Compte rendu

Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

         Table-ronde, ouverte à la presse, sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires en Polynésie 3

 


Mercredi
12 février 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission

 


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Mercredi 12 février 2025

 

La séance est ouverte à 16 heures 35.

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

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- Table-ronde, ouverte à la presse, sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires en Polynésie :

- Institut national de la santé et de la recherche médicale : M. Florent de Vathaire, directeur de recherche 1ère classe et chef de l’unité « Épidémiologie des radiations » de l’Institut Gustave Roussy et de l’Inserm ;

En visioconférence :

- Centre médical de suivi des anciens travailleurs civils et militaires du centre d’expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire : M. Julien Pontis, médecin en chef, ; M. Emmanuel Pottier, médecin adjoint ; Mme Wicky Taie-Deane, infirmière en charge des patients et dossiers Civen et M. Narii Tavaitai, secrétaire médical en charge des patients et dossiers Civen

- Institut du cancer de Polynésie française : Mme Teanini Tematahotoa, directrice

 

M. le président Didier Le Gac. Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette table ronde, qui va nous permettre d’étudier les conséquences sanitaires des essais nucléaires. Nous accueillons plusieurs intervenants, à la fois en salle ici à Paris, mais également en visioconférence, à Papeete.

Monsieur Florent de Vathaire, vous êtes directeur de recherche 1ère classe à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et chef de l’unité « Épidémiologie des radiations » de l’Institut Gustave Roussy et de l’Inserm. Nous vous avons déjà auditionné le 29 mai dernier, mais notre commission, dont je rappelle qu’elle est nouvelle et qu’elle n’est pas la continuatrice de la précédente, a souhaité vous auditionner de nouveau.

Je salue également les auditionnés en visioconférence depuis Papeete. Monsieur Julien Pontis, vous êtes médecin en chef du Centre médical de suivi des anciens travailleurs de Mururoa et des populations exposées aux essais nucléaires (CMS). Vous êtes accompagné d’Emmanuel Pottier, médecin adjoint du CMS, de Wicky Taie-Deane, infirmière en charge des patients et des dossiers Civen (Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires) au CMS et de Narii Tavaitai, secrétaire médical en charge des patients et des dossiers Civen au CMS. Le CMS est le service de la direction de la santé de Polynésie française chargé de suivre médicalement les anciens travailleurs de Mururoa et les habitants des îles et atolls ayant été exposés aux retombées radioactives imprévues de certains essais nucléaires.

Enfin, nous accueillons, également depuis Papeete, Mme Teanini Tematahotoa ; médecin et directrice de l’Institut du cancer de Polynésie française (ICPF), créé au mois de novembre 2021.

Avant de vous entendre, je vous remercie de nous déclarer, chacun à votre tour, tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Mmes Taie-Deane et Tematahotoa, MM. de Vathaire, Pontis, Pottier et Tavaitai prêtent serment.

M. Florent de Vathaire, directeur de recherche 1ère classe et chef de l’unité « Épidémiologie des radiations » de l’Institut Gustave Roussy et de l’Inserm. Épidémiologiste à l’Inserm et à l’Institut Gustave Roussy, je dirige depuis maintenant presque vingt-cinq ans une unité de recherche spécialisée sur les effets iatrogènes des rayonnements ionisants. En 1995, j’ai commencé des travaux sur la Polynésie française, pour établir un constat de la situation.

Initialement, les données du registre de l’incidence des cancers créé en 1984 après une demande de la commission du Pacifique Sud n’étaient pas accessibles. Voulant étudier les conséquences des essais nucléaires, j’ai réussi à obtenir des données sur les causes de décès de la part d’une personne qui était alors directeur de l’Institut de statistique de Polynésie française. Elles m’ont permis de calculer des taux et de rédiger un article (portant sur un petit nombre de cas) qui montrait que le taux de mortalité par cancer de la thyroïde, était à l’époque supérieur en Polynésie française à celui des autres populations maories similaires à Hawaii et en Nouvelle-Zélande.

À la suite de la publication de cet article, et grâce au professeur Maurice Tubiana qui dirigeait à l’époque l’Institut Gustave Roussy, j’ai pu finalement accéder au registre de l’incidence des cancers. J’ai ensuite contacté l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (Opri), qui était alors dirigé par Roland Masse, qui m’a permis d’obtenir un financement pour mener une première étude sur place. Nous avons étudié l’ensemble des dossiers médicaux des centres hospitaliers et des cliniques privées et avons amélioré le registre en y rajoutant 30 % de cas manquants. Nous avons ainsi pu montrer une augmentation du nombre de cancers dans les îles proches de Moruroa.

Nous avons ensuite étudié l’incidence du timing des essais dans les îles Gambier et dans les archipels des Tuamotu ; et le fait est que nous n’avons pas mis en évidence de relation. C’est-à-dire que nous avons montré que les personnes nées ou qui étaient enfants pendant les essais ne connaissaient pas une sur-incidence de cancers, notamment de la thyroïde et que c’était donc plus compliqué que ce que nous pensions. Nous avons donc décidé d’effectuer des études plus précises, sur des cas-témoins, en interrogeant toutes les personnes atteintes de cancer de la thyroïde que nous avions trouvées sur leurs habitudes, leur lieu de résidence, leur alimentation, leur type d’habitation... Nous avons par ailleurs reconstitué la météorologie (les conditions de vent et de pluies constatées toutes les trois heures, quinze jours avant et trois semaines après chaque essai), ainsi que le nuage de chaque essai nucléaire afin de pouvoir reconstituer les doses reçues par les personnes exposées. Une première publication s’est fondée sur des synthèses que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) avait fait rédiger par des experts pour les envoyer au comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (Unscear), après chaque campagne d’essai.

Dans cet article, nous indiquions que les essais nucléaires constituaient un des facteurs qui participaient à l’incidence importante des cancers de la thyroïde, environ une vingtaine. Cet article a été très critiqué par l’Académie des sciences et l’Académie nationale de médecine, qui nous ont reproché d’avoir bâti cette reconstruction sur ces synthèses et non sur les données originales des services de radioprotection. Par la suite, et grâce toujours à Maurice Tubiana, qui était alors président de l’Académie des Sciences, nous avons obtenu les données originales quand elles ont été déclassées en 2013. Elles nous ont ainsi permis de réaliser une deuxième étude, qui a confirmé nos premières conclusions : un certain nombre de cas de cancers de la thyroïde étaient dus aux essais nucléaires français, mais ce nombre était nécessairement faible.

Actuellement, nous travaillons sur l’ensemble des cancers cette fois-ci (et pas seulement ceux de la thyroïde) mais uniquement dans une optique de prédiction. Nous avons reconstitué les populations polynésiennes à partir des données individuelles de recensement pour attribuer à chaque individu la dose reçue à l’endroit où il était, essai par essai. Nous avons appliqué aux doses reçues par les différents organes des individus les coefficients de risque qui sont connus actuellement. Il faut préciser que ces coefficients ont été établis sur des populations européennes et des populations japonaises, et non sur des populations polynésiennes. L’incertitude qui demeure est donc la suivante : les populations polynésiennes sont-elles plus radiosensibles que les autres pour des raisons génétiques, ce qui est tout à fait possible ?

Nous publierons bientôt cette prédiction et menons également un projet concernant les effets transgénérationnels, qui a été très bien évalué par l’Agence nationale de la recherche (ANR) l’an dernier, mais qui a été estimé trop coûteux. Nous l’avons donc redécoupé en deux parties, pour pouvoir le représenter à l’ANR, dont nous attendons la réponse.

M. le président Didier Le Gac. Monsieur Pontis, pouvez-vous nous faire part de vos constatations les plus récentes quant au développement des cancers en Polynésie française et leur niveau de corrélation avec les essais nucléaires ?

M. Julien Pontis, médecin en chef du Centre Médical de Suivi des anciens travailleurs civils et militaires du centre d’expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. Après m’être présenté brièvement, je me propose de vous présenter tout d’abord le Centre médical de suivi des anciens travailleurs civils et militaires du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), que nous appellerons le CMS, puis d’évoquer dans le détail des cancers dont nous avons connaissance. Je représente également la direction de la santé de Polynésie (DSP), dont je remercie sa directrice, Mme Romina Ma, pour sa confiance.

Médecin-chef du CMS, je suis médecin militaire et j’ai effectué l’essentiel de ma carrière comme médecin sous-marinier. À ce titre, je dispose de toutes les compétences en hygiène nucléaire et radioprotection, pour le suivi des travailleurs du nucléaire. J’ai passé près de 10 000 heures sous les mers, suivi plusieurs centaines de marins sous-mariniers exposés aux rayonnements ionisants et ai exercé le rôle de directeur adjoint du laboratoire d’anthropogammamétrie (spectrométrie) des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE) à Brest. En 2022, j’ai eu l’immense plaisir de rejoindre le CMS, d’abord comme médecin adjoint puis comme médecin chef.

Au début des années 2000, dans un contexte d’inquiétudes persistantes chez les populations les plus proches des anciens sites d’expérimentations, le président de la République Jacques Chirac s’est prononcé, lors de sa visite en Polynésie française en juillet 2003, en faveur de la poursuite de la surveillance des sites de Mururoa et Fangataufa et de la création d’un Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN).

Ce comité a rendu son rapport en mai 2007 en formulant les recommandations suivantes : « Dans le simple but de pallier le défaut de suivi médical généré par le départ des médecins des armées, proposer aux autorités de santé polynésiennes, l’assistance de l’État pour assurer un suivi sanitaire des populations vivant aujourd’hui à Mangareva, Tureia, Reao et Pukarua, ainsi que des personnes qui n’y vivent plus, mais qui y résidaient entre les années 1966 et 1974Cette assistance de l’État peut s’étendre à des dispositions destinées à assurer un suivi sanitaire des anciens travailleurs polynésiens des sites d’expérimentation entre 1966 et 1998. Ce suivi sanitaire pourrait comporter un examen clinique initial complété au besoin par des examens paracliniques, un suivi médical annuel et un suivi des causes de morbidité et de mortalité. »

En parallèle, en février 2006, la commission d’enquête de l’Assemblée territoriale de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires recommandait de mettre en place une cellule de suivi médico-social des populations ayant été « au plus près » des essais nucléaires.

Sous cette double impulsion, le CMS fut donc créé le 30 août 2007 et son fonctionnement est décrit dans la convention État-Polynésie française n° 161-07 du 30 août 2007 relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du CEP et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire.

Cette convention décrit les missions du CMS. L’objectif principal rappelé en préambule consiste à « proposer aux anciens travailleurs civils du CEP et aux populations civiles vivant actuellement dans les communes de Tureia, Reao, de Pukarua et de Gambier, ainsi que celles qui y résidaient entre 1966 et 1974, un bilan de santé individuel gratuit afin de répondre aux inquiétudes sur l’éventuelle présence, dans ces populations, de pathologies susceptibles d’avoir été causées par l’exposition à des retombées radioactives consécutives aux essais nucléaires. »

En pratique, la population bénéficiaire du CMS est donc divisée en trois groupes. Nous devons ainsi suivre les vétérans civils et militaires du CEP durant la période 1966-1998, soit environ 10 000 personnes ; les habitants des communes de Tureia, des Gambier, de Reao et de Pukarua, entre 1966 et 1974 (période des essais atmosphériques), soit environ 700 personnes et enfin les personnes ayant leur résidence principale actuelle dans ces communes, soit 2 373 personnes selon le recensement de 2022, y compris celles nées après les essais atmosphériques. En pratique, les besoins médicaux pour ce dernier groupe étaient importants lors de la création du CMS et sont aujourd’hui comblés par les médecins de la subdivision santé des Tuamotu-Gambier. Le Centre médical de suivi se concentre donc aujourd’hui sur les habitants de ces quatre ans présents pendant la période des essais atmosphériques.

Néanmoins, durant nos missions dans ces îles et atolls, toute personne qui le demande peut consulter un médecin du CMS. Comme demandé par la DSP, ces consultations font l’objet de comptes rendus à destination des médecins traitants. Le Centre médical de suivi est basé à Papeete. Une équipe se rend en moyenne une à deux fois par mois à l’hôpital de Taravao pour se rapprocher des vétérans de la presqu’île. En outre, l’immense majorité des Polynésiens retournent, pour leur retraite et leurs vieux jours, dans leurs îles de naissance. Il est donc rapidement apparu comme indispensable d’étendre les missions du CMS vers les autres îles des cinq archipels.

De quels moyens disposons-nous pour réaliser ces missions ? L’État met à disposition quatre personnes présentes devant vous aujourd’hui, affectées exclusivement au CMS : deux médecins, une infirmière et un secrétaire médical, et en assume le coût. Ainsi, le matériel médical, les consommables médicaux et les moyens informatiques, mais aussi les déplacements et les missions dans les îles sont pris en charge par l’État. Les locaux, les coûts d’infrastructure de l’infirmerie de Papeete et les éventuels personnels de renfort sont pris en charge par la Polynésie.

Le Centre médical de suivi relève bien pour ces missions de l’autorité de la direction de la santé polynésienne. À ce titre, il rend compte régulièrement de ses travaux à la directrice de la santé, par l’intermédiaire de rapports mensuels et annuels d’activité. Après dix-huit ans d’existence, le CMS suit aujourd’hui 3 340 patients au total, répartis en 2 693 anciens travailleurs et 647 habitants des quatre îles précédemment citées, dont 502 étaient nés avant ou pendant la période des essais aériens. La moyenne d’âge de la cohorte est de 69 ans.

En 2024, le CMS a réalisé près de 1 000 visites de suivi soit presque autant qu’en 2023 alors qu’une grande partie de notre activité a été consacrée à l’informatisation de nos dossiers « papiers » dans le nouveau « dossier patient informatisé » de la DSP. Pour aller à la rencontre de ces patients, nous avons effectué dix-neuf missions dans les cinq archipels et visité vingt-trois îles et atolls ; 76 % de notre activité de suivi a lieu lors de ces missions

Nous avons également réalisé 487 entretiens et consultations d’aide aux démarches d’indemnisation « Civen » pour nos ayants droit ou leurs familles. Nous avons initié près de 100 nouveaux dossiers, accompagné plus de 300 familles dans leurs démarches et accueilli de nombreux patients en consultation pour répondre à leurs questions sur le sujet, parfois pour expliquer les raisons des rejets de certains dossiers.

Dans cette démarche d’aide aux potentielles victimes des essais nucléaires, en avril 2023, nous avons renforcé notre collaboration avec la mission « aller-vers » du Haut‑Commissariat. D’abord, le CMS complète la partie médicale des dossiers de ses bénéficiaires et la mission « aller-vers » les aide à compléter la partie administrative de ces dossiers Civen. Avec ce mode opératoire, nous avons transmis cinquante-deux dossiers à cette mission du Haut-Commissariat en 2024 et ainsi amélioré l’efficacité de traitement des demandes d’indemnisation pour les bénéficiaires du CMS. Le Haut-Commissariat nous adresse parfois des patients et ayants droit du CMS qui ne nous connaissaient pas. Enfin, nous avons réalisé 573 consultations de soin primaire et téléconsultations à la demande des patients ou dans le cadre de la gestion des résultats des examens complémentaires prescrits.

Je vous propose maintenant de vous faire vivre une visite de suivi médical. Ces visites s’effectuent sur la base du volontariat. À ce sujet, il faut souligner que de nombreux vétérans et habitants des zones exposées aux retombées expriment clairement leur désintérêt pour ce suivi médical, jugeant leur état de santé bon, voire très bon.

Notre service contacte les patients et leur propose un rendez-vous de visite à Papeete, à l’hôpital de Taravao ou dans les îles. Le patient, souvent accompagné d’un membre de sa famille, est accueilli au secrétariat pour ouvrir et mettre à jour son « dossier patient informatisé ». Il bénéficie ensuite d’une prise en charge paramédicale avec recueil des derniers événements médicaux, prise de constantes et un éventuel électrocardiogramme. Il se présente ensuite devant le médecin du CMS qui complète l’enquête sur le mode et les conditions de vie du patient, ses antécédents familiaux et personnels.

Le médecin établit ensuite le point capital sur ses expositions réelles éventuelles aux rayonnements ionisants avec l’étude de son poste de travail à Moruroa, Fangataufa ou Hao, car les métiers étaient exposés ou non exposés directement au nucléaire. Cette partie peut être complétée par l’examen des résultats dosimétriques et spectrométriques s’ils sont présents dans le dossier. Le médecin procède aussi à l’étude de son lieu de naissance et de vie. Nous reportons dans le dossier toutes ses autres pathologies notamment cardio-vasculaires ou un éventuel antécédent de cataracte.

L’examen clinique est orienté vers le dépistage de cancer. Si le patient a pu être exposé avant l’âge de 20 ans, nous réalisons une échographie de la thyroïde de dépistage. Après l’âge de 20 ans, la thyroïde est beaucoup moins sensible et le risque de développer un cancer lié aux rayonnements ionisants est quasiment exclu. Si nous découvrons une autre pathologie, nous initions sa prise en charge puis orientons si nécessaire le patient vers le spécialiste et son médecin traitant.

À la fin de cette visite, le médecin réalise la synthèse des différents facteurs de risque de cancers et propose au patient un dépistage individualisé de cancer au moyen d’examens complémentaires comprenant à la fois les examens prévus annuellement par la convention État-pays mais aussi tous les examens jugés utiles à la santé du patient. En cas de diagnostic de cancer potentiellement radio-induit, le patient est réorienté vers le secrétaire médical ou l’infirmière pour initier les démarches d’indemnisation.

Ce dépistage de cancer individualisé, prévu dans la convention et renforcé il y a un an et demi, en collaboration avec l’ICPF, le Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) et certains praticiens des cliniques privées montre déjà des résultats très encourageants. Nous avons par exemple dépisté par scanner cinq cancers pulmonaires à un stade précoce, augmentant les chances de guérison du patient ; plusieurs nodules pulmonaires suspects ; des polypes du côlon pour lesquels les patients vont maintenant entrer dans un schéma de surveillance par coloscopies rapprochées ; deux myélomes ont été dépistés tôt ; deux cancers du foie ; deux cancers du rein et deux cancers de l’endomètre à un stade précoce.

Dans ce cadre, nous avons prescrit 790 bilans biologiques et 934 examens complémentaires, essentiellement d’imagerie ou d’endoscopie. En 2024, à l’issue de ces visites, 195 patients ont été orientés vers un spécialiste par le CMS, souvent pour des pathologies sans rapport avec leur exposition aux essais nucléaires. Ces différents éléments illustrent bien que nous prenons en charge nos patients dans leur globalité et en excellente entente avec leurs médecins traitants.

Pour répondre à une question souvent posée, toutes ces données médicales issues des visites de suivi, appartiennent aux patients qui peuvent les récupérer à tout moment et leur archivage – dossiers « papiers » et informatisés – est placé sous la responsabilité de la direction de la santé polynésienne et du CMS, et non du service de santé des armées (SSA).

En 2023 et 2024, en plus du travail d’informatisation de nos dossiers médicaux « papiers », nous avons poursuivi notre double projet : l’augmentation de la visibilité du Centre médical de suivi et la poursuite de l’exhaustivité de notre cohorte (139 nouveaux patients en 2023 et 178 en 2024). À cet effet, nous avons ouvert de nouvelles missions dans des îles jamais visitées par le CMS, Rimatara et les communes associées de Fakarava. En 2025, nous envisageons d’aller pour la première fois à Rapa et Makemo. Cette action exige un travail titanesque de préparation et de recensement.

Dans le même objectif, nous avons créé, en janvier 2024, un partenariat avec l’ICPF et participons à des réunions de concertation pluridisciplinaires d’oncologie. Pour proposer le suivi médical gratuit à un nombre croissant d’ayants droit, nous avons relancé des actions de communication et de partenariat avec les associations, notamment d’anciens travailleurs (Tamari Moruroa, le Syndicat de défense des intérêts des retraités actuels et futurs ou Sdiraf, Moruroa et tatou). Nous souhaiterions solliciter l’association 193 cette année. Des actions sont en cours de réalisation avec la cellule de communication de la DSP, à travers des publications de nos missions sur les réseaux sociaux, un projet d’affiches et de nouveaux flyers.

Enfin, nous réalisons parfois des consultations pour des non-ayants droit du CMS, afin de répondre aux questionnements et inquiétudes fortes sur les éventuelles conséquences sanitaires des essais nucléaires. Ces consultations, très fréquentes, sont importantes, car les angoisses, qu’elles soient liées à de réelles pathologies ou à la lecture de certaines informations sont parfois majeures et engendrent un impact sur la vie des patients et de leurs familles.

Ces expériences m’ont transformé. C’est pour cela que je me bats, afin d’améliorer la prise en charge des patients du CMS, mais aussi pour rassurer les Polynésiens. Le risque de développer un cancer en lien avec les essais nucléaires, s’il est théoriquement possible, est très faible pour le domaine des faibles doses et aucun effet héréditaire n’a pour l’instant été mis en évidence chez l’homme par la communauté scientifique internationale, y compris aux doses modérées et fortes chez les descendants d’Hiroshima, Nagasaki et Tchernobyl.

Je conclus en exprimant ici toute ma reconnaissance au peuple polynésien pour l’accueil qu’il m’a offert, dans le secret d’une consultation ou dans la vie, pour les tavana – les maires des communes – qui nous accueillent lors de nos missions, pour les confrères et personnels de la direction de la santé de Polynésie, des dispensaires, de l’ICPF et les spécialistes du CHPF, avec lesquels nous avons tissé des relations de travail exceptionnelles.

Je voudrais également remercier Mme Vernaudon, déléguée au suivi des conséquences des essais nucléaires, et son adjoint M. Tevaearai Ceran-Jerusalemy pour nos excellentes relations de travail. Je remercie bien sûr tous les acteurs du SSA qui nous offrent les moyens de réaliser nos missions et les déplacements dans les îles et qui nous apportent leur renfort en cas de besoin. Je remercie les anciens pour leur aide et leur compagnonnage. Enfin, je souhaiterais remercier ici très chaleureusement Mme Taie-Deane, M. Tavaitai et le docteur Pottier pour leur engagement à mes côtés et pour tous leurs efforts déployés en direction de nos patients.

Mes propos n’ont aucunement l’intention de nier ou de minimiser les expositions ou retombées liées aux essais nucléaires. En tant que médecin, sur le terrain, constatant parfois l’anxiété légitime créée par la crainte de développer un cancer, je tiens encore une fois à rassurer les patients dont nous avons la charge, leurs familles et tous les autres Polynésiens. Pour eux, je suis fier que le CMS propose aujourd’hui un suivi médical innovant et individualisé. Nos patients se sentent considérés et les retours sont très positifs.

M. Emmanuel Pottier, médecin adjoint du Centre médical de suivi des anciens travailleurs civils et militaires du centre d’expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. Je vous remercie de me faire l’honneur de pouvoir m’exprimer devant cette commission d’enquête. Je débuterai si vous le permettez par me présenter brièvement, avant de décrire mes fonctions et mon vécu au sein du centre médical de suivi (CMS). Je suis le médecin en chef Emmanuel Pottier, médecin adjoint du CMS. Médecin militaire, j’ai principalement servi au sein de postes faisant appel à des compétences en hygiène nucléaire et radioprotection. J’ai ainsi exercé comme médecin sous-marinier, puis à l’École des applications militaires de l’énergie atomique (EAMEA) à Cherbourg où j’ai exercé pendant trois ans la fonction de professeur et chef de cours en radioprotection et hygiène nucléaire. Ma carrière m’a ainsi permis d’acquérir des compétences en radioprotection et dans le domaine nucléaire.

J’ai ainsi suivi une formation de médecin sous-marinier, formation complémentaire d’une durée de presque deux ans, qui permet au médecin du bord de prendre en charge, en autonomie, le maximum de situations médicales, notamment le suivi et la prise en charge de personnels exposés aux rayonnements ionisants. Plusieurs mois sont ainsi dédiés à l’hygiène nucléaire, à la radioprotection et à la médecine appliquée aux sous-marins, avec passage à l’EAMEA à Cherbourg, ou encore au service de protection des armées (SPRA) à Clamart. Par ailleurs, mon affectation à l’EAMEA à Cherbourg m’a permis de parfaire ces connaissances, et d’avoir le plaisir de les enseigner. Je dispose également du diplôme universitaire de radioprotection appliquée à la médecine du travail.

Je suis médecin au CMS depuis août 2023. Il s’agit d’un poste passionnant, à la dimension humaine exceptionnelle, qui permet un partage sans égal avec la population polynésienne. Devenu dès lors le taote atomi, ou taote Moruroa, comme on nous appelle ici, j’exerce tout à la fois une médecine de soin et de prévention, au service de la population polynésienne.

Cette médecine comprend le rôle capital de conseil et d’information auprès de nos bénéficiaires, auquel j’apporte une attention toute particulière. Pour y parvenir, le lien de confiance tissé avec nos patients est très précieux et demeure parfois fragile. Je veille donc à rester à l’écoute de leurs attentes, de leur histoire, voire de leurs inquiétudes. Je tiens à souligner combien j’apprécie au quotidien les échanges avec mes patients. Je profite en effet de chaque visite pour écouter leur histoire de vie, leur travail au CEP, ou des faits marquants qu’ils m’exposent spontanément. Ces échanges et ces moments de partage sont précieux et riches d’enseignement. Partout où le CMS se déplace, notre équipe reçoit un accueil exceptionnel et chaleureux. Je tiens à remercier le peuple polynésien pour leur accueil et leur confiance. Comme l’indiquait à l’instant le docteur Pontis, notre équipe s’investit pleinement et sincèrement dans notre service aux anciens travailleurs du CEP et de la population.

Mais l’accomplissement de notre mission, passionnante, demeure néanmoins complexe et ne serait pas possible sans le soutien et la collaboration de nombreux acteurs et personnes, avec lesquels nous avons l’honneur et le plaisir de travailler. Je souhaite ainsi exprimer toute ma reconnaissance à la direction de la santé et ses subdivisions des archipels, pour leur aide à l’organisation des missions et leur investissement sans faille au service de la population ; aux structures de santé locales et aux services des communes avec leurs tavana pleinement investis pour leur population, et pour l’accueil chaleureux dont bénéficient les équipes du CMS.

Je remercie également la direction interarmées du service de santé en Polynésie française, l’ICPF et la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires. Je souligne aussi la qualité de la collaboration avec le CHPF. Je remercie enfin l’équipe « aller-vers » du Haut-Commissariat qui œuvre à nos côtés au quotidien pour aider la population à constituer ses dossiers d’indemnisation.

Permettez-moi maintenant de revenir brièvement sur mes fonctions. En tant que médecin adjoint du CMS, je suis notamment chargé de la veille scientifique et technique. Elle consiste à maintenir à jour nos connaissances scientifiques, mais aussi réglementaires, condition sine qua non pour disposer d’une information de qualité, en accord avec l’état actuel des connaissances. Du fait des missions du CMS, ce travail concerne principalement la radioprotection et les effets biologiques des rayonnements ionisants. Dans ce cadre, j’effectue régulièrement une revue de la bibliographie scientifique, ainsi qu’une veille réglementaire. Je porte ensuite ces éléments à la connaissance de mon collègue et du service.

Je souhaite enfin terminer mon propos en vous exposant une expérience illustrant ma fonction de médecin au CMS et la qualité de nos relations avec la population. En décembre dernier, nous avons effectué avec M. Tavaitai, pour la première fois, une mission au sein des îles de Kauehi et Aratika. Il s’agissait d’aller à la recherche de nouveaux ayants droit, non suivis jusqu’ici. Malheureusement la mission ne s’est pas déroulée comme prévu, car une grève a entraîné la suspension des vols sur l’île d’Aratika. Disposant d’un temps supplémentaire sur place, nous avons décidé de le mettre à profit pour aller au-devant de la population et de proposer, à ceux qui le souhaitaient, conseils et informations. Il s’agissait aussi de répondre à leurs questions ou inquiétudes sur les essais nucléaires et leurs conséquences, ou encore sur les modalités d’indemnisation auprès du Civen. Cette démarche fut assez fructueuse, car nous avons pu voir six familles, soit une quinzaine de personnes, qui dans leur grande majorité, ont exprimé leur satisfaction de pouvoir échanger avec nous sur le sujet, et ont apprécié notre démarche.

J’espère qu’au travers de ces quelques mots, j’ai pu vous transmettre mon attachement à notre mission, ainsi qu’à la chaleureuse population polynésienne. Je suis fier de notre mission et suis heureux d’avoir pu partager mon expérience avec vous aujourd’hui.

M. Narii Tavaitai, secrétaire médical en charge des patients et dossier du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires au Centre Médical de Suivi des anciens travailleurs civils et militaires du centre d’expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. Secrétaire médical en charge de la gestion administrative depuis 2021 du CMS, je suis convaincu que cette commission d’enquête fournira l’occasion d’éclairer le travail vital que nous accomplissons au CMS et de renforcer notre engagement envers la santé et le bien-être de notre patientèle. Avec ma collègue infirmière Wicky Taie-Deane, nous sommes honorés de participer à cette commission d’enquête. Tous deux natifs de Polynésie française, nous avons l’opportunité rare et précieuse de travailler pour l’État sur notre île, ce qui nous permet de servir notre communauté sans avoir à la quitter.

Nous sommes ici pour partager notre quotidien et nos expériences en tant qu’agents de l’État, mais relevant toutefois de l’autorité de la direction de la santé en Polynésie. Notre présence ici aujourd’hui nous fournit également l’occasion de vous partager notre quotidien en tant que professionnels de santé. Grâce à notre poste, nous disposons d’une vision unique et intime des défis rencontrés par nos bénéficiaires, principalement des anciens travailleurs aujourd’hui âgés en moyenne de 69 ans. Le dispositif de suivi médical mis en place depuis 2007 nous permet d’assurer un suivi post-exposition, souvent désigné chez nous par l’expression « visite de travail après le travail ».

Notre connaissance des traditions et de la culture locale nous permet de créer des liens sincères avec nos bénéficiaires. Grâce à la maîtrise de notre langue natale, nous établissons une connexion authentique qui dépasse les barrières linguistiques. Cette approche culturelle sensible renforce notre capacité à offrir un soutien adapté et respectueux. Les histoires de nos bénéficiaires nous touchent profondément et nous rappellent chaque jour l’importance de notre mission. Il est émouvant de voir comment ces anciens travailleurs, souvent confrontés à des défis de santé complexes, trouvent du réconfort et de l’espoir dans notre présence et notre soutien.

La majorité de nos patients partage des souvenirs et des expériences positives lors de leurs témoignages, contrastant souvent avec les récits plus préoccupants que l’on entend au quotidien. Chaque témoignage, qu’il soit positif ou négatif, contribue à dessiner un tableau plus complet et nuancé des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. Notre proximité avec les anciens travailleurs et les habitants des îles avoisinantes nous permet d’accéder à des souvenirs et des réalités qui seraient autrement difficiles à partager.

Depuis plusieurs années, nous nous battons sans relâche pour les accompagner du mieux que nous pouvons, tant sur le plan médical que pour les aider à constituer leurs demandes d’indemnisation. Nos efforts sont souvent freinés par le manque de structures adéquates dans certaines îles, ce qui rend notre mission d’autant plus cruciale. Le suivi médical que nous assurons ne se limite pas à des consultations de routine. Il s’agit d’un véritable accompagnement personnalisé qui prend en compte les spécificités et les besoins de chacun de nos bénéficiaires. Nous nous efforçons de leur offrir un soutien à la fois médical et moral, en leur fournissant des informations claires et accessibles, et en les guidant à travers les démarches administratives souvent complexes liées à leur situation.

Au-delà des soins médicaux, nous cultivons des relations de confiance avec nos bénéficiaires. Nous sommes souvent leur premier point de contact pour exprimer leurs préoccupations et leurs espoirs, et nous faisons de notre mieux pour répondre à leurs besoins avec compassion et respect.

En conclusion, notre engagement auprès des anciens travailleurs et des habitants des îles avoisinantes est une mission de cœur autant que de devoir. Notre travail au CMS va bien au-delà des soins médicaux. Il s’agit d’une mission humaine où chaque interaction est empreinte de respect, de dignité et d’empathie. Nous espérons que notre témoignage apportera un éclairage précieux à cette commission et qu’il contribuera à une meilleure compréhension des défis et des réalités vécus par ceux qui ont été affectés par les essais nucléaires en Polynésie française.

Mme Wicky Taie-Deane, infirmière en charge des patients et dossiers du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires au Centre Médical de Suivi des anciens travailleurs civils et militaires du centre d’expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. Le CMS a la responsabilité d’organiser annuellement le suivi médical des anciens travailleurs des sites nucléaires, ainsi que les populations vivant à proximité de ces sites. Au 31 décembre 2024, nous comptons 3 340 patients répartis sur vingt-quatre îles et atolls. Notre rôle implique également d’accompagner les patients et d’informer leurs ayants droit lors de la constitution de leurs dossiers d’indemnisation.

Toutefois, nos missions se heurtent à plusieurs obstacles, à la fois géographiques, administratifs, médicaux et logistiques. En Polynésie, l’isolement géographique des îles, leur éloignement, et les difficultés d’accès aux services de santé compliquent considérablement le suivi des patients. La mise en place de missions dans les îles, permettant d’aller à la rencontre des personnes concernées, exige une organisation logistique complexe : réservation des billets d’avion, des logements, des moyens de transport locaux, ainsi que la demande de disponibilité des lieux de consultations adaptés aux circonscriptions concernées. Ce travail en amont est indispensable et il représente une charge de travail conséquente.

Un autre aspect fondamental de ces défis réside dans la diversité linguistique. En Polynésie, de nombreuses victimes parlent des dialectes locaux, souvent très différents du français, ce qui entraîne des barrières de communication majeures. Il est donc essentiel d’avoir des traducteurs ou des accompagnateurs pour assurer une prise en charge adéquate et une compréhension claire des démarches. La maîtrise de la langue et de sa diversité permet de tisser un lien. Mon collègue et moi-même pouvons vous témoigner de la nécessité de ce critère primordial, dont nous sommes fiers.

Par ailleurs, l’évolution technologique constitue un autre frein considérable pour certains patients. Nombre d’entre eux, particulièrement les anciens travailleurs, ne maîtrisent pas l’informatique ou l’utilisation des outils numériques modernes. Cette fracture numérique les empêche de suivre les démarches administratives en ligne ou de remplir des formulaires électroniques nécessaires à la constitution de leur dossier. Pour le mener à bien, nous anticipons la difficulté par de multiples appels téléphoniques et des échanges de courriels entre la personne concernée, les agents communaux, le personnel de santé et les forces de l’ordre. Ces barrières technologiques et d’accès à l’information sont souvent ignorées, mais elles ont un impact direct sur la possibilité de nombreuses personnes à faire valoir leurs droits.

C’est dans ce contexte que nous aidons le plus nos bénéficiaires. Lors de la visite médicale durant laquelle j’ai la charge de reporter leurs antécédents et de réaliser une prise de constantes, nous en profitons pour leur fournir toutes les explications et initions leur dossier Civen. Nous transmettons ensuite le dossier à la mission « aller-vers » du Haut-Commissariat. Cette organisation permet de surmonter les obstacles en allant directement à la rencontre des ayants droit, des victimes, là où ils vivent. Cette approche favorise un soutien personnalisé et un meilleur suivi, facilite la constitution des dossiers d’indemnisation et répond à la fois aux enjeux géographiques, linguistiques et technologiques. Je tiens aussi à souligner le soutien indéfectible des personnes travaillant sans relâche dans l’ombre avec efficacité, notamment aux archives de l’hôpital.

En conclusion, j’espère vous avoir fait partager une expérience précieuse et complexe qui illustre les défis considérables rencontrés par les professionnels de santé et les responsables administratifs œuvrant pour le bien-être des anciens travailleurs des sites nucléaires en Polynésie française. Il est possible d’offrir une prise en charge adaptée et de garantir que les victimes reçoivent l’aide nécessaire, jusqu’à la constitution de leurs dossiers d’indemnisation.

Par cet engagement et cet attachement culturel qui nous animent, nous œuvrons pour notre peuple et cette gratification nous est rendue par un sourire que nous traduisons par « merci pour votre aide ». Notre travail est un modèle d’empathie, de résilience et d’adaptation face aux défis uniques que présente cette situation. L’approche humaine et de proximité que nous défendons est essentielle pour garantir le suivi médical de chaque individu et lui permettre de faire valoir ses droits, quelles que soient les contraintes auxquelles il fait face.

M. le président Didier Le Gac. Madame Tematahotoa, pouvez-vous nous présenter brièvement l’Institut du cancer de Polynésie française (ICPF) et nous faire part de votre expérience concernant les pathologies de vos patients et les conséquences des essais nucléaires en Polynésie ?

Mme Teanini Tematahotoa, directrice de l’Institut du cancer de Polynésie française. Médecin gynécologue polynésienne, je possède une formation en colposcopie et en maladies féminines liées au papillomavirus, ainsi qu’un diplôme universitaire en méthode épidémiologique de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) de Bordeaux. Après mes études en métropole à Bordeaux et à Paris, je suis revenue en Polynésie française en 2019. Depuis deux ans, j’ai l’opportunité de diriger l’Institut du cancer de Polynésie française (ICPF).

Créé en juillet 2021, l’ICPF a, selon les termes de l’arrêté portant sa création, pour objectif « d’être un centre référent expert dans le domaine du cancer en Polynésie française, notamment en observant la maladie, en améliorant la prise en charge globale des malades atteints de cancers au plus près de leur domicile, en développant la recherche, l’enseignement et la formation, ainsi qu’en mutualisant les moyens techniques et en coordonnant les acteurs publics et privés impliqués dans la lutte contre le cancer en Polynésie française ». L’ICPF a réellement débuté son activité en 2022.

La volonté d’améliorer la prise en charge du cancer de manière générale en Polynésie française a été établie, car notre dernier registre de 2015 à 2019 a montré une augmentation progressive des cas de cancers avec environ 800 à 900 nouveaux cas par an. Le cancer représente la première cause de mortalité chez la femme polynésienne, la deuxième chez l’homme et il est marqué par un parcours de soins complexe, notamment en raison de l’éloignement des îles. Il était donc nécessaire d’établir une prise en charge spécifique et adaptée au contexte polynésien.

Nous avons aussi la chance de faire partie depuis 2021 du réseau Unicancer, qui regroupe les centres métropolitains de lutte contre le cancer. L’ICPF dispose de vingt-cinq agents regroupés au sein de cinq pôles. Le premier est le registre des cancers, qui était auparavant géré par la direction de la santé jusqu’en 2022 et la création de l’Institut. L’objectif porte ici sur le souci de qualification du registre, une meilleure exhaustivité des données et la participation à des projets de recherche épidémiologique pour guider les politiques de santé publique et aider les professionnels de santé de terrain à obtenir des chiffres fiables, en corrélation avec les constatations issues de leurs pratiques quotidiennes. Nous avons publié un rapport en 2023, accessible sur notre site, regroupant les données de 2015 à 2019. Depuis l’année dernière, nous avons également récupéré les données provenant de la Sécurité sociale, ce qui a permis d’améliorer l’exhaustivité de nos chiffres. Enfin, nous sommes aussi en rapport avec le registre des cancers de Nouvelle-Calédonie.

S’agissant des autres missions, nous sommes également chargés du dépistage des cancers et de leur prévention. Nous travaillons étroitement avec l’Institut national du cancer (Inca) afin de mettre en place la politique publique de dépistage des cancers en Polynésie. Il existe actuellement un dépistage réalisé pour le cancer du sein par mammographie, réalisé tous les deux ans pour les femmes de 50 à 74 ans. Le cancer du sein représente en effet le premier cancer en Polynésie française avec environ 160 nouveaux cas par an, et la première cause de mortalité chez la femme et par cancer en Polynésie. Le deuxième programme de dépistage concerne le cancer du col de l’utérus par frottis, qui est réalisé tous les trois ans chez toutes les femmes de 25 à 65 ans.

Ces deux programmes permettent la prise en charge des examens de dépistage à 100 % et nous menons des campagnes d’amélioration du dépistage puisque seulement 40 % des femmes éligibles sont malheureusement dépistées. Dans le cadre de la prévention, nous avons également mis en place un programme de prise en charge du vaccin contre le papillomavirus humain (HPV), responsable du cancer du col de l’utérus, mais également d’autres cancers HPV induits comme le cancer des voies aériennes digestives, les cancers de l’anus, du pénis, du vagin et de la vulve. Ce vaccin était auparavant accessible, mais il n’était pas pris en charge, induisant un coût pour les familles d’environ 20 000 francs Pacifique, soit 150 euros à 200 euros par dose. Depuis 2024, nous prenons en charge les vaccins pour les garçons et les filles âgées de 11 à 14 ans. Nous avons également mis en place des campagnes de sensibilisation « juin vert », « octobre rose » et « mars bleu » pour le cancer du côlon, « Movember » pour le cancer de la prostate.

Nous mettons évidemment l’accent sur les facteurs de risque de cancer évitables (le tabac, l’alcool, le manque d’activité physique, une mauvaise alimentation) en essayant de responsabiliser chacun sur la prise en charge de sa santé. À terme, nous espérons bien sûr diminuer les cas de cancer dus à ces facteurs de risque évitables.

Les axes d’amélioration sont importants, dans la mesure où le taux de dépistage de 40 % n’est pas suffisant : il faudrait atteint 70 %, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous avons donc mis en place des démarches « d’aller vers » pour aider les femmes à se faire dépister, mais également des actions de sensibilisation dans les entreprises, les églises et les écoles. Enfin, nous avons également établi un contrôle qualité des mammographies. En résumé, il s’agit ici de toutes les missions de santé publique qui étaient auparavant dévolues à la direction de la santé et que nous avons récupérées lors de la création de l’Institut en 2021.

Ensuite, nos missions portent également sur la coordination du soin et l’amélioration du parcours de soins compte tenu des difficultés liées au contexte local. Pour le moment, le centre hospitalier prend de manière quasi exclusive en charge les patients atteints de cancer, quelques-uns étant traités dans le privé. Nous innovons en nous appuyant aussi sur des programmes portés par Unicancer, comme le « patient partenaire » permettant aux patients diagnostiqués de discuter avec d’autres patients et de leur donner des informations, mais aussi en coordonnant les chimiothérapies qui peuvent être prises par voie orale, à domicile.

Nous travaillons également en partenariat avec les acteurs du privé (médecins et cliniques), mais aussi les associations de patients, qui font partie du conseil d’administration de l’ICPF, dans une approche de concertation et de co-construction. Récemment, nous avons également été renfort médical auprès des structures publiques, comme la direction de la santé et le CHPF.

Le dernier pôle est lié à la recherche clinique, qui n’est pas suffisamment développée en Polynésie. Il s’agit ici de faire en sorte que des acteurs locaux puissent porter des projets de recherches cliniques auprès de leurs patients, mais également des projets de recherche épidémiologiques. Nous bénéficions de l’accompagnement d’Unicancer, disposons de deux attachés de recherche clinique et des médecins chercheurs nous rejoignent de manière ponctuelle. Nous sommes actuellement dans une phase de mise en place, de structuration de process et de coordination avec le centre hospitalier. Compte tenu des moyens à notre disposition, il s’agit de mettre en place des petits projets de recherche clinique au centre hospitalier ou dans les structures privées.

Enfin, je souhaite évoquer les conséquences sanitaires des essais nucléaires, qui intéressent spécifiquement votre commission. Je remercie à ce titre l’équipe du CMS pour ce partenariat privilégié mis en place depuis mon arrivée à l’ICPF, mais également le département de suivi des centres d’expérimentation nucléaire (DSCEN).

Cette collaboration permet d’abord de sensibiliser les professionnels de santé sur les maladies radio-induites, l’historique des essais nucléaires en Polynésie et les indemnisations du Civen. Sur les soixante patients atteints de cancers digestifs traités dans le service de gastro-entérologie de l’hôpital qui ont été interrogés, huit ignoraient qu’ils pouvaient demander une telle indemnisation, dont certains étaient des anciens travailleurs de Mururoa. Il est essentiel que l’information soit uniforme, quel que soit le professionnel de santé consulté.

En 2025, nous allons organiser avec le ministère de la santé de Polynésie dirigé par M. Cédric Mercadal un séminaire de formation à destination des professionnels de santé, en collaboration avec le CMS et les équipes médicales du CHPF et de l’ICPF. Nous souhaitons également accompagner tout projet de recherche épidémiologique et clinique sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires et sur les maladies transgénérationnelles. À ce titre, j’ai également échangé plusieurs fois avec M. de Vathaire pour lui confirmer que l’ICPF était en mesure d’apporter son soutien à tout projet de recherche concernant les conséquences sanitaires des essais nucléaires.

Dans le domaine épidémiologique, nous avons publié un rapport du registre des cancers qui porte sur la population globale de la Polynésie française. Il serait intéressant de croiser notre base sur les cancers avérés avec celle du CMS, notamment sur tous les anciens travailleurs de Mururoa ou toute autre personne, afin de conduire une étude épidémiologique ciblée.

Enfin, nous avons publié un article sur notre site internet pour informer le grand public sur les maladies radio-induite et les facteurs de risque de cancer. Cet article a été rédigé en collaboration avec les radiothérapeutes du centre hospitalier, un médecin de médecine nucléaire, avec le CMS et la DSCEN. Dans les campagnes destinées au grand public, nous avons mis l’accent sur les facteurs de risque évitables. Simultanément, nous ne souhaitons pas non plus clore le débat sur toute question pouvant survenir concernant les maladies radio‑induites. À ce titre, un travail me semble nécessaire sur la communication, notamment celle opérée par les professionnels de santé, qui doivent bénéficier en amont de toute l’information nécessaire.

M. le président Didier Le Gac. Je remercie les auditionnés pour leurs propos explicites et exhaustifs. Je laisse tout de suite la parole à Madame la rapporteure pour lancer le débat.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure de la commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, a l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du Centre d'expérimentation du Pacifique en Polynésie française, a la reconnaissance, a la prise en charge et a l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation. Selon les chiffres de la caisse de prévoyance sociale (CPS), le nombre de personnes affectées par une des vingt-trois maladies citées dans le décret associé à la loi Morin approche les 13 000 patients depuis 1984. En revanche, seulement 2 846 dossiers sont déposés au Civen, dont 1 571 par les victimes directes et 1 275 par les ayants-droit. Je souhaiterais connaître votre appréciation à ce sujet.

M. Julien Pontis. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Morin de janvier 2010, le CMS dispose d’une grande expérience dans l’aide à l’élaboration des dossiers de demande d’indemnisation. La différence entre le nombre de malades recensés et le nombre de dépôts de dossiers au Civen n’est pas aisément explicable ; c’est très difficile de répondre à votre question. Néanmoins, aux yeux du CMS, je souligne la difficulté de constituer un dossier Civen en Polynésie. Les démarches demeurent longues et fastidieuses pour les patients et les ayants droit, bien que le CMS les décharge complètement de la partie médicale du dossier et que le Civen ait simplifié les démarches et les pièces à fournir depuis deux ans.

Il faut rappeler que la Polynésie compte une centaine d’îles, compliquant la communication et transmission de l’information. De surcroît, les patients changent très fréquemment de numéro de téléphone, car ils utilisent souvent des cartes prépayées. Ces phénomènes compliquent le recueil et la transmission d’informations, en dépit de l’aide précieuse fournie par le centre hospitalier de Polynésie française (CHPF).

Pour la partie administrative, les Polynésiens éprouvent des difficultés à attester de leur lieu d’habitation durant la période 1966-1998. Nous sommes obligés d’agir au cas par cas sur le terrain, en nous rapprochant des tavana pour essayer de faciliter le plus possible les démarches ou des familles pour chercher avec elles des papiers privés. À titre d’exemple, nous étions dans les îles Gambier en décembre dernier où nous avons expliqué en tête-à-tête les détails aux familles, mais nous n’avons toujours pas de nouvelles de ces dernières, à ce jour. Nous mettons tout en œuvre pour faciliter ces démarches, mais concrètement, la constitution d’un dossier prend plusieurs mois ; on reverse ensuite les dossiers à la mission « aller vers » pour compléter les dossiers mais, pour autant, certains des dossiers de notre base Civen sont toujours en souffrance depuis plus d’un an, voire deux ans !

Mme Wicky Taie-Deane. Je confirme les propos du docteur Pontis. Malgré notre engagement sur le terrain, il est difficile de garder le contact avec les patients une fois que nous quittons l’île. Nous sommes donc en lien avec les agents communaux et les personnels de santé, afin qu’ils puissent aller à la rencontre des patients ; c’est de cette façon qu’on échange et qu’on essaie de faire avancer les dossiers.

M. Julien Pontis. Je précise que le cœur de métier du CMS demeure le suivi médical, même si nous consacrons beaucoup de temps à cette assistance. Je rappelle que nous devrions nous occuper au maximum de 10 000 personnes et que la plupart des 13 000 personnes évoquées ne sont pas des ayants droit du CMS. Une fois encore, la principale problématique porte sur la difficulté de joindre les patients et d’obtenir les pièces.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. C’est important pour nous et pour l’ensemble de la commission d’essayer de comprendre les difficultés associées au montage des dossiers, afin de trouver des solutions pour améliorer la situation. Pouvez-vous évoquer la simplification offerte par le Civen pour le montage des dossiers ?

M. Julien Pontis. La simplification la plus évidente concerne les preuves de domiciliation. Auparavant, cette domiciliation devait être authentifiée par le tavana, avec un justificatif de domicile en bonne et due forme établi par la mairie. Désormais, le Civen autorise les personnes à fournir d’autres types de preuve, notamment sur simple authentification personnelle ou déclaration sur l’honneur d’un témoin. Malgré cette avancée majeure, il demeure difficile d’obtenir ces informations de la part des patients.

M. le président Didier Le Gac. Vous semblerait-il opportun de créer une antenne du Civen en Polynésie, afin d’améliorer le traitement des dossiers ?

M. Julien Pontis. Cette antenne existe déjà finalement, à la suite de la demande adressée au président de la République par la délégation Reko Tika lors de la table ronde organisée en 2021. Le Haut-Commissariat de la Polynésie est doté d’une mission « aller vers » composée de trois agents polynésiens qui se déplacent partout en Polynésie pour aider les personnes à remplir leurs dossiers Civen.

Le CMS doit se charger de ses ayants droit par convention, mais cette mission dispose d’une plus grande marge de manœuvre et peut se consacrer aux 13 000 patients évoqués par Mme la rapporteure.

M. le président Didier Le Gac. Ma question portait plus précisément sur l’existence éventuelle d’une antenne locale du Civen, en charge de l’instruction des dossiers et de la décision associée.

M. Julien Pontis. Je précise qu’une autre facilité est disponible pour les Polynésiens. Une fois que le dossier a été instruit et accepté, les patients bénéficient de médecins experts sur place, ce qui permet d’accélérer la procédure.

Pour en revenir à votre question, l’adjonction de personnels Civen supplémentaires en Polynésie pourrait effectivement être utile. Aujourd’hui, les personnels présents localement sont confrontés à un très important volume de dossiers à instruire. Mais en réalité, l’essentiel consisterait surtout à fournir plus de moyens au Civen pour lui permettre d’instruire plus rapidement les dossiers. Aujourd’hui, le principal frein porte en effet sur les volumes à absorber.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Madame Tematahotoa, le budget de l’ICPF est-il pris en charge par le pays, par l’État, ou par un cofinancement ?

Mme Teanini Tematahotoa. Au préalable, je souhaite apporter une précision concernant votre question précédente. Comme je l’indiquais lors de mon propos liminaire, à l’heure actuelle, tous les patients atteints de cancer ne sont pas forcément informés qu’ils seraient éligibles à une indemnisation du Civen. Il semble essentiel à ce titre de réaliser un important travail de sensibilisation des personnels de santé, afin qu’ils puissent transmettre l’information. Il s’agit là de la conclusion du test pilote effectué dans le service de gastro-entérologie où l’on avait demandé aux patients atteints d’un cancer s’ils étaient au courant qu’ils étaient éligibles à une indemnisation de la part du Civen et s’ils souhaitaient être accompagnés pour remplir un dossier. Ce travail intéressant mériterait d’être élargi et pourrait être porté par l’ICPF, avec des ressources humaines dédiées à la charge de travail supplémentaire induite.

Ensuite, au-delà des missions actuelles de l’ICPF déjà évoquées, je tiens à mentionner ses missions futures, qui concernent la construction du bâtiment et l’activité de soins en chimiothérapie, radiothérapie et le laboratoire d’anatomopathologie. Initialement, l’Institut devait faire l’objet d’un projet de cofinancement État-pays, qui ne s’est pas concrétisé. À l’heure actuelle, l’intégralité du budget de fonctionnement de l’Institut est donc subventionnée par le pays. Une grande partie de celui-ci sert à payer les examens de dépistage, dont les mammographies, les échographies mammaires, les frottis et les vaccins contre le papillomavirus. Nous souhaitons pérenniser, voire augmenter ce financement pour pouvoir accomplir et accroître le champ de nos missions.

Le bâtiment de l’Institut du cancer en cours de construction à côté de l’hôpital est pour le moment financé uniquement par le pays. Le laboratoire d’anatomopathologie pour les analyses des tissus et des diagnostics de cancer ouvrira ses portes d’ici trois mois ; il a été également financé en intégralité par le pays.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Mes autres questions s’adressent spécifiquement aux médecins. Selon vous, la liste des vingt-trois maladies vous semble-t-elle suffisante ? Devrait-elle être enrichie ? Que pensez-vous du seuil d’un millisievert (mSv) retenu ?

M. Florent de Vathaire. La question de l’élargissement de la liste n’est pas simple. Aux États-Unis, la liste des cancers et pathologies est certes plus vaste que la liste française, mais le système n’est pas non plus identique. En France, ce n’est pas un système du tout ou rien ; aux États-Unis, on dispose d’une liste de pathologies à partir de laquelle on peut poser des questions sur la probabilité d’être affecté par l’une d’entre elles. On bâtit alors une procédure de détermination des compensations, qui passe par des examens médicaux et une reconstruction de dose pour estimer la probabilité que la pathologie soit attribuable aux radiations reçues par le demandeur. C’est quelque chose qui est préalable à l’utilisation d’une relation dose / effet établie par des scientifiques, le système français étant totalement différent en se fondant sur des listes de pathologies qui dépendent de facteurs autres que médicaux. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le système a permis le développement d’une approche épidémiologique.

De notre côté, nous avons étudié une cohorte de 10 000 personnes victimes d’un cancer parce qu’elles avaient été irradiées lorsqu’elles étaient enfants. Nous avons reconstitué les traitements et avons établi à partir de logiciel des « fantômes individualisés » pour chaque enfant, pour un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous sommes en train de montrer que la quasi-totalité des pathologies peut être due aux radiations en fonction des doses reçues, qu’il s’agisse de l’épilepsie, des pathologies neurodégénératives, de l’obésité, du diabète… 100 % peuvent être dues aux radiations ; le reste, c’est seulement un problème de dose.

Je pense disposer d’une certaine connaissance des essais nucléaires et de leurs effets. À ce titre, il me semble que la liste actuelle est suffisamment exhaustive. Par ailleurs, nous sommes totalement d’accord avec la publication de Disclose en lien avec le programme de l’Université de Princeton. Celle-ci souligne par exemple la nécessité de réestimer d’un facteur de deux à cinq les doses contenues dans les eaux de pluie prélevée dans une citerne destinée à la consommation des habitants par rapport aux estimations initiales du CEA. Nous parvenons aux mêmes conclusions. Cependant, même avec ces niveaux réestimés, je ne pense pas que des pathologies soient manquantes dans la liste même si mon point de vue peut évidemment être discuté.

M. Julien Pontis. Au début du mois de février, à la demande de la Polynésie, nous avons rendu un travail sur le recensement des pathologies radio-induites à la délégation du suivi des conséquences des essais nucléaires du ministère. Les conclusions de ce travail sont semblables à celles évoquées par M. de Vathaire.

La loi Morin précise dans son article premier que « Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi ».

De mon côté, j’ai retenu les travaux émanant d’organismes indiscutables, l’Unscear et le Comité international de recherche sur le cancer (CIRC). Les listes de ces deux organismes comportent de légères différences, en fonction du niveau de preuve et du niveau de dose. Dans la conclusion de notre travail, nous indiquons qu’il est nécessaire de mener une discussion, de croiser les données de l’Unscear et d’autres organismes internationaux reconnus, mais aussi d’inclure les dernières publications, par exemple celles très récentes concernant le cancer de la prostate chez les descendants des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki, études très importantes concernant les maladies radio-induites.

Lorsqu’il s’agit de liste et d’indemnisation, il est nécessaire de procéder par des discussions, qui doivent intervenir dans le cadre de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) prévue par la loi Morin. Quelle que soit la source (CEA, Disclose, Inserm ou autres études), les rapports de dose et les niveaux de dose sont globalement similaires et peuvent être qualifiés de « faibles ». Dans ce domaine des faibles doses, il existe de nombreuses incertitudes mais, en dépit de ces dernières, le niveau de risque est très faible pour ces maladies. En conclusion, une nouvelle fois, une discussion est nécessaire.

M. Emmanuel Pottier. Je partage les propos du professeur de Vathaire et du docteur Pontis. Pour pouvoir déposer un dossier d’indemnisation, les maladies reconnues doivent être en accord avec les dernières connaissances scientifiques des organismes de référence. Il est très difficile de reconnaître le caractère radio-induit, qui est essentiellement déterminé par la recherche épidémiologique. Au-delà de ces considérations scientifiques primordiales, ces sujets doivent faire l’objectif de négociations au sein de la CCSCEN. Malheureusement, cette commission de suivi ne s’est pas réunie depuis 2021…

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Lors de l’audition qui s’est déroulée hier, il nous a été expliqué que dans l’intérêt national, la Polynésie avait été retenue comme lieu des essais nucléaires, en considérant qu’il s’agissait de la solution la moins mauvaise. M. de Vathaire, considérez-vous que la population polynésienne soit plus sensible qu’une autre aux radiations ?

Ensuite, je remercie les personnes intervenant depuis Papeete, qui ont bien décrit leur charge de travail, leurs préoccupations et les limites auxquelles elles sont confrontées. Les 13 000 malades sont-ils informés de leurs droits ou de la venue de l’équipe du CMS par l’association des maires polynésiens ou par toute autre communication en langue locale ?

Enfin, Madame Tematahotoa, je souhaite m’assurer d’avoir bien compris vos propos. Y a‑t-il bien une progression de 800 à 900 cas de cancer chaque année par rapport à l’année précédente ou est-ce en quelque sorte un « stock » de personnes atteintes ? Enfin, pouvez-vous nous dire si vous avez besoin d’effectifs supplémentaires ?

M. Florent de Vathaire. Il existe effectivement une suspicion quant à l’existence d’une plus grande radiosensibilité de la population polynésienne en raison de certaines caractéristiques génétiques. Deux études sont en cours de réalisation sur ces données génétiques, l’une par l’Institut Pasteur et l’autre par la société américaine Variant Bio. Si ces données sont suffisamment détaillées, nous pourrions les utiliser pour qualifier la radiosensibilité des populations.

Ensuite, je souhaite indiquer que depuis la présidence de M. Moetai Brotherson, j’ai perçu une très nette amélioration des relations qu’il n’y avait pas auparavant. Par exemple, nous attendions depuis très longtemps la publication des données d’incidence de cancer en Polynésie française ; ces données ont désormais été publiées et sont de très bonne qualité. En tant que scientifique, je salue donc les progrès enregistrés par rapport à la situation antérieure.

Mme Teanini Tematahotoa. Je ne dispose pas de l’expertise suffisante pour établir si la population polynésienne est plus sensible sur le plan biologique ou génétique. En revanche, il est indéniable que la prise en charge sanitaire, et en particulier des conséquences sanitaires de certains cancers, est plus difficile ici, compte tenu de l’éloignement de la métropole. Nous ne disposons pas non plus de TEP-scan, nous obligeant à transférer des malades en Nouvelle-Zélande pour procéder à ces examens. En outre, la prise en charge du cancer est effectuée principalement à Tahiti alors que le territoire, grand comme l’Europe, comporte 119 îles. Nous sommes donc confrontés à des défis singuliers, qui compliquent la prise en charge de nos malades atteints de cancer.

Ensuite, pour différentes raisons, notamment sociologiques, les Polynésiens ont un rapport particulier au cancer et peuvent parfois tarder à recourir aux soins. En tahitien, le cancer est appelé Mariri’ai Ta’ata, « la maladie qui mange l’homme », ce qui panique évidemment les personnes affectées. Ces spécificités culturelles rendent plus difficile la prise en charge du cancer ; notre pôle coordination travaille beaucoup sur cet aspect pour pouvoir améliorer le parcours.

L’efficacité d’une campagne grand public concernant les maladies radio-induites peut être réelle mais nous nous posons pas mal de questions à ce sujet car elle peut également parfois induire des effets néfastes. De fait la communication en santé revêt une spécificité notable à laquelle nous devons prêter une attention spécifique. Nous préférons qu’elle soit réalisée par les professionnels, lors d’un échange privilégié avec le patient.

J’insiste également sur l’importance des facteurs de risque modifiables. Nous connaissons un très fort tabagisme, en particulier chez les femmes, induisant de très nombreux cancers du poumon. L’obésité est également un facteur de risque de cancer, notamment des cancers de l’utérus (nous avons le taux de ce type de cancers le plus important au monde). Il ne faut absolument pas nier le facteur de risque lié aux essais nucléaires, mais il importe de ne pas oublier les autres facteurs de risque, en particulier ceux sur lesquels nous pouvons agir.

En outre, nous observons effectivement 800 à 900 nouveaux cas de cancers chaque année (soit une hausse de 5 % à 8 %), répartis de manière assez égale entre les hommes et les femmes. Les chiffres ne sont pas plus élevés qu’en métropole ou que dans d’autres pays d’outre-mer, avec une spécificité notable sur le nombre de cancers de l’utérus comme je l’ai indiqué à l’instant, qui sont plus importants en Polynésie française. Plus globalement, la tendance mondiale est celle d’une augmentation du nombre de cancers et la Polynésie française, pas plus qu’un autre territoire, n’est épargnée.

Enfin, nos missions s’accroissent et je suis ravie d’entendre de la part des professionnels que nous fournissons un service positif et supplémentaire. Je vous signale en outre que nous allons bientôt disposer d’un nouveau bâtiment pour la prise en charge des soins et nous avons toujours besoin d’un TEP-scan en Polynésie. Dans ce cadre, j’aurais besoin d’un plus grand nombre de personnes pour s’occuper du registre des cancers, pour développer et structurer la recherche clinique en Polynésie ; j’aurais également besoin d’infirmières de coordination supplémentaires.

M. Julien Pontis. Je ne m’étendrai pas sur les problématiques de radiosensibilité, dans la mesure où le professeur de Vathaire et le docteur Tematahotoa, bien mieux placés que moi, y ont déjà répondu.

De même que les patients souffrent d’un déficit d’information manifeste concernant leur éligibilité à l’indemnisation du Civen, le CMS demeure également méconnu, alors même qu’il existe depuis 2007. Mme Tematahotoa vous a déjà parlé de la mini-enquête qui s’est déroulée dans le service de gastro-entérologie de l’hôpital ; celle-ci a permis de révéler que certains des malades qui y sont soignés pour le cancer du côlon ou le cancer du foie ne savaient pas qu’ils avaient le droit à un suivi médical gratuit auprès du CMS, alors même qu’il s’agissait d’anciens travailleurs du centre d’expérimentation du Pacifique (CEP).

Je ne peux donc que recommander la diffusion d’une campagne télévisuelle à destination du grand public. Nous avons consacré beaucoup de temps aux réunions avec la cellule communication de la direction de la santé, que je remercie encore pour son implication. Force est de constater malheureusement que les réseaux sociaux ne sont guère utiles pour traiter notre problématique ; si nos passages dans les îles sont effectivement relayés par les réseaux sociaux, cela n’a pas permis pour autant d’accroître significativement la venue de nos patients. L’organisation du séminaire en santé évoquée par Mme Tematahotoa est nécessaire pour que les professionnels de santé relayent l’information.

Comme l’ensemble du système de santé, le CMS manque factuellement de moyens. Nous suivons des patients âgés de plus de 90 ans, mais une partie des travailleurs du CEP sont décédés. Si l’on retire ces travailleurs décédés, nous devrions suivre en principe entre 7 000 et 8 000 personnes. Or ce nombre ne s’établit qu’à 3 340 aujourd’hui ! De plus, nous ne pouvons au mieux réaliser qu’entre 1 000 et 2 000 visites de suivi par an dans la mesure où nous devons consacrer une grande partie de notre temps à l’organisation des missions et au Civen. Il nous faudrait donc pouvoir disposer de moyens plus conséquents.

Cependant, en tant que médecin militaire, je suis obligé de souligner que le service de santé des armées (SSA) est actuellement confronté à d’autres priorités, pour affecter des médecins sur les bateaux ou à l’armée de terre. Dès lors, les moyens supplémentaires ne pourraient pas être affectés par les armées et devraient passer par d’autres canaux.

M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Il y a quelques semaines, deux anciens responsables de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ont publié un article dans les Annales des mines sur l’état des connaissances relatives aux effets des faibles doses lors de l’exposition aux rayonnements ionisants. Dans celui-ci, ils confirment un risque de cancer associé à une exposition à des faibles doses, sans qu’il soit possible de confirmer ou non l’existence d’un seuil de dose à partir duquel ces effets apparaîtraient.

Lors de précédentes auditions de médecins militaires, ceux-ci ont indiqué que le fameux seuil de 1 millisievert (mSv) évoqué dans la loi de 2010 et appliqué par le Civen constituait un seuil de gestion, qu’il avait bien fallu établir dans le cadre de la loi, telle qu’elle a été conçue. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur ce seuil.

Ensuite, nous avons également interrogé une médecin, vice-présidente du Civen, sur la formule de calcul pour la dose efficace engagée, qui provient de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR). Elle nous avait indiqué à cette occasion que cette méthode de calcul était entachée de fortes incertitudes. Monsieur de Vathaire, utilisez-vous cette méthode ?

M. Florent de Vathaire. Effectivement, je pense que la notion de seuil relève de considérations pratiques et de gestion, uniquement ça. Statistiquement, il est très difficile d’établir un seuil, d’établir une relation entre une dose et un risque, compte tenu du nombre d’incertitudes. Lorsque j’ai commencé à étudier les effets des rayonnements ionisants au tout début de l’année 1984, la plupart des oncologues pensaient qu’il existait un seuil, qui était alors établi à 1 Gray, soit 1 000 mSv. Aujourd’hui, nous savons que 1 Gray multiplie par dix le risque de cancer de la thyroïde quelle que soit la population considérée. Ces seuils ont donc progressivement diminué.

Ensuite, il me semble que la médecin auditionnée parlait plutôt des problèmes de pondération pour calculer les doses efficaces, compte tenu des très fortes incertitudes liées aux contaminations internes. Il s’agit donc en réalité de problèmes pratiques de gestion de risque. Notre travail est complètement différent et se fonde sur des modélisations à partir de données sur l’alimentation des malades et sur la radioactivité contenue dans les citernes d’eau en raison des essais. Il s’agit là de dosimétrie, c’est-à-dire de calculs de doses, qui n’ont rien à voir avec la pondération des doses.

M. Maxime Laisney (LFI-NFP). En fait, le Civen applique une formule pour vérifier que les personnes ont reçu une dose efficace et établir une corrélation entre celle-ci et la maladie développée. Que pensez-vous de cette formule, qui n’est donc pas celle que vous avez appliquée dans vos travaux ?

M. Florent de Vathaire. Je ne la connais pas. Je suis désolé, mais je ne peux donc pas vous répondre.

M. Julien Pontis. Le professeur de Vathaire a bien expliqué la problématique du seuil en radioprotection en lien avec les essais. S’agissant de la formule, il faut rappeler que le Civen procède au cas par cas, en partant des doses fournies par le CEA. Ces doses ont été largement débattues à l’occasion la publication du livre Toxique par Disclose. Ces doses ont été recalculées d’une autre manière par l’équipe de l’Inserm. Cependant, dans les trois cas, les doses demeurent dans la gamme des « faibles doses », pour lesquelles des incertitudes demeurent et le risque est très faible.

Malgré tout, le Civen travaille au cas par cas, de manière individualisée, pour chaque dossier instruit et chaque patient. Par exemple, il prend en compte pour chaque cas les dates d’habitation mais également les doses calculées à l’époque par le CEA, mois après mois. Cette précision explique d’ailleurs la longueur de l’instruction pour chaque dossier. Si cette somme dépasse le seuil de 1 millisievert sur douze mois, le patient est indemnisé.

De même, lorsqu’il existe trop d’imprécisions pour un dossier, l’imprécision bénéficie au demandeur. Je pense par exemple au dossier d’un patient né à Bora Bora et qui a travaillé au CEP pendant les essais nucléaires souterrains. Il n’était pas le plus directement exposé à son poste de travail puisqu’il n’y avait pas de retombées atmosphériques, par définition. Mais il occupait un poste de manœuvre, sur lequel a été admis le bénéfice du doute quant à une exposition, très peu probable, mais néanmoins potentielle. Dans ce dossier, figurent huit résultats de spectrométrie et huit ou neuf résultats de dosimétrie, tous négatifs. La médecine du travail a ainsi confirmé qu’il n’avait pas reçu de rayonnement à son poste de travail. Malgré tous ces éléments et bien qu’il n’ait pas vécu à des endroits particulièrement exposés aux plus grosses retombées reconnues, ce patient a été indemnisé !

Cet exemple illustre bien le travail effectué par le CMS pour enquêter sur l’exposition de manière la plus précise possible et proposer aux personnes un dépistage individualisé ou le plus précis possible de leur exposition. En résumé, je peux témoigner que le bénéfice du doute est pris en compte par le Civen, au-delà des pures formules mathématiques.

Je cède la parole à mon collègue, le docteur Pottier, concernant la problématique du seuil de dose.

M. Emmanuel Pottier. Votre question concerne les méthodes de calcul de la dose auxquelles les personnes ont été exposées en raison des essais. La dose efficace globale comprend la part d’exposition externe et la part d’exposition interne. Avant tout, je tiens à souligner le caractère sérieux et fiable des méthodes de calcul et des relevés du CEA, dont la méthodologie a été validée. Les niveaux de faibles doses retenus rejoignent ceux établis par les équipes du professeur de Vathaire.

Avant les essais, il avait été établi un point zéro sur la situation radiologique en Polynésie et sur la population (afin de pouvoir calculer la dose engagée) notamment en ce qui concerne les habitudes d’alimentation, la consommation d’eau, les lieux d’habitation et les actes de la vie quotidienne. Ensuite, pendant toute la période des essais, une surveillance a été réalisée sur le plan radiologique et biologique par deux services mixtes de surveillance radiologique du Centre d’expérimentation du Pacifique et du Commissariat à l’énergie atomique.

Les destinations des doses ont été réalisées grâce à de nombreuses mesures et non sur des projections. Pour la part de doses efficaces dues à l’exposition externe, nous nous fondons sur des mesures physiques à partir des relevés de l’époque. Comme le professeur de Vathaire l’a souligné à juste titre, il est beaucoup plus difficile d’opérer sur les doses engagées, c’est-à-dire les doses dues à la part de contamination liée aux éléments radioactifs ingérés par les populations. Dans ce cas, il s’agit toujours d’une estimation, car il existe toujours de grandes différences selon les individus sur la façon dont ces éléments radioactifs se comportent à l’intérieur du corps humain et le temps qu’il va falloir pour les éliminer.

Je précise cependant qu’en radioprotection, l’usage consiste toujours à majorer les doses et de choisir les valeurs les plus pénalisantes pour maximiser les risques encourus et protéger les travailleurs et les populations. En résumé, quelles que soient les nouvelles études, les doses engagées ne pourront être envisagées qu’à travers une estimation.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour ces détails à l’occasion de cette audition d’une durée particulièrement importante. D’autres questions auraient pu être posées. Par exemple, nous n’avons pas évoqué le lien intergénérationnel des maladies éventuelles. J’aurais également voulu revenir sur la liste des vingt-trois maladies induites. Vous êtes d’accord pour souligner qu’il ne faut pas modifier la liste, mais je signale que nous avons reçu de nombreuses demandes en ce sens émanant à la fois des vétérans ou des associations comme l’association 193 ou Tamari Moruroa.

À ce titre, il serait intéressant d’organiser une confrontation des points de vue ou de poursuivre nos échanges. Mais la commission d’enquête n’a pas achevé ses travaux ; elle poursuivra ses auditions.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition et d’avoir fourni vos éclairages à la commission d’enquête.

 

 

La séance s’achève à 19 heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Albertini, M. Emmanuel Fouquart, M. Maxime Laisney, M. Didier Le Gac, Mme Nadine Lechon, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Sandrine Rousseau

Excusé. - M. Philippe Gosselin