux bien croire que personne au gouvernement ne veut du mal aux enfants mais ce que je souhaite, c’est un signe de volonté politique. Je trouve de plus en plus fatigant d’écouter ces discours très niais et très dégoulinants alors que la situation se dégrade. Je l’ai déjà dit à votre prédécesseure, dont les communications me semblaient à côté de la plaque au regard des enjeux. Alors qu’Emmanuel Macron est au pouvoir depuis sept ans, avec une stabilité politique de cinq ans, peu d’actions ont été accomplies, si ce n’est une loi qui a été vue comme facultative par les principaux responsables de la protection de l’enfance, à savoir les départements.
Vous êtes arrivée à la tête de ce ministère quatorze jours après le suicide de Lily, dans le Puy-de-Dôme, et deux ans après l’adoption de la loi Taquet, qui n’est pas appliquée. Le décret visant à interdire les placements hôteliers est paru le 16 février, soit huit jours après votre arrivée. Quelle situation avez-vous trouvée en arrivant dans ce ministère ? Comment avez-vous pu, en huit jours, publier ce décret alors que Charlotte Caubel, votre prédécesseure, nous a expliqué que la situation était totalement bloquée avec les départements ? Quels ont été vos échanges avec ces derniers ?
Mme Sarah El Haïry. Madame la députée, vous avez utilisé des propos que je trouve brutaux. Personne n’a le monopole des émotions ni de la volonté d’agir et de protéger. Vous trouvez peut-être qu’il y a trop d’émotion dans mes propos ; en tout cas, c’est comme cela que j’ai vécu ma mission, comme cela que j’ai reçu les enfants et rencontré les professionnels concernés. Je continuerai donc à m’exprimer comme je l’ai vécu, avec la simplicité qui est la mienne.
La sortie du décret étant un objectif prioritaire, j’ai mis la pression sur les administrations pour qu’il soit publié. Cela ne signifie pas qu’il a été rédigé en quarante‑huit heures – les travaux étaient déjà bien avancés – mais que c’était une obsession de ma part : je demandais tous les jours à ma direction de cabinet et à mes administrations où on en était. Par ailleurs, le décret avait été soumis au Conseil d’État et, la procédure ayant été menée à son terme, nous avons pu le publier rapidement, dans une rédaction totalement sécurisée.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Je vous livre aussi l’émotion qui est la mienne en tant que professionnelle de la protection de l’enfance. Vous trouvez peut-être mes propos brutaux mais la brutalité est aussi celle que vivent les professionnels et surtout les enfants placés.
Vous n’avez pas répondu à ma question sur les échanges que vous avez eus avec les départements.
Mme Sarah El Haïry. J’ai évidemment demandé à rencontrer l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance : le président de Départements de France, le GIP « France Enfance protégée » ainsi que les grandes et les petites associations d’accueil.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Ce n’est pas vraiment une réponse.
Mme Sarah El Haïry. J’ai demandé à voir le président de Départements de France, j’ai reçu ensuite le GIP « France Enfance protégée », puis les associations. J’ai de plus fait le choix de voir les leaders des départements de gauche, puis les leaders de départements de droite pour connaître la réalité par sensibilité politique. J’ai donc rencontré absolument tout le monde.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Je vous remercie pour votre agenda. J’aimerais maintenant savoir quelle a été la teneur des échanges avec les départements, notamment l’association Départements de France, au sujet de l’interdiction des placements hôteliers ? Avez-vous obtenu des arbitrages budgétaires avec Bercy sur ce point ?
Mme Sarah El Haïry. Dans mon souvenir, les échanges étaient très généraux et ne portaient pas exclusivement sur la question du décret. Nous avons évoqué notamment les difficultés de recrutements, certains acteurs ou élus étant dans une situation compliquée. Mais surtout, nous avons tenu à réactiver les échanges pour ne pas rester sourds aux situations de crise que connaissaient plusieurs départements, quelle que soit leur sensibilité politique.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous avez également affirmé dans un communiqué que, depuis le 1er février 2024, l’hébergement en hôtel était totalement interdit, sans dérogation possible. Reconnaissez-vous aujourd’hui que ce communiqué était totalement mensonger, dans la mesure où le décret que vous avez publié prévoit des dérogations ? De plus, des placements en hôtel continuent d’être effectués dans des départements en France.
Mme Sarah El Haïry. Si vous avez connaissance de placements en hôtel, je vous invite à saisir le parquet.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). C’est fait !
Mme Sarah El Haïry. Et c’est exactement ce qu’il fallait faire : vous avez la possibilité de saisir le parquet à chaque fois que vous avez connaissance d’un tel fait.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Merci de répondre à mes questions.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Répondez à la question qui vous est posée !
Mme Christine Le Nabour (EPR). Il n’y a pas un lieu à l’Assemblée nationale où vous faites preuve de respect ! C’est incroyable ! Vous poussez des soupirs, vous interpellez les personnes auditionnées : ce n’est pas respectueux !
Mme la présidente Laure Miller. Non, en effet, ce n’est pas respectueux. Je constate de plus que l’indignation de nos collègues est à géométrie variable parce que quand Mme Rossignol nous a expliqué la semaine dernière que le gouvernement socialiste n’avait pas mis un centime de plus sur la protection de l’enfance en cinq ans, il n’y avait personne pour s’indigner !
Mme Béatrice Roullaud (RN). Madame El Haïry, vous avez dit que l’accompagnement n’était pas à la hauteur des signalements. C’est un sujet qui m’intéresse car je trouve que trop peu de cas sont détectés – vous vous rappelez sans doute celui du petit Bastien, enfermé dans une machine à laver et qui en est mort, alors qu’il y avait eu neuf signalements et trois informations préoccupantes. De même, vous vous étonnez du taux énorme de placements non exécutés. Avez-vous une idée du budget qui serait nécessaire pour la création de foyers ainsi que d’une unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) par département, ou encore pour améliorer la détection des cas de maltraitance et renforcer l’information du parquet ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous confirmer que le décret relatif au référentiel unique, qui donne à tous les professionnels les mêmes critères pour déterminer si un enfant est maltraité ou non et s’il y a lieu de faire un signalement, a bien été publié ? Savez-vous pourquoi sa publication a provoqué tant de résistance ?
Mme Sarah El Haïry. Malheureusement, je ne suis plus en mesure de répondre sur l’aspect budgétaire car je n’ai plus accès aux services chargés de l’évaluation. Toutefois, j’ai pu constater que les Uaped fonctionnaient bien, les différents professionnels parvenant à alerter très rapidement lorsqu’ils détectent un cas et à apporter un accompagnement adapté aux enfants.
S’agissant du nombre d’alertes, la conscience que chaque adulte – voisin, enseignant, professionnel de santé, parent – a une responsabilité est de plus en plus forte. La situation évolue dans le bon sens. Il faudrait toutefois améliorer les choses bien en amont pour éviter d’en arriver à une situation grave. Il faut pouvoir demander de l’aide avant que l’enfant ne soit en danger, obligeant à le retirer de son foyer ou à mettre en place un accompagnement à domicile.
Enfin, j’ai évoqué avec la présidente du GIP une expérimentation menée avec les bâtonniers et visant à former les avocats à recueillir la parole de l’enfant. C’est une initiative que je trouve particulièrement intéressante.
Mme la présidente Laure Miller. Et qu’en est-il de la publication du décret ?
Mme Sarah El Haïry. Je n’ai malheureusement plus accès à cette information.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Madame El Haïry, avant de vous écouter, j’ai cherché à savoir ce que vous aviez accompli pour la protection de l’enfance à la tête de votre ministère. Il en ressort que vous vous êtes davantage investie à Nantes que sur les politiques en direction des enfants – ce n’est pas moi qui le dis mais vos équipes ministérielles. Vous avez également augmenté significativement les crédits consacrés au SNU, gabegie de 160 millions d’euros pour un dispositif militaire coûteux et inutile de mise au pas de la jeunesse alors que, dans le même temps, des coupes budgétaires ont été opérées dans des secteurs essentiels, avec par exemple la suppression par décret d’un quart des postes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Comment expliquez-vous ces baisses de crédits pour la protection de l’enfance alors que des financements aussi importants ont été alloués au SNU ?
Vous dites avoir constaté l’épuisement professionnel. Quelles actions concrètes avez‑vous menées pour y remédier ? Pourquoi ne pas avoir accepté la revalorisation salariale demandée depuis des années par les travailleurs sociaux ?
Des départements ont décidé d’arrêter l’accompagnement des MNA, en désaccord total avec la Convention internationale des droits de l’enfant, pour des raisons budgétaires. Il était de votre devoir, en tant que ministre, de faire respecter la loi ; or vous n’avez rien fait. Pouvez-vous nous expliquer ce silence ? Que feriez-vous autrement ?
Les mesures prévues par la loi Taquet pour lutter contre les sorties sèches de l’ASE sont appliquées de manière inégale et limitée. S’agissant de jeunes très vulnérables, en situation de précarité et sans soutien familial, ces sorties sèches demeurent un gros problème. Quelles actions concrètes avez-vous décidées pour garantir un accompagnement égal et uniforme dans tout le territoire ? Les anciens enfants placés demandent, par la voix de leur comité de vigilance, que l’accompagnement soit obligatoire jusqu’à 25 ans, en fonction des besoins des jeunes. Qu’en pensez-vous ?
Mme Sarah El Haïry. J’assume tout : à chaque fois que j’ai agi, je l’ai fait dans l’intérêt des jeunes. J’assume le SNU, qui est une bonne politique publique. C’est un projet qui permet la mixité sociale tout en réunissant des jeunes autour de la culture de l’uniforme, celui des pompiers comme celui des gendarmes. (Protestations.) Madame la députée, c’est vous qui m’avez posé la question et j’entends y répondre, même si ma réponse ne vous convient pas.
Les enfants protégés doivent avoir accès à l’ensemble des politiques pour la jeunesse, qu’il s’agisse du service civique, des Colos apprenantes ou du SNU. Le SNU est un très joli programme qui permet de découvrir le bénévolat et de se rendre dans d’autres régions – pour la majorité des jeunes concernés, c’était d’ailleurs la première fois qu’ils avaient la possibilité de quitter leur domicile sans que l’on s’intéresse au quotient familial de leur famille, à leur établissement scolaire ou à leur territoire d’origine. Ces temps sont précieux pour construire l’unité dans notre nation. Lever un drapeau ou partager une Marseillaise ne signifie pas que le SNU est militarisé, celui-ci n’étant pas encadré par des militaires d’active. Il offre à chaque jeune une chance de trouver son chemin, par exemple en s’engageant dans le bénévolat ou le service civique écologique, ou encore en rejoignant les cadets de la gendarmerie. Un grand pays ne décide pas à la place de ses enfants. Voilà pourquoi je souhaite que les enfants confiés à l’ASE aient accès à l’ensemble des dispositifs et des programmes auxquels ils peuvent prétendre.
Concernant l’ASE, nous avons constitué un groupe de travail spécifique avec les départements et les associations. Il s’agit d’échanger sur les meilleures pratiques et de tenter de remédier aux dysfonctionnements – certains enfants n’ont par exemple pas accès au pécule à leur sortie de l’ASE parce qu’ils ne possèdent pas de compte bancaire. Il ne faut pas laisser les mineurs sans accompagnement à leur majorité. Pour cela, il faut intervenir plus tôt, dès 16 ans.
Vous avez parlé des MNA, évoquant des départements qui ne respecteraient pas les règles. La loi impose une solidarité nationale et ce sont les services de l’État qui désignent le lieu d’accueil. À chaque fois qu’un problème m’a été remonté, j’ai saisi le préfet pour que tout rentre dans l’ordre et, le cas échéant, pour mener les actions judiciaires nécessaires.
Enfin, concernant la revalorisation des professionnels, ceux-ci sont salariés non pas de l’État mais des départements et des associations. La négociation a donc été globale et incluait leurs employeurs.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Concernant le SNU, vous avez peut-être la culture de l’uniforme mais moi j’ai la culture du service public, de la prévention et de la protection. Ne pas supprimer un quart des postes en PJJ aurait été une bonne mesure.
Pour lutter contre l’épuisement professionnel, il n’y a pas que la revalorisation salariale – vous auriez pu concevoir d’autres plans – mais il n’empêche que nous appelons de nos vœux une telle revalorisation, notamment pour les fonctionnaires qui relèvent de l’État.
S’agissant des MNA, la Défenseure des droits nous a heureusement donné plus d’informations sur la question, notamment sur le désengagement des départements. Nous attendons donc avec grand intérêt son rapport en janvier.
Mme Sarah El Haïry. À chaque fois que j’ai eu connaissance d’un cas concernant les MNA, le préfet a été saisi. C’est comme cela que fonctionne un État de droit.
Par ailleurs, je considère que l’uniforme, dans le cadre du SNU, est une chance car il permet à l’ensemble des enfants de participer à une communauté d’aventure sans faire de distinction selon les marques.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Mon problème n’est pas l’uniforme, c’est le service public.
Mme Sarah El Haïry. Madame la députée, c’est vous qui avez soulevé la question de l’uniforme. Pour ma part, je suis très fière du SNU mais si vous ne voulez pas que j’en parle, ne m’interrogez pas sur ce sujet.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). J’aimerais revenir sur le décret relatif à l’interdiction du placement des mineurs à l’hôtel. Il prévoit de labelliser des hôtels sociaux et des campings pour continuer d’accueillir les mineurs. M. Xavier Iacovelli, sénateur du parti Renaissance, vous avait interpellée en disant que c’était un contournement du vote du Parlement. Vous aviez répondu que, tout en respectant l’esprit de la loi, les dérogations étaient le fruit de deux ans de discussion avec les départements, ces derniers disposant de moyens très limités. Mais vous aviez reconnu, dans la même audition, que ce décret manquait de clarté sur certaines des garanties à apporter comme la présence obligatoire d’un adulte formé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou encore l’impossibilité de rester plus de deux mois dans un hôtel. Vous vous étiez engagée à ce que soit publié un décret pour lever toutes ces ambiguïtés. Qu’avez-vous fait pour publier ce décret ?
Mme Sarah El Haïry. J’ai veillé à une publication rapide du décret. Celui-ci prévoit, de mémoire, une dérogation à l’interdiction de logement à l’hôtel des enfants de l’ASE pour les enfants de plus de 16 ans sans handicap, et uniquement dans des établissements accueillant déjà des mineurs, pour une durée ne devant excéder deux mois.
Vous avez raison, le texte du décret est toutefois trop flou concernant l’encadrement de cet accueil par un adulte. Après avoir été interpellée à ce sujet, j’avais proposé d’attendre une évaluation de l’application du dispositif pour éventuellement le corriger. Le temps qui m’a été imparti ne me l’a pas permis.
L’esprit de la loi Taquet impose la présence d’un encadrant vingt-quatre heures sur vingt-quatre auprès des enfants, mais le décret ne le précise pas. Ce texte manque également de clarté concernant la formation de l’encadrant.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je repose ma question : quelles démarches avez-vous entreprises pour que ce nouveau décret, qui n’est toujours pas publié, le soit ?
Mme Sarah El Haïry. Encore une fois, le décret est sorti à mon arrivée au ministère, mais je n’ai pas pu aller au bout de ce travail.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Combien faut-il de temps aux services de l’État pour publier un tel décret, qui met en jeu la vie d’enfants ?
Mme Sarah El Haïry. Je rappelle qu’à mon arrivée au ministère, la publication du décret était attendue depuis des mois, voire des années. J’ai permis qu’il sorte rapidement. Toutefois, faute d’une rédaction suffisamment précise, il permet à des personnels insuffisamment qualifiés, par exemple des surveillants ne disposant que du Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) d’encadrer les enfants la nuit, ce qui ne correspond ni à l’esprit de la loi Taquet, ni à ma volonté.
Comme je l’avais répondu à M. Iacovelli, je comptais donc m’appuyer sur une évaluation de l’application du décret pour le corriger. Des échanges avaient commencé ; il doit en rester des traces.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Si je comprends bien, vous vous êtes précipitée pour sortir un décret dont la publication tardait depuis deux ans – c’est noble à vous. Toutefois, la rédaction de ce décret n’est pas suffisamment claire et vous n’avez pas eu le temps de la corriger. Pourquoi n’avoir pas publié d’emblée un décret clair ?
Mme Sarah El Haïry. Encore une fois, nous voulions faire appliquer l’interdiction de l’accueil en hôtel des mineurs. C’est seulement lors de l’application du décret que le problème d’encadrement de nuit, relayé par M. Iacovelli, est apparu.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je n’ai toujours pas la réponse à ma question.
En mars 2024, vous avez annoncé que des contrôles dans les hôtels accueillant des mineurs auraient lieu. Selon quelles modalités ? Quel en a été le nombre ? Ces contrôles ont-ils permis de constater que certains départements ne remplissaient pas leurs obligations ? Si oui, lesquels ?
Mme Sarah El Haïry. Je dois retrouver ces informations de mémoire.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). De mémoire ?
Mme Sarah El Haïry. Quand on n’est plus ministre, il ne nous reste que notre mémoire.
Un groupe de travail avait été organisé concernant les contrôles. À la suite d’alertes d’organisations syndicales et de la presse, nous avions procédé à un contrôle dans le Nord et constaté que des enfants étaient hébergés à l’hôtel.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Après avoir constaté que ces placements étaient illégaux, avez-vous saisi le procureur de la République ?
Mme Sarah El Haïry. Nous avons saisi le préfet, qui a suivi la procédure. Je ne sais pas quelle suite y a été donnée. De mémoire, les faits avaient lieu à Roubaix.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Vous ne savez donc pas si le préfet a saisi le procureur de la République.
Mme Sarah El Haïry. Il doit être possible de savoir quelle démarche le préfet ou son successeur ont suivi. C’est le préfet qui a autorité sur le département.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Vous évoquez vos émotions, mais la moindre des choses aurait été de vous assurer que la procédure lancée face à des actes illégaux aboutisse et serve d’exemple, surtout qu’elle touchait un département où les manquements sont graves et où les personnels sont en grève.
Par ailleurs, vous auriez pu anticiper les questions de cette commission d’enquête, pour éviter d’avoir à vous en remettre à votre mémoire.
Enfin, après trois années au secrétariat d’État de la jeunesse, à votre arrivée au ministère de l’enfance, de la jeunesse et des familles, vous avez dû vous apercevoir très rapidement – au bout de deux ou trois réunions – de l’effondrement du système de protection des enfants les plus vulnérables de notre société. N’avez-vous pas eu un sursaut de conscience ? Ne vous êtes-vous pas interrogée sur l’opportunité de consacrer les ressources publiques au SNU, de donner la priorité à ce dispositif, quelle que soit la valeur qu’on lui accorde par ailleurs ? J’en appelle à votre sens des responsabilités et des priorités.
Mme Sarah El Haïry. Je n’ai jamais opposé les enfants entre eux selon les programmes qui les visent.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Et la hiérarchie de la douleur ?
Mme Sarah El Haïry. Oui, le SNU, qui a permis à plus de 100 000 enfants de vivre l'aventure de l’éducation populaire, était une priorité. L’éducation populaire, l’engagement des jeunes et les programmes de citoyenneté ont été mes priorités, tout comme la protection de l’enfance.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). À quel prix ?
Mme Sarah El Haïry. Supprimer des politiques de mixité sociale, d’émancipation, qui permettent aux jeunes d’espérer, ce n’est pas leur rendre service, bien au contraire.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). La généralisation du SNU coûterait 5 milliards d’euros chaque année.
Mme la présidente Laure Miller. Vos interruptions et vos questions sont insupportables. Si vous ne souhaitez pas obtenir de réponse, partez ! Certains députés ont quitté la salle, à cause de votre agressivité. Nous ne sommes pas un tribunal, vous n’êtes pas des procureures.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Vous nous reprochez de poser des questions insupportables ? Mais enfin, il s’agit d’une commission d’enquête !
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Je demande une suspension.
Mme la présidente Laure Miller. La moindre des choses est d’écouter les réponses. Je ne suspendrai pas la séance.
Et c’est votre réaction aux réponses qui est insupportable. Quant à vos questions elles‑mêmes, je ne vous ai pas empêché de les poser.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). C’est seulement le camp présidentiel qui a un problème avec nos questions.
Mme la présidente Laure Miller. Non. Je vous demande simplement du respect.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous ne sommes pas là pour passer de la pommade.
Mme la présidente Laure Miller. Vous n’avez pas la parole. C’est à moi qu’il revient de la distribuer. Votre refus d’écouter les réponses est difficile à supporter.
En outre, je vous ai bien laissé poser toutes les questions que vous souhaitiez.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Mme El Haïry n’a pas répondu à nos questions. Je vous ai donc demandé d’intervenir, mais vous ne l’avez pas fait.
Mme la présidente Laure Miller. La réponse de Mme El Haïry était claire ; simplement, elle ne vous convenait pas. Par ailleurs, je ne vous ai pas donné la parole. Je ne vous l’accorderai que dans un instant.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). À la suite des confinements liés au covid, les problèmes de santé mentale des jeunes sont devenus un fléau.
Les enfants de l’ASE, déjà fragiles, sont désormais surmédicalisés, alors que c’est d’abord de présence humaine qu’ils ont besoin. Or les personnels de l’ASE pointent la difficulté de leurs conditions de travail et le risque de burn out. Pour qu’ils puissent aider les enfants, il faut, entre autres, revaloriser leur salaire et assurer le sens de leur mission.
En dehors des approches médicamenteuses et médicales, quelles mesures spécifiques avez-vous déployées pour pallier les difficultés psychologiques des enfants placés sous la protection de l’ASE ?
Mme Sarah El Haïry. La question de la santé mentale des enfants, saisissante, avait été traitée lors des assises de l’enfance. En réponse aux besoins, nous avons mobilisé autant que possible le chèque psy. Toutefois, l’accès aux pédopsychiatres reste inégal, faute de professionnels disponibles.
Nous avons également recouru au dispositif Pegase, qui obtient de bons résultats, en permettant une prise en charge globale par la communauté médicale et paramédicale. En identifiant les problèmes en amont, il est possible d’éviter la médicalisation.
Vous évoquez à juste titre l’importance du bien-être au travail des professionnels. Il faut prendre en compte les besoins spécifiques des enfants, en leur procurant un cadre adéquat et en permettant de s’engager. Dans certaines associations, les professionnels multiplient les activités en dehors du temps scolaire, pour ouvrir la vie des enfants sur l’extérieur. Ils assurent ainsi un rôle de prévention et de détection des problèmes de santé mentale. Mais encore faut-il que des professionnels soient disponibles pour ces activités.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je suis d’accord avec vous. Sur ce sujet comme sur d’autres, je suis frappé par la déconnexion entre les discours – le vôtre, par exemple, que je ne remets pas en cause – et la réalité du terrain.
Le problème est le manque de moyens matériels et humains. Quand les professionnels ne manquent pas, ils sont maltraités et ne voient jamais d’amélioration.
Mme Sarah El Haïry. Vous pointez un problème bien réel. D’un territoire à l’autre, la situation est inégale. Certains départements n’accordent pas une place prioritaire à la protection de l’enfance ou sont confrontés à des difficultés budgétaires et de recrutement.
La politique de protection de l’enfance dépend des départements. Le ministre peut simplement fixer un cap, impulser un objectif, et essayer d’accompagner les départements et l’association Départements de France dans sa réalisation.
L’État doit se montrer ferme pour garantir l’égalité entre les territoires, à travers des référentiels de formation, des normes d’encadrement ou la généralisation de certains dispositifs, comme Pegase. Mais l’application de ces mesures revient aux départements, ce qui explique l’écart entre la volonté politique formulée au niveau ministériel et son application dans les territoires.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Selon vous, l’organisation actuelle et les moyens attribués aux départements sont-ils suffisants pour protéger efficacement les enfants dont la nation a la charge ?
Mme Sarah El Haïry. Il est certain que le produit des droits de mutation à titre onéreux, dont les départements dépendent pour leur budget, a fortement baissé. Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) avait demandé un plan Marshall pour le secteur, combinant des mesures budgétaires et des réformes profondes. À mon arrivée au ministère, en février, je n’ai pas voulu attendre le débat budgétaire prévu pour la fin de l’année, car je voulais des solutions immédiates.
Nous avons dressé un bilan du foncier d’État qui pouvait être mis à disposition des départements, pour réduire leur charge financière. Nous avons recensé les places d’internat disponibles dans tous les départements. Les enfants de l’ASE qui n’avaient pas besoin d’un accompagnement spécifique ont ainsi pu bénéficier de ce droit commun. Nous avons également débloqué des fonds avec la Banque des territoires. En somme, nous avons recouru à tous les moyens qui étaient disponibles en février et mars pour accompagner les départements, tout en préparant le débat budgétaire de fin d’année, dont on sait comme il est difficile.
Mme la présidente Laure Miller. Puisqu’il ne nous reste que dix minutes, je propose aux derniers orateurs de regrouper leurs questions et de les condenser.
Mme Anne Bergantz (Dem). Selon moi, l’augmentation soutenue des mesures, notamment de placement, est à l’origine des difficultés actuelles, puisque nous n’avons pas les moyens de les appliquer.
Plus spécifiquement, nous constatons une baisse de la part des enfants accueillis par des familles. Alors qu’en 2015, ce type d’accueil représentait 50 % de l’ensemble des placements, en 2021, ce n’était plus que 40 %. Il faut donc réfléchir sur le statut des accueillants, leur formation, la reconnaissance dont ils bénéficient. Il faudrait également étudier la possibilité de concilier l’accueil avec une activité professionnelle. Comment redynamiser le recrutement des assistants familiaux, selon vous ?
M. Denis Fégné (SOC). Pour renforcer l’articulation entre le ministère de la justice, les conseils départementaux et tous les acteurs de terrain, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) préconise d’accélérer l’expérimentation des comités départementaux pour la protection de l’enfance (CDPE) et d’y rattacher les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Comment évaluez-vous ces comités et quelles sont vos préconisations ?
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Selon vous, en matière de protection de l’enfance, l’État est-il soumis à une obligation de résultat ou à une obligation de moyens ?
Quand vous étiez ministre, vous n’aviez pas le temps de tout faire, dites-vous. Mais peut-être auriez-vous pu vous dispenser de certaines actions qui étaient coûteuses en temps et en argent et ne bénéficiaient pas à la protection de l’enfance ?
Mme Sarah El Haïry. Près de 50 % des assistants familiaux partiront à la retraite d’ici à 2030, alors qu’ils constituent la pierre angulaire de la réponse à la crise. De fait, l’accueil familial répond aux besoins d’une partie des enfants. Il leur apporte une sécurité affective et un accompagnement personnalisé, dès lors qu’un lien de confiance s’est établi. La question du cumul des activités se pose. Il me semble possible pour certains enfants et pour certains âges. Ce type d’accueil est une belle aventure, dès lors que les assistants sont accompagnés, formés et se sentent sécurisés.
Il faut poser la question de la reconnaissance des accueillants familiaux. Ceux-ci doivent pouvoir faire confiance aux autorités de contrôle. Ils doivent savoir quelle sera la durée de l’accueil et les besoins spécifiques de l’enfant qu’ils accueillent. Ils doivent pouvoir choisir à quel moment de leur vie ils accueillent un enfant, parce qu’ils sont prêts à le faire.
Les refus d’agrément, dont les causes sont multiples, doivent également être motivés, car cela permet aux candidats de s’améliorer. Enfin, il faut mieux communiquer sur le métier d’assistant familial – certains départements ont lancé de très belles campagnes d’information en la matière.
Outre qu’il faut ainsi sécuriser le parcours des assistants familiaux, il faudrait également structurer leurs organisations. En nous appuyant sur ces deux jambes, nous pourrions renforcer l’attractivité du métier.
Nous devons par ailleurs accepter que le métier a évolué et que l’offre s’est diversifiée. Par exemple, les assistants familiaux thérapeutiques répondent à des besoins très spécifiques. Je souhaite que des assistants familiaux puissent demain accueillir un enfant pendant le week‑end, afin de lui permettre de sortir de la maison d’enfants à caractère social (Mecs) ou de sa famille.
Quoi qu’il en soit, j’en suis convaincue, c’est notamment grâce aux assistants familiaux que l’ASE sortira de la crise.
Monsieur Fégné, je juge excellente la proposition du Cese d’accélérer l’expérimentation des CDPE, qui fonctionne bien, et de rattacher à ces comités les ODPE, qui permettent d’accéder à des données consolidées et donc de prendre du recul par rapport au présent.
Les CDPE permettent de réunir tout le monde autour de la table. C’est nécessaire, car les représentants de la justice, notamment, se tiennent parfois trop éloignés du terrain. Pensons aux enfants qui relèvent à la fois de la PJJ et de l’ASE : il est dommage que les représentants de ces deux administrations n’échangent pas avec le médecin pilote du programme « Santé protégée », par exemple, ou même avec un représentant de l’équipe enseignante.
Au passage, certains chefs d’établissements empêchent la bonne circulation de l’information. Non par mauvaise volonté, mais parce qu’ils craignent que l’enfant placé soit stigmatisé. Pourtant, en évoquant sa situation avec le professeur principal, ils peuvent permettre un accompagnement spécifique.
Les adultes qui ont la responsabilité de l’enfant doivent pouvoir se réunir et les CDPE doivent permettre d’institutionnaliser le partage de l’information, en mettant fin aux inégalités selon les territoires.
Madame Amiot, j’ai consacré chaque seconde du temps qui m’a été imparti aux missions qui m’ont été confiées. Vous me demandez si j’ai délaissé la protection de l’enfance. Elle a été ma priorité, tout comme la jeunesse.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je répète mes deux questions, car vous n’y avez pas répondu : selon vous, l’État a-t-il une obligation de moyens ou une obligation de résultat, en matière de protection de l’enfance ?
Par ailleurs, auriez-vous pu vous dispenser de certains projets ?
Au mois de juillet, le Gouvernement démissionnaire a pris pas moins de 930 décrets. Pourquoi le projet de décret évoqué par Mme Hadizadeh n’en faisait-il pas partie, alors que vous reconnaissez vous-même qu’il était urgent d’agir ? Combien avez-vous pris de décrets en juillet ?
Mme Sarah El Haïry. De mémoire, j’ai pris trois décrets, dont un en juillet, relatif au contrôle des antécédents judiciaires des professionnels exerçant auprès des jeunes enfants et des mineurs de moins de 13 ans.
Pour répondre à votre question, la protection de l’enfance est une compétence des départements.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ce n’était pas ma question.
Mme Sarah El Haïry. Si, vous m’interrogez sur le champ de mes compétences et sur mes priorités. À chaque seconde, les enfants, tous les enfants, ont été ma priorité.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ce n’est pas ce que montre le budget.
Mme Sarah El Haïry. J’ai appliqué le budget décidé par le Parlement.
M. Olivier Fayssat (UDR). La question de savoir si vous méritez une médaille ou une peine de galère pour votre action passée ne m’intéresse pas. Je souhaite plutôt envisager l’avenir, car je préfère la construction à la destruction. De quelles mesures relevant du champ législatif regrettez-vous l’absence, qu’il s’agisse de procédures, de budget, d’effectifs ou du contrôle de l’exécutif ? Si le temps manque, pourriez-vous me répondre par écrit ?
Mme Katiana Levavasseur (RN). Année après année, les rapports formulent les mêmes constats : baisse du nombre de professionnels, manque de moyens, faible coordination. Pourquoi, selon vous, n’arrivons-nous pas à obtenir des résultats tangibles à court, moyen ou long terme ?
Mme Sarah El Haïry. Monsieur Fayssat, je reviendrai vers vous par écrit. En premier lieu, la prévention et le soutien à la parentalité sont un impensé de nos politiques publiques. Or, pour protéger les enfants, il faut d’abord accompagner les parents.
En outre, nous n’accordons pas une attention suffisante au retour des enfants, notamment dans les situations d’urgence.
Enfin, de nombreuses familles ayant obtenu l’agrément pour adopter des enfants doivent attendre sept ou huit ans pour le faire. Dans le même temps, dans certains cas, nous savons très vite que l’enfant ne pourra pas retourner dans sa famille d’origine, faute d’un tiers de confiance. Pourquoi alors ne pas réformer l’adoption simple, pour offrir davantage de stabilité à ces enfants et éviter qu’ils ne soient promenés d’un foyer ou d’une famille à l’autre ? Nous connaissons les témoignages sur ces parcours brisés.
La question de l’autorité parentale n’est pas facile à traiter, car elle heurte les pudeurs, mais elle devrait au moins être creusée. Je l’aurais fait, si j’avais pu. Nous devons à ces enfants de bonnes conditions d’accueil. Or la famille adoptive peut devenir une famille de cœur, qui n’a pas moins de sens que la famille dont ces enfants ont hérité.
Madame Levavasseur, pouvez-vous me rappeler votre question ?
Mme Katiana Levavasseur (RN). Alors que les enquêtes se multiplient, les résultats sont de plus en plus faibles. Pourquoi ne parvenons-nous pas à remédier au manque de coordination entre les échelons local, national et départemental ? La création d’une cellule réunissant toutes les parties semblerait un bon point de départ.
Mme Sarah El Haïry. La coordination pose problème.
Au niveau local, alors que nous nous contentons parfois de gérer les crises lors de leur survenance, les CDPE, en réunissant les acteurs du quotidien, pourraient permettre d’assurer la continuité du suivi.
Au niveau national, il faut également instaurer une coordination. La création et la montée en puissance du GIP « France Enfance protégée » nous en offre une belle occasion, puisque cette structure regroupe les départements, l’État et les associations.
Les CDPE et le GIP « France Enfance protégée » pourraient devenir les lieux d’un renouveau, précisément parce qu’ils sont protégés des fluctuations politiques que nous connaissons.
En tout cas, si le ministre doit fixer un cap, la protection de l’enfance reste une politique départementale. Ce sont les présidents des départements qui ont la responsabilité des enfants.
Mme la présidente Laure Miller. Merci madame.
La séance s’achève à dix-huit heures dix.
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Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Édouard Bénard, Mme Anne Bergantz, M. Frédéric Boccaletti, M. Arnaud Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Philippe Fait, M. Olivier Fayssat, M. Denis Fégné, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Marine Hamelet, Mme Tiffany Joncour, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, Mme Alexandra Martin, Mme Marianne Maximi, Mme Marie Mesmeur, Mme Laure Miller, Mme Julie Ozenne, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, M. Arnaud Sanvert