Compte rendu

Groupe de travail sur le développement durable de l’Assemblée nationale

 Audition de M. Frédéric Masviel, chef de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de Paris (UDAP 75) à la DRAC Île-de-France              2

 


Mardi 27 mai 2025

Séance à 9 heures

Compte rendu n° 4

 

Présidence de

Mme Sandrine Le Feur,

Co-rapporteure


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La séance est ouverte à 9 heures.

Le groupe de travail sur le développement durable de l’Assemblée nationale a entendu M. Frédéric Masviel, chef de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de Paris (UDAP 75) à la DRAC Île-de-France.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Nous recevons Monsieur Frédéric Masviel, architecte des bâtiments de France, en charge notamment de veiller au respect des prescriptions du plan de sauvegarde et de mise en valeur du 7e arrondissement. Notre groupe de travail, mis en place par la présidence de l’Assemblée nationale, est chargé de réfléchir à moyen et long terme à la politique environnementale de notre institution. Nous nous interrogeons sur la nécessité d’adapter nos bâtiments pour une meilleure sobriété énergétique. Nous réfléchissons également à l’adaptation des bâtiments et des espaces extérieurs face au réchauffement climatique.

Nous suivons avec intérêt les récentes initiatives de la Ville de Paris visant à renforcer la végétalisation pour lutter contre les îlots de chaleur, ainsi que le plan de transformation de la place de la Concorde pour la rendre moins minérale. Dans ce contexte, nous souhaitons vous entendre sur les possibilités d'action actuelles concernant nos bâtiments et les espaces extérieurs. Nous aimerions également que vous nous précisiez si des évolutions du plan de sauvegarde sont prévues à moyen et long terme, notamment pour faire face au réchauffement climatique.

Pouvez-vous nous indiquer les phases de réflexion en la matière, les pistes d'évolution envisagées et les échéances pour une éventuelle actualisation du plan de sauvegarde ? Nous constatons que la cour d'honneur, très minérale et bien qu’elle ait été rénovée, devient particulièrement inconfortable lors des fortes chaleurs. Nous sommes donc intéressés par un échange approfondi avec vous sur ces questions.

M. Frédéric Masviel, chef de l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine de Paris (Udap 75) à la Drac Île-de-France. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, ainsi que Madame la Présidente, pour cette invitation à participer à ce groupe de travail et de réflexion. Je suis architecte urbaniste de l'État et architecte des bâtiments de France. Je dirige l'unité départementale d'architecture et du patrimoine, chargée de l'application réglementaire notamment, dans les espaces protégés de la Ville et du département de Paris. Chaque département dispose d'une telle unité. Celle de Paris est la plus importante de France avec 23 agents.

Pour donner une idée de l'ampleur de notre tâche, il est important de présenter le contexte parisien avant d'aborder le sujet spécifique des sites patrimoniaux remarquables. Paris est une ville dense d'un point de vue patrimonial, comptant près de 2 000 monuments historiques. Chacun d'entre eux génère un périmètre de protection de 500 mètres. La ville comprend également deux plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) : celui du Marais, couvrant partiellement les 3e et 4e arrondissements, et l’est du 7e arrondissement. S'y ajoutent 25 sites classés relevant du code de l'environnement, trois sites inscrits, et trois biens Unesco, ces derniers n'étant pas des servitudes, mais des reconnaissances.

Notre service traite près de 14 000 actes par an, ce qui représente un travail continu d'instruction d'autorisations de travaux au titre du droit des sols sous leurs quatre formes, établies selon la réforme de simplification des autorisations de travaux : déclarations préalables, permis de construire, permis de démolir et permis d'aménager. Ces cinq dernières années ont vu une augmentation significative des actes et des demandes d'autorisation de travaux.

Notre équipe de sept architectes des bâtiments de France (ABF) signe ces 14 000 actes, préparés en partie par des techniciens des bâtiments de France qui élaborent les avis réglementaires soumis ensuite à notre signature. La dématérialisation, mise en place ces cinq dernières années, a grandement facilité notre travail en permettant une instruction par voie électronique des dossiers déposés sur une plateforme unique gérée par la Ville de Paris.

Ces avis sont répartis entre les ABF, chacun ayant la charge d'environ trois arrondissements, voire quatre dans certains cas. Cela représente entre 2 500 et 3 000 avis à instruire par an pour chaque ABF, avec l'aide des techniciens des bâtiments de France. Cette organisation nécessite un encadrement précis pour répartir équitablement la charge de travail, les arrondissements n'étant pas homogènes en termes de densité patrimoniale et de demandes.

Les avis que nous rendons prennent trois formes. Premièrement, l'avis conforme, qui s'applique dans certains cas spécifiques comme la covisibilité entre un monument historique et un projet ou dans le site inscrit de Paris pour les permis de démolition. Cet avis s'impose au service instructeur. Deuxièmement, l'avis simple, qui n'est pas contraignant pour l'autorité compétente, mais fournit une expertise patrimoniale argumentée. Enfin, nous donnons des conseils lors de consultations avec les porteurs de projets et les instructeurs, que nous recevons fréquemment à la DRAC ou rencontrons sur le terrain.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. On reproche souvent aux architectes des bâtiments de France de rendre un avis sans nécessairement s'engager dans une démarche de co-construction. Comment parvenez-vous à gérer cette attente avec un volume de 14 000 actes par an ? Comment réussissez-vous à concilier cette charge de travail avec une approche collaborative ?

M. Frédéric Masviel. Le taux de charge de notre service est considérable. Toutefois, on observe des similitudes entre les projets. Nous gérons notamment les déclarations préalables, qui concernent principalement les changements d'aspect extérieur et les enseignes. À ce sujet, des enseignes ont été confiées au gouvernement pour avis. Les déclarations préalables, représentant environ 8 000 dossiers sur 14 000, ne génèrent pas de surface de plancher supplémentaire, mais modifient l'aspect du bâtiment.

Pour traiter ces dossiers, nous disposons de neuf techniciens des bâtiments de France qui préparent les avis, ce qui allège significativement notre charge de travail. Néanmoins, une relecture, un contrôle et une discussion sur ces avis prérédigés restent nécessaires. Notre processus d'instruction s'inscrit dans une chaîne plus large, où la qualité de notre avis dépend également de celle du dossier préparé par l'agence en amont.

C’est pourquoi nous nous efforçons constamment d'améliorer les compétences de nos agents au sein de l’Udap. C’est une mission qui incombe particulièrement au chef de service. Le niveau de sollicitation est extrêmement élevé, notamment pour le chef de service qui représente les six adjoints lors des réunions importantes.

En tant que responsable de l'Udap, il m’appartient de porter une parole cohérente sur les sujets que nous traitons, ce qui soulève la question cruciale de la doctrine. Nous devons en effet veiller à l'harmonisation des avis des architectes des bâtiments de France.

La charge de travail est effectivement phénoménale. Certains dossiers relèvent directement du préfet de région, du préfet de Paris ou des préfets de département. Les dossiers les plus saillants nécessitent un accompagnement particulier, souvent à la demande du préfet. De plus, nous devons répondre aux sollicitations fréquentes du cabinet de la ministre de la Culture, ce qui implique un travail de consultation interne et de transmission d'informations.

Concernant le traitement des dossiers à Paris, nous bénéficions d'un contexte favorable. Sur les 35 000 architectes en France, un tiers réside à Paris, ce qui signifie que nous dialoguons directement avec des maîtres d'œuvre hautement qualifiés. Cette expertise facilite grandement notre tâche, car les dossiers présentés sont généralement de grande qualité et nécessitent peu de rectifications.

Les sites patrimoniaux remarquables (SPR), par exemple, représentent pour nous un cadre de travail particulièrement appréciable, offrant une réglementation claire et précise. Cela facilite considérablement notre mission de conseil et d'explication des règles.

Pour conclure, l’année 2025 est marquée par une commande d’élaboration d’un projet de service, qui permettrait d’améliorer notre fonctionnement. Bien que l'ajout d'un ou deux ABF supplémentaires serait bénéfique, je suis conscient que cela relève de questions d’emploi et de budget qui dépassent mes prérogatives. Néanmoins, il est important de souligner la singularité de l'Udap de Paris, de par sa position centrale, sa proximité avec les ministères et la densité exceptionnelle de son patrimoine. Cette spécificité pourrait justifier un mode de fonctionnement adapté, distinct des 100 autres Udap de France.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Je vous remercie pour cet aperçu global, très utile. Concentrons-nous maintenant sur le plan de sauvegarde du 7è arrondissement et ses éventuels aménagements, si vous le voulez bien.

M. Frédéric Masviel. Le plan de sauvegarde et de mise en valeur s'inscrit dans une politique de protection patrimoniale dont l'évolution est significative. Sans refaire l'intégralité de l'historique, soulignons le tournant opéré par la loi Malraux dans l'approche de la protection patrimoniale.

Initialement, la protection se concentrait essentiellement sur les monuments historiques eux-mêmes, régis par la loi de 1913 qui les protégeait principalement pour leur valeur archéologique. À partir des années 1960, et plus précisément avec la loi sur les secteurs sauvegardés du 4 août 1962, une nouvelle conception émerge, visant à protéger l'environnement urbain dans son ensemble.

Cette évolution fait suite à la loi de 1946 sur les abords, qui avait déjà étendu la protection à un périmètre de 500 mètres autour des monuments. Le législateur a par la suite introduit la possibilité d'adapter ce périmètre pour mieux correspondre à la réalité du tissu urbain environnant.

La loi de 1962 sur les secteurs sauvegardés marque une avancée majeure en étendant la protection à l’intérieur des bâtiments. Cette approche plus globale vise à préserver l'intégrité organique du paysage urbain, particulièrement dans les centres anciens. Avant la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016, on comptait une centaine de secteurs sauvegardés en France.

Le secteur sauvegardé est un document réglementaire imposé par l'État à la collectivité territoriale. Il se superpose aux documents d'urbanisme locaux, la carte communale, puis le plan d'occupation des sols, et enfin le plan local d'urbanisme.

Les lois de décentralisation ont cherché ensuite à impliquer davantage les collectivités territoriales dans ce processus. En 1964, le plan de sauvegarde du Marais est créé. Il couvre 134 hectares du 3e et du 4e arrondissement, à l'exception de la bande ouest du 3e arrondissement et des quais de Seine. Ce périmètre de protection intègre notamment la place des Vosges, les hôtels particuliers des XVIe et XVIIe siècles. Cette année marque une évolution majeure de la préservation des ensembles urbains sur la rive droite.

Cette réglementation visait également à résorber l'insalubrité de certains quartiers après la Seconde guerre mondiale, notamment le jardin Saint-Pierre. Ces secteurs ont ainsi servi d'outils efficaces pour la rénovation urbaine, soutenus par des dispositifs fiscaux incitatifs mis en place ultérieurement.

Prenons l'exemple du 7e arrondissement de Paris, dont j'ai eu la charge en tant qu'adjoint. Ce secteur sauvegardé, créé en 1972, conçu par Gaston Leclaire, a vu son règlement adopté en 1981. Il s'inscrivait dans une dynamique nationale qui a vu naître une centaine de secteurs sauvegardés entre 1970 et 1990.

La révision de ces secteurs est un processus long et coûteux. À Paris, la municipalité a décidé de réviser simultanément les PSMV des secteurs du Marais et du 7e arrondissement en 2006. Ces révisions ont duré respectivement sept et dix ans, pour un coût de deux millions d'euros chacune. Elles ont mobilisé des équipes de chargés d’étude comprenant des historiens de l'architecture, des architectes urbanistes et des spécialistes du patrimoine végétal, soulignant ainsi l'importance accordée non seulement au bâti, mais aussi aux espaces verts.

La législation a considérablement évolué depuis la création des secteurs sauvegardés. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine de 2016 a fusionné différents dispositifs de protection de tissu urbain. Elle a notamment regroupé les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) sous l'appellation unique de sites patrimoniaux remarquables (SPR).

Aujourd'hui, la France compte environ 1 000 SPR. Ces sites peuvent être gérés soit selon un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), comme c'est le cas pour le Marais, offrant un dispositif secteur sauvegardé, à savoir une protection étendue tant pour l'extérieur que pour l'intérieur des bâtiments, soit selon un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP), correspondant aux anciens dispositifs AVAP.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Ainsi, dans les documents d'urbanisme actuels, il n’est plus fait mention de secteurs sauvegardés, mais uniquement de SPR ?

M. Frédéric Masviel. Effectivement. L'appellation « secteur sauvegardé » n'existe plus. Désormais, on utilise exclusivement le terme SPR. « Site patrimonial remarquable » est aujourd’hui la dénomination officielle, codifiée dans le code du patrimoine. Toutes les procédures relatives à la création et à la gestion des SPR figurent dans le livre VI de ce code.

La création d'un SPR se déroule en deux étapes principales. Au préalable, il implique de définir le périmètre du site, ce qui nécessite un consensus entre l'État, les collectivités locales et des experts qualifiés. Dans un deuxième temps, on détermine le type de gestion à appliquer : soit selon un PVAP soit selon un PSMV. Ce choix est validé par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture.

Concernant Paris, la situation est particulière. Sur les 100 km² que compte la capitale, 93,5 % sont protégés par une servitude d'utilité publique. Cela signifie que la majorité des demandes d'autorisation de travaux sont examinées par nos services, à la demande du service instructeur de la Ville de Paris. Il existe également un service instructeur de l'État, rattaché à la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (Drieat) qui comporte une unité départementale et qui instruit les dossiers relevant de l'État.

Notre fonctionnement à Paris est désormais entièrement dématérialisé. Nous utilisons un outil nommé Patronum qui nous permet de consulter les dossiers, d'émettre nos avis et de les certifier par signature électronique, ce qui optimise considérablement nos délais de traitement.

M. Jimmy Pahun (Dem). Depuis notre élection en tant que députés en 2017, le Palais Bourbon fait l'objet de travaux constants. Pourriez-vous nous éclairer sur l'efficacité et la qualité de ces travaux, notamment en termes de gains énergétiques ? Madame la présidente est une fervente partisane de la rénovation et de l'isolation des bâtiments, considérant les économies à long terme. Pouvez-vous nous en dire plus sur les améliorations apportées à l'Assemblée et sur d'autres chantiers que vous supervisez ? Avez-vous réussi à faire passer certains bâtiments de la catégorie énergétique la plus basse à la catégorie A ?

M. Frédéric Masviel. Le Palais Bourbon présente une particularité surprenante : aucune partie de l'édifice, que ce soit en totalité ou partiellement, n'est inscrite ou classée au titre des monuments historiques. Cela signifie qu'aucun élément du bâtiment ne bénéficie de la protection prévue par le code du patrimoine pour les monuments historiques. Cette situation est étonnante, car on aurait pu s'attendre à ce que certains espaces, comme la salle des séances, l'hémicycle, ou même certains éléments décoratifs, bénéficient d'une telle protection.

Cette absence de classement a des implications importantes. Notamment, elle prive le bâtiment des subventions de l'État pour les travaux de restauration, qui peuvent atteindre 25 % pour les monuments inscrits et jusqu'à 40 % à 50 % pour les monuments classés. Ces subventions sont gérées par la Conservation régionale des monuments historiques, qui s'occupe des 4 000 monuments historiques en Île-de-France, dont 2 000 à paris, sur un total de 44 000 en France.

Cependant, bien que non classé monument historique, le Palais Bourbon est inclus dans le PSMV depuis 1972. Ce plan, élaboré par des architectes et codifié par des légendes, définit différents niveaux de protection pour les bâtiments. Le niveau le plus élevé, de type A, en gris foncé, concerne les bâtiments les plus remarquables et impose les contraintes les plus strictes en termes de préservation et de restauration.

Les monuments historiques sont les édifices les plus protégés. Ils sont identifiés en noir sur le plan, mais aucun bâtiment du Palais Bourbon n'est classé dans cette catégorie. Ils sont soit de type A, soit de type B, soit de type C. Ils appartiennent à la même famille de protection, mais avec un degré moindre qui autorise certaines modifications intérieures, sous réserve de l'accord de l'architecte des Bâtiments de France.

Ensuite, nous avons un niveau de protection plus souple, en gris clair. Ces bâtiments peuvent être démolis, valorisés ou conservés selon les besoins. Le nouveau pavillon d’accueil du public, par exemple, a bénéficié de cette flexibilité, permettant un réaménagement significatif auquel j'ai contribué.

La faisabilité de ce projet s'explique par l'anticipation lors de la phase de révision du PSMV. Une emprise maximale de construction (EMP) a été définie, matérialisée par un tracé rouge épais sur le plan, avec une cote indiquant la hauteur maximale autorisée, généralement de 10 ou 12 mètres. Cette précision permet, en cas de démolition, de reconstruire dans les limites définies.

Ces règles sont extrêmement précises et contraignantes. Par exemple, la construction dans une cour protégée est généralement interdite. C'est pourquoi nous effectuons de nombreuses visites sur le terrain, particulièrement des SPR, où la complexité des parcelles nécessite une évaluation in situ.

S’agissant du Palais Bourbon, l'ensemble du site comprend des jardins, des cours et des bâtiments, autrement dit identifiés en gris. Toutefois, cette zone, anciennement appelée plaine de Grenelle, a vu la construction de magnifiques hôtels particuliers à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, notamment le long des rues Saint-Dominique, de l'Université, de Grenelle.

La typologie des hôtels particuliers s’établit différemment entre cour et jardin. Les cours, classées en DM (dominante minérale) de niveau 1 ou 2, doivent être préservées selon des règles strictes. Ce classement se rapporte au règlement US13 relatif aux espaces libres. De même, les jardins sont classés en DV (dominante végétale) de niveau 1 ou 2. Pour les espaces de niveau 1, qu'ils soient minéraux ou végétaux, toute construction en surface ou en sous-sol est quasiment impossible, à l'exception de certains aménagements techniques mineurs.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Face aux enjeux climatiques, il serait donc impossible de végétaliser une partie de la cour d'honneur sans engager une révision complète du plan de sauvegarde. Cette contrainte ne relève pas de votre responsabilité directe.

M. Frédéric Masviel. En effet, la préservation des cours en dominante minérale répond à une analyse typomorphologique du bâti. Ces espaces dégagés sont essentiels pour mettre en valeur l'architecture, particulièrement l'architecture de prestige. L'introduction d'une trame arborée dense pourrait entrer en contradiction avec la visibilité souhaitée de ces édifices remarquables.

Prenons l'exemple de la colonnade du Louvre ou de l'Hôtel de la Marine. Ces architectures de qualité sont conçues pour être admirées. Une végétation trop importante, avec des arbres de grande taille, masquerait ces chefs-d'œuvre. Notre approche de préservation du patrimoine vise à garantir la visibilité et l'appréciation de ces édifices exceptionnels.

Concernant la place de la Concorde, le projet de réaménagement mené par Philippe Prost, architecte du patrimoine, a su brillamment concilier respect du patrimoine et modernité. Son approche a été saluée pour sa fidélité au dessin original de Ange-Jacques Gabriel au XVIIIe siècle, tout en intégrant les évolutions historiques, notamment les modifications apportées par Jacques Ignace Hittorff au XIXe siècle. Prost a su évoquer subtilement les anciens fossés comblés, tout en tenant compte des contraintes actuelles, comme la présence du métro en sous-sol.

Il est important de noter que de nombreux projets ambitieux de réaménagement urbain se heurtent à des contraintes techniques et infrastructurelles. La place de Catalogne a pu accueillir une forêt urbaine, car une grande fontaine avait été installée en son centre à l’époque du projet Ricardo Bofill. En revanche, la création d'une forêt urbaine sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Paris s'est avérée plus complexe que prévu, en raison du manque de profondeur de sol.

La place de la Concorde illustre parfaitement la réintroduction de la végétation en milieu urbain. Des fossés seront aménagés avec un léger dévers dans le respect des contraintes du site, et de la verdure sera intégrée, sans toutefois installer de grands sujets sur le périmètre.

S’agissant de la minéralité à Paris, prenons l'exemple de la place du Panthéon. Ses usages nécessitent de maintenir un accès central, ce qui conditionne l'approche d'aménagement. Il existe donc des principes d'utilisation qui justifient de ne pas occuper tout l'espace disponible.

Paris présente effectivement une forte densité, étant la septième ville la plus densément peuplée avec 23 000 habitants au kilomètre carré, soit une concentration remarquable. Bien que Napoléon III ait entrepris d'importants travaux d'urbanisme, notamment en créant deux grands bois, Boulogne et Vincennes, le centre de Paris ne dispose pas d'équivalent. La Seine joue un rôle de régulateur thermique, comme le montre une carte thermographique où le cours d'eau apparaît en bleu-vert, indiquant son effet rafraîchissant.

Cette carte thermographique révèle également des zones récemment aménagées, telles que le tribunal de grande instance dans la ZAD des Batignolles, caractérisées par de vastes surfaces minérales apparaissant en rouge. Il serait peut-être judicieux de commencer par traiter ces espaces. La préservation d'espaces à dominante minérale répond souvent à des raisons typomorphologiques liées à la qualité du patrimoine bâti environnant.

Prenons l'exemple de l'hôtel de Roquelaure, siège du ministère de la transition écologique. La volonté était de conserver un espace à caractère historique. Une solution concrète a été d'installer des bacs de végétation rapportés et disposés dans la cour. Cette approche, bien que ressemblant davantage à une esthétique de chantier qu'à un aménagement paysager, présente l'avantage d'être fonctionnelle, permettant ainsi aux systèmes racinaires de se développer tout en facilitant l'entretien.

Au Palais Bourbon, certains jardins en pleine terre doivent être préservés. Nous avons eu des discussions approfondies concernant le projet du futur pavillon d'accueil de l'Assemblée nationale. Sur la partie ouest, côté jardin, la création d'une petite zone logistique a été tolérée, malgré les réticences initiales, car elle était indispensable à l'économie globale du projet.

En revanche, j'ai personnellement refusé la demande du maître d'œuvre d'intervenir au sol de la colonnade pour y percer des ouvertures. Cette décision se justifie par le classement de type A de l'édifice et la nécessité de ne pas altérer un tel ouvrage, tant pour des raisons structurelles que patrimoniales. Fragiliser les colonnades historiques créerait un précédent. Je comprends qu'il y a de nouveaux usages envisagés pour les espaces sous les emmarchements, notamment à des fins muséographiques. Cependant, ce n'est pas au patrimoine de s'adapter aux modifications d'usage. Notre rôle est de défendre, par la réglementation, la préservation et la valorisation du patrimoine bâti pour le transmettre aux générations futures.

M. Jimmy Pahun (Dem). Lorsque Haussmann a décidé de créer le bois de Boulogne et le bois de Vincennes, avait-il une vision environnementale ?

M. Frédéric Masviel. Haussmann s'est inspiré de son séjour à Londres et de l'approche hygiéniste des Anglais. Il souhaitait appliquer ces principes à Paris pour apporter des solutions d'aménagement urbain. C'est ce qui l'a principalement motivé.

Le Palais Bourbon offre des possibilités d'évolution. Si l'on considère la cour d'honneur, les notions de dominante végétale et minérale ne sont pas absolues. Il s'agit plutôt de trouver un équilibre permettant un aménagement paysager significatif, mais adapté.

Prenons l'exemple d'un aménagement d'espace public, domaine où le PSMV offre peu de prescriptions. La place Saint-Thomas-d’Aquin, près du campus de Sciences Po, dans le 7e arrondissement de Paris, réalisée par Pierre Bullet, est remarquable. Auparavant, elle présentait un giratoire banal avec peu d'éléments d'intérêt. Les services de la Ville nous ont consultés pour son réaménagement. Notre conseil a été de refuser l'implantation d'arbres devant la façade, préférant les placer en second plan dans des fosses. Le sol a été traité de manière très sobre.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Dans la cour d’honneur, il y a eu la possibilité d’implanter des arbustes.

M. Frédéric Masviel. Sous la cour d’honneur se trouve un parking. La nécessité de créer des zones perméables permettant à l'eau de retourner dans la terre peut avoir du sens en termes d'écologie urbaine. Toutefois, végétaliser le sol au-dessus d’un parking souterrain implique généralement de recourir à des jardinières ou à un substrat d'une profondeur de 40 à 80 cm pour accueillir les plantations. Créer une toiture végétalisée sur un immeuble avec seulement 40 cm de terre pose de nombreuses questions structurelles, notamment en termes de poids et de structures engageant la responsabilité des constructeurs.

Ces problématiques font partie des grands enjeux actuels. L'Apur (Atelier parisien d'urbanisme) produit de nombreuses données et informations, notamment une carte du potentiel photovoltaïque. Cette approche peut être intéressante pour les bâtiments à toits-terrasses, qui peuvent accueillir des installations photovoltaïques sans nécessairement intervenir sur les toitures en zinc, caractéristiques du paysage parisien et protégées au titre du patrimoine. D'ailleurs, le savoir-faire des ornemanistes et des couvreurs en zinc fait partie intégrante du patrimoine immatériel de Paris.

M. Jimmy Pahun (Dem). Le projet de la tour Triangle, en construction porte de Versailles et dont on a beaucoup parlé, sera-t-il autosuffisant en énergie ?

M. Frédéric Masviel. Ce dossier échappe quelque peu à notre champ d'intervention, car il se situe en périphérie des espaces protégés. Nous l'avons examiné de loin, sans l'attention que nous aurions portée à un projet situé en plein cœur de Paris ou dans une zone classée, eu égard aux servitudes. À ma connaissance, le projet, initialement conçu par l'agence Herzog & de Meuron, cabinet d'architectes suisse de renommée internationale, reconnu pour sa capacité de création de bâtiments, a été significativement modifié. Les modifications visaient à intégrer davantage de verdure, des jardinières, et à travailler sur les transparences. L'objectif actuel est que ces constructions ne soient pas nécessairement autosuffisantes, mais qu’elles ne soient pas consommatrices d’énergie.

M. Jimmy Pahun (Dem). Qu’en est-il des prétendus dépassements de la réglementation au 101 rue de l’Université ? Une anecdote circule concernant l’ajout d'un étage, outrepassant ainsi la loi pour offrir une vue panoramique. Son authenticité reste à vérifier. Il est possible que d'autres cas similaires existent, et vous en savez probablement davantage que moi à ce sujet.

M. Frédéric Masviel. Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, le plan local d'urbanisme impose des restrictions en termes de hauteur des bâtiments, qui définissent des hauteurs maximales autorisées. Cependant, il existe parfois des exceptions notables. La faculté de médecine, rue des Saints-Pères, située dans le 6e arrondissement, en est un exemple frappant. Il s'agit d'un édifice hors gabarit qui se démarque nettement dans son environnement urbain.

M. Jimmy Pahun (Dem). Il apparaît colossal sur des photos aériennes de Paris.

M. Frédéric Masviel. Les réglementations concernant les hauteurs des bâtiments ont évolué au fil du temps. Néanmoins, Paris, à l'exception de quelques zones spécifiques dans le PLU comme celle prévue pour la tour Triangle ou le tribunal de grande instance des Batignolles, n'accueillera plus de gratte-ciels. Le système de protection patrimoniale en place est suffisamment robuste pour l'empêcher. La tour Montparnasse reste une exception, fruit d'une époque révolue marquée par un optimisme débridé et une volonté politique très différente de celle d'aujourd'hui.

Mme Sandrine Le Feur, co-rapporteure. Je tiens à remercier Monsieur Masviel pour son intervention. J'ai pris bonne note des points soulevés, notamment sur la possibilité de végétaliser davantage la cour d’honneur tout en respectant sa dominante minérale.

M. Frédéric Masviel. J'espère avoir fourni suffisamment d'éléments informatifs. Je tiens à souligner que l’ABF, sur des projets d'envergure présentant un intérêt général, s'engage systématiquement aux côtés des porteurs de projets pour trouver des solutions viables. Il est important de noter que sur les 14 000 avis, nous ne comptons actuellement que 23 recours en 2024. Notre taux de jugements défavorables s'élève à 10 %, légèrement supérieur à la moyenne nationale de 7 %. Ce léger écart s'explique par la densité exceptionnelle des demandes. Les dispositifs législatifs, bien que parfois contraignants, sont garants de la préservation de l'identité architecturale de Paris.

Parallèlement, nous sommes conscients de la nécessité d'accompagner la transition écologique, ce qui soulève la question de la manière de procéder entre préservation et évolution. Notre défi consiste à concilier des intérêts qui peuvent sembler antagonistes.

 

La séance est levée à 9 heures 50.


Membres présents ou excusés

Groupe de travail sur le développement durable

Réunion du mardi 27 mai 2025 à 9 heures

Présents. - Mme Sandrine Le Feur, M. Jimmy Pahun, Mme Valérie Rossi

Excusé. - Mme Yaël Braun-Pivet