Compte rendu
Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
– Audition, ouverte à la presse, de l’association Départements de France, réunissant :
- M. François Sauvadet, président, président du département de la Côte-d’Or
- M. Frédéric Bierry, vice-président, président de la commission Solidarité, santé et travail, président de la collectivité européenne d’Alsace
- Mme Florence Dabin, vice-présidente, présidente du groupe de travail Enfance, présidente du département de Maine-et-Loire, et Mme Jihane Tokhsane, conseillère Solidarités au cabinet de Mme Dabin
- M. Jean-Luc Gleyze, secrétaire général, président du groupe de gauche, président du département de la Gironde
- Mme Laurette Le Discot, conseillère Enfance et famille de Départements de France 2
– Présences en réunion................................23
Mercredi
18 décembre 2024
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 13
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Laure Miller,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures.
Mme la présidente Laure Miller. Notre commission d’enquête poursuit ses travaux par l’audition très attendue de Départements de France. Nous accueillons M. François Sauvadet, son président, également président du département de la Côte-d’Or ; Mme Florence Dabin, vice-présidente et présidente du groupe de travail Enfance de l’association, par ailleurs présidente du département de Maine-et-Loire ; M. Jean-Luc Gleyze, président du groupe de gauche de Départements de France et président du département de la Gironde. Ils sont accompagnés par Mme Laurette Le Discot, conseillère Enfance et famille de l’association, et par Mme Jihane Tokhsane, conseillère Solidarités au cabinet de Mme Dabin.
La protection de l’enfance est une compétence centrale des départements depuis la décentralisation de la prise en charge des enfants en danger. Les moyens qu’ils consacrent à cette mission ont plus que doublé en vingt ans, pour atteindre près de 10 milliards d’euros.
Pourtant, la protection de l’enfance connaît de nombreux dysfonctionnements. Si cette crise a des causes multiples, votre association pointe régulièrement les carences et la responsabilité de l’État, qui peinerait à assumer ses obligations régaliennes. La mission de protection de l’enfance requiert en effet d’articuler des politiques sociales, de justice, de santé et d’éducation.
Quarante ans après la décentralisation, les départements parviennent-ils à asseoir leur légitimité en tant que chefs de file de la politique de protection de l’enfance ? Sans aller jusqu’à parler de recentralisation, un pilotage national renforcé vous paraît-il souhaitable ? Sinon, que proposez-vous pour mettre fin aux disparités entre les départements ?
Monsieur Sauvadet, vous avez déclaré que la loi Taquet était « une loi d’intention », qui serait, « dans les conditions actuelles de saturation des structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de chute des recettes des départements, irréaliste et inapplicable ». Pour nous, législateurs, aucune loi n’est optionnelle ou d’intention mais comment garantir une meilleure application de la loi Taquet et de ses décrets d’application par les départements ?
Cette audition est publique et retransmise sur le site de l’Assemblée nationale.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. François Sauvadet, Mme Florence Dabin et M. Jean-Luc Gleyze prêtent serment.)
M. François Sauvadet, président de l’association Départements de France, président du département de la Côte-d’Or. Je vous remercie d’avoir voulu la création de cette commission d’enquête sur un des sujets les plus lancinants pour les présidents de départements, dans la mesure où il touche à des vies humaines. Nous devons examiner les conditions d’accueil des enfants que nous avons le devoir de protéger, et, par tous les moyens, leur assurer celles qui leur redonneront confiance en leurs vies.
Souvent, l’adulte qui devrait être une référence frappe ou viole et des mécanismes de reproduction sociale sont à l’œuvre. La protection de l’enfance est un défi de société considérable. En témoigne l’augmentation du nombre de jeunes à protéger, qui sont aujourd’hui 345 000. Les signalements augmentent aussi, à mesure que la précarité s’accroît et conduit à des consommations excessives d’alcool et à des violences, notamment les violences faites aux femmes.
Si la protection de l’enfance rencontre aussi des réussites, l’Assemblée nationale et les médias se concentrent sur ce qui ne fonctionne pas, à juste raison car il nous faut partager nos diagnostics.
Il s’agit, j’y insiste, d’un problème de société pour lequel nous avons une responsabilité singulière. Pourquoi cette compétence a-t-elle été attribuée aux départements ? Parce que ceux-ci sont au cœur des solidarités, parce que leurs travailleurs sociaux interviennent dans les familles. La protection de l’enfance est donc, en quelque sorte, leur cœur de métier, même si on ne réglera pas les problèmes de la même manière en Seine-Saint-Denis que dans un département rural comme la Côte-d’Or. En tant que présidents de départements, nous essayons de faire en sorte que tous les acteurs soient sensibilisés à ce qui est devenu notre principal sujet de discussion sujet et nous avons beaucoup progressé notamment en échangeant nos bonnes pratiques pour voir comment relever ce défi. Parfois nous nous sentons bien seuls. Nous avons matière à nous inquiéter : les « événements indésirables », comme on les appelle, et qui me sont systématiquement remontés, attestent de l’augmentation inédite des violences et de la délinquance juvéniles. Il y a quelques jours, une rixe a conduit à la mort d’un jeune homme. Les départements, qui ont la responsabilité de protéger les enfants des adultes comme d’eux-mêmes sont donc confrontés aux mêmes défis que l’ensemble de la société et je compte beaucoup sur le Parlement pour les définir.
Les départements sont proactifs dans la prévention. Nous gérons les services de la protection maternelle et infantile (PMI). Le suivi des familles dont nous anticipons les difficultés commence pendant la grossesse, par les visites spontanées de nos médecins, cela malgré nos difficultés de recrutement. En Côte-d’Or, 87 % des enfants de zéro à trois ans sont examinés et suivis.
Les situations nous échappent lorsque l’Éducation nationale intervient, que ce soit par la médecine scolaire, ou le signalement des situations de déscolarisation. Les départements doivent en avoir connaissance au plus vite pour intervenir dans les familles et comprendre la situation des décrocheurs. Un tel est-il lié au trafic de drogue ou à des circuits d’argent facile ? A-t-il déjà fugué ?
Je suis très attaché à ce que les départements remplissent ces missions de proximité au cœur des familles. J’ai sensibilisé les maires de l’ensemble des communes de mon département aux violences : ils ne doivent plus fermer les yeux sur ces situations sous prétexte qu’elles ne les concernent pas directement. Tous les élus ont conscience d’être face à un problème de société.
À tout cela s’est ajoutée l'arrivée massive de mineurs non accompagnés (MNA) qui, en nous faisant passer à près de 50 000 jeunes à accueillir, a fortement perturbé les services départementaux de la protection de l’enfance. J'ai travaillé, en coordination avec le président des Alpes-Maritimes, avec le garde des sceaux, le ministre de l’intérieur et la ministre en charge de la jeunesse pour réagir à cet afflux. Des systèmes innovants ont été utilisés dans les Alpes‑Maritimes. La solidarité entre départements a joué : les efforts ont été partagés grâce à la répartition des mineurs non accompagnés sur tout le territoire national. Mes interrogations sur la loi Taquet viennent de là. On peut certes nous fixer des objectifs ambitieux mais il faut qu’ils soient accompagnés de moyens.
J’ai juré de dire la vérité, aussi je vous le dis : dans mon département quinze jeunes mineurs non accompagnés sont placés à l’hôtel. Ce ne sont pas des enfants ou des jeunes filles seules, ils sont au bord de l’âge adulte. Mais oui, ils sont hébergés à l’hôtel et, je vous le dis en conscience, je préfère les savoir à l’hôtel que dans la rue, où rôdent des prédateurs qui profitent de leur misère pour recruter jusqu'aux portes des maisons d’enfants à caractère social (MECS). J’assume cette situation, tout en cherchant à la résorber : j'ai ouvert plus de cent places d'accueil.
Notre système est à bout tant nous peinons à recruter. Au nom de tous ceux qui sont en charge de l’enfance dans nos départements, je tiens à rendre hommage à l’ensemble de nos personnels, qui vivent chaque jour des situations extrêmement difficiles – violences, prostitution, prédation – face auxquelles ils sont désemparés et pour lesquelles nous appelons la justice à l’aide. Il faut d’abord qualifier juridiquement les faits de prostitution : la personne est-elle victime ? Est-elle aussi coupable d’avoir entraîné d’autres jeunes ? Nous travaillons pour cela avec le parquet et avec les juges pour enfants mais un dialogue plus construit est nécessaire pour mieux protéger.
Je m’indigne des méthodes des journalistes qui s’introduisent dans les maisons de l’enfance à la faveur de fausses procédures de recrutement pour en filmer, parfois clandestinement et nuitamment, les dysfonctionnements. Certes, il y en a eu. Mais j’avais dans mon département une maison de l'enfance toute neuve – je vous invite d'ailleurs à la visiter et à rencontrer ses personnels – et les journalistes n’ont rien trouvé de mieux que d’en filmer les portes cassées et les trous dans les murs. Oui, c’est bien cela que nous vivons au quotidien ! Un jeune peut piquer une colère folle et tout fracasser dans sa chambre ! Cela n’exonère pas les départements de leurs responsabilités en matière de maintenance des établissements d’accueil, mais voilà la réalité.
J’essaye d’établir ce dialogue plus nourri avec les services de l’État en réunissant le préfet, la police, la gendarmerie et l’autorité judiciaire – le parquet, le président du tribunal d’instance, les juges pour enfants. Je respecte l'indépendance de la justice mais cela n’exclut pas le dialogue, et il est regrettable qu’en son nom, certains juges pour enfants ne participent pas à ces réunions.
Par exemple, le nombre de placements augmente, donnant à chacun l’impression rassurante d'avoir agi pour le compte de l'enfant. Or, le placement n’est pas une assurance tout risque ! Même s’ils sont suivis par des éducateurs, ces jeunes sont placés dans des mondes violents comme la rue.
Il est aussi nécessaire de bien qualifier une fugue afin de ne saisir la police, la gendarmerie et le parquet que lorsque c’est nécessaire et d’éviter l'embolie du système.
Certains de nos agents, confrontés à la violence et à l’absence de réponse judiciaire et en santé mentale, nous menacent de déport. Ils disent ne plus avoir les moyens d'agir, voire ne plus savoir comment agir. J’ai, dans mon département, établi pour cela une charte que chaque agent et chaque salarié travaillant pour une association ou par le département s’engage à connaître. C’est toutefois insuffisant.
Que faire dans les situations de délinquance, par exemple, avec un jeune qui aurait porté un coup de couteau ? Saisir le parquet, qui met ce jeune en garde à vue puis, à sa sortie, le juge pour enfants. Mais qu’advient-il si le juge constate qu'il n’y a pas de place dans les établissements de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Je dispose dans mon département, d’un centre éducatif fermé (CEF), tellement fermé qu’il a fermé ses portes faute de recrutements ! De la sorte, le jeune était supposé retourner dans l’établissement au sein duquel il avait porté les coups de couteau. Je m’y suis opposé. J’ai déclaré que je l’accompagnerai moi-même devant la justice afin que celle-ci prenne des mesures pour le protéger de lui-même et pour protéger les autres. Je ne peux donc que répéter qu’un dialogue plus fluide avec les services de l’État, avec l’autorité judiciaire et les juges pour enfants est nécessaire.
Le recours aux tiers de confiance fait partie des aspects positifs que je reconnais à la loi Taquet : le placement n’est pas nécessairement la réponse la plus adaptée et nous – y compris la justice –devons changer nos pratiques sur ce point.
En outre, la protection judiciaire de la jeunesse doit assumer ses responsabilités. La direction de la PJJ, que j’ai rencontrée à plusieurs reprises, nous a assuré qu’elle engageait les moyens nécessaires mais où sont-ils ? Il faut interroger son fonctionnement, notamment les relations que ses directions régionales entretiennent avec les collectivités territoriales. Lorsqu’il n’y a pas de place dans ses établissements, les multiréitérants – terme que l’on m’a appris pour ne pas les qualifier de délinquants avant leur jugement – reviennent sous notre responsabilité. Nous sortons là du strict périmètre de la protection de l’enfance pour évoquer la délinquance juvénile, mais il est nécessaire que le Parlement et l’ensemble de la société s’interrogent sur la réinsertion de ces jeunes. Le garde des sceaux considère que les centres éducatifs fermés sont une bonne réponse. Quel cynisme alors que celui de mon département est fermé faute de recrutements – phénomène qui frappe d’ailleurs tous les métiers de la vie.
Il faut donc interroger les relations entre les départements, les services de PJJ et le parquet ; entre le parquet et les juges pour enfants ; entre les juges pour enfants et les travailleurs sociaux pour trouver ensemble la meilleure solution pour l’enfant qui doit être réellement au cœur de nos préoccupations, sans que l’on considère le placement comme l’unique solution.
Autre chantier : la santé mentale et la prise en compte des handicaps. D’après le groupe Enfance de Départements de France, 30 % de nos jeunes souffrent de problèmes psychiques et psychiatriques face auxquels Cela nous laisse désemparés.
On nous demande de développer l’inclusivité. Si celle-ci est bien adaptée à certains profils, elle ne convient pas aux enfants en grande difficulté. Je me bats depuis des années pour obtenir un institut médico-éducatif (IME) dans mon département, afin que les enfants accueillis ne soient plus déplacés lorsqu’il n’y a personne pour s’en occuper le week-end ou les jours fériés. Suite à ma demande – modeste –de quinze places d’IME pour les jeunes qui ont le plus besoin d’un accompagnement adapté, je me suis vu répondre que je n’en obtiendrai que cinq !
Par ailleurs, à qui les départements doivent-ils s’adresser ? Quatre gouvernements, quatre interlocuteurs sur l’enfance en un an ! Comment progresser dans ces conditions ? J’ai demandé au garde des sceaux de me transmettre la liste des départements dans lesquels il avait le projet d’installer des centres éducatifs fermés, afin que nous puissions l’accompagner. J’aurais pu faire du prosélytisme auprès de mes collègues de Départements de France, dont je me contente d’ailleurs de relayer la voix puisque je n’ai aucun pouvoir d’injonction.
Quelque 30 % des départements ne comptent aucun pédopsychiatre. Que chacun prenne ses responsabilités : les départements ne s’exonèrent pas des leurs mais ils ne peuvent payer pour la défaillance d’un système qui a abandonné la psychiatrie depuis des années.
Le Premier ministre sortant voulait faire de la santé mentale une cause majeure. C’est une très bonne idée, en particulier parce que, après la crise du Covid, aucun diagnostic n’a été posé, notamment pour l’enfance protégée, alors que les tensions vécues dans leurs familles et les établissements d’accueil accélèrent les troubles.
Certains jeunes, que nous avons accompagnés parfois au-delà de leurs vingt et un ans – avant même la loi Taquet – ont trouvé leur épanouissement et certains se sont même engagés dans des études supérieures : je suis fier de ces parcours de réussite au sein de mon département, qui montrent que la fatalité n’existe pas. Il faut simplement remettre le système à plat et promouvoir la culture de l’innovation et de l’accompagnement.
Nous devons aussi, face à l’afflux de personnes à protéger, faire coïncider les actions des collectivités territoriales et des réponses plus massives.
Vous évoquez une recentralisation des politiques de protection de l’enfance. Sincèrement, peut-on imaginer un retour aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) d’antan ? Ce serait comme s’inspirer des mouroirs pour répondre au vieillissement de la population.
Cela dit, l’arrivée de 50 000 MNA il y a deux ans a été un choc. Pour autant, jamais les présidents de départements n’ont déclaré qu’ils ne voulaient pas protéger ces mineurs : c’est leur rôle. Mais qui allait financer la prise en charge de ces mineurs ? Certains présidents ont refusé mais la très grande majorité d’entre eux étaient prêts à le faire. Nous avons d’abord demandé à être associés à l’évaluation de la minorité de ces jeunes gens. L’art de la défausse aurait été trop commode : il fallait éviter que l’État ne procède à ces évaluations, aujourd’hui menées par des équipes départementales spécialisées, pour ensuite nous confier le soin de protéger des mineurs. Nous croisons ensuite nos informations.
Nous avons ensuite demandé à l’État de financer cette période de mise à l’abri et d’évaluation de la minorité ; puis la prise en charge, au sein de nos structures départementales, des mineurs reconnus. Les présidents de départements ne sont pas responsables de la situation migratoire du pays : il faut faire jouer la solidarité nationale. Celle-ci a fonctionné, du moins entre départements, par la répartition de ces jeunes, mais nos systèmes sont tous saturés.
Je me suis inquiété des contrats jeunes majeurs systématiquement prévus par la loi Taquet parce qu’ils allaient accentuer cette saturation alors que nous suivions déjà les jeunes majeurs sans la loi. Nous la respectons toutefois, évidemment, en dépit des réalités sociales et sociétales auxquelles nous sommes confrontés.
Je souhaite ouvrir dans mon département un établissement pour les fratries. Le problème que je rencontre n’est pas financier mais je ne trouve pas d’opérateur ! Je vais essayer de le créer en interne, mais je peine à recruter : à force d’être pointés du doigt et de vivre des situations de tension, les professionnels décrochent.
Il est donc indispensable d’améliorer la situation en matière de santé et de créer des places d'accueil, notamment en IME.
Enfin, au-delà de la seule protection de l’enfance le montant des dépenses sociales des départements explose pour atteindre près de 10 milliards d’euros. L’État n’y participe qu’à hauteur de 3 %, notamment pour l’accueil des MNA. Je dis cela en étant pleinement conscience de la dette abyssale du pays et du fait que les collectivités locales devront, comme l’État, s’y confronter, out en devant assumer le coût du vieillissement de la population, du handicap. Or la hausse de ces dépenses sociales accélère : elle a ainsi été de30 % en deux ans. Dans mon département, sur les 570 millions d’euros de budget annuel, la prise en charge du vieillissement de la population et celle du handicap représentent chacune 100 millions d’euros. Le budget de la protection de l’enfance s’élève quant à lui à 80 millions d’euros ; il a augmenté de 40 % en cinq ans.
Pour échanger avec tous les acteurs de la protection de l’enfance, je sais que nous avons des voies de progression. Il est toutefois malhonnête de la pointer du doigt à cause d’un suicide, qui peut aussi bien se produire dans les familles. Il y a aussi des problèmes de violence : pour les prévenir, il faut réunir tous les acteurs étatiques et territoriaux, sans croire aux solutions miracles. Enfin, nous sommes efficaces du côté de la prévention, notamment celle des violences. On ne peut plus se contenter des « faut qu’on » et des « y a qu’à » : sur les conditions d’accueil et de protection des enfants nous devons progresser ensemble.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je suis ravie que nous auditionnions Départements de France qui, lors de son récent congrès, a pour la première fois consacré une table ronde à la protection de l’enfance. C’est pour moi une innovation majeure.
À l’unanimité des groupes politiques, l’Assemblée nationale a autorisé la poursuite des travaux de cette commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques en matière de protection de l’enfance. Je me suis battue pour conserver cet intitulé car c’est bien de manquements dont il est question. Le premier parent défaillant, c’est l’État. Pour autant, la protection de l’enfance est une politique décentralisée et nous souhaitons éclairer l’ensemble des difficultés qu’elle rencontre.
Depuis deux ans, la protection de l’enfance est à bout de souffle. Il est insoutenable d’entendre tous ses acteurs – opérateurs, organisations syndicales, associations – décrire l’urgence absolue de la situation. Notre impératif est de nous recentrer sur l’enfant, en tant que sujet de droit.
Du côté des tout-petits, les 1 000 premiers jours sont un de nos axes politiques majeurs. Pourtant, nous les laissons encore en sureffectif dans des pouponnières, alors que nos connaissances actuelles en neurosciences montrent qu’ils ne peuvent s’y développer. Il nous faut repenser ce modèle en priorité.
Les crises du financement, de la gouvernance, de la prise en charge sont identifiées. Ignorer les besoins spécifiques des tout-petits en termes de sécurité conduit aux problèmes de santé mentale que vous évoquez, à l’instar des ruptures de parcours pour des jeunes vulnérables et souvent traumatisés. Nous faisons aussi face à la crise de l’attractivité des métiers : le Livre blanc du travail social n’y a rien changé.
Contrairement à d’autres pays, nous ne disposons ni d’analyses, ni de données partagées, qu’elles soient nationales ou départementales. Dans le Nord, 22 000 enfants sont concernés par la protection de l’enfance. Comment l’expliquer ? Que n’avons-nous pas fait sur les plans socio-économique, de la prévention et de l’accompagnement pour atteindre un tel niveau ? La Gironde en compte 15 000 et cinq départements en tout plus de 10 000. Si nous voulons examiner ces situations spécifiques, il faut affiner nos lunettes par des données.
J’ai été effarée que des magistrats nous déclarent que certaines mesures, parmi lesquelles les placements d’urgence et les mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), n’étaient pas exécutées dans beaucoup de départements. C’est scandaleux alors que le juge les a considérées comme urgentes !
Sans données partagées, aucune projection n’est possible. Au niveau départemental, la construction de collèges se fonde sur des données indiquant les besoins des populations dans les années à venir. En protection de l’enfance, aucune donnée ne permet de telles prospectives. Parmi les nombreux rapports sur la protection de l’enfance, celui du Conseil économique, social et environnemental (CESE) l’a pointé.
Notre commission a auditionné la Défenseure des droits, qui s’est autosaisie du cas de douze départements : le Nord, la Somme, la Loire-Atlantique, l’Isère, la Guadeloupe, le Pas-de-Calais, les Côtes-d’Armor, le Var, le Maine-et-Loire, l’Ille-et-Vilaine, la Sarthe, la Côte-d’Or. Nous avons aussi à notre disposition les rapports de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Nous aimerions avoir votre avis sur ces problèmes.
L’État est défaillant dans l’ensemble de ses politiques publiques. La décentralisation a confié la protection de l’enfance aux départements mais les préfectures et les associations en avaient déjà la charge dès avant l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et l’apparition des juges des enfants. Avec la décentralisation, la justice a continué à prendre les décisions et les associations habilitées à accompagner les enfants. La différence tient au fait qu’en 1983 l’État s’est désengagé en séparant santé et action sociale.
De ce point de vue, le modèle québécois est très intéressant car ils ont vingt ans d’avance sur nous. Pour notre part, nous devons nous demander pourquoi il existe de telles inégalités entre les territoires, si les départements sont en mesure d’appliquer les lois., pourquoi la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance – sans même parler des lois de 2016 et 2022 – n’est toujours pas appliquée, pourquoi le projet pour l’enfant (PPE) est difficilement appliqué. Le manque de personnel conduit à des ruptures régulières dans les parcours des enfants. C’est inacceptable et chacun doit se remettre en question, y compris les cadres, car il s’agit de maltraitance institutionnelle dès lors que l’on n’assure pas aux enfants la sécurité dont ils ont besoin.
Il faut accompagner les jeunes majeurs jusqu’à l’autonomie sans que l’accès à la majorité à dix-huit ans ne soit pour eux un couperet qui autorise à les mettre à la rue comme l’ont fait de nombreux départements.
Nous devons conduire ces politiques publiques ensemble, des collectivités aux services de l’État. Les inégalités territoriales ne peuvent perdurer. Il faut construire un socle commun autour d’un modèle bienveillant et de normes pour les enfants de tous âges. Départements de France a des interlocuteurs étatiques mais il revient bien aux départements de prendre l’initiative de bâtir ce socle et à votre association de renforcer son engagement pour résorber les inégalités, qu’elles soient de salaires, de données, de prises en charges, de décisions de justice ou de santé.
Nous avons auditionné une entreprise qui fait de l’intérim dans le domaine de la protection de l’enfance. Elle parlait des départements comme de « clients » et de « commandes » à propos de l’accueil des enfants ! Nous, nous parlons de leur bien-être. La durée des commandes, d’abord de quelques mois, est sans cesse allongée : des enfants ont ainsi été suivis à l’hôtel pendant six ans ! Le manque de personnel conduit pratiquement tous les départements à recourir à ces sociétés d’intérim qui ne crée que du malheur. Nous avons eu le scandale des Ehpad et celui des crèches, nous aurons celui de la protection de l’enfance. Certains articles de presse l’évoquent déjà, les derniers à propos de la Loire-Atlantique.
Il est urgent de changer de modèle. Mon rapport suggestions comprendra les propositions de la commission et, si l’État doit s’engager de manière massive, votre responsabilité est grande, notamment pour faire respecter la loi et pour construire ce nouveau modèle, notamment autour des techniques d’accompagnement des associations, dont l’efficacité est prouvée scientifiquement.
Lorsque le gouvernement annonce au vingt-heures le versement de la prime Ségur, sans aucune compensation financière pour les départements, il les met en difficulté et conduit certains à ne pas la verser, au risque de renforcer les inégalités entre professionnels des différents territoires, dans un secteur déjà en tension. Les associations qui se chargeront de la verser pourront accuser jusqu’à 900 000 euros de déficit : si les banques les lâchent, la prise en charge de près de 1 400 enfants sera menacée et les présidents de département devront, du jour au lendemain, trouver une solution d’accueil ! Quel regard portez-vous sur ce grave problème ?
L’État est aussi très désengagé de la question majeure du handicap. Nous nous rendrons d’ailleurs en Belgique pour y rencontrer des enfants qui y ont été placés faute de place en France. La commission fera à ce propos des propositions concrètes, inspirées par Céline Gréco, professeure à l’hôpital Necker. Certaines, telle l’obligation d’un bilan de santé pour les enfants protégés et les MNA avaient trouvé une traduction dans le PLF pour 2025 mais en ont aujourd’hui disparu. Dès lors seuls 30 % d’entre eux en ont bénéficié.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles cette audition est particulièrement importante. Il faut renouveler notre modèle, et notre priorité est l’intérêt de l’enfant.
Mme Florence Dabin, vice-présidente de Départements de France et présidente du groupe de travail Enfance, présidente du département de Maine-et-Loire. Je suis sensible, madame la rapporteure, à vos mots sur les Assises des départements de France, qui ont mis à l’honneur des personnalités engagées comme le docteur Anne Raynaud. Cela montre que nous devons travailler avec les professionnels de santé qui éclairent nos choix politiques dans le domaine des solidarités.
J’en profite pour remercier les équipes du Maine-et-Loire pour l’organisation de ces Assises, ainsi que les agents, les associations, les personnels qui, par passion ou vocation, s’engagent au quotidien dans des projets pour aider les enfants à grandir.
Je vous rejoins aussi sur la question des tout-petits. Nous avons beaucoup travaillé sur l’importance des 1 000 premiers jours dans le développement des enfants, notamment en ce qui concerne la santé mentale. Nous devons à présent progresser sur les taux d’encadrement, les lieux d’accueil. Le modèle des assistants familiaux convient bien aux enfants en bas âge. Or pour douze départs en retraite, nous n’arrivons à recruter que dix personnes, en dépit des efforts des élus pour expliquer sur le terrain le rôle de ces professionnels de l’enfance et de la possibilité de cumuler plusieurs métiers, par exemple quand d’anciens professeurs des écoles sont prêts, sur leur temps libre, à ouvrir des lieux de répit pour les enfants : même s’il faut veiller à ne pas multiplier leurs interlocuteurs, n’oublions pas que certains n’en voient pas du tout.
Nous ne nions pas que les 103 départements de France ont une marge de progression. Ils n’ont pourtant jamais déployé autant de moyens humains et financiers, jamais expérimentés autant de dispositifs – notamment en faveur de la prévention, comme l’accompagnement à la parentalité, et l’on peut comprendre que cette dernière n’aille pas de soi pour certaines familles – pour limiter le choc de la protection et éviter la judiciarisation de la protection de l’enfance, que je juge excessive. Cela prendra sans doute du temps
C’est avec humilité que nous sommes devant vous. C’est aussi pour que tous les acteurs de la protection de l’enfance – départements, État et associations, dont je salue l’action – dégagent des solutions concrètes, même si nous savons que nous porterons des regards différents sur les actions et si celles en faveur de la prévention ne montreront leurs résultats que dans des années.
Nous avions très peu de données il y a quelques années encore. Depuis 2021, le groupe Enfance de Départements de France, que je préside, tient huit réunions par an sur des thèmes variés et convie des personnalités susceptibles d’éclairer ses travaux. L’une de nos réunions a révélé ce manque de données et nous avons donc lancé une enquête. Sur 103 départements, 74 – j’ignore pourquoi les autres ne l’ont pas fait – nous ont apporté des chiffres que nous pouvons vous communiquer.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Les données des départements ne suffisent pas : nous avons besoin de les croiser avec celles des agences régionales de santé (ARS), de la Justice, de l’Éducation nationale, et qu’elles présentent des indicateurs sociaux et économiques. Seule cette approche permet de travailler avec des chercheurs et de lancer des politiques publiques. Des études longitudinales peuvent ensuite la compléter.
Tous ceux que nous auditionnons déplorent ce manque de données. Sans compter le manque d’harmonisation entre départements, l’ancienneté des logiciels et l’usine à gaz du dispositif OLINPE (Observation longitudinale, individuelle et nationale en protection de l’enfance), qui a pourtant coûté une fortune. Il faut en outre que l’ensemble des 103 départements fassent remonter les données ! Croyez que mon rapport insistera sur ce point.
Mme Florence Dabin. Nous souscrivons à toutes ces remarques.
M. François Sauvadet. Il est vrai que nous n’avons pas de données croisées. Je peine même à obtenir celles de l’Éducation nationale.
Mme Florence Dabin. Après les assises de Départements de France de l’an dernier à Strasbourg, sept objectifs transversaux relevant de compétences partagées ont été fixés. Une quarantaine d’élus et de collaborateurs départementaux, répartis au sein de sept groupes de travail, étudient les propositions et les actions respectives de l’État et des départements autour de ces objectifs majeurs.
Le signalement quant à lui progresse en quantité, en qualité, en rapidité. Nous formons à sa culture, les principaux de collèges par exemple. Ancienne professeure des écoles, je n’ai jamais reçu de telle formation professionnelle alors que le signalement fait partie du métier. Lorsqu’une suspicion existe, il faut avoir le courage de signaler sans attendre une situation.
Nous devons progresser sur l’accompagnement, en prévention comme en protection. Il faut éviter la protection à outrance, aider les parents, et mieux explorer le spectre global de l’accompagnement, du côté notamment des tiers dignes de confiance.
Enfin, la piste de l’adoption mérite d’être étudiée pour les enfants qui ne grandiront jamais auprès de leurs parents. Là aussi des données doivent être partagées. Présidente du groupement d’intérêt public (GIP) France Enfance protégée, je sais que l’adoption internationale est en train de se tarir et que des familles dites « de la seconde chance » sont prêtes à accueillir ces enfants.
M. Denis Fégné (SOC). Parce que le système est figé et en crise dans sa gouvernance, ses moyens, l’attractivité des métiers, l’exécution des mesures – en milieu ouvert comme de placement – prend du retard et les situations s’aggravent.
Vous avez évoqué le financement et la prévention. La loi du 5 mars 2007 prévoyait une gradation des mesures d’assistance éducative – de l’action éducative à domicile (AED), de l’AEMO, de l’AEMO renforcée au placement avec hébergement à domicile (PHD). Pourquoi la difficulté à graduer nos interventions persiste-t-elle ? Existe-t-il des statistiques départementales sur ce sujet, produites par exemple par les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (OPDE) ?
Le nombre d’enfants confiés à des tiers dignes de confiance augmente dans tous les départements. Est-ce parce que nous avons tendance à faire davantage confiance aux familles ou est-ce la conséquence du manque de places dans les internats et les familles d’accueil ?
M. Jean-Luc Gleyze, secrétaire général et président du groupe de gauche de Départements de France, président du département de la Gironde. La protection de l’enfance est peut-être la politique la plus sensible conduite par les départements. Sa grande schizophrénie réside dans l’opposition entre notre priorité, l’humain, et la faiblesse de nos moyens – pas seulement ceux des départements, mais aussi ceux de l’écosystème global, défaillant, notamment dans les relations entre services territoriaux et nationaux, ce qui a des conséquences immédiates et catastrophiques sur les enfants.
Il nous faut d’abord travailler avec les ARS sur la prise en charge des jeunes adultes relevant de l’amendement Creton ou sur les profils qui présentent une double vulnérabilité – situation de handicap et prise en charge par la protection de l’enfance. Comme pour la PJJ, les possibilités de dialogue et de coopération entre les services de l’État et les départements sont en jeu. À propos de la double vulnérabilité, je rappelle que le Conseil d’État, dans un dossier girondin, a enjoint l’ARS à garantir financièrement la prise en charge de l’enfant en établissement adapté.
Il faut ensuite acculturer tout l’écosystème aux problématiques de la protection de l’enfance. Les enseignants, les gendarmes, parfois même les travailleurs sociaux, doivent savoir comment agir lorsqu’ils sont confrontés à des violences intrafamiliales. En Gironde, nous avons ouvert des MOOC (massive open online course), des, modules en ligne de formation, pour sensibiliser – y compris des professions qui en sont assez éloignées – à la protection de l’enfance et à ses méthodes.
Avec le programme Agir tôt, le modèle québécois favorise la prévention afin que protection et placement ne soient que des derniers recours. La prévention est abordée au sein de la « communauté », c’est-à-dire de l’environnement large de l’enfant : famille, amis, voisins, services et organismes en mesure de garantir, par leur accompagnement, son maintien dans sa famille. L’implication citoyenne et la responsabilité collective – au demeurant cruciales pour toute action sociale – sont mobilisées. En conséquence, la proportion de placements est très réduite.
Le placement ne devrait en effet n’être qu’un moment dans le parcours d’un enfant, avec la possibilité de revenir, accompagné, dans sa famille, mais ne pas être vue comme l’unique solution jusqu’à sa majorité ou à ses vingt et un ans.
Lors de l’accession à la majorité, les contrats jeunes majeurs utilisés depuis longtemps en Gironde, sont essentiels. Ils sont parfois couronnés de succès, lorsque la sortie de la protection de l’enfance est accompagnée de réussites scolaires, professionnelles et d’insertion sociale.
Nous devons progresser dans notre recours aux tiers dignes de confiance – sujet voisin de ceux des familles d’accueil et de l’adoption. Vous suggériez, Monsieur Fégné, que ce serait une solution de facilité, faute d’accueil en placement. C’est pourtant une vraie réponse pour l’accompagnement des enfants, d’autant que les jugements de placement protègent parfois avant tout la justice de l’erreur que pourrait constituer le maintien dans la famille.
S’agissant de l’attractivité des métiers, je regrette, en tant que vice-président du Haut Conseil du travail social (HTCS) et pour avoir travaillé sur le Livre blanc du travail social, que ses préconisations n’aient pas été retenues au niveau gouvernemental – la succession de plusieurs ministres n’y a sans doute pas aidé…
Les pouponnières n’existent pas au Canada : la prise en charge des tout-petits est assurée avec un référent unique, afin qu’un attachement se crée dès les premiers jours, ce qui évite le syndrome d’hospitalisme. C’est essentiel pour construire la personnalité de l’enfant de manière rassurée et rassurante.
Je ne dispose pas de données sur la gradation des mesures. Cela prouve notre défaillance en la matière. Je suis très intéressé par la possibilité de recueillir des données croisées entre l’État et les départements.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Les dysfonctionnements de la protection de l’enfance dans mon département du Puy-de-Dôme ont récemment été révélés par le suicide de Lily dans un hôtel et par le cas de la pouponnière de Chamalières.
Nous sommes plusieurs professionnels de la protection de l’enfance, éducateurs spécialisés et personnels de centres de l’enfance (CDEF) à vous accueillir. Je salue d’ailleurs mes anciens collègues aujourd’hui en grève pour dénoncer leurs conditions de travail.
Monsieur Sauvadet, vous avez davantage parlé des mineurs en situation de délinquance et des MNA que des enfants en danger. Le ministère de l’intérieur nous apprend pourtant que la délinquance des mineurs n’augmente pas, contrairement aux violences faites aux enfants qui sont, elles, en forte hausse.
À propos du « décret hôtels », vous avez suggéré que les MNA étaient mieux protégés de la prédation dans les hôtels. Or les hôtels sont précisément des lieux de prédation, notamment pour les réseaux de prostitution.
En ce qui concerne les mesures non exécutées, il faut savoir que certains magistrats renoncent à prononcer des mesures, faute de places.
Par ailleurs, le procès de Châteauroux a débouché sur cinq condamnations : les départements étaient absents de ce procès bien qu’ils soient responsables de cette politique.
Vous dites qu’on ne veut pas revenir au temps de la DDASS, pourtant, la situation de la protection de l’enfance aujourd’hui y ressemble fortement.
Mme Caubel a récemment déclaré, sous serment, que les départements de droite disaient que tant que l’État ne réglerait pas le sujet des MNA, le décret d’application de la loi Taquet interdisant l'hébergement des jeunes de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en hôtel ne serait pas appliqué. J’aimerais vous entendre sur ce point.
M. François Sauvadet. Nous dialoguons en permanence avec les représentants des professionnels de la protection de l’enfance et les directeurs d’établissement afin d’améliorer l’accueil et aller vers la bientraitance. Le placement n’est pas une assurance vie, ne doit pas être considéré comme tel et on ne doit y avoir recours que dans des situations extrêmes, lorsque ni la prévention ni l’accompagnement dans la famille ne sont possibles.
Il arrive que des mesures ne soient pas exécutées, je vous l’accorde. Mes collègues, qui font face à des situations très difficiles, sont démunis pour assurer leurs missions. Il faut que l’ASE soit replacée dans une réflexion plus globale sur les rapports entre la jeunesse et la société.
Depuis que je suis président de Départements de France, je réclame une objectivation des données. Je suis en lien avec la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour voir comment mieux les collecter. Le gouvernement doit également recueillir et partager ces données, ce qui nous aiderait à individualiser avec l’autorité judiciaire – qui prend 80 % des décisions, 20 % seulement relevant de notre responsabilité – les chemins de vie des enfants, dont seul l’intérêt doit nous guider.
Oui, il y a eu de graves dysfonctionnements. Des établissements ont été ouverts sans que personne n’ait été informé. Dans mon département, j’ai découvert l’existence d’une structure au moment où celle-ci a sollicité son agrément, alors que des jeunes y étaient déjà placés. Les premières mesures à prendre sont des sanctions : il est inadmissible que des structures qui accueillent des enfants échappent aux radars !
Je réaffirme ma confiance dans nos travailleurs sociaux dont il faut évoquer les rémunérations, la considération et l’accompagnement, dans des situations qui génèrent souffrances et remises en question. Nous avons couru après tous les oubliés du Ségur : je ne reviendrai pas sur ce désastre. Dans le champ de la protection de l’enfance nous devons être bienveillants les uns avec les autres. Je réclame donc à l’égard des départements de la bienveillance, qui n’exclut ni le contrôle ni les sanctions en cas de manquements. Notre devoir est surtout de réinventer l’ensemble du système.
Les difficultés d’une famille peuvent être passagères. L’enfant peut, au lieu d’être placé, être accompagné au sein de sa famille – nous devons progresser dans ce domaine. Une évaluation des AEMO – de leurs méthodes d’accompagnement à leurs résultats – doit être menée avec l’ensemble de leurs acteurs : nous devons recueillir des données à ce sujet. Mais nos agents baissent les bras.
Nous voulons faire mieux et nous comptons sur vous pour nous accompagner. Alors que la vie d’un enfant n’a pas de prix, nous allons droit dans le mur avec les moyens que nous avons : les recettes et les ressources des départements ont chuté de 35 % alors que 70 % de leurs dépenses sont de nature sociale.
Les familles traversent de grandes difficultés. La protection de l’enfance est la conséquence de tous les problèmes sociaux : nous devons en faire un examen clinique. Je suis prêt pour cela à travailler avec ceux qui ont une expérience parlementaire et une expérience territoriale.
Il faut stabiliser les parcours des enfants et maintenir le contact avec les familles. J’ai l’expérience de retours dans les familles après des placements. J’ai aussi vu des familles qui appellent l’ASE pour que nous les protégions de leurs propres enfants.
Chacun doit assumer ses responsabilités sans se défausser mais aussi sans que ceux qui agissent au plus près des réalités soient pointés du doigt.
J’exprime ici la voix de mes collègues de Départements de France, malgré les disparités entre territoires. À propos du Nord, département le plus peuplé, il faudra comparer le nombre d’enfants protégés en proportion de la population globale.
Je me bats constamment pour obtenir des données objectivées. Le ministre chargé de l’enfance les cherche aussi ! Je n’ai toujours pas obtenu de l’Éducation nationale le nombre des décrocheurs scolaires ! Il est vrai que l’État a manqué de permanence ces derniers mois…
Je ne cherche à m’exonérer d’aucune responsabilité et je suis d’ailleurs responsable pénalement de la protection de l’enfance. Votre commission doit établir les responsabilités de chacun, que chacun doit assumer, notamment le système judiciaire. J’ai très mal vécu le refus des juges de nous rencontrer.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous n’avez pas de pouvoir d’injonction mais vous avez des responsabilités et un pouvoir de blocage. Pouvez-vous répondre à ma question au sujet du décret « hôtels » ? Le 5 février, après le suicide de Lily, vous avez publié un communiqué appelant à revenir sur la loi Taquet, en particulier sur l’interdiction des placements en hôtels.
M. François Sauvadet. Je l’assume. Face à cet afflux inédit de mineurs non accompagnés nous ne savions pas comment faire ! J’ai accueilli 150 mineurs de plus en quelques mois.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous aviez deux ans pour vous préparer.
M. François Sauvadet. Nous ne pouvions pas nous préparer à un afflux imprévisible. Il venait surtout de la frontière italienne et j’ai rencontré mon collègue des Alpes-Maritimes. En mon âme et conscience, je ne pouvais pas laisser ces mineurs dehors quand il n’y a pas de place ailleurs : à l’hôtel, ils sont accompagnés.
Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). C’est faux, nous l’avons observé sur le terrain ! En outre, vous témoignez ici en tant que président de Départements de France, et non en tant que président de la Côte-d’Or.
M. François Sauvadet. Je ne suis ni juge ni comptable des politiques qui sont conduites. Départements de France est une association : nous débattons, nous recherchons l’innovation, nous avons créé notre groupe Enfance. Tous les présidents de départements considèrent l’enfance comme un sujet majeur. Je n’ai pas sur eux d’autorité de tutelle.
Selon moi, il faut s’assurer, lorsqu’on propose une loi, de sa faisabilité et des moyens qui l’accompagnent : une simple loi d’intention sera toujours suivie de désillusions et d’incompréhensions en raison du fossé entre le texte et les réalités de son application,
À ce sujet, les départements se sentent bien seuls : des décisions qui les engagent sont prises sans concertation. C’est anormal dans un État de droit qui doit garantir le dialogue pour atteindre les objectifs fixés par la nation. Il faut en outre se donner les moyens financiers de les atteindre, en particulier grâce au budget de l’État. Je vous rappelle que les départements ne perçoivent plus l’impôt et vivent uniquement de dotations de l’État que le précédent gouvernement avait d’ailleurs prévu de ponctionner alors que nos dépenses sociales explosent ! Nos ressources sont si aléatoires que nous ne pouvons agir. Il faut restaurer un climat de confiance entre l’Assemblée nationale, le gouvernement et les opérateurs décentralisés. La décentralisation a été un appel à la proximité mais, vous avez raison : nous avons besoin d’un socle commun.
Or ce n’est pas le cas pour le contrôle. On a évoqué les Ehpad : lorsque j’y effectue des contrôles l’ARS n’a personne à m’envoyer. Et elle vient ensuite, comme l’État, me donner des leçons !
Aujourd’hui, je lance un cri : le cri des départements face à une situation qu’ils ne peuvent gérer et pour laquelle leurs actions ne sont que palliatives, le cri de mes agents avec lesquels je dialogue en permanence – et qui ne sont pas en grève, même si, bien sûr, je ne leur dénie pas ce droit, qui tient à la liberté syndicale.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Vous avez beaucoup parlé de gestion, moins de responsabilité. En tant que parent, je ne songerais jamais à annoncer à mes enfants qu’à leurs 18 ans je ne leur devrai plus rien et que je leur ferai signer un contrat, renouvelable tous les trois mois – un an pour les plus chanceux –, pour qu’ils continuent à bénéficier de mon accompagnement…
Dès avant la loi Taquet, les contrats jeune majeur ont été inventés par les départements à partir de dispositions visant un accompagnement éducatif. La contractualisation de cet accompagnement est donc un choix de leur part et emporte leur responsabilité : serait-elle envisageable avec vos propres enfants ? En cas de rupture de contrat, seraient-ils mis à la porte ? Le contrat s’arrêterait-il, quoi qu’il arrive, à vingt et un ans ?
Vous avez parlé de santé mentale. Lorsqu’on vit dans l’angoisse de « ne plus exister pour personne » à sa majorité, comme me l’a dit un jeune homme de dix-sept ans, comment peut-on être en bonne santé mentale et même physique ? La professeure Céline Gréco a souligné l’état de santé physique déplorable des enfants placés, conséquence du stress généré par leur parcours.
Comment les contrats jeunes majeurs peuvent-ils perdurer alors qu’ils placent les jeunes dans des situations d’insécurité telles qu’elles les poussent à partir en vrille ? Départements de France pourrait-elle édicter de nouvelles normes pour mettre fin à cette aberration qu’est cette contractualisation ?
Nous avons des obligations vis-à-vis de nos enfants, le code civil nous le rappelle.
M. François Sauvadet. Le mot « contrat » mériterait sans doute d’être changé. À titre personnel, je suis très attaché à l’équilibre des droits et des devoirs.
Nous avons des obligations et nous les remplissons, j’ai même accompagné des jeunes de mon département au-delà de leurs vingt et un ans. Il ne s’agit d’ailleurs plus de protection quand nous avons affaire à de jeunes adultes mais plutôt des qui peuvent favoriser leur autonomie, par exemple en mobilisant les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes.
Avant leurs dix-huit ans, nous accompagnons les adolescents vers l’autonomie, avec des espaces de vie partagés, mais lorsqu’ils sont majeurs, ils peuvent refuser l’accompagnement. Quoi qu’il en soit, les départements assument leurs responsabilités, telles qu’elles sont fixées par la loi, en particulier la loi Taquet.
Enfin, je partage votre avis sur les questions de santé mentale : je répète que le placement n’est pas une assurance vu le stress qu’il génère.
Mme Florence Dabin. Nous pouvons effectivement travailler sur la terminologie : juridiquement, il ne s’agit pas d’un contrat mais d’un accueil provisoire pour jeunes majeurs. Cependant, il faut, pour la réussite de cet accueil, que toutes les parties s’accordent sur un projet, le préparent et en soit partie prenante. Je reconnais qu’il n’est pas toujours écrit, compte tenu de nos difficultés de recrutement et des ruptures dans les parcours, qu’il faut limiter.
Cet accompagnement est aussi le fruit d’un travail avec tous nos partenaires. Nous avons signé une convention avec l’Union nationale des missions locales (UNML). En 2024, j’ai échangé avec des jeunes afin qu’ils témoignent de ce qui leur avait été apporté, par les départements ou par les équipes des missions locales, en l’occurrence celle de Cholet. En marge des assises de Départements de France à Angers, nous avons également signé avec l’ensemble des acteurs de l’habitat une convention en faveur de l’accès au logement des jeunes majeurs issus de l’ASE, ce qui permet de respecter la loi.
Nous créons ainsi un « nid affectif » qui sécurise ces jeunes dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’orientation professionnelle. Ils peuvent bénéficier de nos réseaux, notamment en entreprises. Nous devons aussi parler des très belles réussites. Nous sommes facilement joignables par les réseaux sociaux : les jeunes y témoignent de ce qui a fonctionné dans ce travail collectif et je recueille leurs suggestions pour l’améliorer. Le mot « contrat » est donc sans doute à revoir mais notre philosophie est bien de travailler avec le jeune majeur sur un projet d’accompagnement, qu’il peut ou non accepter, tout comme votre enfant peut faire des choix différents des vôtres.
M. Jean-Luc Gleyze. J’ai assisté à des entretiens de renouvellement de contrats jeune majeur. J’entends bien vos interrogations sur la contractualisation et la réciprocité, et je ne nie pas que ces moments soient source d’anxiété. Cependant, j’ai, pour certains jeunes, pu constater les efforts de ceux qui les entourent pour les accompagner dans leur parcours, souvent sur le temps long, et leur permettre de les poursuivre. J’ai organisé récemment une cérémonie de remise de diplômes pour des jeunes majeurs issus de la protection de l’enfance : ils sont nombreux à en avoir obtenu après leurs dix-huit ans.
Nous avons examiné avant-hier en session plénière le rapport de la chambre régionale des comptes (CRC) sur les contrats jeune majeur en Gironde, où la première vice-présidence est consacrée à la protection de l’enfance. Des exemples ont été donnés : celui d’un MNA ayant obtenu un diplôme de plomberie avant de se réorienter, après avoir obtenu la nationalité française, vers l’école de gendarmerie de Rochefort, et celui d’une diplômée en restauration, qui a réussi le concours de la Croix-Rouge et est devenue aide-soignante.
À vingt et un ans comme à dix-huit, le parcours n’est donc pas forcément terminé. Selon moi, l’accompagnement du jeune majeur doit être maintenu jusqu’à la fin de sa formation et son insertion sociale et professionnelle.
Mme Anne Bergantz (Dem). J’aimerais vous interroger sur les échecs des retours dans les familles. En effet, un jeune sur trois ayant connu un placement suivi d’un retour à domicile revient en placement, ce qui occasionne difficultés et ruptures.
Pour les chercheurs que nous avons auditionnés, ces échecs tiennent au fait que le retour n’est pas pensé en début de placement et que ni les enfants ni les familles ne sont accompagnés dans cette perspective. Comment envisager un retour si les conditions d’accueil sont les mêmes ? Quel travail menez-vous avec les familles ?
Ma deuxième question porte sur l'écoute de la parole des enfants placés. Certains départements comme l’Allier, la Gironde et mon département des Yvelines, avec l’assemblée des enfants et des jeunes Yvelinois, la recueillent. Quelles suites lui sont données ?
Mme Florence Dabin. Nous avons installé en Maine-et-Loire il y a quelques semaines un premier conseil pour recueillir la parole des jeunes, une parole puissante qui nous conduit à questionner humblement nos pratiques. Respect et prise en compte de la parole de l’enfant sont essentiels.
Nous proposerons au budget 2025 la création de trois postes dédiés aux sorties de placement, afin que celles-ci puissent être mieux anticipées et accompagnées, notamment du côté de la parentalité. Il faut nous appuyer sur les données scientifiques que vous mentionnez : nous y travaillons au sein de France Enfance protégée.
Nous avons installé en Maine-et-Loire le comité départemental pour la protection de l’enfance (CDPE), qui tiendra sa troisième session au printemps prochain. Nous nous appuierons sur les témoignages des enfants pour que tous les acteurs les entendent, en tiennent compte et agissent en conséquence. Lors de cette installation, l’Éducation nationale, l’ARS et la justice m’ont dit qu’ils n’avaient pas de moyens. Le préfet regardait désespérément dans ma direction, c’est-à-dire vers les départements, dont le lien de proximité est à nouveau engagé. Nous ferons au mieux, par vocation, mission, engagement et responsabilité, mais nous ne pourrons faire seuls.
Au sujet des retours dans les familles, travailler à un meilleur accompagnement à la parentalité est notre priorité pour comprendre la nature des fragilités familiales et éviter que le retour soit un nouveau choc. Deux cellules de professionnels formés, et formateurs, ont été créées dans mon département pour repérer les violences physiques et sexuelles et les cas de prostitution. Le travail avec les unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED) doit être généralisé au niveau national.
C’est à la suite d’un procès pour pédophilie, en 2005, qu’a été créée à Angers la première cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP) et la première UAPED. L’engagement de tous les professionnels – services hospitaliers, notamment de pédopsychiatrie, gendarmerie, police, associations – permet des retours durables et réussis.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Vous appelez à ce que chacun prenne ses responsabilités vis-à-vis de la protection de l'enfance. Il est certain que ni la succession des gouvernements, ni les coupes budgétaires drastiques ne vous mettent dans une situation confortable alors que les besoins augmentent.
Mme la rapporteure a dit que la protection de l’enfance allait mal depuis deux ans, mais elle va mal depuis des années. Dès 2002, le sociologue François Dubet critiquait, dans son ouvrage éponyme, le déclin de l’institution mais aussi le fonctionnement libéral du travail social.
Les difficultés de recrutement en protection de l’enfance ne tiennent pas seulement à la mauvaise presse ou au Ségur. Alors que les recrutements de contractuels en CDEF augmentent massivement, elles tiennent aux durées d’un ou deux mois des CDD de référents ASE, aux conditions de reconduction de ces contrats – du jour pour le lendemain – ainsi qu'aux niveaux de salaire, inadaptés à la charge de travail et au rôle essentiel des professionnels, dont je salue l’implication. En outre, l’entrée dans ces métiers de l’engagement se fait à présent par Parcoursup. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
Vous affirmez être efficace en matière de prévention. Pourtant, vous faites le constat de l’augmentation de l’errance, de la prostitution, des suicides et des problèmes psychiques et psychiatriques des jeunes. Dans le même temps, un département sponsorise le Vendée Globe sur les fonds destinés à la prévention !
En 2023, L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) révèle que les risques de suicide sont trois fois plus élevés pour les jeunes protégés. Pourriez-vous justifier, avec des données, votre efficacité en matière de prévention, et cela, à destination des enfants de tous âges, comme le suppose la protection de l’enfance ?
Par ailleurs, comment travaillez-vous avec l’ARS ? Enfin, qu’avez-vous à ajouter sur les structures sans agrément spécifique ?
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Depuis deux ans, un certain nombre d’alertes ont été lancées : le plan Marshall, la demande d’états généraux de la protection de l’enfance, la présentation d’un livre blanc. Elles n’ont eu aucun impact sur nos politiques publiques. Leurs manquements et leurs dysfonctionnements, y compris ceux de services de l’État comme les ARS, durent depuis très longtemps.
M. Jean-Luc Gleyze. Concernant l'attractivité des métiers, il est globalement difficile de fidéliser les personnels autour des métiers du lien, notamment ceux de la protection de l’enfance – on a évoqué les contractuels et l’intérim.
Le livre blanc du HCTS présentait des préconisations à un niveau national : nous attendons que le gouvernement s’en saisisse. Nous avons organisé en Gironde une journée sur les métiers du lien pour recueillir la parole des professionnels : elle nous a permis de dresser un état des lieux du secteur et notre devoir est de répondre à ses difficultés. Le Ségur était une réponse imparfaite au vu du nombre de personnels oubliés. Il faut revoir les questions des rémunérations, des conditions de travail, de la qualité de vie au travail, du temps prévu pour garantir la qualité de l’accompagnement des bénéficiaires. Tout est à construire ensemble, à un niveau global.
En outre je ne comprends pas qu’il soit possible de recruter des personnes sans qualification particulière en protection de l’enfance, alors que le BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) ou le CAP AEPE (certificat d’aptitude professionnelle accompagnant éducatif petite enfance) sont indispensables pour travailler en centre de loisirs. Toutefois, si la loi venait à changer ces exigences de qualification, il faudrait que les métiers de l’enfance soient suffisamment attractifs pour que nos besoins de recrutement soient satisfaits.
J’ai de bonnes relations avec la direction générale de l’ARS mais celles-ci varient selon les départements. Hier midi encore, nous travaillions sur la prise en charge des jeunes adultes relevant de l’amendement Creton et sur les enfants en situation de double vulnérabilité. J’ai évoqué avec le ministre démissionnaire Paul Christophe la possibilité d’expérimenter le partage de cette prise en charge entre l’ARS et les départements. Il faut en effet expérimenter de nouvelles solutions. On ne peut pas continuer à opposer la santé, qui doit disposer des moyens nécessaires, et l’ASE. Qu’un enfant doive aller jusqu’au Conseil d’État pour qu’il enjoigne l’ARS de trouver les moyens de le prendre en charge dans des établissements spécialisés est inacceptable. Toutes les familles, notamment les plus précaires n’ont pas les capacités de s'engager dans un contentieux.
M. François Sauvadet. Départements de France, association pluraliste, au sein de laquelle nous échangeons nos bonnes pratiques et qui est l’interlocutrice du gouvernement, n’a pas vocation à faire des rappels à la loi. Au sujet des retours dans les familles, je répète que l’autorité judiciaire prend l’essentiel des décisions concernant les mesures de protection. Seul un dialogue continu entre la justice et les départements en charge de la protection de l’enfance qui permettra de prendre des mesures différenciées et individualisées dans l’intérêt des enfants. Je l’appelle de mes vœux.
D’autre part, la famille peut évoluer et doit être suivie. Nous avons tous demandé à nos agents de prévoir le retour dans la famille quand les circonstances le permettent. Le placement n’est pas une protection à vie, il doit s’intégrer à un parcours dans lequel le jeune doit être accompagné. Là aussi, cela suppose un lien permanent avec la justice qui seule peut prendre une mesure nouvelle.
Le dialogue avec les directeurs généraux des ARS n’est pas toujours évident car leurs préoccupations budgétaristes priment ! Lorsque des enfants doivent être pris en charge par des établissements spécialisés et qu’ils n’ont plus de place nous nous trouvons totalement démunis – j’attends toujours les cinq places en IME dont j’ai parlé –. Il est de même inacceptable que la prise en charge s’interrompe le week-end. Comment dès lors stabiliser les projets des enfants ?
Je vous adresserai notre rapport qui dessine un large panorama de la situation de l’enfance en Côte-d’Or et qui montre qu’il s’agit d’un vrai sujet de société à propos duquel chacun doit prendre ses responsabilités.
Nous devons d’abord travailler avec les acteurs de première ligne mais aussi entendre la parole des enfants – nous avons même organisé des concours d’éloquence dans les MECS pour entraîner les jeunes à s’exprimer.
Notre problème est systémique : c’est sur ce point que votre commission d’enquête est importante, quand bien même elle nous serait désagréable. Il faudra que ses conclusions soient suivies d’effets et vous pourrez compter pour cela sur la détermination de Départements de France. Il faudra aussi que tous les acteurs de la protection assument leurs responsabilités, que les appréciations des directions générales de la PJJ s’accordent aux réalités, que les articulations régionales fonctionnent, que des moyens soient engagés.
Je ne suis pas obsédé par la délinquance et la violence mais la question e la bientraitance est importante. Les personnels des MECS me remontent des difficultés, parfois causées par une ou deux personnes qui créent de l’instabilité et de la souffrance pour les enfants accueillis comme pour les personnels – il y a eu des cas de morsures ou des doigts sectionnés par une porte claquée. Tout cela est source de traumatismes.
Au total, je vous fais confiance : il faut que nous travaillions ensemble sans pointer du doigt quiconque mais en assumant ce qui est mal fait.
Mme Christine Le Nabour (EPR). Je suis députée d’Ille-et-Vilaine et présidente de l’Union nationale des missions locales.
L’Éducation nationale, par le biais des systèmes interministériels d’échanges d’informations, doit donner mensuellement les listes des décrocheurs, notre objectif étant qu’elles soient établies au fil de l’eau. Ces listes sont répertoriées dans les plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD) copilotées par les missions locales et les centres d’information et d’orientation (CIO). Les consultez-vous ou ne disposez-vous vraiment d’aucune donnée sur les décrocheurs scolaires de votre territoire ?
En 2020, l’UNML a signé un accord-cadre de partenariat pour l’insertion professionnelle des jeunes de l’ASE, puis, dernièrement, une convention avec Départements de France. Or sur le terrain, les travailleurs sociaux des départements et les conseillers en insertion des missions locales ne se connaissent pas et ne peuvent donc pas coopérer. L’administration de mon département ignore par exemple le nombre de jeunes gens orientés vers les missions locales et auxquels on propose un contrat d’engagement jeune en application de la loi Taquet.
Je crois donc à un co-accompagnement, installé très tôt, et à un échange de bonnes pratiques. Je sais qu’il vous est difficile de répondre pour tout votre réseau, mais comment améliorer cela ?
M. François Sauvadet. À l’instar des présidents de nombreux départements, je ne dispose pas de ces données, que la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale s'était engagée à fournir. Ce n’est pas faute de les réclamer. Les départements ont en effet les moyens d’intervenir très tôt auprès des décrocheurs scolaires, par nos agents et notre travail avec les centres communaux d’action sociale (CCAS).
Les relations entre les départements et les missions locales sont plus ou moins bien établies : certaines sont en construction, d’autres encore embryonnaires. Faites-moi remonter les difficultés et je ferai de même afin que nous soutenions plus vigoureusement leur coopération.
Mme Florence Dabin. Départements de France suivra les indicateurs produits depuis la signature de cette convention. Par ailleurs, le groupe Enfance, qui compte 80 membres, nous permettra de partager ces informations avec les vice-présidents de département en charge de ces sujets, qui les répercuteront ensuite à leurs équipes. Nous aurons des retours d’expérience et des témoignages de terrain.
M. Olivier Fayssat (UDR). Est-il possible de connaître la répartition par nationalité des parents des bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance ?
M. Denis Fégné (SOC). Le rapport du CESE invite à élargir les expérimentations des CDPE. Pouvez-vous revenir sur leur composition ? Permettent-ils une meilleure coordination de la protection de l'enfance, de l’administration et de la justice ?
Mme Florence Dabin. Le Maine-et-Loire fait partie des départements ayant souhaité installer un CDPE. Son installation a eu lieu en présence de la secrétaire d’État Charlotte Caubel. Il est coprésidé par le préfet et par moi-même. Nous entourent le procureur de la République, le directeur général ou territorial de l’ARS, le recteur ou le directeur académique, des représentants de la police nationale, de la gendarmerie, des UAPED et de l'ensemble des partenaires, opérateurs et associations. Sont également conviées trois vice-présidentes qui se consacrent respectivement à la prévention, à la protection, et à l’égalité hommes-femmes.
Notre première réunion a été assez formelle. Elle a eu le mérite de mettre autour d’une table l’ensemble des acteurs. Lors de la deuxième, nous sommes partis de cas complexes pour expliquer combien d’interlocuteurs sont nécessaires pour trouver la solution pertinente et individualisée pour l’enfant, ses parents et la famille. La troisième aura lieu au printemps et s’appuiera notamment sur les témoignages des enfants protégés. Pour faciliter notre dialogue nous disposons par ailleurs d’un délégué en protection de l’enfance rattaché au préfet.
Les avis des départements sur les CDPE sont mitigés. Certains départements n’en voient pas la pertinence et ne souhaitent pas en installer ; d’autres, qui l’ont fait, se demandent s’ils ne doublonnent pas certaines structures ; d’autres leur trouvent le mérite de permettre des réunions récurrentes.
Cette expérimentation va durer trois ans. Il me semble que les CDPE permettent de comprendre les préoccupations et les contraintes de chacune des institutions ce qui est capital lorsque nous appelons au dialogue et à la confiance. En outre, par leur intermédiaire, nos agents sont reconnus dans leur travail quotidien. Nous les embarquons dans une évolution de nos pratiques pour l’enfant. Enfin, ces réunions débouchent ont un coût, il faut donc qu’elles soient efficaces si nous voulons réussir ensemble, mot auquel je mets volontiers la même majuscule qu’à enfance.
M. François Sauvadet. Je ne vois pas la nécessité de connaître la nationalité des enfants protégés.
Nous avons en revanche des données sur les pays d'origine des MNA. Quand parle de leur accueil il faut bien sûr avoir en tête leurs conditions de voyage et d’arrivée comme aux différends qui peuvent exister entre les communautés d’origine et entraîner des violences. Nous souhaitons qu’ils trouvent leur épanouissement en attendant les décisions administratives qui les concernent et qui relèvent non pas des départements mais de la politique migratoire du pays.
M. Jean-Luc Gleyze. Au sein de mon conseil départemental, une formation politique pose sans cesse cette question et j’y réponds toujours que tout enfant à protéger est un enfant à protéger, quels que soient son parcours et son origine.
M. François Sauvadet. En conclusion, je veux remercier les membres de votre commission d’enquête : cela peut sembler paradoxal mais je vous fais confiance et je ne la crains pas.
Parce que des familles sont défaillantes, nous nous trouvons face à un phénomène de société dont les causes – Covid, précarité, etc. – sont multiples et qui s’accélère. Les départements sont en première ligne et leurs élus, en tant que responsables publics, assument leurs responsabilités : face à ce choc, nous devons trouver des solutions novatrices et ne pas oublier que, si les difficultés sont massives, seules des réponses individualisées sont viables. Que chaque jeune dont le destin a basculé retrouve confiance en son avenir, tels sont notre devoir et notre exigence morale.
J’espère que nous aurons un nouveau débat à la publication de votre rapport et qu’un comité de suivi sera créé. Les départements et moi-même serons toujours disponibles pour faire avancer la seule cause qui vaille : l’avenir de nos enfants.
Mme la présidente Laure Miller. Merci pour votre présence. Nous gardons en tête cette proposition de suivi et de travail commun, notamment lors du processus législatif qui devra suivre les préconisations de Mme la rapporteure.
La séance s’achève à seize heures quinze.
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Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Anne Bergantz, M. Philippe Bonnecarrère, M. Olivier Fayssat, M. Denis Fégné, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Tiffany Joncour, Mme Christine Le Nabour, Mme Marianne Maximi, Mme Marie Mesmeur, Mme Sophie Mette, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago
Excusée. – Mme Anne-Laure Blin