Compte rendu
Commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France
– Audition, ouverte à la presse, de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’Intérieur 2
– Présences en réunion................................18
Mardi
20 mai 2025
Séance de 13 heures 15
Compte rendu n° 42
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Thomas Cazenave,
Président de la commission
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La séance est ouverte à treize heures quinze.
M. le président Thomas Cazenave. Monsieur le ministre, notre commission d’enquête a réalisé quarante-deux auditions, au cours desquelles nous avons entendu plus d’une centaine de personnes. Nous avons ainsi pu étudier l’ensemble du processus électoral, de l’inscription sur les listes électorales jusqu’à l’organisation des opérations de vote, en passant par les risques qui pèsent sur le bon déroulement des élections, qu’il s’agisse des influences étrangères ou du rôle des réseaux sociaux – le cas de la Roumanie nous a interpellés, il y a quelques mois –, et les questions relatives au financement de la vie politique, donc des candidats aux élections.
Nous avons souhaité clôturer ces auditions par la vôtre pour que le rapporteur puisse vous interroger sur les problématiques soulevées au cours de nos travaux et pour que vous nous disiez quel regard vous portez sur l’organisation des élections dans notre pays, dont je rappelle qu’elle relève des prérogatives du ministère de l’intérieur.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. François-Noël Buffet prête serment.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Je m’exprime devant vous dans un esprit de transparence et de coopération institutionnelle, avec l’intention d’apporter des éclairages utiles à vos travaux et, plus généralement, à l’ensemble de nos concitoyens, notamment ceux qui, peut-être, nous écoutent.
Je vais m’attacher à présenter le cadre général de l’organisation électorale de notre pays, à préciser les missions confiées au ministère de l’intérieur et à partager les principales actions que nous conduisons avec le ministre d’État pour garantir le bon déroulement du scrutin.
Je crois utile de rappeler, en préambule, que, dans leur principe, les élections sont garanties dès les premiers articles de notre Constitution, puisque son article 3 dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. […] Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » À quoi l’article 4 ajoute : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. […] »
Le principe des élections se situe donc au sommet de notre hiérarchie des normes, comme un acte garant de l’exercice démocratique. À cet égard, l’organisation des élections politiques constitue une mission régalienne essentielle au bon fonctionnement de notre vie démocratique. Elle nous oblige à garantir que chaque citoyen, quels que soient son territoire, son origine sociale ou ses engagements politiques, puisse voter et être entendu sans discrimination ni entrave. L’organisation des élections – qu’il revient au ministre de l’intérieur d’assurer, conformément au décret du 8 janvier 2025 relatif aux attributions du ministre d’État, ministre de l’intérieur – repose sur une coopération étroite entre les différents échelons de l’État et diverses institutions, du niveau local au niveau national, dans un cadre juridique et opérationnel clairement défini.
À l’échelon central, le bureau des élections politiques, rattaché au secrétariat général du ministère, est notamment responsable de la préparation normative des scrutins, de la gestion logistique de la propagande électorale, du pilotage des démarches en ligne pour les électeurs ainsi que de la centralisation des résultats. Ce bureau travaille en étroite coordination avec l’ensemble des préfectures du pays, qui assurent, dans chaque département, l’organisation concrète des scrutins. Dans ce cadre, elles procèdent à l’enregistrement des candidatures, assistent la commission de propagande et centralisent les résultats en lien avec les communes.
Au niveau communal, les maires, agissant en qualité d’agents de l’État dans ces circonstances, sont responsables de la tenue des listes électorales, de l’organisation des bureaux de vote et du bon déroulement des opérations le jour du scrutin. Permettez-moi, à cet égard, d’exprimer la reconnaissance que nous devons aux services du ministère de l’intérieur, aux préfectures, aux communes et à l’ensemble des agents de l’État ainsi qu’aux concitoyens qui participent aux élections et à l’organisation des bureaux de vote. Par leur engagement constant, ils contribuent à assurer le bon fonctionnement de notre démocratie dans un moment où certains s’interrogent sur l’impartialité de nos institutions.
Dans un délai particulièrement resserré de vingt-quatre jours, les services de l’État ont su, grâce à une mobilisation exceptionnelle, garantir la tenue des scrutins des dernières élections législatives dans le respect le plus absolu des règles de droit. Les circulaires idoines ont rapidement été élaborées et diffusées pour fournir aux communes et aux préfectures les instructions juridiques et organisationnelles nécessaires. Des dispositifs inédits ont été déployés pour garantir la bonne tenue de ces scrutins, comme l’organisation de permanences téléphoniques pour traiter de la validité des procurations, l’expérimentation de la plateforme de diffusion Solocal ou la mise en place d’une collaboration rapprochée avec l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) ainsi que la mobilisation du réseau des 2 700 maisons France Services.
Cette mobilisation a permis de garantir l’exercice effectif de leur droit de vote à tous les citoyens. Ainsi, aux premier et second tours, le taux de participation s’est élevé respectivement à 66,7 % et à 66,63 %, contre 47,5 % et 46,23 % en 2022.
Ces élections ont également été l’occasion d’évaluer notre dispositif électoral et d’identifier les leviers d’amélioration.
Parce qu’il s’agit d’un processus démocratique et populaire, l’organisation des élections est elle-même questionnée par des évolutions de la société, dans le respect des principes fondateurs de notre démocratie : la transparence, l’accessibilité, l’égalité et la liberté de candidature ainsi que le contrôle du juge.
Je crois utile de revenir sur les principaux changements survenus ces dernières années. Parmi les évolutions notables en matière d’organisation des élections, je souhaite souligner l’impact positif du déploiement du répertoire électoral unique grâce la loi de 2016. Il a permis de moderniser la gestion des listes électorales au profit d’une plus grande fiabilité et d’une plus grande facilité. Cela a permis une inscription plus souple, jusqu’à six semaines avant l’élection. Les demandes d’inscription sur les listes électorales ont, quant à elles, pu être dématérialisées. En conséquence, une hausse notable des inscriptions a été observée, ce qui est positif.
Concernant les procurations, les efforts engagés depuis plusieurs années ont abouti à leur dématérialisation par les détenteurs de l’identité numérique certifiée, France Identité. Comme vous l’a indiqué la DMATES (direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur), en 2024, 75 % des électeurs ayant fait une procuration ont utilisé cette téléprocédure, pour un total de 4,4 millions de procurations établies. Je vous annonce d’ailleurs qu’un décret en Conseil d’État sera prochainement pris pour généraliser l’établissement et la réalisation entièrement dématérialisés des procurations, y compris pour les élections partielles.
J’en viens aux thématiques auxquelles votre commission a prêté une attention particulière.
S’agissant de la propagande électorale, le cadre juridique est fixé par le chapitre V du code électoral, qui détermine les périodes de campagne électorale, les modalités de communication dans les médias et, surtout, les conditions d’affichage et de diffusion des documents de campagne. Ces dispositions sont centrales, car elles visent à garantir l’égalité entre les candidats, la sincérité du scrutin et la bonne information des électeurs.
En 2021, le ministère de l’intérieur a tiré les conséquences des incidents et des dysfonctionnements des élections. Les recommandations formulées et par l’Assemblée nationale et par le Sénat lors des commissions d’enquête diligentées à la suite de ces dysfonctionnements ont été suivies lors de la conclusion des nouveaux marchés d’acheminement des plis de propagande. Elles portent en particulier sur les marchés d’externalisation de la mise sous pli et sur les plans d’organisation et de contrôle.
S’agissant des conditions d’acheminement de la propagande, je tiens à vous assurer qu’aucune défaillance significative de colisage n’a été constatée pour ces élections. Les électeurs ont donc pu voter dans des conditions normales à chaque tour de scrutin ; aucun parti n’a été lésé ni favorisé. Quelques dysfonctionnements ont tout de même été recensés, notamment dans le département du Rhône. Un plan de secours a été en effet déclenché dès le 30 mai par le prestataire, et la mise sous pli a été réalisée manuellement par les fonctionnaires sur la plaque lyonnaise pour compenser la défaillance du routeur et permettre la distribution des plis à tous les électeurs.
En ce qui concerne la mal-inscription, il convient de rappeler que l’article L. 9 du code électoral dispose que l’inscription sur les listes électorales est obligatoire mais résulte de la volonté seule de l’électeur. Celui-ci peut s’inscrire dans une commune, pourvu qu’il respecte l’un des différents critères mentionnés à l’article L. 11 du même code, à savoir : y avoir son adresse principale ou sa résidence secondaire, y être contribuable ou gérant d’une société. Cette commune peut également être celle de ses parents s’il a moins de 26 ans, ou celle d’un ascendant ou d’un descendant, dans certains cas précis.
L’objectif du code électoral est de prévoir toutes les configurations personnelles ou familiales pour garantir et préserver le droit de vote des électeurs. En 2024, 99 % des Français de moins de 30 ans et 95 % des Français en âge de voter étaient inscrits sur les listes électorales, contre, respectivement, 88 % et 85 % en 2018.
Une étude de l’Insee met en évidence que 16,5 % des Français inscrits sur les listes électorales pour l’élection présidentielle de 2022, soit un peu plus de 7,7 millions de personnes, l’étaient dans une autre commune que leur commune de résidence. Ces électeurs ne se trouvent pas du tout dans une situation de mal-inscription, dans la mesure où le code électoral prévoit des dérogations. Ainsi, 2,5 millions d’entre eux sont des jeunes de moins de 26 ans, qui ont le droit de s’inscrire dans la commune de leurs parents ; 1,7 million avaient déménagé récemment et sont susceptibles d’être mal inscrits en cas d’absence de mise à jour de leur situation électorale ; 3,5 millions ne présentent pas de caractéristiques particulières : il peut s’agir d’électeurs votant dans la commune de leur résidence secondaire, comme le droit les y autorise, ou d’électeurs réellement mal inscrits. Le nombre précis de mal inscrits demeure donc, en fait, assez malaisé à appréhender.
Le ministère s’engage depuis de nombreuses années à remédier aux problèmes de mal et de non-inscription, grâce au déploiement de plusieurs actions : diffusion par voie postale d’un courrier invitant 150 000 personnes ayant récemment déménagé à actualiser leur inscription sur les listes électorales ; formation de 800 conseillers France Services à la détection proactive d’électeurs mal ou non inscrits et diffusion d’un support de communication dédié dans les 2 900 maisons France Services ; communication sur les réseaux sociaux du ministère et sur le site service-public.fr ; campagne d’achat d’espaces publicitaires en ligne pour inciter les électeurs ayant récemment déménagé à s’inscrire sur les listes électorales ; enfin, proposition à des partenaires institutionnels, notamment la DGFIP (direction générale des finances publiques) et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), d’intégrer des liens de redirection vers les démarches en ligne d’inscription sur les listes électorales lors des démarches de changement d’adresse couramment réalisées lors d’un déménagement.
Lors des précédentes auditions, la possibilité de recourir à une inscription automatique a été évoquée. Cette proposition doit être analysée avec une grande prudence car, je l’ai dit, l’inscription résulte d’abord d’une volonté de l’électeur. Or l’inscription automatique reviendrait à contraindre son choix, notamment celui de son lieu d’inscription. Par ailleurs, l’inscription automatique suppose une connaissance détaillée et complète de la situation des électeurs, ce qui imposerait de parvenir à concilier le respect du droit à la vie privée et l’intérêt de leur juste inscription, appréciée à l’aune de critères non objectifs dès lors qu’ils excèdent le droit positif. Enfin, le droit de vote est une liberté de choix qui ne saurait aboutir à une restriction des droits et libertés. L’enjeu est, non pas de contraindre, mais de garantir l’accès à un droit fondamental. La contrainte qui serait imposée à près de 50 millions d’électeurs dont 95 % sont déjà inscrits sur les listes ne nous paraît pas, à ce stade, proportionnée à l’objectif poursuivi.
En ce qui concerne les machines à voter, l’article L. 57-1 du code électoral dispose qu’elles peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l’État. Depuis 2008, ce dispositif a été adopté dans soixante-trois communes, ce qui représente environ 1,3 million d’électeurs, soit environ 3 % du corps électoral.
Le ministère de l’intérieur a lancé une concertation afin de réfléchir à la levée du moratoire s’appliquant à l’installation de ces machines à voter, et à leur avenir. Un groupe de travail de niveau technique a déjà réuni, en mars 2023, les services de l’État, la DMATES et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) principalement, ainsi que la société France élection, afin d’évaluer la faisabilité des évolutions techniques préalables à une éventuelle levée du moratoire. J’ai décidé de réunir à nouveau rapidement ce groupe de travail afin de trancher définitivement la question.
La problématique des machines à voter est particulièrement sensible au regard des garanties que nous devons apporter aux électeurs : il convient de limiter le risque de fraude, d’assurer le secret du vote et le bon dépouillement et d’être au niveau des enjeux de cybersécurité. Plusieurs incidents survenus récemment dans des pays européens nous invitent à une grande prudence. Mon propos est, je l’espère, clair. Nous avons pour responsabilité de garantir la sincérité du vote et la bonne expression du pluralisme politique en nous préservant de toute ingérence extérieure comme de tout risque de fraude.
S’agissant, enfin, des risques de déstabilisation du processus électoral, le cadre juridique français vise à limiter les risques de désinformation des électeurs. La loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information a créé deux articles, L. 163-1 et L. 163-2 du code électoral, qui visent à réguler les plateformes en ligne en transposant le règlement sur les services numériques et à instaurer une procédure de référé pour faire cesser la diffusion en ligne d’allégations de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Beaucoup de services et d’institutions sont mobilisés pour assurer la bonne information des électeurs, notamment l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), compétente pour assurer le contrôle du pluralisme des médias, mais aussi les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement pour contrer les tentatives d’ingérence. Je le dis le plus solennellement possible : la République ne peut permettre que les élections soient faussées ou les citoyens désinformés.
Je réaffirme ici l’engagement plein et entier du gouvernement de garantir une organisation électorale exemplaire. S’il est une fonction régalienne majeure du gouvernement, c’est bien celle de s’assurer que le droit démocratique le plus fondamental peut s’exercer dans les conditions de rigueur, de sincérité et de sécurité les plus importantes.
M. le président Thomas Cazenave. Merci, monsieur le ministre, pour ce propos préalable précis.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Je m’associe aux remerciements du président. Vous avez répondu à un certain nombre des questions qui vous avaient été adressées par écrit. Je vais revenir sur les points qui me paraissent les plus intéressants.
Ma première série de questions porte sur Adrexo – vous avez étudié le problème, nous le savons, dans le cadre de vos précédentes fonctions. Quelles conclusions l’État a-t-il tirées des dysfonctionnements de cette société ? Un remboursement des sommes qui lui ont été versées a-t-il été demandé ? Une enquête approfondie peut-elle être menée sur cette entreprise ? Des soupçons pèsent-ils sur celle-ci ? Nous avons auditionné certains de ses anciens salariés, qui ont le sentiment que l’argent est parti dans les poches de quelques individus au détriment de l’ensemble de la société. Des suites, notamment judiciaires, sont-elles envisagées ?
Par ailleurs, vous avez indiqué, et l’on peut s’en féliciter, que chaque citoyen, quelle que soit son origine sociale, doit pouvoir voter. Or, précisément, les non-inscriptions et les mal-inscriptions sont socialement situées : elles concernent souvent des personnes qui ont un niveau de revenu plus faible que la moyenne, sont dans une situation de plus grande précarité ou déménagent davantage, notamment s’ils habitent un logement social. Quant aux étudiants, ils sont dans une situation de mal-inscription, non pas sur le plan juridique, puisque la plupart d’entre eux ont moins de 26 ans, mais parce qu’ils font souvent leurs études loin de chez leurs parents et ont de grandes difficultés à se rendre aux urnes car ils vivent fréquemment sous le seuil de pauvreté.
Vous êtes défavorable à l’inscription automatique sur les listes électorales ; j’y suis, pour ma part, plutôt favorable, à titre personnel – nous y reviendrons dans le cadre de nos recommandations. Quelle autre solution proposez-vous pour améliorer l’information des électeurs et renforcer l’incitation à s’inscrire sur les listes électorales ? Êtes-vous favorable, par exemple, à la mobilisation d’un plus grand nombre d’acteurs pour favoriser la réinscription sur les listes électorales en cas de déménagement ? Je pense notamment aux opérateurs téléphoniques, aux fournisseurs d’accès à internet, d’électricité et de gaz.
Vous avez indiqué que des courriers étaient envoyés aux électeurs qui déménagent. Selon quels critères ? D’autres moyens pourraient-ils être utilisés, comme l’envoi d’e-mails ou de SMS ?
Enfin, on peut évaluer la part des électeurs non inscrits – environ 5 %, avez-vous dit –, mais on n’est pas capables de les accompagner pour qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales. C’est une lacune de l’État.
J’en viens aux procurations. L’un de mes collègues, René Pilato, a interrogé le ministre de l’intérieur – M. Darmanin, à l’époque – à ce sujet, le 28 novembre 2023 sous la forme d’une question orale, le 26 décembre sous la forme d’une question écrite ; sa question a ensuite été signalée le 8 avril 2024. La dissolution ne lui a pas permis d’obtenir une réponse mais, de toute évidence, sa question n’en avait pas.
M. Pilato avait en effet découvert que, lors de l’élection législative à laquelle il avait été candidat en 2022, 64 des 134 procurations manuscrites n’existaient pas. Or l’élection s’était jouée à vingt-trois voix. Le Conseil constitutionnel a donc annulé l’élection, et M. Pilato a été élu lors du scrutin partiel organisé à la suite de cette annulation. Plusieurs questions se posent.
Tout d’abord, les registres des procurations se trouvent dans les mairies ; qui veut contester l’élection doit les consulter dans un délai de dix jours. Ainsi, dans la Creuse, qui est une circonscription départementale, celui qui veut s’assurer que les procurations ne posent pas de problème doit visiter l’ensemble des communes du département dans un délai de dix jours ! Vous conviendrez que c’est un peu difficile. Aussi les registres de procuration pourraient-ils être centralisés à la préfecture, par exemple.
Ensuite, les procurations ne sont plus annexées au procès-verbal, ce qui permettait pourtant de vérifier leur réalité.
Dernier point, si je comprends bien, il est possible de faire une procuration jusqu’au dernier moment. Se pose donc la question de la vérification de la validité des procurations dans des élections qui peuvent se jouer à quelques voix, question qui m’a été soufflée par de nombreuses personnes et sur laquelle travaillent des sénateurs en ce moment.
Dans le cadre de la dématérialisation totale que vous annoncez, qu’en est-il de la gestion de ces procurations de dernière minute ?
Vous avez cité la DMATES, qui centralise les résultats pour les élections à circonscription nationale – l’élection présidentielle et les élections européennes. Or il me semble qu’on peut s’interroger sur le respect du pluralisme dans une telle structure administrative. Ne faudrait-il pas envisager une représentation des forces politiques qui prennent part au scrutin ? Actuellement, elles peuvent venir surveiller la remontée des résultats au niveau départemental mais pas au niveau national. Certes, on peut se débrouiller en additionnant les résultats départementaux, mais il serait utile, au nom du pluralisme, que les forces politiques aient un droit de regard, pas forcément en présentiel.
Enfin, à la lumière des auditions, il apparaît que la sincérité du scrutin sera l’un des grands enjeux de l’élection présidentielle de 2027, celle-ci supposant tant l’absence de triche que la nécessaire confiance de nos concitoyens dans le scrutin, notamment eu égard aux ingérences étrangères.
Cette exigence de sincérité m’amène à exprimer une vive inquiétude à l’égard des machines à voter. Admettons que l’on décide de lever le moratoire et d’étendre le recours aux machines à voter. Si jamais l’élection présidentielle de 2027 était très serrée – cela pourrait être le cas si l’on en croit les enquêtes d’opinion –, ne craignez-vous pas que ce mode particulier de vote soit fortement contesté et puisse faire douter nos compatriotes de la sincérité du scrutin ?
M. François-Noël Buffet, ministre. S’agissant des machines à voter, le moratoire avait été motivé principalement par le risque d’interventions sur la machine elle-même, qui pourraient altérer les résultats. Toutefois, cela n’a jamais été démontré à ce jour. En tout état de cause, il faut prendre une décision : soit on continue, soit on arrête. Tel est l’objectif des réunions à venir.
Si nous sommes capables de nous assurer de la sincérité du scrutin – il y a à cela deux conditions : l’électeur doit pouvoir justifier du fait qu’il a bien voté et il faut être protégé sur le plan cyber –, je ne vois pas de raison d’empêcher les communes qui y sont vraiment attachées d’y avoir recours. Si nous ne sommes pas capables de garantir de façon certaine la sécurité absolue du vote, il faudra arrêter, à charge pour les communes qui utilisent ces machines de revenir à un système plus ancien. Elles n’en ont pas du tout envie, considérant que le système marche très bien – et ce n’est pas faux. Il faut lui reconnaître un avantage : un dépouillement rapide et sincère, qui évite toutes les discussions auquel il donne lieu traditionnellement. Nous allons regarder cela de très près.
Pour ce qui concerne la DMATES et le fait de collationner l’ensemble des résultats des élections présidentielle ou européennes, chacun a accès à la salle de presse du ministère de l’intérieur où les résultats sont communiqués en direct. Je ne crois pas qu’il y ait de difficulté de transparence puisque la salle est totalement ouverte, peut-être faut-il le formaliser.
Je reviens à Adrexo. Vous avez eu l’amabilité de rappeler que j’avais présidé une commission d’enquête au Sénat, dont les conclusions étaient absolument catastrophiques. Elle avait pointé plusieurs difficultés dans l’organisation des élections. La principale était liée à la défaillance du prestataire dans un contexte de double scrutin, avec seulement une semaine entre les deux tours.
Le marché conclu avec Adrexo avait été immédiatement résilié après les élections et un marché de substitution avait été conclu avec La Poste en 2022. Depuis, deux marchés pérennes ont été signés avec elle. Je me souviens que lors des auditions, le discours de La Poste était clair, net et précis, ce qui n’était pas vraiment le cas pour Adrexo. Les recommandations qu’avaient formulées l’Assemblée et le Sénat ont été suivies bien sûr.
Adrexo avait signé un marché avec le ministère de l’intérieur en décembre 2020 pour la distribution de la propagande. À la suite des manquements constatés, le ministère a résilié le contrat et appliqué des pénalités, qui étaient prévues par le marché. Adrexo a engagé une procédure contentieuse en septembre 2021. Le 15 novembre 2024, le tribunal administratif a condamné l’État à verser aux sociétés civiles professionnelles BTSG, JP Louis et Lageat, co-liquidateurs judiciaires de la société Milee, qui avait racheté Adrexo, la somme de 2,313 millions d’euros sur les 40 millions initialement demandés, soit le montant des pénalités infligées à Adrexo par le ministère en 2021, au motif que celles-ci étaient insuffisamment justifiées. En effet, les défaillances dans la distribution de la propagande électorale aux élections régionales et départementales de cette année-là relèvent pour partie de l’État et des routeurs ; elles ne pouvaient donc donner lieu à des pénalités additionnelles aux réfactions qui avaient été infligées. En revanche, la résiliation du marché et les réfactions n’ont pas été remises en question.
Pour ce qui est des personnels, le gouvernement a évidemment suivi les conséquences sociales de la liquidation de la société Milee afin de gérer au mieux la situation des 10 000 salariés, qui étaient essentiellement en contrat court. La ministre du travail et de l’emploi, Mme Panosyan-Bouvet, a rencontré, à leur demande, les délégués syndicaux de l’entreprise le 24 octobre dernier. Elle a annoncé à cette occasion plusieurs mesures, dont le paiement du montant garanti des salaires pour la période du 1er juin au 22 septembre avant la fin du mois d’octobre ainsi que le versement de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de congés payés et du solde des congés payés avant la fin du mois de novembre. Un irritant demeure pour les délégués syndicaux : les congés payés des salariés ayant été en arrêt maladie ces dernières années n’ont pas été payés, en raison de manquements de l’entreprise elle-même et d’un système informatique défaillant, qui rend complexe la reconstitution des salariés concernés, des périodes et des montants. Le mandataire judiciaire y procède en ce moment après avoir soldé tous les montants dus à tous les salariés, dont les salariés protégés, qui ont été licenciés tardivement pour des raisons de droit. Le cabinet de la ministre reste en contact étroit avec les délégués syndicaux et continue à suivre attentivement le sujet. Quant à une éventuelle évaporation des fonds, je ne suis pas capable de vous répondre. En toute hypothèse, si les mandataires judiciaires ont constaté que de l’argent a disparu, il leur revient d’engager une procédure pénale.
Quant à l’inscription automatique, la mal-inscription ou la non-inscription, il conviendrait en préambule de nous entendre sur la notion de mal inscrit. Pour lui donner corps, il faudrait définir des critères et des principes. En effet, certains peuvent considérer comme mal inscrite une personne inscrite dans la commune du domicile de ses parents, de sa résidence secondaire, ou du siège de l’entreprise qu’elle dirige, toutes choses que la loi autorise. Des gens peuvent s’être inscrits volontairement ailleurs. Ce n’est pas la même chose que de ne pas être inscrit.
Le bilan de la mission Administration proactive 2024 est le suivant : la plateforme de diffusion Solocal a été expérimentée pour inciter les électeurs qui ont déménagé à s’inscrire sur les listes électorales. Quelque 2,3 millions de publicités ont été imprimées. La mission recommande de mener cette campagne de publicité au long cours au moins six mois avant les élections. Ensuite, 150 000 courriers ont été adressés entre le 10 et le 15 avril aux personnes ayant récemment déménagé. Il est préconisé de ne pas nécessairement reconduire cette démarche utile mais insuffisamment ciblée. Dans le cadre la campagne de communication décrivant les modalités d’inscription sur les listes électorales en collaboration avec les maisons France Services, 270 000 flyers ont été mis à disposition dans les locaux ; quatre webinaires ont réuni environ 800 agents ; des articles ont été publiés dans trois newsletters expédiées à 11 000 personnes. Par ailleurs, 887 accompagnements personnalisés liés au domaine électoral ont été effectués dans 259 services répartis dans 86 départements. Il est recommandé d’intégrer les accompagnements des Adil (agences départementales d’information sur le logement) et Maprocuration au bouquet de l’offre France Services. Enfin, afin d’intégrer un lien de redirection à la fin des démarches de changement d’adresse couramment réalisées lors d’un déménagement, il est suggéré de reprendre l’attache des administrations ayant connaissance d’un changement d’adresse en vue des prochaines élections. C’est ce que vous évoquiez tout à l’heure précisément.
Je cite quelques éléments chiffrés : en 2024, 99 % des Français de moins de 30 ans et 95 % des Français en âge de voter étaient inscrits sur les listes électorales contre, respectivement, 88 % et 85 % en 2018. Selon l’Insee, 16,5 % de nos compatriotes étaient mal inscrits sur les listes électorales pour l’élection présidentielle en 2022 ; autrement dit, 7,7 millions de personnes étaient inscrites dans une autre commune que leur commune de résidence.
Deux actions ont été menées en amont des élections européennes du 9 juin 2024 pour encourager l’inscription sur les listes électorales : diffusion par voie postale d’un courrier invitant 150 000 personnes ayant récemment déménagé à actualiser leur inscription ; formation de 800 conseillers France Services à la détection proactive de la non-inscription et de la mal‑inscription ; diffusion d’un support de communication dans les 2 900 maisons France Services ; communication sur les réseaux du ministère et sur le site service-public.fr ; campagne d’achat d’espaces publicitaires ; proposition de partenariat avec la DGFIP (direction générale des finances publiques) ou la CPAM (caisse primaire d’assurance maladie).
Enfin, la dématérialisation complète des procurations, qui a été expérimentée avec succès en 2024, sera étendue à toutes les élections politiques d’ici à 2026. Un décret en Conseil d’État sera prochainement pris en ce sens. La mise en place de la démarche en ligne Maprocuration en 2021 a facilité l’établissement des procurations au bénéfice de la participation électorale. Son interconnexion avec le répertoire électoral unique a permis dès 2022 de déterritorialiser les procurations. Désormais, les personnes qui reçoivent la procuration n’ont plus à être inscrites dans le bureau de vote de celles au nom desquelles elles votent. En la matière, nous avons maintenu les aménagements que le gouvernement avait mis en place au moment du covid : il était alors permis de détenir deux procurations et de ne pas être inscrit dans le bureau de vote de celui qui vous donne procuration.
Le gouvernement est prêt à travailler avec vous sur l’instauration d’une date limite pour l’établissement de la procuration. Nous connaissons ces procurations faites le samedi après-midi en toute hâte ou le samedi soir, pour ne pas parler du dimanche matin, qui sont juridiquement valables mais dont les conséquences administratives sont terribles – il faut rééditer la liste électorale, la contrôler, etc. Nous devons trouver une solution, peut-être fixer la date limite au vendredi, pour ne pas s’exposer aux difficultés pratiques.
Environ 400 000 procurations ont été établies en ligne dans les deux jours précédant le premier tour des élections législatives de 2024 et 200 000 dans les deux jours précédant le second tour.
S’agissant du contrôle des listes électorales, ce sont les communes et plus largement les consulats qui sont responsables de la validation des inscriptions sur leur territoire, des radiations et de la saisie des demandes de procuration. Faut-il modifier le système ? Je ne suis pas convaincu, cela fonctionne plutôt bien. La dématérialisation et l’instauration d’une date limite devraient permettre de renforcer le contrôle et de garantir la validité des procurations.
Je reviens à votre suggestion d’informer les non-inscrits par e-mail ou par SMS. Tout est possible techniquement à condition que le répertoire soit parfaitement renseigné, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On ne peut pas obliger nos compatriotes à le faire. On me souffle toutefois que les e-mails et les SMS sont déjà utilisés.
M. Antoine Léaument, rapporteur. En ce qui concerne l’inscription sur les listes électorales, mon idée est de l’ajouter aux démarches que doit faire une personne qui déménage – pour obtenir l’électricité, le gaz, une connexion internet, etc. Il s’agit de s’assurer qu’à chacune des étapes, la personne soit informée, soit par l’État, dans le cas des impôts par exemple, soit par les acteurs privés – ce serait une obligation pour eux – de la nécessité de s’inscrire sur les listes électorales, sauf si, comme je le souhaite, l’inscription devient automatique. L’expérience le montre, c’est plutôt un oubli ou une méconnaissance de l’obligation de se réinscrire qui est à l’origine de la mal-inscription.
Ensuite, si l’on s’attelait à compléter le répertoire électoral unique avec les mails et les numéros de téléphone, on disposerait d’outils bien plus puissants pour informer les citoyens sur les changements d’adresse. Les courriers sont plutôt ouverts par nos compatriotes tandis que le taux d’ouverture des e-mails est très faible – autour de 25 %. En revanche pour les SMS, le taux de lecture est extrêmement fort, de l’ordre de 95 %. Une information par SMS sur la nécessité de se réinscrire sur les listes électorales et la possibilité de le faire en ligne aurait toutes les chances d’être efficace.
S’agissant de l’usage des SMS, vous répondez que le répertoire n’est pas complet mais que peut-on faire pour y remédier ? Ma question est liée à celle des radiations que nos travaux ont mise en lumière. J’ai étudié le cas d’Évry où le taux de radiation pour perte d’attache communale a atteint 16 % en dépit du volontarisme de la mairie. Celle-ci avait envoyé des courriers en recommandé avec accusé de réception pour avertir les personnes qu’elles risquaient d’être radiées pour perte d’attache communale. Résultat : 16 % du corps électoral a été radié – ce n’est pas rien –, parmi lesquels se trouvaient un nombre très important de personnes qui résidaient toujours dans la commune et souhaitaient participer aux élections, au point que le tribunal d’Évry a dû les réinscrire en catastrophe. Il l’a fait pour quatre-vingt-une personnes mais on se doute qu’elles étaient plus nombreuses.
Lors de mon contrôle sur pièces et sur place à la mairie d’Évry, le constat était assez évident : les personnes les plus concernées par les radiations habitaient dans les quartiers populaires et les personnes les moins concernées, dans les quartiers les moins populaires. Cela crée une inégalité de fait.
Or une personne radiée pour perte d’attache communale devient non inscrite, elle est privée de son droit de vote. Si la radiation intervient dans les six semaines qui précèdent la date limite d’inscription sur les listes électorales, la personne perd son droit de vote purement et simplement : elle ne peut plus voter sauf si elle demande au tribunal de la réinscrire, ce qui est peu probable de la part de personnes qui sont éloignées des administrations, comme je viens de l’expliquer.
Enfin, ne pourrait-on pas contraindre les opérateurs téléphoniques à envoyer des messages rappelant la date de l’élection ? Puisque les SMS sont les outils les plus efficaces, cette solution garantirait qu’un maximum de citoyens soient informés. Quel est l’état de la réflexion au ministère de l’intérieur sur ces propositions ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Il existe déjà des partenariats en vertu desquels un lien relatif à l’inscription sur les listes électorales figure sur les démarches de changement d’adresse. Ils concernent les administrations – France Travail, la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales), la DGFIP, la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse), la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), la CCMSA (Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole) –, le secteur parapublic – EDF et Engie – et le secteur privé – TotalEnergies, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Les opérateurs téléphoniques sont des partenaires engagés.
S’agissant de l’exemple d’Évry, pouvez-vous préciser la procédure que la mairie a suivie pour informer les citoyens du fait que si leur carte électorale lui revenait, ils seraient radiés ?
M. Antoine Léaument, rapporteur. La procédure mise en place par la mairie d’Évry était assez coûteuse. En cas de retour de la carte électorale qui n’était pas arrivée au domicile, un premier courrier en recommandé avec accusé de réception était envoyé, en novembre ou décembre 2023 de mémoire. Il était prévu d’attendre quinze jours pour envoyer un second courrier à la même adresse avertissant du risque de radiation. Finalement, le second courrier a été envoyé autour du mois de février, soit trois mois avant les élections européennes, à la suite de quoi 6 000 personnes ont été radiées, soit 16 % du corps électoral de la ville.
De nombreux articles de presse s’étaient fait l’écho de cette décision. Afin d’objectiver le phénomène, j’ai interrogé l’Insee, qui m’a fait parvenir un document recensant les villes où le nombre de radiations a été le plus important : Évry est bien en tête du classement ; dans les dix premières villes, le taux de radiation est supérieur à 10 %.
Il apparaît que les quartiers populaires concentrent les plus forts taux de radiation – je l’ai vérifié à Évry. Cela ne signifie pas forcément que les personnes n’habitaient pas à l’adresse à laquelle le courrier avait été adressé. Il y a d’autres explications : des boîtes aux lettres en mauvais état, qui ne permettent pas de recevoir le courrier ni le récépissé du recommandé délivré par La Poste ; les horaires d’ouverture des bureaux de poste qui ne sont pas toujours adaptés aux personnes qui travaillent en horaires décalés. Une accumulation de difficultés peut conduire à une radiation des listes électorales, sans possibilité de corriger le tir dans les quinze jours comme le prévoit la loi.
Je comprends bien l’idée d’essayer d’améliorer la tenue des listes électorales, mais cela conduit au fait de priver des gens de leur droit de vote. S’ils ne sont pas informés de leur radiation, ils découvrent au bureau de vote qu’ils ne sont pas inscrits sur les listes.
M. François-Noël Buffet, ministre. Le maire est responsable des radiations ; il doit s’assurer que la personne qu’il envisage de radier des listes n’est plus domiciliée sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, l’électeur a la possibilité d’intenter des recours devant la commission de propagande, voire devant les juridictions, y compris le jour du scrutin. Mais je comprends votre question, qui est un peu différente.
Le ministère examine actuellement la proposition de suspendre les radiations d’office pendant les six semaines qui précèdent un scrutin. Nous en étudions les effets potentiels. Notre avis est plutôt réservé.
L’Insee a montré que les radiations n’étaient pas concentrées dans certains bureaux de vote.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Si !
M. François-Noël Buffet, ministre. Peut-être dans certains quartiers, secteurs ou territoires, au sens large… Nous relirons le rapport pour trancher notre différence d’interprétation !
En revanche, il convient sans doute de réfléchir à la façon d’informer au mieux nos concitoyens de leur radiation. J’imagine que votre commission fera des propositions en la matière. Les électeurs doivent évidemment surveiller leur boîte aux lettres, mais l’envoi de SMS, à intervalles réguliers, constitue peut-être une piste intéressante, d’autant que ce mode de communication est déjà utilisé par ailleurs. Je souhaiterais que cela soit piloté par l’État plutôt que par un opérateur privé, de quelque nature qu’il soit. Ce serait un minimum, s’agissant d’un moment régalien très important !
M. Antoine Léaument, rapporteur. J’ai demandé à l’Insee des chiffres détaillés sur les radiations, car si ces dernières concernent davantage certains quartiers, le résultat du scrutin peut en être modifié. Puisque vous avez participé, comme moi, à des élections, vous savez qu’il y a des « bons » et des « mauvais » bureaux, qui ne sont pas les mêmes selon les candidats. Or, à Évry, certains bureaux ont enregistré 200 ou même plus de 300 radiations pour perte d’attache communale – sur 1 000 électeurs inscrits, en moyenne –, alors que d’autres n’ont vu que soixante, cinquante, trente-trois ou même cinq de leurs inscrits radiés. J’entreprendrai, dans les prochains jours, de comparer les résultats des élections avant et après ces radiations, car la question est de savoir si ces opérations n’ont pas empêché de voter une partie spécifique de l’électorat – ce qui donnerait à l’affaire une tout autre dimension.
M. François-Noël Buffet, ministre. Que les choses soient claires : pour le ministère de l’intérieur, les radiations visent à ce que la liste électorale reflète parfaitement la population de la commune, et plus précisément les personnes attachées à cette dernière. L’enjeu est celui de la sincérité de la liste électorale. Il convient effectivement d’éviter que des inscrits soient radiés à tort : si tel est le cas, nous devons le savoir le plus tôt possible afin que la situation soit régularisée. Mais nous devons aussi savoir le plus tôt possible qu’une personne n’a plus d’attache dans la commune, pour qu’elle soit radiée de la liste électorale.
M. le président Thomas Cazenave. Vous avez dit qu’il était de votre responsabilité de vous assurer que les élections sont parfaitement organisées dans notre pays. Parmi les menaces, vous avez identifié les ingérences étrangères, ce qui rejoint en partie les préoccupations de notre commission d’enquête. Récemment, dans un autre pays européen, une élection présidentielle a ainsi été annulée en raison de manœuvres étrangères sur les réseaux sociaux.
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour que ce qui est arrivé en Roumanie ne puisse pas se passer dans notre pays à l’occasion des prochaines échéances électorales, notamment lors de la prochaine élection présidentielle ? Nous avons auditionné Viginum et d’autres acteurs très importants dans ce domaine, mais peut-être pourriez-vous nous en dire quelques mots.
Par ailleurs, les ingérences étrangères prennent-elles toujours la forme d’actions sur les réseaux sociaux ? Faut-il craindre que certains acteurs étrangers financent des initiatives de nature politique, ou dans un domaine proche de la politique, pour influencer la vie politique nationale ? Les ingérences étrangères de ce type vous préoccupent-elles ? Sont-elles susceptibles de recevoir une qualification pénale dans notre législation, afin que nous puissions, au-delà de la question des réseaux sociaux, nous prémunir de ce risque ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Ce sujet est extrêmement important, pour ne pas dire essentiel. On peut distinguer les ingérences étrangères à caractère politique, d’une part, et les ingérences économiques, d’autre part.
La lutte contre les ingérences étrangères dans le débat politique et électoral – désinformation, cyberattaques, manipulations sur les réseaux sociaux – mobilise de nombreux services, au-delà du ministère de l’intérieur.
Le premier pilier de cette action consiste en la mise en place d’un système robuste de cyberprotection des applications critiques du ministère de l’intérieur assurant la remontée et la centralisation des résultats.
Le deuxième pilier repose sur un écosystème d’acteurs chargés de lutter contre la manipulation de l’information en ligne en période électorale. Les services de Viginum, structure récemment créée à cette fin et rattachée au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sont chargés de détecter et de caractériser les ingérences numériques étrangères affectant le débat public numérique en France. Quant à l’Arcom, elle fait respecter les principales obligations auxquelles sont soumises les plateformes de réseaux en ligne. Elle conduit, en amont des élections, des réunions de coordination avec les principales plateformes afin de fixer le cadre de coopération pour l’examen et le retrait des contenus signalés. Enfin, les services de renseignements sont chargés, dans leur champ de compétence, du suivi et de la lutte contre les tentatives de manipulation de l’information et les ingérences étrangères en ligne.
En période électorale, les signalements issus de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) sont analysés, ce qui permet de contrôler la conformité des prises de position en ligne aux dispositions du code électoral, qui fixent notamment le début de la période de trêve électorale à la veille du scrutin, à zéro heure.
J’ajoute que la législation a été renforcée. Ainsi, la loi de 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information a créé une procédure de référé, que j’ai évoquée tout à l’heure, permettant de faire cesser la diffusion en ligne d’allégations de nature à altérer la sincérité du scrutin pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises. Quant à la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, qui transpose le règlement européen sur les services numériques, dit DSA, elle impose aux grandes plateformes des obligations d’information loyale sur les personnes physiques ou morales payant pour la promotion de contenus politiques en ligne.
Ce dispositif de lutte contre les ingérences cyber est robuste, assez solide. Il a fait ses preuves à l’occasion des différentes élections, y compris, d’ailleurs, lors de la dernière élection présidentielle : Viginum a parfaitement rempli son rôle.
S’agissant maintenant des ingérences économiques, tout dépend de quoi l’on parle. La loi du 11 mars 1988 interdit strictement aux personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, de financer ces derniers, que ce soit en leur faisant des dons ou en leur fournissant des biens, des services ou d’autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux pratiqués habituellement. Ce même texte interdit également le financement des partis par des États étrangers. Plus précisément, aucune association de financement ou aucun mandataire financier d’un parti ou groupement politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions, des aides matérielles ou des prêts d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger. Il en va de même pour les candidats à une élection. Il appartient à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) de contrôler le respect de ces dispositions. Cependant, un candidat pourrait, tout à fait légalement, bénéficier de conseils donnés par une entreprise privée dans le cadre d’un contrat dont les dépenses seraient intégrées à son compte de campagne.
Pour le reste, nous ne devons pas nous départir d’une vigilance quotidienne quant aux risques d’ingérences étrangères.
M. le président Thomas Cazenave. Le droit actuel vous semble donc suffisamment complet et robuste pour faire face à ce type d’initiatives que nous pouvons identifier çà et là ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Le dispositif de lutte contre les ingérences cyber est très solide. Quant au financement des partis politiques et des candidats par des entreprises, il est assez contrôlé dans le cadre du droit existant. Si de nouvelles méthodes devaient être identifiées, il faudrait sans doute réaliser une analyse assez précise afin de déterminer si le cadre juridique actuel suffit pour assurer le respect des règles qui sont les nôtres.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Si nous vous interrogeons sur ces ingérences que je qualifie de « financières » – mais l’expression « ingérences économiques » me plaît, car elle correspond peut-être mieux à la réalité –, c’est parce que notre commission s’est penchée sur le dossier Périclès. Votre ministère en a-t-il été informé, ou s’en est-il saisi ? Je devine à votre moue que la réponse est négative… Je parle ici d’une société par actions simplifiée (SAS) financée par une holding belge, comme nos auditions ont permis de le démontrer, dont l’objectif révélé par la presse est d’influencer le débat politique français et les élections organisées dans notre pays.
J’ai été très sensible à vos propos sur la lutte contre la manipulation de l’information en ligne, mais que faites-vous pour contrer ce phénomène à un autre niveau, dans les médias traditionnels ? Des responsables d’instituts financés par des entreprises, tels que l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, peuvent y être présentés comme des experts ou des savants alors qu’ils défendent en réalité une opinion politique. Ainsi, des masses financières considérables sont utilisées pour orienter dans tel ou tel sens le débat politique et médiatique dans notre pays. Le ministère de l’intérieur mène-t-il un travail ou une réflexion à ce sujet ?
M. François-Noël Buffet, ministre. À moins d’être démenti par mes collaborateurs ici présents, je vous répondrai que non, du moins depuis que j’exerce mes fonctions au ministère de l’intérieur. Si nous veillons scrupuleusement au respect des règles de financement de la vie politique, à travers la CNCCFP, et à la protection de notre pays contre les ingérences étrangères, principalement dans le cyber mais aussi dans les médias d’information, ce qui se passe dans les médias relève de la compétence de l’Arcom.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Indépendamment du cas que je viens d’évoquer, ma question a aussi une incidence sur le financement de la vie politique. Vous avez rappelé, à juste titre, les dispositions législatives permettant d’empêcher des financements venant de pays étrangers. Néanmoins, une exception existe pour les prêts accordés par des personnes physiques à des partis ou à des organisations politiques, qui ne sont ni limités en montant, ni restreints s’agissant de la nationalité du prêteur – à ma connaissance, le seul élément contraignant est la durée du remboursement de ces prêts, qui ne peut être supérieure à cinq ans. Le confirmez‑vous ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Oui.
M. Antoine Léaument, rapporteur. N’estimez-vous pas que cela peut non seulement nous exposer à des risques d’ingérences, mais également altérer l’égalité entre les candidats ? Vous avez rappelé les règles de 1988, qui visent à garantir une forme d’égalité entre ceux qui concourent à une élection, quelle que soit la puissance financière qui pourrait les soutenir, mais ne faudrait-il pas aussi prévoir une limitation des prêts individuels ? Le ministère de l’intérieur y réfléchit-il ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Pourquoi ne pas envisager une évolution législative ? Nous attendons de prendre connaissance des propositions que vous formulerez dans le cadre de votre rapport. En tout cas, la question mérite d’être débattue.
M. Antoine Léaument, rapporteur. J’aimerais encore vous interroger sur les étiquettes politiques attribuées par le ministère de l’intérieur aux différents candidats à une élection. Il s’agit d’une question récurrente. Lors des élections législatives de 2022, un certain nombre de candidats qui se revendiquaient de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont été sortis de cette alliance, dans les résultats publiés par le ministère de l’intérieur, au motif qu’ils étaient rattachés à des partis ultramarins non officiellement membres de la Nupes. Néanmoins, tant ces candidats que la direction de la Nupes convenaient qu’ils devaient être considérés comme des candidats de la Nupes. Cet étiquetage différent a abouti à ce que la Nupes soit placée en deuxième position, en nombre de voix au niveau national, alors qu’en y intégrant ces candidats, elle serait arrivée en tête des élections législatives. Ce cas concret illustre la façon dont cet étiquetage peut influer sur la lecture, par les médias, des résultats d’une élection. Le ministère de l’intérieur a-t-il des éléments de réflexion à partager avec notre commission d’enquête à ce sujet ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Si le candidat affiche une étiquette, la catégorisation par le ministère de l’intérieur porte en réalité davantage sur la nuance politique, qui peut effectivement faire l’objet d’une petite discussion. En tout état de cause, un recours devant le Conseil d’État est toujours possible. Nous n’avons pas encore trouvé de solution qui satisfasse tout le monde. En effet, les partis politiques les plus connus sont catégorisés comme tels, mais les constructions occasionnelles ou conjoncturelles ne rentrent pas forcément dans les référentiels utilisés par le ministère de l’intérieur – d’où l’idée de la nuance. Je ne trouve pas que ce système soit si mauvais, mais je ne suis pas fermé, par principe, à une réflexion visant à l’améliorer. Il faudrait notamment se demander – je vous pose la question de manière informelle – si cela n’aurait pas des conséquences sur le financement des partis politiques.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Je ne le pense pas, car c’est après le scrutin que les élus se rattachent financièrement à un parti. Quant à la part du financement dépendant du nombre de voix obtenues, elle dépend de la déclaration effectuée en préfecture.
Je terminerai par une question d’actualité. Ce matin, notre commission d’enquête avait convoqué M. Pierre-Édouard Stérin pour l’interroger sur l’ingérence économique à laquelle il pourrait se livrer dans le cadre du projet que nous avons évoqué ; or cette personne a publiquement indiqué qu’elle ne pouvait se rendre à l’Assemblée nationale, devant notre commission, pour des raisons de sécurité. Pourriez-vous confirmer devant la représentation nationale que le ministère de l’intérieur, avec lequel nous avons échangé à ce sujet, pouvait parfaitement assurer la sécurité de M. Stérin à l’extérieur de l’Assemblée nationale, comme nous le lui avons dit ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Le ministère n’a pas d’avis à donner sur le fait que M. Stérin vienne ou ne vienne pas s’exprimer devant votre commission.
Le ministère étudie les demandes qui lui sont adressées pour assurer la sécurité d’une personnalité. La réponse apportée résulte d’une analyse précise, par les services, de la menace qui pèse sur cette personne. Dès lors que la menace est établie, nous protégeons l’individu concerné – c’est la règle –, mais en l’absence de menace, nous n’avons pas de raison de le faire.
M. Antoine Léaument, rapporteur. Confirmez-vous donc que la situation particulière de M. Stérin, qui a évoqué des menaces pesant sur sa sécurité, ne l’empêchait pas de se rendre devant notre commission d’enquête ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Je ne confirme rien du tout, car je n’ai pas été saisi et n’ai pas vu ce dossier en détail. Je redis simplement les principes et les raisons qui amènent le ministère de l’intérieur à protéger une personne, quelle qu’elle soit, dès lors qu’elle se trouve menacée. En l’absence de menace, je ne crois pas qu’il le fasse. Cependant, je le répète, je n’ai pas été saisi de la situation de la personne que vous avez évoquée : je ne peux donc vous apporter qu’une réponse générale.
M. le président Thomas Cazenave. C’est avec le directeur de cabinet de M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur, que nous avons échangé sur cette situation particulière. Le ministre d’État s’était engagé à ce que ses services assurent la sécurité de M. Stérin si ce dernier souhaitait se rendre à l’Assemblée nationale pour y être auditionné.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les réponses que vous avez bien voulu apporter à nos questions. Cette audition était la dernière de notre commission d’enquête.
J’informe nos collègues que la réunion consacrée à l’examen et à l’adoption du rapport aura lieu le mercredi 28 mai, en fin d’après-midi. Le projet de rapport sera préalablement mis en consultation les lundi 26 et mardi 27 mai, toute la journée, ainsi que le matin du mercredi 28 mai.
La séance s’achève à quatorze heures quarante.
Présents. – M. Thomas Cazenave, M. Antoine Léaument