Compte rendu

Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

         Audition, ouverte à la presse, des représentants de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) : Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim, et M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières.              3

         Audition, ouverte à la presse, de Mme George PAU‑LANGEVIN, ancienne ministre des Outre-mer 


Mercredi
30 avril 2025

Séance de 15 h 30

Compte rendu n° 27

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission

 


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Mardi 21 janvier 2025

 

La séance est ouverte à 15 h 30.

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

* * *

 

I. Audition, ouverte à la presse, des représentants de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) : Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim, et M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières

M. le président Didier Le Gac. M. le président Didier Le Gac. Mes chers collègues, je vous souhaite à tous la bienvenue ainsi qu’à nos deux premiers invités, qui représentent aujourd’hui l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

Nous reviendrons sans doute au cours de cette audition sur ce qu’est l’Andra, un dossier documentaire ayant été par ailleurs envoyé à tous les membres de la commission d’enquête, qui comprend plusieurs éléments sur ce point.

J’accueille donc en votre nom tout d’abord Mme Gaëlle Saquet. De formation scientifique (vous êtes une ancienne élève de l’École nationale supérieure des techniques industrielles et des mines de Nantes), vous assurez depuis le mois de décembre dernier les fonctions de directrice générale de l’Andra par intérim.

Vous êtes accompagnée de M. Sébastien Crombez. Également de formation scientifique (vous êtes notamment polytechnicien), vous avez occupé diverses fonctions au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de la région Bourgogne et de la DREAL Bourgogne-Franche-Comté. Depuis près de cinq ans maintenant, vous avez pris la tête de la direction chargée de la sûreté, de l’environnement et de la stratégie filières (DISEF) au sein de l’Andra.

Votre venue à tous les deux nous intéresse, car le nom de votre organisme a parfois été cité au cours de certaines auditions et nous avons également évoqué votre action lorsqu’une délégation de la commission s’est rendue en Polynésie française à la fin du mois de mars dernier.

À ce titre, et ce sera ma première question, pouvez-vous nous indiquer si l’Andra a établi une cartographie complète et actualisée des déchets « océanisés » ou « lagonisés » au large de Moruroa et de Fangataufa ? Par ailleurs, les caractéristiques de ces déchets (contamination éventuelle au plutonium, déchets sans risques, présence de métaux lourds…) ont-elles été établies par vos soins ? Enfin, comment assurez-vous la surveillance de ces déchets et leur stabilité au fil du temps, au fond de l’océan ?

Ma seconde question concerne le principe même de la surveillance de ces deux sites. Bien que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ait estimé qu’une surveillance radiologique des atolls de Moruroa et de Fangataufa n’était plus nécessaire, la France a décidé de maintenir une surveillance, notamment au large de Moruroa (je pense évidemment à ce que l’on appelle la zone « Colette »). Quelles raisons justifient le maintien de cette surveillance aux yeux de l’Andra ?

Avant de vous donner la parole, je vais vous demander de prêter serment. Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Gaëlle Saquet et M. Sébastien Crombez prêtent serment.)

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. L’Andra a été créé en 1991 en tant qu’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) indépendant des producteurs de déchets, par la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Elle existait déjà depuis 1979 mais il ne s’agissait alors que d’une direction du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) côté civil, gérant le centre de stockage de la Manche et menant des recherches pour de nouveaux centres de stockage en réponse aux déchets produits par la filière électronucléaire.

Nos missions actuelles ont été clairement définies par le Parlement et figurent donc dans la loi.

Premièrement, nous établissons, mettons à jour tous les cinq ans et publions l’inventaire national des déchets et matières radioactives présents en France ou destinés à y être stockés, ainsi que leur localisation sur le territoire national. Cet inventaire, basé sur les déclarations des producteurs et détenteurs, fait l’objet d’une importante publication quinquennale, complétée annuellement par la publication des « essentiels de l’inventaire ». Cette mission, instaurée par la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, a été renforcée par la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

Deuxièmement, conformément au plan national prévu à l’article L. 542-1, nous sommes chargés de réaliser ou de faire réaliser des recherches et études sur l’entreposage et le stockage en couches géologiques profondes, ainsi que d’assurer leur coordination. Le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs constitue un outil de planification stratégique sur tous ces sujets, qui cadre, pour les cinq années à venir, les travaux et études commandées aux différentes parties prenantes, dont l’Andra.

Troisièmement, notre mission inclut l’évaluation des coûts liés à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme. Il s’agit du coût du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Cet exercice est régulièrement effectué. La demande d’autorisation de création est en cours d’instruction. Nous devrons mettre prochainement ce coût à jour dans ce cadre.

Quatrièmement, nous sommes également chargés de prévoir, dans le respect des normes de sûreté nucléaire, les spécifications pour les stockages de déchets radioactifs que nous créons. Nous devons donner aux autorités administratives compétentes un avis sur les spécifications pour le conditionnement des déchets qui seraient destinés à nos centres. Cette mission s’effectue sous le contrôle de la toute nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), qui vérifie que nos spécifications sont conformes en matière de sûreté. Toutefois, l’ASNR nous saisit lorsqu’elle doit rendre un avis sur des spécifications de conditionnement des producteurs de déchets.

Cinquièmement, nous avons la mission de concevoir, implanter, réaliser et assurer la gestion des centres de stockage. La loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs spécifiait bien que cette mission était relative aux nouveaux centres, afin de garantir une gestion indépendante des producteurs de déchets. La loi ne confère pas de monopole à l’Andra en la matière. La prise en charge et le stockage des déchets sont des services marchands, financés par les producteurs selon le principe du pollueur-payeur.

Plusieurs centres sont actuellement en exploitation dans l’Aube pour les faibles et moyennes activités ou les très faibles activités. Le projet Cigéo, dédié aux déchets de hautes et moyennes activités, est en cours de développement. Nous assurons également la gestion du centre de stockage de la Manche, en phase de pré-fermeture.

Sixièmement, nous assurons la collecte, le transport et la prise en charge de déchets radioactifs et la remise en état de sites (voire, le cas échéant, la gestion de sites pollués par des substances radioactives) sur demande et aux frais de leurs responsables. Dans ce cadre, nous intervenons pour divers établissements, tels que des hôpitaux, des centres de recherche et des laboratoires médicaux. Sur avis de la Commission nationale des aides dans le domaine radioactif (CNAR), nous intervenons aussi sur des sites pollués, notamment lorsqu’ils sont orphelins, en mobilisant des subventions publiques. Ainsi, nous intervenons sur les sites qui hébergeaient les laboratoires Pierre et Marie Curie. De plus, nous assurons la prise en charge d’objets historiques radioactifs détenus par des particuliers.

Enfin, nous avons deux missions générales de mise à disposition de l’information en matière de déchets radioactifs et de diffusion de nos savoir-faire.

L’Andra, en tant qu’EPIC, répond aux besoins de prise en charge des déchets des producteurs électronucléaires, qui restent responsables de leurs déchets conformément au code de l’environnement. Les producteurs de combustibles usés et de déchets radioactifs sont responsables de ces substances, sans préjudice de la responsabilité de leurs détenteurs.

Le principe pollueur-payeur, adopté par l’OCDE en 1972, étant devenu un principe fort du droit de l’environnement, notre financement provient presque entièrement des utilisateurs des centres existants ou en projet, à savoir EDF, le CEA et Orano. Sur un budget annuel d’environ 300 millions d’euros en 2025, 3 millions d’euros seulement proviennent de subventions publiques.

Je tiens à préciser, pour que les choses soient bien claires, que l’Andra n’est ni une autorité, ni un service instructeur, ni un évaluateur. Nous sommes un opérateur industriel chargé d’une mission d’intérêt général : gérer les déchets qui nous sont confiés dans une logique de protection de l’homme et de l’environnement, tout en informant le public, notamment grâce à l’inventaire national.

Concernant la surveillance et la cartographie des sites en Polynésie française, pour répondre à votre question Monsieur le Président, l’Andra ne dispose pas des missions, des compétences ou des moyens pour les réaliser directement. Néanmoins, nous récoltons des données, incluses dans l’inventaire national, qui comprend un dossier thématique sur les stockages de la défense en Polynésie française. Les sites identifiés et les informations sur les déchets, principalement issues de rapports publics, sont répertoriés. Nous effectuons ce travail pour tous les sites d’immersion de déchets radioactifs connus dans le monde. Il existe 85 000 térabecquerels de déchets océanisés dans le monde, parmi lesquels seulement 0,09 térabecquerel se trouve en Polynésie.

Au regard de nos missions, je ne pourrai donc pas répondre à votre question relative à la surveillance des déchets en Polynésie française, assurée par le CEA, en tant qu’exploitant nucléaire, ou par les évaluateurs et contrôleurs, voire par les associations indépendantes.

M. le président Didier Le Gac. Confirmez-vous que, concernant les sites polynésiens, le CEA vous transmet des données mais vous n’effectuez pas directement leur surveillance ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Effectivement, nous ne surveillons pas directement ces sites. Chaque producteur de déchets doit déclarer ses données, que nous collectons ensuite. Nous réalisons une vérification et des contrôles formels, notamment si nous constatons des anomalies en les comparant à d’autres connaissances ou déclarations, notamment par rapport aux précédentes déclarations, certaines évolutions pouvant alors nous sembler anormales ou dignes d’intérêt. Cette démarche nous permet d’identifier d’éventuelles erreurs ou évolutions. Ces données, une fois traitées, sont intégrées dans nos publications. Il est par ailleurs important de souligner que toutes ces informations sont disponibles en open data, ce qui signifie que chacun peut y accéder librement.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Vous avez mentionné des associations indépendantes qui pourraient intervenir sur les sites de défense. Cependant, nous n’avons pas connaissance de telles interventions. Pourriez-vous nous donner des exemples ? À notre connaissance, les données proviennent exclusivement du CEA.

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Je faisais plutôt référence aux données de surveillance obtenues par le biais de prélèvement d’échantillons. Il me semble avoir lu, dans les comptes rendus de la commission d’enquête, que la Criirad avait effectué de telles opérations sur les sites en question.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Non, la Criirad n’a jamais réalisé d’opération sur ces sites.

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Lorsque nous sommes mentionnés dans les comptes rendus de cette commission d’enquête, c’est bien au titre de l’inventaire national même si cela n’est pas toujours explicitement indiqué. Par exemple, quand le CEA vous informe qu’il déclare les déchets à l’Andra, cela s’inscrit dans le cadre de cet inventaire national. Cette pratique est encadrée, les informations transmises à l’Andra étant précisées par un arrêté ministériel. Ces obligations incombent encore une fois aux producteurs de déchets ou aux gestionnaires des sites. Les informations transmises concernent la description des installations, ainsi que la nature et la quantité des déchets. Comme cela vous l’a été indiqué, ces données sont ensuite accessibles en open data sur le site de l’inventaire national.

Nous avons préparé des extraits des fiches répondant à certaines de vos interrogations, notamment sur les teneurs en radionucléides, la présence éventuelle de plutonium et la nature des déchets.

Concernant la surveillance, nous intégrons quelques éléments, mais l’inventaire n’a pas vocation à traiter de la surveillance et de l’impact environnemental des sites. Néanmoins, dans un souci d’information du public, nous incluons une description succincte des sites, reprenant des éléments d’information publique. Les données présentes dans l’inventaire national ne vont pas au-delà de ce qu’on peut trouver dans les rapports de surveillance publiés par le ministère des Armées. Nous expliquons brièvement le contexte, les conclusions de la mission de l’AIEA et le choix d’effectuer une surveillance. Cependant, il n’y a pas d’obligation, au titre de l’inventaire national, d’aborder la surveillance environnementale. Son rôle se limite à la description des sites et des déchets.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Existe-t-il une différence entre les producteurs de déchets civils et ceux issus de la défense ? Le caractère proliférant des matières radioactives issues de la défense peut-il gêner la transmission de l’information ? Si c’est le cas, jusqu’à quel point ? Votre surveillance est-elle plus stricte pour les producteurs de déchets civils que pour le secteur militaire ?

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Effectivement, la réglementation prévoit une différence d’exigences entre les installations relevant de la défense et les autres. Cependant, cette distinction ne porte pas sur la nature des déchets. Les exigences diffèrent légèrement en ce qui concerne la description de l’installation elle-même, qui est un peu plus sommaire pour la défense. En revanche, les caractéristiques des déchets sont soumises aux mêmes exigences, qu’ils soient issus du secteur de la défense ou du civil, conformément à l’arrêté ministériel.

Notre connaissance est plus approfondie concernant les déchets destinés à nos centres de stockage. Pour les sites qui ne relèvent pas de la responsabilité de l’Andra, comme ceux mentionnés précédemment, notre seule intervention se fait au titre de l’inventaire national. La distinction ne se fait donc pas entre civil et militaire, mais plutôt entre les sites sous notre responsabilité et ceux qui ne le sont pas.

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Il est important de souligner que l’inventaire national n’est pas une pure construction de l’Andra. Un comité de pilotage se réunit régulièrement pour déterminer son évolution et les améliorations à apporter pour une meilleure compréhension par le public. Ce comité de pilotage inclut des acteurs institutionnels, tels que les ministères concernés, l’ASNR, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE 2) ainsi que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). L’Andra, les exploitants nucléaires, des représentants des commissions locales d’information et des associations de la société civile y participent également. Ce comité de pilotage permet de converger vers des éléments d’amélioration qui sont généralement consensuelles.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Concernant les sites d’expérimentation nucléaire français dans le Pacifique, à savoir Moruroa, Fangataufa et la base avancée de Hao, depuis que l’Andra est responsable de l’inventaire national et de l’information au public concernant tous les déchets radioactifs présents sur le territoire français, quelles ont été vos sources d’information ? Vous mentionnez une transmission récurrente d’informations. Pouvez-vous préciser l’origine de ces données ?

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Les données sont déclarées par les responsables des sites concernés. Il s’agit d’un processus déclaratif vers l’Andra, qui les rend publiques. Notre vérification consiste en un examen de cohérence d’une édition à l’autre. Cependant, cela reste un exercice déclaratif, l’obligation première incombant aux responsables des sites.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. La source d’information reste-t-elle la même ?

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Elle est en effet toujours la même.

M. le président Didier Le Gac. Concernant la surveillance radiologique des atolls de Moruroa et Fangataufa, bien que l’AIEA ait estimé qu’une telle surveillance n’était plus nécessaire, la France a décidé de maintenir une surveillance, notamment au large de Moruroa, dans la zone dite Colette. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Je souhaiterais prolonger les questions de notre président. Les risques de prolifération sont-ils les seuls critères justifiant la poursuite de cette surveillance ? Y a-t-il également des risques environnementaux ? Quelles informations vous ont été transmises à ce sujet ? Quelles sont précisément les motivations de cette surveillance des atolls ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra.. Surveiller ces atolls ne relève pas des missions de l’Andra ; par conséquent, je ne suis pas en mesure de juger de la justification de cette surveillance. Les informations qui nous ont été communiquées dans le cadre de l’inventaire national sont purement factuelles. Il est indiqué que la décision a été prise de poursuivre la surveillance et qu’à ce jour, aucun relargage n’a été constaté. Cette surveillance a le mérite de vérifier que les prévisions sont conformes à la réalité.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. La « zone Colette » est identifiée comme dangereuse et interdite. Existe-t-il d’autres zones interdites sur Moruroa ou Fangataufa ? Disposez-vous d’informations détaillées sur le nombre de puits de stockage ou avez-vous simplement une indication générale sur la présence de déchets dans ces zones ? Quel est le niveau de précision de vos données concernant Moruroa, Fangataufa et Hao ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Nous pourrons vous fournir ces documents, afin que vous puissiez apprécier le niveau de détail dont nous disposons. Effectivement, nous avons identifié plusieurs zones, notamment les sites Oscar et Novembre ainsi que l’atoll de Hao, avec le site Hôtel. C’est le type d’informations dont nous disposons. Il est évident que notre niveau de détail est moins précis que celui de la direction des applications militaires (DAM) du CEA ou des autorités militaires. Concernant Fangataufa, je n’ai pas d’information immédiate ; nous devrons vérifier cela.

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Dans les données dont nous disposons, nous avons des fiches pour trois sites (Moruroa, Fangataufa et Hao), qui décrivent la nature et les types de déchets. Par exemple, pour Fangataufa, nous avons une catégorie sur les sédiments du fond du lagon et une autre sur le sous-sol de l’atoll. Ce niveau de granulométrie est cohérent avec les obligations de déclaration, mais ne fournit pas d’informations plus précises sur les sites et les installations. Ces fiches, comprenant les descriptions des sites et les radionucléides présents, sont rendues publiques sur le site de l’inventaire national.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Les informations relatives aux 125 puits de tir dans le sous-sol de Moruroa et aux 2 puits de stockage vous sont-elles communiquées ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Non, ces informations ne nous sont pas communiquées.

M. le président Didier Le Gac. Vous travaillez donc seulement sur des données qui vous sont transmises ; vous n’allez pas chercher par vous-même ce type d’informations ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. C’est cela en effet.

M. le président Didier Le Gac. Dans ce contexte, avez-vous eu connaissance des opérations Turbo ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Nous en avons connaissance au même titre que le grand public. Nous entretenons des relations avec le CEA, en tant que partenaire de recherche et client expérimenté ainsi qu’en tant qu’exploitant nucléaire, mais principalement dans le domaine civil. Nous ne sommes pas impliqués dans leurs activités en Polynésie française.

M. le président Didier Le Gac. Ma question visait précisément à savoir si vous participiez aux opérations Turbo, même à des fins de vérification.

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Non, nous n’y participons pas.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. J’ai bien noté que vous êtes gestionnaire de lieux de stockage et que vous étudiez également un futur site de stockage Cigéo, en cherchant la meilleure approche pour le stockage des déchets à venir.

Avez-vous reçu des informations précises sur les méthodes de stockage ou d’océanisation des déchets radioactifs et du matériel contaminé utilisées sur les sites d’expérimentation nucléaire ? Si c’est le cas, compte tenu des connaissances actuelles, considérez-vous que ces procédés sont toujours satisfaisants pour la protection de l’environnement et des populations locales ? Si ce n’est pas le cas, quelles actions l’Andra envisage-t-elle pour s’assurer que ces déchets et ce matériel contaminé ne constitueront plus jamais une menace pour l’environnement et les populations environnantes ? Enfin, avez-vous envisagé que ces informations pourraient être utiles à vos études passées, présentes et futures ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Cette question est compliquée en raison du temps écoulé et de l’évolution considérable de la réglementation. En effet, les normes se sont nettement renforcées et nos pratiques actuelles diffèrent radicalement de celles d’il y a quarante ans. Par exemple, nous n’immergeons plus de déchets en mer et l’Andra ne cherche pas à créer de stockages océanisés aujourd’hui. Il est difficile d’établir un retour d’expérience, tant les techniques et méthodes ont évolué.

Je peux cependant évoquer le centre de stockage de la Manche, ouvert en 1969 et dont l’Andra a pris la responsabilité en 1979. Initialement, les colis de déchets étaient placés directement sur le sol. À la suite d’un incident de relargage, tout a été modifié. Nous utilisons désormais de véritables systèmes de confinement à plusieurs couches comprenant, selon les besoins, le colis lui-même, une matrice béton et un radier qui peut être en béton ou en géomembrane, en fonction des caractéristiques des déchets. Ces pratiques sont appliquées sur nos centres de stockage et sont bien loin des méthodes initiales qui consistaient à déposer les déchets dans une simple tranchée en pleine terre.

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Nous recherchons des retours d’expérience sur des objets semblables à ceux traités dans nos centres en exploitation.

Concernant l’environnement, il existe des situations héritées de pratiques historiques qui ne relèvent pas de la gestion de l’Andra, avec des centres spécifiquement conçus.

Pour éclairer la commission, tout en soulignant la différence de nature, je peux évoquer des sites situés en France métropolitaine, où des déchets ont été historiquement stockés et qui ne relèvent pas de la responsabilité de l’Andra. Ces sites sont clairement décrits dans le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). L’analyse des scénarios de gestion permet d’étudier les sujets de reprise de déchets ou de poursuite in situ en insistant sur des points tels que la mémoire des sites et leur surveillance. L’analyse se fonde sur des critères. Il n’existe pas de situation particulière concernant les déchets immergés. Le plan national se concentre sur les risques liés à la proximité d’installations existantes ou à la perspective de travaux. Une méthodologie est en cours d’élaboration par un groupe de travail, dirigé par une personnalité indépendante et dont le secrétariat technique est assuré par l’ASNR, afin de définir les critères à prendre en compte dans la prise de décision sur les questions de long terme. Bien que la situation soit différente, cet exemple illustre, sur le plan méthodologique, comment nous abordons la gestion de situations ne correspondant pas aux processus de gestion des déchets dans les filières existantes ou en projet.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. J’ai confondu les termes « océanisation » et « lagonisation », qui, bien qu’élégants phonétiquement, désignent des procédés contestables. Concernant les puits de stockage évoqués précédemment, un système de colisage a été mis en place pour certains éléments, impliquant notamment l’utilisation de béton. Ces puits de stockage, mis en service après la fin des essais atmosphériques vers la fin des années 1970, ont été progressivement remplis jusqu’au début des années 1990. Cette période coïncide avec la reprise du site, mentionné plus tôt, par l’Andra en 1979. C’est pourquoi je m’interrogeais sur d’éventuels échanges d’informations concernant ces techniques contemporaines. Il est important de souligner que ces pratiques ne sont pas si anciennes.

De plus, vous avez évoqué des sites historiques, tels que Moruroa et Fangataufa. Existe-t-il des cas où l’Andra ou d’autres entités ont dû récupérer des déchets ou des colis en raison de menaces ? Cette problématique a-t-elle été envisagée ? Je pense particulièrement aux conséquences du changement climatique. Si un site venait à être menacé par un événement climatique extrême, des mesures sont-elles prévues ?

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Ces questions relèvent des stratégies de gestion en cours d’élaboration. Des actions ont été entreprises pour établir ces évaluations. Actuellement, selon les constats du PNGMDR, la gestion des sites historiques se fait principalement in situ. L’objectif actuel est de réexaminer cette approche. Des études sont en cours, mais elles s’inscrivent dans le cadre des travaux méthodologiques que j’évoquais.

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Concernant le retour d’expérience et les échanges d’informations, nos recherches rapides dans les archives n’ont pas révélé d’éléments spécifiques, hormis les données de l’inventaire national précédemment mentionné. Nous ignorons donc si les équipes du CEA civil et du CEA DAM ont échangé à cette époque.

La technique de stockage en puits, connu internationalement sous le terme de « borehole », figure, me semble-t-il, dans les guides de l’AIEA comme étant une option possible. Cependant, nous ne retenons pas cette solution pour le stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Le principe de réversibilité, crucial pour ce type de déchets, est difficilement compatible avec le concept de « boreholes ».

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Avez-vous eu connaissance de la découverte, il y a environ un mois, d’un réservoir d’avion Vautour dans le lagon de Hao ? Cet appareil avait été utilisé pour effectuer des relevés dans les nuages et panaches radioactifs. Le réservoir est remonté à la surface et serait actuellement dans la zone militaire de Arue, sur l’île de Tahiti. Disposez-vous d’informations à ce sujet, sachant qu’une enquête serait en cours ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Dans le cadre de nos recherches, nous n’avons pas trouvé trace de cet élément. À ma connaissance, cette information n’a pas encore été portée à l’attention de l’Andra.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Lors du démantèlement des sites d’essais en Algérie, quelles mesures ont été prises, à votre connaissance, pour réduire ou écarter le risque de prolifération issu de l’absence de l’armée française sur les sites ? Des démarches préventives ont-elles été mises en place ? Ces deux sites connus figurent-ils dans l’inventaire national, et, si c’est le cas, avec quel niveau de détail ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Notre mission, dans le cadre de l’inventaire national, se limite à la publication de l’inventaire des matières et déchets radioactifs présents en France ou destinés à y être stockés, ainsi que leur localisation sur le territoire national. L’Algérie ne figure donc pas dans cet inventaire.

Concernant le niveau de connaissance de l’Andra, compte tenu de la chronologie évoquée précédemment, nous ne disposons d’aucune information sur le déroulement des opérations sur ces sites, ayant eu lieu entre 1961 et 1966. À cette époque, l’Andra n’existait pas, même au sein du CEA.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Nous savons qui est le producteur de déchets dans ce cas précis.

M. Sébastien Gauthier, chef du secrétariat de la commission d’enquête. En examinant l’inventaire national, j’ai constaté que la situation géographique des déchets n’est pas clairement précisée sur les schémas et cartes fournis. Pourquoi vous limitez-vous à un certain flou ? Par exemple, pour Moruroa, seul un petit onglet figure sur la carte, sans précisions détaillées. Ne serait-il pas pertinent d’indiquer la longitude et la latitude, voire le nom spécifique du site ? Envisagez-vous d’apporter ces précisions à court ou moyen terme ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Je vous remercie, car nous sommes ouverts à toute suggestion d’amélioration. Concernant Moruroa, nous disposons de plusieurs cartes indiquant les sites Novembre et Oscar, ainsi que les profondeurs des zones d’enfouissement. Vous avez raison de souligner l’absence de coordonnées en termes de longitude et latitude.

M. le président Didier Le Gac. Avez-vous des éléments supplémentaires à ajouter pour éclairer nos travaux ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Nous souhaitons vous fournir des exemplaires et des extraits de notre documentation.

M. le président Didier Le Gac. Nous vous remercions pour ces éléments, que nous allons transmettre à la commission. Ces informations sont-elles publiques ?

Mme Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’Andra. Je confirme que toutes ces données sont entièrement publiques et disponibles en open data pour quiconque souhaite effectuer des analyses statistiques.

M. Sébastien Crombez, directeur sûreté, environnement et stratégie filières de l’Andra. Pour accéder à ces informations, il convient de se rendre sur la section « inventaire géographique » du site de l’inventaire national. En sélectionnant « outre-mer », on accède à l’ensemble des sites, y compris les fiches pour Hao, Fangataufa et Moruroa en Polynésie française.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie.

 

 

II. Audition, ouverte à la presse, de Mme George PAU LANGEVIN, ancienne ministre des Outre-mer

M. le président Didier Le Gac. Mes chers collègues, en votre nom, je suis très heureux d’accueillir Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer.

Madame la ministre, soyez la bienvenue ; votre intervention va sans aucun doute nous être très utile puisque, durant votre mandat à la tête du ministère des Outre-mer entre les mois d’avril 2014 et d’août 2016, vous avez eu à vous confronter en quelque sorte aux essais nucléaires en Polynésie française.

Au cours d’un déplacement que vous aviez effectué à Papeete le 12 mars 2015, vous aviez eu des mots forts en évoquant la « dette morale [que notre pays devait avoir envers la Polynésie] puisque la Polynésie a contribué à la grandeur de la France », le président Hollande et le président Macron ayant par la suite repris ce terme de « dette ».

Vous avez également, mais plus tard, cette fois-ci en qualité de députée, très favorablement accueilli la modification que la loi organique du 5 juillet 2019 a apportée à la précédente loi organique de février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, dont l’article 1er reconnaît « la mise à contribution de la Polynésie française pour la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et la défense de la Nation ».

Je souhaiterais, avant que les échanges puissent avoir lieu, vous poser deux questions pour lancer le débat :

– dans un entretien au Journal Polynésie La Première le 12 mars 2015, vous aviez déclaré : « Il faut qu’on revoie la loi Morin, ou la façon dont elle est appliquée », avant d’ajouter : « Nous avons à rouvrir le dossier du nombre de maladies radio-induites ». Pourquoi ne pas avoir effectivement modifié la loi à cette époque ? Et que souhaitiez-vous alors voir modifier dans ce texte ou, pour reprendre vos propres termes, dans son application ? L’insertion du critère du « risque négligeable » par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique est-elle le résultat de ces réflexions ?

– dans ce même entretien, vous aviez indiqué que vous étiez favorable à la création d’un groupe de travail, composé d’élus et de scientifiques, sur le nucléaire. Je vous cite : « Il y a longtemps que la question du nucléaire empoisonne les relations entre l’État central et le pays (…) Il faut que l’on avance. Je porterai cette proposition de faire un groupe de travail auprès du Premier ministre ». Quelles suites ont été données à cette proposition ? Comment a-t-elle été accueillie par le premier ministre et par les diverses parties prenantes ?

Vous le voyez, votre parole est attendue et sera sans aucun doute très profitable à notre commission.

Mais, avant de vous donner la parole, je vais vous demander de prêter serment. Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme George Pau-Langevin prête serment.)

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Durant mon mandat au ministère des Outre-mer, la question des essais nucléaires n’a pas fait partie des sujets pour lesquels j’ai été particulièrement sollicitée, compte tenu des nombreuses crises qui requéraient alors une attention immédiate. Concernant la Polynésie, je n’ai pas eu le sentiment de faire face à des revendications très virulentes sur ce sujet. Nous avons travaillé de manière confiante avec la députée de l’époque, Maina Sage, et le président Édouard Fritch et j’ai eu le sentiment que nous sommes alors parvenus à un équilibre satisfaisant.

La question des essais nucléaires a longtemps été un point de tension entre l’État et les élus polynésiens. Je me souviens que, dans ma jeunesse, la décision du président Chirac de reprendre les essais en 1995 avait suscité à la fois de la surprise et de profonds désaccords. J’ai depuis compris la nécessité de ces essais supplémentaires pour assurer la maîtrise de cet outil utile qu’est l’arme nucléaire.

Aujourd’hui, on peut considérer que la maîtrise de l’arme nucléaire par la France était une nécessité, particulièrement dans le contexte actuel où l’Union européenne fait face à des crises proches de ses frontières et où la protection de notre grand allié pourrait s’avérer moins certaine.

Cependant, il est vrai que cela s’est fait au prix de difficultés pour les Polynésiens. Le choix de la Polynésie pour ces essais s’explique probablement par son éloignement, sa vaste étendue et sa faible densité de population, ainsi que par l’impossibilité de poursuivre les essais dans le Sahara. Ces facteurs ont sans doute conduit à considérer la Polynésie comme l’option la moins dommageable pour la conduite de ces essais.

Les conséquences à moyen et long terme des essais nucléaires demeurent encore incertaines. J’affirme aujourd’hui, comme je l’ai fait par le passé, que la France est redevable aux Polynésiens pour l’acquisition de son arme nucléaire. Il serait de bon aloi de le dire et de trouver un vecteur mémoriel adéquat afin de sensibiliser non seulement les Polynésiens, mais également l’ensemble de la population française, qui semble avoir oublié cet épisode de notre histoire. Je n’ai pas d’idée précise sur la manière dont cela devrait se manifester, mais il s’agit d’une piste à explorer pour notre pays.

Concernant les répercussions négatives, l’impact environnemental reste difficile à évaluer. Les essais nucléaires, mêmes souterrains, auraient semble-t-il provoqué une sorte de glaciation, dont les effets ne seront observables que par nos lointains descendants.

Des personnes ont par ailleurs subi des préjudices physiques directs. Il est impératif d’aboutir à une indemnisation raisonnable pour ces personnes, un domaine dans lequel nous avons fait preuve d’une grande frilosité pendant trop longtemps.

Durant mon mandat de deux ans, nous avons œuvré pour élargir les critères d’indemnisation, réalisant des progrès, bien que peut-être encore insuffisants. Alors que de nombreuses personnes se plaignent des effets des essais nucléaires sur leur santé, je suis particulièrement frappée par le très faible pourcentage de dossiers ayant reçu une suite favorable devant le Civen. J’ignore si sa composition et ses méthodes de travail, notamment l’application d’une dosimétrie mathématique, pourraient être en cause. Si la situation est meilleure aujourd’hui que par le passé, elle n’est pas encore totalement satisfaisante. Compte tenu du vieillissement des victimes, notamment des personnes directement touchées, il serait souhaitable d’adopter une jurisprudence plus souple. Le taux actuel de 2 à 3 % de dossiers retenus est insuffisant.

De plus, le nombre relativement faible de Polynésiens ayant déposé des dossiers suggère la nécessité de sensibiliser les populations à la possibilité de lier leurs problèmes de santé, notamment les cancers, à la période des essais nucléaires, et de les accompagner dans leur dépôt de dossier.

Mes échanges avec les élus m’ont laissé penser que leur priorité n’était pas tant d’obtenir des excuses que d’obtenir une reconnaissance des conséquences néfastes pour les personnes affectées.

Ce dossier reste ouvert et j’ignore s’il sera possible de faire évoluer la situation de manière plus satisfaisante pour les Polynésiens.

Je tiens à préciser que je n’ai pas eu l’occasion de me pencher sur ce dossier depuis plusieurs années, ayant quitté le ministère en 2016 et l’Assemblée nationale en 2020.

En tant qu’adjointe à la Défenseure des droits, je vous informe que je suis par ailleurs tenue à une certaine réserve qui m’empêche d’exprimer librement des opinions politiques. Je m’efforcerai de répondre à vos questions en puisant dans mes souvenirs, tout en restant extrêmement prudente sur l’appréciation des enjeux politiques actuels.

M. le président Didier Le Gac. Je cède la parole à Mme la rapporteure.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Si je ne m’abuse, à la suite des engagements de François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012, vous avez initié une modification de la réglementation relative à l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires, avec un décret en 2014. Pourriez-vous revenir sur sa genèse, les discussions ayant eu lieu à cette époque ainsi que les points de blocage ? En outre, pourriez-vous expliquer pourquoi il n’a pas été possible d’établir des présomptions irréfragables dès lors qu’une personne développait une maladie radio-induite, qu’il s’agisse d’un membre de la population ou d’un travailleur sur site au moment des tirs ?

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. En abordant ce dossier, nous avons dû constater que les espoirs suscités par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français n’avaient pas produit les résultats escomptés. Alors que l’on prévoyait entre 2 000 et 5 000 dossiers indemnisables, 1 000 dossiers seulement ont été déposés. Jusqu’en 2017, seuls environ 84 dossiers ont été acceptés pour la métropole, principalement des militaires, et 11 pour la Polynésie. Le taux de réponses positives, de l’ordre de 1 %, était on ne peut plus décevant.

Face à ce constat, nous avons donc jugé nécessaire d’élargir les conditions de recevabilité. Nous avons ainsi étendu les territoires concernés, pour inclure davantage d’îles, et la liste des maladies prises en compte, tout en veillant à ce qu’elles soient radio-induites.

Concernant l’absence de présomption irréfragable, il faut comprendre que son instauration aurait impliqué que toute maladie possiblement radio-induite survenue en Polynésie à certaines périodes serait automatiquement liée aux essais nucléaires. Cela reviendrait à nier l’existence naturelle de cancers en Polynésie en temps normal, ce qui est inconcevable. C’est pour cette raison que nous avons opté pour un élargissement des critères et un assouplissement de l’analyse des dossiers plutôt que pour une présomption irréfragable.

Nous avons donc entrepris de réformer le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) en 2014-2015 et d’élargir les critères, avec la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique. Le Civen a ainsi réexaminé de nombreux dossiers, ce qui a permis d’augmenter le taux de réponses favorables de 2 % à 8 %. Néanmoins, force est de constater que ce taux demeure extrêmement réduit.

J’ignore si cette situation résulte d’une approche trop prudente du Civen ou de la complexité à établir un lien direct entre les maladies et les essais nucléaires. Bien que nous ayons réalisé des progrès, il semble que nous n’ayons pas encore réussi à prendre en compte de manière satisfaisante tous ceux qui souhaitaient établir un lien entre leur pathologie et les essais nucléaires.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Concernant la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (dite « loi EROM »), la suppression du critère du risque négligeable a effectivement permis d’honorer davantage de demandes d’indemnisation. Cependant, l’introduction du seuil de dose d’un millisievert soulève des contestations, notamment de la part des associations, des Polynésiens et des vétérans. Ce seuil est considéré comme très faible par certains, tandis que d’autres soulignent la difficulté d’établir un lien de causalité entre la maladie et les rayonnements ionisants à faible dose. J’aimerais connaître votre point de vue sur ce seuil introduit ultérieurement dans la loi.

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Bien que la loi soit postérieure à mon départ du ministère, j’ai le sentiment que la suppression de la présomption, censée élargir la prise en compte des victimes, n’a pas eu l’effet escompté. L’application du seuil d’un millisievert semble aujourd’hui restreindre la marge d’appréciation. On s’appuie sur un critère mathématique qui semble objectif mais qui constitue, à mon sens, le principal frein aux indemnisations. Ce seuil est présenté comme la dose en dessous de laquelle une maladie radio-induite serait impossible ; je pense qu’il faudrait réexaminer ce point pour progresser dans l’indemnisation des populations.

M. le président Didier Le Gac. Vous avez évoqué précédemment l’impossibilité d’établir des présomptions irréfragables en raison de l’existence de cancers en Polynésie, indépendamment des essais nucléaires. Cette question est au cœur de nos discussions pour améliorer l’indemnisation des victimes. Je fais souvent un parallèle avec le cas de l’amiante, où l’on a considéré que toute personne ayant travaillé dans certaines entreprises listées par décret entre des dates précises serait indemnisée. On nous rapporte également que certaines victimes elles-mêmes ne souhaitent pas un tel élargissement, craignant une forme de banalisation si l’indemnisation devenait systématique. Avez-vous été confrontée à cet argument à l’époque ? Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Il y a eu effectivement une certaine confusion dans cette loi. Nous avions l’impression d’avoir considérablement élargi les critères, mais, en réalité, les interprétations qui en ont été faites ont conduit à rejeter de nombreuses demandes. La présomption n’est pas irréfragable en théorie, mais la difficulté à apporter la preuve contraire la rend presque irréfragable dans la pratique. Nous pensions avoir atteint un point d’équilibre, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Il y a certainement matière à retravailler cet aspect de la loi.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Notre réflexion actuelle vise à établir un dispositif au plus près de ce qu’il s’est passé. Les données proviennent du CEA et l’approche mathématique ne rend pas nécessairement compte de la réalité humaine. Nous cherchons à élargir les critères tout en maintenant un équilibre acceptable pour l’État et compréhensible pour les populations, ce qui n’est pas le cas actuellement. Que penseriez-vous d’un régime qui, plutôt que d’indemniser une maladie spécifique dont le lien avec les essais nucléaires est difficile à prouver scientifiquement pour les faibles doses, indemniserait la prise de risque elle-même ? Cela permettrait d’éviter les critères toujours plus flexibles, mais constamment contestés.

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Bien que je ne puisse me prononcer avec expertise sur cette proposition, je reconnais que, lorsqu’un système ne fonctionne pas, il peut être judicieux d’envisager le problème sous un angle différent. La référence à l’amiante est intéressante. Nous sommes confrontés à une situation où des personnes souffrent, sont malades, mais ne sont pas indemnisées. Explorer une nouvelle approche, comme celle que vous suggérez, pourrait être une piste intéressante. C’est peut-être à votre commission qu’il reviendra de formuler des propositions en ce sens.

M. le président Didier Le Gac. Comment expliquez-vous la défiance persistante du peuple polynésien envers l’État français depuis trois décennies ? Cette méfiance s’est accentuée à la suite de la publication du livre Toxique, dans lequel vous êtes d’ailleurs citée à plusieurs reprises, notamment concernant votre action pour la suppression du critère du risque négligeable et votre combat à l’Assemblée nationale. Cet ouvrage, qui révèle que des nuages radioactifs se seraient propagés au-delà des zones annoncées, symbolise cette défiance que nous avons encore ressentie en Polynésie et lors de nos auditions. Cette controverse perdure, puisqu’en 2025, à la veille de la commémoration des 30 ans de la fin des essais nucléaires, certains, notamment des médecins, affirment toujours que ces essais n’ont eu aucune conséquence sanitaire. Ces éléments contribuent à la défiance des Polynésiens. Quel regard portez-vous sur ce point ?

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Bien que mes visites en Polynésie aient été limitées en raison de l’éloignement, je n’ai pas ressenti cette animosité ou cette défiance envers la France durant mon mandat. Les élus que j’ai rencontrés, comme Gaston Tong Sang ou Édouard Fritch, avaient une attitude plutôt positive envers la France, tout en souhaitant une compensation pour leur territoire en reconnaissance de sa contribution aux essais nucléaires. Mes interactions avec la population m’ont laissé l’impression d’une attitude plutôt positive. Je comprends que la situation ait pu évoluer et qu’aujourd’hui l’amertume puisse prédominer, mais je n’ai pas perçu cette animosité à l’époque, y compris lors de visites dans les écoles. J’ai au contraire été frappée par la coexistence naturelle de l’identité française et polynésienne, les enfants chantant à la fois La Marseillaise et des chants traditionnels polynésiens. Cette double identité semblait plus harmonieuse que dans d’autres territoires d’outre-mer, comme la Nouvelle-Calédonie. La situation a pu évoluer depuis. Je pense que la reconnaissance du rôle positif joué par la Polynésie pour la France et un travail sur l’aspect mémoriel pourraient contribuer à surmonter cette défiance. Je regrette cette évolution, car elle ne correspond pas à l’impression que j’avais eue dans mes relations avec la population polynésienne.

M. le président Didier Le Gac. Je n’ai pas parlé d’animosité, mais de défiance...

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Pendant votre mandat au Gouvernement ou au Parlement, avez-vous envisagé ou discuté de l’attribution d’un titre de reconnaissance de la Nation (TRN) aux personnels ayant travaillé à Moruroa et/ou ayant été atteints d’une maladie radio-induite ? De nombreux témoignages de vétérans et d’associations font état de demandes et de refus de l’État d’attribuer le TRN aux personnels ayant travaillé à Moruroa.

En outre, quel dispositif de reconnaissance mémorielle avez-vous imaginé ou imaginez-vous aujourd’hui ?

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Je n’ai personnellement pas le souvenir d’avoir été saisie par des associations de vétérans d’une telle demande. Je présume d’ailleurs qu’une telle requête aurait été adressée au ministère de la Défense, plutôt qu’au ministère des Outre-mer.

Néanmoins, cette question me semble importante. Le ministre actuel des Armées pourrait sans doute travailler sur ce sujet, car il comporte une dimension morale et affective qu’il est nécessaire de traiter. L’attribution de ce titre pourrait donc être envisagée.

Nous avions évoqué à l’époque, avec les élus, l’idée d’un mémorial en Polynésie, notamment dans les îles concernées ou à proximité. Cependant, si l’on souhaite sensibiliser l’opinion publique française à cette question, il serait peut-être judicieux d’envisager également une initiative sur le territoire hexagonal, avec l’installation d’une plaque ou d’un monument spécifique dans un lieu dédié aux grandes batailles.

M. le président Didier Le Gac. Vous avez également été ministre de la Réussite éducative. Or, vous avez souligné le besoin profond de reconnaissance des Polynésiens. Cette reconnaissance pourrait-elle passer par un enseignement, non seulement en Polynésie, mais aussi en métropole ? En effet, lorsqu’on évoque la dissuasion nucléaire, on omet souvent de parler des essais nucléaires. Il s’agit d’une page de l’Histoire contemporaine de notre pays, durant laquelle la Polynésie a été mise à contribution pendant 30 ans, fait peu connu du grand public. Quel regard portez-vous sur l’intégration de ce sujet dans les programmes scolaires ?

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Il est effectivement utile que les enfants et les adolescents apprennent davantage sur l’histoire contemporaine à l’école. Cependant, je constate que les enseignants expriment souvent des réticences face à l’ajout de nouveaux contenus, craignant une surcharge des programmes. Néanmoins, je ne vois pas d’objection à aborder ce sujet à l’école.

Pendant longtemps, l’hostilité à l’égard des essais et de la dissuasion nucléaire prévalait. Aujourd’hui, la perception semble avoir évolué. On reconnaît désormais l’intérêt du nucléaire pour l’environnement et, compte tenu de la situation géopolitique en Europe, l’importance de la dissuasion nucléaire. Nous sommes donc dans un contexte différent qui permet d’aborder ces questions plus sereinement qu’il y a 20 ans.

Il faudrait toutefois trouver une approche adaptée pour traiter ce sujet, car il peut susciter des confrontations. Puisqu’il s’agit de notre histoire contemporaine récente, il me semble légitime d’en parler à l’école.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Je tiens à vous informer que le fait nucléaire est déjà enseigné dans une faible mesure en Polynésie. L’idée serait d’étendre cet enseignement à l’ensemble du territoire français, car il s’agit d’une histoire commune entre la France et la Polynésie.

La commission d’enquête aborde également la question de l’accès aux archives. Nous avons constaté des réticences au sein du corps enseignant polynésien à enseigner ce sujet en raison du manque de données. Un professeur d’histoire hésite à enseigner un sujet dont certains aspects demeurent inconnus. Les choses évoluent et c’est un point important à souligner.

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. La question de l’accès aux archives, actuellement classées « secret défense », se pose. Le ministère des Armées pourrait progressivement les rendre accessibles. Ce processus doit être mené avec tact, circonspection et prudence, mais il me semble que cela fait partie des évolutions nécessaires.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour votre témoignage. Nous comprenons que, compte tenu du devoir de réserve lié à votre fonction, vous ne pouvez peut-être pas répondre à toutes les questions.

Je vous ai interrogé sur le groupe de travail que vous souhaitiez créer à l’époque, mais vous n’avez pas vraiment répondu à cette question.

Mme George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Nous avions effectivement évoqué cette idée. Comme vous le savez, une commission présidée par Mme Tetuanui, une femme très énergique qui a accompli beaucoup de choses, a été créée. Après 2017, nous n’avons plus été chargés de ces questions. Peut-être pourriez-vous relancer cette idée, car une composition pluripartisane pourrait sans doute permettre d’aller plus loin.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie.

 

La séance s’achève à 17 h 40.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Didier Le Gac, Mme Mereana Reid Arbelot

Excusés. – M. Yoann Gillet, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Dominique Voynet