Compte rendu
Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation
– Audition, ouverte à la presse, de représentants du CIVEN (comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires) (nouvelle audition) : M. Gilles HERMITTE, Président ; Mme Laurence LEBARON-JACOBS, Vice‑présidente, et Mme Monia NAOUAR, Directrice 3
Mardi
6 mai 2025
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 28
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission
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Mardi 6 mai 2025
La séance est ouverte à 18 h 05.
(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)
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Audition, ouverte à la presse, de représentants du CIVEN (comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires) (nouvelle audition) : M. Gilles HERMITTE, Président ; Mme Laurence LEBARON-JACOBS, Vice-présidente, et Mme Monia NAOUAR, Directrice
M. le président Didier Le Gac. Monsieur le Président, Mesdames, il nous a paru important, alors que nous approchons de la fin de nos travaux, de vous entendre à nouveau, après votre audition du 29 janvier dernier.
Je vous remercie d’être venus une nouvelle fois à notre rencontre et je vous poserai sans attendre trois questions, suscitées notamment par le déplacement qu’une délégation de notre commission d’enquête a effectué en Polynésie française fin mars, déplacement au cours duquel nous avons notamment rencontré le haut-commissaire, Éric Spitz, ainsi que Mme Alexandra Chamoux, responsable de la mission « aller vers » et l’ensemble de son équipe.
En premier lieu, nous avons constaté que la procédure d’établissement et de traitement d’un dossier d’indemnisation était très rudimentaire : tout se fait sur papier, les mêmes documents peuvent être demandés à plusieurs reprises et certains d’entre eux sont demandés alors qu’ils ne semblent pas nécessaires au suivi du dossier… Tout cela nous a fortement interpellés. Pouvez-vous nous indiquer quelle est votre opinion sur ce point et si une réflexion est en cours pour améliorer cette procédure, notamment grâce à la dématérialisation, qui permet de raccourcir les délais et de faciliter le suivi des dossiers ?
En deuxième lieu, Mme Chamoux nous a indiqué que certains dossiers incomplets étaient néanmoins envoyés au Civen. Il semble, du reste, que de tels dossiers ont parfois pu aboutir, permettant au demandeur d’obtenir gain de cause. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche dans ce cas ? Quelle est votre appréciation ? Quels critères faites-vous prévaloir ? Quelle présomption faites-vous alors jouer ?
Enfin, lors de la réunion de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) qui s’est tenue (enfin !) le 1er avril dernier, vous auriez déclaré, Monsieur le Président, que la suppression du seuil du 1 millisievert signifiait pour vous la mort du Civen. Pouvez-vous expliciter votre point de vue ?
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Gilles Hermitte, Mme Laurence Lebaron-Jacobs et Mme Monia Naouar prêtent successivement serment.)
Mme Monia Naouar, directrice du Civen. Tout d’abord, aux termes de l’article 11 du décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014, je rappelle que la demande d’indemnisation se fait par lettre recommandée avec accusé de réception, donc par voie postale. Le Civen accuse réception de ce courrier par voie postale et par voie électronique, pourvu que nous disposions de l’adresse e-mail du demandeur ou de son représentant. Une fois la demande d’indemnisation enregistrée, la procédure, notamment l’envoi de documents, est, pour l’essentiel, dématérialisée. Chacune de nos demandes de pièces complémentaires est justifiée par la nécessité de déterminer les conditions concrètes d’exposition du demandeur ; il n’y a pas d’excès de zèle de notre part.
Comme je vous l’ai indiqué lors de notre première audition, le Civen, qui disposait auparavant d’une page sur le site internet du gouvernement, s’est récemment doté d’un site autonome, dont le développement a fait l’objet d’une réflexion. A notamment été évoquée la possibilité pour le demandeur de créer un espace personnel accessible via ce site internet.
Toutefois, à ce stade, cette proposition n’a pas été retenue, sans pour autant avoir été totalement rejetée. En effet, la création d’une telle plateforme nécessiterait de lier le site internet du Civen à son application métier, qui contient toutes les informations comprises dans le dossier du demandeur, parmi lesquelles figurent des données confidentielles et sensibles telles que des informations d’ordre médical. Il conviendrait donc de protéger ces données en renforçant la sécurité du dispositif. Or une telle opération serait assez longue et coûteuse.
Au demeurant, l’existence d’un site autonome permet d’améliorer l’accessibilité des informations sur le dispositif d’indemnisation. Par ailleurs, nous continuons de recevoir les demandes d’indemnisation ainsi que les documents complémentaires que nous avons sollicités. En outre, nous répondons toujours aux demandeurs – essentiellement par voie électronique, en raison du décalage horaire – dans des délais assez brefs, à savoir dans les soixante-douze heures. J’ajoute qu’une fois son dossier programmé en séance, nous adressons toujours au demandeur, au titre de la procédure contradictoire, les documents que nous avons recueillis.
M. le président Didier Le Gac. Par voie postale ?
Mme Monia Naouar. Par voie postale et, le cas échéant, par voie électronique à son éventuel représentant, notamment lorsque le dossier est volumineux.
M. le président Didier Le Gac. La dématérialisation est donc possible.
Mme Monia Naouar. Elle est déjà pratiquée. Toutefois, pour répondre à l’une des questions qui nous ont été adressées par écrit, il n’existe pas de plateforme numérique sur laquelle la demande d’indemnisation puisse être déposée : le dépôt initial se fait toujours par voie postale.
M. le président Didier Le Gac. Mais par la suite, les échanges se font par voie électronique. C’est bien cela ?
Mme Monia Naouar. Ils se font toujours par courriel, sauf lorsque le demandeur n’est pas représenté ou n’a pas d’adresse e-mail. Les courriers que nous adressons par voie postale aux demandeurs en Polynésie nous reviennent souvent, soit parce que le destinataire ne va pas chercher les recommandés, soit en raison de difficultés de distribution. Je précise que l’ensemble des courriers sont envoyés par lettre recommandée, par lettre simple et par courriel.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Les représentants de la mission « aller vers » nous ont déclaré, lorsque nous les avons rencontrés, qu’il serait pertinent de créer une plateforme. Vous ont-ils également adressé cette demande ? Les associations vous ont-elles indiqué qu’une telle évolution faciliterait grandement les choses ?
Mme Monia Naouar. Lors de la création du site internet, j’ai pris contact, en amont de la réunion de cadrage avec la direction des systèmes d’information (DSI), avec le Haut-Commissariat ainsi qu’avec le Centre médical de suivi (CMS) pour les interroger sur leurs attentes en la matière. Le Haut-Commissariat a alors émis l’idée de créer une plateforme, mais que nous n’avons pas retenue pour les raisons que je vous ai indiquées.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Parmi ces raisons, vous avez mentionné le temps que prendrait la création de cette plateforme. Pourtant, si celle-ci permet de fluidifier le traitement des dossiers, cela n’en vaudrait-il pas la peine ?
Mme Monia Naouar. Pour le Haut-Commissariat, la plateforme aurait pour principal intérêt de permettre au demandeur de connaître en temps réel l’état de son dossier. De fait, nous recevons l’ensemble des pièces par courriel ; ce n’est donc pas leur transmission qui pose problème. Par ailleurs, lorsque les demandeurs ou le Haut-Commissariat s’enquièrent de l’état d’avancement d’un dossier, nous leur répondons systématiquement dans des délais très brefs.
M. le président Didier Le Gac. Mme la rapporteure pourra sans doute faire des préconisations à ce sujet…
M. Gilles Hermitte, président du Civen. J’ajouterai, en guise de synthèse, qu’à ce jour, nous sommes tenus notamment par l’article 11 du décret du 15 septembre 2014, qui a trait aussi bien au début qu’à la fin de la procédure puisque l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception permet de dater la notification de notre décision, qui marque le début du délai de recours. Cependant, nous utilisons autant que faire se peut des moyens de communication dématérialisés avec nos interlocuteurs et nous doublons, voire triplons, les envois, de manière à atteindre le plus rapidement possible les demandeurs ou les organismes qui les accompagnent.
M. le président Didier Le Gac. Qu’en est-il des dossiers qui vous arrivent incomplets ?
Mme Monia Naouar. Nous avons indiqué au Haut-Commissariat et aux associations de victimes qu’ils pouvaient nous adresser un dossier incomplet car le Civen peut, au titre de ses prérogatives de puissance publique, solliciter les documents dont il a besoin auprès de différents services ou organismes et accélérer ainsi la constitution complète du dossier. Quant au sort des dossiers incomplets, tout dépend du type de document manquant. Sur le plan médical, il peut arriver, par exemple, que manque le compte rendu de l’examen anatomopathologique ; dans un tel cas, nous pouvons obtenir d’autres documents équivalents, qui permettent de confirmer la pathologie dont souffre la victime. Je pense en particulier à deux dossiers qui ne comportaient aucun élément médical ; la consultation par notre médecin instructeur du registre des cancers de Polynésie et d’un registre des cancers en métropole a permis de confirmer le diagnostic. Dans l’un des dossiers, la qualité de victime a été reconnue au demandeur ; l’autre est en cours d’instruction.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Quel type de documents le Civen a-t-il plus de facilité à obtenir que le demandeur lui-même, ses ayants droit, le Haut-Commissariat ou les associations de victimes ?
Mme Monia Naouar. Le dossier médical sans aucun doute. Le Haut-Commissariat et le CMS effectuent un travail très important en Polynésie, de sorte que nous savons, lorsque le dossier nous parvient, que toutes les diligences ont été faites. Mais il est arrivé, comme je vous l’ai dit, que le médecin instructeur doive quand même se rapprocher du registre des cancers pour obtenir des informations complémentaires. Outre le dossier médical, nous pouvons obtenir les états de service, le livret médical militaire, bref tous les documents liés à la carrière d’un travailleur du centre d’expérimentation du Pacifique (CEP).
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Est-ce à dire que le travailleur ou le vétéran aurait plus de difficultés que vous à obtenir son propre dossier médical ou ses relevés de carrière ?
Mme Monia Naouar. Non. Il est arrivé qu’un demandeur dispose déjà de ces éléments et que nous n’ayons donc pas besoin de lui adresser une requête complémentaire. Mais la procédure est complexe, les documents demandés sont nombreux, et le demandeur ne sait pas toujours à qui s’adresser pour les obtenir.
M. le président Didier Le Gac. Monsieur le président, lors de la dernière réunion de la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN), vous avez indiqué que si l’on revenait sur le seuil de 1 millisievert, ce serait « la mort du Civen ». Pouvez-vous développer votre propos ?
M. Gilles Hermitte. Les derniers échanges montrent que l’un des rôles du Civen est de faciliter, autant que faire se peut, la constitution des dossiers.
Ce que j’ai indiqué lors de cette réunion, je vais le confirmer devant vous : si le seuil de 1 millisievert était supprimé, il faudrait s’interroger sur le rôle du comité. De fait, nous n’aurions plus la possibilité de renverser la présomption légale puisque, pour ce faire, nous serions obligés, en l’état actuel de la jurisprudence du Conseil d’État, de démontrer que le cancer dont souffre le demandeur est dû exclusivement à une autre cause que l’exposition au rayonnement ionisant, notamment parce qu’il n’a reçu aucun rayonnement de ce type.
Ainsi, même si la dose à laquelle il a été exposé est infime, de l’ordre de 0,0001 millisievert, elle n’est pas nulle, et nous ne pouvons donc pas nous appuyer sur cet élément. Quant à la nécessité de démontrer que la maladie est due exclusivement à une autre cause, je prendrai l’exemple de demandeurs qui sont de gros fumeurs, qui consomment vingt à quarante paquets de cigarettes par an, et qui sont atteints d’un cancer du poumon ; dans un tel cas, nous serions dans l’incapacité d’apporter la preuve que leur maladie a pour cause exclusive leur consommation de tabac.
Le rôle du Civen deviendrait alors celui d’une simple chambre d’enregistrement des dossiers : il vérifierait que la pathologie figure bien sur la liste de celles qui sont reconnues par le comité et que les conditions de lieu et de date, qui ne soulèvent pas de problèmes techniques particuliers, sont bien remplies. La présomption ne pouvant pas être renversée, la reconnaissance de la qualité de victime serait automatique et nous passerions à la phase d’indemnisation, pour laquelle une expertise médicale est habituellement ordonnée, indemnisation dont le montant est déterminé par simple application du barème.
Le collège est composé de neuf membres (huit, à l’heure actuelle) : cinq médecins et trois juristes, dont moi-même. Quel serait son rôle s’il était dans l’impossibilité de renverser la présomption légale, comme ce fut le cas lorsque la loi du 28 février 2017 a supprimé le seuil de 1 millisievert et lorsqu’en 2021, le Conseil constitutionnel a abrogé, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la disposition qui rendait rétroactive l’introduction de ce seuil par la loi du 28 décembre 2018 ? La cinquantaine de dossiers concernés par la QPC a été, pour l’essentiel, reprise par le comité, lequel a constaté qu’il était dans l’incapacité d’apporter la preuve que les maladies dont souffraient les demandeurs étaient dues exclusivement à une autre cause que l’exposition au rayonnement, et il a donc reconnu à ces derniers la qualité de victime.
M. le président Didier Le Gac. Merci pour cette réponse précise.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. J’ai auditionné, en Polynésie, un médecin à qui vous avez fait appel pour des expertises post-décision afin de déterminer les taux d’incapacité des malades reconnus victimes par le Civen. Celui-ci a déclaré que vous ne lui aviez donné aucun barème de référence et qu’il avait donc utilisé ceux qui étaient à sa disposition : le barème de la Sécurité sociale, celui des pensions civiles et militaires de retraite et celui des collectivités locales. Selon lui, à l’issue de ses expertises, les juristes du Civen ont manifesté leur préférence pour le recours au barème de droit commun, utilisé notamment par les assurances.
Confirmez-vous que le Civen préconisait d’utiliser ce barème plutôt que les autres ? Est-ce encore le cas ? Qui, du Civen ou de l’expert, décide du choix du ou des barèmes ? Cette question ne devrait-elle pas être abordée, voire tranchée, au sein de la CCSCEN ?
M. Gilles Hermitte. Je suis étonné par les propos tenus par cet expert, car tous ceux que nous désignons disposent des informations nécessaires au bon accomplissement de leur mission. Je rappelle que le barème du Civen est accessible sur son site internet ou sur la page qui lui est consacrée sur le site du Gouvernement. Ce barème, établi par le Civen en 2020, fait le lien entre la gravité ou l’intensité des différents postes de préjudice et le montant de l’indemnisation qui sera proposée à la victime.
Votre question porte sur une étape antérieure, celle au cours de laquelle l’expert, face à la victime (ou à son dossier, si elle est, hélas, décédée), appréhende la gravité de son état et répond à nos questions ; nous pourrons vous transmettre une mission d’expertise, si vous le souhaitez. Nous avons constaté en effet que tous les médecins experts n’utilisaient pas les mêmes référentiels, par exemple pour quantifier un déficit fonctionnel permanent sur une échelle de 1 à 7. De fait, ce référentiel n’est pas établi par le Civen ; il en existe plusieurs, parmi lesquels figure en effet celui des assurances. Il se trouve que les propositions formulées par un médecin expert s’écartaient très sensiblement de celles des autres experts, qu’ils se trouvent en Polynésie ou en métropole même si, du fait du changement de profil des demandeurs, nous recourons davantage à des experts en Polynésie.
L’enjeu est important. Ainsi, il y a un peu plus de trois ans, nous avons organisé une réunion avec l’ensemble des experts travaillant pour le Civen afin de faire le point sur ces différentes questions. Notre objectif était d’homogénéiser les appréciations des experts à partir des référentiels existants. À ma connaissance, un seul expert utilisait un référentiel différent de ceux qui sont habituellement retenus pour évaluer les conséquences des pathologies concernées. Nous avons eu, à plusieurs reprises, des échanges avec ce médecin, mais il n’a jamais voulu entendre les observations que nous lui avions adressées, notamment après la réception de son prérapport.
Mme Monia Naouar. Les différences d’évaluation ont des conséquences sur l’indemnisation qui ne sont pas toujours comprises par les victimes ou leurs ayants droit. Si on a indiqué à cet expert qu’il était plus judicieux d’utiliser le barème de droit commun, c’était, comme l’a indiqué le président, pour harmoniser la pratique et par souci de cohérence avec le chiffrage réalisé au titre des évaluations des experts.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. C’est donc bien le barème de droit commun qui est appliqué ? On nous a dit que le barème de droit commun utilisé par les assurances était beaucoup moins-disant pour le demandeur. Avez-vous demandé à d’autres experts figurant sur votre liste d’effectuer des contre-expertises ? Monsieur le président, est-ce le Civen, seul, qui établit la liste des experts ? Est-il possible que le demandeur participe au choix d’un expert ?
M. Gilles Hermitte. Comme le prévoient la loi et le décret, c’est au Civen qu’il appartient de nommer l’expert. Nous n’avons pas de liste à proprement parler ; nous travaillons avec un certain nombre de médecins. Au cours des quatre dernières années, nous avons reconstitué une équipe d’experts en Polynésie, ce qui a permis d’éviter ce qui se faisait auparavant, à savoir l’envoi de trois ou quatre médecins experts métropolitains, qui restaient en Polynésie deux à trois semaines, le temps de rencontrer toutes les victimes, avant de rédiger leur rapport. Aujourd’hui, les choses se font de façon beaucoup plus fluide, au fur et à mesure des reconnaissances de la qualité de victime. Les médecins auxquels nous faisons appel sont installés en Polynésie.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Les textes prévoient-ils également que le Civen établisse le barème ?
M. Gilles Hermitte. Le Civen adopte son barème par délibération. Ce document définit, à partir d’un chiffre compris entre 1 et 7, le montant de l’indemnité que nous pouvons proposer. S’agissant, par exemple, des souffrances, la fourchette se situe entre 600 et 1 000 euros pour un niveau de 1 sur 7 et entre 50 000 et 80 000 euros pour un niveau de 7.
Ce dont vous parlez ne concerne pas, me semble-t-il, le barème. En effet, les experts n’ont pas nécessairement à utiliser le barème en tant que tel. On n’attend pas d’eux qu’ils déterminent le montant chiffré de l’indemnité mais qu’ils procèdent à une évaluation de la gravité de l’état de la personne. Les experts utilisent des référentiels (il en existe plusieurs) qu’ils appliquent de manière habituelle. Je ne suis pas certain que le barème des assurances soit utilisé de manière préférentielle, comme vous l’avez indiqué, à l’occasion de l’expertise proprement dite : nous allons vérifier ce point et nous vous apporterons la réponse très rapidement.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. C’est ce qui m’a été rapporté lors d’une audition. L’expert dont j’ai parlé avait recours aux référentiels (qui déterminent le taux d’incapacité des personnes) de la Sécurité sociale, des pensions civiles et militaires de retraite et des collectivités locales. C’est ce à quoi je faisais référence.
M. Gilles Hermitte. Le médecin expert auquel je faisais allusion aboutissait à des évaluations très sensiblement supérieures à celles de tous les autres médecins experts que nous faisions intervenir. Il incombe au Civen d’éviter des écarts trop importants ; aussi, à deux reprises, au moins, nous n’avons pas validé son rapport d’expertise et avons demandé à un nouveau médecin de reprendre l’expertise. L’expert en question avait chiffré les indemnités à un montant deux à trois fois supérieur à celui fixé par les autres médecins, pour une même pathologie et un état d’une gravité sensiblement identique.
Mme Monia Naouar. La victime ou l’ayant droit peut être assisté de toute personne lors de l’expertise médicale. Un médecin-conseil peut se trouver à ses côtés, même si ce cas est rare ; il s’agit, généralement, d’un proche, du représentant d’une association ou d’un avocat.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. La victime ne peut pas choisir elle-même son expert à partir de votre liste ? Vous établissez seuls la liste ? Vous décidez que tel dossier sera traité par tel expert ?
Mme Monia Naouar. Oui. Nous désignons un expert en fonction du lieu d’habitation de la personne. En Polynésie française, nous n’avions pas beaucoup d’experts jusqu’à récemment. Nous avons développé le réseau. Nous travaillons actuellement avec trois ou quatre médecins, que nous missionnons en fonction de leurs disponibilités et de leur charge de travail. En métropole, cela dépend surtout du lieu d’habitation de la personne : en certains endroits, nous n’avons aucun expert ; nous sommes parfois obligés de demander à un expert de se déplacer au domicile de la personne. Dans tous les cas, nous prenons en charge les frais de déplacement et l’expertise médicale.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Ces experts, notamment ceux qui se trouvent en Polynésie, parlent-ils le reo Tahiti ou sont-ils assistés d’un traducteur ? Le cas échéant, ce dernier a-t-il une compétence médicale ? En cas de contradiction entre experts, peut-on procéder à une troisième expertise ? Comment décidez-vous de réaliser une contre-expertise ?
Mme Monia Naouar. La contre-expertise médicale est décidée, en séance du Comité, par les membres du collège. Les experts ne sont pas assistés d’un traducteur. J’ignore s’ils parlent le tahitien. L’un d’eux est établi depuis plus d’une trentaine d’années en Polynésie française, mais je ne sais pas quel est son degré de connaissance de la langue. En tout état de cause, ce n’est pas un critère de sélection des experts.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Il est donc possible qu’un expert ausculte et interroge une personne qui souffre sans parler sa langue ? Est-il venu à l’idée du Civen de se pencher sur cette question et de prévoir au moins la présence d’un traducteur qui travaille dans le domaine médical ? J’ai le souvenir d’une vieille dame qui souffrait d’un cancer et se faisait ausculter sans pouvoir exprimer ce qu’elle ressentait puisqu’elle ne parlait pas le français.
M. Gilles Hermitte. Je voudrais apporter quelques précisions complémentaires sur ce point. D’abord, les rapports d’expertise comportent toujours un compte rendu des échanges qui ont eu lieu entre la victime et l’expert. Ensuite, la victime peut se faire accompagner par qui elle le souhaite. À la lecture du rapport d’expertise, nous constatons qu’elle utilise souvent cette faculté. Enfin, lorsque le rapport est quasiment achevé, l’expert en envoie un exemplaire à la victime, à son représentant et au Civen. Il appartient à l’expert de prendre en considération les observations qui peuvent alors être formulées. Au cours des quatre dernières années, nous n’avons pas perçu de situations dans lesquelles l’échange entre la victime et l’expert paraissait présenter une difficulté qui aurait nécessité que le Civen s’en empare.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Lors de l’audition de la mission « aller vers » et d’après le témoignage de personnes qui avaient déposé un dossier auprès de celle-ci, il est apparu clairement qu’un gros effort était porté sur la langue (de fait, les agents de la mission la parlent). Vous paraît-il possible que les victimes soient accompagnées de l’un de ces agents, quitte à ce que l’on étoffe la mission ? En effet, maintenant que cette dernière a accompli cet effort linguistique, peut-être que des gens qui, auparavant, n’osaient pas le faire, déposeront un dossier... Vous serez donc peut-être davantage confrontés au problème de la langue. Ils ne doivent pas être empêchés d’exprimer ce qu’ils ressentent : c’est tout l’enjeu de l’expertise.
M. Gilles Hermitte. Les auteurs de la loi et du décret ont anticipé cette difficulté en prévoyant que la victime peut se faire accompagner de la personne de son choix. Cette disposition pourrait se heurter au secret médical, mais ce dernier peut être levé par la victime elle-même. La victime peut être accompagnée d’une personne en qui elle a confiance, laquelle est par ailleurs susceptible de l’aider pour communiquer avec le médecin. Tout cela est prévu par les textes et pleinement appliqué.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Lorsqu’il étudie un dossier, le Civen calcule bien la dose reçue par l’individu malade ?... Je vois que vous opinez du chef... Cette dose, attribuée à un individu, vous permet de statuer : soit vous faites droit à sa demande d’indemnisation, en reconnaissant sa qualité de victime, soit vous la rejetez purement et simplement. Pourquoi le Civen refuse-t-il toujours de communiquer la dose reçue à la personne, qu’elle soit ou non déclarée victime, alors qu’il transmet cette information au tribunal administratif et aux avocats, si le dossier va au contentieux ? Qu’est-ce qui vous empêche de la communiquer au premier concerné, qui en est, en quelque sorte, « propriétaire », ou à ses ayants droit ?
M. Gilles Hermitte. Rien, d’un point de vue juridique. Cela étant, la demande que nous avait adressée l’association 193 nous aurait conduits à transmettre une décision comportant, selon les cas, entre 200 et 300 pages d’annexes et faisant apparaître les tableaux correspondant aux doses efficaces engagées sur une période de douze mois consécutifs. Ainsi, pour une personne née dans les années 1950 et ayant vécu jusqu’en 1998 en Polynésie française, il aurait fallu joindre à la décision un peu plus de 300 tableaux correspondant à la succession des périodes de douze mois glissants entre 1966 et 1998.
Le collège du Civen, après en avoir délibéré, a refusé de faire droit à la demande. Nous avons estimé que la transmission de ces informations n’était pas souhaitable car elle n’aurait rien apporté de clair et de précis au demandeur. Depuis l’audition du 29 janvier, nous avons évidemment rediscuté de la question (nous avons même évoqué le sujet au cours de l’une de nos dernières réunions). Étant donné que rien n’y fait obstacle, nous allons nous prononcer à nouveau sur la question de savoir si, dans nos décisions, nous ne pourrions pas mentionner la dose efficace engagée que nous avons retenue. Cela concernerait l’ensemble des demandeurs, que l’on ait ou non retenu leur qualité de victime. Le cas échéant, la décision mentionnerait la dose efficace engagée maximale constatée sur une période donnée et non les dizaines ou centaines de doses correspondant à chaque période de douze mois glissants.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Je parlais de la dose reçue et non des multiples tableaux auxquels vous faites référence. Quand bien même leur communication représenterait une contrainte, il s’agit là tout de même d’informations qui appartiennent (même si le mot est peut-être un peu fort) à l’individu, puisque les calculs sont établis à partir de son dossier. Je rappelle que les gens ne disposaient pas de dosimètres individuels. Peut-on considérer que vous vous engagez à communiquer la dose reçue à chaque fois que vous étudiez un dossier ?
M. Gilles Hermitte. À ce stade, je peux seulement m’engager à ce que le collège du Civen réexamine la question et que nous puissions envisager cette possibilité lors des discussions.
M. le président Didier Le Gac. Madame la rapporteure, j’imagine que vous rappellerez cette nécessité dans votre rapport.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Oui, bien sûr. C’est important pour les associations.
M. Gilles Hermitte. Nous pourrons vous apporter la réponse avant la fin de la rédaction de votre rapport.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Selon une publication de janvier 2025, intitulée « Effets sur la santé humaine des faibles doses de rayonnements ionisants : un bref état des connaissances issues des études épidémiologiques », « les conclusions de consortiums internationaux soulignent l’absence probable d’un seuil de dose en dessous duquel il n’y aurait aucun risque de cancer ». Peut-on dire que chaque décision du Civen est entachée de doute ? Chacune d’elles, en effet, se fonde sur des données discutables, parce qu’elles ne proviennent que d’une seule source : l’opérateur des tirs atomiques. Par ailleurs, ces données sont partielles puisque, bien souvent, faute de dosimètre individuel, on a utilisé des dosimètres d’ambiance ; en outre, on n’a pas pris en compte certains facteurs de contamination interne, comme l’eau de pluie potentiellement ingérée par les individus. De surcroît, les calculs se fondent sur des modèles mathématiques : on entre les données partielles dans le modèle, qui produit des résultats que vous exploitez.
Tout cela contribue à créer de l’incertitude. On peut dresser un parallèle avec les prévisions météorologiques, qui reposent également sur des modèles mathématiques. L’incertitude croît à mesure que l’on affine l’analyse. À titre d’exemple, si l’on souhaite connaître la température à Paris demain après-midi, les services météo vont nous indiquer la température moyenne prévue. Si l’on souhaite avoir connaissance de la température dans la cour d’honneur de l’Assemblée nationale demain à 14 heures 37, il sera beaucoup plus compliqué de tomber juste : le météorologue nous indiquera alors une fourchette. Plus on cherche à faire preuve de finesse (comme c’est le cas lorsqu’on s’efforce de mesurer une faible dose), plus l’incertitude grandit. Expliquez-nous comment vous pouvez indiquer une dose précise reçue, de l’ordre du dixième de millisievert, sans incertitude, ou plutôt avec certitude ?
M. Gilles Hermitte. Je commencerai par rappeler que le 1 millisievert constitue la dose en deçà de laquelle il est aujourd’hui établi qu’il n’y a pas de risque pour la santé des personnes. C’est la raison pour laquelle l’article R. 1333-11 du code de la santé publique retient ce seuil pour la population en général, comme étant le niveau de protection maximal devant lui être apporté. C’est un seuil extrêmement bas. Des études sont menées depuis de nombreuses années sur les causes des pathologies sur lesquelles nous travaillons et sur le niveau d’exposition susceptible de les provoquer. Elles établissent que ce niveau s’élève, environ, à 100 millisieverts ou plus, soit 100 fois plus que le seuil retenu.
Les incertitudes auxquelles vous faites allusion, nous les connaissons. Nous utilisons les données du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), publiées dans un rapport de 2006, qui proviennent des mesures relevées sur site, pendant toute la période des essais nucléaires, à partir de 1966 (elles continuent d’ailleurs d’être faites en plusieurs endroits). À partir de ces relevés et des prélèvements, des calculs ont été réalisés pour établir la dose efficace dite engagée, celle que nous retenons pour savoir si nous pouvons ou non renverser la présomption légale de causalité. Ces calculs intègrent deux éléments : l’exposition externe et la contamination interne, par le biais de la consommation d’eau, par exemple, étant donné l’implantation des réservoirs pendant la période des essais atmosphériques. Ils tiennent compte également de l’âge, en fonction duquel la consommation d’aliments varie.
C’est ainsi que le CEA, les auteurs de Toxique, l’ancien IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) parviennent à déterminer, pour un âge donné et à une période donnée, une dose efficace engagée chiffrée. Certes, il y a des incertitudes, qui sont consubstantielles à la recherche. Mais les auteurs des sources que nous utilisons font des choix pour définir ces doses de manière précise.
Le critère du 1 millisievert est si bas que si nous intégrions une donnée supplémentaire d’incertitude, nous ne pourrions plus travailler (0,80 équivaut-il à 1, en réalité, ou 1 à 0,70 ?). C’est la raison pour laquelle, depuis la fixation du seuil de 1 millisievert, le Civen recourt à ces doses efficaces engagées. Il n’est d’ailleurs pas démontré qu’il y ait un risque réel de développer une pathologie à ce niveau d’exposition ni même au-dessus.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Il n’y a pas de risque réel mais il n’y a pas de risque nul non plus…
Vous dites que prendre en compte le principe d’incertitude ôterait tout son sens à votre travail. Pourtant, ces incertitudes existent puisqu’il ne s’agit que de statistiques et de probabilités appliquées à des faits passés. Le seuil de 1 millisievert serait très bas ; mais c’est un seuil de radioprotection a priori, pour protéger les gens qui peuvent être exposés. Par exemple, on prendra garde qu’un patient qui fait souvent des examens radiologiques ne dépasse pas une certaine limite pour réduire son risque de développer une maladie radio-induite. Or, dans le cas des essais nucléaires, on applique ce seuil à des situations qui se sont passées en 1974 pour ne considérer que l’année de Centaure. Vous appliquez des données issues d’une source unique à des individus qui, à l’époque, ne portaient pas de dosimètre. Vous dites que si vous appliquiez ce principe d’incertitude, vous n’auriez plus de raison d’être. Est-ce pour préserver votre raison d’être qu’il a fallu déterminer une dose efficace engagée ?
M. Gilles Hermitte. Une petite précision : les résultats du CEA ont été validés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)…
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Le calcul a été validé !
M. Gilles Hermitte. La méthodologie l’a été.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Pas les données !
M. Gilles Hermitte. C’est peut-être un peu plus compliqué que cela.
L’AIEA était en possession d’une partie des données. Les experts se sont aussi prononcés sur ce point, même si, pour l’essentiel, c’est la méthodologie qui a été validée. Dans son rapport de 2010, l’Agence et les experts de renommée internationale qu’elle avait commis ont constaté qu’à chaque fois qu’il y avait un choix à faire, c’est l’hypothèse majorante, c’est-à-dire celle qui consistait à prendre la dose efficace engagée la plus élevée, qui avait été retenue. L’introduction du rapport le dit clairement.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Il dit clairement aussi qu’ils ne peuvent pas confirmer toutes les données, dans la mesure où ils n’étaient pas sur place. Le CEA est bien la seule source.
M. Gilles Hermitte. Il a envoyé chaque année l’ensemble des données à l’Unscear (comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants), dès le début des essais atomiques.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Si un régime d’indemnisation des conséquences des essais nucléaires ne cherchait pas à déterminer si un individu souffrant d’une maladie potentiellement radio-induite tire la cause de cette dernière des effets des essais nucléaires mais visait à indemniser le risque pris sur la Polynésie, choisie comme territoire accueillant les explosions, les malades remplissant les critères de lieu, de temps et d’incidence pourraient faire l’objet d’une prise en charge spécifique des frais associés à leur pathologie en vertu du principe de l’indemnisation du risque lui-même. Le Civen pourrait-il avoir une place dans ce nouveau régime et, le cas échéant, sous quelle forme ?
M. Gilles Hermitte. Nous avons pris connaissance de cette question, ainsi que des autres, auxquelles nous répondrons par écrit. Il est difficile de percevoir quel serait le nouveau dispositif. J’entends ce que vous dites. Il existe, en matière de conséquences des essais nucléaires, un régime juridique qui repose sur le risque. Il concerne les contentieux existants entre l’État et certains de ses employés associés aux expérimentations ou des jeunes hommes qui effectuaient leur service national en Polynésie en relation avec les essais nucléaires. Dans ces cas, l’État peut voir sa responsabilité engagée sans faute pour le risque qu’il a fait courir à ses employés. Des décisions récentes de la juridiction administrative valident ce régime.
Élargir le dispositif, tel que vous le suggérez, reviendrait à réintroduire la notion de risque négligeable, qui prendrait peut-être un autre nom. Or ce principe semble un peu en décalage par rapport aux très faibles doses d’exposition. Un tel élargissement conduirait à indemniser toutes les personnes séjournant en Polynésie ou qui ont pu y séjourner entre 1966 et 1998, en considérant qu’elles ont pu être exposées à un risque résultant de ces essais nucléaires et, partant, à retirer son rôle au Civen. Si nous abordons les choses sous cet angle, je ne vois pas bien comment faire la part entre ceux qui auraient été exposés à ce risque et ceux qui ne l’auraient pas été. Cela reviendrait à considérer que tous les Polynésiens et toutes les personnes qui ont pu séjourner en Polynésie et qui ont malheureusement développé l’un des vingt-trois cancers de la liste annexée au décret du 15 septembre 2014 auraient droit à une indemnité, outre la prise en charge de leurs frais médicaux. Le seuil de 1 millisievert serait caduc et le rôle du Civen pas très clair.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Si certaines personnes connaissent précisément le Civen, d’autres n’en ont qu’une idée vague. Pour nos interlocuteurs polynésiens, il n’est pas toujours évident de comprendre qui fait quoi. Beaucoup parlent du Civen comme d’un organisme assez lointain. Alors que vous travaillez essentiellement sur dossier, avez-vous eu l’occasion d’aller en Polynésie vous faire une idée des lieux, des distances, de la culture, de la façon dont sont organisées les communautés ? Le cas échéant, êtes-vous allés seulement à Tahiti ou également dans les Tuamotu et aux Gambier ?
Par ailleurs, on l’avait déjà évoqué mais plusieurs personnes se sont plaintes du fait qu’elles étaient conviées à des rendez-vous à des horaires parfois saugrenus, en pleine nuit. Est-ce toujours le cas ? Cela peut nourrir le sentiment de distance.
M. Gilles Hermitte. Une représentation du Civen s’est effectivement déplacée en Polynésie ; ces trois dernières années, nous sommes allés à deux reprises à Tahiti. Nous avons des échanges réguliers avec nos interlocuteurs. Sans les vivre, nous avons quand même une idée des caractéristiques géographiques d’un territoire grand comme l’Europe, des difficultés de déplacement, une idée aussi des aspects culturels, sans prétendre les maîtriser.
À mon arrivée, nous faisions des auditions le dimanche soir. L’une des premières décisions que j’ai prises a été de les décaler au lundi. Nous pouvions comprendre que le dimanche se passait plutôt en famille et il nous semblait très difficile d’évoquer ces sujets graves que sont les pathologies dont souffrent ces personnes, le dimanche soir de 20 heures à minuit. Nous avons modifié une seconde fois, plus récemment, les horaires, en faisant des auditions le matin plus que le soir, parce que nos interlocuteurs nous ont indiqué que les Polynésiens étaient « plutôt du matin », si je puis me permettre cette expression, que du soir. C’est pourquoi ces auditions commencent à 3 h 30 ou à 4 heures du matin. Nous prévenons systématiquement, une semaine avant, toutes les victimes que nous allons les appeler sur ce créneau horaire. J’ai l’impression (peut-être est-ce à faire confirmer) que nous en avons fini avec les situations compliquées que nous avions à gérer auparavant, lorsque nous avions la conviction de réveiller des personnes à 23 heures ou à 23 h 30 pour évoquer ces sujets difficiles.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour vos réponses précises, que vous pourrez compléter par mail, afin que Mme la rapporteure les consigne dans son rapport.
La séance s’achève à 19 h 15.
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Présents. – M. Emmanuel Fouquart, M. Philippe Gosselin, M. Didier Le Gac, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Dominique Voynet