Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF)... 2

– Présences en réunion................................12

 


Jeudi
30 janvier 2025

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

M. le président Thomas Cazenave. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en accueillant M. Guy Geoffroy, ancien député, maire de Combs-la-Ville, président de l’Association des maires de Seine-et-Marne et vice-président de l’Association des maires de France (AMF).

C’est d’ailleurs au titre de ses responsabilités au sein de l’AMF que nous l’auditionnons aujourd’hui. Les communes jouent un rôle absolument fondamental dans l’organisation des élections. Nous pourrons aborder ensemble un grand nombre de sujets, de l’inscription sur les listes électorales aux modalités pratiques de vote, sans oublier la question du recrutement des assesseurs ou les charges que cette organisation implique pour le personnel communal. Monsieur Geoffroy, nous serons curieux de recueillir également vos réactions aux propositions faites récemment par la Cour des comptes sur l’organisation des élections

Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Geoffroy prête serment.

M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France. Je vous remercie de cette invitation, pour laquelle le président David Lisnard m’a demandé de représenter notre association.

Bien évidemment, la question de l’organisation des élections n’est pas indifférente aux maires, dans la mesure où pour y contribuer, ils agissent non pas dans le cadre de leurs attributions en tant que premier magistrat de la commune en charge de mettre en œuvre le projet communal, mais en tant que représentants de l’État. Sur ces questions que nous traitons au long cours et depuis toujours, nous sommes, au niveau local et au niveau national, en relation permanente, et globalement de très grande qualité, avec l’État.

Je pense par exemple à une demande de notre part, qui a d’ailleurs abouti, concernant l’exigence antérieure de présentation d’une pièce d’identité dans toutes les communes. Nous avions ainsi fait valoir que pour les communes de 1 000 habitants, cette exigence pourrait être plus péjorative que positive à l’égard de certains habitants. De fait, l’AMF est écoutée et souvent entendue, et ses propositions sont régulièrement bien analysées et reçues. Sur le plan local, les difficultés ou organisations un peu spécifiques donnent lieu à des rencontres et font l’objet de contacts permanents avec les représentants de l’État.

Le bureau national de l’AMF mène un travail quotidien et au long cours sur des sujets de fond ou sur des questions purement organisationnelles. Ce travail se poursuit de telle manière que nous n’avons pas de banques structurées de données problématiques qui nous soient remontées. Je préside l’Association des maires de mon département et à chaque fois que des questions reviennent jusqu’à moi parce qu’elles n’auraient pas trouvé de réponse dans la relation entre un collègue maire et les services préfectoraux, ce qui est rare, j’agis de telle manière qu’elles soient traitées sans devoir remonter au niveau national, ni du côté des services de l’État, ni du côté de l’AMF.

En conséquence, l’AMF ne dispose pas d’une doctrine sur ces questions d’organisation des élections, ce qui ne m’empêchera pas d’apporter des réponses à vos questions, autant qu’il me sera possible de le faire, fort par ailleurs de mon humble expérience de maire depuis près d’une trentaine d’années.

Globalement, les dispositifs tiennent et je dois souligner que le répertoire électoral unique (REU) y a contribué. La loi du 1er août 2016 a ainsi permis d’améliorer les éventuelles défectuosités d’inscription sur les listes électorales et de mise à jour des listes électorales. Aujourd’hui, le dispositif fonctionne d’une manière qui donne satisfaction à nos services, qu’il s’agisse des communes qui disposent d’un personnel et de compétences avérées ou des communes moins nombreuses en population et donc en en effectifs d’agents. Maire d’une commune d’un département rural bien que situé en Île-de-France, je peux affirmer que mes collègues maires et leurs secrétaires de mairie sont experts sur tous ces sujets. Ils réussissent à exercer leurs responsabilités en matière électorale, y compris en période un peu complexe.

À ce titre, la période que nous venons de traverser a été particulièrement riche. Apprendre, au soir du scrutin toujours sensible des élections européennes, marqué par un très grand nombre de listes et des difficultés parfois matérielles pour pouvoir assurer sa bonne organisation, qu’il faudrait organiser à nouveau des scrutins dans un délai très court n’a pas manqué de créer une fébrilité chez les élus locaux. Certains craignaient à juste titre de ne pas pouvoir disposer du temps ni des moyens financiers, humains et matériels pour pouvoir organiser ces élections.

Cependant, je crois pouvoir dire, avec prudence que, même dans ce contexte qui était très périlleux, les communes de France, leurs services et leurs maires ont réussi ce pari, au contact de l’État déconcentré dans chaque préfecture et sous-préfecture. Ce pari réussi a permis une sincérité réelle des scrutins des premier et second tours des élections législatives, assurant ainsi une totale légitimité des élus de la Nation qui en sont issus.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Vous avez évoqué le répertoire électoral unique, sur lequel je souhaite vous interroger, concernant notamment la place des communes dans la tenue de ce REU. Ce matin, nous avons reçu des représentants de l’Insee, avec lesquels nous avons évoqué la question des radiations pour perte d’attache communale. L’AMF a-t-elle adopté une position ou des recommandations à ce sujet ? En effet, nous avons l’impression que cette notion demeure assez floue. De plus, nous ont été remontés des cas de radiations massives dans un certain nombre de communes.

Les communes gèrent à la fois ce qui relève directement de leur ressort, c’est-à-dire les élections municipales, mais aussi toutes les autres élections : départementales, régionales et nationales. Ces radiations posent question. En effet, les électeurs peuvent s’inscrire jusqu’à six semaines avant la date d’un scrutin. Cependant, des radiations pour perte d’attache communale semblent pouvoir intervenir dans cette période de six semaines. Par conséquent, des citoyens peuvent potentiellement se retrouver non inscrits sur les listes électorales. Seriez-vous favorables à l’interdiction de radiation pour perte d’attache communale dans cette période de six semaines qui sépare la date limite d’inscription de la date du scrutin ? La Cour des comptes a effectué des propositions en ce sens.

Je souhaite également vous interroger sur la tenue des bureaux de vote. Nous savons tous qu’il est de plus en plus difficile de trouver des assesseurs et des présidents de bureaux de vote, c’est-à-dire des personnes prêtes à sacrifier leur dimanche pour tenir un bureau de vote et s’assurer de la sincérité du scrutin. Votre association formule-t-elle des recommandations sur le sujet pour aider à la tenue des bureaux de vote ? Certains suggèrent de rémunérer les assesseurs. Cela vous semble-t-il une bonne idée ?

Menez-vous par ailleurs des réflexions sur l’accessibilité des bureaux de vote, pour les personnes âgées et plus généralement les personnes à mobilité réduite ? Je pense notamment à celles qui ne peuvent pas conduire ni se déplacer jusqu’au bureau de vote.

Enfin, lors des élections européennes, trente-huit listes étaient en lice. Nous avons tous constaté des difficultés pour faire figurer l’ensemble de ces listes sur les panneaux d’affichage, mais aussi pour trouver des endroits pour installer ces derniers devant les bureaux de vote. Considérez-vous être dotés de suffisamment de moyens par l’État pour faire face à l’organisation de ces élections, ne serait-ce que pour les aspects purement matériels comme l’installation des panneaux d’affichage ?

M. Guy Geoffroy. La perte d’attache communale relève de l’initiative de la commune d’origine. Vous évoquez le risque qu’un électeur puisse éventuellement se retrouver inscrit sur aucune liste électorale alors qu’il s’agirait d’une élection nationale où l’on imagine que tout citoyen français, présent sur le territoire ou à l’étranger, peut tout à fait valablement participer au scrutin.

En 2024, ces radiations n’ont pas été anodines, puisque leur nombre représentait 8 % de l’ensemble du corps électoral. Cependant, seulement 13 % de ces radiations ont été opérées dans le cadre de la perte d’attache communale. La plus grande partie de ces radiations est constituée par les personnes décédées, soit environ 30 %. Ensuite, 55 % de ces radiations interviennent du fait d’une inscription sur une autre commune, ce qui signifie que les personnes radiées ont la possibilité de voter dans leur nouvelle commune.

Il est évident que lorsque ces radiations sont prononcées à l’initiative de la commune, elles le sont la plupart du temps dans la meilleure connaissance de cause. Il m’est arrivé d’évoquer cette question avec mon service des formalités administratives chargé de l’organisation des élections, qui me fait part des données sur lesquelles il va devoir transmettre d’éventuelles demandes de radiation. Nous nous efforçons alors de nous entourer d’un ensemble d’éléments suffisamment pertinents et convergents pour que cette radiation puisse être opérée.

Cela étant, il ne serait pas scandaleux d’en rester à un délai raisonnable de six semaines. Cette mesure ne me choquerait pas et en tant que maire expérimenté, je pense qu’elle peut être comprise de tous. Je précise qu’un électeur conserve malgré tout la possibilité d’obtenir le jour du scrutin sa réinscription sur les listes électorales. La plupart du temps, les électeurs qui formulent cette demande obtiennent satisfaction. Cependant, certains électeurs ont été radiés, mais ne le savent pas, alors même qu’ils n’avaient par ailleurs probablement pas l’intention de participer au vote.

Cet élément me permet d’aborder votre deuxième question concernant la tenue des bureaux de vote, sur fond d’une baisse réelle de la participation, qui a tendance à s’aggraver quel que soit le type de scrutin. Il y a cinquante ans, un taux de participation de 70 % était considéré comme médiocre, mais il est aujourd’hui salué. Il a toujours existé un vivier de personnes, la plupart du temps connues sur la commune, prêtes à participer à la tenue des bureaux de vote. Malheureusement, l’assouplissement de la mobilisation conduit également à la réduction de ce vivier, même si cette réduction n’est pas proportionnelle à la baisse de participation de nos concitoyens aux élections.

Je me souviens que la première question posée par la responsable de ces questions dans ma commune, au lendemain du scrutin européen, concernait le risque de ne pas disposer de suffisamment d’assesseurs lors des élections législatives anticipées. Immédiatement, nous avons pris la décision, certainement partagée par d’autres, de ne pas attendre la semaine ou les dix jours précédant le premier tour pour prendre contact avec ceux qui venaient de tenir les bureaux de vote des élections européennes ou qui avaient l’habitude de le faire. Nous leur avons exprimé l’importance de s’assurer au plus vite de notre capacité, compte tenu de la réglementation, à organiser le bureau de vote.

Dans ma commune et dans mon département, nous avons été inquiets, mais également assez rapidement rassurés, par le maintien de l’engagement citoyen en dépit des difficultés de date. En effet, organiser un nouveau scrutin imprévu un mois après une élection est probablement moins périlleux en avril ou en mai que fin juin et début juillet. Malgré tout, nous y sommes parvenus. Cependant, nous sentons que la situation s’est fragilisée. À une certaine époque, la mobilisation était spontanée et nos concitoyens nous relançaient avant qu’on ne les relance. Désormais, nous devons nous assurer bien en amont que nous ne souffrirons pas de difficultés.

Faut-il rémunérer les assesseurs ? L’AMF n’a pas formulé de doctrine sur le sujet, dans la mesure où celui-ci n’a jamais fait l’objet d’une réflexion et d’une décision de notre bureau national. Cependant, je pense que la plupart des maires estiment aujourd’hui qu’être assesseur ou délégué relève du volontariat citoyen et qu’à ce titre, la question du bénévolat est finalement extrêmement importante. Ceux qui s’expriment dans un sens contraire sont certainement ceux qui ont été confrontés à des difficultés.

Encore une fois, nous constatons que ceux qui ont l’habitude de nous accompagner dans la tenue des bureaux de vote manifestent un véritable engagement citoyen. De ce point de vue, envisager une rémunération sous quelque forme que ce soit me ferait craindre d’introduire le ver dans le fruit, c’est-à-dire une perte ou une aggravation du risque de perte du sentiment citoyen. D’un point de vue strictement personnel, je ne pense pas que cette rémunération soit ni souhaitée, ni souhaitable.

Il existe des assesseurs titulaires, mais également des assesseurs suppléants. La mission d’un assesseur titulaire concerne la signature de tous les bulletins et les enveloppes contenant des bulletins nuls, des procès-verbaux. Si nous nous orientions vers un dispositif qui aboutit à ce que l’assesseur suppléant doit être indemnisé alors que l’assesseur titulaire est bénévole, et alors même qu’ils n’auront peut-être pas passé le même temps au bureau de vote, cela serait assez triste et préoccupant. Cela n’apporterait pas grand-chose et contribuerait certainement à une banalisation du fait électoral, que je ne souhaite pas et que je ne recommanderai pas.

Ensuite, au moins depuis la grande loi de 2005, les maires de France sont très attentifs aux sujets d’accessibilité de l’espace public et sont de plus en plus sensibilisés à ces questions, qui n’apparaissaient jamais auparavant. En conséquence, les bureaux de vote sont organisés en ce sens, jusqu’à l’emplacement de l’isoloir réservé en priorité aux personnes à mobilité réduite. Ainsi, je n’ai jamais reçu de la part du préfet ou de ses services de récriminations à ce sujet ou de demandes concernant une commune qui ferait obstacle à une meilleure accessibilité. Je pense que tous les députés qui font la tournée des bureaux de vote ne me contrediront pas, y compris dans les bâtiments des petites mairies des communes rurales.

Je prends note de votre observation selon laquelle nos concitoyens les plus âgés sembleraient ne plus se présenter aussi nombreux dans les bureaux de vote. Elle me semble importante, d’autant plus que le vieillissement de la population est une réalité, alors même que l’on a toujours entendu dire que le pourcentage de participation aux élections était le plus élevé chez nos concitoyens les plus âgés.

S’agissant de l’organisation de la propagande et des moyens correspondants, je ne dispose pas de solutions définitives. À chaque fois que des scrutins de liste sont organisés et que de nombreuses listes se présentent, les formats changent, y compris dans la dimension des bulletins de vote. Au-delà, il est vrai que le nombre de listes a tendance à augmenter, y compris aux élections municipales. Dans les petites communes, il est de bon ton de ne pas tenir rigueur aux maires de ne pas avoir réussi à disposer trente-huit panneaux réglementaires à un endroit de leur commune. Ce casse-tête se pose aussi pour les communes plus importantes, à l’image de celle dont je suis le maire, qui compte 22 800 habitants. Il est très difficile de disposer ces panneaux sur l’espace public, en veillant à ne pas courir le risque d’être suspecté de rendre certains panneaux plus visibles que d’autres.

J’avoue que je n’ai aucune idée de la manière dont ce casse-tête pourrait être résolu. En revanche, d’une manière plus générale, je sais que nos concitoyens qui s’intéressent à ces sujets sont également attachés au bon usage de l’argent public. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à nous faire remarquer que sur les trente-huit panneaux installés, à peine la moitié d’entre eux sont couverts d’affiches. En tant que praticiens de la politique, nous connaissons le dessous des cartes, mais nos concitoyens pratiquent généralement une analyse plus sommaire, parce qu’ils n’ont pas à rentrer dans le détail des éléments qui pourraient leur permettre, comme nous le faisons, d’analyser le sujet.

À ce titre, il serait peut-être pertinent que la réglementation évolue, notamment concernant le nombre de panneaux. Dans une commune de taille assez importante, il pourrait être envisageable de diminuer le nombre d’emplacements, et par la même occasion de réduire le nombre de panneaux. Je ne pense pas que cette décision altérerait à l’échelle nationale la sincérité du scrutin européen par exemple.

Il en va sans doute différemment pour les élections municipales, où ces panneaux sont traditionnellement disposés à tous les endroits disponibles, notamment devant chaque bureau de vote. Nous savons bien qu’un certain nombre de nos concitoyens ne savent toujours pas pour qui ils voteront lorsqu’ils se rendent dans l’isoloir. Nous constatons fréquemment que ces derniers consultent encore les panneaux et lisent les affiches avant d’entrer dans le bureau de vote.

En résumé, pour les élections locales et nationales, il ne me semble pas pertinent de diminuer le nombre de panneaux ou du moins le nombre d’emplacements, mais la question peut se poser pour les élections européennes. Dans les intercommunalités très rurales, des dispositions pourraient aussi être prises afin que cette obligation subsiste pour le « chef-lieu » de l’intercommunalité, mais pour qu’elle soit allégée ailleurs. Ces sujets méritent de faire l’objet de réflexions et nos collaboratrices de l’AMF présentes aujourd’hui à mes côtés relaieront probablement cette question, qui n’est pas mineure.

Vous m’avez également interrogé sur les moyens. Nous disposons de dotations de la part de l’État pour les élections, mais celles-ci n’ont pas varié depuis vingt ans, si ma mémoire est bonne. Cependant, il n’aura échappé à personne que l’inflation a fait son œuvre depuis vingt ans et que le « panier du maire » – comme on parle de « panier de la ménagère » – a augmenté, particulièrement ces dernières années.

Il est clair que pour une mission correspondant à la fonction du maire représentant de l’État, une partie de plus en plus importante du coût de ces opérations électorales relève du budget communal, c’est-à-dire de ressources qui ne sont pas des ressources affectées. Nous constatons donc bien l’existence d’un risque de décrochage entre le coût réel de ces prestations et les moyens que l’État met à notre disposition. Je relève cependant que l’État a consenti un important effort pour nous accompagner et nous soutenir dans la délivrance de titres numérisés lors des difficultés rencontrées après la crise sanitaire.

En conséquence, il est clair que ces dépenses nouvelles issues du budget communal mériteraient d’être mieux compensées, surtout en cas d’accélération de certains calendriers électoraux, comme cela fut le cas pour les législatives anticipées de juin et juillet dernier. En vingt ans, des tâches nouvelles ont vu le jour et les tâches plus anciennes ont vu leur coût augmenter.

M. le président Thomas Cazenave. Vous avez indiqué que l’AMF ne tenait pas un registre qui remonterait les difficultés rencontrées par les maires sur le terrain. Cependant, avez-vous été saisi de quelques difficultés rencontrées lors des dernières élections ? Si tel est le cas, de quelle nature étaient ces difficultés ? Comment ont-elles été repérées, signalées et remontées à l’AMF ?

Par ailleurs, l’inquiétante chute de la participation a déjà été évoquée, y compris par vos soins, entraînant des conséquences sur la bonne tenue des bureaux de vote. Je souhaiterais connaître la position de l’AMF ou votre avis personnel au regard de votre expérience sur les initiatives ou les solutions qui ont pu être testées ailleurs, à l’instar du vote à distance. Ce vote à distance constitue-t-il selon vous une solution d’avenir pour essayer de mieux répondre à l’exigence de meilleure participation à nos différentes élections ?

De même, est-il possible d’envisager, comme cela se passe dans d’autres pays, que le vote ne se déroule pas nécessairement un dimanche, mais sur plusieurs jours ? Cet aspect n’est pas sans lien avec votre dernière intervention sur les coûts en termes d’organisation et de mobilisation. Au fond, les modes de vie ont changé, certaines personnes travaillent le dimanche et nous observons bien que d’autres pays ont opéré d’autres choix.

M. Guy Geoffroy. Le phénomène de chute de la participation est complexe et le temps qui nous est imparti lors de cette audition ne permet pas de répondre à tous les aspects de ce phénomène.

Les initiatives prises en la matière par les communes sont extrêmement nombreuses et obtiennent des résultats que je juge assez intéressants. Ainsi, un grand nombre de communes développent une stratégie de conseil municipal de jeunes. Dans ma commune, j’ai fait en sorte que ce conseil s’appelle « le Conseil des jeunes citoyens ». Nous offrons au long cours une véritable formation et sensibilisons des jeunes sur ces sujets, pour les préparer à une mobilisation naturelle quand ils seront devenus citoyens à part entière. Je suis toujours agréablement surpris du résultat.

Par ailleurs, j’organise tous les ans une cérémonie de remise des cartes d’électeurs aux jeunes électeurs. Je suis d’ailleurs frappé par deux éléments à ce sujet : d’une part, ils sont relativement nombreux à répondre à notre invitation et d’autre part, 80 % à 90 % viennent accompagnés de leurs parents, alors qu’ils sont majeurs. Ces actions nous permettent de faire coup double : les parents sont fiers que leurs enfants se voient remettre leur carte d’électeur et cette opération contribue à développer l’esprit citoyen, et donc la mobilisation. Même si cela ne suffira probablement pas en soi, les résultats me semblent assez encourageants. En parallèle, je note qu’à la suite du travail incessant que nous effectuons dans cette direction, les enfants des écoles, les enseignants, les parents sont plus nombreux qu’à une certaine époque à se rendre à nos manifestations patriotiques, à s’impliquer et même à prendre des initiatives. Je pense que de manière coordonnée, l’État et les collectivités locales pourraient probablement encourager le développement de ce type d’initiatives, en les faisant mieux connaître.

Ensuite, vous avez évoqué les modalités permettant de contribuer à une meilleure participation. Vous avez mentionné le vote à distance, mais vous auriez également pu citer le vote par correspondance. Si l’AMF n’a pas de doctrine en la matière, elle demeure cependant assez réservée sur ces sujets. Le vote à distance éloigne les électeurs. En établir le principe pour certains mais pas pour d’autres se heurterait peut-être à des difficultés législatives, voire de rang supérieur. À l’AMF, nous ne sommes pas persuadés que cet élément libérerait nécessairement la capacité de nos concitoyens à se sentir plus concernés par les élections.

Votre question me conduit par ailleurs à évoquer celle des procurations. Le contexte très particulier de 2020 avait permis de multiplier les procurations, permettant à une même personne de recevoir deux procurations au lieu d’une. Cette action était bienvenue et a donné des résultats intéressants. En conséquence, nous regrettons que cette possibilité ne soit pas réouverte.

En effet, vous avez souligné le changement des modes de vie de nos concitoyens. Certains habitants sont des électeurs permanents et déterminés, mais se retrouvent plus que par le passé en difficulté, surtout quand le calendrier des élections intervient de manière non prévue. Je fais ici à nouveau référence aux dernières élections législatives. Il peut également être envisagé de modifier la date des élections. Si l’on disait aux Américains qu’ils ne voteront plus le deuxième mardi de novembre pour élire leur président mais qu’ils voteront un dimanche, personne ne comprendrait. Changer la date des jours de scrutin en France permettrait-il d’obtenir un meilleur résultat ? Je n’en suis pas persuadé.

Permettez-moi à ce titre de mentionner mon expérience. Je tiens le bureau de vote centralisateur de ma commune. Lorsque nous interrogeons dès l’ouverture du bureau les électeurs pour leur demander s’ils sont disponibles le soir à partir de dix-sept heures quarante-cinq pour nous aider à dépouiller, je suis frappé par le nombre considérable de personnes qui nous indiquent qu’ils ne peuvent pas, non pas parce qu’ils ne le souhaitent pas, mais parce qu’ils travaillent. En conséquence, je crois que pour ceux qui veulent véritablement accomplir leur devoir de citoyen, le fait de travailler le dimanche n’apparaît pas aujourd’hui être un motif les empêchant de se rendre aux urnes alors qu’ils en auraient envie.

En résumé, la question du changement de jour de vote n’est peut-être pas une solution. Dans un premier temps, cela déstabiliserait le système. Je suis incapable de dire si dans un deuxième temps, cela contribuerait à un sursaut de la participation. Je pense que la diminution de la participation est liée à une conjonction de facteurs. En outre, il s’agit d’un fait politique global, qui frappe un grand nombre de démocraties établies dans le monde.

M. le président Thomas Cazenave. Je partage avec vous l’idée que derrière la participation ne se joue pas uniquement la question de son caractère pratique pour celles et ceux qui doivent se rendre aux urnes. Cependant, je tiens à apporter quelques précisions. Lorsque j’évoquais la question de la date, je ne pensais pas au changement de jour, mais plutôt à un scrutin étalé sur plusieurs jours, y compris parfois sur du temps de travail. Je constate empiriquement que dans certaines régions proches d’un littoral et donc de plages, le taux de participation tend à s’effondrer les dimanches de beau temps.

Par ailleurs, je trouve étonnant de promouvoir l’ouverture d’un plus grand nombre de procurations, tout en étant très réservé sur le vote à distance. Dans le fond, le vote à distance s’apparente un peu à un vote par procuration dans la mesure où il déroge au rituel républicain du passage par le bureau de vote.

M. Guy Geoffroy. La proposition d’étendre le vote sur plusieurs jours mérite sans doute que l’on y réfléchisse. J’y vois cependant une limite immédiate, qui est celle de la sécurisation des urnes. Lors de mes premières années de militantisme, j’ai connu l’époque où les urnes n’étaient pas fermées comme elles le sont aujourd’hui, la fente était simplement recouverte d’une feuille de papier. J’ai également connu des affaires de bourrages d’urnes, qui ont entraîné des poursuites pénales, ou le cas d’un département français proche de la métropole où des urnes pouvaient être jetées à la mer. Ces phénomènes n’existent plus ou alors dans des proportions infinitésimales.

Aujourd’hui, la procédure est bien sécurisée, l’urne fait l’objet d’une surveillance permanente, d’une manière ou d’une autre, de facto. Mais si l’on devait ouvrir le scrutin du samedi matin jusqu’au dimanche soir, la question de la surveillance permanente de l’urne dans chaque bureau de vote se posera, sans parler du transfert des urnes de chaque bureau de vote vers le bureau centralisateur. Ces questions, qui peuvent paraître primaires, ne le sont pas en réalité et me laissent penser à ce stade que l’idée est bonne dans son principe, mais dangereuse dans sa mise en œuvre.

Dans les communes comme la mienne, nous avons les moyens de nous organiser, la police municipale peut prendre en charge les urnes les unes après les autres et les placer dans un endroit protégé. En revanche, cela n’est pas possible dans de plus petites communes. Il serait donc très dangereux de prétendre s’y livrer.

J’entends votre remarque sur une forme de dissonance entre la promotion de procurations multiples par personne et l’hésitation quant au vote à distance. Je tiens à rappeler que ce sentiment m’est personnel et ne représente pas une position officielle de l’AMF. Je suis personnellement très attaché au vote par une personne physique, que ce soit l’électeur lui-même ou la personne à qui l’électeur a confié le soin de voter.

Dans le même ordre d’idée, je fais partie de ces maires, assez nombreux, qui ont éprouvé des difficultés à adhérer au vote à l’aide d’une machine électronique. Nous sommes ainsi attachés au cérémonial du dépouillement et à l’alignement des résultats bureau par bureau. À ce sujet, on aurait pu penser que la mise en œuvre en fanfare du vote électronique il y a un certain nombre d’années aurait créé un réel engouement, que beaucoup de communes s’y seraient prêtées. Mais en réalité, cela n’a pas été le cas.

Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Vous avez indiqué que l’époque des bourrages d’urnes est révolue, mais de tels cas subsistent malheureusement. Le Conseil constitutionnel a ainsi rendu un avis en 2017 à propos d’une élection où j’étais candidate face à un certain Manuel Valls. En l’occurrence, une clef supposée n’ouvrir qu’un seul cadenas permettait d’en ouvrir deux. Des questions demeurent encore sur certaines pratiques, malheureusement.

Je souhaite savoir si l’AMF a réalisé un bilan de la nouvelle procédure concernant la radiation pour perte d’attache communale. Au préalable, les dossiers étaient examinés de manière individuelle par une commission. Depuis la loi de 2016, cette décision s’effectue à la discrétion du maire, la commission électorale n’intervenant que dans un second temps pour donner son avis. À titre personnel, comment pratiquez-vous cette procédure de radiation ? Pour éviter d’enlever aux habitants de votre commune ce droit fondamental qu’est le droit vote, quels moyens mettez-vous en œuvre avant de procéder à une radiation ? Étudiez-vous les liens existants avec les impôts, la trésorerie ou la cantine ?

Ensuite, nous observons que les panneaux d’affichage libre sont de moins en moins présents, entraînant un accroissement de l’affichage sauvage. Selon vous, les collectivités sont-elles au fait de la loi, qui précise que le nombre de panneaux disponibles doit être établi en fonction de la population ?

Je partage votre avis concernant la possibilité de revenir à deux procurations par portant. Je souhaite par ailleurs attirer l’attention sur les moyens mis en place pour permettre à nos aînés d’aller voter, notamment ceux qui vivent en Ehpad. Généralement, la mairie se charge de ces aspects, mais quelle procédure mettez-vous en place dans ce domaine, notamment avec les agents de la police municipale ?

M. Guy Geoffroy. Au sein de l’AMF, nous n’avons pas établi de bilan sur les questions relatives à la perte d’attache communale. Cependant, le fait que nous évoquions le sujet aujourd’hui nous incite à le mentionner auprès de nos autorités respectives au sein de l’AMF. Nous nous efforcerons d’approcher un tel bilan, qui nécessitera cependant que les communes collationnent un certain nombre d’informations pour pouvoir les faire remonter. Jusqu’à présent, la question ne s’est jamais posée dans des termes aussi précis que ceux qui ont été mentionnés aujourd’hui. Par exemple, dans mon département, je ne dispose pas aujourd’hui de la matière me permettant de faire remonter ces données au niveau national.

Ensuite, vous m’avez demandé de quelle manière nous nous entourons du maximum de précautions pour ne pas priver un électeur de son droit de vote. Les maires agissent essentiellement, dans leur quasi-totalité, par bon sens, ils n’ont aucune idée préconçue consistant à aller chercher coûte que coûte ceux qui seraient inscrits indûment sur les listes électorales. Dans ma commune, les services s’interrogent sur un certain nombre de situations où il n’existe manifestement plus de rattachement à la commune.

Un des éléments constitutifs de cette situation porte sur le retour en mairie des cartes d’électeurs non distribuées à l’adresse indiquée. Je rappelle que ces cartes doivent être disponibles dans tous les bureaux de vote. Ainsi, tout électeur qui n’a pas reçu sa carte là où il devait la recevoir peut en faire la demande dans le bureau de vote le jour du scrutin, où peut lui être remis le document, qu’il signe devant nous. Je précise cependant que le nombre de celles et ceux qui sollicitent la remise de leur carte d’électeur en arrivant au bureau de vote est infinitésimal. Nos services ajoutent à ces constats très factuels d’autres appréciations, comme des liens au travers de la scolarité ou de la régie de recettes et dépenses de la commune. En résumé, ce croisement d’informations s’opère de manière très précautionneuse.

Vous avez également évoqué l’affichage et les règles de droit que doivent appliquer les communes. Lorsque j’étais député et me rendais dans les quarante-huit communes de ma circonscription, je constatais que même dans les plus petites communes, il existait des panneaux d’affichage libres. Ces panneaux, qui étaient proportionnels à la taille de la commune étaient parfois surutilisés pour des affichages de manifestations qui se déroulaient loin de la commune, comme une brocante par exemple. Je pense que les communes sont à la hauteur de leurs obligations dans ce domaine. Si elles ne l’étaient pas, il convient de nous remonter cette information. Nous avons la capacité, conjointement avec l’État, de faire valoir les obligations qui incombent aux communes, particulièrement sur des sujets régaliens de ce type.

Vous avez en outre évoqué l’affichage sauvage. J’ai connu une époque pas si lointaine où, en dépit d’un nombre suffisant de panneaux, des affichages intervenaient partout, y compris là où aujourd’hui plus personne ne se hasarderait à en placer. Les préoccupations environnementales, y compris l'aspect visuel, associées à la volonté de plus en plus affirmée de ne pas gâcher du papier, contribuent à une diminution de l'affichage sauvage, lequel pouvait être particulièrement marqué jusqu’à une période récente que j’évaluerais au début du XXIe siècle. Les candidats qui veulent faire valoir à travers des moyens de communication autres que les panneaux officiels leur souhait de solliciter la confiance de leurs concitoyens ont aujourd’hui bien mesuré les capacités et les droits qui leur étaient ouverts, et les utilisent de manière satisfaisante. Par ailleurs, je n’ai pas la prétention de traiter tous les sujets. Je connais très bien la commune d’Evry, mais je ne me permets pas de juger ce qui s’y passe aujourd’hui.

Ensuite la possibilité de donner procuration est maintenant plus ouverte. Deux Ehpad sont implantés dans ma commune. Le commissariat s’organise afin que des fonctionnaires de police, en lien avec la direction des Ehpad, se rendent dans les résidences un jour déterminé, au contact des personnes qui veulent donner procuration. Notre police municipale procède de la même manière.

Comme je le soulignais précédemment, les efforts des communes sont considérables dans le cadre de l’ensemble des dispositifs d’inclusion. Ils concernent également la volonté des collectivités locales de permettre à nos concitoyens les plus diminués physiquement de venir dans les bureaux de vote. Le vote par procuration de nos habitants vivant en Ehpad est important en volume.

Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Pouvez-vous affiner votre réponse concernant la radiation pour perte d’attache communale ? Comment expliquez-vous qu’une commune ait pu radier 15 % de son corps électoral quelques jours avant les élections européennes, alors même qu’un grand nombre de ces électeurs continuent d’habiter la ville, où ils payent leurs impôts, notamment les impôts fonciers ? Ne faudrait-il pas revenir au système préalable, quand les dossiers étaient examinés de manière individuelle par une commission ? En tant que maire, êtes-vous en relation avec le service des impôts sur ces questions, afin d’obtenir un transfert d’informations ? Enfin, pensez-vous qu’un maire qui radie 15 % du corps électoral s’est entouré de toutes les précautions nécessaires ?

M. Guy Geoffroy. Je ne veux pas esquiver votre question, je vais essayer d’y répondre de manière la plus précise possible. Je n’ai pas d’explication à fournir au phénomène que vous avez cité, puisque je ne l’ai jamais rencontré sur ma commune. Je n’ai pas non plus reçu d’informations en ce sens de la part d’un maire ou du représentant de l’État. Cependant, je ne mets pas en doute l’évocation que vous venez de faire.

Je ne m’explique pas comment un maire peut radier quelqu’un qui habite sur la commune, paye ses impôts sur la commune et y scolarise ses enfants. Je ne peux que réitérer mes propos précédents concernant la réunion d’éléments probants laissant penser qu’une personne n’habite plus la commune. Il s’agit donc d’une démarche totalement opposée à celle qui consisterait à radier ceux qui ne devraient pas l’être, compte tenu de l’ensemble des éléments qui attestent bien de sa présence et donc de sa capacité à être électeur sur la commune.

Je confirme donc que nous avons tous les moyens disponibles de vérifier si quelqu’un habite sur la commune ou non. Il peut s’agir des moyens propres à l’activité de la commune par les services qu’elle propose à la population et dont certains d’entre eux nécessitent soit un paiement, soit à défaut de paiement, une inscription. Je pense par exemple à un enfant inscrit à l’aide aux devoirs au centre d’action sociale. Le lien de la commune avec les services fiscaux est constant. Dès lors, je ne peux guère comprendre le phénomène tel que vous le rapportez.

M. le président Thomas Cazenave. Monsieur le vice-président, il ne reste plus qu’à vous remercier pour votre présence cet après-midi et pour avoir contribué à éclairer nos travaux.

 

La séance s’achève à quinze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Farida Amrani, M. Thomas Cazenave, M. Antoine Léaument, Mme Céline Thiébault-Martinez

Excusé. – M. Xavier Breton