Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo. 2

– Présences en réunion................................26

 


Jeudi
3 avril 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 27

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission entend lors de sa table-ronde réunissant les responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo :

 M. Fabien Namias, directeur général de BFMTV, et Mme Alix de Montesquieu, responsable des affaires publiques du groupe RMC-BFM ;

 M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, et M. Christophe Roy, directeur des affaires réglementaires et concurrence du groupe Canal+ ;

 Mme Julie Burguburu, secrétaire générale du Groupe TF1, et M. Guillaume Debré, directeur général de LCI ;

 M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe de France Télévisions, et M. Cyril Guinet, directeur de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme de France Télévisions ;

M. le président Thomas Cazenave. Merci aux responsables des quatre grands groupes audiovisuels français qui disposent d’une chaîne d’information en continu sur le canal de la télévision numérique terrestre (TNT) de participer à nos travaux sur l’organisation des élections en France. Nous examinons toutes les étapes des élections dans notre pays, de l’inscription sur les listes électorales à la tenue des bureaux de vote, en passant par le financement des campagnes électorales, les sondages, le rôle des médias – en particulier de la télévision – et des réseaux sociaux.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Fabien Namias, Mme Alix de Montesquieu, MM. Thomas Bauder et Christophe Roy, Mme Julie Burguburu, MM. Guillaume Debré et Alexandre Kara, Mme Livia Saurin, et M. Cyril Guinet, prêtent serment.)

M. Fabien Namias, directeur général de BFMTV. Lancée en novembre 2005 sur la TNT, BFMTV est une chaîne d’information généraliste en continu, reconduite pour dix ans par le régulateur en décembre 2024. Après dix-neuf ans d’existence, elle s’est imposée comme une référence grâce à une rédaction de 250 journalistes qui produisent vingt heures de programmes en direct chaque jour et disposent d’une capacité particulière à couvrir l’actualité.

Depuis le rachat par le groupe CMA-CGM en juillet 2024, la chaîne traverse une période de transition : une clause de cession est ouverte jusqu’à la fin mai, et un repositionnement stratégique est en cours. Mon travail est guidé par une certitude : je crois fermement que BFMTV est à son meilleur lorsqu’elle se concentre sur ses fondamentaux, à savoir l’information, le direct, les images, l’exclusivité et le décryptage.

Cette audition me donne l’opportunité d’appeler votre attention sur deux points.

Premier point : les chaînes d’information en continu – et les médias audiovisuels en général – sont soumises à des règles strictes encadrées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), notamment en matière de pluralisme ou de diffusion des sondages. En revanche, les plateformes et les réseaux sociaux y échappent totalement, alors qu’ils deviennent des canaux privilégiés de consommation de l’information, en particulier chez les plus jeunes. L’absence de régulation de ces acteurs pourrait donc contribuer à accentuer le phénomène de méfiance à l’égard de la chose politique et des enjeux électoraux, faisant de l’harmonisation des règles un sujet que nous pensons crucial pour l’avenir.

Deuxième point : les éditeurs doivent spécifiquement respecter les règles du pluralisme, notamment politique. Pendant les élections présidentielles, par exemple, une période d’équité est suivie d’une période d’équité renforcée puis d’égalité parfaite de temps de parole, avec une comptabilisation complexe répartie sur quatre tranches horaires. Ces règles apparaissent trop strictes et peuvent même, ainsi que nous l’avons vécu régulièrement lors des plus récents scrutins, y compris les plus importants, décourager la couverture de certains sujets comme les élections locales. Nous pensons qu’une réflexion s’impose sur le caractère proportionné de ces dispositions.

M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews. Cela fait maintenant huit ans que j’exerce mes fonctions au sein de CNews, chaîne détenue à 100 % par Canal Plus, et dont le directeur général est Serge Nedjar. Chaîne d’information nationale, CNews réunit plus de 8 millions de téléspectateurs cumulés par jour. Depuis janvier, elle est la première chaîne d’information en France – 3,2 % de parts de marché en mars, selon Médiamétrie, parmi les 4 ans et plus. Elle diffuse 8 760 heures de programme par an, dont 6 570 heures de direct, soit environ dix-sept heures par jour, et propose une quarantaine de rendez-vous d’information par jour. Elle revendique des incarnations – personnalités – de référence, une rédaction de près de 200 collaborateurs entièrement dédiés à l’information, dont 150 possesseurs de cartes de presse. Profitant de l’occasion, je voudrais saluer le travail de tous ces collaborateurs, notamment des dizaines de journalistes qui sont sur le terrain et sur nos plateaux tous les jours.

Ce succès est le fruit du travail et de la persévérance des équipes de CNews depuis la réinvention de son modèle en 2017. À l’époque, iTélé s’essoufflait dans un paysage audiovisuel marqué par une concurrence accrue sur le marché des chaînes d’information – lancement de Franceinfo, passage de LCI du payant au gratuit. Il a donc fallu définir une nouvelle stratégie pour la chaîne, afin d’en garantir la pérennité dans un univers concurrentiel et économique contraint. Notre pari a été double : proposer aux téléspectateurs français une chaîne qui leur ressemblait et parlait aussi concrètement que possible de leurs sujets de préoccupation quotidiens ; s’ouvrir à toutes les expressions. Tournée vers l’accessibilité, CNews cherche à être le miroir de toute la diversité de la société, et apporte une information décryptée et commentée en lien avec les préoccupations des Français. Pour nous différencier tout en respectant nos obligations, nous nous sommes attachés à présenter de nouveaux formats, à proposer une information moins verticale et plus participative, à organiser davantage de plateaux pour favoriser l’expression des opinions. Au vu des audiences croissantes, ce pari nous semble être gagnant.

En décembre 2024, l’Arcom a décidé de renouveler notre autorisation d’émettre pour une durée de dix ans, dans le cadre d’une convention qui prendra effet le 1er septembre prochain. Nous sommes pleinement engagés pour continuer d’informer les Français sur les sujets qui les préoccupent.

M. Guillaume Debré, directeur général de LCI. Lancée en 1994 et présente gratuitement sur la TNT depuis 2016, LCI est la première née des chaînes d’information. C’est une filiale à 100 % du groupe TF1, leader audiovisuel qui détient cinq chaînes sur la TNT et diffuse sur sa principale chaîne des journaux de référence à 13 heures et 20 heures – en plus d’une matinale. Le groupe compte 3 500 et collaborateurs. Quant à LCI, elle a 200 collaborateurs, dont 140 possesseurs de cartes de presse.

Notre proposition éditoriale est centrée sur le décryptage et l’analyse des grands enjeux de politique économique et internationaux qui affectent la vie des Français. Pour que nos téléspectateurs comprennent les événements, nous prenons le temps d’aller au fond des choses par le biais de débats et du recours à des experts. Notre positionnement idéologique est celui du débat raisonnable et raisonné, qui permet d’exposer tous les points de vue et de les mettre en perspective. Dans un univers polarisé, que d’aucuns disent hystérisé, nous voulons apporter de la raison dans l’explication des phénomènes qui affectent la vie des Français.

M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions. Premier groupe audiovisuel d’information du pays, France Télévisions produit près de 8 000 heures d’information chaque année à travers France 2, France 3 et Franceinfo, la chaîne d’information en continu du groupe, qui a commencé à émettre le 1er septembre 2016.

Franceinfo fait partie d’une coentreprise avec Radio France, comprenant une télé, une radio et un site, qui touche environ 14 millions de Français par jour, ce qui représente une lourde responsabilité éditoriale. S’agissant de la ligne éditoriale, conformément au cahier des charges de France Télévisions, la chaîne doit répondre à un besoin de connaissance et de compréhension de l’actualité immédiate. Elle doit certes informer le public sur l’actualité la plus immédiate, mais aussi consacrer une part substantielle du temps d’antenne à l’analyse et à la mise en perspective de l’information.

Au fil de l’évolution de la grille depuis la création de la chaîne en 2016, cette offre axée sur l’approfondissement de l’actualité quotidienne s’est développée. Le traitement des sujets politiques s’inscrit dans cette ligne et, plus largement, dans le respect d’un cadre déontologique très clair. Aux termes de la loi du 30 septembre 1986, le secteur public de la communication audiovisuelle doit respecter des exigences en matière d’indépendance, d’impartialité et d’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, que ce soit en temps ordinaire ou pendant les périodes électorales. À cela s’ajoutent des chartes maison qui encadrent nos activités d’information.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Ces interventions montrent que vous êtes dans une logique concurrentielle et de différenciation les uns vis-à-vis des autres. Vous mettez en avant le direct, les enquêtes, l’approfondissement des sujets ou la représentation des courants d’opinion. Mais comment assurez-vous la représentation des divers courants d’opinion sur vos chaînes ?

M. Guillaume Debré. Nous avons le pluralisme chevillé au corps et nous voulons que viennent s’exprimer à l’antenne de LCI tous les courants de pensée, notion qui dépasse les partis et englobe progressistes, conservateurs, droit-de-l’hommistes ou réalistes en relations internationales. Nous déclinons cette approche sur notre antenne, de six heures et demie à minuit, en utilisant des formats différents pour confronter les points de vue.

Notre grille est aussi définie en fonction du cadre fixé par le régulateur et le législateur. Une petite équipe dédiée comptabilise les temps de parole des représentants de partis politiques. Dans le décompte que nous venons de remettre au régulateur pour le premier trimestre, il apparaît que quelque quatre-vingts heures de temps de parole politique ont été utilisées par quarante partis. Nous avons un ordre, des pourcentages et des cibles à respecter, que nous respectons à chaque fois.

Pour aller au-delà de ce cadre partisan, nous avons mis en place un dispositif, au niveau de la grille et de la conférence de rédaction, pour que tous les courants de pensée précités soient représentés. Nous répertorions toutes les thématiques abordées et la cellule de programmation tient les comptes de manière très précise. C’est un engagement et un investissement. Nous voulons nous assurer que chaque thème abordé donne lieu à une expression pluraliste.

M. le président Thomas Cazenave. En 2024, le Conseil d’État a estimé que, pour assurer l’application de la loi sur le pluralisme, l’Arcom ne devait pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques. Que faites-vous à l’égard de personnes qui n’appartiennent pas à des partis politiques, mais qui émettent des opinions politiques – je pense notamment aux éditorialistes ? Ces personnes sont-elles identifiées et catégorisées ? Leur temps de parole est-il décompté ?

M. Guillaume Debré. Cette problématique est au cœur de notre réflexion. Le calcul du temps de parole partisan est simple, mécanique, mathématique. Pour le reste, nous conceptualisons les courants de pensée en fonction de notre proposition éditoriale qui se décline autour des grands enjeux politiques, économiques et internationaux. En matière de relations internationales, par exemple, les courants de pensée ne recouvrent pas les catégories habituelles en politique intérieure. Nous avons donc théorisé des catégories : souverainistes, protectionnistes, droit-de-l’hommistes, réalistes. Lors des conférences de rédaction, nous réfléchissons à la manière dont nous allons organiser nos plateaux, formés par des éditorialistes et des experts – ces derniers ont une expertise, mais ils ont aussi un point de vue, voire un biais idéologique. Dès le départ, ces débats sont organisés avec le souci de mettre en perspective des points de vue différents. Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité car nous faisons des choix éditoriaux, mais nous avons la volonté de mettre toujours un progressiste face à un conservateur, un droit-de-l’hommiste face à un réaliste. C’est aussi ce qui fait le sel de la conversation, en plus d’offrir la perspective de points de vue différents. Pour nous, un discours homogène serait le signe d’un échec de programmation. En conférence de rédaction, puis avec les rédacteurs en chef de chaque tranche, nous organisons cette mise en perspective de points de vue.

M. Thomas Bauder. Pour le respect du pluralisme, on doit d’abord mesurer les temps de parole politique, avant de s’intéresser aux débatteurs, éditorialistes et autres. Les règles, très strictes, sont définies par l’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, les recommandations de l’Arcom de novembre 2017 et la délibération du 17 juillet 2024 du Conseil d’État. Ce cadre très rigide nous oblige à transmettre tous les mois à l’Arcom le relevé précis des temps de parole, fait à la main, pas au moyen de l’intelligence artificielle ou d’un logiciel.

Depuis le 1er janvier 2018, la règle prévoit de réserver un tiers du temps de parole de la chaîne au pouvoir exécutif, et les deux tiers aux partis et mouvements politiques, en fonction de leur représentativité mesurée selon les critères suivants : les récents résultats électoraux ; le nombre d’élus et leur catégorie – les jeunes partis, qui ont moins d’élus locaux, peuvent être moins bien représentés –; l’importance du groupe parlementaire ; les sondages d’opinion ; les contributions des formations politiques à l’animation du débat. L’Arcom en fait une interprétation relativement floue, estimant, par exemple, que LFI peut avoir un poids quasiment équivalent aux Républicains. Je m’occupe de ces temps de parole avec une équipe constituée d’un juriste, d’un assistant et d’un directeur adjoint des antennes.

Sans détailler la délibération du 17 juillet 2024 sur le pluralisme étendu, je dirais que l’Arcom doit contrôler l’existence éventuelle d’un déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée et d’opinion. Il est précisé : « L’Arcom entend rappeler la primauté de la liberté de communication, dont elle est la garante de par la loi. Il en résulte que les éditeurs sont seuls responsables du choix des thèmes abordés sur les antennes et des intervenants, dans le respect des dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles applicables. » Le contrôle des chaînes d’information en continu s’effectue sur une période d’un mois et sur la base de plusieurs critères : la variété des sujets ou thématiques abordés à l’antenne ; la diversité des intervenants dans les programmes ; l’expression d’une pluralité de points de vue dans l’évocation des sujets abordés à l’antenne.

Votre question se rapporte à notre vivier, terme professionnel que nous utilisons pour parler de nos intervenants. Notre vivier doit être pluraliste, constitué de gens qui ont des opinions différentes. Si tous les débatteurs sont d’accord entre eux, il n’y a pas de débat. Or notre objectif est de susciter le débat. Pour organiser un débat, on rappelle les faits grâce à un prêt à diffuser (PAD), avec la présence d’un journaliste spécialisé en plateau. Le journaliste animateur a pour mission de maîtriser son plateau et d’éviter les verrouillages par certains intervenants qui voudraient faire un coup d’éclat, une prise d’otages – cela a pu arriver. Il doit aussi faire vivre le débat.

Notre expertise éditoriale consiste à trouver des vecteurs de pluralisme car nous faisons de l’information, mais aussi de la télévision. Pour avoir un bon débat, il faut avoir de bons débatteurs, des gens capables d’échanger sans être d’accord mais sans s’invectiver. C’est toute la difficulté de l’exercice. Sur CNews, il me semble que nous parvenons à réunir ces conditions d’un bon débat. Hier soir, dans « 100 % politique », le présentateur Gauthier Le Bret a ainsi animé un débat entre Erik Tegnér et Rachel Khan. Notre vivier n’est pas celui de BFMTV, de LCI ou de Franceinfo. Les intervenants deviennent les habitués de telle ou telle chaîne.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Pensez-vous que diffuser un meeting de Jean‑Luc Mélenchon à 5 ou 6 heures du matin pour équilibrer le temps de parole, c’est une manière de respecter le pluralisme ?

M. Thomas Bauder. Nous respectons les règles sur le temps de parole, calculé entre six heures du matin et minuit. Si le temps de parole est compté entre minuit et six heures du matin, il s’agit du temps de parole de nuit, sachant que celui-ci ne doit pas excéder 25 % du total. Il y a quelques années, nous avons reçu une notification de l’Arcom sur ces diffusions nocturnes. Nous veillons désormais scrupuleusement à rester en dessous de ce seuil de 25 %. En journée, il nous arrive de diffuser des discours de Jean-Luc Mélenchon, de rediffuser des interventions de Manuel Bompard ou de vous-même lorsque vous êtes invité à « La grande interview » de Sonia Mabrouk – comme ce sera le cas de Manon Aubry demain. Il nous arrive de rediffuser l’intégralité ou des segments d’interventions des uns et des autres sur les plateaux.

M. Christophe Roy, directeur des affaires réglementaires et concurrence du groupe Canal+. En 2021, nous avons en effet reçu une notification de l’Arcom selon laquelle les diffusions nocturnes avaient été trop importantes au cours d’un trimestre donné. Prenant cette alerte très au sérieux, nous avons rectifié le tir.

M. Thomas Bauder. Si nous diffusons des discours de Jean-Luc Mélenchon, c’est parce qu’il boycotte CNews. La dernière fois qu’il est venu, c’était sur un plateau de Laurence Ferrari. Désagréablement surpris que l’on diffuse une séquence vidéo récente qui, à son avis, le desservait, il a quitté les lieux en disant qu’il ne reviendrait jamais. Cela date de quelques années. Il sera le bienvenu s’il change d’avis. Nous sommes obligés de diffuser des discours pour respecter le pluralisme malgré le boycott de certains.

M. le président Thomas Cazenave. Poursuivons le tour de table sur le respect du pluralisme et le traitement du pluralisme étendu.

M. Fabien Namias. BFMTV respecte évidemment les règles très strictes qu’ont rappelées mes confrères et qui s’appliquent à une part remarquable de notre temps d’antenne : au premier trimestre 2025, les temps de parole des différentes formations politiques ont représenté 230 heures. Notre service dédié à la comptabilisation de ce temps de parole est d’autant plus important que le volume de la parole politique est notoirement élevé sur BFMTV, et même l’un des plus élevés.

Au-delà de l’arithmétique, il y a aussi l’esprit des textes. En dehors des périodes d’élections où tout est très encadré, le respect du pluralisme relève d’un travail rédactionnel, d’une appréciation journalistique. Il faut veiller à un équilibre qui tienne compte de l’importance des différents rendez-vous de la chaîne. J’ai parfaitement conscience que certains ont une forte audience et sont très identifiés par les responsables politiques : l’interview matinale d’Apolline de Malherbe à 8 heures 30, la grande interview politique du dimanche midi, l’émission de Benjamin Duhamel à 19 heures. Par respect du pluralisme, nous veillons à ce que les responsables des différentes formations représentatives de la vie politique française soient invités dans ces émissions. C’est une appréciation plus relative mais qui nous est chère, même si nous n’avons aucune contrainte en la matière en dehors des périodes électorales.

M. Alexandre Kara. Le pluralisme fait partie de l’ADN de France Télévisions puisqu’il constitue une mission de service public. Au cours de l’année écoulée, France Info a proposé entre 600 et 700 heures de temps de parole politique ; près de 60 courants partisans y ont été représentés. Sur l’ensemble du groupe, près de 3 000 invités politiques se sont succédé. Nous avons une politique très claire concernant les éditorialistes et les invités : Franceinfo ne doit pas être une chaîne d’opinion mais la chaîne de toutes les opinions. Nous avons institué un référencement sur une page baptisée « transparence » qui présente l’ensemble des invités qui se succèdent sur nos antennes. Nous sommes très scrupuleux sur la nature des opinions exprimées par chacun de nos invités et faisons très attention à l’équilibre entre celles-ci.

M. Jean-Victor Castor (GDR). La loi définit vos responsabilités dans le cadre des élections mais quelles règles éthiques suivez-vous en dehors des périodes électorales ? Votre ligne éditoriale exerce en effet, tout au long de l’année, une influence sur les électeurs. Comment justifiez-vous, par exemple, le fait que, sur certaines chaînes, des personnes candidates, voire des élus, assurent une chronique ? Par ailleurs, des chroniqueurs permanents ont des positionnements politiques…

M. Guillaume Debré. Vous avez raison, nous devons veiller à ce que l’équilibre, en la matière, soit respecté. Cela étant, ce n’est pas parce qu’on est élu qu’on ne peut pas s’exprimer sur certains sujets. L’élection n’empêche pas la parole cathodique, bien au contraire ; l’essentiel est de la mettre en perspective, de la contextualiser et de confronter les points de vue. Les élus, que nous invitons à exprimer leurs opinions sur des sujets variés, tels que leur ville, la vie politique ou, plus largement, la vie internationale, sont soit confrontés à un point de vue différent, voire opposé, soit questionnés par des journalistes. Les élus ont le droit de venir s’exprimer dans le cadre fixé par le régulateur et le législateur : cela fait partie de la vie politique. J’ajoute que le temps de parole d’un élu est systématiquement décompté dans le bilan que nous remettons trimestriellement à l’Arcom.

M. Fabien Namias. On comptabilise le temps de parole d’un intervenant dès lors qu’il est affilié à une formation politique, quel que soit le statut, souvent assez générique, qui lui est attribué – invité, chroniqueur ou autre. Si une chaîne confie un rendez-vous régulier à une personnalité élue et en fait, de la sorte, un chroniqueur, son temps de parole est automatiquement comptabilisé et décompté du temps de parole de la formation concernée. C’est une question sur laquelle les partis politiques sont assez sourcilleux.

Par ailleurs, des personnalités politiques à forte notoriété, qui ont exercé des fonctions ministérielles ou ont été longtemps parlementaires mais qui ne disposent plus d’aucun mandat électif, sont encore rattachées, durant un temps qui est laissé à l’appréciation de l’Arcom, à leur formation politique précédente ou à une catégorie d’idées politiques. Aussi, sur BFM TV, avant de proposer à un ancien responsable politique n’ayant plus aucun mandat d’exercer des fonctions de chroniqueur, nous prenons généralement le soin d’en discuter avec les responsables des formations politiques auxquelles il a été rattaché, afin que ces dernières ne soient pas pénalisées au titre du temps de parole. J’ai toujours été très sourcilleux sur ce point.

M. Thomas Bauder. S’agissant de l’éthique, nous sommes tous des journalistes professionnels et, à ce titre, nous sommes soumis au respect de règles déontologiques et aux chartes que nous avons signées ou qu’ont signées les sociétés de journalistes ou de rédacteurs. Lorsqu’un homme politique s’exprime au nom de son parti, on décompte son temps de parole ; s’il change de position et de formation politique, le temps de parole est imputé sur son nouveau parti. Toutefois, si un chroniqueur exprime des idées qui diffèrent de son positionnement idéologique supposé, ou qu’il tient des propos qui peuvent être considérés comme relevant du champ culturel d’un autre bord politique, comment comptabilise-t-on son temps de parole ? On peut estimer que Luc Ferry – qui est chroniqueur sur LCI – est plus à droite que Daniel Cohn‑Bendit, mais s’il débat avec Patrick Buisson, on le jugera beaucoup plus à gauche que ce dernier. Ce type de questions se pose pour tous les chroniqueurs. Au cours des mois à venir, conformément à la délibération sur le pluralisme, il faudra chercher une manière convenable et légitime de sortir de cette ornière, dans le respect des deux principes intangibles que sont la liberté d’expression et la liberté éditoriale.

M. Alexandre Kara. Nos règles sont claires : elles interdisent les chroniqueurs réguliers engagés, partisans. Personne n’est partisan au sein de nos équipes. En revanche, nos invités expriment des opinions politiques.

M. Antoine Léaument, rapporteur. J’ai constaté, à deux reprises, sur Franceinfo, que vous présentiez comme « communicants » d’anciens candidats aux élections législatives, ce qui est un peu choquant. Lorsqu’une ancienne candidate du parti Les Républicains (LR) dit que l’affaire Bétharram a été récupérée politiquement par la gauche, elle exprime une opinion qui correspond à celle de son parti. Déontologiquement, il serait utile de préciser, entre parenthèses, à côté de la profession exercée par la personne, qu’il s’agit – pour reprendre ce cas – d’une ancienne candidate LR aux élections législatives. Cette information permettrait aux téléspectateurs de prendre de la distance à l’égard des propos tenus et de se forger une opinion propre. Qu’en pensez-vous ?

M. Alexandre Kara. Au risque de vous surprendre, je partage votre avis : il faut être le plus précis possible sur le pedigree de nos invités. Il arrive que nous ne le soyons pas assez, je le reconnais. Nous devons travailler sur ce point. Cela étant, chaque cas est particulier. On ne sait pas toujours exactement quel est le CV de la personne, et l’information continue implique souvent de travailler dans l’urgence. En tout cas, nous œuvrons sans relâche pour être toujours plus précis et donner la meilleure information possible aux téléspectateurs. Je rappelle que chacun peut procéder à des vérifications en consultant, sur notre page « transparence », la liste de l’ensemble des invités présents sur nos antennes.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Vous avez évoqué un vivier de personnes exprimant des opinions plurielles. Or, bien que vous soyez concurrents, ce vivier est souvent identique : on voit les mêmes personnes, en boucle, sur toutes les chaînes. Or cela nuit à l’attractivité de la télévision pour les plus jeunes, qui s’en détournent en faveur des réseaux sociaux, sur lesquels ils n’obtiennent pas la même information. Il me paraît nécessaire de renouveler les intervenants politiques, en recherchant la diversité.

Par ailleurs, quel est le contenu des chartes que vous avez évoquées ?

M. Fabien Namias. Il est de l’intérêt de chacun des médias que nous représentons, qui sont en concurrence, de ne pas voir les chroniqueurs passer d’une chaîne à l’autre, ce qui risquerait d’affadir leur discours, d’envoyer l’image d’un fonctionnement en vase clos et de désintéresser effectivement de la politique une partie importante de la population. En outre, les mêmes chroniqueurs sont souvent présents sur les plateaux depuis des années, ce qui ne va pas dans le sens d’un renouvellement de l’expression et ne contribue pas à attirer les plus jeunes vers l’information politique. Lors de mon arrivée à la direction de BFMTV, j’ai lancé une réflexion à ce sujet, qui est toujours en cours. Nous soumettons les chroniqueurs à un principe d’exclusivité en vertu duquel ils n’ont vocation à s’exprimer que sur une seule antenne. Cela évite la dispersion et permet, dans le cadre de la programmation, de savoir précisément où on les place et, d’une certaine manière, d’encadrer leur présence médiatique. Cela étant, un certain nombre de spécialistes refusent ce principe et souhaitent partager leur savoir sur différents plateaux. Nous ne nous interdisons pas de faire appel à eux, mais de manière mesurée.

Par ailleurs, je suis convaincu que nous avons intérêt à diversifier à l’antenne la représentation des politiques, des élus – quelle que soit la formation concernée –, de faire apparaître de nouveaux visages pour participer au renouvellement de la vie politique. Nous demandons aux formations et aux groupes politiques de participer à cette volonté de renouvellement qui est la nôtre. Souvent, les partis, les groupes sont tentés d’envoyer les mêmes représentants sur les plateaux. On rapporte que les chaînes de télévision identifient – pour employer une expression triviale – les bons clients, autrement dit des personnes qui s’expriment avec aisance sur un plateau, qui ont le sens de la répartie et dont on sait qu’elles vont faire passer des messages. Certes. Mais dans les partis et les groupes politiques, on a précisément tendance aussi à envoyer ces bons clients, car on sait qu’ils porteront mieux la parole. Lorsqu’il s’agit d’inviter des personnalités politiques, notre liberté est parfois réduite car nous devons en discuter avec le groupe ou le parti.

Autre sujet sensible depuis de nombreuses années : la représentation des femmes sur les plateaux politiques. On se heurte à une véritable difficulté en la matière. Bien souvent, groupes et partis politiques préfèrent envoyer des hommes sur les plateaux – peut-être parce qu’il y a moins de femmes dans leurs rangs, ou parce qu’ils considèrent que les hommes porteront mieux la parole, je n’en sais rien. Cela ne correspond pas à nos demandes et, au-delà de nos valeurs et de notre conception de l’égalité dans la société, cela nous met en difficulté au regard du principe de parité dans la représentation politique.

M. Guillaume Debré. Construire un plateau, faire intervenir des chroniqueurs nécessite des procédures que chacun de nous, j’imagine, a instituées. Il nous arrive très régulièrement, en vertu de l’exigence de pluralisme, de refuser de faire intervenir un chroniqueur ou d’inviter telle ou telle personne – qui est parfois proposée par un parti politique. La parole politique sur les chaînes d’information ne cesse de s’étendre, mais elle est régulée. Nous sommes en compétition avec un univers qui n’est pas régulé, où la parole, émanant d’acteurs variés, est beaucoup plus libre et, parfois, dérape. Chacun de nous assume une responsabilité éditoriale, journalistique, et respecte les prescriptions du régulateur et du législateur. On peut parfois avoir le sentiment que l’on voit trop les uns et pas assez les autres mais nous respectons les règles et essayons de faire vivre, à notre manière, le pluralisme et le débat démocratique dans un cadre contraint.

Mme Julie Burguburu, secrétaire générale du groupe TF1. Madame la députée, si vous le souhaitez, nous pourrons vous transmettre notre charte déontologique, qui est annexée aux contrats des journalistes. Nous rappelons régulièrement son existence non pas en raison de circonstances particulières mais par souci de pédagogie. Nous disposons d’un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information que nous saisissons ou consultons régulièrement, en présence des deux SDJ (sociétés des journalistes) de TF1, du directeur de l’information et du directeur général de LCI. En outre, une administratrice indépendante, membre du conseil d’administration de TF1, est en lien avec ce comité et est référente en matière de déontologie. Plus généralement, il est interdit à nos journalistes de mener des missions de media training de responsables politiques, institutionnels ou d’entreprise. Toute collaboration, même en tant que plume de quelqu’un – donc à titre anonyme –, est soumise à autorisation de la direction de l’information, à l’instar des missions de formation et d’enseignement. En effet, un journaliste de TF1 engage l’ensemble de la rédaction lorsqu’il s’exprime à l’extérieur de la société. Nous sommes très pointilleux sur le respect de ces règles.

L’Arcom nous demande de tenir des plateaux qui, au minimum, tendent vers la parité. TF1 mène depuis cinq ans le programme « Expertes à la une », qui vise à aller chercher des femmes spécialistes d’un sujet, dans toutes sortes de domaines – scientifique, économique, sociologique, social… – et à les former en media training pour réduire leurs réticences à prendre la parole sur un plateau – exercice qui, on le sait, n’est pas aisé. C’est un programme altruiste, dans la mesure où nous encourageons ces femmes à se rendre sur l’ensemble des plateaux, qu’il s’agisse de nos chaînes ou de celles de nos confrères.

M. le président Thomas Cazenave. Un débat a émergé, à l’occasion de nos auditions, sur la formation de l’opinion. Considérez-vous que les chaînes d’information que vous représentez fabriquent, d’une manière ou d’une autre, l’opinion et, par voie de conséquence, la réponse politique qui y est apportée ?

La ligne éditoriale d’une chaîne d’information consiste-t-elle à mettre des sujets à l’agenda ? Les pratiques varient-elles entre vous ?

Des menaces, souvent d’origine étrangère, pèsent sur l’organisation des élections. Comment vous prémunissez-vous contre le risque de devenir un instrument d’ingérence étrangère dans le débat politique et le déroulement des élections ?

M. Thomas Bauder. Pour ma part, en tant que journaliste, je me consacre à la fabrique de l’information, non de l’opinion. J’anime, du matin au soir, dix conférences de rédaction – je suis en conférence permanente avec des journalistes. Nous nous interrogeons sur la pertinence de la couverture de tel ou tel sujet, de telle ou telle actualité. Nous sommes mobilisés par l’actualité, et c’est elle qui fait notre programme. Nous faisons un choix dans l’actualité mais nous ne fabriquons pas l’opinion. Il n’y a pas d’agenda d’actualité. Les journalistes suivent l’agenda politique, économique, international – si agenda il y a. Ils suivent les soubresauts du monde, du débat national, de la vie parlementaire ou judiciaire. Nous sommes suiveurs, non initiateurs.

Nous sommes des journalistes français, régulés par le droit français. Nous sommes les tenants de la liberté d’expression à la française. L’une de nos intervenantes, sur CNews, Xenia Fedorova, pourrait être accusée par certains d’être l’agent de Moscou. Elle intervient dans l’émission « L’Heure Inter », tous les jeudis de 16 heures à 17 heures ; elle s’est également exprimée à quelques reprises dans le cadre de la promotion de son livre. Dans cette émission, elle intervient en tant que journaliste russe ; elle donne effectivement un point de vue russe. Elle a face à elle deux contradicteurs, Rachel Khan et Karima Brikh, avec lesquelles elle n’est jamais d’accord et qui ne sont jamais d’accord avec elle. Il s’agit non pas de relayer un point de vue étranger mais de recueillir l’opinion d’une journaliste étrangère sur les questions internationales, comme cela se faisait avant, assez simplement. Les chaînes d’information connaissent en effet des modes. Il fut un temps où l’on faisait intervenir les journalistes de la presse étrangère sur un forum consacré aux questions européennes.

Je ne pense pas que l’intervention de Xenia Fedorova constitue une ingérence étrangère. Sa rubrique est d’ailleurs intitulée « L’œil de Xenia », celle de Rachel Khan « Les lumières de Rachel Khan » et celle de Karima Brikh « Le nouveau monde de Karima Brikh ». Je ne sais pas si votre question concernait la présence sur notre antenne de Xenia Fedorova, ex‑patronne de RT France (Russia Today) – chaîne interdite en France – mais je précise qu’elle réside en France de manière tout à fait légale puisqu’elle a vu son visa renouvelé récemment – il n’y a ni soupçon à cet égard ni action engagée. C’est dans le cadre de la liberté d’expression que nous l’avons invitée à s’exprimer dans cette émission.

M. le président Thomas Cazenave. Ce n’était pas le sens de ma question : je n’ai pas cité cette intervenante. Ma question, plus générale, portait sur les ingérences étrangères. Pourriez-vous préciser ce qu’est une ligne éditoriale et comment vous la fabriquez ? Une ligne éditoriale est un choix. Comment opérez-vous le choix entre les informations et décidez-vous que tel sujet est un sujet d’actualité ?

M. Thomas Bauder. Il n’y a pas, à proprement parler, de ligne éditoriale : il y a des choix éditoriaux et une liberté éditoriale. Nous sommes ici quatre confrères qui entretenons une relation de concurrence et, en conséquence, nous devons nous positionner les uns par rapport aux autres. Nous faisons des choix éditoriaux en fonction de l’actualité. Nous considérons que tel ou tel sujet est important : c’est notre liberté éditoriale. Nous nous demandons si nous pouvons couvrir cette actualité correctement et si nous voulons devancer nos concurrents ou, s’ils ont une longueur d’avance, les rattraper. Nous sommes quatre acteurs d’un champ culturel, pour reprendre le terme de Pierre Bourdieu, qui a été modifié il y a huit ans avec le passage de LCI sur la TNT (télévision numérique terrestre) gratuite et l’arrivée de Franceinfo. Il fallait trouver un nouveau modèle d’information pour répondre à cette évolution : tel a été l’objet de la transformation de iTélé en CNews.

Parfois, nous faisons tous la même chose : vous aurez remarqué que lundi, l’ensemble des chaînes d’information ont quasiment développé la même actualité la journée durant. En fonction des spécificités de chacun, des sujets, tels que les droits de douane, se verront accorder ou non la priorité ; certaines chaînes choisiront plutôt de traiter des sujets de proximité, de questions de consommation, etc. Fabien Namias disait, lors d’une autre audition « journaliste, c’est un métier d’expérience ». De fait, c’est notre expérience de journaliste de télévision, de chaîne d’information qui nous conduit à faire nos choix en fonction de l’actualité et de ce que nous savons ou présupposons des choix de nos concurrents. C’est ainsi, que, parmi l’ensemble des éléments d’information qui sont à notre disposition – du bandeau jusqu’aux breaking news –, nous arbitrons et composons notre cocktail. Ce n’est pas une ligne éditoriale mais du pragmatisme renouvelé au quotidien.

M. le président Thomas Cazenave. Quelle partie du champ culturel avez-vous choisi de couvrir ?

M. Thomas Bauder. Dans le champ culturel, certaines chaînes se positionnent sur le direct car elles en ont les moyens, quand d’autres choisissent de couvrir l’international. Nous avons décidé de nous positionner sur les préoccupations des Français, sur ce qu’on appelle le testimonial.

Il ne faut pas penser que ce choix est théorique, que nous suivons un plan fixe comme des ingénieurs, en élaborant des prototypes. En réalité, c’est un levain perpétuel : nous essayons des choses, nous faisons des choix éditoriaux puis, le lendemain, nous évaluons l’audience. Nous sommes des acteurs privés qui vivent de la publicité. Or le budget publicitaire est lié aux audiences. Nous avons donc intérêt à faire une bonne – voire une meilleure – audience. Les facteurs qui conditionnent les audiences sont nombreux – numérotation, ancienneté, incarnations de la chaîne.

Au fur et à mesure, nous choisirons donc de traiter plutôt un fait divers ou un fait économique. Si je considère que la couverture d’une information donnée nécessite beaucoup de moyens, je m’interroge : ai-je assez de moyens pour la couvrir ou faut-il plutôt laisser BFMTV se rendre sur place avec plusieurs équipes. C’est mon choix éditorial, c’est ma liberté éditoriale au quotidien.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Nous allons nous parler franchement : vous nous prenez un peu pour des imbéciles ! Oui, il existe des lignes éditoriales. Oui, des choix éditoriaux sont faits dans certains médias. Je ne fais pas insulte à votre intelligence en disant que CNews suit une ligne éditoriale et politique de droite voire d’extrême droite.

Il est faux de dire que le pluralisme est assuré par la réunion sur un plateau de personnes qui débattent ensemble. Vous ne garantissez ni la liberté d’expression ni le pluralisme en organisant des débats entre une personnalité politique et d’autres personnes, présentées comme neutres et objectives, qui, en réalité, démonteront ses opinions sans la laisser parler et la pousseront à se contredire. Sans parler des bandeaux qui qualifient politiquement la situation d’une manière préjudiciable à la personne invitée. Bref, c’est une descente en règle des opinions politiques. Ce n’est pas ainsi que doivent être organisés sainement les débats publics.

En faisant, depuis le début de l’audition, comme si cela n’arrivait pas sur votre chaîne – et elle n’est pas la seule concernée –, j’ai l’impression que vous nous prenez pour des imbéciles. Je tiens à vous signaler que nous ne le sommes pas.

M. Thomas Bauder. Je tiens à vous assurer, ainsi qu’à l’ensemble de la représentation nationale, de mon profond respect.

Néanmoins, je suis en total désaccord avec vous : il n’y a pas de ligne éditoriale de droite ou d’extrême droite. CNews n’est ni une chaîne de droite ni une chaîne d’extrême droite ; c’est une chaîne d’information et de débats.

Il existe deux types de bandeau. Lors d’une présentation des faits, le bandeau reprend les propos d’une personne, un son, ou présente des éléments chiffrés ; il peut aussi y avoir un PAD. En tout état de cause, le bandeau présente toujours des éléments factuels. Nous y sommes vigilants en permanence. En revanche, lors des débats, l’éditorialisation des bandeaux relève de notre liberté éditoriale.

M. Fabien Namias. Monsieur Cazenave, vous pourriez être journaliste car dans toutes les rédactions, les journalistes se demandent en permanence quelle est la ligne éditoriale.

Le choix de BFMTV est de proposer une information généraliste et populaire qui porte sur tous les thèmes. Nous les mettons à portée de citoyen, en les présentant de la manière la plus accessible, la plus claire et la plus pédagogique possible. Il ne s’agit pas de fabriquer ou de véhiculer une opinion. En revanche, nulle hypocrisie ici, nous avons tous parfaitement conscience que la façon dont nous traitons les sujets, qu’ils soient politiques, économiques ou sociétaux, influe sur le regard que les gens portent sur la société dans laquelle ils vivent et contribue à forger leur opinion. Il faut être parfaitement conscient des choix qui sont faits.

Et privilégier, comme le fait BFMTV, une information généraliste et populaire n’est pas une ligne politique ou partisane –  tordons ici le cou à un fantasme souvent véhiculé. Dans ce cadre, le choix que l’on fait avec plus ou moins de talent, d’inspiration et de réussite est fondamental. Il s’effectue chaque jour au sein des conférences de rédaction en fonction de l’importance qu’on accorde à tel ou tel sujet.

La semaine dernière, BFMTV a accordé une grande place à l’enquête sur la mort du jeune Émile, lorsque ses grands-parents et sa famille ont été placés en garde à vue. Nous avons alors estimé que ce fait divers était important, mais qu’il ne devait pas pour autant être l’unique sujet couvert. À l’exception de certains faits gigantesques, aucun fait ne doit tout écraser, ne doit faire disparaître le reste de l’information. Puis, samedi, à la suite du séisme en Birmanie qui a fait plusieurs milliers de morts, nous avons fait le choix de dépêcher deux équipes sur place. Cet événement a fait l’ouverture de tous les journaux et de toutes nos tranches d’information. Lundi, une information de nature judiciaire – la décision de justice concernant Marine Le Pen –, qui emporte des conséquences politiques, a fait la une de l’actualité. Enfin, hier soir, nous avons été nombreux à écouter avec beaucoup d’intérêt la déclaration de Donald Trump, qui a été un coup de massue commercial d’une ampleur considérable, dont il nous revient maintenant d’analyser les conséquences. Un fait divers, une catastrophe naturelle, une décision judiciaire et une actualité économique ont successivement fait la une de l’actualité. Voilà ce qu’est une ligne éditoriale, une ligne pluraliste qui s’intéresse à tous les sujets et qui traduit des choix.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Votre ligne éditoriale est populaire, et vise à correspondre aux attentes des Français, ce qui vous conduit à faire des choix éditoriaux consistant à mettre en avant certains sujets plutôt que d’autres.

Mais la ligne éditoriale peut aussi avoir pour objectif d’orienter la lecture de l’actualité. Je ne nie pas la liberté éditoriale – c’est défendre la liberté de la presse. Néanmoins, les chaînes, dans le traitement de l’information, donnent-elles aux citoyens les éléments nécessaires pour leur permettre de prendre du recul par rapport à l’information qu’elles donnent ?

En tout cas, les bandeaux sur lesquels figurent les messages « Immigration : un crime contre la nation ? » ou « LFI : le nazisme est-il passé à l’extrême gauche ? » alimentent clairement une ligne politique. Un bandeau peut également reprendre la citation d’un intervenant orienté politiquement, les guillemets permettant alors à la chaîne de faire passer une ligne politique sans avoir à l’exprimer elle-même. Cette manière de présenter l’information n’est pas honnête, contrairement à ce qui a pu nous être dit.

Monsieur Bauder, vous nous prenez pour des imbéciles lorsque vous prétendez que le traitement de l’information politique n’est pas orienté. Vous avez dit qu’il n’y avait pas d’agenda caché. Or la question se pose car vos confrères de L’Humanité, qui font du journalisme sérieux, ont révélé le plan Périclès, qui vise en partie à influencer les élections et l’opinion dans un sens politique qui n’est pas neutre. En effet, Périclès est un acronyme qui signifie Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens – en opposition avec d’autres religions, notamment l’islam –, libéraux, européens, souverainistes. Or un nombre important de reportages sur CNews sont consacrés à l’immigration et à l’islam. Vous en tirez d’ailleurs une fierté à en juger par vos visuels sur le sujet. Il n’est pas vrai de dire qu’il pourrait ne pas y avoir d’agenda caché.

Les équipes du projet Périclès ont cherché à nouer des partenariats avec l’Ifop et a rencontrer plus de dix médias, parmi lesquels, probablement, Marianne et L’Express – il n’y a pas CNews. Je pose donc la question à l’ensemble des personnes auditionnées : avez-vous été approchés par les personnes chargées du projet Périclès ?

M. Guillaume Debré. Non, nous n’avons pas été contactés.

La confusion vient de la définition de l’expression ligne éditoriale. Certains assimilent la ligne éditoriale à la ligne politique, alors que le sens est différent. Nous faisons des choix et nous avons tous des lignes éditoriales, qui sont nécessaires pour faire vivre le débat démocratique. Il faut que nous ayons des points de vue différents.

À LCI, nous voulons et nous assumons une ligne éditoriale qui offre aux téléspectateurs une analyse des grands enjeux politiques, économiques et internationaux. Le patron d’un organe de presse ou d’une chaîne de télévision doit définir et assumer une ligne éditoriale car elle fixe le cap pour les journalistes.

En conférence de rédaction, nous nous interrogeons à longueur de journées : quels sujets allons-nous couvrir ? Comment les couvrirons-nous ? Quelles questions allons-nous poser ? Ce sont elles qui définiront le débat et détermineront la manière dont l’information sera analysée et retranscrite aux téléspectateurs.

Dans les rédactions, il faut penser contre soi, c’est-à-dire contre la doxa. Les réseaux sociaux ou les chaînes de télévision peuvent en effet imposer des narrations qui emportent tout, puisqu’elles deviennent vérité. Les remettre en question fait partie du travail d’un journaliste.

L’information est produite –  plutôt que fabriquée, qui peut être mal interprétée – par des journalistes qui ont leur carte de presse ; ils sont 140 à LCI. Tous les jours, ils viennent travailler avec cette préoccupation, avec la volonté de participer au débat public, et ce dans un cadre législatif très contraint. Les chaînes d’information n’ont peut-être jamais autant participé au débat démocratique, dans un environnement très polarisé, très peu régulé, et même hystérisé.

À ce titre, je félicite les équipes de LCI, et plus largement le corps journalistique, pour leur travail formidable, même s’il faut reconnaître parfois certaines erreurs. Les journalistes sont soumis à une déontologie, ils ont signé une charte et ont le devoir d’information chevillée au corps. En outre, les organes de presse ont instauré des process pour garantir le respect du pluralisme et la vérification des faits.

Enfin, s’agissant de l’ingérence étrangère, les organes de presse, les médias, les chaînes de télévision seront sans doute ciblées lors des prochaines élections législatives et présidentielles. J’ai en mémoire, à cet égard, la manière dont le groupe TF1 et Thierry Thuillier, le patron de l’information, ont géré les tentatives d’influence lors de l’affaire des étoiles de David. Nous avons pris du temps pour vérifier les faits ; comme nous commencions à avoir des doutes, nous ne nous sommes pas précipités. Ce cas de figure se représentera de manière répétée dans les années à venir

Dans un environnement concurrentiel et compétitif où on veut aller vite, nous inculquons à nos journalistes qu’il faut prendre le temps de vérifier les faits afin d’éviter les approximations et les erreurs ; c’est un point fondamental. Le groupe TF1 est particulièrement exigeant en la matière. Nous essayons de responsabiliser les chaînes d’encadrement qui sont essentielles pour structurer une rédaction. Lorsque les jeunes journalistes commencent leur carrière, ils se tournent vers les encadrants. Il faut avoir des réflexes journalistiques.

M. Alexandre Kara. C’est une évidence : nous passons notre temps à travailler, à nous interroger, à nous questionner, même contre nous-mêmes. En réalité, la ligne éditoriale n’existe pas. Ce qui existe, en revanche, c’est un questionnement éditorial permanent. C’est ce que nous faisons dans nos rédactions. Il est vrai que nous faisons des erreurs mais celles-ci ne doivent pas faire oublier que 99,9 % du travail est bien fait par nos équipes, qui sont très investies et auxquelles je rends hommage.

Le service public joue un rôle de phare en matière de diversité. Nous avons reçu quelque 3 000 invités politiques en 2024 ; nous essayons de donner la parole à un maximum de personnes, c’est important. Fabien Namias a souligné qu’il était difficile, lors des débats, de parvenir à la parité ou au pluralisme politique – il arrive en effet que des personnes boycottent certaines chaînes de télévision. Tous les jours, chacun d’entre nous est confronté à cette réalité.

S’agissant du service public, je préfère parler de conscientisation du citoyen plutôt que de fabrication de l’information. Il s’agit d’aider le citoyen à se forger son opinion, de lui permettre d’avoir une maturité politique, de l’accompagner en décryptant et en analysant les faits pour qu’il puisse voter en toute conscience, et de l’inciter à aller voter. Dans le cadre de nos missions de service public, nous menons régulièrement des campagnes d’incitation au vote.

La hiérarchisation de l’information se fait de manière naturelle. Dans environ 90 % des cas, les personnes qui ont une carte de journaliste savent très bien comment l’information va se développer. Contrairement à un certain nombre de pays, nous sommes encore dans une info de l’offre et non de la demande. Désormais, aux États-Unis, c’est généralement Google qui hiérarchise l’information. J’espère que nous en serons préservés le plus longtemps possible.

La désinformation est l’enjeu fondamental de ces prochaines années sur lequel nous devons collectivement travailler. La lutte contre la désinformation est inscrite dans notre cahier des charges. Nous menons des actions avec Radio France et des partenaires internationaux comme la BBC ou la ZDF. Nous avons mis en place une équipe, les Révélateurs, qui vérifie les faits mais aussi la réalité d’une image car l’IA, qui est déjà un puissant facteur de désinformation, le sera encore davantage dans les prochaines années.

Enfin, nous avons adopté une charte relative à l’utilisation des sondages, une charte relative à l’IA et une charte relative aux rectificatifs – l’information en continu, de par sa temporalité, induisant plus d’erreurs. Nous pourrons vous transmettre ces documents.

Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe de France Télévisions. S’agissant des réseaux sociaux, nous appliquons les obligations de nature législative ou réglementaire et nous avons adopté de nombreuses chartes internes pour fournir à nos téléspectateurs une information de qualité et de confiance.

La question des réseaux sociaux s’impose également à nous, en notre qualité d’acteur de la télévision linéaire présent sur ces réseaux. Les médias traditionnels doivent y être présents pour constituer un contrepoids nécessaire à la désinformation à laquelle on est plus exposé dans ces espaces moins régulés. La direction de l’information a ainsi développé des programmes spécifiquement conçus pour les réseaux sociaux à destination des jeunes publics – un journal télévisé quotidien pour les adolescents et, désormais, un autre pour les enfants. L’idée est, dès le plus jeune âge, d’acculturer toutes les jeunes générations aux comportements informationnels qui leur permettent de détecter la manipulation de l’information.

Non seulement les médias traditionnels doivent faire leur travail pour protéger les téléspectateurs de la désinformation, mais ils doivent également donner des clés, notamment à ceux qui ne regardent pas, ou moins, la télévision – les enfants et les adolescents –, pour les aider à devenir des citoyens éclairés.

La parité est respectée s’agissant des experts qui interviennent sur nos antennes. Elle n’est pas toujours atteinte en ce qui concerne les invités politiques en raison des limites qu’Alexandre Kara a rappelées.

M. le président Thomas Cazenave. Les réseaux sociaux sont un sujet de préoccupation. Lors de l’audition de l’Arcom, nous avons constaté que la réglementation et le cadre de régulation y sont moins stricts. Au-delà de la concurrence qui s’exerce entre vous, vous êtes désormais en concurrence directe avec d’autres sources d’information qui sont moins encadrées et qui menacent la qualité du débat public.

M. Thomas Bauder. Non, monsieur le rapporteur, nous n’avons pas été approchés. Je regrette votre expression, qui laisse entendre que certains journalistes ne seraient pas « sérieux ». Pour ma part, je n’en connais pas et j’entretiens des relations confraternelles avec tous les journalistes, qu’ils appartiennent à la presse écrite ou à la radio. Les journalistes professionnels se soumettent à la loi, à des codes de déontologie et travaillent en conscience, dans toutes les rédactions.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je voulais seulement désigner le travail d’enquête de fond mené à ce sujet de façon incontestable par L’Humanité, sans chercher à opposer les journalistes entre eux. Votre interprétation est assez révélatrice, je pense.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Certains d’entre vous n’ont pas répondu à la question relative au projet Périclès. Par ailleurs, pourriez-vous nous fournir un tableau présentant les invités politiques de vos émissions phares au cours des deux dernières années ? Nous pourrons ainsi nous faire notre propre idée.

Certains sujets d’actualité sont clivants à l’échelle mondiale et donc également dans la société française, notamment le conflit entre Israël et la Palestine. Or je n’ai pas constaté de votre part de tentative d’expliquer l’histoire de ce conflit sur vos chaînes. Même si certains invités rappellent à la marge son origine dans les années 1940, tout se passe comme s’il avait commencé le 7 octobre. Pour moi, c’est une falsification de la réalité, qui empêche la compréhension de ce conflit majeur.

De même, cela fait un an, voire un an et demi, que certains médias ne parlent plus que de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, passant sous silence d’autres conflits importants où des millions de personnes meurent. Pourquoi ce choix ? L’envahisseur est stigmatisé, mais en oubliant de préciser que la guerre a commencé en 2014, si bien que nos concitoyens ne disposent pas des éléments de compréhension nécessaires. Vous devez replacer les événements dans leur contexte historique.

M. Alexandre Kara. Nous n’avons pas été contactés par les équipes du projet Périclès.

M. Fabien Namias. Nous non plus. Je ne connaissais d’ailleurs pas, jusqu’à présent, l’existence de ce dispositif.

M. Alexandre Kara. Monsieur Castor, la liste de nos invités est disponible sur la page « transparence » de Franceinfo. Nous pouvons également vous la transmettre.

Je vous invite à consulter notre offre d’information. Nous ne prétendons pas que le conflit entre Israël et la Palestine a commencé le 7 octobre 2023. Nous avons même consacré une heure de journal télévisé à ce conflit, lors du triste anniversaire de cette date. Sachez que notre offre d’information pour les 12-18 ans, intitulée « C quoi l’info ? », qui est disponible sur des médias sociaux tels que Youtube, permet notamment de raconter la genèse du conflit Israël-Palestine aux plus jeunes. Elle comptabilise actuellement 8 millions de vues. Conformément à notre rôle, nous usons de pédagogie pour contextualiser autant que possible l’information, notamment internationale.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Sur la présentation des conflits, celui au Nord-Kivu, qui est très meurtrier et a causé de nombreux déplacements de population, prend moins de place dans l’information, par exemple. Cela peut conduire à considérer que l’importance des conflits est relativisée dans certaines zones du monde. En outre, nombre de nos concitoyens ne savent pas comment trouver l’information à ce sujet sur les chaînes d’information en continu.

M. Guillaume Debré. Je vous remercie pour cette question. J’espère que vous avez vu sur LCI le formidable reportage de vingt-six minutes de Liseron Boudoul, qui s’est déplacée au Nord-Kivu, pour montrer les ravages de ce conflit. Nous sommes très fiers de son travail. Certains peuvent avoir l’impression que nous nous désintéressons de ce conflit, mais ce n’est pas le cas. Nous essayons d’apporter des éclairages par les débats et des reportages. Tous les vendredis, samedis et dimanches, nous diffusons notamment un reportage d’une durée allant de vingt-six à cinquante minutes réalisé par la rédaction de LCI et TF1. Michel Scott s’est ainsi rendu à Haïti ou au Mexique, pour couvrir la guerre des cartels. Enfin, nous nous rendons régulièrement en Ukraine, mais aussi en Russie, par souci de couvrir tous les points de vue.

Concernant le conflit au Moyen-Orient, j’espère que vous avez vu le formidable reportage que nous avons tourné en octobre de l’an dernier. Nous avons réussi à obtenir des images poignantes de la vie quotidienne à Gaza, grâce à des journalistes indépendants que l’une de nos journalistes, Gwendoline Debono, avait réussi à contacter. Vous avez raison d’évoquer ces conflits parfois oubliés. Nous sommes fiers de l’offre éditoriale de LCI et de TF1, qui participe du pluralisme.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Dans quelle mesure les résultats des sondages déterminent-ils le temps de parole alloué aux différents mouvements politiques dans le cadre des règles d’équité ? Ce temps est-il évalué par l’Arcom ou par vous-mêmes ? Je vous interrogerai ensuite sur la fabrique de l'information à partir des sondages.

M. Cyril Guinet, directeur de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme de France Télévisions. La représentativité des formations politiques est appréciée sur la base de différents critères énumérés par l’Arcom. Certains sont très objectifs, tels les résultats aux différents scrutins ou le nombre de députés. D’autres sont plus évolutifs, tels les sondages ou la capacité à animer le débat politique ou électoral. Les sondages ont ainsi un impact à la marge.

Nous entretenons un dialogue constant avec le régulateur. Nous lui transmettons régulièrement les temps de parole sur nos antennes ; il formule des observations tous les trimestres, en dehors des périodes électorales, ou chaque semaine, en période électorale. Nous ajustons ainsi notre appréciation de la représentativité des formations politiques aux souhaits de l’Arcom. À ce jour, cette autorité n’est jamais intervenue pour mettre en garde, mettre en demeure ou sanctionner Franceinfo concernant les niveaux de temps de parole.

M. Fabien Namias. Rappelons que la commission des sondages encadre strictement les sondages et que les instituts de sondage doivent satisfaire des critères précis pour publier des enquêtes d’opinion.

À BFMTV, comme dans la plupart des médias représentés ici, nous avons choisi d’établir une relation privilégiée avec un institut de sondage – en l’occurrence Elabe –, parce que nous devons à notre audience de publier des estimations de résultats lors des soirées électorales – ces soirées sont peu fréquentes mais ont une forte résonance.

Il est de coutume de reprendre l’institut de sondage avec lequel nous avons contracté pour les estimations électorales pour les autres enquêtes – qui ne sont pas forcément politiques et peuvent porter sur des questions de société ou de consommation. Dès avant mon arrivée, BFMTV a eu pour ligne de limiter autant que possible le traitement des enquêtes à celles que nous avons commandées et dont nous maîtrisons les questions, car nous voulons être certains de ce que nous publions.

Rappelons que lorsqu’un institut commande une enquête, le commanditaire c’est-à-dire la rédaction ou le rédacteur ou chef du média qui paye pour cette enquête, valide les questions.

M. Antoine Léaument, rapporteur. La semaine dernière, j’ai interrogé les représentants des instituts de sondage pour savoir si des médias leur avaient déjà demandé de jouer sur les critères de redressement afin de parvenir au croisement des courbes d’intention de votes de deux candidats. La question était brutale à dessein ; elle visait à obtenir des réponses franches. Elles l’ont été. Ils m’ont assuré que cela n’arrivait jamais et que les instituts de sondage décidaient de la question posée. Or vous indiquez l’inverse, c’est-à-dire que la question du sondage est validée par les rédactions. De manière concrète, comment les questions sont-elles déterminées ?

M. Fabien Namias. Il n’est jamais arrivé que nous demandions de redresser certains résultats. Ce serait contraire aux règles. Un média n’a pas à juger du résultat qui lui est fourni par un institut de sondage. Il prend les résultats tels qu’on les lui donne. Les sondeurs ont leur propre méthodologie et nous ne mettons pas trivialement la main dans le cambouis de la fabrication des sondages.

Dans un premier temps, les médias demandent une enquête sur un sujet : soit les intentions de vote pour une élection, soit le rapport de l’opinion à tel ou tel fait de société, économique ou politique. La thématique du sondage relève donc d’une initiative éditoriale. Ensuite, l’institut de sondage, à partir de critères extrêmement précis, propose des questions, que nous ne reformulons jamais – nous n’avons pas le droit de le faire. Nous pouvons juger si les questions reflètent l’esprit du sondage que nous demandons, mais le libellé de la question, le recueil de l’opinion et le calcul des résultats appartiennent à 100 % à l’institut de sondage. Le choix des thématiques est une initiative éditoriale.

M. le président Thomas Cazenave. Est-il déjà arrivé qu’un média décide de ne pas publier un sondage qu’il a commandé – et qui lui appartient donc –, parce que les résultats ne semblent pas intéressants à ses responsables, par exemple ?

M. Guillaume Debré. Non. Nous avons le même process de fabrication des sondages que BFMTV. Nous donnons l’impulsion, les thèmes ; les questions sont ensuite formulées par l’institut de sondage – un sondage a ainsi été commandé en lien avec l’invitation de Jordan Bardella ce soir dans l’une de nos émissions.

Distinguons les sondages thématisés – qui répondent à une question éditoriale, qui nous semble intéressante pour le public – des sondages d’opinion politique, réalisés notamment en période électorale. Même si notre groupe entretient une relation ancienne avec l’Ifop, nous lançons un appel d’offres très exigeant et détaillé avant chaque contrat. Le chef du service politique, Adrien Gindre, le directeur de l’information, Thierry Thuillier, le rédacteur en chef adjoint, Philippe Morand, et moi-même avons reçu plusieurs instituts de sondage qui nous ont proposé leurs services pour les prochaines années. Nous les avons questionnés, ils ont présenté leur méthodologie, nous avons analysé leur offre, fixé des exigences. Nos relations avec les instituts sont contractuelles.

Le rolling, un instrument que vous devez consulter en tant qu’hommes politiques, nous permet de suivre les mouvements précis de l’opinion publique en période électorale, pour éviter d’être surpris par des mouvements brusques de l’opinion – même si certains y voient une manipulation de l’opinion. Nous avons lancé un rolling sur LCI deux mois avant les élections européennes. À partir d’un échantillon très représentatif, il nous a permis de saisir instantanément l’évolution des partis politiques et de leur positionnement. Nous avons ainsi gagné en profondeur.

Enfin, juste avant l’échéance électorale, nous utilisons des projections de résultats en sièges, présentées sous forme de fourchettes. Là encore, le cahier des charges est extrêmement précis.

L’utilisation et la fabrique des sondages, pour reprendre votre expression, sont très encadrées, comme l’ensemble des pratiques des chaînes d’information.

M. Alexandre Kara. Notre degré d’exigence est au moins égal à celui que viennent d’exposer nos confrères. Nous contractons avec les instituts de sondage à l’issue d’un appel d’offres. Nous avons normé de manière très stricte l’utilisation des sondages, notamment les nôtres, concernant par exemple la mention à l’antenne de la marge d’erreur. Pour notre part, nous sommes méfiants à l’égard du rolling. Nous essayons d’éviter cet outil, qui doit être utilisé avec précaution. Nous limitons le nombre de sondages en période électorale.

Les résultats présentés à l’antenne les soirs d’élection s’appuient en général sur le dépouillement. Nous ne délivrons le classement des candidats ou des partis que quand le sondeur avec lequel nous travaillons et en qui nous avons confiance nous donne l’absolue certitude qu’il n’évoluera pas. Si le moindre doute subsiste sur le résultat, nous ne le présentons pas, et nous en expliquons les raisons à l’antenne.

M. Fabien Namias. Quand nous produisons une étude, nous demandons au responsable de l’institut de sondage qui l’a réalisée d’en présenter le résultat à l’antenne – pour BFMTV, il s’agit de Bernard Sananès, qui dirige l’institut Elabe. Ainsi, le processus est clair de bout en bout : le sondage a été réalisé par un institut ; c’est l’institut qui le présente. Les téléspectateurs savent ainsi précisément qui parle et à quel titre.

M. le président Thomas Cazenave. BFMTV publie-t-il tous les sondages qu’il a commandés ?

M. Fabien Namias. Depuis un peu moins de six mois que je travaille à BFMTV, tous les sondages que nous avons commandés ont été publiés. Je pense que c’était également le cas avant mon arrivée, mais je ne peux m’engager sur une réponse à ce sujet.

M. Thomas Bauder. CNews s’appuie sur l’expertise de deux instituts reconnus et contrôlés, d’excellente réputation, qui respectent évidemment les exigences de la loi. Leurs représentants vous ont présenté, lors d’une précédente audition, les différences entre les sondages d’opinion, les sondages électoraux, les rollings et les sondages de sortie d’urne, les marges d’erreur, les recours aux sous-traitants pour la collecte de données, les redressements, et ainsi de suite.

Nous travaillons avec OpinionWay pour les sujets politiques et les projections électorales et l’institut CSA pour les sujets de société. Nous avons également travaillé avec l’Ifop, jusqu’au moment où cet institut a choisi de travailler avec TF1. La commission des sondages vérifie que ces instituts travaillent dans les règles de l’art.

Pour notre part, nous n’intervenons pas dans le choix des questions. L’institut CSA propose deux, trois, quatre ou cinq questions d’actualité. Ce sont des questions de sondeurs – pour ma part, je ne sais poser que des questions de journaliste. Ensuite, nous échangeons par téléphone, parfois par mail, et je choisis une question. Après en avoir discuté avec Serge Nedjar, le directeur de CNews, nous prenons notre décision. Il nous arrive de renoncer à une étude.

Les sondages ne font pas l’élection, j’en suis convaincu. Sinon, il ne serait plus nécessaire d’organiser des élections. Les sondages n’apportent qu’un élément d’appréciation à un instant T, très souvent démenti par les résultats électoraux. Les sondeurs ne se trompent pas sciemment, mais parce que le moteur du vote est l'action politique. Un pronostic semblait évident entre le premier et le second tour des dernières élections législatives ; il a été infirmé.

M. le président Thomas Cazenave. Nous avons déjà mené ce débat de manière détaillée avec les sondeurs. Nous vous interrogeons sur la manière dont vous utilisez les sondages en tant que journaliste. Vous choisissez donc les questions.

M. Thomas Bauder. Oui, tout à fait, pour les questions d’actualité.

M. le président Thomas Cazenave. Les questions sont formulées par les sondeurs, mais vous choisissez les thématiques. Publiez-vous tous les sondages que vous commandez ?

M. Thomas Bauder. Il est déjà arrivé que, trente-six heures après que nous avons lancé un sondage sur une question d’actualité, qui utilise donc la méthode des quotas, quand nous recevons les résultats, l’opinion soit déjà passée à autre chose. Dans ce cas-là, nous ne diffusons pas le sondage.

Il faut distinguer entre les questions d’actualité et les sondages électoraux, qui mesurent les intentions de vote. Nous pouvons diffuser ou non les résultats de ces études. C’est notre liberté éditoriale.

M. le président Thomas Cazenave. Donc vous ne diffusez pas tout. C’était ma question.

M. Thomas Bauder. Cela dépend, en effet.

Pour les soirées électorales, nous avons un partenariat avec OpinionWay et c’est Bruno Jeanbart qui vient donner les projections de son institut, comme je demande parfois – un peu moins dernièrement – à Julie Gaillot de venir décrypter à l’antenne les résultats des sondages CSA.

Nous ne tripatouillons pas les sondages : nous n’intervenons pas dans les redressements. Le redressement fait partie de la pratique des instituts de sondage.

M. le président Thomas Cazenave. Vous ne rentrez pas dans la technique du sondeur, mais les redressements existent. C’est une pratique courante des sondeurs.

M. Thomas Bauder. Lors des soirées électorales, nous recevons tous les projections sorties des urnes, un peu avant vingt heures – c’est aussi, je crois, le cas d’une grande partie du personnel politique ?

M. Antoine Léaument, rapporteur. Moi, je ne reçois pas de résultats de sondages, mais je ne fais pas partie de l’équipe de direction des campagnes.

Vous dites ne pas rentrer dans la technique. Je fais le contraire : je suis allé, en tant que rapporteur de cette commission d’enquête, dans les locaux de la commission des sondages pour demander les « notices expert » – tous les sondeurs, à l’exception d’OpinionWay, envoient en effet deux notices, l’une publique et l’autre destinée aux experts. La seconde donne les redressements possibles : socio-démographique ; politique ; politique et socio-démographique ; politique, socio-démographique et en fonction de la participation… La commission des sondages impose aux sondeurs de choisir une de ces colonnes de redressement. Les écarts, contrairement à ce que nous ont dit les instituts de sondage, peuvent atteindre 10 points pour certains candidats. Je vais continuer à creuser cette piste. Mais il me semble en tout cas que les outils que sont les sondages doivent être interrogés, qu’il faut examiner leurs méthodes, leurs échantillons, leurs marges d’erreur…

Vous évoquiez les sondages de « sortie des urnes ». Je m’intéresse bien davantage aux sondages qui fabriquent l’opinion par le choix des questions posées.

Prenons un exemple récent : dans un meeting – auquel participait d’ailleurs un représentant d’un institut de sondage, M. Dabi, de l’Ifop –, M. Retailleau dit « vive le sport, à bas le voile ». Immédiatement, Le Journal du dimanche puis votre chaîne ont diffusé un sondage selon lequel 69 % des Français seraient opposés au port du voile dans l’espace public. Il s’agit bien là d’une fabrication d’un sujet ! La question se pose-t-elle vraiment dans l’espace public ? On peut se le demander. Mais vous en faites un sondage, et vous fabriquez de l’actualité sur ce sujet.

Bourdieu expliquait, dans un article célèbre intitulé « L’opinion publique n’existe pas », que les sondages sont des artefacts, et participent d’une façon d’imposer une problématique aux personnes à qui on pose les questions. Ces questions produisent des réponses, « étant donné que l’on peut demander n’importe quoi à n’importe qui et que n’importe qui a presque toujours assez de bonne volonté pour répondre au moins n’importe quoi à n’importe quelle question » – j’adore cette formule. Et ces réponses peuvent ensuite être commentées.

Dès lors qu’un média commande un sondage sur un thème qui l’intéresse, il produit une réponse à sa question – celle-ci étant critiquable sous de multiples aspects – et cette réponse est commentée à l’antenne : c’est bien de fabrication de l’information que l’on parle. L’information n’existe pas par elle-même.

M. Thomas Bauder. Sous-entendez-vous qu’il y a des questions interdites ?

M. Antoine Léaument, rapporteur. Pas du tout, au contraire. Je considère que fabriquer de l’information à partir de sondages relève de la liberté de la presse. Je m’interroge seulement sur ce que cette information constitue, sur votre rôle de journaliste et sur ce qu’il pourrait vouloir dire de mise en perspective. M. Kara prenait par exemple ses distances vis-à-vis des rollings. Votre présence à tous ici est intéressante parce qu’elle peut nous éclairer sur cette fabrication de l’information à partir des sondages que vous commandez et que vous commentez ensuite.

Par ailleurs, vous parlez de temps, mais il y a aussi à mon sens une question d’argent : le sondage ne coûte pas si cher par rapport à l’envoi d’une équipe de reportage sur le terrain.

M. le président Thomas Cazenave. Pour en revenir à la diffusion, quelles précautions prenez-vous ? Les bandeaux, par exemple, donnent souvent des chiffres, mais pas de marges d’erreur. Comment traitez-vous l’incertitude qui se loge derrière le sondage ?

M. Guillaume Debré. Nous faisons des choix. Faire un sondage est un choix éditorial, et nous le faisons parce que certaines questions nous paraissent pertinentes. J’insiste : il ne s’agit pas pour nous de fabriquer l’opinion, mais de soulever des questions pertinentes et qui s’inscrivent dans une approche éditoriale. LCI est produit par des journalistes, qui disposent de cartes de presse : ce que l’on attend d’eux, c’est du questionnement éditorial. Le sondage est un des outils de l’approche éditoriale que nous employons, il est très loin d’être le seul. Nous en faisons même peu, notamment sur les questions thématiques que vous preniez en exemple. En période électorale, évidemment, nous en faisons plus, mais ce sont des questions différentes.

Quant à la diffusion et aux précautions, j’insisterai sur le rôle de l’encadrement : c’est toujours un rédacteur en chef ou un rédacteur en chef adjoint, un chef d’une tranche, et la direction qui décident de la mise à l’antenne d’une information issue des sondages. Ce n’est jamais le journaliste lambda : il y a toujours un process de validation, qui doit être respecté et qui est très encadré. La direction est responsable de la mise à l’antenne du sondage. Ce ne sont pas des choses que nous faisons à la légère.

S’agissant du « marketing antenne », des bandeaux qui résument l’actualité, c’est là aussi le fruit d’un questionnement : il faut trouver un équilibre entre la justesse de l’information et le nombre de caractères que l’on peut afficher. Là encore, ce sont des choix éditoriaux, que nous voulons aussi judicieux que possible, et le résultat d’une ligne éditoriale.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Certains sondages, dites-vous, ne sont pas diffusés parce qu’ils ont perdu leur actualité. Pourriez-vous nous les transmettre ?

Par ailleurs, il me paraît paradoxal de dire à la fois que les sondages jouent sur l’opinion et qu’ils ne font pas le résultat de l’élection. Je crois, moi, qu’ils ont une action. Si vous considérez vraiment qu’ils ne font pas l’élection, pourquoi les commander, pourquoi par exemple mesurer le poids dans l’opinion de telle ou telle personnalité ?

Dressez-vous un bilan avec les sondeurs ? Leur avez-vous demandé pourquoi ils étaient si peu performants ?

M. le président Thomas Cazenave. Bref, quel est votre regard de client sur la qualité du produit ?

M. Thomas Bauder. Nous n’avons pas d’intérêt dans les sondages. Je m’inscris en faux contre vos propos, monsieur le rapporteur. Les sondages sont pour nous l’un des éléments de l’information, et pas le principal. Dans l’exemple que vous avez pris, sans la prise de parole du ministre de l’intérieur, comment pourrions-nous poser la question ? Elle ne peut venir qu’après le discours de M. Retailleau, après une actualité. C’est la raison pour laquelle les questions nous sont proposées par les instituts de sondage, qui analysent l’actualité. Je n’ai d’intérêt ni dans un sondage, ni dans un reportage, ni dans une infographie, ni dans un papier plateau : mon métier est de fabriquer de l’information et de donner la meilleure information au téléspectateur.

Les sondages, et plus largement les chaînes d’info, sont peut-être l’un des éléments du débat mais ne font pas l’élection. Ce n’est pas la presse mais le peuple souverain qui fait l’élection, monsieur le député.

Quand nous ne diffusons pas un sondage, c’est parce qu’il est devenu obsolète, qu’il est sorti de l’actualité, ce qui arrive pour des sondages comme pour des prêts à diffuser (PAD). Nous sommes nombreux ici à savoir combien de PAD nous « trappons », nous mettons à la poubelle, tous les jours parce qu’ils se trouvent dépassés par l’actualité. Vous n’avez pas idée du taux de déchet dans ce que nous fabriquons ! Une bonne matinale d’info est normalement quasiment prête la veille au soir : en fonction de ce qui se passe pendant la nuit, nous faisons des choix dans ce qui était prévu. Parfois, c’est 100 % de la production de la veille qui n’est pas utilisée.

Je le redis, je n’ai pas d’intérêt : je fais un boulot de journaliste, j’informe les gens en fonction de l’actualité – mais l’actualité m’est donnée.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je suis au regret de vous dire que je pense que vous avez menti.

Au sujet du voile, vous dites que c’est M. Retailleau qui amène le sujet. Ce n’est pas tout à fait exact : il peut y avoir des chaînes, ou des journaux, qui soulèvent des sujets – pensons à l’habituel marronnier sur les tenues de plage, sujet aussi majeur dans la société que celui du voile dans le sport, qui concerne 0,07 % des personnes licenciées. Il se trouve surtout qu’Europe 1, CNews et Le Journal du dimanche ont commandé il y a peu un sondage sur la question des statistiques ethniques. Tous les articles que je lis sur le sujet disent que le débat « revient régulièrement ». Vous nous dites que vous ne faites pas de sondage s’il n’y a pas de fait d’actualité à l’origine : mais ici, c’est un débat qui « revient régulièrement ». Et qui pose régulièrement la question, à part les journaux qui commandent le sondage ? La question n’est pas majoritairement posée dans la société. Elle l’est certes par des chercheurs, mais des chercheurs assez rarement cités sur votre chaîne car ils ne vont pas dans le sens de votre ligne éditoriale, puisqu’ils considèrent notamment que ces statistiques permettraient d’objectiver l’existence de discriminations liées à la religion, à la couleur de peau, à l’origine… quand vous essayez au contraire – ce qui est scientifiquement faux – de lier insécurité et immigration. Voilà un exemple d’information littéralement fabriquée.

M. Thomas Bauder. Je ne suis pas scientifique, mais journaliste, c’est ma limite, et c’est déjà beaucoup !

Les questions sont la plupart du temps fondées sur l’actualité. Celle des statistiques ethniques se pose au long cours dans le débat public. Elle n’est pas forcément orientée : c’est une question factuelle. Voulons-nous savoir ce qui se passe, voulons-nous des éléments d’information sur ce sujet ? Il nous revient de nous adapter : je ne me rappelle pas le contexte spécifique de cette question-là, mais il devait y avoir une raison de la poser, peu ou prou liée à l’actualité. Elle peut être discutée, voire contestée, c’est votre droit. Parfois, nos questions sont liées à des questionnements que nous posons, à CNews, et d’autres peut-être moins. Nous prenons position, mais de façon éditoriale.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Sur ce sujet spécifique, hors des médias du groupe dont fait partie CNews, personne n’a traité cette question : c’est un sujet sans doute majeur, mais pour une seule série de médias qui se trouvent appartenir au même groupe.

Vous dites en gros qu’il y a des questionnements qui posent question : cette formule circulaire me semble marquer la fabrication de l’information.

J’en viens, sans acharnement contre vous, à la question spécifique des violences faites aux enfants et aux adolescents. Votre chaîne emploie une personne condamnée en appel pour des faits de corruption de mineurs. Considérez-vous qu’il soit normal, légitime, de donner de l’audience à cette personne ?

M. Thomas Bauder. Le groupe a déjà répondu de nombreuses fois à cette question juridique. Jean-Marc Morandini s’est pourvu en cassation.

S’agissant de la commission que vous évoquez, nous la suivons et nous avons même diffusé ce matin un point d’étape.

M. Christophe Roy. La réponse a été apportée par le groupe : il y a une présomption d’innocence, et nous prendrons une décision à l’issue des recours.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je n’ai pas évoqué cette commission.

Il y a une condamnation, donc la présomption d’innocence tombe.

Comment entendez-vous faire respecter l’interdiction d’exercice d’une profession au contact des mineurs associée à cette décision de justice ? Il peut y avoir dans vos locaux des stagiaires, collégiens ou lycéens, par exemple.

M. le président Thomas Cazenave. Nous nous éloignons un peu de l’objet de la commission. Voulez-vous répondre ?

M. Thomas Bauder. Je n’ai pas de réponse sur cette question. Je précise que l’émission de Jean-Marc Morandini est produite par une société dans des locaux extérieurs à CNews. La diffusion se fait en direct, tous les jours.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Mais est-ce que vous faites respecter la loi ?

M. Thomas Bauder. Nous sommes au-delà de mes compétences de directeur de l’information.

M. Christophe Roy. Nous sommes en effet très loin de l’objet de cette commission d’enquête. Nous respectons la loi, évidemment, nous la faisons respecter et nous prêtons attention à la sécurité de l’ensemble des salariés du groupe comme de tous ceux qui y travaillent. Nous sommes vigilants.

M. Jean-Victor Castor (GDR). En tant que député de Guyane, je voudrais vous alerter sur la faible visibilité de nos pays sur vos chaînes. Dans le cas spécifique des processus électoraux, vous donnez la date du scrutin dans l’hexagone, c’est-à-dire le dimanche ; mais, chez moi, nous votons le samedi. Comment entendez-vous corriger cela, ce qui paraît indispensable si vous émettez chez nous ? En Guyane, les taux d’abstention dépassent souvent les 70 %.

M. Fabien Namias. C’est évidemment une remarque à prendre en compte.

Lorsqu’il y a des scrutins, les chaînes – en tout cas celles que j’ai dirigées – diffusent tout au long de la journée du samedi des images des bureaux de vote déjà ouverts, dans les outre-mer comme à l’étranger, pour montrer que les opérations de vote ont commencé. Nous sommes alors tenus de n’aborder en aucune manière la question de l’élection.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Je parle de ce qui se passe tout au long de la campagne, pas seulement du jour du vote !

M. Fabien Namias. La campagne est nationale : elle est la même pour tous. Je redis que nous avons à cœur de diffuser des images des bureaux de vote ouverts dès le samedi. Mais je note votre remarque.

Mme Livia Saurin. S’agissant de la visibilité des outre-mer sur nos antennes, je précise que nous émettons directement dans les neuf territoires ultramarins par le biais de nos chaînes La Première, qui sont à la fois des radios, des télévisions et un portail numérique. Nous y sommes souvent l’offre d’information locale de référence.

À la suite de l’arrêt de France Ô, France Télévisions a signé un pacte outre-mer comportant vingt-cinq engagements. Nous en rendons compte chaque année par le biais d’un comité de suivi, au sein duquel siègent notamment des représentants du Parlement. L’arrêt de France Ô a finalement eu un impact favorable sur la visibilité des outre-mer sur nos antennes, dans la mesure où nous atteignons plusieurs centaines de prime sur les outre-mer en comptant Culture Box. Nous touchons à peu près 50 millions de téléspectateurs chaque année grâce à notre offre ultramarine sur les antennes de France Télévisions. En matière d’information, nous avons lancé récemment un magazine intitulé « C pas si loin », qui nous permet de faire la jonction entre l’information et la visibilité des outre-mer sur les antennes nationales.

M. Alexandre Kara. J’ajoute que Franceinfo diffuse tous les jours un journal consacré à l’outre-mer, à 21 heures heures 30. L’actualité guyanaise y est notamment très largement couverte.

M. le président Thomas Cazenave. Merci.

 

La séance s’achève à douze heures

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Jean-Victor Castor, M. Thomas Cazenave, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Antoine Léaument, M. Kévin Pfeffer