Compte rendu

Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
 

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, accompagné de Mme Anne-Françoise Courteille, première vice‑présidente du conseil départemental, déléguée à la protection de l’enfance et à la prévention, et de Mme Élise Ablain, directrice Enfance et famille              14

– Présences en réunion................................27

 


Mercredi
22 janvier 2025

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 18

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Laure Miller, Présidente de la commission,
puis de
Mme Anne-Laure Blin,
Vice-présidente

 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, des organisations syndicales représentatives du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Benjamin Vitel, secrétaire national de la Fédération CFDT santé-sociaux, responsable des diplômes et métiers du social, Mme Jacqueline Fiorentino, secrétaire fédérale à la Fédération Interco CFDT, en charge du champ du social et médico-social, et M. Éric Achard, secrétaire fédéral à la Fédération Interco CFDT, en charge du champ de la protection judiciaire de la jeunesse ;

 Confédération générale du travail (CGT) : Mme Pascale Guiniec, membre du bureau de l’UFAS (Union fédérale de l’action sociale)-CGT, Mme Esther Tonna, secrétaire générale de l’UFAS, M. Jili Biet, membre du bureau national de la CGT-PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) ;

 Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) : M. Michel Poulet, secrétaire fédéral, Fédération FO de l’action sociale, Mme Béatrice Clicq, secrétaire confédérale chargée de l’égalité du développement durable ;

 Union syndicale Solidaires (Solidaires) : M. Éric Florindi, éducateur spécialisé, membre du Haut Conseil du travail social pour Solidaires, Mme Anne-Sophie Souchaud, éducatrice de prévention spécialisée, M. Olivier Treneul, membre du bureau fédéral de SUD Collectivités territoriales et travailleur social à l’aide sociale à l’enfance (ASE), et Mme Elen Jeanneteau, SUD, travailleuse sociale à l’ASE.

Mme la présidente Laure Miller. Mesdames, messieurs, nous aborderons avec vous les questions des moyens, de la rémunération, de la formation, des difficultés de recrutement, du recours à des structures privées lucratives, du dialogue social et des conventions collectives.

Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire, je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande au préalable de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les douze intervenants prêtent serment.)

M. Benjamin Vitel (CFDT). Le secteur de la protection de l’enfance s’inscrit dans un contexte plus large de crise des métiers du travail social en France. Ce secteur souffre d’un manque criant de reconnaissance malgré son rôle essentiel pour la cohésion sociale. Les travailleurs sociaux permettent à chacun, quel que soit son degré d’inclusion ou d’exclusion, de se sentir membre de la communauté nationale.

Ce manque de reconnaissance se traduit notamment par de faibles niveaux de rémunération. Entre 2005 et 2021, le smic a augmenté de 30,5 %, tandis que les salaires dans la convention collective de 1966 n’ont progressé que de 8,2 %, avec une inflation de 23,3 % sur la même période. Au 31 décembre 2023, pour des diplômes de niveau 6 – éducateur spécialisé, assistant social –, on constate des écarts de rémunération à l’embauche de 22 % à 43 % par rapport à d’autres secteurs d’activité en France.

Cette situation explique en partie la crise d’attractivité que connaissent ces métiers. Au-delà de la question salariale, il y a aussi une perte de sens : les travailleurs sociaux ont l’impression d’être réduits à pallier les défaillances de notre société plutôt que de créer du lien social.

La protection de l’enfance concentre particulièrement ces problématiques. Elle accueille des publics qui devraient relever d’autres dispositifs – de soins, médico-sociaux – faute de place ailleurs. L’absence de normes d’encadrement permet de surcharger indéfiniment ce secteur. On y retrouve des enfants aux prises avec des pathologies multiples, ce qui complexifie la prise en charge.

De plus, les problèmes de la justice, notamment l’engorgement, font que lorsque les enfants entrent dans le circuit, les mesures proposées sont souvent déjà inadaptées. La protection de l’enfance apparaît ainsi comme un cas particulier, concentrant de nombreuses difficultés du secteur social dans son ensemble.

J’insiste sur la question de la formation car c’est un problème majeur dans le domaine de la protection de l’enfance. L’absence de normes en termes d’effectifs, de ratios d’encadrement et de niveau de qualification conduit à avoir des professionnels sans formation spécifique. Cette situation est aggravée par le recours à l’intérim, qui envoie sur le terrain des personnes sans formation adaptée. Nos priorités sont la question salariale, pour retenir les professionnels actuels qui envisagent de partir, et l’établissement de taux d’encadrement et de ratios. Ces mesures sont essentielles pour garantir des conditions de travail correctes, préserver la santé physique et psychologique des professionnels et redonner du sens à leur travail à travers une approche qualitative.

Mme Jacqueline Fiorentino (CFDT). Dans la fonction publique, nous sommes moins touchés par le problème des personnes sans diplôme. Cependant, la formation est en cours de révision par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Il est crucial de mettre l’accent sur la complémentarité et la transversalité. Je tiens à souligner que ces métiers relèvent profondément du domaine social, comme l’ont reconnu le Haut Conseil du travail social, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et récemment la Cour des comptes. Ces rapports mettent en évidence les grandes difficultés des acteurs de la protection de l’enfance, véritablement submergés. Cette situation est due au manque d’effectifs, à la complexité croissante des situations rencontrées et à l’absence de mise en œuvre de la prévention.

Mme Esther Tonna (CGT). La CGT représente ici l’ensemble des professionnels publics et privés œuvrant quotidiennement pour la protection des mineurs. Notre organisation défend à la fois les besoins de protection et d’assistance envers les plus vulnérables, tout en affirmant que nos métiers relèvent d’une mission d’intérêt général. Nous plaidons pour que cette mission soit confiée à un service public et à un secteur habilité dotés de moyens adéquats, avec des professionnels formés, dans le respect des principes de citoyenneté, de neutralité, de laïcité et d’émancipation.

Malgré quelques avancées législatives, nous déplorons l’absence d’une volonté politique cohérente et de moyens financiers suffisants. Depuis plus de dix ans, la CGT alerte les ministres successifs sans que la situation ne soit véritablement prise en compte. L’absence d’une politique nationale unifiée et la fragmentation territoriale engendrent de graves dysfonctionnements. L’État, par son immobilisme, en est responsable.

Le récent rapport du CESE sur les dysfonctionnements de la protection de l’enfance souligne la nécessité de renationaliser ce domaine, notamment en termes de financement et d’orientations politiques. Nous insistons sur l’importance d’une approche globale dans l’accompagnement des jeunes et de leurs familles, qui nécessite du temps pour construire une relation éducative solide. Le manque de temps est un problème majeur pour l’ensemble des acteurs.

Nous constatons que les professionnels sont surchargés, ce qui compromet la qualité de leur travail. Les mesures de protection en milieu ouvert sont mises en œuvre trop tardivement et les placements en institution sont remis en question par des décisions de justice, alors que les places en maison d’enfants à caractère social (MECS) ou en familles d’accueil manquent déjà cruellement.

La CGT dénonce le manque de places en hébergement, la suppression de structures et de postes, le placement de mineurs à l’hôtel sans suivi adéquat et l’utilisation de services comme la prévention spécialisée comme variables d’ajustement budgétaire. Nous soulignons également l’inégalité de prise en charge sur le territoire national, particulièrement flagrante pour les mineurs isolés étrangers.

Mme Pascale Guiniec (CGT). La crise de la protection de l’enfance est aggravée par l’absence d’augmentation salariale dans toutes les conventions, y compris l’action sociale publique, et le manque de revalorisation du point d’indice. Les professions, souvent exercées par des femmes, sont loin de l’égalité salariale à compétences équivalentes. Malgré les difficultés de recrutement évoquées par les employeurs, les propositions d’amélioration et de revalorisation salariale sont bloquées lors des négociations conventionnelles. Notre organisation demande de nouveau la reprise des négociations salariales pour le public et le privé.

L’inégalité de traitement concernant l’indemnité Ségur-Laforcade persiste entre les professionnels du public et du privé. Dans le privé, cette indemnité a été obtenue grâce à l’action syndicale, mais de nombreux professionnels en sont encore exclus. Certains employeurs et départements ne la financent pas ou menacent de ne plus le faire.

Des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) sont en cours dans divers établissements, malgré l’augmentation des besoins de la population. Nous sommes inquiets quant à la future convention collective unique et étendue, craignant qu’elle ne soit au rabais, basée sur des salaires au mérite et un séquençage de l’accompagnement.

Certains établissements maintiennent des conditions de travail précaires et indignes, s’apparentant à de l’exploitation. On constate des dérives managériales autoritaires, une politique du chiffre et une augmentation des discriminations syndicales.

L’État doit prendre ses responsabilités pour assurer, via les départements, une prise en charge équitable et de qualité pour chaque enfant et famille. Les orientations budgétaires du projet de loi de financement de la sécurité sociale seront cruciales. Nous ne pouvons accepter une baisse des subventions de fonctionnement pour les départements, qui ont la responsabilité première des solidarités.

Le secteur connaît une grave crise de recrutement et de nombreux départs de salariés pour des raisons éthiques. Les faibles salaires, les conditions de travail dégradées et l’absence de sens donné à la mission sont responsables de la désertion du secteur social.

La réforme des diplômes de niveau 6 des métiers du travail social n’est pas une solution au manque d’attractivité. Les chiffres des centres de formation montrent qu’il s’agit du contexte d’arrivée en formation via Parcoursup et de la découverte des conditions de travail qui poussent un tiers des étudiants à abandonner en cours de formation et un autre tiers à quitter le secteur une fois en poste. Changer les formations en les nivelant par le bas ne résoudra pas le problème de recrutement, mais accentuera le turnover et diminuera la qualité des accompagnements.

Mme Béatrice Clicq (CGT-FO). Notre confédération a souhaité être présente pour réaffirmer la responsabilité de l’État dans la protection de l’enfance, garante des principes d’égalité et de solidarité. Cela implique des politiques publiques assurant la protection de nos enfants, futurs adultes émancipés. Bien que nous ayons plusieurs fédérations couvrant le champ de la protection de l’enfance, la Fédération de l’action sociale étant la plus concernée, nous avons voulu montrer que notre implication va au-delà d’une seule fédération.

M. Michel Poulet (CGT-FO). Accompagner, c’est dire espérance, mais cette espérance nécessite des conditions adéquates. Je souhaite évoquer la situation inacceptable d’une centaine d’enfants dormant dans la rue à Strasbourg, dans un pays censé subvenir aux à leurs besoins, quelle que soit leur nationalité.

Pour que cette espérance advienne, il faut des salaires décents. On estime à environ 30 % la perte de pouvoir d’achat en un peu plus de vingt ans dans le secteur social et médico-social. Aujourd’hui, un éducateur spécialisé débutant dans la convention de 1966 gagne seulement 61 euros au-dessus du smic en prévention en milieu ouvert.

Nous défendons un salaire adossé au diplôme, en dehors de tout système de critères classants. Cette mesure pourrait contribuer à donner du sens à l’action, alors que les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années.

Nous revendiquons l’ouverture immédiate de négociations pour la mise en place d’un plan d’urgence national, avec la création de places et de postes pour garantir une véritable protection de l’enfance et améliorer les conditions de travail des professionnels. Nous considérons que les missions de protection de l’enfance doivent être entièrement financées par l’État pour garantir l’égalité des droits des enfants, quelle que soit leur nationalité ou leur statut.

Nous nous opposons aux lois répressives sur la protection de l’enfance et la prévention de la délinquance. Nous restons attachés aux ordonnances de 1945 sur l’enfance délinquante et l’enfance en danger, réaffirmant le principe de primauté de l’éducatif sur le répressif et de l’excuse atténuante de minorité.

M. Olivier Treneul (SUD). Nous représentons l’Union syndicale Solidaires et sommes des travailleurs sociaux de terrain, à la fois du secteur public, en tant qu’agents territoriaux de l’aide sociale à l’enfance (ASE), et du secteur associatif. Il s’agit, sauf erreur, de la première fois que des professionnels en contact direct avec les enfants s’expriment devant vous concernant les manquements de la protection de l’enfance. Nous pensons que cette audition aurait dû intervenir plus tôt dans vos travaux, après celle des collectifs d’enfants et d’anciens enfants placés. La question fondamentale à poser aux professionnels aurait été de déterminer leurs besoins pour exercer correctement leur métier. Le questionnaire que nous avons reçu aborde des sujets importants comme la formation ou les salaires, mais ces problématiques existent depuis trente ans. L’urgence actuelle concerne davantage les conditions d’exercice de notre profession.

Mme Elen Jeanneteau (SUD). Nous sommes réunis aujourd’hui car nous partageons le constat d’une protection de l’enfance à l’agonie, traversée par une crise inédite. Le financement actuel, reposant sur des dotations insuffisantes de l’État et des recettes limitées des départements, ne permet pas une politique publique efficace en matière de protection de l’enfance. Cette situation entraîne des conséquences graves : au moins 10 % des enfants pour lesquels un placement a été ordonné restent en situation de danger à leur domicile. Les départements, malgré leur responsabilité et leur liberté de choix budgétaires, sont défaillants, privilégiant une logique de gestion des coûts au détriment des besoins de protection des mineurs.

Sur le terrain, cela se traduit par des enfants non protégés, des ruptures de soins et de placement, des droits de visite non respectés, des enfants privés de loisirs ou déscolarisés. L’intérêt supérieur de l’enfant n’est plus une priorité et la Convention internationale des droits de l’enfant est négligée. L’État porte également une responsabilité importante, avec des lois qui s’empilent depuis 2007 sans financement adéquat ni contrôle de leur application.

Nous proposons que le financement de la protection de l’enfance revienne à la charge de l’État, qui doterait les départements par péréquation sur la base des besoins identifiés par une instance indépendante. Cette dernière vérifierait l’engagement effectif des départements dans leurs choix politiques en matière de protection de l’enfance.

Ces manquements ont des conséquences directes sur les enfants, leurs familles et les professionnels. Nous dénonçons les conditions de travail dégradées, le sous-effectif chronique, et les pratiques managériales inadaptées. Nous exigeons l’autonomie professionnelle nécessaire pour proposer des accompagnements humains et émancipateurs et refusons la notion de rentabilité dans l’action sociale.

Nous appelons les députés à prendre leurs responsabilités lors du vote du budget, en considérant les conséquences délétères des économies imposées aux collectivités territoriales sur les enfants vulnérables et l’avenir de la société.

M. Olivier Treneul (SUD). Je suis moi-même du département du Nord, dont j’espère que vous convoquerez également le président compte tenu des défaillances notoires en matière de protection de l’enfance. Nous sommes en mesure de vous fournir des informations précises et des exemples concrets de situations d’enfants. Actuellement, dans le Nord, des équipes exercent leur droit de retrait. Par exemple, des cadres de proximité sont contraints de chercher des places d’accueil inexistantes, une tâche aussi vaine que de chercher de l’or dans la Deûle à Lille. Cette situation de droit de retrait perdure depuis décembre.

Mme Anne-Sophie Souchaud (Solidaires). Je souhaite appeler votre attention sur la prévention spécialisée, un maillon crucial de la protection de l’enfance actuellement menacé. Dans le Nord, le département annonce une réduction de 3 millions d’euros du budget alloué à cette mission, entraînant la suppression de soixante postes d’éducateurs de rue. L’année dernière, dans la Vienne, 25 % du budget a été supprimé. La prévention spécialisée, inscrite dans le code de l’action sociale et des familles, relève de la compétence des départements. Cependant, nous constatons un désengagement croissant de leur part.

Notre mission consiste à aller vers les jeunes les plus vulnérables dans les territoires précarisés, prévenir les mises en danger et les aider à s’insérer dans les dispositifs de droit commun. La diminution ou la suppression de la prévention spécialisée impacte négativement l’ensemble de la chaîne de protection de l’enfance.

Une jurisprudence de 2017 a reconnu la prévention spécialisée comme une compétence obligatoire des départements. Néanmoins, comme le soulignait le rapport d’information parlementaire de 2017, les articles du code de l’action sociale et des familles sont ambigus et nécessitent une clarification. De plus, le financement n’est ni encadré ni contraint pour les départements. Il est donc urgent de légiférer pour encadrer le financement de la prévention spécialisée et maintenir son existence sur l’ensemble des territoires qui en ont besoin.

M. Éric Florindi (Solidaires). Concernant les établissements accompagnant les enfants et les adolescents, une enquête récente du bureau de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) pour les services d’appui aux projets (UNOPS) révèle un taux de vacance de 9 %. Le manque d’attractivité et la question des salaires sont en cause. Le Livre vert du travail social préconise une augmentation minimale de 30 % dans le secteur pour retrouver de l’attractivité.

La souffrance au travail dans les collectivités territoriales et les établissements est préoccupante. Elle résulte notamment d’une souffrance éthique due au sureffectif dans les foyers, au mélange de publics relevant de différents secteurs et à une logique de marchandisation du secteur. Nous constatons une prédominance de managers et de gestionnaires au détriment de personnes issues du terrain, privilégiant la rentabilité à l’accompagnement des enfants.

Cette situation engendre une concurrence entre établissements via des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et des appels à projets, ainsi qu’entre salariés et agents de la fonction publique. La convention collective unique en discussion risque d’introduire le salaire au mérite, mettant en péril la cohésion des équipes.

Nous préconisons de revaloriser le travail d’équipe, de redonner du pouvoir d’agir aux salariés et de leur accorder un droit d’expression collectif sur leurs conditions de travail. Il est crucial d’éviter cette concurrence malsaine qui menace de submerger le secteur et de l’entraîner vers un avenir désastreux.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je considère que la formation initiale et continue, particulièrement la formation initiale, doit être entièrement repensée. Cette dernière a été conçue pour couvrir un champ très large, allant du handicap à la protection de l’enfance en passant par les Ehpad. Elle doit être restructurée pour former des professionnels spécialisés, notamment au regard des connaissances actuelles sur les besoins fondamentaux des enfants.

Par ailleurs, j’ai été surprise, en tant qu’ancienne élue en charge de la protection de l’enfance, de n’avoir jamais entendu de revendications concernant les normes, notamment le décret de 1974 sur les pouponnières. Ces normes sont pourtant cruciales pour le bien-être des personnels et la qualité de l’accompagnement des jeunes. Le manque de personnel face à des situations complexes contribue au mal-être au travail.

J’aimerais donc connaître votre point de vue sur ces différents aspects : la refonte de la formation initiale, la nécessité d’une spécialisation en protection de l’enfance et la question des normes d’encadrement.

J’aimerais avoir votre avis sur les éléments essentiels à inclure dans un texte concernant les taux et normes d’encadrement. Pensez-vous qu’il faille revoir la convention de 1966 ? Il y a aussi la fonction publique et la fonction publique hospitalière à considérer. Que pensez-vous de l’idée d’un comité de filière spécifique, similaire à celui créé pour la petite enfance ? Cela pourrait-il nous aider à avancer sur certains sujets ?

Le décret de 1974 sur les pouponnières est obsolète, notamment face au problème actuel de sureffectif. Cette situation impacte gravement le développement des enfants, notamment touchés par le syndrome de l’hospitalisme. Nous devons revoir ce décret.

Je partage entièrement les propos tenus sur la prévention spécialisée. Il est de plus en plus difficile de recruter dans ce domaine essentiel de la protection de l’enfance, même avec un budget disponible.

Il existe de bonnes pratiques à l’étranger, notamment en Europe et au Québec, dont nous pourrions nous inspirer. Je pense que la séparation entre la santé et le social est une erreur, car les questions de santé sont au cœur des enjeux de la protection de l’enfance.

M. Benjamin Vitel (CFDT). Concernant les garanties collectives, je pense que la spécialisation est une erreur. Il faut chercher le manque du côté de la reconnaissance de l’expertise. La spécialisation pose problème dans le contexte actuel du marché du travail, où les personnes changent fréquemment d’employeur. Le caractère généraliste des métiers permet d’éviter l’usure professionnelle et facilite la mobilité.

La reconnaissance de l’expertise spécifique à chaque public fait défaut. Il faut des dispositifs incitatifs dans les garanties collectives, notamment en termes de rémunération, pour valoriser l’expertise acquise par la formation ou l’expérience. Actuellement, ces dispositifs sont absents des conventions collectives du secteur.

La CFDT santé-sociaux revendique depuis plus de cinquante ans une convention collective unique et étendue. Ce point est crucial car certaines entreprises du secteur n’appliquent aucune convention collective. L’extension ne peut se faire qu’en réunissant toutes les conventions existantes, couvrant à la fois la protection de l’enfance, le handicap et le sanitaire.

Cette approche globale correspond à la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et permet de ne pas créer de hiérarchie entre les différents secteurs. Actuellement, il existe une hiérarchie implicite où la santé est privilégiée, suivie du handicap et des personnes âgées, tandis que le social est relégué au dernier plan. Cela se reflète dans les financements, où le social et l’enfance sont souvent les derniers servis, d’autant plus que leur financement est complexe et varie selon les départements.

Concernant les garanties collectives, nous les revendiquons depuis cinquante ans. L’accord de méthode actuel n’est pas respecté par les employeurs, qui ne tiennent pas leurs engagements en termes de propositions salariales, de classification et de calendrier. Cependant, les garanties collectives ne définissent pas le contenu du travail. C’est le code de l’action sociale et des familles qui fixe le cadre, et non la convention collective. Nous avions proposé en 2021 un décret sur les taux d’encadrement, qui pourrait être rapidement mis en place.

Mme Jacqueline Fiorentino (CFDT). À la CFDT, nous défendons une formation généraliste, permettant aux professionnels de s’adapter ensuite à leur secteur spécifique. Les stages obligatoires dans la formation actuelle sont essentiels pour découvrir les différents domaines. La direction générale de la cohésion sociale a consulté plus de quatre-vingts professionnels de terrain pour repenser la formation. Il serait bénéfique d’imposer un temps de formation spécifique dès l’arrivée sur le terrain, particulièrement dans la fonction publique territoriale.

M. Michel Poulet (CGT-FO). Nous nous sommes opposés à la création d’une convention collective unique, craignant un affaiblissement des garanties. Concernant la convention de 1966, son obsolescence perçue est due à l’austérité budgétaire plutôt qu’à son architecture.

Nous sommes contre la spécialisation excessive des formations, préférant une approche généraliste permettant d’intervenir auprès de multiples publics. Le salaire devrait être lié au diplôme et à la qualification personnelle plutôt qu’à l’emploi spécifique. Cela préserverait le sens du travail et la valorisation des compétences. Les mécanismes d’adaptation au poste et de formation continue existent déjà pour répondre aux besoins spécifiques.

M. Jili Biet (CGT). Je souhaite aborder la question des normes de prise en charge à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le nouveau code de justice pénale des mineurs a profondément modifié notre travail, sans augmentation de moyens en personnel. La norme conventionnelle de vingt-cinq jeunes par éducateur n’est plus tenable. L’administration refuse de reconnaître l’existence d’une norme fixe, prétendant qu’elle peut varier. Cependant, elle ne tient pas compte des réalités du terrain, comme les différences entre zones urbaines et rurales. Face à cette situation, l’administration de la PJJ mène actuellement une enquête pour redéfinir ces normes. Nous craignons que cette démarche ne vise davantage à rationaliser et compartimenter le travail qu’à améliorer sa qualité, allant jusqu’à chronométrer les entretiens éducatifs.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Concernant les normes, nous nous intéressons spécifiquement au nombre de professionnels dans les foyers, notamment les pouponnières, pour améliorer la qualité de l’encadrement. Il ne s’agit pas du nombre de jeunes suivis par éducateur, qui peut varier considérablement. Notre focus porte sur les normes d’encadrement dans les foyers publics et associatifs.

M. Éric Florindi (Solidaires). Au sujet du taux d’encadrement et de la comparaison internationale, j’ai récemment rencontré M. Taquet et son conseiller. En Allemagne, le taux d’encadrement des mineurs non accompagnés est quatre fois supérieur à celui des jeunes Allemands, actant l’importance d’un accompagnement renforcé pour leur intégration. En France, nous constatons des situations alarmantes avec parfois un encadrant pour quarante à soixante-dix mineurs non accompagnés et un éducateur pour quinze à vingt enfants dans les services départementaux. Ces conditions ne permettent pas un accompagnement adéquat. Le taux d’encadrement minimum devrait être discuté avec les représentants du personnel, en tenant compte des spécificités de chaque établissement. Je rappelle également l’accord du 4 juin sur l’attribution du Ségur aux personnels administratifs et techniques, sauf dans la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale, qui nécessitent encore un décret d’application. Enfin, l’État s’est engagé à verser 600 millions d’euros, ce qui met en difficulté les établissements et les conseils départementaux.

M. Denis Fégné (Socialistes et apparentés). Je souhaite aborder deux points. Premièrement, l’impact du syndicalisme dans le travail social. Nous constatons des difficultés liées à la structuration interne des syndicats, certains défendant le secteur privé avec les conventions de 1966 et de 1951, et d’autres la fonction publique territoriale. Cette division complique la défense efficace des acquis, de la promotion, des rémunérations et des statuts des éducateurs et des assistants sociaux. De plus, nous observons une baisse de la représentation syndicale et du nombre de personnels syndiqués au sein des institutions.

Deuxièmement, concernant les normes, il est important de souligner l’évolution des conditions de travail. Il y a quarante ans, un éducateur en action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou en action éducative à domicile (AED) pouvait suivre cinquante enfants, contre vingt-cinq aujourd’hui, mais la nature du travail a considérablement changé. Il est crucial de définir des normes basées sur de bonnes pratiques, en tenant compte du temps de travail réel et des différentes tâches effectuées dans le cadre d’un temps plein.

M. Michel Poulet (CGT-FO). La question de la présence syndicale en France est mal posée. Notre système syndical, basé sur la liberté d’adhésion, diffère d’autres pays où l’adhésion conditionne certains droits. Cette spécificité n’affecte pas l’influence réelle des syndicats auprès des salariés. En tant qu’organisation confédérée, nous maintenons des liens et des discussions internes, tout en défendant les intérêts des salariés dans divers secteurs. L’uniformisation des statuts entre le non-lucratif associatif et la fonction publique est un sujet complexe qui mérite réflexion. Notre mandat provient des salariés, pas des bénéficiaires indirects de nos actions.

Mme Esther Tonna (CGT). Nous sommes également une organisation confédérée, avec des liens et des documents travaillés en commun. Cependant, le débat sur le syndicalisme ne fera pas avancer la situation de la protection de l’enfance.

M. Benjamin Vitel (CFDT). La différence de statut reflète la question du pilotage de la protection de l’enfance. Notre syndicat se porte bien, avec une augmentation de 5 % d’adhésions et de nouvelles implantations en un an et demi.

Nous sommes favorables à des normes d’effectifs globaux, associées à des critères de qualification. Concernant les bonnes pratiques, le cadre actuel manque de force normative. Il faudrait un encadrement plus strict définissant le travail avec les enfants dans la protection de l’enfance. Dans certains secteurs, l’absence de cadre de référence conduit à une confusion des rôles. Il est nécessaire de redéfinir les contours de l’accompagnement et du métier.

Mme Ayda Hadizadeh (Socialistes et apparentés). Je souhaiterais des précisions sur les tâches administratives supplémentaires qui vous ont été attribuées au fil des années. Elles permettraient de montrer que la crise d’attractivité de votre métier ne se résume pas à la question salariale. Par ailleurs, quelle est votre réaction à l’affirmation de l’ancien ministre de l’enfance, Adrien Taquet, selon laquelle le système « sauve 350 000 enfants » ? Enfin, je constate une inversion des valeurs dans notre société, où ceux qui s’occupent des personnes sont moins considérés que ceux qui s’occupent de l’argent. Je vous remercie pour votre engagement, sachant la difficulté de faire grève dans vos métiers compte tenu de la vulnérabilité des enfants dont vous avez la charge.

M. Olivier Treneul (SUD). Les tâches administratives alourdissent considérablement notre travail, transformant les travailleurs sociaux en gestionnaires de dispositifs. Cela affecte tous les secteurs, y compris la prévention et la protection de l’enfance. Dans les départements, la polyvalence de secteur, assurée par les assistantes sociales de quartier, est particulièrement touchée. Leur rôle est d’accueillir les familles et de les accompagner vers l’émancipation tout en contribuant à la prévention dans la chaîne globale de protection de l’enfance. Il est crucial de souligner que la protection de l’enfance ne se limite pas à l’ASE et au manque de places. Nous faisons face à une pénurie de moyens sciemment organisée par les politiques étatiques et départementales, avec une vision budgétaire à court terme. Cet état de fait crée des situations dramatiques, à l’image de ce garçon de quatre ans à Valenciennes qui a connu douze lieux de placement en six mois, engendrant des troubles attribués à tort à l’enfant. Au-delà de ces cas visibles, il existe une partie invisible de la crise qu’il faut absolument mettre en lumière.

La prévention est un aspect essentiel, notamment à travers la prévention spécialisée et le travail de la protection maternelle infantile (PMI). Malheureusement, les assistantes sociales submergées par la gestion de dispositifs sont obligées de réduire leur capacité à faire de la prévention. Les permanences de secteur diminuent, tout comme les consultations de PMI. Cela se traduit par une dégradation des situations, aboutissant souvent à des placements ou à une augmentation des informations préoccupantes.

Si nous pouvions nous recentrer sur notre travail clinique, pour lequel nous sommes formés, en nous libérant de la gestion administrative excessive, nous serions plus efficaces. Le cœur de notre métier n’a pas changé, pas plus que les enfants que nous accompagnons. Ce qui a changé, c’est l’environnement de travail qui rend notre mission quasi impossible.

La formation a également évolué, se concentrant davantage sur la gestion de dispositifs au détriment des compétences en relation d’aide et en travail clinique. De plus, la formation continue est insuffisante dans les conseils départementaux, faute de budget.

Mme Marianne Maximi (LFI). Je voudrais également souligner l’importance d’inclure la PJJ dans nos discussions sur la protection de l’enfance, notamment au vu du texte de loi prévu pour lundi à l’Assemblée nationale qui pourrait affecter l’ordonnance de 1945.

Ma question à chaque organisation est la suivante : quelles mesures immédiates et à long terme jugez-vous qu’il est essentiel pour nous, législateurs, d’inclure dans notre rapport et dans une éventuelle loi ?

Mme Esther Tonna (CGT). La prévention est un thème crucial en protection de l’enfance. Une fois qu’un enfant est signalé en danger, les moyens manquent cruellement. Bien que des budgets soient alloués à la parentalité, dès que des difficultés surviennent, les parents sont redirigés vers la protection de l’enfance qui manque de ressources pour assurer un suivi adéquat. Le temps est un facteur essentiel et, malheureusement, il est souvent synonyme d’argent dans ce contexte.

Concernant le taux d’encadrement, auparavant, la réflexion se faisait en équipe. Avec suffisamment de personnel, il était possible de s’adapter au nombre d’enfants présents. Aujourd’hui, le manque de personnel nous oblige à envisager des taux d’encadrement fixes, même en établissement.

Mme Jacqueline Fiorentino (CFDT). Il est important de souligner que, malgré les difficultés, il y a de petites victoires dans la protection de l’enfance. Bien qu’elles soient minimes, elles méritent d’être valorisées car les professionnels s’efforcent d’être au plus près des enfants et de leur réalité.

La prévention doit être renforcée à tous les niveaux. Nous manquons non seulement de travailleurs sociaux, mais aussi de psychologues et de psychiatres. Cette absence de transversalité est due à un manque général de professionnels dans le secteur.

M. Jili Biet (CGT). La séparation entre le civil et le pénal dans la protection judiciaire de la jeunesse a été douloureuse pour tous les professionnels du secteur de l’enfance. Les jeunes passent souvent d’un service à l’autre et peuvent parfois commettre des actes de délinquance. La prévention est cruciale dès le début de la prise en charge, car elle permet d’éviter des passages à l’acte coûteux pour la société.

Concernant les lois à venir sur la responsabilisation pénale des parents, il faut aussi questionner la défaillance de l’État dans la prise en charge des plus vulnérables, qui peuvent aussi commettre des actes de délinquance sans que l’État ne soit sanctionné.

M. Michel Poulet (CGT-FO). Les enfants d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement pires que ceux de l’époque de l’ordonnance de 1945. Il est urgent de passer d’une politique de l’offre à une politique du besoin en finançant des classes, des structures, la prévention spécialisée, et en augmentant les salaires pour faciliter le recrutement. Il faut revenir aux principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945 et ne jamais laisser les considérations financières primer sur les principes qui fondent notre république sociale.

M. Olivier Treneul (SUD). Nos métiers du soin souffrent des mêmes maux que l’hôpital public. La pérennisation des budgets est un problème majeur. Nous ne pouvons plus fonctionner par offre de service ou appels à projets. La continuité du service public nécessite un plan d’investissement pluriannuel massif. Dans le Nord, le budget de prévention a baissé de 6 millions d’euros entre 2022 et 2024, affectant tous les dispositifs prévus par la loi. Un exemple concret illustre les conséquences : une assistante sociale a travaillé avec un jeune couple sans domicile fixe, avec des problèmes d’addiction et une grossesse. Malgré son travail pour établir la confiance et préparer un accueil provisoire à la naissance, la mesure n’a pas pu être mise en place faute de moyens. L’enfant a finalement été placé après sa naissance, probablement dans plusieurs lieux successifs. Un plan d’investissement pluriannuel avec un engagement de l’État et des départements ainsi qu’un contrôle de l’utilisation des fonds publics est nécessaire.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Au sujet des sanctions disciplinaires évoquées pour le personnel signalant des manquements, quelles mesures proposeriez-vous pour l’éviter ? Envisageriez-vous une cellule de recueil de dénonciations anonymes ? Quel est votre point de vue sur les placements à domicile ? Devraient-ils être supprimés ? Concernant l’enfant ayant subi douze déplacements, que pourrait faire le législateur pour éviter de telles situations ? Faudrait-il obtenir l’accord ou au moins l’avis de l’enfant ? Je comprends que le manque de places génère ces problèmes, mais cela ne peut plus être toléré.

Mme Elen Jeanneteau (SUD). Concernant les sanctions disciplinaires, il n’est pas nécessaire de créer des cellules de recueil anonyme. L’anonymat n’est pas souhaitable dans ce domaine qui requiert l’implication de tous. Notre propos visait à souligner le déni de certains employeurs face à la réalité du terrain. Par exemple, dans notre collectivité en Ille-et-Vilaine, lorsque nous avons dénoncé la création d’un poste de chef de service au détriment d’un travailleur social pour l’accueil des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance, il nous a été répondu que le problème n’existait pas. Pourtant, ce jour-là, neuf enfants étaient sans lieu d’accueil dans notre département. Cette situation est d’autant plus insupportable que nos employeurs refusent de nous écouter et ont pour seule réponse le disciplinaire, invoquant le devoir de réserve et exigeant le silence. Cette attitude rend nos collègues malades et les pousse à partir.

M. Olivier Treneul (SUD). La situation des lieux d’accueil est critique. Dans le Nord, entre 2015 et 2018, le département a supprimé 700 places d’accueil. Entre 2020 et 2021, il y a eu une augmentation de 1 000 placements due aux confinements et aux violences intrafamiliales. Sur les 12 000 enfants placés dans le département, seules 350 places ont été recréées depuis 2018. Nous sommes dans une gestion de pénurie insoutenable. Il est nécessaire d’avoir un réinvestissement pluriannuel de moyens de l’État et du département, avec un contrôle et une transparence des budgets. Nous avons dû nous battre pour découvrir que 6 millions d’euros avaient été supprimés sur la prévention.

M. Éric Florindi (Solidaires). Concernant le placement à domicile, la Cour de cassation a statué qu’il n’est pas possible. De nombreux dispositifs similaires existent pourtant sur le terrain, remettant parfois en cause les décisions des juges des enfants. Certains départements mettent en place des listes d’attente, laissant les enfants à domicile avec une surveillance minimale. Il est important de rappeler que l’enfance en danger inclut aussi les violences psychologiques. Les départements ont souvent une vision à court terme, alors qu’un plan d’envergure est nécessaire pour financer le dispositif. Les enfants d’aujourd’hui sont l’avenir de la société de demain, comme on le disait en 1945.

Mme Marie Mesmeur (LFI). J’aimerais avoir votre avis sur les difficultés d’évolution des travailleurs sociaux en fonction hospitalière et sur la baisse des concours ouverts aux conseillers territoriaux socio-éducatifs, ainsi que sur le recrutement plutôt administratif dans les directions enfants et familles. Concernant l’enquête de la Défenseuse des droits sur dix départements, avez-vous auditionné en vue de savoir comment se passe le dialogue avec les départements ?

Je suis d’accord avec Madame Jeanneteau sur l’incohérence entre les défaillances constatées dans la protection de l’enfance et le vote d’un budget d’austérité pour les collectivités territoriales. Comment voyez-vous l’évolution de votre champ d’intervention dans les prochaines années compte tenu de ces contraintes budgétaires ? Je comprends vos préoccupations, ayant moi-même accompagné un enfant de quatre ans qui a connu vingt et un placements en un an.

Mme Pascale Guiniec (CGT). Il est vrai que nous sauvons peut-être plus de 350 000 enfants, comme l’a mentionné M. Taquet. Heureusement, certaines choses fonctionnent, mais elles sont souvent invisibles. Notre présence aujourd’hui et notre volonté de nous faire entendre sont motivées par notre incapacité à atteindre nos objectifs, notamment en raison des délais de mise en place des mesures de suivi en milieu ouvert. Non seulement l’état actuel de la protection de l’enfance et de l’aide sociale à l’enfance nous inquiète pour l’avenir, mais également la manière dont certains cherchent à s’en enrichir. Nous voyons des banques et des fonds immobiliers tenter de s’immiscer dans le secteur sous prétexte de besoins en structures. Des associations et des fondations reçoivent des fonds de mécènes, ce que je qualifierais de « socialwashing », permettant une forme de défiscalisation. De plus, la réforme SERAFIN-PH, prévue pour le secteur de la protection de l’enfance, séquencera et budgétisera les accompagnements, ce qui risque de réduire encore les budgets alloués. Pour l’avenir de la protection de l’enfance, il est crucial de garantir la prévention, d’autant plus que les moyens sont insuffisants et que nous risquons de voir arriver des acteurs peu scrupuleux dans notre secteur.

Mme Elen Jeanneteau (SUD). Au sujet de l’encadrement dans la fonction publique territoriale, nous constatons une diminution des concours organisés et une augmentation des contrats précaires, souvent des CDD de trois ans maximum. Les agents ne restent généralement pas trois ans et, s’ils mettent fin à leur contrat, ils sont considérés comme démissionnaires, perdant ainsi leurs droits au chômage. Nous manquons de candidats titulaires, en partie à cause du manque de concours. L’encadrement est de plus en plus assuré par des personnes issues de filières administratives plutôt que sociales, ce qui pose problème en termes de connaissance spécifique du domaine. Les perspectives d’évolution salariale pour les travailleurs sociaux sont très limitées, les poussant vers la filière administrative.

En tant qu’organisation syndicale, nous rencontrons des difficultés pour discuter des réalités du terrain avec nos employeurs. La réponse est toujours la même : les présidents de départements affirment augmenter chaque année la part du budget consacrée à l’action sociale et à la protection de l’enfance. Cependant, une analyse détaillée révèle que ces augmentations sont souvent liées aux dispositions du Ségur et du Laforcade mais ne répondent pas nécessairement à nos questions concrètes.

En Ille-et-Vilaine, par exemple, les restrictions budgétaires ont des conséquences directes comme l’arrêt des prises en charge chez les pédopsychiatres et orthophonistes ou la suppression des familles d’accueil relais. Ces décisions sont prises uniquement sur des critères financiers, en contradiction avec le code de l’action sociale et des familles qui stipule que l’intérêt supérieur de l’enfant doit guider toutes les décisions.

M. Olivier Treneul (SUD). Les assistantes familiales relèvent de notre champ mais dépendent à la fois du code du travail et du code de l’action sociale et des familles. Leur statut est extrêmement précaire et elles ont commencé que récemment à être payées au SMIC, situation hallucinante. Quant aux 350 000 enfants prétendument sauvés, nous ne sommes ni curés ni pasteurs, nous ne sauvons personne. Notre ambition est simplement d’essayer de protéger ces enfants. À cette fin, il faut que nos missions soient réalisables. Le métier a toujours été difficile, nous le savions en nous y engageant, mais aujourd’hui il est devenu impossible.

Mme la présidente Laure Miller. Je vous invite à nous transmettre par écrit tout ce que vous n’avez pas pu nous dire aujourd’hui. Ces informations seront transmises aux députés membres de la commission d’enquête. Merci beaucoup pour votre présence et pour tous les messages que vous avez fait passer.

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La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, accompagné de Mme Anne-Françoise Courteille, première viceprésidente du conseil départemental, déléguée à la protection de l’enfance et à la prévention, et de Mme Élise Ablain, directrice Enfance et famille.

Mme la présidente Laure Miller. L’Ille-et-Vilaine fait partie des douze départements cités par la Défenseure des droits dans une saisine dont les conclusions sont attendues fin janvier. Selon le syndicat de la magistrature, votre département compterait 397 placements non exécutés, le chiffre le plus élevé de France. Nous vous invitons à vous exprimer sur ce point.

Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire, je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande au préalable de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Chenut, Mme Anne-Françoise Courteille et Mme Élise Ablain prêtent serment.)

M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. Cette audition est une première pour moi en tant que président de département. Je tiens à souligner que nous considérons la protection de l’enfance comme une véritable priorité de notre politique publique.

Dès mon arrivée en 2015, j’ai fait le choix de confier cette délégation à une unique personne. En 2021, nous avons décidé d’en donner la responsabilité à la première vice-présidente, qui préside également la commission de l’égalité des chances. Cette commission traite des questions d’éducation, de culture, de jeunesse, d’éducation populaire et de protection maternelle et infantile, montrant ainsi la transversalité de notre approche.

Nous avons clairement établi que la protection de l’enfance est notre première priorité pour ce mandat. Je tiens ce discours systématiquement, quel que soit le contexte ou l’auditoire. Nous sommes conscients que cette politique est souvent invisibilisée, contrairement à d’autres sujets comme la situation dans les Ehpad ou l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Notre engagement se traduit également par des choix budgétaires significatifs. Depuis 2015, aucune politique publique n’a connu une telle progression en termes de moyens alloués : 73 % d’augmentation entre 2015 et 2024, alors que le nombre d’enfants confiés a augmenté, lui, de 53 %. La protection de l’enfance représente désormais 18 % de notre budget départemental, contre 13 % en 2015.

Nous avons également renforcé nos effectifs. Malgré un contexte de tension budgétaire, un tiers des créations de postes depuis 2017 ont été dédiées au travail social en protection de l’enfance, qui passe de 105 à 160 postes.

Cependant, nous faisons face à des difficultés majeures. Tout d’abord, la situation financière dégradée des départements. Nous avons subi une baisse importante de nos ressources, de 90 millions de recettes de fonctionnement en deux ans, tandis que nos dépenses sociales continuaient d’augmenter. Pour l’année à venir, nous prévoyons au maximum 10 millions de recettes supplémentaires pour 40 millions de dépenses additionnelles, dont 35 millions pour les dépenses sociales.

Cette situation nous oblige à des arbitrages difficiles, y compris sur des compétences que je préfère ne pas qualifier de « facultatives », comme la culture ou le sport, qui ont pourtant leur importance dans l’accompagnement en protection de l’enfance.

L’Ille-et-Vilaine n’a jamais été considérée comme un département en difficulté dans les grilles d’intervention de soutien. Nous terminons l’année avec une épargne nette d’environ 0,5 million d’euros sur un budget de 1,1 milliard. Plus de trente-cinq départements seront en situation d’épargne nette négative.

J’attire l’attention des députés sur l’importance des arbitrages budgétaires à venir. La proposition initiale de ponctionner 2 % des recettes de fonctionnement des grandes collectivités est inadaptée. Pour notre département, l’enjeu est de 22 millions d’euros. Je souhaite qu’il n’y ait pas de prélèvement sur un échelon déjà en situation dégradée.

Nous avons des obligations légales incontournables envers les ayants droit, comme le versement de l’APA, de la prestation de compensation du handicap (PCH) ou du revenu de solidarité active (RSA). Il est important que la représentation nationale comprenne ces contraintes lors du vote du budget afin de préserver notre capacité d’action publique.

Nous avons démontré notre volonté politique d’agir dans tous les domaines de la protection de l’enfance, y compris pour les mineurs non accompagnés (MNA). Le nombre d’enfants confiés augmente considérablement chaque année. Nous sommes passés de 2 600 enfants placés en 2015 à 4 100 aujourd’hui, auxquels s’ajoutent 3 800 faisant l’objet de mesures éducatives.

Le coût annuel par place est d’environ 82 000 euros en structure d’accueil et autour de 63 000 euros chez un assistant familial. Malgré des augmentations budgétaires de 8 à 10 % par an, nous peinons à suivre cette progression.

Je m’interroge sur les raisons de cette augmentation dans un département qui présente par ailleurs des indicateurs socio-économiques favorables : taux de chômage inférieur de deux points à la moyenne nationale, taux de RSA bas, excellents résultats scolaires et faibles écarts de richesse entre habitants.

Le nombre de mineurs non accompagnés est passé de moins de 300 en 2015 à 894 fin décembre dernier. Face à ces défis, nous avons des difficultés et des situations non traitées. J’ai contesté les chiffres avancés par le Syndicat de la magistrature, qui semblaient inclure des mesures de placement à domicile et des jeunes majeurs.

Nous avons réduit le nombre de mesures de placement non exécutées de 160 à 127. Nous travaillons à optimiser l’occupation des places disponibles et continuons à créer de nouvelles structures d’accueil, notamment pour les mineurs non accompagnés.

En conclusion, malgré les difficultés, nous maintenons notre engagement. Notre priorité immédiate est d’obtenir un budget qui nous permette de poursuivre nos actions, comme nous l’avons fait les années précédentes.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. La question de la recentralisation de la protection de l’enfance fait débat parmi les parlementaires. Certains estiment qu’elle devrait être pilotée par l’État. J’aimerais connaître votre vision sur ce sujet, compte tenu de votre expérience des politiques publiques.

S’agissant des associations habilitées dans votre département, pouvez-vous nous indiquer combien de conventions sont en place, depuis combien de temps ces associations sont implantées sur votre territoire et combien d’enfants accueillent-elles ? Ces informations sont importantes car nous avons observé que certaines associations accueillant des enfants aujourd’hui sont les mêmes qu’il y a cinquante ou soixante-dix ans, avec les mêmes implantations et le même bâti, ce qui souvent n’est plus adapté aux besoins actuels.

Le bâti est en effet une problématique majeure, récemment soulignée par la Banque des territoires. Il impacte directement la vie quotidienne des enfants. Nous savons que le collectif n’est pas adapté à des groupes d’enfants, notamment en termes d’encadrement. L’absence de normes dans ce secteur est un sujet sur lequel nous allons travailler.

J’ai porté une attention particulière aux pouponnières. Nous constatons des situations alarmantes : des nourrissons en grande souffrance à cause du sureffectif, retournant en néonatalogie, et des enfants présentant le syndrome de l’hospitalisme, ce que nous n’avions pas vu en France depuis l’après-guerre selon les pédiatres et pédopsychiatres.

Notre commission d’enquête tente d’observer toutes ces problématiques en vue de faire des préconisations et des propositions, certaines devant être mises en œuvre rapidement, notamment pour les tout-petits.

Concernant le personnel, pouvez-vous nous indiquer combien d’enfants sont suivis par un inspecteur dans vos services ? Cette information est importante car, malgré les lois de 2007, 2016 et 2022 visant à améliorer la protection de l’enfance, de nombreuses dispositions ne sont pas appliquées concrètement sur le terrain, souvent en raison d’un important turnover du personnel.

Enfin, nous constatons des problématiques majeures concernant les enfants relevant du champ du handicap, avec notamment une surmédication inquiétante. Comment travaillez-vous avec les services de l’État – agence régionale de santé, éducation nationale, protection judiciaire de la jeunesse – pour accompagner vos dispositifs et votre personnel face à ces défis ?

La souffrance que nous observons chez ces enfants résulte de dysfonctionnements qui ne sont pas uniquement imputables aux départements, mais à un écosystème actuellement très fragile.

Présidence de Mme Anne-Laure Blin, vice-présidente de la commission

M. Jean-Luc Chenut. Sur la question de la recentralisation, je me considère comme un élu pragmatique. Je ne prône pas une solution particulière, je pense qu’il faut démontrer l’efficacité d’un dispositif par rapport à un autre. Actuellement, certaines responsabilités relèvent de l’État, comme les agences régionales de santé. En Ille-et-Vilaine, selon les ratios nationaux, il manque 1 400 places en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP). C’est une compétence de l’État qui n’est pas pleinement assumée, principalement en raison de problèmes de moyens.

La protection judiciaire de la jeunesse, également compétence étatique, souffre d’un manque criant de moyens, ce qui ne permet pas de répondre à la diversité des situations. En pédopsychiatrie, nous avons actuellement 128 jeunes à problématiques multiples et complexes dans nos dispositifs, faute d’autres solutions d’accueil. Cette situation déstabilise nos structures qui ne sont pas conçues pour ce type de prise en charge. J’ai le souvenir de cas d’enfants ayant connu jusqu’à quatorze affectations différentes.

Je ne pense pas que le retour à un système comme celui des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) soit une solution. Ma préoccupation est que chaque échelon dispose de moyens nécessaires pour exercer pleinement ses responsabilités dans une chaîne de travail collective.

Nos relations avec les services de l’État sont bonnes, constructives et régulières, que ce soit avec l’agence régionale de santé (ARS), la préfecture ou l’Éducation nationale. Par exemple, nous avons une commission qui se réunit toutes les six semaines pour traiter immédiatement les cas de déscolarisation.

Je ne suis pas convaincu qu’une étatisation totale soit la solution. L’idée que l’État serait le garant absolu de l’universalisme et de l’application uniforme des procédures sur tout le territoire est un peu un mythe. Nous constatons des variations dans l’application des règles d’une préfecture à l’autre. Cependant, je suis favorable à ce que l’État soit le garant d’un socle commun pour les politiques publiques.

Concernant les recrutements et les moyens humains, nous avons la chance d’avoir conservé un nombre important d’assistants familiaux. Près de 43 % des enfants sont placés dans ces structures, soit entre 1 600 et 1 700 enfants. Malgré nos efforts de promotion du métier, ce chiffre stagne en raison du vieillissement de la population des assistants familiaux. Nous avons mis en place des mesures de revalorisation, notamment une prime de 300 euros pour l’accueil d’enfants de moins de trois ans.

Pour les modes d’accueil collectifs, nous investissons chaque année 3 à 5 millions d’euros dans la modernisation des structures. Nous travaillons avec des partenaires historiques comme l’Association pour la réalisation d’actions sociales spécialisées (ARASS), l’Association pour l’action sociale et éducative (APASE), la Sauvegarde de l’enfant à l’adulte (SEA), le Goéland et Essor, avec lesquels nous avons des conventions allant de 10 à 20 millions d’euros.

Nous avons également créé une mission d’inspection qualitative avec deux cadres formés à l’École de santé publique. Nous passerons de quatre à dix contrôles par an sur une quarantaine d’établissements.

En termes d’infrastructures, nous avons récemment ouvert à Dol une ancienne auberge de jeunesse transformée en studios pour les jeunes de seize à dix-huit ans. À Saint-Jacques-de-la-Lande, nous mettons en place de l’habitat modulaire transformable.

Enfin, nous envisageons de suivre l’exemple de la Loire-Atlantique en achetant des logements en VEFA – vente en l’état futur d’achèvement – pour accélérer la création de places d’accueil. Cela impliquerait que le département finance la différence entre les prix plafonds du logement social et les prix du marché.

Pour conclure, 33 à 35 % des jeunes placés font l’objet d’une prescription en maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH).

Mme Anne-Françoise Courteille, première vice-présidente du conseil départemental, déléguée à la protection de l’enfance et à la prévention. Je crois que le président a répondu à la question de la décentralisation. J’ajoute simplement que nous n’avons pas été candidats à l’expérimentation de l’organisation conjointe préfet-président du département, considérant que nous avions une organisation partenariale, y compris avec les institutions publiques, qui était suffisamment efficace pour s’engager dans un autre dispositif. Nous sommes attentifs à la question de la protection des enfants à travers ce partenariat, à la fois auprès des acteurs publics et auprès des acteurs associatifs.

Parfois il est dit que les relations sont compliquées avec l’agence régionale de santé mais, au niveau du département d’Ille-et-Vilaine, nous constatons une proximité dans la relation tant au niveau de la direction territoriale qu’à celui de la direction régionale. En Ille-et-Vilaine, il existe, historiquement, un retard en matière de places créées sous la responsabilité de l’État qui s’est accentué avec l’évolution démographique. Certaines situations se révèlent insoutenables, avec des enfants qui peuvent attendre jusqu’à cinq ans une orientation en IME quand d’autres, qui ne relèvent pas au départ de la protection de l’enfance, peuvent connaître des dégradations, des tensions au niveau familial, provoquer des déséquilibres tels que les parents y ont finalement recours. Il existe aussi ceux qui, n’ayant pas de réponse sur le plan médico-social, font appel, via l’autorité judiciaire, à l’intervention de l’aide sociale à l’enfance (ASE) en vue d’avoir une première réponse.

Nous avons aujourd’hui vingt-quatre organismes gestionnaires dont vingt et une associations, un organisme public qui est le centre départemental de l’enfance et deux autres statuts, pour un petit peu plus de 2 000 places et trente-huit établissements. Cette question de l’aide sociale et de son évolution depuis cinquante ans m’intéresse beaucoup. Quand je suis arrivée à mes responsabilités en 2021, à la faveur du nouveau mandat, je me suis attachée à faire évoluer les acteurs autour de la protection de l’enfance, sans s’en tenir stricto sensu aux partenaires historiques, mais en l’ouvrant notamment au champ de l’éducation populaire et de l’animation, en vue de recueillir une réponse graduée et adaptée à la problématique des enfants – parce qu’il s’agit bien, d’abord et avant tout, de l’intérêt supérieur des enfants. Vient, tout de suite derrière, la question des familles, des parents qui, dans le discours, sont présents, mais, dans les faits, restent difficiles à associer, notamment lors de défaut de prise en charge. Nous avons travaillé dans le cadre d’appels à projets avec de nouveaux opérateurs, qui n’étaient pas auparavant présents dans le département d’Ille-et-Vilaine.

Pour autant, il ne faut pas non plus négliger les grands acteurs de la protection de l’enfance, qui ont une connaissance et une expertise intéressantes également. La Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) a sollicité un rendez-vous avec le président pour échanger et nous faire des propositions. Nous allons rapidement les rencontrer, tant par envie que par besoin car cette expertise nous intéresse.

L’équilibre consiste donc à s’appuyer sur l’expertise d’acteurs historiques tout en ouvrant les questions autour de la prévention et la protection de l’enfance à de nouveaux champs, voire de nouvelles modalités de prise en charge, en lien avec l’évolution de la société.

Concernant la prise en charge, vous avez évoqué les bâtiments, l’organisation, les grandes structures. Dans les projets d’investissement que nous accompagnons, y compris pour des acteurs classiques de la protection de l’enfance, un effort est fait sur les petites structures, souvent des unités de six ou huit, le collectif pouvant se révéler très compliqué à vivre pour des enfants aux prises avec des histoires complexes et douloureuses. Une évolution se fait donc également chez nos partenaires eux-mêmes. Ces nouvelles modalités d’accueil en plus petites unités permettent aux référents éducatifs de développer leur attachement envers les enfants confiés, la qualité de relation restant essentielle.

Votre question au sujet des plus petits et de leur compatibilité avec la vie en collectif est pertinente. Pour ce qui concerne l’Ille-et-Vilaine, il existe donc une pouponnière gérée par le centre départemental de l’enfance à Chantepie, offrant aujourd’hui vingt places Ces moyens sont certes insuffisants pour répondre à la demande, néanmoins l’accueil à la pouponnière doit être ponctuel, souvent d’urgence. Chantepie dispose de moyens supérieurs à la moyenne avec un ratio de 1,6, soit bien au-dessus du décret qui devrait opter pour 1,33. Le plateau technique permet d’évaluer la situation de très jeunes enfants arrivant parfois dans des conditions dégradées. La durée moyenne d’accueil est de quatre mois. Le centre de l’enfance a pour rôle l’accueil d’urgence, l’évaluation et la réorientation adaptée, voire le retour en famille si cela est possible.

En Ille-et-Vilaine, nous respectons strictement la capacité d’accueil de vingt enfants, établie par une commission de sécurité. Au-delà, le relais est pris par les assistants familiaux. Nous avons revalorisé leur rémunération de 180 euros brut par mois pour l’accueil d’enfants de zéro à trois ans. Ces assistants bénéficient d’une formation complémentaire, notamment sur la théorie de l’attachement et les besoins fondamentaux de l’enfant. Notre politique combine l’accueil en pouponnière et chez les assistants familiaux. Sur les 1 600 accueils chez ces derniers, une grande majorité concerne des enfants de zéro à six ans, ce type d’accueil étant privilégié.

Concernant l’évolution des statuts des enfants, je préside la commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC) en Ille-et-Vilaine, qui se réunit une dizaine de fois par an. Nous observons une meilleure utilisation par les professionnels de cet outil, compris comme une aide à la décision et non une sanction. Nous veillons à agir rapidement dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Je souhaite appeler l’attention des parlementaires sur une injustice : les enfants confiés devenant pupilles de l’État perdent certains droits aux prestations familiales, comme l’allocation de rentrée scolaire.

Concernant nos relations avec les partenaires publics, notamment la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la suppression de 500 postes l’été dernier nous a inquiétés. De plus, selon un document du Syndicat de la magistrature, l’Ille-et-Vilaine figure parmi les dix départements les moins bien pourvus en termes de moyens pour les juges des enfants, ce qui peut entraîner des retards dans les prises de décision.

La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance nous a permis de mettre en place des dispositifs spécifiques pour les jeunes à problématiques multiples, mais cela reste complexe. Nous manquons encore de places avec double financement ARS-département pour tous les enfants concernés.

Enfin, nous sommes satisfaits de compter près de 800 assistants familiaux. Cependant, nous constatons une baisse du nombre de places disponibles. Nous lançons une nouvelle campagne de recrutement et étudions la possibilité de cumul entre activité professionnelle et accueil familial, notamment pour l’accueil en relais. Cela permettrait de garantir le droit au répit des assistants familiaux, essentiel pour maintenir des places de qualité.

Mme Katiana Levavasseur (RN). La semaine dernière, la commission a auditionné une mère dont la fille mineure a été victime de prostitution. Elle a indiqué que les foyers pouvaient devenir des viviers à prostitution. Disposez-vous d’outils pour suivre ce fléau et comment le département collabore-t-il avec les forces de l’ordre et la justice ?

M. Jean-Luc Chenut. Nous avons effectivement mis en place différents partenariats. Nous travaillons notamment avec le parquet et avec le Nid, une association de prévention spécialisée à Rennes, avec laquelle nous avons une convention ancienne sur cette problématique. Bien que des cas se soient produits, notre travail de repérage rapide et de mobilisation de la chaîne de l’action publique nous permet de limiter ces situations. Nous avons établi des relations très régulières dans le cadre de nos différentes politiques de prévention.

Mme Marie Mesmeur (LFI). J’ai été sollicitée par une responsable de service en protection de l’enfance à Rennes qui m’alerte sur la situation préoccupante du secteur. Elle mentionne que le département 35 doit réaliser une cinquantaine de millions d’euros d’économie, ce qui impacte fortement la protection de l’enfance. La prévention disparaît au profit de places d’urgence et les associations doivent présenter des propositions au détriment des enfants et des familles.

Monsieur Chenut, vous avez évoqué un budget qui laisse craindre le pire, avec 5 milliards d’austérité supplémentaires pour les collectivités territoriales. Quel avenir envisagez-vous pour la protection de l’enfance dans ce contexte d’austérité ?

Par ailleurs, lors d’une récente audition, des syndicats de l’action sociale nous ont alertés sur une baisse drastique des financements en matière de prévention, évoquant une réduction de 6 millions d’euros et l’absence de législation contraignante dans ce domaine.

Ce département est particulièrement touché par le narcotrafic, impliquant de plus en plus de jeunes de douze à quatorze ans, avec les conséquences que cela implique en termes de criminalité organisée, de violence extrême, de prostitution et de dépendance aux drogues. Quelle est votre position sur l’importance des politiques de prévention et la nécessité d’avoir des éducateurs de rue ? Quels sont les obstacles que vous rencontrez dans la mise en œuvre de cette mission ?

Enfin, nous avons appris que votre département fait l’objet d’une enquête de la Défenseure des droits. Pouvez-vous nous en dire plus sur les raisons de cette enquête et ses éventuelles conclusions ?

Pour terminer, plusieurs de vos homologues présidents de département ont décidé de cesser l’accompagnement, pourtant obligatoire, des mineurs non accompagnés, invoquant des raisons budgétaires, voire racistes. Quel est votre avis sur ce désengagement ?

M. Jean-Luc Chenut. Concernant la situation en Ille-et-Vilaine, j’ai récemment organisé une réunion avec plus de 800 partenaires associatifs et acteurs du secteur. J’ai effectivement annoncé des mesures difficiles liées à notre équation budgétaire : environ 10 millions de recettes supplémentaires pour 40 millions de dépenses certaines en plus, sans épargne disponible.

Cependant, j’ai garanti qu’il n’y aurait aucune régression dans nos dispositifs d’accueil. Tous les dispositifs existants seront pérennisés. Pour l’accueil à Saint-Jacques, par exemple, nous ouvrirons de nouvelles places en 2025, représentant un budget de fonctionnement de 900 000 euros. Globalement, le budget de la protection de l’enfance progressera encore entre 5 et 6 millions d’euros l’année prochaine, malgré le contexte de restrictions.

Il est vrai que certains domaines d’accompagnement, notamment en prévention, connaîtront des baisses. Mais les fondamentaux, en particulier les places d’accueil, seront maintenus. Nous n’allons fermer aucune place en Ehpad, en foyer de vie ou en foyer d’hébergement.

Nous travaillons également à optimiser les moyens existants, par exemple en visant des taux d’occupation proches de 100 % pour réduire les délais d’attente. Bien que la progression du budget soit moindre que ce que nous aurions souhaité sans les contraintes actuelles, je réfute l’idée d’une baisse drastique.

La saisine de la Défenseure des droits fait suite à une crise managériale dans un centre départemental d’action sociale (CDAS) durant l’été 2023. Nous avons connu une cascade d’arrêts de travail, y compris au niveau hiérarchique. Un droit de retrait pour péril grave et imminent avait été demandé, que nous avions refusé car les violences évoquées n’avaient pas été constatées sur le site.

J’ai récemment rendu visite à plusieurs équipes de nos centres départementaux dans un contexte d’actualité difficile, notamment à Maurepas. Je salue l’engagement des professionnels qui continuent leurs visites à domicile malgré les risques. J’ai rappelé l’importance du soutien hiérarchique et politique, soulignant que les décisions de ne pas effectuer une visite obligatoire doivent être prises collectivement.

Concernant la saisine de la Défenseure des droits, je suis en train de préparer une réponse argumentée. Je réfute certaines affirmations, notamment celle concernant la déscolarisation d’enfants due à leur présence prolongée dans des CDAS. J’ai demandé des preuves concrètes, qui ne m’ont pas encore été fournies. Je souligne l’importance d’objectiver les faits plutôt que de se baser sur des ouï-dire.

Nous faisons face à des situations de tension, particulièrement dans certains espaces sociaux rennais à la Plaine de Baud, à Maurepas, à Kennedy, secteur Villejean, où le narcotrafic a atteint des niveaux de violence sans précédent. Malgré ces difficultés, nous maintenons notre présence pour ne pas abandonner les habitants.

Concernant les mineurs non accompagnés, notre processus d’évaluation est rigoureux, impliquant une équipe pluridisciplinaire sur une durée moyenne d’une semaine. L’an dernier, nous avons réalisé 908 évaluations, avec un taux de reconnaissance de minorité d’environ 20 %. La difficulté majeure réside dans la mise à l’abri pendant la période d’évaluation, surtout lors de pics d’arrivées comme en août 2023.

Je réfute catégoriquement l’accusation de « préférence étrangère ». Nous appliquons simplement la loi qui nous confie la responsabilité des mineurs isolés. Je plaide pour un meilleur accompagnement financier de l’État dans ce domaine.

Enfin, je tiens à souligner que toutes nos décisions concernant l’ouverture de sites pour MNA n’ont été soutenues que par la majorité, et nous assumons pleinement cette responsabilité, même dans un contexte difficile.

Mme Ayda Hadizadeh (Socialistes et apparentés). Vous aviez 400 mesures de placement non exécutées et vous en êtes maintenant à 127, est-ce exact ?

M. Jean-Luc Chenut. Je précise que sur les 400 mesures initiales, vingt à vingt-cinq concernaient des jeunes majeurs ne relevant plus des décisions de placement. Environ 180 étaient des mesures de placement à domicile qui, selon les récentes jurisprudences de la Cour de cassation, ne sont pas équivalentes à un placement ordinaire. Nous avions donc environ 170 mesures de placement effectif hors domicile non exécutées, et aujourd’hui nous en sommes à 127.

Mme Ayda Hadizadeh (Socialistes et apparentés). Disposez-vous d’indicateurs de suivi au sein de votre département ? Quels autres types d’indicateurs avez-vous mis en place, notamment concernant les sorties de l’aide sociale à l’enfance ? Quelle est votre politique en matière de contrats jeune majeur ? Pensez-vous qu’une approche différente soit possible ? Je tiens à souligner que contractualiser avec des enfants sans parents me semble être une aberration, tant sur le plan humain que sur le plan économique.

Par ailleurs, quels moyens affectez-vous à la prévention ? Ces budgets sont-ils en augmentation ? Avez-vous mis l’accent sur la prévention, sachant que les représentants syndicaux des travailleurs sociaux ont unanimement souligné l’importance de renforcer les moyens dans ce domaine ?

Quels moyens votre département accorde-t-il à la formation initiale ou continue, étant donné la crise d’attractivité que connaît ce secteur ?

Pouvez-vous estimer le montant supplémentaire dont vous auriez besoin de la part de l’État pour assurer un fonctionnement correct de vos services ?

Pour conclure, j’aimerais avoir votre avis sur la sous-consommation de crédits au niveau de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), à hauteur de 50 millions d’euros. Comment expliquez-vous cette situation paradoxale où des crédits ne sont pas utilisés alors que des besoins existent ?

M. Jean-Luc Chenut. Dans notre département, le contrat d’accompagnement jeune majeur est automatiquement proposé, de droit et sans condition. Sur 4 100 jeunes placés, 20 % sont des jeunes majeurs, ce taux atteignant près de 50 % pour les mineurs non accompagnés. Nous travaillons en collaboration avec l’Éducation nationale pour favoriser l’insertion professionnelle, notamment dans les secteurs en tension comme le bâtiment, l’hôtellerie et la restauration.

Concernant nos priorités budgétaires, nous devons d’abord assurer la prise en charge des mesures de placement et l’accompagnement à domicile. Nous avons développé l’accompagnement éducatif à domicile familial et global, qui concerne près de 600 jeunes. Notre budget devrait atteindre 220 millions d’euros en 2025, contre 135 millions en 2015. Bien que nous soyons convaincus de l’importance de la prévention, nos moyens actuels ne nous permettent pas de tout faire.

Chaque année depuis 2020, nous avons consacré entre 15 et 20 millions d’euros supplémentaires à cette politique publique, mais cela reste insuffisant. Nous estimons qu’une dizaine de millions d’euros supplémentaires par an nous permettraient de mieux gérer la progression entre les sorties et les entrées.

Nous travaillons actuellement sur la question des sorties, notamment pour les jeunes majeurs restés en structure. Nous avons identifié soixante-dix situations de ce type et cherchons à les accompagner vers plus d’autonomie, par exemple en les orientant vers des résidences habitat jeunes.

Mme Ayda Hadizadeh (Socialistes et apparentés). Pourriez-vous clarifier votre réponse concernant les besoins financiers ? Si j’ai bien compris, vous avez augmenté le budget de 15 à 20 millions d’euros chaque année depuis trois ou quatre ans. Auriez-vous eu besoin de 30 à 40 millions de plus annuellement pour être opérationnel ?

M. Jean-Luc Chenut. Cette estimation mérite d’être affinée mais, d’après notre expérience, nous pensons qu’une dizaine de millions d’euros supplémentaires seraient nécessaires pour résorber les 120 à 130 mesures non exécutées actuellement.

Mme Christine Le Nabour (Ensemble). Je souhaite aborder plusieurs points concernant le département d’Ille-et-Vilaine. Tout d’abord, l’affaire Karine Jambu a mis en lumière des problèmes dans la prise en charge des signalements, qui, de mémoire, étaient au nombre de quatorze, dont un au technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF). Avez-vous mis en place des actions pour améliorer ce processus, y compris au niveau des TISF ?

Quelles mesures avez-vous prises pour les auteurs mineurs ?

Comment prenez-vous en compte le placement des fratries ?

Vous avez mentionné un partenariat avec l’Éducation nationale pour le suivi des décrocheurs. En tant que présidente d’une mission locale, je constate des difficultés à obtenir ce suivi. Comment expliquez-vous cette différence ?

Enfin, il est crucial de poursuivre notre coopération pour éviter les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance. Nous sommes prêts à collaborer pour améliorer la prise en charge de ces jeunes à leur majorité.

M. Jean-Luc Chenut. Concernant l’affaire Jambu, qui remonte à 2008-2010, seul l’État a été condamné. Depuis, nos procédures de signalement ont été considérablement structurées. Nous avons mis en place une ligne hiérarchique impliquant le responsable enfance-famille, celui du CDAS, la direction de l’enfance, remontant jusqu’à la vice-présidente et moi-même si nécessaire.

Nous avons également renforcé nos relations avec le parquet. En cas de situation critique, je n’hésite pas à contacter personnellement le procureur, ce qui n’était pas le cas à l’époque.

Concernant les sorties du dispositif, nous veillons à l’absence de sortie sèche. Pour le suivi des décrocheurs avec l’Éducation nationale, bien que le système ne soit pas parfait, nous organisons des réunions toutes les six semaines. L’Éducation nationale reste notre principal pourvoyeur d’informations préoccupantes. Il est important de noter que leur nombre est passé de 2 000 en 2018 à 2 800 en 2023, soit environ 250 par mois. Malgré ce flux important, nous parvenons à analyser la majorité des dossiers dans un délai de trois mois.

Mme Christine Le Nabour (Ensemble). Avez-vous envisagé la mise en place d’astreintes le week-end, comme certains départements en ont fait le choix ? Êtes-vous en mesure d’assurer de telles astreintes, sachant que des situations préoccupantes surviennent souvent en dehors des heures de bureau ?

M. Jean-Luc Chenut. J’ai récemment discuté de l’optimisation de notre système de remontée d’informations avec le procureur. Notre force réside à la fois dans notre structure décentralisée, avec vingt-deux CDAS et autant de personnes habilitées à remonter les informations préoccupantes, et centralisée avec, par exemple, la récente mise en place d’un numéro unique. La question des astreintes le week-end n’est pas encore résolue, mais nous y travaillons.

Mme Anne-Françoise Courteille. En réalité, des astreintes existent déjà. Nous avons une convention avec le centre départemental de l’enfance (CDE) qui prend le relais lorsque les centres départementaux d’action sociale sont fermés. Ce système couvre toutes les questions relatives à la protection de l’enfance, que ce soit pour les assistants familiaux ou pour les situations d’urgence signalées par la justice ou les forces de l’ordre. Ce dispositif fonctionne de 17 h 30 jusqu’à l’ouverture des CDAS le matin suivant, assurant une couverture continue.

Les élus peuvent contacter directement les autorités. Je reçois personnellement des appels, parfois via les forces de l’ordre, pour les interventions d’urgence en dehors des heures de bureau. Ce dispositif est bien établi et connu.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je souhaite aborder la question des signalements dans le cadre de la protection de l’enfance. En Seine-et-Marne, nous avons connu le tragique cas du petit Bastien, décédé après avoir été mis dans une machine à laver, malgré neuf signalements et trois informations préoccupantes. La veille de son décès, un message crucial n’a pas été intercepté à temps. Cette affaire soulève des questions sur l’efficacité du système actuel.

Je propose d’étendre aux enfants en danger le dispositif d’ordonnance de protection utilisé pour les femmes victimes de violences. Cela permettrait à certains professionnels, aux parents ou aux grands-parents de saisir directement un juge, qui statuerait dans un délai de six jours. Cette approche pourrait accélérer la mise à l’abri des enfants en danger, évitant les délais liés aux procédures actuelles qui peuvent avoir des conséquences fatales. J’espère que notre commission débouchera sur un projet de loi allant dans ce sens.

Mme Anne-Françoise Courteille. Il existe déjà des dispositifs pour l’accueil en urgence permettant des décisions dans les soixante-douze heures, notamment via le centre départemental de l’enfance. Le défi réside dans le repérage et la réactivité face aux informations reçues. Nous avons mis en place un guide pratique de l’enfant en danger pour améliorer ce repérage. Chaque citoyen a la responsabilité de signaler les situations potentiellement dangereuses, bien que cela puisse être complexe. Nous travaillons constamment à l’amélioration des circuits d’information pour les situations les plus graves. La loi Taquet a introduit l’obligation de faire un retour sur les signalements effectués par les élus, permettant de vérifier la prise en compte et le traitement des situations de danger ou de risque de danger.

M. Jean-Luc Chenut. Notre département se distingue par la présence de huit intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, financés à parts égales par les trois entités. Ce dispositif a permis d’orienter efficacement vers les services sociaux appropriés des situations identifiées sur le terrain par les forces de l’ordre, qui manquaient parfois de ressources pour une prise en charge adéquate.

Mme Anne-Laure Blin, présidente. L’objectif de notre commission d’enquête est d’analyser le fonctionnement de l’aide sociale à l’enfance. Les statistiques actuelles sont alarmantes : 70 % des enfants quittent l’ASE sans diplôme, beaucoup ne sont pas scolarisés jusqu’à seize ans, et un quart des dix-huit-vingt-cinq ans se retrouvent sans domicile fixe. Au-delà des contraintes budgétaires, il faut identifier les processus défaillants dans cette politique de protection de l’enfance. J’aimerais connaître vos chiffres concernant l’exécution des mesures judiciaires prescrites par le juge, notamment le taux d’exécution et la rapidité de mise en œuvre.

Concernant l’équilibre entre la protection des familles et celle des enfants, quelle est votre approche pour impliquer les parents, notamment à travers le projet pour l’enfant (PPE) ? Ce PPE est-il systématiquement mis en place pour tous les enfants dans votre département ? Si non, quelles en sont les raisons ? Enfin, quels sont, selon vous, les dispositifs complexes ou inefficaces qui entravent actuellement l’efficacité de la protection de l’enfance ? Notre objectif est d’identifier ces obstacles afin d’améliorer le système avec les ressources disponibles.

M. Jean-Luc Chenut. La question budgétaire est cruciale pour la protection de l’enfance. Avec 150 à 200 jeunes supplémentaires chaque année, un budget constant est insuffisant. En cinq ans, nous avons augmenté le coût par jeune de 13 % pour améliorer la qualité de la prise en charge, notamment par une meilleure rémunération et une revalorisation des carrières. Nous cherchons un équilibre entre le sens du travail social et l’efficacité, ce qui n’est pas toujours simple face aux revendications syndicales. La collaboration entre les différents acteurs – Éducation nationale, procureur, parquet – est essentielle, bien que parfois complexe en raison de notre rôle de chef de file sans autorité hiérarchique. Nous nous interrogeons sur les raisons de l’augmentation significative du nombre d’enfants confiés dans notre territoire, malgré des indicateurs plutôt favorables. Nous cherchons à comprendre ce phénomène en collaborant avec des institutions comme le Campus des solidarités dans le but d’obtenir une analyse sociologique et psychologique de la situation.

Mme Anne-Françoise Courteille. Nous avons fait des progrès significatifs en matière de projets pour l’enfant et la famille (PPEF). De 300 contrats en 2020, nous sommes passés à près de 2 898 en mars 2024. Malgré les difficultés initiales liées au temps nécessaire pour leur élaboration, nous avons persévéré car il s’agit d’un droit pour l’enfant et les familles. Nous avons également travaillé sur la réduction des mesures non exécutées entre mai et décembre 2024. Sans remettre en question les entrées dans le dispositif, nous avons examiné la durée des mesures, notamment de placement, pour fluidifier les parcours. Nous privilégions le placement à domicile (PAD) quand c’est possible, car celui-ci permet de mobiliser plus rapidement les compétences parentales et facilite la fin des mesures de placement.

Au 31 décembre, nous avions 267 mesures non exécutées, contre 383 en mai. Cette réduction est le résultat de notre travail. Nous accordons une attention particulière aux tout-petits, considérés comme plus vulnérables. Pour les placements non exécutés, nos équipes accompagnent les familles chaque semaine. Concernant les jeunes majeurs, nous avons revu notre stratégie en vue d’éviter les sorties sèches. Nous mobilisons davantage le droit commun en collaborant avec les missions locales et les résidences habitat jeunes. Notre objectif est de mieux préparer leur autonomie afin d’éviter que les jeunes ne se retrouvent sans domicile à leur sortie du dispositif.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaite aborder plusieurs points. Premièrement, je voudrais connaître le nombre de mesures ASE-PJJ, ainsi que les triples mesures ASE-PJJ-MDPH, particulièrement concernant les 4 100 enfants en hébergement.

Deuxièmement, j’ai découvert une pratique que je trouve indigne : le transport d’enfants de moins de cinq ans seuls en taxi pour des rendez-vous judiciaires ou des visites médiatisées. Je voudrais savoir si cette pratique existe dans votre département.

Troisièmement, je pense qu’il nous manque un référentiel de qualité socle qui s’imposerait à l’ensemble des prises en charge et d’accompagnement des enfants, tant dans les services publics que dans les associations. Nous avons entendu des témoignages troublants, comme des jeunes majeurs quittant leur foyer avec un sac-poubelle contenant un slip et un T‑shirt. Ces dysfonctionnements graves entachent le travail des professionnels. Une base socle permettrait d’assurer une prise en charge uniforme pour tous les jeunes.

Quatrièmement, mon expérience m’a montré l’inefficacité des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO). Une visite mensuelle ou un appel téléphonique ne suffisent pas. Nous avons expérimenté des AEMO renforcées avec une durée limitée à six mois, renouvelable une fois, et une intervention plus intensive. Je souhaiterais connaître votre expérience et vos propositions sur ce sujet.

Enfin, j’ai constaté un manque criant de données et d’analyses sur la protection de l’enfance en France. Contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas de collaboration étroite avec des équipes de chercheurs pour suivre les familles, rencontrer les jeunes et orienter les politiques publiques. Cela empêche toute prospective efficace. Votre avis sur la remontée des données serait précieux. Je vous remercie par avance pour vos réponses écrites.

Mme Anne-Laure Blin, présidente. Cette audition prend fin, nous vous remercions pour votre disponibilité et nous attendons avec intérêt vos réponses.

 

La séance s’achève à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Anne-Laure Blin, M. Arnaud Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Denis Fégné, Mme Géraldine Grangier, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, Mme Marianne Maximi, Mme Marie Mesmeur, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud