Compte rendu

Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France

– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, et Mme Marie Grosgeorge, directrice de cabinet              2

– Présences en réunion................................11

 


Mercredi
9 avril 2025

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 30

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Jean-Victor Castor,
Secrétaire de la commission

 


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La séance est ouverte à dix-sept heures quarante.

 

M. Jean-Victor Castor, président. L'association des communes et collectivités d'outre-mer, contactée pour participer à nos échanges, nous a fait parvenir une contribution écrite, n'ayant pu être présente aujourd'hui. M. Jacob, fort de son expérience antérieure à la tête de la direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES), possède une expertise approfondie de l'organisation des élections sur l'ensemble du territoire national.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. (M. Olivier Jacob et Mme Marie Grosgeorge prêtent serment.)

M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer. Permettez-moi, tout d’abord, d’apporter une clarification quant au rôle spécifique de la direction générale des outre-mer dans l’organisation des élections politiques. Notre mission, exercée en étroite collaboration avec le bureau des élections politiques de la DMATES, se concentre tout particulièrement sur les élections politiques organisées dans les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution, que sont Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, ou du titre XIII de la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie.

Pour ces territoires, la direction générale des outre-mer prépare les textes nécessaires à la tenue et à l’organisation des scrutins politiques, notamment les circulaires et les décrets portant convocation des électeurs. Elle élabore également les notes relatives aux prévisions électorales et à la remontée des résultats. La communication officielle de ces résultats dans les territoires concernés relève de la compétence du ministre des outre-mer.

S’agissant des élections nationales dans ces collectivités, bien que leur organisation relève de la DMATES, nous apportons systématiquement notre expertise technique. Il s’agit, en l’occurrence, des référendums, des élections européennes, présidentielles, sénatoriales, législatives, régionales, départementales et municipales. Sur l’ensemble des textes encadrant ces élections, la DMATES sollicite systématiquement notre avis. La DMATES saisit également la direction générale des outre-mer lorsqu'il s'agit de modifier des textes électoraux en incluant des mesures d’adaptation dans les territoires concernés.

Il importe de souligner plusieurs spécificités relatives à l’organisation des élections dans les outre-mer. Ainsi, certains territoires, tels que Saint-Martin, Saint-Barthélemy ou les îles Wallis-et-Futuna, ne connaissent pas d’élections municipales, faute de communes constituées. En Polynésie française, les communes sont divisées en sections, une configuration qui induit des règles électorales spécifiques, notamment pour l’élection des maires délégués. En Nouvelle-Calédonie, l’élection des conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants s’effectue en outre par scrutin de liste, et non au scrutin majoritaire, comme c’est le cas dans le reste du territoire national. Cette collectivité présente également la particularité de disposer d’un corps électoral particulier avec trois listes électorales distinctes : une liste générale pour les élections nationales, une liste spéciale pour les élections provinciales et une troisième pour les consultations, notamment celles qui ont eu lieu à l’occasion des trois derniers référendums relatifs à l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Les électeurs de Nouvelle-Calédonie ne sont pas inscrits sur le répertoire électoral unique (REU), conformément à une décision politique prise par le comité des signataires. Cette situation rend plus complexe la lutte contre les doubles inscriptions, ce qui constitue un enjeu particulièrement sensible à l’approche des prochaines élections provinciales, au regard des mouvements de population survenus à la suite des événements du 13 mai 2024.

D’autres particularités méritent également d’être relevées. Dans certains territoires ultramarins, le vote est organisé le samedi plutôt que le dimanche, en raison du décalage horaire. Tel est le cas en Polynésie française, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les horaires d’ouverture des bureaux de vote peuvent également être adaptés par le représentant de l’État dans certaines collectivités, sous réserve que la durée du scrutin ne soit pas inférieure à dix heures. Tel est le cas en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il convient enfin de souligner que nous ne disposons pas, à ce jour, d’un système d’information dédié aux élections spécifiques des outre-mer, à l’image du SIE2 utilisé pour les élections nationales. Cette situation résulte de choix techniques opérés lors de la modernisation du système d’information électoral, qui a accordé la priorité aux élections présidentielles et législatives, au détriment des scrutins territoriaux propres aux outre-mer.

Une autre spécificité des outre-mer concerne les modalités de transmission des procès-verbaux relatifs aux opérations électorales. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, compte tenu de l’éloignement géographique et de l’étendue des territoires concernés, la commission de recensement est autorisée à se prononcer non seulement sur la base des procès-verbaux de recensement, mais également au vu de télégrammes, de télécopies ou de courriers électroniques émanant des maires et constatant les résultats obtenus dans les bureaux de vote. Cette dérogation au droit commun pour les territoires du Pacifique s’applique également à la transmission des procès-verbaux à la commission nationale de recensement dans le cadre des élections européennes, permettant ainsi une transmission électronique, en lieu et place du format papier.

En matière de financement électoral, trois spécificités s’appliquent aux outre-mer. En premier lieu, les comptes de campagne des candidats peuvent être déposés auprès du représentant de l’État dans la collectivité concernée, et non directement auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politique (CNCCFP). Ensuite, les frais de transport dûment justifiés par les candidats dans les départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou à Wallis-et-Futuna, ne sont pas inclus dans le plafond légal des dépenses électorales. Enfin, le calcul du versement de l’aide publique aux partis politiques prévoit qu’une part de la première fraction du financement peut être attribuée aux partis ou groupements politiques n’ayant présenté de candidats, lors du dernier renouvellement de l’Assemblée nationale, que dans une ou plusieurs collectivités d’outre-mer.

Les principales difficultés rencontrées dans l’organisation des scrutins dans les outre-mer tiennent au contexte géographique singulier de ces territoires. L’éloignement de la France hexagonale, l’insularité ainsi que les distances parfois importantes au sein même d’un territoire donné, constituent autant de contraintes logistiques majeures. Ces difficultés affectent en particulier l’acheminement de la propagande électorale et du matériel de vote, nécessitant parfois des solutions exceptionnelles, comme par exemple le largage par avion du matériel électoral sur l’île de Rapa, en Polynésie française, qui ne dispose pas de piste d’aviation.

L’adressage constitue une autre difficulté récurrente dans de nombreux territoires ultramarins. L’absence d’adresses précises en Polynésie française, ou la persistance d’un système d’adressage rudimentaire à Mayotte, compliquent la distribution de la propagande électorale. Si ces obstacles ne remettent pas en cause la régularité des scrutins, les bulletins de vote étant systématiquement mis à disposition dans les bureaux, ils constituent une différence par rapport au territoire hexagonal.

L’accès aux procurations dématérialisées demeure également problématique dans certains territoires tels que Wallis-et-Futuna, la Polynésie française ou Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison de l’absence de compte FranceConnect ou de numéro fiscal. Dans ces collectivités, le recours au dispositif antérieur, fondé sur des procurations papier, peut générer des retards ou des difficultés le jour du vote.

La communication institutionnelle entourant les élections peut, par ailleurs, être source de confusion pour certains électeurs ultramarins, notamment en ce qui concerne le jour du scrutin, le samedi ou le dimanche. Il apparaît dès lors nécessaire d’améliorer la coordination avec le service d’information du gouvernement (SIG) afin d’adapter les campagnes de communication aux spécificités propres aux outre-mer.

Malgré l’ensemble de ces défis, le bilan global de l’organisation administrative des scrutins politiques et des élections territoriales spécifiques dans les outre-mer s’avère positif pour ces dernières années. Certaines difficultés sont survenues à l’occasion des élections européennes et législatives en Nouvelle-Calédonie, consécutivement aux émeutes du 13 mai 2024, notamment pour la distribution de la propagande électorale. L’organisation des élections à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Polynésie française s’est déroulée de manière particulièrement satisfaisante.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Il apparaît que les taux de participation dans les outre-mer sont, de manière générale, sensiblement inférieurs à ceux observés en métropole. À votre connaissance, quelles sont les causes de ce phénomène ? Des enquêtes ont-elles été menées afin d’en identifier les ressorts ? Cette situation s’explique-t-elle par des facteurs d’ordre géographique, un déficit d’information ou d’autres éléments peut-être plus structurels ? Peut-on observer, de manière plus générale, une forme de désaffection, voire de désengagement civique, qui traduirait une contestation du fonctionnement démocratique ?

Existe-t-il par ailleurs une différence sensible dans les niveaux de participation entre les scrutins locaux et les scrutins nationaux ? Comment expliquez-vous les écarts qui subsistent entre l’Hexagone et les outre-mer en matière de mobilisation électorale ? Enfin, constate-t-on des spécificités au sein même des territoires ultramarins ? Certains territoires, ou certains types de scrutins, suscitent-ils une mobilisation notablement plus forte que d’autres ?

M. Olivier Jacob. Cette question appelle une analyse nuancée en fonction des différents types de scrutins. Si la participation électorale s’avérait systématiquement faible, quel que soit le type d’élection, qu’il s’agisse de scrutins nationaux, locaux ou spécifiques, comme en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna, cela serait naturellement très préoccupant. Or nous observons que les élections locales, notamment les municipales, ainsi que les scrutins territoriaux propres à certains territoires comme Wallis-et-Futuna, suscitent une mobilisation électorale satisfaisante.

En revanche, s’agissant des scrutins nationaux, en particulier les élections présidentielles et législatives, nous constatons effectivement une participation sensiblement plus faible dans les territoires ultramarins que dans l’ensemble du territoire national. Cette tendance s’est confirmée lors des échéances de 2017 et de 2022, avec des écarts significatifs. Prenons, à titre d’illustration, l’élection présidentielle. Au second tour de 2017, la participation dans les outre-mer s’établissait à 50 %, contre près de 75 % pour la France entière. En 2022, ce taux atteignait 47 % dans les outre-mer, alors qu’il s’élevait à environ 72 % à l’échelle nationale. Ces chiffres traduisent un réel décrochage de la participation dans les outre-mer lors de l’élection présidentielle.

Pour ce qui concerne les élections législatives en revanche, les taux de participation dans les outre-mer étaient relativement proches de ceux observés pour la France entière en 2017 puisqu’au second tour, la participation atteignait 41,4 % contre 42,6 % au niveau national. Un décrochage plus net s’est toutefois manifesté en 2022, avec un taux de participation de l’ordre de 36 % dans les outre-mer au second tour contre 46 % dans la France entière.

Bien que les élections législatives anticipées de 2024 aient enregistré une hausse globale de la participation, l’écart entre les territoires ultramarins et le reste du pays s’est néanmoins accentué, avec une participation au second tour dans les outre-mer qui s’établissait à environ 41 % contre 67 % à l’échelle nationale.

Ce même écart s’observe également lors des élections européennes. En 2014, la participation atteignait 50 % pour la France entière, contre seulement 20 % dans les outre-mer. En 2024, ce différentiel s’est aggravé, avec une participation de 18 % dans les outre-mer contre un peu plus de 51 % pour la France entière.

En conclusion, il ressort de ces éléments un décrochage manifeste et croissant de la participation électorale dans les outre-mer lors des scrutins nationaux, qui ne se vérifie pas dans le cadre des élections locales.

Il est important de préciser que, lorsque je fais référence à la France entière, cela inclut les territoires ultramarins. Par conséquent, les écarts réels entre la France métropolitaine et les outre-mer sont, en réalité, encore plus prononcés que ne le laissent apparaître ces données.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Avant d’aborder plus en détail les données relatives aux élections locales, pourriez-vous apporter des précisions quant aux taux de participation enregistrés au premier tour ?

Je m’interroge en effet sur l’existence d’un éventuel effet lié à la configuration du second tour, notamment en fonction des candidats encore en lice. Il arrive, dans certains territoires ultramarins, que des candidats soient élus dès le premier tour, ce qui pourrait mécaniquement entraîner une baisse du taux de participation lors du second tour.

M. Olivier Jacob. Nous disposons de l'ensemble des données, qui vous seront transmises ultérieurement. Nous inclurons également ces informations dans notre réponse au questionnaire, en fournissant une analyse complète du premier tour.

Mme Marie Grosgeorge, directrice de cabinet. Concernant l'élection présidentielle de 2022, je peux d'ores et déjà vous indiquer que la participation a été plus forte au second tour qu'au premier dans l'ensemble des territoires d'outre-mer.

M. Olivier Jacob. Je précise que nous n’avons pas mené d’étude approfondie sur le phénomène de décrochage de la participation électorale. Nos analyses reposent en général sur des rapports parlementaires, ainsi que, ponctuellement, sur des travaux universitaires, mais nous n’avons pas engagé de démarche d’exploration détaillée sur cette problématique.

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un défaut de civisme, dans la mesure où nous observons des niveaux de participation élevés dans les outre-mer pour d’autres types de scrutins. Il est possible que cette situation soit davantage liée à la nature du lien entre les territoires ultramarins et la métropole, qui peut inclure une forme d’incompréhension ou de décalage. L’offre politique elle-même, tout comme le traitement des problématiques ultramarines par les candidats, pourrait également jouer un rôle, même si je formule ici une hypothèse, sans disposer de données objectives pour l’étayer. Cela étant dit, cette hypothèse ne paraît pas pleinement transposable aux élections législatives, qui sont ancrées localement. Il est envisageable que les électeurs ultramarins perçoivent que ce type de scrutin n’a pas d’incidence tangible sur leur vie quotidienne en tant que citoyens français vivant dans les outre-mer.

M. Antoine Léaument, rapporteur. N’assistons-nous pas, en réalité, à une certaine forme d’indifférence de la part de l’Hexagone et de la sphère politique métropolitaine à l’égard de nos compatriotes ultramarins ? Ayant eu l’opportunité de me rendre fréquemment dans les outre-mer au cours de ma carrière politique, j’ai souvent entendu s’exprimer un profond sentiment d’abandon. Cette perception se reflète notamment dans les conditions matérielles que connaissent certains départements, en particulier en ce qui concerne le coût de la vie.

Au-delà des enjeux liés au pouvoir d’achat, la question de l’accès aux services publics se pose avec acuité. Il suffit de songer à la situation de Mayotte ou aux difficultés rencontrées en Guadeloupe et en Martinique. Pour le dire sans détour, la République française n’est peut-être pas toujours à la hauteur des promesses qu’elle formule à l’égard des territoires ultramarins. Dès lors, face à ce sentiment d’exclusion, ne pourrions-nous pas interpréter la faiblesse de la participation électorale comme une forme de désengagement, traduisant l’idée que, dans la mesure où la population se sent ignorée, elle ne voit pas de raison de participer à un processus dont elle ne se sent pas partie prenante ?

Cela renvoie à une problématique fréquemment rencontrée dans certains quartiers populaires de l’Hexagone, qui est celle du sentiment d’exclusion démocratique, qui conduit certains citoyens à s’abstenir, convaincus que les institutions ne s’intéressent pas à eux. Pensez-vous qu’il soit possible d’agir concrètement sur ce phénomène ? Je suis conscient que ce sujet peut susciter des sensibilités variables, mais disposez-vous de recommandations précises en vue de faire évoluer le système électoral national, afin de mieux intégrer les réalités spécifiques des territoires ultramarins ? Au-delà de la question, déjà bien identifiée, de l’organisation des scrutins le samedi dans certains territoires, envisagez-vous d’autres mesures concrètes susceptibles de répondre à ces enjeux ?

M. Olivier Jacob. Mes recommandations porteront exclusivement sur les volets techniques et administratifs, sans empiéter sur les considérations d’ordre politique. Il convient toutefois de souligner que, lors des élections présidentielles, les principaux candidats prennent généralement soin d’élaborer une propagande spécifique à destination des outre-mer, dans laquelle ils déclinent leurs engagements territoire par territoire. Force est néanmoins de constater que les enjeux ultramarins demeurent peu présents dans les grands débats médiatiques nationaux, quand bien même ils font l’objet d’une couverture soutenue au niveau local.

S’agissant des pistes d’amélioration envisageables, j’ai précédemment évoqué la nécessité d’optimiser nos échanges avec les services d’information du gouvernement. La dématérialisation des procura              tions et de la propagande électorale pourrait, par ailleurs, présenter un intérêt particulier pour les outre-mer, compte tenu des contraintes géographiques qui y prévalent. Une telle mesure pourrait permettre de faciliter la diffusion de l’information électorale auprès des électeurs ultramarins, même si son impact sur la participation reste difficile à anticiper.

Enfin, l’amélioration de l’adressage demeure un chantier de longue haleine, sur lequel nous sommes engagés malgré sa complexité.

M. Jean-Victor Castor, président. Je souhaiterais apporter plusieurs précisions issues de mon expérience personnelle en matière électorale. Lors d’un scrutin où j’ai obtenu plus de 60 % des suffrages dès le premier tour, la règle imposant un minimum de 25 % des inscrits m’a néanmoins contraint à participer à un second tour.

Les difficultés liées aux procurations demeurent un enjeu majeur. Malgré les avancées en matière de dématérialisation, des dysfonctionnements subsistent, susceptibles d’avoir un impact sur le bon déroulement des scrutins.

La distribution de la propagande électorale constitue un autre défi considérable dans plusieurs territoires ultramarins. Dans ma circonscription, qui jouxte le Brésil, j’ai notamment été contraint d’intervenir directement auprès du préfet qui a envoyé un hélicoptère afin de solutionner une pénurie de bulletins de vote. De telles situations, bien que touchant un nombre restreint d’électeurs, peuvent s’avérer décisives dans le cadre de scrutins particulièrement serrés. La campagne électorale elle-même soulève d’importantes difficultés logistiques pour les candidats dans des territoires vastes et complexe d’accès tels que les archipels de Polynésie française.

Il serait pertinent d’analyser les variations de participation, notamment lors des scrutins où l’abstention connaît une diminution notable. Ces évolutions peuvent s’expliquer par des facteurs politiques nationaux, mais également par la qualité des programmes élaborés au niveau local et par le soutien apporté par les partis politiques ultramarins.

Il convient d’ailleurs de souligner le rôle central que jouent les partis locaux dans la vie politique ultramarine, notamment à l’occasion des scrutins locaux. Leur influence contribue à expliquer des taux de participation plus élevés dans ce type d’élections, par contraste avec les scrutins nationaux où la couverture médiatique accorde une place prépondérante aux partis hexagonaux. Je déplore par ailleurs la suppression des spots de campagne spécifiques aux partis ultramarins sur les médias publics, lesquels offraient autrefois une visibilité accrue aux enjeux locaux. En tant que candidat potentiel, je n’ai donc, aujourd’hui, plus aucun accès à ce type de visibilité médiatique. La couverture audiovisuelle locale est devenue extrêmement restreinte et lorsqu’un média décide d’organiser deux débats, il se limite à ces deux événements sans proposer de dispositif complémentaire. Il existait autrefois des modules de campagne officielle diffusés à la télévision pour rappeler la tenue imminente des scrutins. Désormais, il ne subsiste qu’un spot unique, diffusé quelques jours avant le vote. Il y a là un décalage manifeste entre les efforts déployés par les candidats locaux et le flot d’informations relayé par les médias, qui ne rend pas compte de la réalité. Les informations transmises apparaissent souvent déconnectées de ce que les candidats locaux peuvent porter, que ce soit à l’occasion d’une élection législative ou d’un autre scrutin.

Il est également évident que l’éloignement géographique complique considérablement les choses, notamment s’agissant des élections européennes pour lesquelles l’abstention bat des records.

M. Olivier Jacob. S’agissant des élections européennes, la taille des circonscriptions joue un rôle.

M. Jean-Victor Castor, président. Nous serions intéressés par une analyse des tendances sur le long terme.

M. Olivier Jacob. Il serait en particulier pertinent d’analyser l’évolution des écarts de participation entre les outre-mer et la France hexagonale, y compris pour l’élection présidentielle, qui suscite généralement une mobilisation plus marquée.

M. Jean-Victor Castor, président. Sur la question de la taille des territoires, il faut souligner combien il est difficile pour un candidat de mener une campagne efficace avec les moyens limités dont nous disposons, ou de prévoir par exemple un déplacement en pirogue ou en hélicoptère. Ce sont finalement les candidats disposant de ressources financières importantes qui sont avantagés, ce qui induit un déséquilibre manifeste dans les résultats.

Il convient également de rappeler que l’État ne met pas en place les moyens permettant à l’ensemble des populations d’accéder aux bureaux de vote. Dans notre région, les nombreux électeurs qui vivent tout au long du fleuve doivent ainsi se rendre aux urnes par leurs propres moyens. Or, faute de pouvoir le faire, ce sont souvent les candidats qui organisent le transport.

Il est certes compréhensible que l’État ne puisse assurer directement l’organisation, mais cette question mérite d’être examinée. Si je ne formule pas ici de proposition précise, je souhaite simplement attirer l’attention sur la nécessité d’une amélioration significative de cette situation.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Pouvez-vous nous indiquer les écarts de participation avec les élections locales ?

M. Olivier Jacob. S’agissant des élections municipales ou régionales, nous observons dans les outre-mer des taux de participation sensiblement plus élevés que ceux enregistrés en France métropolitaine, en particulier lors des dernières élections municipales.

Cette tendance traduit le lien singulier qui unit les populations ultramarines à leurs élus locaux. Ainsi, en 2020, le taux de participation au second tour dans les outre-mer s’élevait à 61 %, contre seulement 42 % en métropole. Cette différence notable s’explique sans doute par la taille plus restreinte des communes concernées, mais également par la proximité et la densité des relations entretenues entre les habitants et leurs maires.

M. Jean-Victor Castor, président. Sur ce point, il me semble qu’une lecture plus fine et plus analytique des données s’impose. L’exemple de la Guyane lors des élections municipales traduit un paradoxe intéressant, puisque les grandes villes ont enregistré des taux de participation très faibles alors que, dans certaines communes où la campagne s’est révélée particulièrement clonflictuelle, la participation s’est avérée nettement plus élevée. Ce phénomène n’est pas rare et, dès lors que les campagnes électorales sont dynamiques et fortement animées, les taux de participation tendent généralement à s’en ressentir positivement.

M. Olivier Jacob. Les chiffres que je présente sont agrégés, car les situations varient considérablement d’un territoire ultramarin à l’autre.

S’agissant des scrutins spécifiques que sont les élections territoriales, je peux vous communiquer quelques données. À Wallis-et-Futuna, par exemple, la participation aux élections territoriales s’élevait à près de 89 % en 2017 et à 81 % en 2022. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les taux de participation étaient de 72 % en 2017 et de 68 % en 2022. À Saint-Barthélemy, ils atteignaient respectivement 62 % en 2017 et 67 % en 2022. Seul Saint-Martin fait figure d’exception, avec des taux de participation plus modestes de 45 % en 2017 et 52 % en 2022.

Nous constatons donc que les taux de participation demeurent particulièrement élevés pour les élections territoriales, avec une dynamique propre à ces territoires qui bénéficient d’une autonomie administrative.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je souhaitais que vous rendiez publics ces chiffres car ils viennent conforter l’analyse que vous formuliez plus tôt, à savoir qu’il ne s’agit nullement d’un manque de civisme ou d’une quelconque réticence à participer au système électoral dans son ensemble. Certaines élections suscitent simplement moins d’intérêt que d’autres.

Il me semble que ce phénomène trouve davantage sa source dans la nature de la relation qu’entretient l’Hexagone avec les outre-mer plutôt que dans un désengagement des citoyens ultramarins eux-mêmes. Ce désintérêt relatif se manifeste par une participation moindre, et cette abstention peut d’ailleurs être interprétée comme une forme de participation à part entière, consistant à faire le choix délibéré de ne pas voter. D’ailleurs, en France hexagonale, nombreux sont ceux qui s’abstiennent au motif que, compte tenu de la manière dont ils estiment être traités par les gouvernants, ils ne perçoivent pas l’intérêt de désigner d’autres responsables appelés à poursuivre sensiblement les mêmes politiques.

M. Jean-Victor Castor, président. Vous semble-t-il normal que la gestion du matériel de vote des candidats ait changé ? Auparavant, nous le déposions en préfecture, qui se chargeait ensuite de le distribuer. Depuis plusieurs scrutins, la préfecture nous demande de le livrer dans un hangar et ce sont désormais les forces armées qui s'en occupent.

M. Olivier Jacob. L’organisation d’une mise sous pli en régie, c’est-à-dire sans recours à un adresseur, fait l’objet d’un appel à candidatures adressé notamment aux agents de la préfecture et des services déconcentrés de l’État. Il est donc tout à fait possible que des militaires y prennent part, mais ceux-ci doivent normalement intervenir en tenue civile. Leur participation n’a toutefois rien d’inhabituel, notamment en Guyane où la présence des forces armées est importante. Les militaires, en tant que fonctionnaires de l’État, peuvent tout à fait répondre à cet appel à candidature, dans le strict respect des procédures en vigueur.

M. Jean-Victor Castor, président. Je souhaite insister tout particulièrement sur la question des procurations, qui continue de soulever un nombre important de difficultés. Il me paraît indispensable d’examiner ce point avec la plus grande attention, notamment s’agissant de la Polynésie française. Plus généralement, c’est l’ensemble du processus électoral qui mérite d’être appréhendé, en particulier la gestion des résultats dans les jours suivant le scrutin.

Je prendrai pour illustration une élection majeure survenue en Guyane, qui a donné lieu à de vives interrogations. Aux alentours de minuit, un candidat a été annoncé comme vainqueur, avant que toute communication du media public ne cesse brusquement. Le lendemain, la préfecture a proclamé l’élection d’un autre candidat, l’écart entre les deux n’étant que de quelques voix. Cette inversion résulterait, semble-t-il, de la transmission tardive des résultats d’une petite commune. Un tel épisode a inévitablement nourri le doute quant à la sincérité du scrutin.

M. Olivier Jacob. La responsabilité de la proclamation officielle des résultats incombe au représentant de l'État ou au magistrat présidant la commission de recensement des votes, et non aux médias. Il est possible que dans le cas évoqué, les médias aient fait preuve de précipitation.

La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Jean-Victor Castor, M. Antoine Léaument

Excusé. – M. Thomas Cazenave