Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de représentants de l’Association des villes pour le vote électronique (AVVE) : M. Didier Gonzales, président, maire de Villeneuve-le-Roi, M. Guillaume Boudy, maire de Suresnes, et M. Etienne Béranger, adjoint au maire d’Issy-les-Moulineaux....              2

– Présences en réunion................................12

 


Jeudi
6 février 2025

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à onze heures trente.

 

M. le président Thomas Cazenave. Chers collègues, nous accueillons les représentants de l’Association des villes pour le vote électronique (AVVE) : son président, M. Didier Gonzales, maire de Villeneuve-le-Roi, ainsi que MM. Guillaume Boudy et Etienne Béranger, respectivement maire de Suresnes et adjoint au maire d’Issy-les-Moulineaux.

Votre association, lancée en 2014, a été, selon la présentation que vous en faites en ligne, « créée d’une volonté commune par des villes utilisatrices de machines à voter et celles souhaitant en utiliser ». Vous reviendrez sûrement dans votre propos liminaire sur le contexte qui vous a amené à vous associer. Il sera également important de préciser dans quel sens exact vous employez le terme « vote électronique ».

Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Gonzales, Boudy et Béranger prêtent successivement serment.)

M. Didier Gonzales, président de l’AVVE, maire de Villeneuve-le-Roi. Les machines à voter s’inscrivent pleinement dans le cadre de votre commission d’enquête sur les bonnes pratiques et l’amélioration des consultations démocratiques. Une machine à voter s’apparente à la caisse enregistreuse d’un grand magasin. Elle dispose d’une autonomie complète et se distingue du vote par internet. Si elle implique de se rendre dans un bureau de vote pour exprimer son vote, elle se substitue à l’urne et à l’isoloir. Il suffit de faire son choix, de la même façon que l’on sélectionne ses produits sur une caisse enregistreuse : au final, en guise de ticket de caisse, est édité le total des voix obtenues par chaque candidat. Sans être trop technique, je précise qu’il existe, par mesure de sécurité, deux sources de stockage d’informations.

Cet outil est sécurisé et a été validé par le ministère de l’intérieur. Un arrêté ministériel stipule les règles à respecter. Les machines sont scellées de façon à ce que celles-ci, sauf à briser les scellés, ne puissent faire l’objet d’aucune intervention, garantie que le vote par internet n’offre pas. La caisse enregistreuse est ainsi complètement fermée et isolée. En outre, elle est en parfaite autonomie, puisqu’elle dispose de sa propre batterie en cas de rupture d’alimentation électrique.

Le dispositif a été autorisé en 1969. Selon la Cour des comptes, il avait pour objectif la réduction de la fraude et des risques d’erreurs, et la modernisation du vote. Soixante communes sont équipées de machines à voter – des grandes communes d’Île-de-France comme Suresnes, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux et Villeneuve-le-Roi, des territoires ruraux comme urbains, tous bords politiques confondus –, tandis que 1,5 million d’électeurs les utilisent.

Nous avons créé l’AVVE en 2014, pour partager les bonnes pratiques – quelques ajustements, mineurs, peuvent être nécessaires – et en raison du moratoire instauré depuis 2008, à notre avis par ignorance, sur ce dispositif. Nous considérons comme un gage de qualité le fait qu’aucun incident ne soit à déplorer depuis cette date. Cela prouve la grande robustesse de nos machines.

De notre point de vue, le vote papier, c’est la préhistoire de la consultation : beaucoup d’impressions, des petites enveloppes, un dépouillement quasiment rupestre où les votes exprimés sont comptabilisés sous forme de bâtons, par des personnes de plus en plus difficiles à recruter. L’énorme avantage de la machine à voter est la disparition du dépouillement, donc la rapidité d’exécution. Il s’agit également d’un moyen de lutter contre la fraude – les scrutateurs étant de moins en moins nombreux, l’auto-contrôle dans le cadre de l’équilibre démocratique devient difficile. En outre, les coûts d’organisation sont réduits – disparition des tas de papier, fin des difficultés d’acheminement et de l’insuffisance de bulletins, qu’il faut parfois récupérer dans une autre commune. Enfin à la différence du vote papier, l’accessibilité est parfaite pour les personnes en situation de handicap, grâce aux écouteurs et au braille.

La machine à voter signifie donc plus de modernité et de facilité, ce que le thermomètre que constitue la participation permet de mesurer. L’objectif est en effet d’encourager la participation, notamment des jeunes, et de simplifier les choses. En outre, ce dispositif est particulièrement pertinent à l’heure où l’on cherche à diminuer notre empreinte carbone et à réduire les risques en période de pandémie – la sélection se fait sur écran, sans contact avec qui que ce soit.

M. Guillaume Boudy, maire de Suresnes. Pour les communes qui ont commencé à pratiquer ce mode de scrutin, un retour en arrière est inimaginable. J’ajouterai un élément important : lorsque les listes sont très nombreuses, certains petits candidats n’ont pas la possibilité de faire parvenir les bulletins ni de les financer, alors que la machine à voter le permet sans aucune difficulté. Ce point est important au regard de la démocratie.

M. Etienne Béranger, adjoint au maire d’Issy-les-Moulineaux. Notre maire, M. André Santini, m’a délégué au sein de l’AVVE pour représenter la ville d’Issy‑les‑Moulineaux. Quel est le sens de l’utilisation des machines à voter ? Trois acceptions sont possibles : l’orientation, la signification et la sensation. L’orientation consiste à faciliter pour l’électeur un exercice démocratique essentiel. La signification, c’est la simplification du processus, son accélération et une compréhension facilitée. Notre sensation est que les électeurs sont satisfaits de cette nouvelle modalité, tandis que subsiste une incompréhension avec la puissance publique. Nous vous remercions donc de nous entendre aujourd’hui.

M. le président Thomas Cazenave. Ce matin, nous avons auditionné des chercheurs, à qui nous avons demandé quel était le système de vote le plus sûr. Leur réponse a été claire : On ne fait pas mieux qu’une urne, avec du papier. La question de la vérifiabilité présente toujours des risques, même s’ils ne sont pas certains. Persiste ainsi l’idée que la vérifiabilité des machines à voter ne peut être totalement garantie, pire encore qu’il est facile d’instiller un doute et très difficile de le dissiper. Il est en effet plus facile de recompter des bulletins papier que de démontrer physiquement la fiabilité de la machine électronique.

Lors des dernières élections, avez-vous eu connaissance de difficultés concrètes et matérielles dans l’utilisation des machines de vote électronique dans les communes que vous représentez ?

Enfin, quel est l’intérêt de ce dispositif pour une commune ? Au-delà de la facilitation de l’organisation du vote, quel en est le coût ?

M. Antoine Léaument, rapporteur. La machine à voter diffère du vote sur internet, notamment car elle permet de conserver une certaine forme de rituel, en particulier par le fait de se rendre au bureau de vote. Néanmoins, comment l’électeur peut-il avoir la certitude que son vote est bien pris en compte et qu’il n’y a pas de “bidouillage”, la machine produisant un résultat différent du bouton sur lequel il a appuyé ? De quelle preuve, ou du moins de quelle possibilité de vérification dispose l’électeur ?

Par ailleurs, je m’interroge sur les prestataires de ces machines, dans la mesure où existe un risque d’ingérence par des pays tiers. Si les machines proviennent, certes, essentiellement des Pays-Bas, le fait qu’elles soient produites à l’étranger, par des acteurs privés, ne présente-t-il pas un risque ? Une puissance étrangère pourrait en effet essayer de manipuler la machine pour qu’elle influence le résultat d’une élection.

Le stockage des machines – elles ne sont pas utilisées pendant de longues périodes – est également facteur de risque, dans la mesure où des personnes malveillantes ou des puissances étrangères peuvent tenter de les “bidouiller”. L’exemple nous a été donné de hackers américains ayant réussi à mettre le jeu Pac-Man sur des machines à voter, nous conduisant à douter de leur fiabilité.

Dernière question, dans quelle mesure est-il possible de contester le résultat sorti par la machine ?

M. Didier Gonzales. Les machines à voter ont déjà fait la preuve de leur robustesse. Elles ont en effet été mises à rude épreuve, puisque le moratoire, instauré depuis longtemps, interdit le renouvellement du matériel. Leur simplicité contribue d’ailleurs à leur solidité. Je n’ai jamais rencontré, dans ma ville, de problème sur la machine elle-même, seulement une erreur humaine dans son ouverture – il y a un ordre à respecter –, qui s’est produite une fois. Je n’ai pas eu connaissance d’autres difficultés.

Par ailleurs, le coût d’une machine est de l’ordre de 5 000 à 6 000 euros, et incluait à l’époque une aide de l’État à hauteur de 10 %, si ma mémoire est bonne.

Quant aux fraudes, c’est précisément pour lutter contre elles que j’utilise les machines à voter. Le dépouillement papier était en effet à l’origine de nombreuses fraudes, qui remplissent les pages du contentieux électoral. En revanche, avez-vous déjà eu connaissance d’un cas de jurisprudence pour des fraudes impliquant les machines à voter ? Non, car leur dispositif est extrêmement sécurisé, à la différence du vote papier, qui repose entièrement sur la tenue des bureaux de vote. À défaut, aucun contrôle n’est possible. En supprimant l’intervention humaine dans le dépouillement, vous supprimez les risques de fraude. Dans ma ville, certains ont été surpris en train de frauder. C’est ce qui m’a conduit à mettre en places des machines à voter.

J’en viens aux dispositifs de sécurité. Les possibilités de fraude sont considérables avec le vote papier. Ainsi, la technique de « l’enveloppe kangourou » qui est l’une des causes du décalage entre le nombre de signatures sur la liste d’émargement et le nombre d’enveloppes, est très simple : il suffit d’avoir accès aux bulletins et aux enveloppes en mairie, de mettre le bulletin du candidat de son choix dans une enveloppe et de la glisser avec son enveloppe de vote. Je mets quiconque au défi de voir ce qui se passe lorsque cela tombe dans l’urne.

M. le président Thomas Cazenave. Nous l’avons vu faire à l’Assemblée, il n’y a pas si longtemps.

M. Didier Gonzales. L’utilisation de cette technique de fraude est tout simplement impossible sur une machine à voter.

M. le président Thomas Cazenave. À la différence du vote papier, la machine à voter ne permet pas de constater les choses de visu. Dès lors, comment démontrer la parfaite intégrité de l’acte de vote ?

M. Didier Gonzales. Il pourrait y avoir débat s’il n’existait pas une si grande jurisprudence en matière de fraude électorale avec le vote papier : l’utilisation de la machine à voter permet justement de les éviter.

À partir du moment où le compteur de la machine à voter est cohérent avec le cahier d’émargement, vous avez déjà l’assurance qu’il n’y a pas eu de vote supplémentaire introduit.

Quant à savoir si un vote peut être mal comptabilisé, la réponse du ministère de l’intérieur est très claire : la machine est sécurisée – tout comme chez Carrefour, où seule la caissière peut éventuellement se tromper. Des bandes font office de témoins de non-ouverture.

Vous me direz que la machine pourrait avoir été bricolée en sortant d’usine, de telle sorte qu’en appuyant sur une touche, on ne vote pas pour le candidat auquel elle est censée avoir été attribuée… Admettons que cela soit possible ! C’est le sketch de la chauve-souris enragée… Je rappelle que la machine est complètement bloquée par les scellés du ministère de l’intérieur, qui sont vérifiés. Et un ticket est édité, garantissant qu’aucun vote n’a été enregistré au préalable.

En outre, la procédure prévoit qu’au moment de l’installation des machines à voter, on effectue la vérification de toutes les touches, en présence des élus d’opposition – auxquels j’adjoins pour ma part un huissier. Chaque machine est vérifiée. L’erreur étant humaine, il est vrai que l’on pourrait se tromper pendant le paramétrage. À la suite de cela, des scellés sont installés puis la machine est stockée dans un lieu sécurisé. Jusqu’à maintenant, on ne nous en a jamais dérobé.

Le lendemain matin, les machines sont remises en marche devant les élus d’opposition et le bureau. C’est à ce moment-là en effet – et pas à vingt-trois heures ! – que l’on est sûr de pouvoir réaliser l’expertise contradictoire en leur présence. On brise alors les scellés et l’on procède de nouveau à l’édition d’un ticket, démontrant que les touches sont attribuées aux bons votes –  sachant qu’un autre ticket est édité à la fin du processus, avec les résultats.

À partir de là, tout a été vérifié. Ceux qui le souhaitent ont pu faire des essais. Si le cahier d’émargement est cohérent avec le nombre votes – ce qui est désormais le cas dans ma commune, mais ne l’était pas auparavant – la seule erreur envisageable pourrait venir de votes déviés, mais en théorie seulement : en pratique, il y a eu une validation des circuits à deux reprises, en présence de l’opposition, et l’on peut s’assurer que les scellés n’ont pas été brisés ! Je veux bien que l’on imagine des choses incroyables, mais revenons un instant au dépouillement des votes papier : une fois que vous avez compté vos bulletins une première fois et que vous les avez rangés en petits tas, ils ne sont pas stockés : ils sont jetés à la corbeille, où ils sont mélangés ! Quelle preuve reste-t-il en cas de contestation ? Aucune !

Le système étant créé par l’homme, on peut évidemment tout imaginer. Mais à l’AVVE, nous sommes prêts à ce l’on ajoute éventuellement d’autres contraintes sur les machines : pas de problèmes pour les cadenasser à triple tour ! Le système a des avantages sur le plan sanitaire, il permet de consommer moins de papier, il est plus rapide, il facilite le dépouillement et permet de lutter contre la fraude : il n’y a pas photo ! Les objections sont liées à des craintes quant à ce qui pourrait éventuellement se produire. Mais avec le vote papier, vous avez l’assurance que cela peut se produire !

M. Étienne Béranger. Je suis tout à fait en phase avec mon collègue. J’invite d’ailleurs les membres de la commission d’enquête à se rendre dimanche dans un bureau de vote de Boulogne-Billancourt, ville équipée de machines à voter, pour observer la façon dont se déroule en pratique l’élection législative partielle qui y est organisée.

À Issy-les-Moulineaux, nous avons quarante-sept bureaux de vote. Le jeudi précédant le scrutin a lieu l’opération de paramétrage des machines à voter. Chez nous aussi, cette opération se tient en présence d’un huissier. Elle nous prend la journée. L’ensemble des candidats sont convoqués, et ils ont aussi la possibilité de se faire représenter. Ils sont libres de faire des remarques, de poser des questions et de demander l’organisation d’un vote fictif.

Nous avons fait le choix de louer nos machines, qui ne sont donc stockées chez nous qu’entre le moment de leur arrivée dans la commune et le vote ; elles sont alors placées dans le centre technique municipal, dans un local sécurisé dont nous sommes très peu nombreux à avoir la clé.

Nous n’avons connu qu’un seul incident, vraiment mineur : à l’occasion d’un scrutin, trois machines n’ont été opérationnelles qu’à huit heures quarante-cinq au lieu de huit heures – sachant qu’il y a des machines de secours. En consultant les procès-verbaux des bureaux de vote de notre commune, vous pourrez lire les remarques de personnes opposées aux machines à voter – il y en a toujours – mais vous constaterez qu’aucune n’est argumentée ni ne relate d’incident.

Pour deux tours de scrutin, la location des machines nous coûte 107 000 euros pour l’ensemble des bureaux.

L’absence de mise en réseau des machines sécurise le dispositif. Plus généralement, je confirme tout ce qu’a indiqué M. Gonzales.

M. Guillaume Boudy. La ville de Suresnes a trente-deux bureaux de vote et deux machines à voter de rechange, acquises pour 4 400 euros TTC chacune. Une formation et une assistance sont proposées pour 4 800 euros par tour de scrutin. Nous avons souscrit un contrat de maintenance et de garantie d’un an, pour 7 500 euros. Le coût annuel s’élève ainsi à 12 288 euros lorsqu’il y a un tour d’élection et à 15 288 euros lorsqu’il y en a deux. Nous faisons également appel à un huissier de justice pour 1 200 euros. Au total, le vote électronique me semble beaucoup plus économique que le vote papier.

Je souscris totalement aux propos de MM. Gonzales et Béranger. J’ajoute qu’il faut être réaliste : la difficulté à trouver des scrutateurs met en danger la fiabilité du scrutin papier et du dépouillement. Et le maintien d’agents jusqu’à onze heures et demie ou minuit représente un coût considérable pour les communes comptant plus de 30 000 électeurs. Ce sont des problèmes que l’on n’a pas avec la machine à voter.

Le coût n’est certes pas neutre pour les petites communes, mais il n’est pas un obstacle ; certaines d’entre elles sont d’ailleurs membres de l’AVVE et utilisatrices du vote électronique. Et tout ce que nous demandons, c’est que celles qui souhaitent mettre en place ce dispositif puissent le faire.

M. le président Thomas Cazenave. Compte tenu de cette démonstration implacable, comment expliquez-vous que le moratoire soit maintenu depuis 2008 et qu’une position conservatrice continue de prévaloir, par-delà les alternances politiques ?

M. Didier Gonzales. Je pourrais plus facilement vous répondre si la décision nous incombait ! C’est assez mystérieux. Chaque nouveau conseiller nommé sur cette question vient nous rendre visite et nous dit qu’il faudrait y réfléchir, mais le sujet ne semble pas considéré comme fondamental par le ministère de l’intérieur. Je crois que la fiabilité et la robustesse des machines plaident contre nous : personne finalement ne s’en préoccupe – même si nous risquons, à mesure que le temps passe, d’avoir effectivement des problèmes.

Vous l’avez compris, nous demandons la levée du moratoire. Il est incroyable qu’on en soit toujours au même point, à l’heure où l’on mesure l’empreinte carbone et où circulent des virus parfois redoutables ! Je vous transmettrai d’ailleurs une plaquette expliquant l’intérêt sanitaire de la machine à voter face aux virus.

Je voudrais aussi souligner que le vote électronique permet de comptabiliser les votes blancs, contrairement au vote papier, et qu’il évite les votes nuls ! L’électeur a le choix entre vote positif et vote blanc – à moins qu’il ne se déplace pas, ce qui est un autre sujet.

J’insiste : telle qu’a été conçue et sécurisée, la machine à voter est sans doute l’une des réponses à la nécessaire modernisation du processus de vote. Tout le monde, aujourd’hui, a en main un smartphone ! Les jeunes, notamment, m’interpellent à ce sujet et ne comprennent pas que l’on puisse maintenir le vote papier.

Nous vous invitons à venir dans l’une de nos communes quand vous le souhaiterez pour assister à une démonstration. Vous constaterez que l’usage de la machine est très simple, comme le montre une photographie que nous allons vous remettre. L’électeur est guidé ; il n’a qu’à sélectionner la touche sous le bulletin qu’il a choisi, puis à valider. Si en plus il y a deux élections en même temps, la machine à voter évite d’avoir à installer deux urnes !

Je voudrais enfin répondre à une objection que vous pourriez nous faire : les machines à voter pourraient être un obstacle au vote et entraîner une moindre participation – ce qui irait à rebours des préoccupations de votre commission. Or ce n’est pas le cas, bien au contraire. En témoigne la participation record enregistrée à Issy-les-Moulineaux qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne s’explique pas par la sociologie. J’ai établi en effet une comparaison entre ma commune de Villeneuve-le-Roi et celle de Villeneuve-Saint-Georges, dont le profil est quasiment identique et qui n’est pas équipée de machines ; il en ressort que lors des quatre dernières élections, la participation était systématiquement plus élevée chez nous – de trois points en moyenne au premier tour, et dans une proportion un peu moindre au second tour, davantage mobilisateur.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je vous remercie, messieurs, de l’enthousiasme dont vous avez fait preuve dans vos présentations ! Je constate que le moratoire empêche de déployer le vote électronique au-delà des soixante-six communes déjà équipées, alors que la population souhaite que le processus de vote évolue.

Existe-t-il un marché concurrentiel pour les machines à voter, ou le même modèle est‑il déployé partout ? Subsiste-t-il dans vos bureaux de vote des urnes pour organiser un éventuel vote papier, au cas où une machine tomberait en panne ?

Lorsque l’on vote par internet, à l’occasion des élections dans les chambres d’agriculture par exemple, on reçoit une preuve de son vote avec le nom du candidat que l’on a choisi. Me confirmez-vous que ce n’est pas le cas avec les machines à voter ? L’électeur peut en effet se tromper de bouton.

M. Étienne Béranger. Il y avait naguère trois fournisseurs de machines à voter. Il n’y en a plus qu’un, France Election. Il n’y a plus ni concurrence ni marché. La levée du moratoire permettrait peut-être de relancer un marché et de faire baisser les prix. À Issy-les-Moulineaux, nous avons fait à l’origine le choix de la location pour être certains de disposer de machines dernier cri.

Il est vrai par ailleurs qu’avec une machine à voter, l’électeur ne reçoit pas de preuve de son vote et ne peut donc être certain d’avoir voté pour le candidat qu’il avait choisi. C’est une remarque que l’on nous fait souvent. Mais pour être tout à fait clair, je précise qu’après avoir appuyé sur le bouton correspondant au nom de l’un des candidats, l’électeur peut revenir en arrière s’il estime s’être trompé. Puis, une fois qu’il a validé son vote, celui-ci s’affiche sur la machine. Il y a donc une preuve au moment du vote, mais pas de preuve papier après.

M. Guillaume Boudy. C’est un processus à double clic. L’électeur appuie une première fois sur l’un des boutons, après quoi le nom du candidat qu’il a choisi s’affiche sur un écran. Puis il doit appuyer une seconde fois pour valider. C’est à ce moment-là seulement que l’urne se ferme et que le président du bureau déclare : « a voté ! ».

Mais il n’a pas davantage de preuve avec le vote papier : une fois que l’enveloppe est dans l’urne, l’électeur n’a plus de preuve de son choix.

M. Didier Gonzales. La survenue d’une panne est un cas de figure prévu : nous extrayons alors l’urne de la machine dont le fonctionnement s’est interrompu et la plaçons dans une machine de secours. L’urne conserve en mémoire tous les votes qui ont été enregistrés. Les coupures de courant sont également anticipées : conformément à la réglementation, une batterie est placée au pied de chaque machine.

S’agissant du risque d’erreur, je confirme que, tant que l’électeur n’a pas validé son vote, il peut le modifier autant de fois qu’il le souhaite. Je précise par ailleurs que des touches en braille et un casque audio sont prévus pour les personnes non-voyantes.

Enfin, l’électeur n’a aucune preuve non plus, avec le vote papier, qu’il a voté pour le bon candidat ! Il n’a que son émargement.

Peut-être imaginez-vous, madame la Députée, que le vote pourrait ne pas être correctement enregistré à cause d’un bouton usé, ou mal enfoncé. Sachez que l’urne reste ouverte tant que le processus n’est pas achevé. Elle ne peut être libérée pour l’électeur suivant que par la validation du vote, qui se matérialise par une sonnerie. Ce dispositif garantit aussi que chaque électeur ne puisse voter qu’une seule fois.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). M. le président a parlé de démonstration implacable, mais aucun de nous n’est informaticien. Or lorsque je ne connais pas un sujet, j’ai pour habitude, étant universitaire, de me fier à la communauté scientifique compétente, en l’occurrence celle des informaticiens.

Aux Pays-Bas, Rop Gonggrijp a analysé des machines à voter identiques à celles utilisées à Brest, dans ma circonscription. Il a démontré qu’il était possible de les pirater de différentes façons, de manière indétectable. Des études menées par la suite ont confirmé qu’il était impossible de protéger ces machines contre le piratage, ce qui a conduit les Pays-Bas à retirer l’ensemble des machines à voter ; l’Allemagne a pris depuis une décision similaire. Je suis donc surpris que nous votions à Brest avec des machines que les Néerlandais et les Allemands ont considérées comme inaptes à procéder à des opérations de vote.

Par ailleurs, en raison du moratoire, une partie de nos concitoyens vote avec des machines à voter, alors que le reste utilise le papier, ce qui soulève la question de la rupture d’égalité.

Chantal Enguehard, ingénieure en informatique et enseignante-chercheuse à l’université de Nantes, fait valoir qu’utiliser une machine à voter contrevient au principe républicain selon lequel le vote ne doit pas faire l’objet d’une coercition – d’où la présence d’isoloirs. En effet, contrairement au vote avec des bulletins papier, il est tout à fait possible de filmer l’intégralité de l’opération effectuée sur la machine et d’apporter la preuve de son vote à quelqu’un.

Entre 2007 et 2017, Chantal Enguehard a également accumulé des données agrégées relatives aux écarts entre les listes d’émargement et les votes effectifs lors des scrutins présidentiels. Ces écarts sont plus importants dans les communes utilisant des machines à voter que dans les communes qui n’en utilisent pas. Enfin, aucune étude scientifique ne montre un effet positif du recours aux machines à voter sur la participation.

Au début de nos travaux, nous avons identifié le problème de la faible participation citoyenne aux opérations de vote elles-mêmes – les appareils partisans ayant une part de responsabilité dans cette situation. L’argument portant sur la simplification des opérations n’en est que plus attrayant, puisque l’utilisation des machines à voter nécessite moins de personnes. Le revers de la médaille, c’est la disparition du rituel républicain du dépouillement, au cours duquel le résultat de l’élection émerge progressivement. Lorsque j’étais enfant, j’accompagnais mon père au dépouillement : c’était un moment important, qui contribuait à une forme de socialisation et qui pourrait raviver l’intérêt des citoyens pour le processus même du vote.

Ne prenez aucune de mes remarques personnellement : compte tenu des particularités de ma circonscription en la matière, je me suis beaucoup intéressé au sujet, en particulier au risque de rupture de l’égalité. Il me semble curieux d’avoir été élu pour deux tiers par le biais de machines à voter et pour un tiers par des bulletins papier. Alors que les machines à voter suscitent une opposition, qui reste cependant modeste, le vote par bulletins papier n’en soulève aucune.

Nous devons prendre une décision éclairée ; à titre personnel, je suis favorable à l’interdiction des machines à voter.

M. le président Thomas Cazenave. Effectivement, avez-vous des informations sur le maintien ou le retrait des machines à l’étranger ?

M. Étienne Béranger. Le rapport du gouvernement remis au Parlement en 2021 explique que le gouvernement néerlandais n’avait pas pris les dispositions nécessaires pour surveiller les machines à voter, contrairement à ce qui a été fait en France – comme M. Gonzales l’a détaillé.

Par ailleurs, compte tenu des difficultés rencontrées par de nombreuses villes pour recruter des scrutateurs et des assesseurs, je propose que ces derniers soient désignés par tirage au sort sur les listes électorales. Chaque tiré au sort étant affecté à son propre bureau de vote, cette solution présente l’avantage de la proximité. Il aura bien sûr la possibilité de refuser s’il n’est pas disponible.

Permettez-moi de citer trois scrutins qui auraient pu être simplifiés en recourant aux machines à voter : les élections européennes de juin 2024, auxquelles une trentaine de listes étaient candidates, ce qui implique une grande quantité de papier et des ajustements logistiques, notamment des tables supplémentaires ; le double scrutin des élections départementales et régionales ; les élections législatives anticipées de juin 2024, pour l’organisation desquelles les communes n’ont disposé que de trois semaines – celles qui sont équipées de machines à voter ont travaillé plus sereinement.

M. Didier Gonzales. L’exemple des Pays-Bas est intéressant : un scientifique est en effet parvenu à rompre les scellés et à installer dans la machine un dispositif modifiant les votes, mais après plusieurs semaines de travail dans son garage ! Dans de telles conditions, je ne peux qu’être d’accord avec vous, monsieur le Député, mais reconnaissez qu’elles sont quelque peu anormales !

Je le répète : les scellés sont sécurisés, des tests sont effectués, des huissiers sont convoqués et des tickets d’établissement sont édités. Ce n’est pas la faute de la machine si les autres gagnent !

Je pourrais adhérer à votre raisonnement si les résultats issus des machines à voter différaient de ceux des bulletins papier, mais ce n’est pas le cas : ainsi, à l’occasion des élections présidentielles de 2007, 2012 et 2017, les résultats des machines à voter étaient identiques aux autres. Si les scellés sont correctement sécurisés, vous disposez d’une garantie plus solide que pour les votes par bulletins papier : je peux vous montrer des modes opératoires de bourrage d’urnes auxquels vous ne verrez que du feu !

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). N’ayez crainte, nous avons des assesseurs expérimentés !

M. Guillaume Boudy. Avant d’installer un nouveau dispositif, on précède habituellement à une expérimentation. Or l’expérimentation des machines à voter dure depuis maintenant vingt ans, dans plus de soixante communes de tailles diverses : des millions d’électeurs ont appuyé sur ces fameux boutons, sans provoquer aucun litige. Cela me semble être la meilleure démonstration.

Les villes utilisatrices des machines à voter représentent différentes tendances politiques ; leurs maires sont pourtant unanimes pour en demander le maintien, même après une alternance. En tant que maires, nous témoignons de bonne foi que ce système fonctionne depuis vingt ans ; nous en demandons non seulement le maintien, mais aussi le développement.

M. le président Thomas Cazenave. Vous vantez la robustesse de vos machines, mais elles datent d’une vingtaine d’années. Combien de temps peuvent-elles encore fonctionner ?

Vous avez parlé des Pays-Bas, mais que s’est-il passé en Allemagne ? Pourquoi les machines à voter ont-elles été retirées ?

La sécurisation des machines à voter repose essentiellement sur les scellés : comment en garantir l’inviolabilité ?

Enfin, il existe de nombreux fantasmes quant aux capacités technologiques actuelles, notamment de piratage même à distance : il faut être en mesure de rassurer les électeurs à ce sujet.

M. Didier Gonzales. Encore une fois, la preuve de la fiabilité des machines à voter est apportée par l’absence de résultats discordants. D’ailleurs, comme nous disposons des résultats plus tôt que les autres, nous sommes même sollicités par la presse et la préfecture qui cherchent à connaître la tendance.

Pour savoir combien de temps peuvent encore fonctionner ces machines, il faudrait poser la question au ministère de l’intérieur – et venir ainsi à notre secours ! L’un des objectifs de leur utilisation consiste non seulement à éviter l’utilisation de kilos de papier, mais aussi à rétablir une forme d’égalité pour les petits candidats qui ne peuvent pas éditer leurs bulletins – ou pour éviter des erreurs de routage des bulletins papier.

La machine que je vous ai présentée a connu des évolutions ; les nouveaux modèles présentent un haut niveau de sécurité, tout en étant plus conviviaux, plus efficaces et plus modernes, sans pour autant présenter les failles du vote par internet tel qu’il est pratiqué actuellement. Même si les scellés sont brisés, les tickets imprimés, que je vous ai montrés tout à l’heure, attestent de la régularité du vote.

M. Étienne Béranger. Le rapport sur les machines à voter remis par le gouvernement au Parlement en 2021 évoque les pays européens utilisant ce système, en particulier la situation en Allemagne – en page 21 : « La Cour a sanctionné l’insuffisance des dispositions imposées pour assurer la sécurité du scrutin sans attaquer le principe même d’utilisation de machines à voter. »

M. Guillaume Boudy. Prolonger ce moratoire serait la pire des décisions, parce qu’il a des conséquences sur l’ouverture de nouveaux bureaux de vote : si le corps électoral s’accroît, nous n’avons pas le droit d’ouvrir un bureau de vote équipé d’une machine à voter. À terme, dans les zones à forte croissance démographique, nous risquons d’être confrontés à des situations de blocage : dans la même commune cohabiteront des bureaux de vote équipés de machines à voter et des bureaux fonctionnant avec des bulletins papier.

M. le président Thomas Cazenave. Si je comprends bien, compte tenu du moratoire en cours, vous n’avez pas le droit de remplacer le parc de machines à voter existant. Tout est figé.

M. Didier Gonzales. Exactement.

M. Antoine Léaument, rapporteur. J’aimerais savoir comment fonctionnent ces machines à voter dans le cas particulier des élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants : ce sont des scrutins de listes dans lesquels le panachage est possible.

M. Didier Gonzales. Conformément au code électoral, les machines à voter sont installées dans les communes de plus de 3 500 habitants.

En guise de conclusion, permettez-moi de citer le rapport de la Cour des comptes sur l’organisation des élections, publié en 2024 : « S’agissant des seules communes actuellement utilisatrices, il apparaît à la Cour que des solutions intermédiaires, permettant de recourir à du matériel plus moderne et plus sûr, pourraient être envisagées, et seraient en tout état de cause préférables au statu quo actuel. »

M. le président Thomas Cazenave. Nous aurons l’occasion d'interroger le ministre de l’intérieur. Je vous remercie pour ces échanges enrichissants et pour votre enthousiasme.

 

 

La séance s’achève à douze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pierre-Yves Cadalen, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument