Compte rendu
Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Vinciarelli, président de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS), directeur du dispositif Cèdre de l’association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes, M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS, directeur de la MECS Saint-Vincent-de-Paul à Biarritz, et Mme Sophie Latournerie, secrétaire adjointe du bureau de l’ANMECS, directrice de la maison d’enfants Clair Logis à Paris 2
– Présences en réunion................................17
Mercredi
4 décembre 2024
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Laure Miller,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures.
La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Alain Vinciarelli, président de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS), directeur du dispositif Cèdre de l’association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes, M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS, directeur de la MECS Saint-Vincent-de-Paul à Biarritz, et Mme Sophie Latournerie, secrétaire adjointe du bureau de l’ANMECS, directrice de la maison d’enfants Clair Logis à Paris.
Mme la présidente Laure Miller. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance avec l’audition de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS), représentée par M. Alain Vinciarelli, son président, également directeur du dispositif Cèdre de l’association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes ; Mme Sophie Latournerie, secrétaire adjointe du bureau de l’ANMECS, et directrice de la maison d’enfants Clair Logis à Paris et M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS, et directeur de la MECS Saint-Vincent-de-Paul à Biarritz.
Les établissements d’accueil que vous représentez prennent en charge des enfants aux multiples vulnérabilités : près de 30 % d’entre eux sont en situation de handicap et 20 % d’entre eux sont déscolarisés, d’après une enquête de 2022. En outre, de nombreux enfants en situation de handicap sont confrontés au manque de place et restent dans l’attente de prise en charge au sein d’établissements médico-sociaux.
Dans ce contexte, la question du temps de présence, de la disponibilité des éducateurs et des personnels de santé est particulièrement importante. Les spécificités du public accueilli en protection de l’enfance posent également la question des taux d’encadrement et de la formation du personnel des MECS. Enfin, la question de l’attractivité des métiers du secteur du travail social est tout aussi essentielle, alors que 30 000 postes ne sont pas pourvus et que 71 % des établissements et services du secteur ont des problèmes importants de recrutement, d’après le Livre blanc du travail social de 2023.
Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure. »
(M. Alain Vinciarelli, M. Noël Touya Mme Sophie Latournerie prêtent serment.)
M. Alain Vinciarelli, président de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS). Nous tenons tout d’abord à vous remercier de nous avoir sollicités en tant que professionnels de terrain, en compagnie des collègues qui nous accompagnent – éducateurs spécialisés, psychologues, chefs de service – pour nous exprimer sur ce vaste sujet de la protection de l’enfance.
En préambule, nous adressons une pensée aux enfants et aux jeunes de la protection de l’enfance qui, malheureusement, connaissent des destins tragiques et des parcours chaotiques, mais aussi à ceux qui arrivent à se projeter positivement dans la construction d’un avenir malgré les embûches et les blessures. Dans le monde de la protection de l’enfance, il existe des enfants et des établissements qui se portent très bien. Mais manifestement, les trains qui arrivent à l’heure intéressent moins de monde. Pour autant, les jeunes de la protection de l’enfance sont en situation d’inégalité sociale. Elle se mesure par des statistiques très peu glorieuses s’agissant de la réussite scolaire et professionnelle. Il serait effectivement coupable et injuste de ne pas y remédier. C’est en cela que les travaux de cette commission parlementaire sont pour nous cruciaux.
Avant de présenter notre association et son objet, je souhaite évoquer en quelques mots la crise de la protection de l’enfance, que les maisons d’enfants vivent de l’intérieur, à la fois dans l’accueil des souffrances des enfants et des familles accompagnées, mais également du fait d’un contexte qui s’est fortement dégradé. Une crise inédite étreint aujourd’hui notre secteur et n’épargne aucun dispositif, aucun établissement, aucun service. Cette crise est systémique, globale et massive. Nous en avions déjà perçu quelques signes avant la crise sanitaire, mais elle se révèle depuis de manière plus encore pressante. Les indicateurs sont nombreux et traduisent une accélération exponentielle de l’activité et donc des placements en maisons d’enfants à caractère social (MECS) ; un fonctionnement général du secteur, essentiellement mû par l’urgence ; une recherche désespérée de places, notamment en hébergement, et enfin des orientations inadaptées. Il convient également de citer un nombre grandissant de mesures non exécutées, des signes évidents d’épuisement professionnel, une accélération du turnover de nature à déstabiliser les équipes institutionnelles, une saturation de tous les dispositifs et une plus grande difficulté à coopérer entre les partenaires.
Les risques sont nombreux, qu’il s’agisse des risques dans l’exercice de la continuité éducative et relationnelle auprès des enfants ; des risques dans la capacité de contenance des jeunes qui sont confrontés à de grandes difficultés personnelles, familiales, psychiques et sociales ; des risques d’aggravation des parcours des enfants et de leur mise en danger quand où nous sommes tenus de les protéger.
Ils révèlent certainement une crise de moyens, mais aussi une crise idéologique entre deux approches qui s’affrontent depuis des décennies dans notre pays et qui apparaissent antagonistes : le primat de la protection contre la prise en compte des familles. Ce paradoxe apparent occupe toutes les dimensions de la protection de l’enfance, de la clinique à la conception de cette politique publique. Pour penser cette complexité, il faut accepter cette tension comme étant structurelle, tant sur le plan juridique que clinique.
L’ANMECS est une association créée en 2010 et qui rassemble l’ensemble des maisons d’enfants à caractère social. Les administrateurs sont tous des professionnels en activité dans les maisons d’enfants. Leur engagement au sein de l’ANMECS est bénévole et militant. Cette association est née de la volonté de fédérer les professionnels de maisons d’enfants, qui ont bien évolué depuis ces dernières vingt dernières années, pour permettre leur expression, mais également de mener des réflexions et des échanges et de lutter contre une forme d’invisibilité de notre secteur. Le nombre d’établissements adhérents s’élève à 607 ; ils regroupent à peu près 9 560 professionnels.
Notre projet stratégique se décline en trois points forts : participer et contribuer à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques ; identifier, capitaliser, diffuser les connaissances, les savoir-faire et les pratiques au sein de nos établissements et services, mais aussi diffuser les bonnes pratiques et favoriser une dynamique entre les professionnels des MECS au niveau territorial et national.
Depuis sa création, l’ANMECS a organisé des journées nationales de formation, qui rassemblent chaque année entre 700 et 800 professionnels sur des thématiques diverses. En mars 2025, nous nous réunirons à Issy-les-Moulineaux pour évoquer la question sensible du rapport des maisons d’enfants avec le champ du numérique et des nouvelles technologies. Nous développons également une dynamique territoriale, notamment à partir de colloques régionaux.
Par ailleurs, l’ANMECS intervient dans le débat public autour de la protection de l’enfance, non seulement avec le Groupe national des établissements sociaux et médico-sociaux (GEPSO), mais également avec nos collègues de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE). Elle veut être un acteur proactif et porteur de propositions concernant les problématiques complexes de notre secteur.
Nous menons un travail qui a commencé autour du besoin impérieux des enfants et qui s’est poursuivi, à la demande de Mme Caubel, que nous avons eu l’occasion de rencontrer quatre fois lorsqu’elle était secrétaire d’État chargée de l’enfance. En compagnie de la CNAPE et du GEPSO, nous avons élaboré un texte pour rendre visible la question du coût des taux énormes d’encadrement. Le dernier dossier en date concerne le placement éducatif à domicile (PEAD), dans le but de faire évoluer le code de l’action sociale et des familles, afin que cette mesure puisse exister.
Nous réalisons également des coopérations avec nos collègues du secteur médico-social. Le 12 décembre prochain aura lieu une journée nationale inter-associations au sein de l’amphithéâtre Laroque, au ministère de la santé à Paris pour évoquer les coopérations, notamment entre les dispositifs institut thérapeutique éducatif et pédagogique (DITEP) et la protection de l’enfance. L’objectif consiste à mieux se connaître et mieux travailler ensemble, dans une réelle dimension d’accompagnement des jeunes confiés à nos deux secteurs. Nous aurons peut-être l’occasion de revenir lors de notre audition sur cette construction en silos des réponses publiques en France.
Nous souhaitons un réinvestissement de l’État, sans parler pour autant de recentralisation de la protection de l’enfance, afin de promouvoir une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national. En effet, nous déplorons de véritables inégalités de traitement pour les mineurs accueillis, en fonction des départements où ils se trouvent. S’il existe de nombreux schémas départementaux de l’enfance, ceux-ci ne sont jamais accompagnés de plans de financement, ce qui paraît un peu paradoxal. Il s’agit donc de sortir des logiques budgétaires annuelles et de considérer que la protection de l’enfance nécessite un réel investissement.
La protection de l’enfance est proche d’un certain nombre de politiques publiques que nous aimerions pouvoir travailler un peu plus ensemble, notamment les politiques publiques de la ville, du contrat social dans son ensemble et du logement. En effet, un certain nombre d’enfants que nous accueillons sont issus de familles qui vivent depuis très longtemps dans des formes de pauvreté multiples. La formation, tant initiale que continue, constitue également un enjeu de taille, qui renvoie à la question de l’attractivité et du sens de nos métiers. Il s’agit effectivement de pouvoir sortir d’une logique en silos et d’une politique de construction de « millefeuille », pour faire en sorte que l’État s’investisse dans une véritable politique de la jeunesse en France afin d’aider les plus vulnérables.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je partage un grand nombre des éléments que vous venez d’évoquer. Vous représentez des établissements qui accueillent des enfants et, à ce titre, je souhaiterais que nous évoquions aujourd’hui des sujets d’ordre très pratique. À l’échelle nationale, nous avons souvent tendance à évoquer les problématiques organisationnelles de coordination entre l’État et les départements, le dysfonctionnement de ce « millefeuille ».
Je m’intéresse particulièrement à l’historique de la protection de l’enfance, dont la situation actuelle découle directement. Parmi les enjeux majeurs figure la question de l’immobilier. Le bâti est-il très ancien ? Un plan de rénovation de ce bâti a-t-il été réalisé sur l’ensemble du territoire ? En effet, à l’échelle nationale, le bâti était réparti entre les départements et l’État, lequel s’est désinvesti de longue date, bien avant la décentralisation. Le problème se pose dans les mêmes termes vis-à-vis des structures que vous représentez. Il est donc difficile d’établir une vision nationale en l’absence de données bien établies. Les besoins en matière de bâti ont-ils été budgétisés ? Pour ma part, j’ai pu connaître des structures âgées parfois de soixante-dix à cent ans, sans douches dans les chambres, qui sont inadaptées aux enfants accueillis et témoignent d’un enjeu de sécurité. À l’inverse, dans certains endroits, nous avons su reconstruire des petites unités de vie, ce qui n’entraîne pas moins une inégalité territoriale
Ensuite, pouvez-vous m’indiquer le nombre d’enfants accueillis dans les MECS ? Les fratries sont-elles concernées ? Quels âges sont-ils représentés ? Avez-vous distingué des pôles consacrés aux enfants – les moins de onze ans – et des pôles dédiés aux adolescents – les plus de onze ans ? En effet, il ne faut pas cacher que des adolescents peuvent exercer des violences sexuelles, notamment sur des enfants plus jeunes.
Je souhaiterais que vous évoquiez également la formation – initiale et continue – qui mérite à mon sens d’être revue. Il existe des moyens de formation plus rapides et sans besoin de se déplacer, comme les MOOC (massive open online courses) mais beaucoup se font encore sur site. L’enjeu de ces formations est que les éducateurs puissent avoir de meilleures relations avec les enfants, une posture professionnelle clinique, y compris dans des conditions de travail très difficiles. S’agissant de la nuit, fonctionnez-vous avec des éducateurs ou des veilleurs de nuit ?
Disposez-vous de chartes de qualité pour la prise en charge des enfants dans les MECS ? Si tel est le cas, sont-elles établies au niveau national ou dans les territoires ? Étant donné qu’il faut absolument que les enfants soient pris en charge de la même manière, quelle que soit la diversité des territoires, considérez-vous que vos 607 établissements en prennent soin de manière égale ?
Enfin, quel est le budget global associé à l’accueil des 25 000 enfants évoluant dans vos structures ? Je porte manière transpartisane la proposition de loi dont vous êtes à l’initiative avec le GEPSO et nous savons tous que l’enjeu budgétaire est particulièrement marqué. Bien que l’histoire ne justifie rien, elle peut expliquer que ces taux d’encadrement et ces normes ne sont jamais sortis en raison du coût de telles mesures.
M. Alain Vinciarelli. L’ANMECS n’est pas une fédération d’associations qui gère directement des établissements, mais réunit des professionnels qui essayent de faire évoluer la politique publique de protection de l’enfance, laquelle ne bénéficie pas à ce jour de plan national. L’État s’est perdu en même temps qu’il a décentralisé cette politique publique entre 1982 et 1984. Les conseils départementaux et l’aide sociale à l’enfance (ASE) se retrouvent ainsi parfois en manque de soutiens.
Nous assistons aujourd’hui à une forme de déréglementation de la question de la protection de l’enfance, et même à une forme de marchandisation. Aujourd’hui, il est possible de monter un établissement sous la forme d’une société coopérative de production (SCOP) et de se partager les bénéfices. Selon nous, il est nécessaire que l’État réinvestisse ce sujet, dans le cadre d’une politique publique favorisant plutôt des organisations à but non lucratif.
L’historique de la protection de l’enfance et de ses mécanismes d’éloignement des enfants a bien été dressé par Boris Cyrulnik dans son livre Les vilains petits canards. Nous sommes désormais sortis de cette logique et la tendance actuelle s’inscrit dans un travail le plus proche possible des difficultés sur les territoires, là où sont les enfants. Nos maisons d’enfants ont effectivement besoin de se rapprocher des publics, de la ville, de tout ce qui fait socialisation.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. À quelle période situez-vous ce changement ?
M. Alain Vinciarelli. J’estime qu’il date d’une vingtaine d’années. Aujourd’hui, une MECS propose des hébergements diversifiés. Les réponses ne sont pas uniques en collectif, notamment grâce à une forme de mutualisation. Le bâti correspondait historiquement à des grosses structures ; aujourd’hui ces dernières sont de moindre taille et regroupent des publics mixtes de dix à douze enfants. Ces modifications architecturales correspondent à la vie contemporaine et à l’accompagnement des besoins de ces enfants. L’intention est forte, mais tout est question des crédits accordés et des financeurs. Ces enjeux sont ainsi rattachés aux dépenses départementales d’investissement pour l’amélioration des bâtiments. Les normes évoluent de manière fréquente et exponentielle – il ne se passe pas trois ou quatre mois sans qu’une nouvelle norme de sécurité, type incendie, n’indique comment mieux équiper nos structures.
En résumé, cette prise en compte s’effectue département par département, association par association, établissement par établissement, en fonction de leur propre situation et des difficultés éventuelles. Mais la volonté commune est bien de s’orienter vers des structures plus petites. Si tout le monde s’accorde sur le principe de la protection de l’enfance, personne n’accepte vraiment qu’elle s’effectue à proximité de chez soi, car les MECS suscitent une forme de peur, voire un sentiment d’« invasion ». À ce titre, il importe de mener un travail de communication pour réaffirmer que ces enfants viennent de « chez nous » et non « d’ailleurs » ; la société civile doit être responsabilisée à cet égard.
Nous avons besoin d’un plan de financement qui devrait pouvoir conduire, à un moment donné, l’ensemble des associations, via les départements et l’État, à pouvoir effectivement réaliser des programmes immobiliers à la hauteur de ce qu’exigent aujourd’hui la sécurité et l’accompagnement du mieux-être des enfants accueillis.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. L’ANMECS a-t-elle produit un plan sur la situation du bâti à l’échelle des 607 établissements ? De fait, en matière de protection de l’enfance, nous manquons d’énormément de données, dans tous les domaines, alors même qu’elles sont essentielles pour améliorer la vie des enfants.
M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS. Nous avons particulièrement travaillé sur ces questions, notamment à l’occasion de nos journées nationales, pour établir une architecture « idéale ». Sur le plan national, il est évident que nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Nous essayons de faire évoluer le modèle historique des MECS, mais il existe encore. Ainsi, nous exerçons ce métier dans des bâtis qui ont parfois été construits il y a cent ans et qui sont issus du modèle de l’orphelinat. Ces bâtis ne sont plus adaptés aux conditions contemporaines, ce qui engendre des difficultés. La question de l’accompagnement se pose de manière très différente entre un collectif d’une vingtaine ou une trentaine d’enfants accueillis dans un même bâti ou un collectif de six ou huit enfants accueillis dans une petite villa. Cependant, ces petites unités supposent effectivement des taux d’encadrement spécifiques, qui impliquent des moyens financiers en conséquence.
L’ANMECS est née d’un besoin des professionnels de la protection de l’enfance, qui se sentaient éparpillés, esseulés, sans organisation venant les rassembler pour exercer un métier qui est pour nous essentiel. L’ANMECS a donc notamment vocation à opérer ce rassemblement, notamment à l’occasion des journées nationales, qui contribuent à nous former et à réfléchir à un modèle plus adapté aux enfants que nous accueillons. Il s’agit là d’un travail que nous menons d’année en année, en sachant que chacun d’entre nous est confronté sur son territoire à des limites économiques dans le développement de ces modèles d’unités éducatives restreintes, qui permettent de protéger et de ne pas exposer les enfants. Nous sommes confrontés à des contraintes pour lesquelles il faut trouver des solutions, la plupart du temps à moyens constants.
Mme Sophie Latournerie, secrétaire adjointe du bureau de l’ANMECS. Dans l’établissement que je dirige, nous accueillons exclusivement des fratries. C’est donc un sujet que nous maîtrisons bien et qui se généralise. De fait, la loi de 2022 établit l’obligation d’accueillir les frères et sœurs ensemble, et nous observons bien que cet aspect commence à se diffuser, en tout cas dans le territoire parisien, que je connais bien.
À ce titre, j’estime que les MECS représentent un bon outil pour l’accueil des fratries, contrairement aux familles d’accueil, car elles offrent plus de souplesse. Je pense notamment aux fratries très nombreuses qui seraient de facto séparées en familles d’accueil et qui peuvent être accueillies dans nos établissements, même si elles ne peuvent pas toujours l’être dans une même unité. Je pense en particulier à une fratrie de six enfants qui peut tantôt être séparée, tantôt se retrouver à n’importe quel moment de la journée grâce au dispositif de notre MECS.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Combien d’enfants accueillez-vous dans votre établissement ?
Mme Sophie Latournerie. Nous accueillons cinquante-quatre enfants, âgés de trois à dix-huit ans. Nous revendiquons des unités mélangées, des unités verticales, qui ont été pensées dès le départ pour pouvoir accueillir et maintenir les frères et sœurs ensemble, particulièrement de grandes fratries. Pour reprendre l’exemple de la fratrie de six dont je parlais, les âges s’échelonnent de quatre à seize ans. Ensuite, les éducateurs inventent des dispositifs, une manière de faire au quotidien, avec des services séparés et adaptés à chaque tranche d’âge, afin que les enfants ne soient pas constamment mélangés.
Par ailleurs, nous disposons aujourd’hui à Paris de surveillants de nuit pour prendre en charge les enfants. Quelques établissements résistent et ont encore des éducateurs en nuit couchée, mais ce système tend à disparaître. Désormais, nous utilisons des surveillants de nuit qualifiés.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Vous confirmez bien qu’ils sont qualifiés ?
Mme Sophie Latournerie. Oui, car il s’agit d’une obligation. Quand bien même nous les recrutons non qualifiés, nous avons l’obligation de les former rapidement.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. En pratique, comment cela se passe-t-il la nuit ? Nous savons tous que la nuit constitue une problématique particulière ; ces enfants ne dorment souvent pas bien. Les nuits représentent des moments d’extrême fragilité, où les psycho-traumas se déploient. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais compris la bascule vers des veilleurs de nuit, en dehors des problématiques de coûts financiers. Cette évolution ne s’inscrit pas dans le sens des besoins de sécurité de l’enfant. Qui intervient la nuit si les enfants sont confrontés à des problématiques diverses ?
Mme Sophie Latournerie. Les surveillants de nuit interviennent en cas d’énurésie nocturne, de cauchemars. Ils sont les interlocuteurs de l’enfant la nuit, où ils exercent de vingt-deux heures à sept heures du matin. Il est important de rappeler qu’il s’agit de nuits « debout ». Si la situation s’avère plus compliquée, le cadre d’astreinte prend le relais.
M. Denis Fégné (SOC). Je souhaite vous interroger tout d’abord sur la diversité des prises en charge en amont et en aval du placement en MECS. Vous avez précédemment évoqué le placement éducatif à domicile (PEAD). Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) recommande une graduation dans les prises en charge, dans le cadre du projet pour l’enfant. Quel est l’état de l’existant ? Quels sont les placements alternatifs en amont et en aval aux placements classiques en MECS, qu’il s’agisse, en amont, du placement avec hébergement à domicile (PHD), du PEAD ou du placement familial associé (PFA), et, en aval, de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO), éventuellement de l’AEMO renforcé ?
Ensuite, quel est le coût moyen d’un placement en MECS, même si je suis conscient des variations selon les départements ? Qu’en est-il de l’application de la loi de 2002 sur les établissements sociaux et médico-sociaux ? Cette loi invite notamment à la mutualisation, pour la gradation des interventions et pour permettre à des éducateurs de travailler en MECS, mais également sur un service d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou d’accompagnement éducatif à domicile (AED).
Enfin, ma dernière question concerne la bientraitance, élément des formations à l’œuvre dans les établissements sanitaires, les ITEP, les instituts médico-éducatifs (IME), les instituts médico-professionnels (IMPRO). Qu’en est-il de ces formations pour l’encadrement, les travailleurs sociaux ? Cette bientraitance à l’égard des enfants est-elle déployée aujourd’hui dans les établissements ?
Mme Sophie Latournerie. Laissez-moi répondre à ce dernier point, qui permet d’évoquer le sujet de la formation, également mentionnée par Mme la rapporteure. Parmi les difficultés que nous rencontrons dans le recrutement, nous avons affaire à des jeunes professionnels dont une grande partie n’est pas formée. Ils ont tendance à s’inscrire dans des systèmes de punitions/récompenses, davantage centrés sur les symptômes et les manifestations des enfants plus que sur la compréhension des parcours de vie, des psycho-traumas et de leurs conséquences.
À Paris, le département a donné une véritable impulsion pour former les structures à ces questions. Dans ma MECS, mais aussi à Lille, nous commençons à être formés sur une méthode québécoise, issue de l’université McGill, qui s’appelle la formation ARC (attachement-régulation des affects-compétences) pour essayer de déconstruire l’idéologie selon laquelle le système de punitions/récompenses fonctionnerait. Il peut éventuellement fonctionner avec des enfants qui vont plutôt bien, mais dans nos établissements il est inopérant vu que nous accueillons des enfants qui ne vont pas bien.
M. Noël Touya. Il faut également mentionner les travaux de M. Gaillard sur la manière dont il faut appréhender ces enfants qui vont très mal. La démarche doit être institutionnelle ; il importe de créer une communauté éducative cohérente et cohésive, qui assure la continuité éducative. Il faut bien comprendre que les seuls « permanents » dans nos institutions sont les enfants et non pas les professionnels qui se relaient. C’est pourquoi il faut absolument travailler les articulations, la qualité des transmissions. Il s’agit là d’une attention de tous les instants, qui nécessite des outils particuliers. C’est en cela qu’un système est considéré comme bientraitant lorsqu’il assure sécurité et continuité éducative.
M. Alain Vinciarelli. La préoccupation de ce lien d’attachement avec des enfants qui nous sont confiés est partagée par l’ensemble des collègues qui nous rejoignent à l’ANMECS. À cet égard, pendant de très longues années, la France a été influencée dans la formation des éducateurs spécialisés et des travailleurs sociaux par des théories issues de la psychanalyse, qui établissaient une espèce de dogme autour de ces questions. Je pense notamment à la question de la « juste » distance ou « juste » proximité, selon laquelle on pouvait aimer un enfant, mais de loin : on se souvient alors d’enfants qui ont été retirés de familles d’accueil parce que ces dernières leur auraient voué un « trop » grand attachement.
Les neurosciences sont heureusement venues fournir un apport essentiel, en soulignant que ces enfants avaient surtout besoin d’être aimés et accompagnés. Cela implique naturellement une stabilité dans les équipes d’accompagnement. Directeur d’établissement depuis vingt et un ans à Épinal, je suis plutôt confiant dans le développement du lien d’attachement auprès des enfants que nous accueillons, de six ans à vingt et un ans. Nous en venons parfois à penser qu’il vaut mieux former des gens qui n’ont pas encore « appris », parce qu’ils n’ont pas besoin de désapprendre pour réapprendre autre chose. Je rappelle que le programme du diplôme d’État des travailleurs sociaux est établi par des commissions et qu’il conviendrait sans doute de revoir la construction des programmes de formation : non pas former seulement des coordinateurs, mais également des professionnels qui doivent être capables d’accompagner les enfants dans nos établissements, quitte à se mettre à quatre pattes et à jouer aux petites voitures.
Le pédiatre Janusz Corsac expliquait déjà en précurseur, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, comment les enfants sont « chez eux » lorsqu’ils sont en maisons d’enfants et quelle est leur place dans la construction des règles de fonctionnement. Certaines grandes règles sont immuables et n’ont pas à être modifiées ; d’autres peuvent être accommodées par les professionnels. Il s’agit là d’une « démocratie de vie » dans les établissements. L’ANMECS essaie de diffuser des bonnes pratiques, fruits de l’expérience sur le terrain. Il ne faut pas tout confondre : ce sont bien des enfants qui habitent dans nos maisons et non des professionnels.
À ce titre, la loi sur les 35 heures a énormément complexifié le fonctionnement en affectant la présence éducative auprès des jeunes, notamment dans l’établissement dont j’avais la gestion, car les journées ont continué à durer vingt-quatre heures, trois cent soixante-cinq jours par an. Cette loi devait créer de l’emploi mais tel n’est pas le cas puisque le financement de ces 35 heures a abouti à une perte de 25 % du pouvoir d’achat en vingt ans pour les éducateurs spécialisés. La loi a créé en tout et pour tout un mi-temps par maison mais une désorganisation conséquente, notamment au niveau de la totalité du temps de présence des éducateurs. Certes, chaque association, chaque employeur, a toujours la possibilité de signer des accords particuliers avec les syndicats pour déroger aux mesures prévues par le code du travail.
Il est évident ici que la loi n’est pas adaptée aux besoins réels de l’enfant : ce dernier est présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et nous avons besoin de nous occuper de lui. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit possible d’assurer une continuité de service au bénéfice des enfants en faisant travailler des éducateurs de huit heures à quatorze heures, remplacés ensuite par une autre équipe de quatorze heures à vingt-deux heures, avant que les surveillants de nuit ne prennent le relais. En résumé, il me semble nécessaire de revoir la continuité du service pour la bientraitance de l’enfant.
Par ailleurs, la question de la formation est effectivement essentielle. Nous avons besoin de former les maîtresses de maison et les surveillants de nuit. La question des taux d’encadrement est par ailleurs incontournable, pour pouvoir correspondre aux besoins des enfants : nous avions d’ailleurs formulé la demande d’être au minimum deux. En effet, huit équivalents temps plein (ETP) pour dix enfants correspondent à deux professionnels en permanence auprès des enfants, de sept heures jusqu’à vingt-deux heures. Ce nombre minimal d’encadrants est nécessaire lorsque des enfants sont à moitié scolarisés, voire pas, ou bien lorsque certains sont en partage avec l’ITEP ou avec la MECS.
Le décret prévoyait aussi des taux de majoration en fonction des publics accueillis (jeunes en situation de double vulnérabilité, accueil d’urgence ou non). De telles dispositions contribuent également à affecter le système. Les enfants qui sont accueillis ont besoin d’être protégés ; nous devons veiller à ne pas faire uniquement de l’accueil en urgence, qui dérègle l’ensemble des groupes de vie.
Mme la présidente Laure Miller. Pourriez-vous répondre à la question du coût moyen et de la graduation ?
M. Noël Touya. Aujourd’hui, l’offre peut être graduée et diversifiée selon les départements. Le placement à domicile est une « innovation » qui date malgré tout d’une quarantaine d’années. Il témoigne de la nécessité de trouver un intermédiaire entre le placement-séparation et l’AEMO ou l’intervention en milieu ouvert, qui ne paraît pas suffisante dans certaines situations. Il s’agit également du produit de notre propre droit en France, puisque les enfants peuvent être confiés, mais les parents peuvent aussi conserver l’autorité parentale. Cet espace intermédiaire s’ouvre entre protection de l’enfant, respect des droits parentaux et accompagnement à la parentalité.
Ce dispositif permet de traiter un certain nombre de situations qui se situent dans cette zone intermédiaire, où les parents ne sont pas maltraitants mais éprouvent des difficultés dans l’exercice de leur parentalité et qu’il faut guider, cadrer et surveiller, d’une certaine manière. L’objectif consiste à accompagner un groupe familial qui rencontre des difficultés.
En réalité, nous pouvons être confrontés à des situations qui sont déjà en « zone rouge », témoignant de grandes difficultés déjà établies. Elles entraînent des orientations en AEMO renforcée ou en placement à domicile, qui s’opèrent un peu par défaut, en l’absence de places en hébergement. Face à cet effet retard, les solutions ne sont pas complètement adaptées. Il est important de proposer une offre diversifiée sur un département, allant de l’AEMO jusqu’au placement avec hébergement, mais également d’avoir la possibilité de moduler. Parfois, l’hébergement avec séparation s’impose à un moment donné, avant que des améliorations n’interviennent et ne permettent à l’enfant d’aller un peu plus souvent chez lui, de manière séquentielle.
Ici aussi, nous avons besoin d’un cadre, notamment financier, pour pouvoir moduler en fonction des besoins de la famille et de l’enfant. Cependant, nous rencontrons des difficultés en raison des moyens, mais aussi de l’échec de la prévention en matière de protection de l’enfance, qui a conduit à une recrudescence des placements en établissement.
M. Alain Vinciarelli. Le prix moyen d’une journée en établissement MECS est environ de 180 euros à 210 euros. En pleine période du Covid, en lien avec le département, j’ai par exemple pu monter une réponse d’accueil en urgence. Ce service a depuis été pérennisé. À cet effet, je salue les « accords Macron », qui ont permis de faciliter la réduction du temps administratif lors de la période du Covid : en quatre semaines nous créions une structure alors qu’aujourd’hui il nous faut deux ans. J’aurais souhaité que ces accords soient maintenus, mais tel n’a pas été le cas.
La question de l’urgence en protection de l’enfance doit pouvoir faire partie d’une analyse et d’un travail spécifique. En principe, les départements organisent eux-mêmes dans leurs établissements l’accueil en urgence, les MECS recevant les enfants après observation. Mais cela ne fonctionne plus de cette manière, depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, dans ces endroits, il est encore plus nécessaire de disposer de taux d’encadrement plus importants que les huit ETP dont je parlais précédemment. Il nous faut en effet à peu près trois personnels éducatifs en soirée, pour une dizaine d’enfants maximum accueillis au même endroit, et deux surveillants de nuit plutôt qu’un seul.
Ces éléments entraînent naturellement des coûts, mais le budget d’un établissement est composé à 75 % ou 80 % de masse salariale. Le groupe 1 nous permet de fonctionner en matière éducative et le groupe 3 concerne les charges. Pour pouvoir effectuer des économies, il faut dans ce cas se pencher en priorité sur le groupe 2 qui concerne les professionnels.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Madame Latournerie, vous avez indiqué qu’un cadre d’astreinte est présent la nuit. Qui est-il ? Comment peut-il être joint ? Est-il à proximité ? S’agit-il d’un médecin, d’un psychologue ?
Monsieur Vinciarelli, vous avez souligné que les enfants sont présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre. D’après ce que j’ai compris, vous suggérez de revoir le code du travail concernant le temps de présence. Est-ce bien le cas ?
Ensuite, j’ai vu une émission qui m’a marquée. Elle parlait de viols ou d’agressions sexuelles s’étant déroulés dans des structures d’accueil des enfants. Avez-vous connaissance d’exemples concrets dans ce domaine ? Pouvez-vous les évoquer ? Quelle est la procédure mise en place lorsqu’un enfant se plaint d’une agression sexuelle ? D’après vous, que faudrait-il faire ? J’ai été heureuse que vous répondiez à la question des moyens, puisque cela nous permettra d’évaluer les éventuelles sommes à débloquer. Lors de cette émission, il était indiqué que le président du conseil départemental ne réagissait pas nécessairement, faute de savoir où placer les enfants, sûrement par manque de moyens pour construire d’autres établissements.
Enfin, vous avez regretté l’absence de politique nationale. Ne pensez-vous pas que la protection de l’enfance devrait être érigée au rang de priorité nationale ? Quand il existe un cap, il est possible de trouver des solutions et les moyens afférents.
Mme Sophie Latournerie. Les structures peuvent prévoir des astreintes de premier et de deuxième niveau. Chez nous, les cadres d’astreinte de premier niveau sont les chefs de service, qui peuvent éventuellement m’alerter en tant que cadres de deuxième niveau si quelque chose de particulièrement grave intervient.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Quels sont les profils de ces chefs de service ?
Mme Sophie Latournerie. Ces professionnels possèdent le certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d'intervention sociale (CAFERUIS) ou peuvent être éventuellement des éducateurs. Dans le cadre des recrutements des chefs de service, nous sommes attentifs à la proximité : ils doivent pouvoir intervenir dans un délai maximum de trente à quarante-cinq minutes.
M. Alain Vinciarelli. Il faut effectivement revoir le code du travail. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut travailler trente-cinq ou trente-neuf heures, mais comment s’organiser. Le problème concerne d’ailleurs autant les hôpitaux que les maisons d’accueil. Il ne s’agit pas tant de modifier que d’adapter, pour se simplifier la vie. Les équipes ne font pas que se succéder, elles se croisent et communiquent. Les surveillants de nuit passent au moins une demi-heure, voire une heure, avec les éducateurs de journée. Dans mon établissement, ils sont pleinement intégrés aux autres personnels éducatifs et bénéficient des mêmes formations que les éducateurs, de même que les autres fonctions support comme les secrétaires ou les comptables. Il est important que l’ensemble des fonctions support soit associé à un projet d’établissement. Les MECS sont des communautés de vies où les enfants qui ne sont pas scolarisés vont passer un peu de temps avec la secrétaire, la comptable. Dans ce contexte, le déploiement de l’accord du Ségur nous a quelque peu crispés.
S’agissant des violences sexuelles, il existe depuis quelques années un certain nombre de protocoles nationaux qui s’appliquent en cas d’incidents et de signalements. Ils sont gradués en fonction des violences. Chaque département dispose ainsi d’une cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP), qui sont évaluées et éventuellement renvoyées vers le procureur. Les violences sont catégorisées dans les MECS et concernent aussi bien les enfants que les professionnels, qui peuvent également être agressés.
Au-delà, la question de la sexualité des enfants nécessite de réaliser un véritable travail de formation auprès des professionnels. Ces sujets relatifs à l’information sur la vie sexuelle pâtissent d’un réel retard, d’où la réforme également des programmes de l’Éducation nationale. Je suis par ailleurs très attentif aux questions relatives à l’exploitation sexuelle et la prostitution des mineurs. À ce sujet, l’ANMECS fait partie depuis février 2024 de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE).
Ces aspects nous renvoient également aux sujets d’évaluation. Il faut être conscient que nous ne savons jamais vraiment qui nous accueillons dans une maison. Les projets pour l’enfant (PPE) des départements n’existent pas ou s’établissent au mieux à hauteur de 7 % à 10 %. Nous sommes confrontés à un réel problème d’évaluation en France, qui renvoie peut-être également aux services de prévention, lesquels sont précisément supposés mener un certain nombre d’évaluations en population générale.
Nous accueillons des enfants dont nous ne connaissons pas totalement l’étendue et l’origine des traumas, qu’ils soient psychologiques, physiques ou sexuels. À chaque accueil d’enfant en MECS, il est nécessaire de se reposer la question de sa trajectoire et de son expérience de vie. Un certain temps de construction de confiance avec l’enfant est nécessaire avant de pouvoir appréhender son parcours. Certains rapports que nous recevons indiquent qu’une jeune fille, parfois un jeune garçon, « s’expose » et « prend des risques » au point de fréquenter des hommes majeurs. Je rejette ces appréciations : à ces âges, à partir du moment où il existe un écart de plus de deux ans dans une supposée relation amoureuse, quelque chose ne va pas.
Les enfants qui découvrent leur corps et parfois ceux de leurs camarades à six ou sept ans ne sont pas toujours des prédateurs sexuels en puissance. Il faut donc avoir suffisamment de recul, tout en prenant ces sujets très au sérieux.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Ma question concernait surtout les cas de viol avéré. Avez-vous été confronté à de telles situations ? Avez-vous eu connaissance de cas où rien n’a été entrepris une fois la situation connue ?
M. Alain Vinciarelli. Des actions se mettent en place très rapidement. Par ailleurs, les dispositifs de maisons d’enfants offrent les moyens de séparer la victime et la personne incriminée. Il existe de grandes règles concernant la violence « ordinaire » qui doit faire l’objet d’un traitement immédiat, faute de quoi elle peut s’aggraver.
Il est donc nécessaire de travailler sur des sites différents. Les jeunes ont besoin de savoir si, à un moment donné, leur parasitage va contaminer l’ensemble d’un groupe. À ce titre, le financement de la protection de l’enfance est là aussi essentiel, pour sortir du sacro-saint prix de journée. Celui-ci convient peut-être pour les Ehpad ou pour l’hôpital, mais il n’est absolument pas adapté aux maisons d’enfants.
Cette notion de prix journée interdit, à travers du code de l’action sociale et des familles, d’avoir deux prix de journée pour même enfant. Cela contredit la notion de prolongation de parcours dans l’accompagnement d’un enfant. Par exemple, je ne pouvais donner un prix de journée si l’enfant en hébergement nécessitait d’une activité de jour, s’il avait besoin d’un autre type de prise en charge. Nous plaidons donc en faveur de la mesure unique, qui permet de procéder par un budget global plutôt que par un prix de journée. En effet, nous ne pouvons pas être « sanctionnés » pour avoir réalisé un bon travail, dans l’intérêt de l’enfant et des familles. Il est absolument nécessaire de sortir de ces contingences qui bloquent et parasitent les actions à mener auprès de l’enfant.
M. Noël Touya. La boussole qui nous guide est la protection de l’enfant. Dès lors que des actes de violences se déroulent dans un établissement, nous œuvrons immédiatement pour trouver des solutions de mise à l’abri. Celles-ci peuvent intervenir à l’intérieur d’une même association si des places libres sont disponibles pour protéger un enfant victime. Il faut également pouvoir trouver une solution, au moins momentanée, pour l’enfant qui est passé à l’acte. Quoi qu’il en soit, il est évidemment nécessaire d’apporter une réponse immédiate à ce type de violence. Il s’agit à la fois de prendre en compte la souffrance de tous les enfants, y compris ceux qui effectuent des passages à l’acte, tout en mettant en place des stratégies de protection.
Nous sommes particulièrement sensibles à ces questions, quels que soient les problèmes qu’elles peuvent engendrer, au quotidien. Des cas de violence intervenant assez régulièrement, il est absolument nécessaire de travailler sur la formation des professionnels, mais aussi la sensibilisation des enfants. Dans ce cadre, une éducation particulière doit pouvoir être mise en place, pour pouvoir parler de ces questions. Il faut également rendre possible le témoignage des enfants, dans les institutions. Les enfants doivent pouvoir parler.
Mme Julie Ozenne (EcoS). Mon intervention concerne les contrôles et l’harmonisation des pratiques dans les MECS. Pensez-vous qu’un contrôle indépendant des MECS devrait être systématisé, afin de garantir une qualité homogène sur tout le territoire, mais surtout au regard de l’application de la loi ?
Ensuite, quelle solution proposez-vous pour réduire les disparités territoriales dans le fonctionnement des MECS, autant auprès des départements que de l’État ? Par ailleurs, la question du bâti et du parc immobilier a déjà été mentionnée, notamment par Mme la rapporteure. D’après ce que j’ai compris, l’information manque concernant l’inventaire de la construction et de la rénovation de ce parc immobilier. Rencontrez-vous des difficultés pour obtenir le prêt habitat, amélioration, restructuration, extension (PHARE) et son complément économie-rénovation à taux zéro, qui prévoit environ 33 000 euros par chambre rénovée ?
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Vous avez déjà évoqué les cas de prostitution. Je constate néanmoins que 30 % des mineurs prostitués sont issus de la protection de l’enfant. Il me semble que ce sujet mériterait d’être davantage creusé.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Nous avons prévu d’y consacrer une audition.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je souhaite également vous interroger sur l’éventuelle surmédicalisation des enfants placés. Comment serait-il possible de réduire encore davantage le traitement médicamenteux des enfants qui sont accueillis dans vos maisons ?
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Pour ma part, je souhaite ajouter deux autres questions. Vos structures sont normalement habilitées sur des renouvellements et des autorisations de quinze ans, qui sont signés par le préfet et par le président de la collectivité. Sauf erreur de ma part, il s’agit du seul moment où l’État me semble intervenir. D’expérience, je n’estime pas que ces renouvellements de quinze ans sur soixante-dix ans ou cent ans constituent de bonnes mesures. Avez-vous signé des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) triennaux ou des contrats correspondant à des échéances plus courtes ?
Ensuite, nous avons découvert que des enfants de moins de quatre ans, y compris des bébés, étaient déplacés en taxi sans être accompagnés. De telles pratiques sont-elles à l’œuvre dans vos structures ? En avez-vous déjà entendu parler ?
M. Noël Touya. Des contrôles commencent à intervenir. Aujourd’hui, les départements se dotent de dispositifs dédiés au contrôle et la qualité. Ainsi, certains établissements font l’objet de contrôles inopinés. Il faut également mentionner le dispositif lié à l’analyse et l’évaluation du fonctionnement, qui porte également ses fruits. Les maisons d’enfants se sont évidemment inscrites dans les exigences de la loi de 2002, ce qui a permis d’établir un cadre pour les institutions.
Ce contrôle est nécessaire, mais il faut également se poser quelques questions à son sujet. Est-il pertinent qu’il soit confié aux services du département ? Ce contrôle devrait-il être systématiquement organisé avec des agents de l’État, du département ou de la protection judiciaire de la jeunesse ? À ce stade, nous sommes au début de la mise en place de ces contrôles, dont il faudra également assurer l’évaluation. Cependant, je peux assurer qu’ils existent.
S’agissant du bâti, les maisons d’enfants et les associations ont besoin d’être conseillées dans l’ingénierie financière. Je suis particulièrement concerné par cette question, dans le cadre d’un projet de rénovation architecturale et d’humanisation des locaux que nous voudrions mener. À l’heure actuelle, les associations se sentent un peu seules et les départements éprouvent des difficultés pour répondre positivement à des investissements importants.
M. Alain Vinciarelli. Le CPOM fait partie du changement de dimension que nous appelons de nos vœux. Il est plus aisé de parler de financements lorsque l’on dispose d’une vision claire de cette politique publique.
Pour ma part, j’ai la chance de travailler dans un département dont le conseil départemental est assez à l’écoute sur ces questions. Par exemple, nous n’avons jamais été contraints de nous poser la question de la prolongation de l’accompagnement d’un jeune majeur, parfois même au-delà de vingt et un ans.
Je comprends que compte tenu de l’évolution de son propre financement, un département puisse être réticent à s’engager sur un CPOM de trois ans voire cinq ans. Ensuite, la question des CPOM doit être envisagée, non pas à l’aune des budgets prévisionnels, mais plutôt des comptes administratifs. En effet, pour nos établissements, les comptes administratifs reflètent mieux les coûts.
Nos établissements disposent de projets d’établissement à cinq ans. Avant la mise en place de l’évaluation de la Haute Autorité de santé (HAS), un contrôle interne était effectué tous les cinq ans, puis une évaluation externe au bout de cinq ans. Aujourd’hui, il s’agit uniquement d’une évaluation externe de la HAS.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaiterais également connaître votre avis sur les habilitations renouvelables signées pour quinze ans. Pour ma part, j’ai été pendant douze ans vice-présidente d’un département, en charge de la protection de l’enfance. D’expérience, je pense que cette question doit être prise en compte.
M. Noël Touya. Aujourd’hui, il me semble que les départements s’inscrivent plutôt dans des autorisations à cinq ans, avec des évaluations calées sur cette échéance.
Mme Sophie Latournerie. Je n’ai pas eu connaissance de l’utilisation des taxis. Il est extrêmement choquant d’imaginer que de très jeunes enfants puissent être concernés.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’ai également été particulièrement choquée. Puisque nous intervenons dans le cadre d’une commission d’enquête, je souhaite rappeler au département du Puy-de-Dôme que de tels agissements sont interdits.
Mme Sophie Latournerie. Je partage l’idée que la protection de l’enfance doive constituer une priorité nationale, je vous rejoins parfaitement. Cependant, je considère qu’elle doit s’intégrer dans une stratégie interministérielle. Je pense notamment aux cas d’adolescents qui présentent des manifestations psychiatriques et devraient être pris en charge par la pédopsychiatrie ou d’enfants qui souffrent de décrochage scolaire et devraient être pris en charge par l’Éducation nationale.
M. Alain Vinciarelli. S’agissant de la question des médicaments, il est évident que nos structures doivent être conçues dans un cadre socio-thérapeutique, qu’il s’agisse de leur architecture, de la manière d’organiser les locaux et de la formation des professionnels. Il faudrait également que les départements soient capables de dénombrer le nombre de jeunes pris en charge par l’ASE et de croiser ces chiffres avec ceux qui sont accueillis par les maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH). Aujourd’hui, nous ne savons pas réaliser ce décompte, hormis pour ceux que nous prenons en charge dans nos MECS. Il serait utile de pouvoir croiser ces deux données, dans le cadre de statistiques départementales.
Les enfants qui sont en DITEP avec une reconnaissance MDPH suivent un traitement, qui est naturellement prolongé lorsqu’ils arrivent en MECS, car il n’est pas possible d’interrompre ce traitement. Cela étant, il faut naturellement être vigilant quant à l’effet d’un certain nombre de médicaments distribués aux enfants de la protection de l’enfance afin de les rendre un peu plus « calmes ».
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Ici aussi, il faut déplorer le manque de place dans les services de l’État.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Ressentez-vous le besoin d’un plus grand accompagnement par des services médicaux ou, à tout le moins, le besoin de davantage d’échanges avec ces derniers ?
Mme Sophie Latournerie. Oui, naturellement. Néanmoins, de plus en plus de services mobiles se déplacent dans les établissements. Il s’agit là d’une réelle avancée, d’une bonne pratique.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Il me revient de conclure cette audition, Mme la présidente ayant dû nous quitter. Je vous remercie pour vos témoignages, qui seront utiles pour les travaux de notre commission d’enquête.
La séance s’achève à quinze heures trente.
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Présents. – M. Arnaud Bonnet, M. Denis Fégné, Mme Géraldine Grangier, Mme Laure Miller, Mme Julie Ozenne, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago