Compte rendu

Commission d’enquête
sur les manquements
des politiques publiques
de protection de l’enfance
 

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique, Mme Claire Tramier, vice-présidente Familles et protection de l’enfance, Mme Cécile Chollet, directrice générale adjointe des territoires, et Mme Bénédicte Jacquey, directrice générale adjointe Solidarité              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Woerth, ancien ministre, ancien président de la commission des finances, député de l’Oise, et M. Simon Bacik, inspecteur général de l’administration              13

– Présences en réunion................................19

 


Mercredi
29 janvier 2025

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 21

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Laure Miller, Présidente de la commission
puis de
Mme Béatrice Roullaud, vice-présidente
puis de
Mme Anne-Laure Blin,
vice-présidente

 


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La séance est ouverte à seize heures.

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique, Mme Claire Tramier, vice-présidente Familles et protection de l’enfance, Mme Cécile Chollet, directrice générale adjointe des territoires, et Mme Bénédicte Jacquey, directrice générale adjointe Solidarité.

Mme la présidente Laure Miller. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous invitons à présenter la situation de la protection de l’enfance dans votre département, y compris les dysfonctionnements que vous avez pu constater. Nous souhaitons également obtenir des éclaircissements sur la saisine de la Défenseure des droits concernant la situation de la protection de l’enfance dans votre département, qu’elle a évoquée lors de son audition du 12 novembre dernier.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Michel Ménard, Mme Claire Tramier, Mme Cécile Chollet et Mme Bénédicte Jacquey prêtent serment.)

M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique. Je vous remercie pour le travail engagé par votre commission et pour l’opportunité qui nous est donnée de nous exprimer sur ce sujet crucial, la protection de l’enfance étant une préoccupation majeure depuis plusieurs années. J’ai fait partie des vingt-quatre présidents de départements qui ont demandé l’organisation d’états généraux en 2023, une demande restée sans réponse. Je suis donc à la fois satisfait de pouvoir contribuer aux travaux de cette commission et en attente des propositions, que j’espère concertées, qui en découleront.

La crise actuelle de la protection de l’enfance est le résultat logique d’une augmentation constante des besoins face à des ressources limitées, qui provoque des phénomènes de saturation, de la même manière que pour l’hôpital public, l’éducation nationale ou l’administration pénitentiaire. Pour y faire face, nous devons développer la prévention en amont, augmenter les capacités d’accueil, renforcer le soutien à domicile et préparer l’autonomie des jeunes majeurs afin de faciliter leur entrée dans le droit commun.

Je me présente devant votre commission en étant lucide sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontés mais en souhaitant également rappeler l’engagement des professionnels, l’engagement politique et budgétaire de la collectivité que je préside ainsi que les actions conduites avec détermination malgré le contexte défavorable.

En Loire-Atlantique, la protection de l’enfance est devenue notre priorité dès 2021 afin de répondre de manière qualitative et quantitative à des besoins en augmentation constante. Nous avons ainsi élaboré un schéma départemental axé sur les deux piliers déterminants que sont la coordination, essentielle pour assurer la stabilité et la cohérence des parcours des enfants confiés, et la prévention, socle de la politique enfance famille. Nous avons décidé de soutenir ce schéma grâce à une augmentation significative du budget, qui est passé de 164 millions d’euros en 2021 à 246 millions d’euros en 2024, soit une hausse de 50 % en trois ans. En incluant la masse salariale, le budget total de la protection de l’enfance atteint aujourd’hui 290 millions d’euros, ce qui représente un euro sur cinq du budget départemental.

Notre stratégie s’articule autour de quatre axes prioritaires. Il s’agit tout d’abord du renforcement de l’offre d’accueil pour les enfants confiés, avec la création de 417 places de maisons d’enfants à caractère social (MECS) entre 2021 et 2024, dépassant largement notre objectif initial de 200 places. Nous avons en outre doublé en trois ans les capacités d’accueil du Centre départemental enfance-famille (CDEF), qui est passé de 89 à 193 places entre 2021 et 2024. Il s’agit ensuite du renforcement de l’offre d’accueil pour les mineurs non accompagnés (MNA), avec des modalités diversifiées en fonction des besoins des jeunes et plus de 1 100 places pour les MNA admis à l’aide sociale à l’enfance (ASE) mobilisées à ce jour. Notre bailleur social Habitat 44 a par ailleurs acheté des logements diffus avec le soutien du département, à hauteur de 29 places déjà ouvertes et 62 places supplémentaires prévues d’ici à fin 2025. Ces axes ont notamment permis de résorber les prises en charge à l’hôtel puisqu’il ne reste plus que sept jeunes MNA qui y sont hébergés contre 200 en 2021. En parallèle, pour répondre à la diminution croissante des places en accueil familial, une campagne volontariste de revalorisation salariale, une campagne de communication et une campagne de recrutement pour les assistants familiaux ont été menées, permettant de doubler le nombre d’embauches en deux ans : 24 en 2022 contre 58 en 2024. Le département a également déployé la mesure éducative personnalisée (MEP) en milieu ouvert, permettant une meilleure adaptation aux besoins de l’enfant. Nous avons financé 700 nouvelles mesures pour réduire les délais de mise en œuvre. La mise en place de la MEP a été concomitante avec ce financement de 700 mesures nouvelles en vue de réduire les délais de mise en œuvre.

Nous avons par ailleurs concentré nos efforts sur la mise en place de solutions adaptées pour les enfants en situation de handicap ou présentant des troubles du comportement. Se sont ainsi développés des micro-MECS permettant d’accueillir des enfants présentant des troubles importants du comportement en tout petit collectif. Ces enfants sont en parallèle pris en charge par des établissements médico-sociaux de proximité, les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) ou les instituts médico-éducatifs (IME), dont les équipes se déplacent sur le lieu de vie des enfants.

S’agissant de la santé de manière globale, la Loire-Atlantique a fait partie des territoires expérimentateurs de « Santé protégée » pour systématiser le bilan de santé des enfants confiés à l’ASE. Nous menons en outre des actions innovantes au quotidien pour tenter de répondre aux évolutions de la protection de l’enfance, à l’image du dispositif expérimental relatif à la prise en charge des mineurs en situation de prostitution ou du dispositif de mise à l’abri des femmes isolées enceintes ou avec enfant de moins de trois ans et à la rue. Ce dernier a permis la mise à l’abri de plus de 400 familles depuis 2018 avec, à ce jour, 251 sorties donc aucune sans solution.

Pourtant, malgré ces actions, malgré les innovations et les recherches de réponse adaptées, nous faisons face à une augmentation des besoins d’accompagnement inédite depuis 2021 : augmentation des MNA de 100 % sur les cinq dernières années, augmentation des informations préoccupantes de plus 20 % par an depuis 2021, augmentation des décisions judiciaires de placement à hauteur de plus 11 % depuis 2021, augmentation de 63 % en dix ans des mesures éducatives ordonnées par le juge. Fin septembre 2024, le département de Loire‑Atlantique devait ainsi prendre en charge plus de 5 000 mesures à domicile, plus de 3 000 placements et plus de 800 contrats jeunes majeurs.

En plus de cette augmentation numérique, nous connaissons une évolution du public accompagné puisque la part des enfants bénéficiant d’une notification MDPH atteint désormais 25 % des enfants confiés et que ce sont désormais 30 à 40 % des enfants accueillis par le centre départemental de l’enfance et de la famille (CDEF) qui sont en situation de handicap. Cette évolution a des conséquences quotidiennes au sein de la protection de l’enfance. Les éducateurs de l’ASE ont vocation à accompagner les enfants sur le plan éducatif mais ces derniers ont également besoin d’infirmiers, de kinésithérapeutes, d’ergothérapeutes, de psychomotriciens et de médecins. L’ASE ne peut effectuer le travail qui incombe au secteur médico-social. Or, actuellement, parmi les 800 enfants en situation de handicap confiés à l’ASE de Loire-Atlantique et disposant d’une orientation de la MDPH vers une structure spécialisée, la moitié ne bénéficie d’aucune prise en charge médico-sociale. Ces carences représentent un coût d’environ 12 millions d’euros par an pour le département et la question de la prise en charge adaptée par l’ensemble des secteurs concernés est un enjeu de taille pour la protection de l’enfance, car celle-ci ne peut pas continuer à répondre aux saturations du secteur médico-social.

Afin d’illustrer mes propos, je vais évoquer la situation d’Andréa, jeune déficiente intellectuelle lourde qu’aucune structure médico-sociale ne souhaite accueillir. Les services de la protection de l’enfance doivent donc s’organiser seuls : prises en charge successives chez des assistants familiaux, recours inévitables à des équipes intérimaires, séjours spécialisés ou encore renforts de professionnels coûteux. Quel sens pour les professionnels et quelle protection pour cette jeune mineure qui relève du secteur spécialisé ? D’avril à novembre 2024, la prise en charge d’Andréa a représenté un coût de plus de 100 000 euros pour le département. Depuis décembre, elle est accueillie au sein d’un dispositif ASE créé spécialement pour elle et bénéficie de la mise en place d’une équipe dédiée auprès d’une association partenaire pour l’accueillir dans des conditions satisfaisantes. Ce dispositif spécifique revient chaque mois à plus de 40 000 euros pour sa seule prise en charge.

Le rôle de la protection de l’enfance n’est pas non plus de compenser l’insuffisance des structures de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les départements assument des prises en charge d’enfants en lieu et place du médico-social mais également de la PJJ, ce qui participe fortement à la saturation de notre service de protection de l’enfance.

Aussi, si nous continuons de porter haut et fort la priorité donnée à la protection de l’enfance dans notre département, nous sommes également conscients de ne pas pouvoir répondre seuls à la crise du système. Une de nos attentes est de faire entrer le soin dans la protection de l’enfance et notamment dans les établissements. Il est nécessaire que des moyens conjoints soient mis en place pour composer des équipes pluridisciplinaires dans des lieux de vie adaptés car les enfants de la protection de l’enfance ont, davantage que les autres, besoin d’un suivi médico-social renforcé. Pour cela, il faut rendre possibles, à travers la loi, des établissements à double autorisation agence régionale de santé (ARS) et département, ce qui permettrait un double financement dans les champs de leurs compétences respectives.

À cela s’ajoute, depuis deux ans, une situation financière inédite pour les départements. L’augmentation du budget de la protection de l’enfance est effectuée au détriment d’autres politiques publiques qui connaissent, pour certaines, des baisses de plus de 20 %. Malgré cette hausse, nous savons que nous ne disposons pas des capacités financières suffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins du secteur. Les professionnels mobilisés au quotidien ont besoin d’un soutien et d’une reconnaissance de leur expertise, de leur engagement et de leurs compétences. Je tiens d’ailleurs à remercier vivement les équipes de terrain en lien en quotidien avec les enfants, les équipes supports indispensables, la direction de l’ASE pour son pilotage et notre viceprésidente Claire Tramier pour sa détermination à offrir à tous les enfants des solutions adaptées. Grâce à chacun de ces professionnels, 90 % des mesures de placement sont exécutées. Les 10 % restants représentent des placements en attente d’exécution, dont plus de 50 % trouveront une solution dans les trois mois et 68 % dans les six mois. Dans l’attente, les enfants bénéficient d’un accompagnement destiné à pallier le manque de places disponibles.

La question centrale est donc la suivante : quels moyens budgétaires la société française souhaite-t-elle confier aux départements pour assurer la protection de tous les enfants en danger et, plus largement, les politiques de solidarité ? Les départements sont aujourd’hui confrontés à la baisse inéluctable des recettes et à la hausse concomitante et continue des allocations individuelles de solidarité et à la dégradation de leur taux de couverture par l’État. Afin de pouvoir répondre pleinement aux besoins, ils doivent bénéficier de moyens à hauteur de leurs compétences. Le respect de la Convention internationale des droits de l’enfant passe par une remise à plat du mode de financement des politiques sociales décentralisées, avec des ressources pérennes non liées au marché d’immobilier et une juste compensation des allocations individuelles de solidarité. Concrètement, l’engagement budgétaire en fonctionnement devrait croître d’environ 30 millions d’euros par an, ce qui correspond au montant des recettes que l’État nous demande de lui reverser afin de combler son propre déficit budgétaire. Le département pourrait pourtant consentir à l’effort budgétaire à condition que l’État compense à 100 % les allocations individuelles de solidarité (AIS). Nous pourrions même aller au-delà et démultiplier la prévention, ce qui correspondrait à 212 millions d’euros de recettes supplémentaires. Au lieu de cela, la part de la compensation de l’État diminue à mesure que les besoins augmentent. De 2012 à 2023, le reste à charge des AIS est ainsi passé de 6 à 12 milliards pour l’ensemble des départements.

Une fois la question financière posée, qu’en est-il de la mise en œuvre ? Comment répondre, dès à présent, aux besoins en constante progression ? Pour sortir de l’impasse et renverser enfin la tendance, je préconise des travaux sur trois sujets en particulier. Je propose tout d’abord de faciliter l’accueil en sphère familiale, notamment grâce à une réglementation assouplie s’agissant des assistants familiaux. Ma deuxième proposition concerne la réglementation relative à la construction et à la mise aux normes de structures d’hébergement pour un public mineur. Malgré notre volonté affichée de création de places, nous sommes confrontés aux difficultés liées à la recherche du foncier, aux marchés publics et aux travaux de mise en conformité. La situation me paraît suffisamment préoccupante pour enclencher un plan d’urgence permettant de construire plus rapidement. Si ces mesures ont été rendues possibles pour la renommée sportive de la France ou pour son patrimoine national, ne peuvent-elles pas l’être pour nos enfants ? Ma troisième proposition est d’attribuer au département le droit de réquisition de logements et de structures d’hébergement pour accueillir les enfants confiés.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Concernant le cumul d’activités pour les assistants familiaux, c’est un sujet que nous abordons depuis longtemps, mais qui n’a pas encore abouti législativement. Je reviendrai sur ce point dans nos préconisations.

L’intitulé de la commission d’enquête parle de « manquements des politiques publiques » car, malgré l’engagement des départements, nous constatons depuis longtemps des dysfonctionnements importants. Il existe également un comité de vigilance composé notamment de jeunes adultes ayant connu des parcours à l’ASE qui nous apportent leur expérience précieuse.

Il est crucial de comprendre que le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte, des administrations ou du politique et que chaque dysfonctionnement impacte directement le parcours de vie d’un enfant. Depuis la loi de 2016, nous reconnaissons l’importance des besoins fondamentaux et du maintien de la sécurité affective des enfants, mais leur mise en œuvre reste un défi.

Je souhaiterais aborder plusieurs points soulevés par les rapports de la Cour des comptes de 2016, 2019 et 2024 afin que vous puissiez nous expliquer concrètement comment ces recommandations se traduisent dans votre département.

Historiquement, la protection de l’enfance est passée de la charité aux associations puis à une professionnalisation progressive. Aujourd’hui, hormis les centres départementaux, ce sont principalement des associations habilitées qui accompagnent les enfants. Pouvez-vous nous donner des chiffres précis pour votre département ? De combien d’associations habilitées disposez-vous ? De combien de lieux de vie ? Quel est le nombre actuel d’assistants familiaux ? Combien d’enfants accueillez-vous au total ? Ces enfants sont-ils tous accueillis sur le territoire de Loire-Atlantique ou certains sont-ils placés dans d’autres départements ?

La dimension historique que j’évoquais a des implications importantes, notamment sur le bâti. Certaines associations utilisent encore des structures datant de plus de soixante-dix ans, qui ne sont plus adaptées aux besoins actuels. Comment gérez-vous cette problématique dans votre département ? Dans le schéma que vous avez présenté, en tenant compte des recommandations de la Cour des comptes, les questions liées au bâti et à la qualité de l’accueil des enfants sont-elles intégrées dans un plan pluriannuel d’investissement ? Ces sujets sont-ils discutés avec les associations dans le cadre du budget qui leur est transféré ? L’objectif de cette commission d’enquête est de répondre à des questions nationales mais également d’aborder le quotidien et le lieu de vie de l’enfant, où des changements profonds sont nécessaires. Nous devons résoudre les problèmes parfois anciens liés au bâti et améliorer les conditions de contrôle qui sont parfois insuffisantes.

Concernant la Loire-Atlantique, un programme pour les dix-huit-vingt-cinq ans avait été mis en place, que beaucoup de départements voulaient reproduire. Nous étions plusieurs à soutenir l’accompagnement des jeunes du plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte. Trois vice-présidentes, membres du Conseil national de la protection de l’enfance, étaient particulièrement mobilisées sur la question de l’accompagnement de l’autonomie, une pratique courante dans d’autres pays mais encore complexe à aborder en France. Votre département a été pionnier dans ce domaine. Bien que l’innovation soit toujours scrutée, un retour en arrière serait pire. J’ai entendu parler de mouvements en Loire-Atlantique concernant des annonces de retour sur l’accompagnement vers l’autonomie jusqu’à environ vingt-cinq ans, un droit pourtant considéré aujourd’hui comme acquis. Pouvez-vous m’en dire plus sur la situation actuelle ? Cela semble évidemment inacceptable dans un parcours de vie déjà complexe.

Concernant le secteur médico-social, vous avez évoqué le soin et la santé des enfants de manière pluridisciplinaire. Connaissez-vous le nombre d’enfants en attente d’une place en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) dans votre département ? Les ratios d’attente étant généralement très élevés, combien d’enfants sont en attente d’une place, voire risquent de ne jamais en obtenir si la situation ne change pas ?

Je considère que la priorité absolue doit être donnée aux zéro-six ans, car la prévention et l’accompagnement de ces très jeunes enfants sont essentiels. Il est urgent d’éviter les ruptures de placement et les situations de violence psychologique qui entraînent des conséquences durables sur leur santé. Les travailleurs sociaux ne devraient pas être confrontés à des situations où ils perdent le sens de leur mission à cause de ces ruptures qui compromettent la qualité de la prise en charge. Sauf erreur de ma part, vous disposez de dix-sept places en pouponnière. Est‑ce exact ? Comment fonctionne la prise en charge des enfants de zéro à trois ans ? Utilisez-vous d’autres dispositifs ?

Nous souhaitons réviser le décret de 1974, devenu obsolète en termes de ratio d’encadrement. Au-delà de trois ans, il n’existe aucune norme en protection de l’enfance. Je suis surprise que cette revendication n’ait pas été portée plus tôt. Aujourd’hui, la question du ratio devient une priorité absolue. Bien que le coût budgétaire soit élevé, nous allons le mettre en place et le texte de loi est prêt à être examiné à l’Assemblée nationale. Si cette loi est adoptée, elle permettra plusieurs avancées, notamment une dynamique au niveau des métiers. Nous observons actuellement une perte de sens couplée à des conditions de travail difficiles pour les personnes qui accompagnent les enfants. Ainsi que vous l’avez mentionné, la diversité des profils fait que certains enfants n’ont aucun temps de prise en charge individualisée. C’est un problème majeur pour les enfants, mais aussi pour le sens même du travail des professionnels. Comment abordez-vous tous ces sujets sans vous focaliser immédiatement sur le coût ?

J’ai effectué plusieurs déplacements et lancé une alerte nationale concernant les pouponnières et la situation des enfants. À Nantes, par exemple, nous avons rencontré un problème avec des bébés restés près de trois mois à l’hôpital faute de prise en charge par la protection de l’enfance. Le syndrome de l’hospitalisme refait surface en France, ce qui est inacceptable pour tout responsable politique. C’est un enjeu de santé publique que j’ai signalé au ministre de la santé. Nous ne pouvons pas tolérer que des enfants risquent un handicap à vie à cause de cette situation. Je m’interroge donc sur le fonctionnement de votre système. Comment êtes-vous alertés ? Comment informez-vous un hôpital que vous ne pouvez pas prendre en charge les enfants ? Comment l’hôpital réagit-il face à cette situation ?

Je travaille étroitement avec le Québec depuis plusieurs années et leur approche pourrait nous inspirer. Nous devons changer collectivement de paradigme car nous sommes actuellement maltraitants envers nos professionnels et envers les enfants. La question cruciale est : que faire quand il n’y a pas de place ?

Je souhaite également aborder les chiffres. Lors d’une émission sur France 2 à laquelle je participais le 20 novembre dernier, une magistrate de Loire-Atlantique a évoqué 1 000 mesures en attente. Pouvez-vous préciser ce chiffre ? Quelle est la situation de cette alerte ? Y a-t-il des tout-petits parmi ces cas ? Comme d’autres avant elle, notre commission d’enquête lance une alerte maximum. Bien que les temps de nos politiques publiques ne correspondent pas aux besoins urgents des enfants, nous devons agir collectivement et rapidement.

Présidence de Mme Béatrice Roullaud, vice-présidente

M. Michel Ménard. En 2021, nous avons agi sans nous préoccuper du coût et, pendant deux ans, la question financière ne s’est pas posée. Désormais, nous devons équilibrer notre budget afin d’éviter l’intervention de la chambre régionale des comptes (CRC). Nous avons choisi d’augmenter le budget de la protection de l’enfance au détriment d’autres politiques publiques telles que la culture et le sport, malgré mon attachement à ces domaines.

Concernant nos opérateurs, nous en avons vingt et un, seize lieux de vie et deux établissements publics. Nous disposons de 269 places d’accueil familial, ce qui est nettement moins que dans d’autres départements. C’est pour cela que nous avons mis en place un dispositif de revalorisation financière de ces métiers. Les résultats commencent à apparaître mais c’est un travail de longue haleine, d’autant plus que beaucoup d’assistants familiaux ont cinquante‑cinq ans ou plus et partiront bientôt à la retraite.

Concernant les enfants de zéro à six ans, nous avons significativement augmenté le nombre de places en pouponnière. Depuis 2021, nous avons ainsi créé deux nouvelles pouponnières en plus de celles déjà existantes au CDEF à Nantes, qui gère ces pouponnières sur trois secteurs différents.

Concernant les dix-huit-vingt-cinq ans, j’assume, à regret, le recul. Face à la tension actuelle et aux difficultés pour accueillir tous les enfants qui nous sont confiés, nous avons dû prioriser les mineurs. Nous avons unanimement décidé, à regret mais avec pragmatisme, de nous aligner sur la loi Taquet qui prévoit un contrat jeune majeur de dix-huit à vingt et un ans. Cependant, il n’y a pas de sortie sèche et nous accompagnons encore trente-cinq jeunes entre vingt et un et vingt-cinq ans parce qu’ils ont des besoins multiples ou sont en situation de handicap. Nous avons en outre mis en place le revenu jeune pour les dix-huit-vingt-cinq ans, dont 40 % des bénéficiaires sont issus de la protection de l’enfance. Plus de 1 000 jeunes ont bénéficié de ce revenu qui peut aller jusqu’à un peu plus de 500 euros et permet aux jeunes de prendre leur autonomie, avec l’assurance d’un logement. Nous travaillons avec Habitat Jeunes, les foyers de jeunes travailleurs et les bailleurs sociaux. Pour les jeunes qui ne sont plus sous contrat mais que nous continuons à accompagner, nous mettons l’accent sur le soutien affectif et le maintien d’un adulte référent. Bien que le contrat jeune majeur ne soit plus opposable entre vingt et un et vingt-cinq ans, nous continuons donc à accompagner ces jeunes selon leurs besoins. Cependant, nous devons aussi libérer des places pour accueillir de nouveaux jeunes qui nous sont confiés.

Mme Claire Tramier, vice-présidente Familles et protection de l’enfance. Nous avons travaillé dès le début du mandat sur la taille des groupes, les réduisant à environ huit à dix enfants, particulièrement pour les plus petits. La direction du patrimoine immobilier du département recherche activement des lieux adaptés, ce qui a permis la création de 400 nouvelles places. Nous accompagnons également les structures associatives dans l’acquisition et l’aménagement de biens immobiliers destinés à accueillir les enfants. À Châteaubriant, nous allons par exemple ouvrir un village d’enfants dans un lotissement où nous avons acquis et adapté des maisons pour accueillir des groupes d’enfants. Le département investit dans ces biens et les met à disposition des associations. Nous collaborons étroitement avec toutes les associations habilitées du département et je rencontre d’ailleurs leurs présidents trois à quatre fois par an pour évoquer ces sujets. Ce travail collectif nous permet d’améliorer la prise en charge des enfants et d’optimiser l’occupation des places disponibles.

Concernant le médico-social, environ 1 500 enfants en Loire-Atlantique attendent une place, dont 400 pour l’ASE. Sur les 800 enfants confiés ayant une notification MDPH, environ la moitié n’a pas de prise en charge et 30 % sont en attente depuis plus de trois ans.

Quant aux 1 000 mesures en attente mentionnées, il s’agit principalement des mesures d’accompagnement à domicile – action éducative en milieu ouvert (AEMO) et action éducative à domicile (AED). Nous avons réorganisé ces mesures en 2023 et 2024 et fait face à des difficultés de recrutement. Nous avons mis en place un plan d’action d’urgence pour diminuer la liste d’attente, augmentant légèrement le ratio d’accompagnement par travailleur social et le soutien. En 2025, nous créerons 300 mesures supplémentaires qui s’ajouteront aux 700 qui ont été créées depuis le début du mandat. La liste d’attente est toutefois suivie et priorisée en cas d’urgence, tout comme la coordination des partenaires.

Pour les placements non exécutés, nous en comptions un peu plus de 300 à fin septembre 2024. Environ 40 % sont des ruptures de placements dues à des difficultés comportementales ou de prise en charge. Nous travaillons, notamment à travers le schéma départemental enfance-famille, à améliorer les parcours individuels des enfants pour éviter de commettre des maltraitances et prévenir ces ruptures.

Concernant les bébés à l’hôpital, nous avons créé rapidement des places en pouponnière dès 2021 pour résoudre cette situation. Six bébés sont actuellement en attente de prise en charge au CHU de Nantes. Nous avons mis en place des dispositifs d’accompagnement, avec des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) qui accompagnent ces bébés et leur assurent une présence maternante. Des assistantes familiales salariées du département, disponibles en journée, viennent également au centre hospitalier pour s’occuper des bébés en attente de placement. Nous travaillons par ailleurs en étroite collaboration avec les unités des CHU de Nantes et de Saint-Nazaire, en contact quasi quotidien avec les équipes de pédiatrie, néonatologie et maternité. Notre objectif est de prendre en charge ces enfants le plus rapidement possible pour minimiser leur temps de séjour à l’hôpital. Les enfants de zéro à trois ans sont donc accueillis en pouponnière, en accueil familial ou chez des tiers dignes de confiance.

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je vous remercie pour votre présentation et ai pris note de vos difficultés, notamment financières. J’ai deux questions principales. Premièrement, avez-vous des interlocuteurs auprès desquels vous pouvez émettre vos alertes ? Recevez-vous des retours ? Vous sentez-vous abandonnés par l’institution ? Deuxièmement, concernant vos besoins financiers, pouvez-vous communiquer une estimation globale des moyens nécessaires à l’ASE pour son fonctionnement actuel ? À combien estimeriez-vous les besoins pour mettre en place une protection des enfants digne de ce nom, en imaginant également une PJJ et un secteur médico-social fonctionnels ? Cette information serait précieuse par rapport au budget que nous votons à l’Assemblée nationale.

M. Michel Ménard. Comme je l’ai indiqué dans mon introduction, nous estimons le besoin à 30 millions supplémentaires pour 2025 afin de prendre en charge de manière satisfaisante tous les enfants qui nous sont confiés. La question n’est cependant pas uniquement financière car, même avec ces fonds, il faudrait trouver les structures et embaucher le personnel nécessaire. Avec des moyens supplémentaires, nous pourrions engager des dépenses utiles qui produiraient des effets à moyen ou long terme. La création d’une MECS, par exemple, prend cinq ans. Nous pourrions toutefois trouver des solutions plus rapides, telles que la réquisition de logements ou les structures adaptées à la protection de l’enfance, suivies du recrutement des personnels. L’enjeu principal est que chaque acteur assume ses responsabilités. Si le secteur médico-social, à travers les IME et les ITEP, prenait en charge les enfants relevant de sa compétence, cela faciliterait grandement notre tâche. De même pour les enfants qui devraient être suivis par la PJJ et que nous devons prendre en charge faute de moyens de leur côté.

Mme Claire Tramier. Pour compléter les propos du président sur la question des alertes, nous avons mis en place un protocole de remontée des événements graves et indésirables avec les établissements. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les directeurs généraux des associations et des MECS pour établir ces protocoles et former le personnel à la gestion de ces événements. Au sein de la direction Enfance famille, nous disposons également d’une mission de contrôle composée d’agents dédiés à l’inspection des établissements. Nous avons un programme de contrôle régulier annuel et nous effectuons des contrôles supplémentaires dès que nous sommes informés d’un événement grave ou d’un dysfonctionnement. Ces contrôles sont menés en coordination avec la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et certains sont réalisés conjointement. Nous sommes généralement alertés par les professionnels, parfois par les enfants eux-mêmes, ou par la justice qui peut nous signaler des situations anormales dans les structures d’accueil.

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Estimez-vous que l’accompagnement de l’État est suffisant ? Que pensez-vous de l’absence d’un ministère de l’enfance et d’une coordination dédiée ?

M. Michel Ménard. Lorsque j’ai rencontré la ministre déléguée à l’enfance il y a environ un an, elle m’a simplement fait savoir qu’elle ne disposait d’aucun budget et m’a demandé si les internats ne pouvaient pas constituer une solution. Cette réponse me semble insatisfaisante. Les internats peuvent certes être bénéfiques pour certains enfants en situation de fragilité familiale, leur permettant de passer la semaine dans un cadre structuré, mais il ne s’agit que d’une réponse parmi d’autres qui n’est pas à la hauteur de nos attentes envers l’État. Ce que nous attendons, c’est que chaque institution assume pleinement ses responsabilités. Si nous n’avions plus à nous occuper des enfants relevant de la PJJ ou du secteur médico-social, cela simplifierait considérablement la tâche des départements et de nos opérateurs. Nos professionnels sont parfois dépassés car ils ne sont pas formés pour gérer certaines situations qui nécessitent l’intervention de médecins, kinésithérapeutes ou psychothérapeutes. Notre mission première est la protection de l’enfance et non la prise en charge médico-sociale. Les enfants qui devraient résider dans des IME ou des ITEP ne devraient pas se retrouver dans des MECS.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Il est tout d’abord important de noter que tous les travailleurs sociaux, notamment les éducateurs spécialisés, reçoivent la même formation, qu’ils travaillent dans la protection de l’enfance ou dans le secteur médico-social. Un enfant en IME peut aussi avoir besoin de la protection de l’enfance tout comme certains enfants peuvent être en MECS et fréquenter en journée un IME, un ITEP, un hôpital de jour ou même un service de pédopsychiatrie. La différence majeure réside dans le virage vers l’ambulatoire, qui fait que l’hébergement repose aujourd’hui presque exclusivement sur la protection de l’enfance, en raison des politiques d’inclusion. C’est la politique publique et la pratique sur le terrain qui ont évolué et non les besoins des enfants eux-mêmes.

Je souhaite également relayer les préoccupations de ma collègue députée Ségolène Amiot, qui a reçu de nombreux retours concernant la CRIP – cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupante – dans votre département. Il lui a été rapporté que dans 85 % des cas, il faut attendre jusqu’à deux ans avant qu’une situation ne soit évaluée, alors qu’il s’agit souvent de situations d’urgence. De plus, à Nantes, Saint-Nazaire et Châteaubriant, il faudrait attendre jusqu’à neuf mois pour qu’un travailleur social soit disponible. Pouvez-vous confirmer ces délais et en expliquer les raisons ?

Concernant les mesures éducatives personnalisées, vous avez mentionné être passé de vingt et un à vingt-trois mineurs par travailleur social. Il semblerait qu’il soit question d’augmenter ce nombre à vingt-cinq à partir du mois de mars 2024. Pouvez-vous confirmer cette information ? Alors même que votre budget a été revalorisé à hauteur de 21 millions d’euros, avez-vous constaté des améliorations dans les actions de protection de l’enfance ?

Je m’interroge ensuite sur la souffrance signalée par de nombreux personnels – coordinateurs, éducateurs spécialisés, assistantes sociales – avec un fort turnover et une importante instabilité des équipes impactant les enfants. Qu’en est-il du recours à l’intérim ? Si vous y avez recours, dans quelle proportion ? Vous assurez-vous que les personnes recrutées aient un socle de formation suffisant pour travailler auprès d’enfants vulnérables ?

Concernant les contrôles des structures d’accueil, la CRC des Pays de la Loire a relevé des inégalités dans votre département. Certaines structures sont examinées tous les neuf ans, d’autres plus fréquemment, alors que les signalements augmentent fortement. La liste noire des familles d’accueil s’est également alourdie pour des problèmes de violence. Depuis ce rapport, avez-vous revu vos procédures de contrôle ? Comment procédez-vous, compte tenu de la complexité de votre double rôle de financeur et contrôleur ?

Des manquements ont par ailleurs été signalés dans le suivi médical des mineurs, notamment pour la visite médicale initiale obligatoire. Comment gérez-vous la surcharge des établissements médicaux-sociaux et de pédopsychiatrie ? Cette visite initiale est-elle effective dans votre département malgré les pénuries ?

Concernant enfin la coordination avec la justice, comment organisez-vous les concertations ? La justice est-elle bien intégrée dans votre réseau partenarial ? Comment sont gérés les 300 placements non exécutés et la nécessité de mise à l’abri des MNA dans un contexte de saturation des dispositifs ?

Mme Claire Tramier. Concernant la CRIP et les informations préoccupantes, il est inexact que le délai soit de deux ans, bien que nous constations une augmentation de 20 % par an depuis 2020, avec 6 500 situations en 2023. Notre processus de traitement est le suivant : une première évaluation est réalisée par les travailleurs sociaux de la CRIP, les situations de danger immédiat sont transmises directement au parquet et certaines IP sont classées sans suite après analyse. Les autres sont envoyées aux délégations territoriales pour évaluation par les équipes dédiées du département. Le délai moyen d’évaluation des IP, une fois transmises aux délégations, est de 130 jours. Nous priorisons cependant les situations les plus sensibles et critiques pour une évaluation rapide.

Mme Béatrice Roullaud, présidente. Je souhaite approfondir la question des CRIP. Dans mon département, nous avons connu le cas tragique d’un enfant qui avait fait l’objet de neuf signalements et trois informations préoccupantes et qui est décédé à la suite de maltraitances pourtant connues. Pouvez-vous préciser le fonctionnement de la CRIP ? Si j’ai bien compris, les travailleurs sociaux reçoivent les informations et les transmettent aux procureurs. Ensuite, quel est le processus exact ?

Mme Claire Tramier. La CRIP de Loire-Atlantique compte onze agents : sept avec un profil de travailleur social et quatre avec des profils administratifs. Dans les territoires, environ cinquante professionnels effectuent les évaluations à domicile. La CRIP joue un rôle de filtre. Toutes les informations préoccupantes sont examinées quotidiennement. En cas de danger immédiat, elles sont transmises au parquet qui décide des suites à donner – ordonnance de placement provisoire (OPP), enquête. Certaines sont classées sans suite, les autres sont transmises aux délégations territoriales pour une évaluation par les équipes spécialisées, qui peuvent se rendre à domicile puis effectuer ensuite des préconisations. Sur les 6 500 IP reçues en 2023 par la CRIP, 4 000 ont fait l’objet d’une demande d’évaluation par les équipes spécialisées, 880 ont été classées sans suite et 700 concernaient des situations déjà sous mesure de protection de l’enfance. Parmi les 4 000 IP transmises pour évaluation, près de 2 000 concernaient des situations déjà connues des services du département.

Concernant le ratio de situations par travailleur social, nous n’avons jamais envisagé de passer à vingt-cinq. Nous nous sommes engagés à maintenir le ratio à vingt-trois jusqu’à la fin du mandat, malgré les difficultés que cela a représenté. Pour répartir l’effort d’absorption de la liste d’attente, nous avons créé 300 mesures supplémentaires en 2025.

Quant au recours à l’intérim, nous n’avons plus qu’une seule situation concernant une jeune personne en situation de handicap accueillie dans un établissement spécialisé près de Poitiers qui ne peut l’accueillir qu’en semaine. Un dispositif spécifique est en cours de mise en place avec un opérateur de Loire-Atlantique pour le premier trimestre 2025, ce qui mettra fin au recours à l’intérim pour ce cas. En Loire-Atlantique et en Pays de la Loire, nous travaillons avec l’agence d’intérim Ettic, initialement créée par des acteurs médico-sociaux. Cette structure permet de garantir les remplacements et de fidéliser le personnel, contrairement à l’intérim lucratif qui est davantage coûteux et dissuasif pour l’embauche.

Concernant la santé des enfants, le département de Loire-Atlantique participe au dispositif « Santé protégée ». En 2024, nous avons réalisé 5 000 bilans pour 4 000 enfants. Nous collaborons avec le CHU et un réseau de plusieurs centaines de professionnels libéraux pour ces bilans et le suivi des enfants protégés.

S’agissant enfin de la coordination avec les juges, nous organisons régulièrement des instances de travail mais nous constatons des difficultés de mobilisation de la justice. À titre d’exemple, lors des comités stratégiques de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE) organisés quatre fois par an, la justice est peu présente.

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). J’ai deux questions supplémentaires pour faire suite à vos explications. Premièrement, des dispositifs privés se développent-ils sur votre territoire avec lesquels vous conventionnez, que ce soit par le foncier ou par des structures répondant à des appels à projets ? Observez-vous ce type de développement qui pourrait répondre à la pénurie de financement public pour la création de places ?

Deuxièmement, concernant les jeunes en double vulnérabilité relevant de plusieurs champs – protection de l’enfance, pédopsychiatrie, secteur médico-social –, avez-vous transformé votre schéma directeur enfance-famille en conséquence ? Réfléchissez-vous à des dispositifs communs avec l’ARS ? Comment se passe le dialogue avec l’ARS sur ces structures ?

Enfin, comment s’organisent les évaluations et les mises à l’abri des MNA dans votre département, alors que les dispositifs sont saturés ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je souhaiterais ajouter une question. Nous avons constaté lors de nos auditions qu’il n’existe pas de base de données complète ni de travail longitudinal sur les enfants pris en charge, leurs parcours et les spécificités territoriales. Avez-vous mené un travail à l’échelle de votre territoire qui pourrait servir de bonne pratique au niveau national ?

Nous manquons en outre de visibilité sur la prospective en termes de places nécessaires. Comment gérez-vous la planification à long terme des places d’accueil ? Disposez-vous de projections pour 2030 par exemple, basées sur des critères géographiques, sociaux ou autres ?

Mme Claire Tramier. Nous n’avons pas recours à des dispositifs privés lucratifs, bien que nous collaborions avec le secteur privé associatif.

Concernant les jeunes à double vulnérabilité, nous proposons à la commission la création d’établissements à double autorisation, département et ARS, afin d’améliorer notre collaboration. Dans notre département, nous expérimentons des micro-MECS. Nous avons ainsi créé seize places réparties en quatre structures de quatre places chacune pour accueillir des enfants à double voire triple vulnérabilité. Ce dispositif bénéficie d’un financement conjoint avec l’ARS, orienté vers des opérateurs du médico-social et la pédopsychiatrie. Les premières structures ont ouvert en août et octobre et les autres ouvriront début 2025. Nous aurons besoin de temps pour évaluer la pertinence de ce dispositif, auquel je crois beaucoup. J’estime que la double autorisation et des structures combinant soins, médico-social et éducatif sont essentielles, car ces enfants en situation de handicap ont également besoin des éducateurs de la protection de l’enfance.

Concernant la remontée des données, le département de Loire-Atlantique participe à l’expérimentation Olinpe. Nous travaillons sur la data afin de mieux comprendre notre public, notamment les 300 enfants en attente de placement, et développons des outils pour obtenir des données précises afin de piloter efficacement notre politique. C’est un travail de longue haleine qui nécessite un changement de culture. Nous avons mené un travail prospectif sur les cinq prochaines années pour identifier les besoins futurs en termes de nombre, de localisation et de profils d’enfants avec l’ODPE qui contribue grandement à cette analyse.

M. Michel Ménard. Cette prospective est en effet essentielle, malgré les incertitudes liées aux fluctuations du nombre d’enfants qui nous seront confiés. Bien que nous regrettions parfois de ne pas pouvoir répondre à tous les besoins, il est essentiel de comprendre que nous faisons face à des contraintes fortes. Ces dernières années, le Gouvernement et le législateur ont imposé de nouvelles obligations, telles que l’interdiction des hôtels et des gîtes ou les contrats obligatoires pour les dix-huit-vingt et un ans. Bien que justifiées, ces mesures nécessitent un accompagnement des départements par l’État.

Nous avons en outre besoin d’un dialogue plus fluide avec les juges, ce qui est parfois compliqué. Pour relever le défi d’une bonne prise en charge, nous devons travailler avec l’ensemble des partenaires. Cela implique d’augmenter le nombre de places en MECS et en pouponnières, de recruter des assistants familiaux, d’accroître les mesures éducatives personnalisées et de poursuivre la fluidification des parcours des jeunes malgré la crise du logement en Loire-Atlantique.

En 2024 et 2025, nous demandons à notre bailleur social Habitat 44 d’acheter en bloc des logements, avec une subvention du département visant à équilibrer l’opération, pour les confier ensuite à des opérateurs de la protection de l’enfance, en l’occurrence l’association Aurore. Ces logements accueilleront des jeunes de seize-dix-huit ans ou en contrat jeune majeur, souvent des MNA, en colocation. Cette solution est plus qualitative que l’hôtel et permet d’apporter une réponse rapide aux besoins. D’ici à fin 2025, nous aurons ainsi créé soixante-deux places supplémentaires dans ces appartements.

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Présidence de Mme Anne-Laure Blin, vice-présidente

La Commission procède à l’audition de M. Éric Woerth, ancien ministre, ancien président de la commission des finances, député de l’Oise, et M. Simon Bacik, inspecteur général de l’administration.

Mme Anne-Laure Blin, présidente. Cette audition fait suite à la publication en juin dernier du rapport « Décentralisation, le temps de la confiance », commandé par le Président de la République. Ce rapport comporte cinquante et une propositions visant à améliorer l’organisation décentralisée des pouvoirs publics. Notre commission s’intéressant particulièrement à la répartition des compétences en matière de protection de l’enfance et à l’articulation entre les différents niveaux d’intervention, nous écouterons avec intérêt votre analyse et vos recommandations sur ces sujets.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Éric Woerth et M. Simon Bacik prêtent serment.)

M. Éric Woerth, ancien ministre, ancien président de la commission des finances, député de l’Oise. Je tiens, en préambule, à rappeler que je ne suis pas un expert de ce sujet. Notre rapport s’inscrit dans une réflexion globale sur les politiques décentralisées et leurs liens avec l’État. Nous avons examiné en détail les grandes politiques, dont la politique sociale des départements, dans l’optique d’améliorer l’efficacité de l’action publique à travers la décentralisation.

Concernant la protection de l’enfance, nous avons constaté des difficultés pour mesurer l’efficacité et l’égalité entre les départements. Le partage et la responsabilité du pouvoir sont des enjeux cruciaux dans ce domaine. C’est pourquoi, contrairement aux autres politiques abordées, nous avons élaboré deux scénarios d’évolution possible pour l’action sociale. Notre rapport se concentre davantage sur des tentatives de solutions que sur des diagnostics. Nous estimons qu’une importante réorganisation est nécessaire, particulièrement dans le domaine de l’enfance, et que le statu quo n’est pas envisageable.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui servent actuellement de base au calcul financier des départements, impactent les actions menées dans le cadre de la décentralisation. Lier la protection de l’enfance aux actes notariés n’est plus un concept viable. Au sein de votre rapport, vous évoquez un plan d’urgence. Est-il possible d’isoler budgétairement la protection de l’enfance des autres problématiques sociales gérées par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ou par le revenu de solidarité active (RSA) ? La protection de l’enfance est particulière en ce qu’elle implique une pluralité d’acteurs, dont l’État qui reste central malgré son désengagement. Pouvez-vous préciser votre vision à ce sujet ? J’ai une préférence pour vos préconisations du plan 1, étant opposée à une recentralisation au vu du passé. Quel est votre avis sur ces points ?

M. Éric Woerth. Nous avons examiné le financement global des collectivités et nous proposons de le réformer en profondeur. Il existe actuellement une défiance entre l’État et les collectivités qui devient préoccupante. Le financement de la protection sociale, qui englobe la politique de l’enfance mais également le RSA et le handicap, représente environ 50 milliards d’euros. Ce financement n’est pas garanti et varie selon les départements, certains étant presque incapables de financer d’autres politiques que celle du social.

La protection de l’enfance se distingue car elle ne se résume pas à une prestation, contrairement au RSA ou aux allocations pour personnes en situation de handicap. Elle implique l’accompagnement d’enfants en difficulté, donc un maintien de liens étroits avec l’État. Quelque 80 % des placements d’enfants sont décidés par des juges, les 20 % restants résultant d’accords avec les familles. Il est difficile de dissocier l’aide sociale à l’enfance (ASE) de la protection maternelle et infantile (PMI) ou de la médecine scolaire. Les interactions avec l’Éducation nationale et le ministère de la justice sont donc importantes, bien que souvent sources de tensions. Par exemple, les juges ordonnent des placements sans nécessairement tenir compte des capacités d’accueil disponibles. Il manque souvent un véritable lieu de concertation, bien que les pratiques puissent varier entre les départements. Cette situation révèle un manque global de cohésion.

Le coût de l’aide sociale à l’enfance s’élevant à environ 9 milliards d’euros, nous devons améliorer son efficacité pour mieux placer et accompagner les enfants. Le phénomène des mineurs non accompagnés (MNA) a profondément perturbé les politiques de l’enfance ces dernières années. De nombreux départements se sont retrouvés face à un afflux de jeunes mineurs issus de l’immigration sans pouvoir y répondre adéquatement. Les présidents des conseils départementaux ont dû financer des places et des encadrements supplémentaires sans disposer des moyens ni du personnel nécessaire.

La politique de l’enfance n’a pas été négligée mais, bien que certains départements la gèrent bien, le manque d’outils d’évaluation rend complexe l’appréciation de son efficacité. Il est crucial de remettre cette question au premier plan.

Le financement de l’enfance est problématique. Les DMTO, versés aux départements pour environ 15 milliards d’euros, ne sont pas destinés à financer des politiques sociales. Leur variabilité ne permet pas de financer une politique qui se doit d’être stable. Il est nécessaire de clarifier cette situation pour le bien des départements et de l’État.

Nous proposons donc deux scénarios d’organisation. Le premier est la recentralisation. L’État est actuellement aveugle sur la politique de l’enfance et aucun ministre ne peut dire combien d’enfants sont aujourd’hui placés en France. Chaque département utilise des logiciels différents, ce qui rend impossible une vision d’ensemble. Nous avons besoin à la fois d’une centralisation des données et d’une clarification des coûts. Il est également indispensable de clarifier les liens avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la PMI, la médecine scolaire, le soin, la santé et l’agence régionale de santé (ARS). La recentralisation prendrait cependant beaucoup de temps et d’énergie car elle nécessiterait le transfert des personnels et des politiques, la reconstruction d’un budget et la reconstitution des compétences au niveau de l’État. Cette solution, complexe mais envisageable, pourrait relever d’une responsabilité fondamentale de l’État qui est celle d’une égalité du traitement de l’enfance en difficulté sur l’ensemble du territoire.

Le deuxième scénario consiste à améliorer l’exercice de cette compétence par les départements tout en opérant des transformations radicales. Nous proposons ainsi la création d’un établissement public, similaire aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). Cet établissement engloberait l’ensemble du secteur social, y compris l’ASE, la MDPH et le RSA, et bénéficierait d’une dotation de solidarité versée par l’État à hauteur d’environ 50 % du coût, soit environ 25 milliards d’euros. Je rappelle qu’aucun financement n’est actuellement spécifiquement fléché sur le social. La présidence du conseil d’administration serait confiée au président du département, avec une majorité également tenue par le département. Le préfet, l’ARS et la justice y siégeraient. Les objectifs seraient fixés d’un commun accord, clarifiant ainsi les responsabilités et le financement, contrairement à la situation actuelle où le président du département est pénalement responsable sans pour autant disposer d’un contrôle total sur les moyens. L’État ne peut toutefois pas se désintéresser de la question car lorsqu’un problème survient dans un centre d’accueil ou un foyer, les journalistes interrogent généralement le préfet pour comprendre comment l’État a pu laisser une telle situation se produire. Il est donc crucial de bien définir les responsabilités et le financement dans un cadre juridique approprié. Je vous transmettrai des tableaux de financement détaillés dans lesquels l’aide sociale à l’enfance est pleinement intégrée. La pénurie de pédopsychiatres est également un problème majeur, leur rôle étant essentiel dans ce domaine.

Concernant le financement, outre la dotation de solidarité, nous proposons qu’une part de la contribution sociale généralisée (CSG) finance directement les politiques sociales des départements. Nous prévoyons parallèlement de retirer les DMTO aux départements, de réduire leurs ressources de TVA et la dotation globale de fonctionnement, tout en augmentant significativement la dotation de solidarité et la part de CSG, de contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) et de contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA). L’ensemble atteindrait environ 13 milliards d’euros. Cette proposition est bien sûr discutable, mais elle a le mérite d’exister, tant sur le plan juridique que financier.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Avant de poser ma question, je souhaite m’adresser à Mme la rapporteure. Étant donné que nous approchons de la fin de la commission d’enquête, avez-vous pu, dans le cadre de vos prérogatives, effectuer des contrôles sur pièces et demandé des justificatifs supplémentaires à la suite des auditions ? Les membres de la commission peuvent-ils y avoir accès pour enrichir leur travail ?

Le scénario de recentralisation nous a particulièrement intéressés car il s’accompagne d’un enjeu crucial qui est celui de remettre l’État au centre des dispositifs. J’estime qu’il serait erroné de réduire cela à un simple retour à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Les différences entre l’état de l’actuelle ASE et celui de l’ancienne DDASS ne sont pas si marquées et nous constatons une forte dégradation de ce service public.

J’ai plusieurs questions précises concernant votre rapport. Vous mentionnez le fait que certains départements ne respectent pas les dispositions de la loi Taquet. Pouvez-vous préciser quelles violations vous avez constatées ? Comment expliquez-vous l’incapacité de l’État à faire respecter cette loi par les départements ?

Vous avez indiqué que l’État, garant de l’égalité de traitement sur les territoires, manque de moyens pour assurer ce rôle. Quels sont, selon vous, les moyens qui font défaut ?

Concernant la prise en charge des MNA, certains départements ont annoncé suspendre leur accueil sans que cela ne suscite de réaction de la part du Gouvernement. Comment expliquez-vous que l’État ne réagisse pas face à une telle désobéissance de certains départements, sachant que l’accueil, la mise à l’abri et la prise en charge des MNA font partie intégrante des missions de protection de l’enfance ?

Enfin, de nombreux juges ont affirmé renoncer à ordonner des placements faute de places disponibles, s’interdisant ainsi de prendre les mesures indispensables à la protection les enfants. Il me semble important de souligner que ce n’est pas aux juges de vérifier le nombre de places disponibles mais plutôt aux dispositifs de s’adapter aux besoins de protection des enfants.

M. Éric Woerth. Je ne souhaite pas caricaturer les DDASS, car je n’ai pas suivi de près leur fonctionnement. Nous avons simplement décidé, dans les années 1980, de changer d’approche. L’expression « enfant de la DDASS » est longtemps restée stigmatisante, marquant malheureusement l’identité de nombreux enfants devenus adultes. J’espère que nous avons su mettre fin à cette stigmatisation.

L’idée de recentraliser après avoir décentralisé n’est pas nécessairement la meilleure solution car cela nécessiterait la création de nombreuses administrations, ce qui n’améliorerait pas forcément la qualité du service. Cela présenterait néanmoins l’avantage certain de clarifier les responsabilités. Cette option pourrait permettre aux départements de mieux remplir leurs obligations sur d’autres sujets sans être asphyxiés par cette politique qu’ils ne considèrent généralement pas comme prioritaire. Bien que j’aie rencontré de nombreux présidents de département qui exercent leurs responsabilités avec conscience, je constate souvent un essoufflement, un manque de moyens et des tensions avec les juges qui ordonnent les placements. Nous pourrions donc envisager une recentralisation pour tenir compte du fait que les départements souffrent de l’exercice de cette politique.

Concernant la loi Taquet, je ne suis pas en mesure de préciser où elle n’est pas totalement appliquée car nous n’avons pas établi de cartographie détaillée. Il est toutefois clair que la loi n’est pas totalement appliquée, principalement en raison des coûts et des contraintes organisationnelles supplémentaires qu’elle implique. Des comités de protection de l’enfance sont actuellement expérimentés dans certains départements. Il s’agit d’une initiative positive, qui se rapproche de notre schéma, bien que ce dernier soit plus structuré avec une organisation et des financements définis.

Concernant la justice, certains magistrats, fort heureusement, se préoccupent de l’applicabilité de leurs décisions. Il est toutefois nécessaire d’approfondir le dialogue entre les départements et la justice lors des décisions de placement.

Concernant les MNA, la situation est complexe. Une partie d’entre eux ne sont probablement pas mineurs, ce qui place cette politique à mi-chemin entre plusieurs champs qui vont au-delà de l’accueil et de la protection de l’enfance traditionnels. Les conseils départementaux cherchent des solutions, créent de nouveaux centres et renforcent les équipes d’encadrement mais la collaboration entre l’État et les départements doit effectivement être renforcée sur ce point. Bien que notre approche ne se focalise pas sur des questions spécifiques, nous estimons que la question de l’enfance doit être traitée différemment, avec une vision globale. L’État ne peut se décharger de sa responsabilité et les départements ne peuvent manquer à leurs obligations. Il faut trouver un moyen de concilier les responsabilités de chacun car la situation actuelle n’est pas tenable.

Les moyens de contrôle étant actuellement limités, le schéma de recentralisation mettrait en place des contrôles plus stricts. Il n’existe pas de ministère de l’enfance ni d’inspection générale des services de l’enfance dédiée. Le préfet peut exercer son contrôle régalien uniquement sur des cas particuliers, notamment concernant les enfants hébergés dans des hôtels, souvent dans des environnements problématiques.

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Vous avez évoqué un ministère de l’enfance dans le cadre d’une recentralisation. Pouvez-vous développer votre position sur la nécessité d’un tel ministère ? Je considère comme indispensable le fait que la société reconsidère la place des enfants et le positionnement des adultes par rapport à eux, en particulier pour les plus vulnérables. Quelle est votre opinion sur ce point ?

Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Je souhaite vous entendre sur la prévention, qui fait partie intégrante des missions de protection de l’enfance mais souffre grandement des coupes budgétaires départementales. Le département du Nord vient par exemple de réduire de 3 millions d’euros le budget de la prévention spécialisée. Or la prévention permettrait d’éviter la dégradation de la santé physique et mentale des familles et des enfants. Quelle place aurait-elle dans votre modèle ? Serait-elle enfin contraignante ?

Avez-vous présenté votre modèle, qui semble être la seule piste de réflexion actuelle face à la crise systémique de la protection de l’enfance, aux présidents de département ? Le cas échéant, quels retours avez-vous obtenus, sachant que vous leur retirez également d’autres budgets ?

M. Éric Woerth. Notre rapport préserve la possibilité pour le préfet de constater la carence d’une action publique et d’intervenir, y compris dans un contexte de décentralisation. Nous renforçons même les pouvoirs du préfet dans ce domaine, sans pour autant en faire un outil de recentralisation.

Je ne préconise pas la création d’un ministère de l’enfance car j’estime que l’éducation nationale remplit en partie ce rôle et qu’il existe déjà un ministère de la famille. Ce qui fait défaut, c’est une vision coordonnée et globale sur l’enfance, notamment l’enfance en difficulté, à la fois en prévention et en intervention. La prévention est généralement un accompagnement optionnel pour les départements et, comme pour bien d’autres domaines, nous sommes dans une zone grise. La prévention reste malheureusement un parent pauvre bien que son importance soit reconnue pour éviter des coûts humains et financiers futurs.

Concernant le rapport, je l’ai avant tout présenté au Président de la République, qui en était le commanditaire. J’ai ensuite rencontré à plusieurs reprises les représentants de tous les échelons de collectivités territoriales : départements, régions, intercommunalités et communes de toutes tailles. J’ai également participé au conseil d’administration de l’Assemblée des départements de France où j’ai présenté les principes et options que j’allais soumettre, avec l’idée d’une recentralisation ou d’une clarification du financement de la protection sociale par l’État. Cette suggestion n’a pas été particulièrement bien accueillie, sans pour autant susciter de colère. Par principe, personne ne souhaite renoncer à une compétence, même si les moyens pour l’exercer font défaut.

Il est crucial que l’État mette sur la table les propositions qui existent sur ces questions de décentralisation, en particulier sur ce sujet, et que l’on cesse de faire des diagnostics supplémentaires. On meurt de diagnostics et on meurt d’absence de solutions !. Si l’on se concentrait sur les solutions plutôt que sur le diagnostic, ce ne serait déjà pas mal… Nous pourrions réunir les départements et les représentants de l’État afin de discuter des propositions issues de ce rapport et de celles émanant des départements eux-mêmes, avec l’objectif d’améliorer la situation et de déterminer la direction à prendre.

Le constat sur les dysfonctionnements actuels étant consensuel, tous les acteurs devraient convenir de la nécessité de modifier la structure même de cette politique sociale départementale, notamment en ce qui concerne l’aide sociale à l’enfance.

 

La séance s’achève à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Anne-Laure Blin, M. Arnaud Bonnet, Mme Marianne Maximi, Mme Marie Mesmeur, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago

Excusés. – M. Édouard Bénard, M. Stéphane Viry