Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Clémentine Beauvais, universitaire en sciences de l’éducation à l’Université de York (Royaume-Uni), romancière et essayiste.              2

– Présences en réunion................................10


Jeudi
23 janvier 2025

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 4

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Thomas Cazenave. Nous accueillons aujourd’hui, en visioconférence, Mme Clémentine Beauvais, universitaire en sciences de l’éducation à l’Université de York, essayiste et romancière, notamment à destination du jeune public.

Vous avez publié en septembre 2024 aux éditions Gallimard un manifeste intitulé Pour le droit de vote dès la naissance. Cette proposition originale, voire provocatrice, alimente notre réflexion sur l’acte de vote, ses modalités et les influences extérieures, sujets au cœur des travaux de la commission d’enquête.

Dans un instant, je vous donnerai la parole pour une intervention liminaire, afin de préciser ces différents points et d’évoquer les sujets liés à vos travaux qui pourraient éclairer le travail de la commission. Ensuite, une phase de questions/réponses s’engagera avec les membres de la commission d’enquête.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Mme Clémentine Beauvais prête serment.

Mme Clémentine Beauvais, universitaire en sciences de l’éducation à l’Université de York (Royaume-Uni), romancière et essayiste. Pour commencer, je tiens à préciser que ma proposition du droit de vote dès la naissance, bien qu’elle puisse prêter à sourire, est sérieuse. Cette idée circule depuis longtemps dans les milieux anglo-saxons des childhood studies (études de l’enfance). Je l’ai moi-même découverte par le biais d’un livre de John Wall de l’Université Rutgers, lui-même inspiré par John Holt, un auteur des années 70, et Janusz Korczak avant lui. Tous évoquent le problème que constitue l’exclusion des personnes mineures de la possibilité de choisir leurs représentants. Ce mouvement pour le droit de vote des enfants est global et actif.

J’ai choisi d’écrire ce livre, car j’ai été surprise par l’absence de ce débat en France, particulièrement dans les milieux de la gauche radicale. En effet, à une époque où d’autres formes d’injustices sociales font l’objet de nombreuses discussions, le fait que les enfants restent un point aveugle de la démocratie me perturbait beaucoup.

Le droit de vote dès la naissance correspond à un concept de suffrage véritablement universel, soutenu par des arguments à la fois négatifs et positifs. En négatif, on peut s’interroger sur les raisons de l’exclusion des enfants. En positif, il s’agit d’examiner les bénéfices potentiels pour tous si les enfants étaient inclus dans l’exercice démocratique.

Les arguments négatifs me semblent évidents. Pour pouvoir voter, les adultes doivent uniquement posséder leurs droits civiques et la nationalité française. Aucune compétence n’est exigée : ni test de citoyenneté, ni diplôme ou QI minimal. Or, les enfants sont exclus du processus sur la base d’une idée non formulée selon laquelle ils seraient moins compétents, capables ou raisonnables. Ce point de vue montre que nous avons tendance à nous focaliser sur les aspects où les enfants manquent de compétences par rapport aux adultes. Il existe pourtant tellement de domaines dans lesquels ils surpassent les adultes, comme l’apprentissage des langues, la maîtrise des nouvelles technologies ou la capacité de mémorisation.

En outre, la question de la compétence ne devrait pas être déterminante, car les adultes ont le droit de voter qu’ils soient ou non en état d’ébriété, qu’ils aient ou non lu les programmes des candidats, qu’ils connaissent ou non les implications de l’élection en cours. Il s’agit du principe même de démocratie. Le fait d’inclure 18 % de la population dans la participation au scrutin me paraît une question de justice sociale.

Quant aux arguments positifs, ils comprennent la prise en compte des droits des enfants et la reconnaissance symbolique que cela constituerait pour la jeune piopulation. De plus, cela pourrait corriger le paradoxe selon lequel les personnes qui votent le plus vivront le moins longtemps avec les conséquences de leurs décisions, tandis que celles qui sont privées du droit de vote ou l’exercent très peu, c’est-à-dire les jeunes, subiront effectivement les conséquences de ces décisions.

Par ailleurs, il faut souligner que les droits des enfants englobent des sujets autres que l’éducation ou la famille. Le sujet de la fin de vie, par exemple, concerne éminemment les enfants, qui constateront l’impact de ces décisions sur leurs parents et leurs grands-parents. Les enfants sont des êtres politiques dont la vie est régie par des décisions prises par d’autres. Des questions cruciales concernant les enfants, comme les abus sexuels et les violences envers les mineurs, pourraient être mieux prises en compte si les enfants étaient considérés comme des citoyens à part entière. En outre, le retard pris sur les questions environnementales qui affecteront le futur des enfants provoque des effets de cliquet particulièrement dangereux pour les jeunes. Il ne paraît pas raisonnable de demander aux enfants d’attendre leur majorité pour se prononcer sur ces thèmes.

Enfin, cette mesure permettrait de repenser l’éducation politique. Actuellement, les exercices de démocratie proposés aux enfants (parlements des enfants, élections des délégués, consultations) s’apparentent à des jeux, sans réelle implication dans l’agentivité, c’est-à-dire le fait d’avoir la certitude que nos décisions seront suivies d’effets. Ce sujet concerne également les adultes qui sont régulièrement consultés, mais dont les opinions sont finalement ignorées.

Cette proposition favoriserait la création de liens transversaux entre personnes partageant des identités ou des intérêts communs, indépendamment de l’âge, par exemple, entre adultes et enfants adoptés.

Le fait d’accorder le droit de vote aux enfants permettrait également de réfléchir à des moyens de rendre la politique plus accessible. Dans mon tract, je cite l’exemple de documents en FALC (français facile à lire et à comprendre) disponibles sur le site du Gouvernement. Cette forme de français permet d’expliquer des mots compliqués et de décortiquer des messages politiques complexes. L’utilisation du FALC bénéficierait à tout le monde, y compris aux adultes. Des exemples de vulgarisation et de simplification des messages politiques existent déjà, comme le journal Mon quotidien, le magazine Topo ou la chaîne Hugo Décrypte. Ces médias permettent de mieux appréhender certaines questions de géopolitique. L’inclusion des enfants dans le processus démocratique nous obligerait à prendre en compte les questions relatives à l’éducation politique et à la connaissance des institutions tout au long de la vie, et aboutirait à une citoyenneté mieux informée.

La mise en place d’un tel système nécessiterait une réflexion approfondie sur la sécurité des enfants, notamment pour éviter les tensions au sein des familles ou de l’institution scolaire. Une implémentation graduelle, accompagnée d’études universitaires, serait nécessaire. Toutefois, les bénéfices potentiels semblent largement supérieurs aux risques.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Le sujet du droit de vote des enfants s’avère particulièrement intéressant car il vient percuter, au sens positif, l’idée républicaine. Nous formons un peuple de citoyens dont l’égalité citoyenne se définit par notre rapport au vote, notre capacité à créer la loi et notre devoir de la respecter. Vous soulignez que les enfants doivent respecter des lois décidées par d’autres personnes.

Cette réflexion sur la définition du peuple citoyen de la république s’inscrit dans une logique d’élargissement continu du suffrage pour qu’il devienne réellement universel. Je partage cette idée. Historiquement, nous sommes passés du suffrage censitaire au suffrage dit universel mais uniquement masculin, puis au suffrage universel à partir de 21 ans. Il est important de rappeler que la Constitution de la Ve République a été votée par des personnes nées en 1937 ou avant, ce qui soulève des questions sur la représentativité démocratique.

Mon mouvement politique propose l’abaissement du droit de vote à 16 ans pour augmenter la participation. En outre, nous constatons que des jeunes, dès 10-13 ans, s’impliquent dans la vie politique du pays, notamment par le biais des réseaux sociaux. On observe un rajeunissement des militants politiques qui s’engagent très tôt, faisant parfois des choix indépendants de ceux leurs parents.

Votre réflexion soulève des questions fondamentales sur la majorité, le peuple et la citoyenneté. Elle nous amène à nous demander si un bébé pourrait voter. Un citoyen doit disposer d’une réflexion libre et éclairée pour pouvoir prendre des décisions qui impactent toute la société. Or, les enfants dépendent, tout naturellement, des principes inculqués par leurs parents. De ce fait, ils ne sont pas des citoyens pleinement libres. Comment cette contradiction peut-elle être résolue ? À quel moment un être humain est-il capable d’agir avec un libre arbitre éclairé ?

Vous avez évoqué les capacités cognitives exceptionnelles des enfants. En effet, les enfants surprennent par leur capacité à comprendre et reproduire des actions observées une seule fois. Les recherches sur ce sujet nous éclairent-elles sur la question du libre arbitre et du moment où les enfants peuvent effectuer leurs propres choix ? Aux alentours de deux ans, ils commencent à dire « non », ce qui pourrait marquer le début de l’apprentissage du libre arbitre. De plus, les très jeunes enfants peuvent maîtriser une partie du langage des signes avant même de parler. Notre langage parlé serait-il inadapté à l’intelligence des tout-petits ?

Concernant vos travaux, j’ai l’impression qu’ils n’ont pas suscité un grand débat en France, malgré le caractère explosif de la proposition. Pouvez-vous nous parler des débats qui ont eu lieu au Royaume-Uni ?

Par ailleurs, si de nombreux enfants ne participaient pas au système électoral, cela ne réduirait-il pas la légitimité de l’élection en augmentant de facto le taux d’abstention ?

Enfin, comment gérer la capacité limitée des enfants à maîtriser l’ensemble du débat politique, notamment en termes de complexité et de langage, même si celle-ci n’est effectivement pas attendue des adultes ?

M. le président Thomas Cazenave. Je me demande si votre idée n’aboutirait pas, au delà du fait de voter, à l’abolition de la distinction entre minorité et majorité. Je n’ai pas lu votre essai mais, pour être concret, à quel âge préconisez-vous d’accorder le droit de vote ? Car vote dès la naissance soulève des questions pratiques. S’agit-il d’un débat sur l’âge approprié pour voter ou proposez-vous un système plus radical ? Il me semble nécessaire de fixer un âge, mais peut-être que je me trompe.

Mme Clémentine Beauvais. Le droit de vote s’appliquerait dès la naissance, mais cela ne signifie pas qu’un nouveau-né recevrait une carte d’électeur et irait voter à la sortie de la maternité. L’idée vise à abolir l’âge comme restriction au droit de vote. N’importe qui, à n’importe quel âge, pourrait décider de voter s’il se sent prêt. Certains voteront pour la première fois à 14 ans, d’autres à 8 ans, à 18 ans, ou jamais.

Les bébés ne voteront évidemment pas. Le monde intérieur d’un bébé est trop éloigné de celui des décisions politiques. Je ne considère pas le droit de vote comme une obligation, mais comme une possibilité. Cela m’évoque le cas d’une supérette de mon quartier qui affiche « Les femmes allaitantes sont les bienvenues ». Bien que l’endroit ne me semble pas idéal pour allaiter, le fait que ce soit autorisé apporte une valeur symbolique importante. En outre, il existe des enfants de 4 ou 5 ans capables de réflexion politique, bien que ce soit rare. John Wall, dans son essai, suggère que la seule différence entre un électeur et un non-électeur réside dans le fait de voter. Seuls les enfants qui le désirent voteront.

Il ne faudrait pas considérer un taux d’abstention élevé comme un signe de désengagement ou une délégitimation du gouvernement élu. Les enfants ou les adolescents qui ne votent pas ne devraient pas être culpabilisés. Il suffirait de s’attendre à un taux élevé d’abstention et de s’y préparer.

Concernant la majorité et la minorité, je rappelle que nous avons deux devoirs cruciaux envers les enfants : l’éducation et la protection. Lorsque nous prenons des décisions les concernant, il convient de s’assurer qu’elles ne nuisent pas à leur protection physique et mentale ni à leur éducation. Accorder le droit de vote aux enfants ne compromet pas ces devoirs. Au contraire, cela contribue à leur éducation. En termes de protection, certaines limites existent. Les restrictions d’âge dans d’autres domaines, comme l’interdiction des relations sexuelles entre adultes et enfants, l’interdiction de fumer ou de conduire pour les mineurs, de même que les restrictions concernant les écrans sont justifiées par le devoir de protection. Le droit de vote dès la naissance n’impliquerait pas de supprimer ces restrictions d’âge protectrices. De plus, la notion de majorité ne signifie plus grand-chose. En effet, elle ne s’applique pas dans de nombreux domaines (emprisonnement, mariage, éligibilité au Sénat, etc.).

La question de la liberté et du libre arbitre reste complexe pour tous. Les études montrent que les adultes votent souvent comme leurs parents. Par conséquent, il est probable que les enfants agiraient de même, à l’exception peut-être des adolescents par esprit de contradiction. Cela ne constitue pas forcément un problème. La plupart des parents veulent le meilleur pour leurs enfants et prennent en compte leur avenir dans leurs choix électoraux. Ils peuvent avoir convaincu leurs enfants de la légitimité de leurs choix. Il faut distinguer l’influence démocratique de la manipulation. L’influence des parents et de l’école sur les enfants paraît naturelle et pas nécessairement négative. Par définition, tout acte démocratique est influencé. La manipulation, en revanche, implique le mensonge ou les fausses promesses. La limite entre ces deux notions est subtile, d’où l’importance d’une mise en place graduelle du droit de vote des enfants, accompagnée d’études pour prévenir les manipulations. D’ailleurs, les adultes font l’objet de manipulations de grande ampleur, notamment par le biais des réseaux sociaux et des médias.

Quant à l’âge auquel un enfant peut procéder à des choix éclairés, il est intéressant de noter que la société accepte que les enfants deviennent des consommateurs dès leur plus jeune âge, souvent influencés par la publicité et les médias, sans que cela soulève de débat. Pourtant, ces choix peuvent avoir des impacts environnementaux et sociétaux importants. Il paraît paradoxal de refuser aux enfants la capacité de faire des choix pour le bien commun tout en acceptant qu’ils effectuent des choix monétaires.

La question du libre arbitre se pose autant pour les enfants que pour les adultes et nécessite un débat général. Il faut réfléchir à la différence entre influence et manipulation, et à la façon dont l’empathie joue un rôle dans l’influence démocratique. L’enjeu principal consiste à déterminer comment s’assurer que les enfants et les adultes soient en mesure d’exercer leur libre arbitre. Cela passe par des actions menées par les professeurs dans les classes. Une méthode, inspirée des travaux de Bruno Latour, consiste à encourager les enfants à s’envisager dans les réseaux dont ils dépendent au quotidien. En partant de questions simples sur leurs objets du quotidien (par exemple, « où ai-je acheté ce produit ? »), ils peuvent progressivement, avec l’aide d’un adulte, aborder des enjeux plus larges, économiques et géopolitiques. Cette approche pédagogique progressiste et expérientielle permet aux enfants, dès le CP, de développer des raisonnements élaborés si on leur explique les choses de manière factuelle à partir d’exemples concrets. Il ne s’agit pas d’imposer une vision idéologique, mais de leur donner les outils pour comprendre le monde.

Concernant la complexité et le langage, il existe de nombreuses manières de faire comprendre des concepts à des enfants très jeunes, à partir de 6 ou 7 ans. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que les adultes ne disposent pas tous des capacités cognitives nécessaires à la compréhension des enjeux politiques. Notre compréhension peut être affectée par diverses expériences de vie, quel que soit notre âge. Il me paraît donc injuste d’exiger des enfants ce qui ne l’est pas des adultes.

Quant aux débats à la suite de mon tract, j’ai été agréablement surprise par les réactions suscitées. Il existe un mouvement croissant pour inclure les questions liées à l’enfance dans les réflexions sur la justice sociale. J’ai donc reçu de nombreux messages de la part d’élus locaux et de personnes issues du milieu associatif. Ainsi, je participerai prochainement à une rencontre dans le Grand Est avec une metteuse en scène de théâtre immersif qui organise une démocratie participative avec les enfants.

Dans le monde anglo-saxon, une initiative originale a été lancée : des universitaires, dont je fais partie, ont signé un pledge dans lequel ils s’engagent à demander à un enfant pour quel candidat il souhaiterait voter et à voter en son nom lors des prochaines élections. Cette démarche présente un caractère discutable, mais vise à montrer jusqu’où il faut aller pour donner quelques voix aux enfants. Bien que purement symbolique, elle a fait l’objet de quelques articles dans la presse et a suscité une certaine hostilité. Elle présente l’intérêt de nous forcer à réfléchir sur les raisons de l’exclusion des jeunes du processus démocratique. Certes, certains pays ont abaissé l’âge minimal pour voter, mais aucun ne l’a jamais aboli.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je m’interroge sur l’accompagnement nécessaire à un éventuel abaissement de l’âge du droit de vote. Au-delà de l’accompagnement familial et scolaire, il existe des initiatives comme les conseils municipaux d’enfants, les classes parlements ou la participation d’enfants à certains budgets. Même si l’influence des parents semble inévitable, il faut permettre aux jeunes de développer leur libre arbitre grâce à une éducation politique minimale.

Je souhaite également soulever la question du référendum, peu utilisé en France, particulièrement au niveau national et auquel les adultes eux-mêmes ne sont souvent pas préparés. En effet, ceux-ci confondent parfois la question posée avec celui qui la pose. Ainsi, une éducation à l’utilisation du référendum bénéficierait à tous les citoyens.

Mme Clémentine Beauvais. Cette question cruciale nécessite un large débat démocratique impliquant notamment de nombreux acteurs de l’enfance et de la jeunesse.

Il faut d’abord prendre conscience de la variété des enseignements déjà présents dans les écoles, collèges et lycées qui comprennent des composants d’éducation politique dans tous les cours. Par exemple, les cours de français abordent des thèmes comme la ville, l’empathie, les mondes utopiques et dystopiques, qui comportent une portée politique évidente. Les méthodes d’éducation progressistes, basées sur l’apprentissage par l’expérience, sont également très importantes. Je ne nie pas la valeur des conseils d’enfants, des parlements des enfants et des élections de délégués. Toutefois, leur impact demeure limité, car ils restent dans le domaine du jeu et ne sont pas suivis d’effets concrets. Par conséquent, à partir d’un certain âge, les enfants s’en lassent, car ils ont le sentiment de ne pas être pris au sérieux. La notion d’apprentissage par l’expérience existe déjà dans les collèges et les lycées. Il faudrait donc s’appuyer sur le savoir des professeurs qui pratiquent ces méthodes.

En outre, il conviendrait évidemment de mettre en place des garde-fous pour éviter l’intrusion d’intérêts politiques dans les écoles. Les meetings politiques pourraient, par exemple, y être interdits.

Concernant les types de scrutin, Laelia Benoit, que j’ai interrogée pour préparer mon tract, évoque des types de référendums extrêmement simples, où une question est posée avec une présentation neutre et factuelle des enjeux et conséquences, à l’exemple de la votation suisse. D’autres méthodes, à mi‑chemin entre l’élection et le tirage au sort, restent à inventer.

L’ouverture du droit de vote aux enfants nous obligerait à repenser nos modes de prise de décision à tous les niveaux. Une fois la décision prise, elle ne pourrait plus être ignorée. De ce fait, si un parti politique décidait de ne pas s’adresser aux jeunes électeurs, cela constituerait de facto une prise de position politique.

M. le président Thomas Cazenave. Je m’interroge sur la manière dont il faudrait s’adresser à ces électeurs potentiels. En effet, vous avez évoqué une interdiction des meetings politiques à destination des enfants et une communication neutre sur les conséquences des différents choix possibles. Mais qui serait en mesure de fournir cette information de manière parfaitement neutre ? Dans un débat politique, ce sont les partis et les candidats qui s’adressent aux électeurs. Il faudrait donc que les enfants reçoivent des tracts adaptés et puissent rencontrer des candidats, ce qui implique potentiellement des meetings politiques.

Il semble difficile de garantir une protection totale contre l’influence politique tout en permettant aux enfants de voter.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Nous avons fait l’expérience de la convention citoyenne pour le climat, où des citoyens tirés au sort ont produit des propositions politiques d’intérêt général, après avoir été informés par des experts. Ces propositions auraient ensuite pu faire l’objet d’un vote de l’ensemble des citoyens. Néanmoins, il s’agissait là de produire des propositions, ce qui diffère d’un vote sur des options déjà existantes. Dans le cas d’un référendum ou d’une élection, on ne peut pas produire de nouvelles solutions à partir d’un débat d’experts. Par conséquent, le seul moyen de se forger une opinion pour les électeurs reste la confrontation des différentes idées des mouvements politiques. Des meetings devraient donc, pour aller au bout de la logique, se tenir face aux enfants, avec une égalité du temps de parole entre les candidats. Toutefois, les enfants seraient ainsi exposés à des positions politiques qui pourraient les impacter sur le plan cognitif.

Mme Clémentine Beauvais. Je me suis peut-être mal exprimée en évoquant des meetings politiques. Dans tous les cas, l’accès des personnes politiques aux écoles devrait être très encadré. En revanche, je m’oppose fermement au relativisme. Bien que la neutralité totale soit impossible, cela ne signifie pas que toutes les opinions se valent. Par exemple, dans le cas du climat, il faudrait expliquer aux enfants que 97 % des scientifiques estiment qu’un danger existe à long terme, avec une marge d’erreur, tandis que 3 % pensent différemment. Il faut continuer à présenter les faits scientifiques comme importants. Le fact-checking reste essentiel, que ce soit dans les écoles ou ailleurs. Il est primordial de ne pas tomber dans le relativisme total. Certaines choses sont avérées, d’autres non. On peut également présenter des arguments de manière calme, honnête et non manipulatrice, même s’ils proviennent de mouvements politiques opposés. Les enfants peuvent comprendre qu’ils doivent prendre une décision basée sur différents arguments. La politique ne se résume pas à une question d’opinion, sinon elle n’aurait pas de raison d’être.

M. le président Thomas Cazenave. Je partage votre point de vue. Cependant, les questions se posent rarement de manière aussi simple. Même si tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, le débat politique se focalisera sur les moyens d’y parvenir. Comment aborder ces détails ? Ce débat stimulant nous pousse à réfléchir sur la manière d’approfondir votre proposition.

M. Thierry Tesson (RN). Deux entrées me semblent importantes : l’âge et l’espace d’expression des enfants. Une approche holistique pourrait être envisagée. Ainsi, les enfants s’exprimeraient sur tous les sujets et partout.

Dans les années 70-80, la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury permettait aux élèves de définir leurs propres règles collectives dans l’espace scolaire. Cette expérience consistait à créer une règle pour gérer un problème de gestion collective. Les règles évoluaient au fil de l’année pour devenir cohérentes et acceptées par tous.

En tant qu’ancien enseignant, je porte un regard parfois critique sur les conseils municipaux d’enfants actuels, car il me semble que la politique leur est présentée sous son aspect le moins intéressant. Dans le cas d’une approche holistique, les enfants devraient pouvoir s’exprimer sur tous les sujets. Or, un cadre et des sujets leur sont imposés, ce qui me semble contradictoire avec l’objectif visé. Je m’inquiète toujours quand des adultes veulent absolument que les enfants s’expriment, car il existe un risque d’influence, voire de manipulation.

Enfin, il est très complexe de trouver un système politique avec une représentation parfaite et un mode de désignation de représentants le plus équitable possible. Les Grecs ont tout essayé, et comme nous, ils n’ont jamais atteint la perfection. Cependant, il existe un côté mystérieux, presque magique et sacré, dans la manière dont le peuple s’exprime par ses représentants pour mettre en œuvre une politique.

Votre approche est intéressante, voire stupéfiante, mais je la regarde avec une certaine inquiétude.

Mme Clémentine Beauvais. J’aurais effectivement pu évoquer les écoles autogérées et la mise en pratique de mes préconisations au sein d’une institution que les enfants fréquentent quotidiennement. Certaines familles se réunissent également lors de conseils de famille pour prendre les décisions en commun. Toutefois, ces initiatives concernent souvent des enfants de milieux privilégiés ou très informés.

Par ailleurs, les expériences démocratiques avec les enfants ont souvent lieu dans des espaces où ceux-ci sont encouragés à adopter la rhétorique et l’argumentation d’adultes d’un certain niveau d’études et d’un certain niveau social. Ainsi, seuls les enfants qui imitent le mieux le discours politique des adultes dominants parviennent à se faire entendre. Il serait intéressant d’observer ce qu’il adviendrait si les enfants pouvaient eux-mêmes décider de la façon d’agir en politique, sans nécessairement recourir aux formes canoniques du discours politique adulte (harangues, débats publics, etc.). Ils pourraient découvrir des moyens moins conflictuels pour parvenir à des accords. Je souhaiterais que les enfants et les adolescents se frayent un chemin avec leur propre sensibilité.

Le fait que les adultes échafaudent ces expériences et en contrôlent les aboutissements constitue un énorme problème. Les méthodes d’apprentissage, où les enfants ont l’illusion d’accomplir quelque chose eux-mêmes alors qu’ils sont guidés par les adultes, s’avèrent très utiles dans de nombreux domaines, mais pas en politique.

Concernant les sujets sur lesquels les enfants pourraient s’exprimer, une mise en place graduelle pourrait être établie, en commençant par leur accorder le droit de vote au niveau municipal ou pour certains types de référendums. Cela permettrait d’évaluer les effets et les risques du vote avant d’étendre éventuellement l’expérience. Il serait également possible de démarrer par une région ou de baisser progressivement l’âge du droit de vote.

Enfin, je concède que cette proposition semble utopique. Cependant, elle ne me semble pas radicale si l’on considère son faible impact en termes de voix supplémentaires dans les urnes. La vraie radicalité réside dans sa puissance symbolique : considérer les enfants comme des citoyens à part entière, chez eux dans notre société, et non plus simplement tolérés ou accueillis.

M. le président Thomas Cazenave. Je note que dans votre dernière intervention, vous évoquez la question de bornes d’âge pour la mise en œuvre.

Mme Clémentine Beauvais. J’ai évoqué la possibilité de descendre progressivement l’âge du droit de vote, mais je n’y adhère pas personnellement.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je souhaite aborder la question de l’élection des enfants. En tant que citoyens à part entière, ils devraient pouvoir être élus. Des enfants sont déjà élus dans des conseils municipaux d’enfants, participant parfois à l’élaboration de politiques publiques. J’ai moi-même été conseiller municipal enfant. Peut-être cela crée-t-il des vocations. Existe-t-il des études sur la pratique de la démocratie par les enfants ?

Mme Clémentine Beauvais. Je n’ai pas abordé la question de l’élection des enfants, mais il faudrait s’y pencher. Ce sujet soulève d’autres problématiques, notamment liées au droit du travail et à la protection des enfants. Comment concilier le statut d’élu avec la scolarité ? Certains enfants travaillent déjà, notamment dans le domaine artistique, avec des aménagements spécifiques.

Je reconnais qu’il est impossible d’envisager l’élargissement du droit de vote sans statuer sur cette question.

Concernant la participation des enfants aux conseils municipaux, je suis certaine qu’il existe des études, mais je n’ai pas approfondi ce sujet.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Il serait intéressant d’évaluer l’impact à long terme de la participation des enfants aux conseils municipaux sur leur citoyenneté et leur engagement politique.

Par ailleurs, lors d’une discussion sur les budgets participatifs dans un conseil municipal au sein de ma circonscription, une proposition d’abaisser l’âge de participation à 16 ans a suscité un vif débat. Malgré des désaccords initiaux, la proposition a finalement été adoptée.

Mme Clémentine Beauvais. La plupart des gens rejettent de façon épidermique l’idée d’inclure les enfants, même à 16 ans, dans les processus décisionnels. Il faut donc aborder la question calmement, en examinant les arguments et en confrontant les personnes sur leurs préjugés.

J’ai été agréablement surprise par les réactions positives à mon travail, notamment de la part de personnes plus âgées et peu politisées, qui n’avaient jamais réfléchi à cette question. Beaucoup ont trouvé l’idée logique et intéressante, même si elles ne sont pas nécessairement prêtes à la mettre en œuvre immédiatement. Cette réflexion permet de développer de l’empathie envers les enfants et de les considérer comme des citoyens à part entière. Je suis peut-être candide mais pense que, dans quelques décennies, on s’étonnera que les enfants n’aient pas été inclus plus tôt dans ces décisions.

M. le président Thomas Cazenave. Merci beaucoup pour cette audition stimulante et disruptive. Cette réflexion sur la démocratie soulève de nombreuses questions et a nourri utilement notre réflexion.

La séance s’achève à onze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument, M. Stéphane Rambaud, M. Thierry Tesson

Excusé. - M. Xavier Breton