Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et de M. Lionel Espinasse, responsable des répertoires de personnes.              2

– Présences en réunion................................15

 


Jeudi
30 janvier 2025

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 8

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à dix heures trente.

M. le président Thomas Cazenave. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d’enquête en accueillant Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Insee et Monsieur Lionel Espinasse, responsable des répertoires de personnes.

Parmi les sujets que nous étudions au sein de cette commission figurent les modalités d’organisation des élections. Depuis la loi du 1er août 2016 qui rénove les modalités d’inscription sur les listes électorales, l’Insee assure la mission essentielle de la gestion du répertoire électoral unique (REU) et les données dont vous disposez permettront d’éclairer nos travaux.

Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Colin et M. Espinasse prêtent serment.

Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Institut national de la statistique et des études économiques. Nous vous remercions de nous avoir conviés à contribuer aux travaux de votre commission.

Les missions de l’Insee en lien avec l’organisation et le déroulement des élections sont de deux ordres. D’une part, l’Insee est responsable du répertoire électoral unique, le système d’information pour la gestion des listes électorales et des procurations, qui constitue un élément fondamental pour la bonne tenue des élections en France. D’autre part, l’Insee produit des données et des études sur le corps électoral et la participation aux différents scrutins en mobilisant différentes sources d’informations : le REU, les enquêtes sur la participation électorale ou le recensement de la population.

Le répertoire électoral unique est opérationnel depuis le 1er janvier 2019. Sept élections nationales ont été organisées avec succès avec le répertoire électoral unique, depuis les élections européennes de 2019 jusqu’aux élections législatives anticipées de 2024, ainsi que plusieurs centaines d’élections partielles. Ce REU a pour finalité la gestion du processus électoral et la fiabilisation des listes électorales. Plus précisément, il permet la mise à jour en continu des listes électorales à l’initiative soit des communes et des consulats qui procèdent aux inscriptions et radiations des électeurs, soit de l’Insee sur la base des informations transmises par les administrations des ministères des armées, de la justice ou de l’intérieur, dans certains cas : inscription d’office des jeunes de 18 ans, suivi des décisions de justice ou encore, par exemple, acquisition de la nationalité française.

Ce dispositif garantit l’unicité d’inscription de tout électeur dans une seule commune et permet que les demandes d’inscription puissent être prises en compte jusqu’à six semaines avant le scrutin. Par ailleurs, le REU est connecté à trois démarches en ligne – s’inscrire sur les listes électorales, s’informer sur sa situation électorale et établir une procuration – qui rencontrent un succès important.

Outre la mise à jour des listes électorales, le répertoire électoral unique offre également de nombreux services permettant aux communes d’organiser les élections. Il permet d’éditer la liste des électeurs à valider par la commission de contrôle, l’impression des listes d’émargement utilisées par les communes le jour du scrutin et il fournit les données pour l’impression des cartes d’électeurs. Il est également utilisé pour l’adressage de la propagande électorale et, depuis le 1er janvier 2022, il permet également de gérer les procurations. Grâce à ce répertoire centralisé, il est en effet désormais possible de « déterritorialiser » les procurations : le mandataire et le mandant n’ont plus forcément à être inscrits dans la même commune, ce qui n’était pas possible précédemment.

D’un point de vue statistique, nous utilisons également ce répertoire pour produire des données. Il permet notamment de décrire le corps électoral, ses caractéristiques sociodémographiques (sexe et âge), de calculer des taux d’inscription sur les listes en comparant avec la population et de décrire l’évolution dans le temps du corps électoral, notamment les radiations et inscriptions entre deux scrutins.

De 2019 à 2022, l’Insee a publié chaque année un état des lieux du corps électoral avant la tenue des scrutins de l’année. L’Insee a aussi publié cet état des lieux en mai 2024, avant les élections européennes, dans lequel il était indiqué que 49,5 millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales. Cette publication montrait que 95 % des Français en âge de voter étaient inscrits sur les listes électorales, ce taux s’établissant à 100 % pour les jeunes de 18-24 ans, du fait de la procédure d’inscription d’office, et à 91 % pour les 40-54 ans.

Le répertoire électoral unique permet également de compter les procurations et de décrire le profil des mandants, leur sexe, âge et lieu de résidence, et de croiser le profil des mandants et celui des mandataires. La dernière publication de l’Insee sur ce thème montrait que 3,4 millions d’électeurs avaient établi une procuration pour les législatives anticipées de 2024, et notamment que les jeunes adultes et les femmes avaient plus souvent donné procuration.

L’Insee réalise par ailleurs des enquêtes spécifiques de participation électorale et des études sur la participation à partir de ces enquêtes. Pour mener à bien ces enquêtes, des agents des directions régionales de l’Insee consultent les listes d’émargement disponibles en préfecture dans les dix jours qui suivent le scrutin pour recueillir la participation électorale – c’est-à-dire simplement « a voté » ou « n’a pas voté » – d’un échantillon d’individus tirés au hasard et pour lesquels nous disposons par ailleurs de caractéristiques sociodémographiques comme le diplôme ou la catégorie sociale, mais aussi d’informations sur les revenus.

Ces enquêtes, qui existent depuis les années 1980, ont vu leur périmètre évoluer et, depuis 2002, elles sont réalisées tous les cinq ans. Depuis 2002, l’Insee suit la participation aux quatre tours des scrutins de l’année où se déroulent les élections présidentielles et législatives. Cela permet d’étudier la participation selon différents critères sociodémographiques, mais aussi d’observer les comportements de participation sur plusieurs scrutins, par exemple le vote intermittent, le vote systématique ou l’abstention systématique.

La dernière édition de l’enquête de participation électorale a donc concerné les quatre tours des élections présidentielle et législatives de 2022 et a porté sur 34 000 personnes. Ces résultats montrent qu’en 2022, 16 % des électeurs inscrits pour les élections présidentielle et législatives n’ont voté à aucun tour de ces scrutins (abstention systématique), 36 % ont voté à tous les tours (vote systématique) et 48 % ont voté par intermittence à certains tours, mais non à d’autres.

Il ressort également de ces analyses que les jeunes adultes s’abstiennent plus souvent à tous les tours, ainsi que les personnes âgées de plus de 85 ans. Plus d’un jeune électeur sur deux a voté à certains tours, mais pas à tous. Inversement, le vote systématique est majoritaire parmi les 70-79 ans. Par ailleurs, la participation croît nettement avec le niveau de vie et le diplôme. Sur une plus longue période, en étudiant l’évolution de la participation électorale sur vingt ans, nous observons que les écarts de participation selon l’âge et le diplôme, déjà importants en 2002, se sont creusés entre 2002 et 2022.

Enfin, pour des études ponctuelles, l’Insee peut mobiliser d’autres sources comme le recensement de la population. Tel est le cas pour une étude que l’Insee a publiée en mars 2024 sur l’inscription en dehors de la commune de résidence. Pour mener à bien cette analyse, les données du répertoire électoral unique que fournissent les communes d’inscription électorale ont été rapprochées des données du recensement de la population transmises par la commune de la résidence principale.

Cette étude a montré que lors de l’élection présidentielle de 2022, 16,5 % des électeurs, soit 7,7 millions de personnes, étaient inscrits dans une commune autre que celle de leur résidence principale, telle que déclarée au recensement de la population. Ces situations ne relèvent donc pas toutes d’une « mal inscription », au sens où elles pourraient perturber la participation au processus électoral. Je rappelle que le code électoral prévoit différents cas de figure où l’inscription électorale est possible dans une commune différente de la commune de résidence, par exemple pour les jeunes de moins de 26 ans.

M. le président Thomas Cazenave. Je vous remercie pour vos propos liminaires et cède la parole au rapporteur.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Vous avez évoqué les différentes démarches qui peuvent être réalisées grâce au REU, notamment la démarche de vérification de sa situation électorale pour un citoyen. Cet outil, auparavant accessible de manière libre et par tout le monde, facilitait les campagnes d’incitation à l’inscription via le porte-à-porte, mais depuis 2024 il nécessite de se connecter à partir de FranceConnect. Savez-vous pourquoi cette décision a été prise ?

Ensuite, vous avez souligné que l’on peut désormais s’inscrire jusqu’à six semaines avant le premier tour du scrutin, et c’est heureux. Ce délai pourrait-il encore être réduit selon vous ? Est-il lié à des enjeux matériels pour les communes ? En effet, il est bien établi que la volonté de participer à l’élection augmente à mesure que l’on s’approche du scrutin.

Je retire par ailleurs de vos propos que les inégalités de participation en fonction de l’âge et du niveau de revenu se sont aggravées depuis 2002. Avez-vous l’impression qu’une part croissante de nos compatriotes se tient à l’écart des urnes ? Partagez-vous l’idée d’une forme de nouveau suffrage censitaire qui ne dit pas son nom ? J’utilise cette expression à dessein, en référence aux travaux du politiste Daniel Gaxie, qui avait écrit il y a quelques années un ouvrage précisément intitulé Le cens caché.

Ensuite, l’Insee est-il parfois interrogé par la commission des sondages pour étudier certains sondages, pour vérifier s’ils sont valides ou non ? En effet, vous effectuez des enquêtes sur 34 000 personnes pour la participation électorale, à partir d’un échantillonnage très précis. Par contraste, les sondeurs effectuent des sondages auprès de 1 000 personnes, dont certaines refusent de répondre à l’intégralité des questions.

Enfin, vous avez évoqué à juste titre les personnes mal inscrites. Serait-il envisageable d’utiliser des méthodes permettant d’améliorer cette inscription sur les listes électorales ? Je pense par exemple à la proposition qui serait faite aux citoyens de s’inscrire sur les listes électorales quand ils remplissent leur feuille d’impôt dans leur commune de résidence. Vous avez également souligné que les communes disposent d’un pouvoir de radiation. Or dans un certain nombre de cas, nous avons constaté des niveaux de radiation très élevés, sans que l’on sache nécessairement si une personne est inscrite par ailleurs dans une autre commune. Serai‑il envisageable que les radiations n’interviennent qu’en cas d’inscription dans une autre commune ? Cela permettrait-il d’éviter que des citoyens se retrouvent non inscrits alors qu’ils étaient seulement mal inscrits ?

M. Lionel Espinasse, responsable des répertoires de personnes, Institut national de la statistique et des études économiques. Jusqu’en 2023, la téléprocédure disponible sur le site service-public.fr pour s’informer sur sa situation électorale était libre accès. Les informations qu’il faut renseigner dans cette téléprocédure sont assez simples, puisqu’ils portent sur un nom, un prénom, une date de naissance et une commune. Ces informations permettaient à des personnes autres que l’électeur lui-même de s’informer sur la situation électorale de ce dernier, ce qui ne constituait pas l’objectif principal de la démarche.

En conséquence, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a officiellement demandé que cette démarche ne puisse plus être aussi accessible. Nous avons observé des comportements de recherche d’individus. À partir d’un petit programme informatique assez simple, il était facile d’interroger systématiquement les 35 000 communes pour trouver une personne identifiée par un nom et un prénom. Un cas avéré a ainsi été décelé grâce à notre système de surveillance, même si la démarche entreprise n’a pas abouti. Désormais, le passage par FranceConnect permet d’offrir un filtre pour limiter l’accès à des informations à caractère personnel par d’autres personnes que l’individu lui-même.

La période de six semaines constitue le délai incompressible pour la bonne organisation des élections. Une commune comme Paris, qui dispose de plus de 900 bureaux de vote, édite ses listes d’émargement près de trois semaines avant la date du scrutin. À ces modalités organisationnelles viennent s’ajouter des questions de procédure du code électoral, dont le non-respect peut déclencher des recours contentieux. Par exemple, arrêter la liste à 20 jours du scrutin permet à un électeur de contester éventuellement devant un juge son absence sur une liste électorale et à ce dernier d’avoir le temps de statuer sur cette demande. 

Vous avez mentionné les radiations. Entre mars 2022 et mai 2024, le premier motif de radiation des listes électorales a concerné l’inscription dans une autre commune, pour un total de plus de 2 millions de radiations sur la période. Dès qu’un électeur s’inscrit dans une nouvelle commune, il est automatiquement radié de l’ancienne commune par le REU, sans aucune action de quiconque. De fait, il s’agit là d’un des avantages du REU, qui permet d’alléger la charge de gestion des communes.

Le deuxième motif de radiation concerne les décès, qui se sont élevés à 1,2 million sur la période mentionnée. Ici, l’Insee radie automatiquement les personnes des listes électorales sur la base des informations que nous récupérons dans le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), qui est également géré par l’Insee. En effet, nous recevons tous les jours les informations concernant les actes de décès et les actes de naissance des communes.

Le troisième motif de radiation est lié à la perte d’attache communale, dont les communes ou les consulats sont responsables. 530 000 radiations de ce type sont intervenues sur la période de deux ans considérée. Les autres situations concernent essentiellement des décisions de justice ou des décisions de la commission de contrôle communale, soit 72 000 cas entre 2022 et 2024.

Vous demandez s’il serait techniquement possible de ne radier les personnes des listes électorales que si l’on a l’assurance qu’elles ont été inscrites ailleurs. Cela n’est pas possible, puisque dès que quelqu’un est inscrit quelque part, il est déjà automatiquement radié de l’autre commune.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je comprends le principe de la perte d’attache communale, mais qui en décide ? Cette opération demeure violente d’un point de vue symbolique et même matériel. Une personne qui n’est plus inscrite sur les listes électorales n’est plus citoyenne de la République. Or la faculté de pouvoir voter fait de nous des citoyens.

M. Lionel Espinasse. En l’état actuel du code électoral, pour être inscrit, il faut être rattaché à une commune et donc remplir un certain nombre de conditions de résidence ou de paiement de contributions fiscales. Lorsque ces conditions ne sont plus remplies, les communes doivent appliquer les dispositions du code électoral et radier la personne en question. Le code prévoit aussi que l’inscription électorale est obligatoire : quelqu’un qui a quitté une commune doit se réinscrire dans sa nouvelle commune, pour respecter la loi.

Mme Christel Colin. Je souhaite apporter quelques compléments sur la participation électorale. Les écarts de participation se sont accrus depuis 2002. Lorsque l’on compare les élections de 2002, 2007, 2012, 2017 et 2022, on ne constate pas une hausse linéaire et continue de l’abstention systématique ; nous observons des phénomènes de plateaux. En revanche, lorsque l’on compare les années 2002 et 2022, on constate que l’abstention systématique est passée de 12 % à 16 %, quand le vote systématique a chuté de 48 % à 37 %. Les écarts de participation selon l’âge, le diplôme et les catégories sociales existaient déjà en 2022, mais ils se sont accrus. Par exemple, l’écart de participation entre les personnes non diplômées et les personnes diplômées de l’enseignement supérieur était de 9 points en 2002, mais il a augmenté pour atteindre 15 points en 2022. De même, les écarts se sont sensiblement accrus entre les plus jeunes et la tranche des 60-80 ans, c’est-à-dire ceux qui votent le plus. Enfin, cette moindre participation est socialement située : l’abstention a progressé chez les non-diplômés et chez les ouvriers.

Par ailleurs, l’Insee réalise des enquêtes en utilisant la méthodologie des sondages et dispose d’une expertise bien établie en la matière. En revanche, à ma connaissance, nous n’avons jamais été sollicités par la Commission des sondages ou pour donner un avis sur les sondages qui sont menés. De fait, il est exact que les méthodes des instituts de sondage et celles de l’Insee sont assez différentes, puisque nous procédons en tirant au sort des échantillons aléatoires, afin d’éviter les biais, et que la taille de nos échantillons est plus élevée. À ce sujet, je vous renvoie vers un billet de blog sur le site de l’Insee, qui s’appelle « Il y a sondage et sondage », rédigé par le département des méthodes statistiques de l’Insee, qui explique la différence entre les méthodes des instituts de sondage et les pratiques de l’Insee et de la statistique publique dans son ensemble.

M. Lionel Espinasse. Comment améliorer l’inscription ? Ce sujet peut être envisagé sous deux angles. Le premier concerne les déménagements des personnes qui changent de commun mais ne se réinscrivent pas dans leur nouvelle commune. La commune de départ constatant que les personnes sont parties, et que l’attache communale est perdue, les radie. Les actions qui ont été mises en œuvre ont plutôt été réalisées par le bureau des élections du ministère de l’intérieur, qui pourra vous fournir davantage d’informations.

Le premier axe de travail consiste à utiliser les téléservices qui permettent de détecter le déménagement d’une personne et à en profiter pour procéder à une inscription électorale. Deux expertises sont intervenues à ce titre : une téléprocédure sur le renouvellement d’un certificat d’immatriculation de véhicule et une téléprocédure de la direction de l’information légale et administrative (Dila) sur service-public.fr. Cette analyse a montré que s’insérer directement dans les procédures serait extrêmement lourd.

Lorsqu’on s’inscrit sur une liste électorale, il faut justifier de sa nationalité. Or dans ces téléprocédures, rien n’est demandé sur la nationalité des personnes. Il aurait donc fallu rajouter dans des téléprocédures existantes des informations supplémentaires, ce qui aurait contribué à alourdir l’ensemble. Il a donc été proposé de profiter de la fin de la procédure de déclaration de changement d’adresse ou de changement de carte grise pour afficher une fenêtre pop-up avec le message « Avez-vous pensé à vous inscrire sur les listes électorales ? » et un lien vers la démarche d’inscription électorale en ligne. La deuxième action, également portée par le ministère de l’intérieur, a porté sur l’envoi en masse de courriels aux personnes qui avaient utilisé la démarche en ligne de changement d’adresse pour leur rappeler de se réinscrire sur les listes électorales.

Le deuxième angle consisterait à inscrire d’office les 5 % de Français qui ne le sont pas. Mais pour pouvoir inscrire quelqu’un d’office, encore faut-il disposer d’une source d’information. Lorsque l’on inscrit les jeunes d’office, les informations disponibles sont celles transmises par le ministère des armées après la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Lorsque l’on inscrit d’office les personnes qui acquièrent la nationalité française, les informations proviennent de la direction des étrangers en France. En revanche, il n’existe pas en France de fichiers qui comprennent toutes les informations concernant une identité fiabilisée, une nationalité et une adresse à jour, en continu.

Pour y parvenir, il faudrait donc interconnecter un certain nombre d’informations provenant de fichiers divers, ce qui impliquerait une acceptation par la Cnil et au-delà, une acceptation sociale. Une sorte de registre de la population, en somme.

M. le président Thomas Cazenave. Le REU est en place depuis 2019. Avez-vous rencontré des difficultés concrètes qui auraient entraîné un impact sur le bon déroulement des opérations de vote entre 2019 et aujourd’hui ? De quelles difficultés s’agirait-il ? Ont-elles été signalées et corrigées ?

Ensuite, ce répertoire atteste du caractère redoutablement important de la sécurité informatique. Des réserves sont parfois avancées sur le vote électronique à distance, mais le fichier que vous tenez est tout aussi décisif concernant la garantie que nous devons pouvoir fournir aux citoyens concernant la bonne tenue des élections. Comment garantissez-vous la parfaite fiabilité de ce fichier et le fait qu’il ne soit pas possible de voter deux fois, dans notre pays ?

Par ailleurs, je souhaite revenir sur la question de l’attache communale, et donc du rôle des élus locaux et des maires. Constatez-vous des pratiques différentes d’une commune à l’autre ? Certaines communes mènent-elles une action extrêmement régulière et active pour aller rechercher l’existence d’une telle attache communale ? Au-delà, cette disposition est-elle toujours bien nécessaire ? N’existe-t-il pas suffisamment d’informations disponibles par ailleurs pour vérifier l’existence de cette attache ? Par exemple, l’attache communale s’établit également par le paiement d’impôts dans sa commune. Le fait d’interroger des fichiers et des données dont les différentes administrations disposent permet notamment d’éviter les risques très souvent soulevés soit par le règlement général sur la protection des données (RGPD), soit par la Cnil.

Enfin, je voudrais m’appuyer sur les données qui émanent de votre production d’analyse pour tenter d’améliorer la participation aux élections. À partir de vos travaux, évaluez-vous la situation de la France en matière de pratique électorale et d’abstention par rapport à d’autres pays ? Quels enseignements en tirez-vous ? Des pratiques électorales existant dans d’autres pays permettraient-elles de mieux lutter contre l’abstention ? Je pense par exemple au scrutin tenu sur plusieurs jours, au vote obligatoire, au vote à distance ou au vote électronique.

M. Lionel Espinasse. S’agissant des difficultés éventuelles que nous aurions rencontrées, aucun recours n’a été formé à ce jour auprès du Conseil constitutionnel pour mettre en cause le REU, alors que sept élections ont été tenues depuis son instauration. Ensuite, lorsqu’un électeur conteste son inscription auprès d’un juge judiciaire, le REU n’est pas toujours invoqué. De nombreux facteurs peuvent entrer en jeu, notamment la contestation de la perte d’attache communale. En 2024, entre les élections européennes du mois de mai et les législatives anticipées du mois de juillet, l’Insee a reçu 1 820 sollicitations de la part des juges pour expertiser des contentieux sur des cas individuels d’électeurs figurant dans le REU, sur un total de 49 millions d’électeurs.

Cependant, même si ces indicateurs tendent à montrer que le REU fonctionne bien, certains risques demeurent. Le risque principal est un risque informatique, car il convient de résister à la charge de sollicitation. À titre d’exemple, le dernier jour de la date limite d’inscription pour l’élection présidentielle, 300 000 demandes en ligne ont été enregistrées sur le site. De la même manière, lors du premier tour des élections législatives de 2024, entre 7 heures 30 et 8 heures du matin, juste avant l’ouverture du bureau de vote, presque toutes les communes ont publié un tableau de procuration. Pour faire face à cette charge informatique que nous connaissons bien, nous agissons par anticipation, en augmentant les capacités informatiques, y compris en moyens humains, sous la forme d’astreintes.

Ensuite, il existe toujours des micro-situations sur des cas très spécifiques qui nécessitent une amélioration du système. Je peux évoquer à ce titre deux exemples en matière de procuration. Le premier concerne le cas particulier d’une personne qui a demandé une procuration pour les deux tours, mais qui a fait valider son identité par un commissariat ou une gendarmerie après le premier tour. Le système n’avait pas prévu le cas de figure, mais nous avons immédiatement procédé à une réparation. Un autre cas porte sur le décalage horaire avec les Antilles qui votent le samedi, quand un mandant est en métropole et son mandataire aux Antilles. Ici aussi, nous avons procédé à une correction.

S’agissant de la sécurité informatique proprement dite, le REU fait l’objet d’une procédure d’homologation de sécurité classique par le service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (SHFDS), généralement avant chaque élection nationale. La dernière a ainsi été effectuée en janvier 2024 et la prochaine aura lieu en septembre 2025, en vue des municipales de mars 2026. Ces procédures d’homologation de sécurité sont réalisées par une commission qui regroupe des acteurs extérieurs spécialisés dans la cybersécurité.

À ce jour, si l’Insee a pu subir des attaques générales, notamment des attaques par déni de service distribué (DDoS), c’est-à-dire les attaques les plus courantes, nous n’avons pas été victimes d’attaques spécifiques sur le REU. Parallèlement, nous disposons d’un système de redondance de base de données et d’un plan de reprise d’activité qui permet à toutes les communes d’éditer les listes d’émargement, en cas d’urgence.

Au-delà de l’homologation de sécurité du REU, il convient également de mentionner une homologation générale de l’ensemble du processus électoral, qui porte sur toutes les applications informatiques liées aux élections, c’est-à-dire à la fois le REU du côté de l’Insee, mais également les applications du ministère de l’intérieur, les téléservices opérés par ce même ministère ou la Dila, les systèmes d’information du ministère des armées ou celui des affaires étrangères. Cette procédure d’homologation est pilotée par le ministère de l’intérieur.

Par ailleurs, vous nous avez interrogés sur les pratiques différentes des communes en matière d’attache communale. Il serait techniquement possible de compter le nombre de radiations pour perte d’attache communale par commune, mais nous ne l’avons jamais fait, car la question ne s’est jamais posée.

Enfin, en guise de complément, le REU fonctionne dans le cadre du code électoral, son rôle consiste à être toujours parfaitement conforme aux dispositions de ce code. En pratique, quand une disposition du code électoral prévoit que des communes ont le droit de radier des personnes pour perte d’attache communale, le REU doit leur permettre de le réaliser.

M. le président Thomas Cazenave. Je comprends bien que vous ne faites qu’appliquer la loi. Simplement, comment cette disposition est-elle activée ? Il s’agit pour moi de comprendre dans quelle mesure il peut exister des pratiques territoriales différentes, qui soient de bonne ou de mauvaise foi. Prenons l’exemple d’un responsable politique qui verrait progressivement partir une partie de sa base électorale. Il n’aurait aucun intérêt à vérifier que l’attache communale subsiste toujours. Je me demande donc si des élus pratiquent de manière différente ce lien d’attache locale.

M. Lionel Espinasse. Comme je l’ai indiqué, ceci est techniquement possible, mais nous ne le faisons pas. Pour le moment, les maires sont outillés avec un système complètement en dehors du REU, fondé sur des envois de courriers et des retours de plis non distribués.

Pourrait-on trouver un outillage pour fournir aux maires des informations autres pour l’aider à prendre sa décision ? Dans ce cas, il s’agit de l’exploitation de fichiers administratifs autres que le REU. Il faudrait mener une instruction pour évaluer si des signaux ou des indices pourraient être captés dans des fichiers administratifs et communiqués aux maires, afin de les aider à prendre une décision. Mais est-ce le rôle de l’Insee ? Je ne sais pas.

M. le président Thomas Cazenave. Pour dire les choses telles qu’elles sont, vous ne qualifiez pas le fichier qui vous est envoyé par les communes concernant la perte d’attache. C’est une donnée que vous ne questionnez pas.

M. Lionel Espinasse. C’est exact.

Mme Christel Colin. Des contrôles sont effectués dans le cadre du REU pour s’assurer de la conformité des opérations au code électoral, mais nous n’apprécions pas les décisions des communes, notamment les décisions de radiation. En outre, nous n’avons jamais analysé de manière statistique les différences de pratique.

Ensuite, nous n’avons pas vraiment investigué la manière dont les autres pays se positionnent par rapport à la France en matière de pratique électorale, et notamment d’abstention. Des chercheurs ont peut-être mené des travaux comparatifs permettant de documenter ces questions, mais l’Insee n’a pas investi ces sujets.

M. le président Thomas Cazenave. Je cède la parole aux membres de la commission.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Vous avez bien évoqué le caractère incompressible du délai de six semaines pour l’impression des documents. À travers les données dont vous disposez sur les inscriptions et les enquêtes que vous réalisez, avez-vous pu repérer des impacts sur des types de population qui voteraient plus facilement, par exemple grâce aux facilités en matière de procuration ? Je pense notamment aux jeunes. On pourrait imaginer que l’inscription systématique et la procuration facilitée sur deux sites de résidence entraîneraient une hausse de leur participation aux scrutins.

Ensuite, je souhaite vous interroger sur l’adressage de la propagande électorale, dans la mesure où des erreurs sont régulièrement constatées. J’ai pu le constater dans ma circonscription, où figurent un certain nombre de communes nouvelles.

Par ailleurs, le pourcentage permanent de non inscrits, qui s’établit à 5 %, reste assez stable dans le temps et il est plutôt lié au non-rattachement. L’inscription systématique sur les listes électorales des nouveaux arrivants dans une commune lors de leurs diverses démarches administratives ne serait-elle pas envisageable ? Par exemple, de nombreuses communes organisent des cérémonies pour la remise des cartes d’électeurs aux jeunes de 18 ans ou l’accueil des nouveaux arrivants. Ces événements ne pourraient-ils pas constituer une occasion d’insister sur la démarche volontaire d’inscription sur les listes électorales ?

M. Lionel Espinasse. Il est exact que les inscriptions sont désormais plus faciles, notamment grâce à la démarche en ligne, qui s’est encore améliorée récemment, par l’introduction d’une démarche 100 % dématérialisée, qui ne nécessite plus de se déplacer au commissariat ou à la gendarmerie pour faire vérifier son identité.

En proportion, les jeunes sont plus nombreux que la moyenne à établir une procuration, sans que l’on puisse uniquement l’expliquer par cette facilitation. Ainsi, lors des élections législatives de 2024, 7 % des inscrits avaient en moyenne déposé une procuration, mais ce taux s’établissait à 10 % chez les 18-24 ans et à 9 % chez les 25-39 ans.

Ensuite, la question de l’adressage revient fréquemment, notamment depuis les élections régionales et départementales de 2021. En effet, davantage d’erreurs de distribution de plis ont été observées à l’occasion de ces élections. Il faut néanmoins observer que la situation s’est fortement améliorée depuis cette époque et ne s’est pas reproduite en 2022 ou en 2024, comme le ministère de l’intérieur pourra vous le confirmer, puisqu’il gère ces marchés avec les prestataires de distribution.

À la suite de ces problèmes d’adressage, nous avons étudié la qualité des adresses dans le REU. La responsabilité en incombe à la commune lorsque l’électeur vient au guichet pour s’inscrire, mais aussi à l’électeur lui-même, lorsqu’il effectue une démarche en ligne, puisqu’il saisit lui-même son adresse.

À la réception du dossier, la commune peut améliorer l’adresse à modifier. Le REU comporte deux adresses : l’adresse de rattachement, qui est forcément une adresse dans la commune, et l’adresse de contact, qui peut être extérieure à la commune. Nous avons regardé les adresses où ne figuraient pas d’indication de numéros ou de noms de voie. Dans les adresses de rattachement, seules 0,01 % des adresses du REU n’ont pas de libellé de voie ou de numéro de voie ; pour les adresses de contact, seules 0,07 % des communes sont dans ce cas. Dès lors, il n’est pas possible de dire que les champs sont vides ; ils sont remplis par les électeurs et les communes.

Lorsqu’il a été créé en 2019, le REU a rapatrié toutes les listes électorales des 35 000 fichiers locaux des communes, avec des adresses qui ont pu être saisies il y a dix, vingt ou trente ans. Nous continuons à travailler sur ce sujet, grâce à l’arrivée de la Base Adresse Nationale (BAN), un référentiel d’adresses qui doit maintenant faire foi et être utilisé au maximum par l’administration. À ce titre, nous avons lancé un chantier pour créer un référentiel d’adresse dans le REU qui serait aligné sur la BAN, afin d’améliorer encore la qualité des adresses dans le REU.

Quelles démarches pourraient être effectuées au sein de la commune pour favoriser l’inscription ? Chez les jeunes, peu reste à faire, puisqu’à l’âge de 18 ans, ils sont automatiquement inscrits. Ensuite, vous évoquez les cérémonies de remise de carte d’électeur ou d’accueil des nouveaux arrivants, mais celles-ci sont à la main des communes, l’Insee n’a pas son mot à dire.

Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Vous avez mentionné les 1 820 sollicitations reçues par l’Insee de la part des juges pour expertiser des contentieux sur des cas individuels d’électeurs figurant dans le REU. Je souhaite évoquer l’exemple d’une commune où le maire a pris des décisions de radiations massives. Ainsi, plus de 5 800 radiations pour perte d’attache communale sont intervenues dans cette seule commune, soit pratiquement 15 % du corps électoral, alors même qu’un grand nombre de ces personnes avaient voté en 2022. Ces personnes radiées payent leurs impôts. Dans une même famille vivant sous le même toit, la mère et un enfant ont été radiés, ce qui n’a pas été le cas du père et de l’autre enfant. Le jour des élections, plus de 600 personnes ont dû se rendre au tribunal de proximité, où personne n’était informé, puisqu’une seule juge siégeait ce jour-là.

Dans un tel cas, l’Insee n’est-il pas alerté ? Si tel n’est pas le cas, ne vous est-il pas possible de créer une alerte et de travailler avec les collectivités sur ce sujet ? J’essaye de comprendre comment un maire peut procéder seul à autant de radications. Il y a certes une commission de contrôle des listes électorales mais elle intervient après la décision du maire.

M. Lionel Espinasse. Le système d’information ne comporte pas d’alerte et l’Insee n’a aucune légitimité juridique conférée par les textes pour surveiller l’activité des maires en ce qui concerne la perte d’attache communale. Si une telle alerte devait être créée, il faudrait prévoir un dispositif juridique qui n’existe pas actuellement dans le code électoral.

Ensuite, vous vous interrogez sur les moyens d’aider les maires à prendre leur décision. Nous avons déjà évoqué cet aspect. Le recours potentiel à des informations existant dans d’autres fichiers administratifs devrait être instruit techniquement, mais aussi sur le plan juridique, pour donner la légitimité à certains acteurs de transmettre ces informations, de les utiliser, voire de les imposer. Il faudrait donc construire un système de contrôle de l’activité des maires sur le sujet des pertes d’attache communale, qui n’existe pas, à ma connaissance.

Par ailleurs, lors de chaque élection, le ministère de la justice organise des permanences dans les tribunaux et l’Insee met également en place des permanences pour répondre aux juges. À titre illustratif, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, quinze personnes étaient chargées de ces réponses au sein de l’Insee. Dans le cas d’espèce que vous avez cité, le personnel manquait peut-être ce jour précis, mais le ministère de la justice organise bien des permanences électorales les dimanches d’élections et produit à chaque élection des notes et des circulaires à l’attention des juridictions.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je souhaite poursuivre notre discussion concernant les radiations. Vous avez indiqué qu’entre 2022 et 2024, 530 000 radiations pour perte d’attache communale étaient intervenues et 72 000 au titre de décisions de justice. J’imagine que ces dernières concernent des pertes de droits civiques.

M. Lionel Espinasse. Pas uniquement, cela peut également concerner d’autres cas de figure, comme ceux de personnes qui contestent leur perte d’attache communale, mais qui voient leur demande refusée par le juge. L’incapacité électorale doit être distinguée des radiations, elle est mentionnée au casier judiciaire, comporte une date de début et une date de fin. A la fin de l’échéance, la personne retrouve ses droits, elle est toujours inscrite.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Par ailleurs, ces 72 000 cas concernent, outre des décisions de justice, des décisions de la commission de contrôle communale. Pouvez-vous nous fournir plus de détails sur cette dernière ?

M. Lionel Espinasse. Ma réponse ne pourra être qu’approximative. Le ministère de la justice vous renseignera mieux que moi sur cet aspect du droit électoral. Cependant, cette commission est composée d’un représentant du maire, d’un représentant de l’opposition municipale, d’un représentant du tribunal judiciaire et d’un représentant du préfet. Ses décisions doivent donc être distinguées de celles des maires.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Compte tenu de sa composition, cette commission est moins soumise à l’arbitraire.

Par ailleurs, la Cour des comptes s’est penchée sur le sujet et indique dans un rapport de novembre 2024 que « La prérogative de radiation des maires crée cependant une difficulté quand elle s’exerce peu avant une élection nationale et conduit ainsi à priver des électeurs de toute inscription sur une liste électorale, alors même que, par exemple, l’élection présidentielle s’exerce dans le cadre d’une circonscription unique. En effet, le code électoral n’interdit pas les radiations une fois passée la date limite d’inscription sur les listes électorales ». Elle recommande au législateur de modifier le code électoral pour interdire les radiations pour perte d’attache communale au minimum dans la période des six semaines durant laquelle il n’est pas possible de se réinscrire sur les listes électorales.

M. Lionel Espinasse. Ce sujet est en effet bien connu, bien identifié et bien documenté, au-delà de la Cour des comptes. Si le code électoral devait être modifié, nous l’appliquerions, mais l’Insee n’a pas de légitimité pour se prononcer à ce sujet.

M. le président Thomas Cazenave. Si je comprends bien, ce processus de radiation à l’initiative des maires est transmis directement à l’Insee par ces derniers, sans passage par le ministère de l’Intérieur. Cette prérogative doit être encadrée, y compris dans le temps. Envisageons un cas concret. À une semaine d’une élection municipale, un exécutif municipal pourrait prendre l’initiative de radier massivement des électeurs, ce qui jetterait alors un doute sur la légitimité de cette démarche et peut-être également sur le scrutin.

Aujourd’hui, cette décision unilatérale ne fait l’objet d’aucune analyse ex post par ceux qui détiennent cette information, c’est-à-dire l’Insee, sur des points anormaux, aberrants. Pourrions-nous regarder avec vous comment se répartissent territorialement ces radiations, sur une période récente ? Cela serait très utile et permettrait de bien éclairer les travaux de notre commission.

M. Lionel Espinasse. Ceci est techniquement possible.

Mme Christel Colin. Nous pourrions en effet produire des distributions de taux de radiation.

M. le président Thomas Cazenave. Cette donnée serait effectivement intéressante.

M. Stéphane Rambaud (RN). Je vous remercie pour vos réponses éclairantes, qui traduisent bien le sérieux de votre Institut. La loi de 2016 qui instaure le répertoire électoral unique, permet aux gérants de société implantés dans une commune de voter dans cette dernière, y compris lorsqu’il ne s’agit pas de leur commune de résidence. Sommes-nous bien certains qu’ils ne peuvent pas voter deux fois, dans deux communes différentes ? Le système est-il totalement étanche ?

M. Lionel Espinasse. Oui. La recherche des doublons se réalise sur l’identité de la personne, c’est-à-dire le nom, les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance. Le système repère lorsqu’une personne est inscrite dans deux endroits et ne conserve que la commune la plus récente.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Si l’on bloque la radiation pendant six semaines, durant ce laps de temps, les personnes qui sont parties s’installer ailleurs ne pourront pas voter dans leur nouvelle commune, qui peut être éloignée de leur précédent lieu d’habitation.

M. Lionel Espinasse. Vous pointez le lien entre la période de radiation et la date limite d’inscription. Imaginons le cas d’une personne qui a quitté une commune pour s’installer dans une autre commune. Si elle s’est inscrite dans les délais dans sa nouvelle commune, elle a été automatiquement radiée de sa commune de départ. Si en revanche elle ne s’est pas inscrite dans les délais dans sa nouvelle commune, le maire de la commune de départ ne peut pas la radier. Le système a plutôt été amélioré puisque l’inscription dans sa commune de départ demeure maintenue.

M. le président Thomas Cazenave. Lorsqu’il n’existe pas d’attache, la personne est-elle systématiquement informée ou peut-elle ne le découvrir que le jour de l’élection, quand elle rentre dans le bureau de vote ? Le contradictoire existe-t-il ? Or pour que celui-ci existe, encore faut-il être informé. Peut-on contester cette décision ? Être radié d’une liste électorale n’est pas un événement anodin.

M. Lionel Espinasse. Dans le code électoral, il est indiqué que la personne doit être expressément informée. Ensuite, il faut malgré tout prendre en compte les effets matériels. Lorsqu’une personne a été radiée par un maire, la propagande électorale est retournée avec la mention « pli non distribué » par La Poste, ce dont la commune doit informer la personne en question. Dans cette situation, la mairie a déjà tenté de joindre la personne, mais n’y est pas parvenue. Il existe donc une vraie difficulté matérielle à informer quelqu’un dont la commune a déjà reçu par deux fois un retour de La Poste indiquant que le pli n’a pas été distribué.

M. le président Thomas Cazenave. Le fait d’avoir reçu par deux fois un pli non distribué constitue-t-il une condition préalable pour pouvoir procéder à une radiation ?

M. Lionel Espinasse. Cet aspect ne figure pas dans le code électoral, mais je préférerais que vous posiez directement la question au ministre de l’intérieur. Cependant, le retour de plis non distribués fait partie des signaux qui peuvent déclencher une procédure de radiation pour perte d’attache communale.

Une des voies de progrès concerne l’adresse mail. Dans le REU, nous ne disposons d’une adresse mail que pour 24 % des électeurs. La raison est assez simple : en 2018, nous avons récupéré les listes électorales historiques des communes. Toutes les personnes qui n’ont jamais déménagé ou effectué une inscription en ligne n’ont donc pas été obligées de fournir leur adresse mail. En revanche, pour les personnes qui se sont inscrites depuis l’instauration du REU, la proportion d’adresses mail est de 86 %. Par conséquent, la voie de progrès consiste à augmenter la proportion d’adresses mail dans le REU, ce qui offrirait à la commune un outil supplémentaire pour pouvoir effectuer son instruction d’une éventuelle perte d’attache communale.

Nous réfléchissons à ce sujet avec le ministère de l’intérieur. Une première possibilité consisterait à mettre en place un téléservice permettant aux électeurs d’actualiser leurs coordonnées. Une autre possibilité viserait à récupérer l’adresse mail, qui pourrait figurer par ailleurs dans d’autres fichiers administratifs. Il conviendrait donc de veiller aux garanties juridiques associées, dans la mesure où il s’agit de données à caractère personnel, collectées pour certaines finalités spécifiques par des administrations.

En résumé, les modalités sont à la fois techniques et juridiques. Cependant, de notre point de vue, disposer d’un plus grand nombre d’adresses mail dans le REU permettrait de résoudre de nombreux problèmes et de conduire une communication à moindre coût auprès des électeurs. Enfin, le contradictoire relève de l’autorité judiciaire.

M. le président Thomas Cazenave. Vous réfléchissez à la manière d’aider la commune à bien à bien identifier cette mal inscription, mais il faut également garantir au citoyen de bonne foi sa protection dans l’exercice de son droit. En effet, il peut toujours exister, à la marge, des maires mal intentionnés, qui pourraient s’adonner à ce type de pratique à l’approche des échéances électorales. C’est la raison pour laquelle l’information est fondamentale, de même que le droit de recours et le délai.

Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Existe-t-il un lien entre la commune et le service des impôts, puisque la plupart des habitants d’une commune payent des impôts fonciers ? De même, le paiement de la cantine scolaire s’effectue via la trésorerie. Comment peut-on considérer que des personnes n’ont plus d’attache communale alors qu’ils continuent de payer des impôts fonciers et la cantine de leurs enfants scolarisés dans cette même commune ?

M. Lionel Espinasse. J’ignore les informations fiscales dont dispose la commune, ainsi que les échanges qui peuvent exister entre l’administration fiscale et les communes. Je rappelle que la commune mène ses investigations pour confirmer ou infirmer l’existence d’une d’attache communale, l’Insee n’intervient pas dans ce processus.

Mme Farida Amrani (LFI-NFP). La trésorerie collecte la somme relative à la cantine scolaire ; la mairie dispose donc de ces données. Est-ce légal ? J’y vois là une contradiction.

M. Lionel Espinasse. Il faudra confirmer cet aspect avec les juristes du ministère de l’intérieur, mais à ma connaissance, le code électoral n’entre pas dans des détails techniques très importants. Il se contente d’indiquer que le maire est responsable de vérifier l’attache communale, mais il ne précise pas les fichiers que ce dernier peut utiliser. Ces modalités techniques ne sont pas abordées dans le code.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Nous vous adresserons des demandes écrites complémentaires. Idéalement, nous souhaiterions disposer de la ventilation des radiations par commune, voire par bureau de vote, mais également connaître le taux de radiation rapporté au nombre d’électeurs inscrits précédemment. En effet, l’exemple mentionné par Mme Amrani concernant 15 % d’électeurs radiés est vraiment saisissant.

Ensuite, vous avez évoqué les mails, mais cet aspect suscite des interrogations. Je pense d’abord au risque que ces mails soient dirigés vers la rubrique des courriers indésirables. Cela m’est arrivé avec un courrier de la Commission nationale de campagne et des financements politiques ! Par ailleurs, nous recevons tellement de mails que nous ne parvenons jamais à les ouvrir tous, sans parler des craintes d’hameçonnage. En revanche, il pourrait en être autrement si les messages étaient envoyés par SMS, dont le taux d’ouverture est quasiment de 100 %. Pourquoi ne pas rajouter les numéros de téléphone, notamment les numéros de téléphone portable dans ce REU ?

M. Lionel Espinasse. Le numéro de téléphone fait partie des variables du REU, mais je n’ai pas en tête le pourcentage de remplissage des numéros de téléphone. Cependant, j’ignore si l’envoi par SMS serait plus efficace que l’envoi par mail. De toute manière, il reviendra toujours à la commune de choisir son mode de communication avec les électeurs.

Mme Christel Colin. Les calculs des taux de radiation peuvent effectivement se réaliser par commune. Il est techniquement possible de réaliser ce calcul par bureau de vote.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je me permets de préciser mon raisonnement. Dans le cas où l’on constaterait des taux de radiation très élevés dans une commune, il pourrait être intéressant dans un second temps de s’intéresser aux détails, par bureau de vote. En effet, le risque d’arbitraire, s’il existe, peut être ciblé électoralement : nous savons tous qu’il existe des « bons » et des « mauvais » bureaux.

M. le président Thomas Cazenave. Je me permets à mon tour de le formuler un peu différemment. Ce travail permettrait au moins d’écarter tout soupçon. Je crois quand même à la vitalité démocratique, au fait que l’immense majorité des élus sont honnêtes. Mais sur un droit aussi fondamental, il n’est pas possible de laisser une marge d’appréciation qui nous paraîtrait trop lâche.

Je vous remercie pour cette audition très riche, qui nous a permis d’approfondir un des sujets clefs de la commission d’enquête.

 

 

La séance s’achève à douze heures cinq.

———


Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Farida Amrani, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument, M. Kévin Pfeffer, M. Stéphane Rambaud, M. Emeric Salmon

Excusé. – M. Xavier Breton