Compte rendu

Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation

         Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard FRITCH, ancien Président de la Polynésie française (en visioconférence)  3

 


Mardi
6 mai 2025

Séance de 20 h 30

Compte rendu n° 29

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission

 


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Mardi 6 mai 2025

 

La séance est ouverte à 20 heures 35.

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

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Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard FRITCH, ancien Président de la Polynésie française (en visioconférence)

M. le président Didier Le Gac. Mes chers collègues, nous accueillons ce soir M. Édouard Fritch, ancien président de l’Assemblée de Polynésie française et ancien président de la Polynésie française de septembre 2014 à mai 2023.

Il nous semblait indispensable, dans le cadre des travaux de cette commission d’enquête, de recueillir le témoignage des anciens présidents de la Polynésie française, compte tenu de la place que vous avez occupée dans la vie publique locale et, surtout, du lien direct que vous avez nécessairement entretenu, à travers vos différentes fonctions, avec le sujet des essais nucléaires.

Comme vous le savez, cette commission d’enquête a été instituée en janvier dernier et arrive désormais au terme de ses travaux, lesquels ont été particulièrement riches et intenses. À ce jour, nous avons mené plus de quarante auditions, ce qui nous a permis de dialoguer avec environ soixante-dix à quatre-vingts personnes. Une délégation s’est rendue en Polynésie il y a un peu plus d’un mois, où nous avons pu rencontrer de nombreux acteurs institutionnels, associatifs, ainsi que des habitants, qui nous ont livré, à chaque étape, des témoignages précieux. Je précise que la commission d’enquête rendra son rapport dans un mois environ.

Monsieur le président, vous étiez adolescent au moment des premiers essais nucléaires et conservez donc probablement une mémoire vive des événements, qu’il s’agisse des essais atmosphériques ou, plus tard, des essais souterrains. Vous vous souvenez sans doute également de la présence en Polynésie des personnels civils et militaires du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), des bouleversements que cela a pu entraîner pour la société polynésienne ainsi que des conséquences du retrait du CEP à l’issue de l’arrêt des essais en 1996. Votre témoignage, fondé sur l’expérience, pourra donc utilement éclairer les travaux de cette commission.

Ma première question concerne les déclarations que vous avez formulées le 15 novembre 2018 devant l’Assemblée de Polynésie française. Vous y avez tenu des propos particulièrement forts et sincères au sujet des essais nucléaires, en reconnaissant, comme d’autres responsables politiques polynésiens, avoir menti à la population au sujet de leur prétendue innocuité. Pourriez-vous revenir sur le cheminement intellectuel et personnel qui vous a conduit à exprimer publiquement ce mea culpa ? Comment ces propos ont-ils été accueillis à l’époque, tant par vos pairs en Polynésie que par le haut-commissaire de la République, par le Gouvernement français et par la population ?

Ma seconde question porte sur la convention que vous avez signée avec l’État en janvier 2019, dans le but de céder un terrain destiné à accueillir, à terme, un centre de mémoire des essais nucléaires en Polynésie française. À vos yeux, quels sont les gestes essentiels à accomplir aujourd’hui pour faire progresser ce travail de mémoire et pour le structurer durablement ? Je vous pose cette question avec d’autant plus d’attention que nous avons rencontré de nombreux jeunes lors de notre déplacement en Polynésie, notamment dans un établissement scolaire. Ils se sont montrés très intéressés par cette mémoire, soucieux de comprendre et d’en savoir davantage.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Édouard Fritch prête serment.)

M. Édouard Fritch, ancien président de la Polynésie française. Avant de répondre à vos questions, il me paraît nécessaire de rappeler quelques éléments de contexte essentiels relatifs à la situation économique et sociale de la Polynésie française dans les années 1960.

À cette époque, l’exploitation des mines de phosphate de Makatea, active de 1915 à 1966, constituait le principal moteur économique du territoire. Cette activité, qui a mobilisé deux générations de Polynésiens, représentait l’un des premiers employeurs du territoire pendant près de cinquante ans. Parallèlement, le lancement, en 1959, des travaux de construction de l’aéroport de Tahiti-Faa’a donnait lieu à un vaste chantier structurant.

La fermeture des mines de Makatea a poussé nombre de Polynésiens à chercher du travail ailleurs, notamment dans les mines de nickel en Nouvelle-Calédonie. Ce fut notamment le cas de ma tante paternelle, qui s’y installa avec toute sa famille. C’est dans ce contexte que l’implantation, en 1962, du CEP fut perçue, par de nombreuses familles, comme une opportunité nouvelle de travail et de développement économique.

La fin des années 1960 fut ainsi marquée par une série de profonds bouleversements sanitaires, économiques et sociaux, qui ont durablement influencé les comportements et les trajectoires de vie de notre population. Le salariat s’est alors imposé comme une réalité croissante, esquissant les premiers contours du modèle économique contemporain de la Polynésie française.

Je suis, pour ma part, issu d’une famille d’anciens combattants. Mon grand-père maternel a été mobilisé durant la Première guerre mondiale aux côtés de figures polynésiennes telles que M. Pouvanaa Oopa, tandis que mon grand-père paternel, M. Arthur Fritch, a servi dans l’armée américaine pendant la Seconde guerre mondiale et laissé derrière lui une famille endeuillée, composée de quatre enfants orphelins, dont mon père.

J’ai grandi dans les îles Australes et ai dû quitter mon île natale dès l’âge de sept ans afin de poursuivre ma scolarité à Tahiti, en raison de l’absence d’établissement scolaire sur place. J’ai d’abord été scolarisé dans une école primaire, puis dans un collège et un lycée catholique, faute de places disponibles dans l’enseignement public.

En 1966, lorsqu’ont débuté les essais atmosphériques, j’étais élève au collège. Les tirs de bombes à Moruroa faisaient alors l’objet d’articles dans les journaux ou étaient parfois évoqués à l’école, mais la réalité des essais nucléaires demeurait abstraite. Nous poursuivions nos jeux dans la cour de récréation sans percevoir la portée de ce qui se déroulait autour de nous. Aucun enseignant, y compris parmi ceux qui rejoindraient plus tard la cause anti-nucléaire, ne nous apportait d’explications ni de mises en garde. Une forme d’indifférence généralisée régnait alors, sans sensibilisation ni débat.

Mon grand-père, ancien combattant de la Première guerre mondiale, justifiait la nécessité d’une arme de dissuasion nucléaire comme gage de paix. En tant que diacre de l’église protestante, il considérait par ailleurs le chantier de Moruroa comme une manne financière susceptible de favoriser notamment la construction de lieux de culte.

L’adolescent que j’étais ne percevait donc pas le CEP comme un sujet d’inquiétude. La société polynésienne des années 1970, encore profondément marquée par la tradition, accordait une pleine confiance aux figures d’autorité que sont les aînés, les religieux ou les responsables civils et politiques. Leur silence sur la question était interprété comme le signe qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

Les médias, de leur côté, contribuaient à entretenir cette perception rassurante. Les reportages montraient des spectateurs assistant aux tirs, munis de simples lunettes de protection, laissant entendre que le seul danger résidait dans l’intensité lumineuse de l’explosion. Le passage aux essais souterrains a ensuite été présenté comme un progrès technologique permettant une meilleure maîtrise des impacts et une gestion plus rigoureuse des déchets radioactifs.

Il faut se souvenir que ce discours a persisté jusqu’à l’arrêt des essais, en 1996. Comme nombre de mes compatriotes, j’ai alors ressenti un soulagement car cette décision mettait fin à une source récurrente de tension politique et sociale, régulièrement alimentée par le parti indépendantiste, tout en ouvrant la voie à un nouveau partenariat avec l’État pour la reconversion du pays. Plusieurs dispositifs, tels que le pacte de progrès et le fonds de reconversion économique de la Polynésie française (FREPF), ont alors été mis en place à cette occasion, garantissant un soutien financier stable de 18 milliards de francs Pacifique par an.

Concernant votre question relative à ma déclaration du 15 novembre 2018, c’est en 2007, lorsque le président Nicolas Sarkozy a publiquement reconnu l’existence de victimes des essais nucléaires ainsi que la responsabilité de l’État, que s’est opéré pour moi un tournant décisif. Cette reconnaissance, bien que mesurée, marquait en effet une inflexion majeure dans le discours officiel. Elle sonnait comme un aveu des mensonges passés et ouvrait enfin la voie à une parole politique sur ce sujet longtemps occulté. La loi Morin, adoptée en 2010, est venue concrétiser cette évolution en instituant un mécanisme d’indemnisation pour les victimes.

Lorsque j’ai accédé à la présidence de la Polynésie française à la fin de l’année 2014, j’ai très vite compris que la question nucléaire restait une ligne de fracture dans notre société. Le sentiment d’injustice, le poids du silence, les souffrances vécues par certaines familles et l’absence de vérité partagée nourrissaient une défiance persistante envers l’État. En tant que catholique croyant et pratiquant, ma conscience m’imposait d’aborder ce dossier avec lucidité et responsabilité.

C’est dans ce contexte que j’ai prononcé, lors de la séance publique du 15 novembre 2018 à l’Assemblée de la Polynésie française, des propos que certains ont jugés forts. Il ne s’agissait pas d’une posture politique mais d’un acte profondément sincère, d’une forme de repentance morale adressée à mon peuple. J’ai assumé publiquement avoir relayé, durant des années, une version édulcorée des faits, par ignorance et par excès de confiance dans la parole des autorités. Cet aveu, je le revendique et en accepte toutes les conséquences.

Bien que certains adversaires politiques, notamment issus du Tavini huiraatira, aient cherché à instrumentaliser ces propos, les sortant de leur contexte pour m’accuser d’hypocrisie, je crois néanmoins que la majorité des Polynésiens a perçu la sincérité de ma démarche. Peu de responsables politiques ont en effet eu le courage de formuler une demande de pardon publique sur des sujets aussi sensibles. Je ne cherche nullement à jeter la pierre à mes prédécesseurs mais j’ai estimé qu’il était de mon devoir d’assumer cette vérité à visage découvert. Cette démarche m’a permis de retrouver une forme de paix intérieure.

Dans le prolongement de cette déclaration, j’ai souhaité engager le pays sur la voie de la justice et de la vérité. En 2015, j’ai rétabli un lien avec l’association Moruroa e tatou, que nous avons commencé à soutenir financièrement dans sa mission d’accompagnement des victimes. En 2016, j’ai fait revenir M. Bruno Barrillot, voix indépendante et éclairée, afin qu’il puisse contribuer à une meilleure compréhension de ce dossier. Cette décision a été rendue possible grâce à la relation de confiance tissée avec John Doom, figure éminente de Moruroa e tatou et témoin du premier essai nucléaire, Aldébaran.

Le traitement de cette question s’est toutefois heurté à de nombreuses résistances. Je pense notamment aux vives critiques adressées à Bruno Barrillot par l’Association 193, qui contestait ses travaux. Ce climat conflictuel montre à quel point le dossier nucléaire est devenu, avec le temps, le terrain de nombreuses projections, parfois fantasmées, d’interprétations excessives, voire manipulées, qui continuent d’alimenter la confusion et les clivages. Tous les acteurs étaient concernés, qu’il s’agisse des confessions religieuses, des associations ou des partis politiques. La société polynésienne en était profondément divisée.

C’est précisément pour dépasser ces fractures que j’ai lancé en 2020 la démarche Reko Tika (« justice et vérité » en tahitien) que j’ai confiée à une personnalité polynésienne incontestée, M. Joël Allain. Mon ambition était de favoriser l’apaisement, d’encourager la réconciliation et de faire émerger une mémoire partagée, fondée sur des faits établis. Car sans vérité, il ne peut y avoir de justice et, sans justice, il ne peut y avoir d’apaisement durable.

Concernant le projet de Centre de mémoire des essais nucléaires, pour lequel j’ai signé une convention de cession foncière avec l’État en 2019, il m’apparaissait donc essentiel. Originaire des îles, j’ai moi-même découvert tardivement cette histoire et je refuse que les enfants de demain vivent dans la même ignorance. Ce centre, revendiqué de longue date par plusieurs associations, représente à mes yeux un engagement fondamental.

Lorsque je présidais l’Assemblée de la Polynésie française, j’ai pris l’initiative de préserver le site Moruroa.org, créé par Oscar Temaru avec le concours de Bruno Barrillot. Bien que ce site soit demeuré inachevé et contienne des passages dont la tonalité est assez idéologique, j’ai délibérément choisi de ne pas le censurer, estimant qu’il méritait toute sa place. Toutefois, dès qu’un consensus s’est dessiné entre les parties prenantes sur la création du centre de mémoire, j’ai considéré qu’il fallait bâtir son contenu sur des bases solides, factuelles et irréfutables. Il ne s’agissait pas seulement d’ériger un monument symbolique, mais bien d’installer un lieu de transmission, rigoureux et objectif, affranchi de toute instrumentalisation ou idéologie.

Je me réjouis donc que le président ait relancé ce projet en août 2024. Le terrain de 3 400 m² cédé par l’État incarne concrètement cette volonté de mémoire et symbolise cet engagement.

Je tiens enfin à saluer ici le travail remarquable accompli par Mme Yolande Vernaudon, cheffe de la délégation aux essais nucléaires, qui a animé les comités scientifiques et architecturaux liés à ce projet avec compétence et rigueur. Sous sa coordination, la délégation a noué des collaborations fructueuses avec le monde universitaire afin de produire une analyse scientifique approfondie sur ce sujet. Cette approche me semble indispensable, car le centre de mémoire Pū Mahara ne pourra être perçu comme légitime et utile par les Polynésiens, en particulier par les jeunes générations, que si son contenu repose sur des données indiscutables. Il est donc impératif qu’il échappe aux polémiques idéologiques et aux récits partisans. Sa vocation, qui doit être claire, doit être de transmettre la vérité sur les essais nucléaires, sans fard ni altération. Pū Mahara doit devenir un lieu où l’histoire, dans toute sa complexité, est préservée avec justesse, afin que les générations futures puissent comprendre les événements du passé.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure de la commission d'enquête relative à la politique française d'expérimentation nucléaire, a l'ensemble des conséquences de l'installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, a la reconnaissance, a la prise en charge et a l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu'à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation. Je souhaiterais revenir plus en détail sur votre déclaration du 15 novembre 2018, sur laquelle de nombreux Polynésiens continuent, encore aujourd’hui, à s’interroger.

Vous avez évoqué une prise de conscience survenue en 2007. Pourquoi, dans ce cas, avoir attendu onze années avant de formuler publiquement cette déclaration de repentance morale à laquelle vous sembliez pourtant accorder une importance particulière ?

Par ailleurs, lorsque vous évoquez la notion de mensonge, vous mentionnez l’ignorance dans laquelle vous vous trouviez à l’époque. Pourriez-vous néanmoins préciser sur quels points spécifiques vous estimez avoir relayé, même involontairement, des informations erronées ? En tant que responsable politique, disposiez-vous d’éléments d’information auxquels les Polynésiens n’avaient pas accès ? Qui vous transmettait les vraies informations ? Étiez-vous destinataire de données sensibles ou de consignes émanant de l’État ? Vous a-t-on explicitement demandé de taire certains faits ou de dissimuler certaines réalités ? Lorsque vous parlez d’édulcoration du discours, cela relevait-il de votre propre initiative ou agissiez-vous sur instruction ? Et si tel était le cas, de qui provenaient ces consignes ? Vous a-t-on enjoint de travestir ou de moduler le discours public pour en atténuer la portée ?

Il est crucial, pour les travaux de cette commission, de pouvoir établir ce que savaient réellement les autorités locales à l’époque, ainsi que la manière dont elles étaient amenées à communiquer ou à dissimuler ces informations à la population.

M. Édouard Fritch. Je tiens tout d’abord à rappeler que nous disposions alors de très peu d’informations sur le sujet même des essais nucléaires. La rétention d’information a été, à cette époque, largement pratiquée par la quasi-totalité des acteurs impliqués. J’ai évoqué, à cet égard, ma rencontre avec John Doom, qui m’a fait part de son expérience en tant que premier témoin du tir nucléaire à Moruroa. C’est à l’issue de cet échange que j’ai pris conscience de la nécessité impérieuse de révéler la vérité.

J’ai effectivement employé le terme « mentir » à mon propre sujet. Il s’agissait en réalité d’une vérité que j’ignorais et que j’ai découverte progressivement au fil du temps. S’agissant des onze années qui se sont écoulées, je précise que je ne suis pas le seul à avoir tardé à m’exprimer. D’autres, bien qu’également informés de ce qui s’était réellement déroulé sur le site, ont choisi de garder le silence et n’ont pas souhaité, comme je l’ai fait, livrer leurs souvenirs ni formuler d’aveux publics.

Comme je l’ai expliqué au début de cette audition, en évoquant mon parcours et mes convictions chrétiennes, je ne pouvais plus porter seul cette vérité. Aujourd’hui encore, vous me demandez des précisions sur la réalité des faits alors que je ne dispose pas de l’ensemble des éléments. Lorsque j’affirme avoir menti, je veux dire par là que j’ai relayé, sans le savoir, les mensonges proférés à l’époque ! Il est en effet désormais établi, et reconnu par le Président de la République lui-même, que les essais nucléaires ont entraîné des conséquences.

Je tiens à affirmer avec fermeté que personne ne m’a jamais demandé ni de me taire, ni de m’exprimer ! Je suis aujourd’hui un homme suffisamment mûr pour assumer mes décisions et je vous confirme que cette prise de parole procède exclusivement de ma propre volonté. J’en assume pleinement la responsabilité.

Il est évident que ce sujet suscite un intérêt profond, comme en atteste la création de votre commission d’enquête parlementaire, plus de deux décennies après la fin des essais nucléaires. Il s’agit d’un sujet d’État et vous-même, au fil de vos investigations, découvrez des éléments nouveaux qui ne proviennent pas nécessairement de nos témoignages, mais parfois de vos propres archives. C’est précisément pour cette raison que je me suis battu pour que ces archives soient ouvertes à la population. Il est fondamental que nos étudiants, nos chercheurs et l’ensemble de nos concitoyens puissent y accéder librement, afin que cette vérité soit enfin connue.

Bien que j’aie pu dissimuler certaines informations obtenues de manière fortuite, au hasard de discussions, je tiens à préciser que ces informations ne m’ont jamais été officiellement transmises et qu’à aucun moment je n’ai été contraint de les dissimuler.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Le 15 novembre 2018, vous avez également utilisé l’expression : « J’ai fait partie de cette bande ». Pour les travaux de cette commission, il est essentiel de comprendre la nature des relations qui existaient, à l’époque, entre le Gouvernement central, le CEP et les autorités locales. Votre témoignage nous est donc précieux à la fois parce que vous êtes un Polynésien ayant vécu ces événements de l’intérieur, mais également parce que vous avez occupé des fonctions politiques majeures au sein des institutions du pays.

Lorsque vous affirmez avoir fait partie de « cette bande », pouvez-vous nous indiquer plus précisément à qui vous faisiez référence ? Quels étaient, selon vous, les autres acteurs qui composaient ce groupe ?

M. Édouard Fritch. Comme vous le savez, j’ai toujours été un homme fidèle. Le groupe auquel j’ai appartenu dès mes premiers pas en politique était le Tahoeraa Huiraatira de Gaston Flosse, et j’y suis resté plus de trente-cinq années, jusqu’à ce que j’en sois écarté. C’est à ce groupe politique que je faisais référence lorsque j’ai prononcé l’expression « cette bande ». Je comprends que ce terme puisse prêter à interprétation mais il désignait simplement, dans mon esprit, la famille politique à laquelle j’ai longtemps appartenu.

S’agissant de votre question relative aux échanges entre les responsables politiques de l’époque, je dois rappeler que, dans une organisation hiérarchisée et structurée, les discussions de fond sont conduites par celui qui en détient la responsabilité. Ce rôle revenait à notre chef de file. Les autres membres, dont je faisais partie, n’étaient pas associés à ces discussions de haut niveau. N’ayant pas été directement témoin de ces échanges, je ne suis donc pas en mesure de vous rapporter ce qui a pu être dit entre M. François Mitterrand ou M. Jacques Chirac et M. Gaston Flosse.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Ma première question porte sur le développement économique de la Polynésie française. Vous avez mentionné l’exploitation des phosphates à Makatea ainsi que l’émigration de certains Polynésiens vers la Nouvelle-Calédonie pour travailler dans le secteur du nickel. L’implantation du CEP a toutefois constitué, à bien des égards, une aventure d’une toute autre ampleur, entraînant des bouleversements profonds et durables sur les plans démographique, économique, social et culturel. Nous avons notamment observé d’importants mouvements de population, en particulier des atolls des Tuamotu vers les zones d’essais ou vers Tahiti.

En tant qu’ancien président de l’Assemblée puis de l’exécutif polynésien, quel regard portez-vous sur l’évolution de cette activité, depuis son installation jusqu’à sa réduction progressive et sa disparition ? Comment évaluez-vous l’apport de ces activités dans le développement de la Polynésie française ?

Ma seconde question porte sur les informations dont vous pouviez disposer lorsque vous exerciez vos fonctions. Il semble difficile d’imaginer que ces informations aient été aussi lacunaires que vous l’avez indiqué, compte tenu des nombreuses analyses alors conduites par les autorités militaires, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et un certain nombre de scientifiques. Quelle était, concrètement, la nature de vos relations avec le CEA ? Aviez-vous accès à des interlocuteurs qualifiés, en capacité de vous présenter les résultats de ces analyses et d’en commenter les éventuelles conséquences sanitaires ?

Enfin, dans quelles conditions a-t-il été décidé de transférer la compétence en matière de santé ? Même si je connais déjà une partie des réponses à cette question, je souhaiterais que vous reveniez sur la teneur des discussions ayant entouré ce transfert, notamment en ce qui concerne la prise en charge des conséquences sanitaires ou financières liées aux séquelles des essais nucléaires.

M. Édouard Fritch. S’agissant tout d’abord de mes relations avec le CEA, il me semble important de rappeler qu’il existe un décalage temporel puisqu’il avait quitté la Polynésie française bien avant que je n’accède à la présidence de l’Assemblée en 2014. Durant mon mandat de Président de la Polynésie française, les contacts avec les responsables du CEA ont donc été très limités. La seule occasion marquante fut la réunion Reko Tika organisée à Paris en juillet 2021 pour laquelle le Président de la République avait souhaité la présence de représentants du CEA aux côtés des députés polynésiens. En dehors de cet événement, je n’ai entretenu aucune relation particulière avec eux, car leurs activités dans notre territoire avaient déjà cessé depuis longtemps.

Quant aux répercussions économiques des essais nucléaires, je persiste à penser que si les conséquences sanitaires font l’objet de nombreuses attentions, les effets sociaux et économiques ont, en réalité, été d’une ampleur bien plus profonde. Ces essais ont bouleversé de manière radicale les fondements de notre économie. La Polynésie française s’est progressivement orientée vers un modèle de dépendance, largement fondé sur les transferts financiers, ce qui nous rend aujourd’hui particulièrement vulnérables, comme la crise du covid l’a dramatiquement révélé.

L’installation du CEP a produit des transformations significatives. Les nombreuses offres d’emploi proposées aux Polynésiens ont attiré vers Tahiti des travailleurs issus des différents archipels, dont nous retrouvons encore aujourd’hui les descendants dans plusieurs quartiers de Papeete ou de Faa’a. L’attrait exercé par les rémunérations offertes au sein du CEP, permettant de subvenir dignement aux besoins des familles, a suscité une forte adhésion dans la population.

Concernant le transfert de la compétence en matière de santé, je n’ai pas participé personnellement aux discussions initiales avec l’État. Cette compétence relève désormais du pays, depuis 1977, qui sollicite activement, et de manière régulière, le soutien de l’État. J’ai moi-même obtenu une convention de financement destinée à appuyer le fonctionnement de l’hôpital. Cela étant, je m’interroge encore aujourd’hui sur les motivations profondes qui ont conduit la Polynésie à revendiquer cette compétence, qui représente une charge budgétaire considérable pour nos institutions.

M. Yoann Gillet (RN). Durant votre mandat, vous avez été un interlocuteur central et privilégié de Paris, notamment sur la question des essais nucléaires. Votre action a été largement marquée par une volonté de conciliation et de reconnaissance des conséquences de ces essais. Pourriez-vous nous indiquer quels engagements pris par l’État durant votre mandat ont été tenus et lesquels ne l’ont pas été ?

Par ailleurs, quelles sont, selon vous, les priorités actuelles pour continuer à construire une Polynésie apaisée, qui se souvienne de son passé tout en se projetant vers l’avenir ?

M. Édouard Fritch. L’un des engagements fondamentaux pris par l’État, dès l’origine, concernait l’accompagnement de la Polynésie française dans le processus de réparation lié aux conséquences des essais nucléaires, qui devaient couvrir l’ensemble des dimensions sanitaires, économiques et sociales, puisqu’ils ont profondément transformé la vie quotidienne et les équilibres de notre société.

D’une manière générale, les engagements pris par l’État ont été respectés. Les promesses formulées par les présidents François Hollande puis Emmanuel Macron sont, pour la plupart, soit en cours de réalisation, soit déjà concrétisées. Le projet de Centre de mémoire, par exemple, est désormais une réalité tangible. De même, la mise à disposition des archives, étape essentielle pour une meilleure compréhension du déroulement des essais nucléaires, a bien été assurée.

Le sujet qui continue toutefois de poser de sérieuses difficultés est celui de l’indemnisation des personnes malades. Je trouve profondément regrettable qu’une personne ayant travaillé à Moruroa, pour le compte de l’État, et souffrant aujourd’hui d’un cancer reconnu comme étant lié aux essais, soit encore contrainte d’apporter la preuve de son exposition. Ces agents, qui ont servi la République, devraient être indemnisés de manière automatique. Nous sommes également confrontés à des situations dans lesquelles des descendants de travailleurs des sites d’essais attendent encore une reconnaissance de leur préjudice. Il aurait fallu, sur ce volet, mettre en place une procédure plus réactive, assortie de moyens plus conséquents, d’autant que la responsabilité de l’État a été officiellement reconnue au plus haut niveau.

Un autre sujet de préoccupation concerne le remboursement des frais engagés par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS) pour la prise en charge des soins prodigués aux personnes affectées par les conséquences sanitaires des essais nucléaires. Ce processus s’est avéré d’une extrême lenteur. Alors que le président Hollande s’était engagé à ouvrir des discussions sur ce point à la fin de son mandat, nous en sommes encore, aujourd’hui, au stade des négociations.

Cette quête de justice et de vérité se heurte également à une impression persistante selon laquelle certains, tant du côté de l’État que parmi les acteurs locaux en Polynésie, ont pu trouver un intérêt à ralentir les démarches. Je pense ici à l’exemple de la CPS, au sujet de laquelle j’avais sollicité un état précis des dépenses engagées, sans jamais obtenir de réponse pleinement satisfaisante. Les estimations successives ont varié de manière très significative, passant de 18 à 35 milliards, puis même à 100 milliards de francs Pacifique. Ce glissement témoigne d’une incertitude manifeste sur les bases de calcul. Nous éprouvons toujours des difficultés à établir, avec l’État, les paramètres nécessaires pour arrêter un montant définitif. Si l’État a certes pris l’engagement de rembourser la CPS, l’absence de données incontestables empêche la démarche d’aboutir.

En conclusion, si je considère que l’État honore globalement les engagements qu’il a pris, la lenteur dans la mise en œuvre de ces engagements continue d’alimenter une forme de frustration au sein de la population polynésienne.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. J'aimerais maintenant aborder la question des atolls de Moruroa et Fangataufa. Comme vous le savez, ces territoires ont été mis à disposition de l’État par la Polynésie française le 6 février 1964. En tant que ministre chargé de la reconversion des sites militaires de 2009 à 2011, puis en qualité de président de la Polynésie française de 2014 à 2023, avez-vous proposé à l’État des projets de réhabilitation des anciens sites du CEP ? Selon vous, quels projets seraient envisageables aujourd’hui pour ces atolls ?

M. Édouard Fritch. Les atolls de Moruroa et de Fangataufa ont effectivement été mis à la disposition de l’État par la décision d’une commission permanente de l’Assemblée de la Polynésie française, décision assortie de certaines conditions de restitution. Or à l’occasion de discussions récentes avec les représentants de l’État, nous avons appris que cette restitution restait conditionnée à la disparition complète du CEP. Celui-ci existant encore juridiquement, ces atolls demeurent aujourd’hui sous gestion étatique.

S’agissant de la reconversion et de la revitalisation économique des anciens sites, je souhaite saluer les efforts notables consentis par l’État en faveur de plusieurs communes telles que Pirae, Faa’a, Arue, Papeete ou Mahina. Ces engagements se sont notamment traduits par la cession gratuite de terrains d’importance et doivent permettre aux communes concernées de structurer des projets de développement ambitieux sur les emprises libérées.

Parallèlement, l’État a mobilisé des moyens financiers significatifs pour financer des études de faisabilité, évaluer les perspectives de développement économique et engager la déconstruction des infrastructures militaires encore présentes. J’ai personnellement été confronté à cette problématique sur la commune de Pirae, où j’ai hérité du bâtiment du commandement supérieur des forces armées. La présence d’amiante sur le site a nécessité un investissement supplémentaire de la part de l’État afin de permettre une remise en état complète des lieux.

S’agissant plus spécifiquement des atolls de Moruroa et de Fangataufa, nous avons été amenés à réévaluer leur statut juridique car nous pensions initialement que leur restitution interviendrait de plein droit à l’issue des essais nucléaires. Nous avons découvert, en réalité, que cette rétrocession restait suspendue à la disparition complète du CEP qui, à ce jour, n’a pas encore été actée comme je vous l’ai dit.

Le CEP reste par ailleurs opérationnel sur ces sites, où il poursuit des missions essentielles, en particulier en matière de surveillance environnementale et de sécurité. Deux questions fondamentales se posent dès lors. D’une part, la Polynésie française dispose-t-elle aujourd’hui des capacités techniques, humaines et financières pour assurer seule cette surveillance dans l’hypothèse d’un transfert de propriété ? D’autre part, une telle responsabilité est-elle souhaitable ? En tant qu’ancien président, je réponds sans hésitation par la négative et affirme que ces responsabilités doivent continuer de relever pleinement de l’État. Les réparations environnementales, sanitaires et économiques liées aux conséquences des essais nucléaires constituent des obligations morales, politiques et juridiques qui incombent à la République. Nous avons d’ailleurs veillé à ce que ces obligations soient explicitement inscrites dans le statut d’autonomie de la Polynésie française.

Cela étant dit, la Polynésie ne saurait rester passive. Nous avons ainsi proposé une nouvelle orientation, dont nous espérons désormais la prise en compte effective, en suggérant que ces sites puissent être reconvertis en centres de recherche scientifique avancée. Ces territoires pourraient devenir de véritables laboratoires naturels, uniques au monde, pour l’étude de la résilience des écosystèmes exposés à des agressions d’origine humaine. Ce projet valoriserait scientifiquement nos territoires tout en permettant d’impliquer notre jeunesse dans une dynamique de savoir et d’innovation. Il ouvrirait la voie à des travaux de recherche de portée mondiale sur les enjeux environnementaux, climatiques et technologiques contemporains.

Je demeure donc profondément convaincu que la voie de la connaissance et de la recherche est porteuse d’avenir pour la Polynésie française. Elle permettrait, à mon sens, de transformer un héritage lourd et douloureux en un vivier de savoirs, de dignité et de rayonnement scientifique.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. L'idée d'un laboratoire naturel est effectivement remarquable : pourquoi n'a-t-elle pas été concrétisée ? Avez-vous eu des discussions à ce sujet avec l’État ? Cette proposition n’a pas été évoquée dans notre enquête, ni par l’État, ni par le CEA, ni par l'armée. Y a-t-il eu un début d’étude ou d’échange concernant un tel projet ?

M. Édouard Fritch. J’ai présenté ce projet lors de notre réunion Reko Tika à Paris, en présence du Président de la République, de la ministre des Armées et du directeur du CEA. Je pensais sincèrement que nous aurions pu bâtir, avec eux, une coopération scientifique de grande envergure. Bien que je n’aie pas sollicité l’inscription formelle de cette proposition à l’ordre du jour, j’ai développé l’idée de rendre les atolls de Moruroa et de Fangataufa plus utiles, en les intégrant dans une dynamique de recherche tournée vers l’avenir.

Les petits États du Pacifique sont particulièrement exposés aux conséquences des bouleversements climatiques. Moruroa et Fangataufa, en tant qu’atolls, comptent parmi les premiers territoires affectés par l’élévation du niveau de la mer. C’est dans cette perspective que j’ai formulé cette proposition. À ce jour, je n’ai pas retrouvé cette idée dans les conclusions ni dans les échanges ultérieurs. Je persiste néanmoins à penser qu’un tel projet serait porteur d’avenir.

Pour conclure, permettez-moi de formuler une remarque que je souhaiterais voir figurer dans le rapport de votre commission. Vous m’avez interrogé sur de nombreux aspects de mon parcours et de mon action publique, mais une initiative capitale dans le traitement des conséquences des essais nucléaires me semble avoir été insuffisamment évoquée. Il s’agit de Reko Tika, la table ronde de haut niveau organisée entre la Polynésie française et l’État à Paris, au début de l’été 2021.

Cette démarche a constitué, à mes yeux, une étape historique et un tournant décisif pour notre pays en rassemblant l’ensemble des forces vives de la Polynésie française : syndicats, associations, partis politiques, églises, parlementaires, Ligue contre le cancer, conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), Fédération de protection de la nature, maires des communes. L’objectif était de dégager une position commune, dépassant les clivages partisans, afin de faire valoir les revendications de toute la population auprès des plus hauts représentants de l’État. Cette approche transpartisane inédite reposait sur une volonté sincère de surmonter les divisions idéologiques.

Pour dégager cette voix unifiée, nous avons consacré trois mois à cette préparation collective, sous la direction de Joël Allain, personnalité respectée et fédératrice, qui a su mener les travaux avec rigueur et porter la voix de la délégation à Paris. Je tiens à saluer ces femmes et ces hommes qui ont su parler d’une seule voix et je regrette profondément que certains acteurs, notamment l’Association 193, aient refusé de participer à cette initiative. Néanmoins, dans un souci d’unité, Joël Alain a veillé à ce que leurs revendications soient également portées et représentées dans les échanges.

Je veux rappeler avec force que parvenir à parler d’une seule voix en Polynésie est une exigence face à l’État. La question du nucléaire restant un sujet vivant et sensible entre la République et la Polynésie française ; il nous faudra un jour parvenir à une issue.

À la suite de Reko Tika, lors de la visite officielle du président Macron en Polynésie, un moment particulièrement fort s’est produit lorsqu’il a publiquement reconnu que la France avait une « dette envers la Polynésie française » pour avoir y avoir mené les essais nucléaires. Cette reconnaissance, assortie d’un appel à davantage de vérité et de transparence, a marqué une étape essentielle puisqu’elle a permis, dans son sillage, la déclassification de nombreux documents d’archives. Celles-ci ont permis aux chercheurs universitaires que nous avions mandatés de confirmer cette réalité historique.

En parallèle, l’indemnisation des victimes a connu une accélération significative grâce au déploiement du programme « Aller vers ». Alors que nous avions longtemps dénoncé le fait que les Polynésiens devaient se déplacer pour obtenir des expertises médicales, ce sont désormais des équipes mobiles, parlant la langue des habitants, qui se déplacent directement dans les îles et rencontrent les malades là où ils vivent. Cette initiative a représenté une avancée concrète.

Sur le plan environnemental également, les opérations de dépollution et de déconstruction des anciens sites du CEP ont connu des progrès tangibles. Les préoccupations exprimées par la population polynésienne ont trouvé un réel écho, à l’exception notable de la question du remboursement des frais médicaux engagés par la CPS.

J’observe, depuis lors, chez les associations mobilisées sur le sujet du nucléaire, un certain apaisement, voire un silence que j’interprète comme un signe de progrès, de réconciliation et de reconnaissance.

Aujourd’hui plus que jamais, nous devons continuer à aller de l’avant, sans rester prisonniers du passé. Nous devons bâtir un avenir fondé sur la justice et la réconciliation, tout en honorant la mémoire de nos victimes. Je formule ici le vœu que votre commission d’enquête puisse s’inscrire dans cet état d’esprit. C’est une responsabilité que nous devons assumer ensemble, afin que ces souffrances ne soient jamais oubliées et que les générations futures aient enfin accès à la vérité. C’est cette quête de vérité et de justice sur le nucléaire qui a guidé mon engagement depuis le début, et c’est elle qui m’a conduit à affirmer publiquement mon désir profond de vérité.

M. le président Didier Le Gac. Soyez rassuré sur notre état d'esprit constructif pour traiter jusqu’au bout de la question des conséquences des essais nucléaires !

Mme Dominique Voynet (EcoS). Vous êtes le premier, depuis que nous travaillons sur ce sujet, à citer l’initiative Reko Tika. J’ai bien compris que, sur le modèle vérité et justice, vous avez souhaité réunir tous les partenaires. Mais pourquoi avoir rassemblé tous ces partenaires à Paris et non en Polynésie ? Quels ont été les résultats du groupe composé des deux préfets Patrice Latron et Michel Marquer et du Haut-Commissaire Dominique Sorin, censé assurer le suivi de cette initiative sur le territoire ?

M. Édouard Fritch. J’ai réussi, à l’époque, à convaincre mes compatriotes polynésiens que la vérité, s’agissant des essais nucléaires, ne pouvait venir que de Paris. Les autres sources disponibles n’étaient, pour la plupart, que des témoignages, certes sincères et souvent portés par une grande intensité émotionnelle, mais Paris seul offrait un accès direct à l’ensemble des acteurs du CEP et à une diversité de témoins que nous avons pu entendre. C’était également l’occasion de démontrer l’unité de la Polynésie française face à l’État. Conscient que l’union fait la force, je souhaitais manifester, à Paris, notre force collective.

Sur ce point, nous avons partiellement réussi, mais également partiellement échoué. Le chemin a été semé d’embûches et le processus n’a pas toujours été aisé. J’espère que lors de la prochaine étape, si certains de nos compatriotes souhaitent entreprendre une initiative comparable, nous pourrons observer des résultats concrets et durables.

Concernant le suivi des décisions prises dans le cadre de Reko Tika, je dois reconnaître que les résultats obtenus sont encore trop limités et qu’un suivi rigoureux et structuré devrait être mis en place. Il aurait été décisif que les différentes administrations concernées prennent réellement le relais, en instaurant des échanges permanents et coordonnés. Dans la mesure où les conséquences des essais nucléaires concernent à la fois la santé, l’économie, l’environnement et bien d’autres domaines encore, chacun relevant de services ou d’administrations spécifiques, il est grand temps que l’ensemble de ces actions soient coordonnées au plus haut niveau de l’État.

Nous évoquons ici les conséquences des essais nucléaires mais, plus largement, l’intervention de l’État en Polynésie française prend aujourd’hui une ampleur croissante. À travers diverses conventions et engagements, l’État accompagne le pays dans sa consolidation et dans son développement économique, ce partenariat étant aujourd’hui structurant.

Le sujet de la propagation des cancers que nous observons au sein de notre population reste prioritaire car les essais nucléaires restent, en Polynésie française, principalement associés à cette recrudescence de pathologies. Même si je suis convaincu que tous ces cas ne sont pas exclusivement imputables aux essais, il n’en demeure pas moins que ces questions de santé publique doivent être traitées avec une urgence absolue.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser si tous les acteurs du Conseil d’orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (Coscen) étaient réellement inclus dans cette commission ?

Nous avons, par ailleurs, rencontré des difficultés concernant les suites de Reko Tika. Depuis 2023, nous peinons en effet à rassembler la Commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) puisque, alors même qu’elle devait se réunir au moins une fois par an, elle n'a pas été convoquée avant le 1er avril 2025, malgré des tentatives en 2023 et 2024. À la suite de Reko Tika, ne vous a-t-il pas semblé inapproprié que cette commission ne se réunisse pas en 2022 et au début de 2023, période où vous étiez au pouvoir ?

M. Édouard Fritch. L’objectif de convoquer une nouvelle réunion de cette commission dans les plus brefs délais avait bien été identifié comme prioritaire, mais les années 2020 à 2022 ont malheureusement été marquées par la crise sanitaire. Le processus a pris du temps, ce qui est regrettable pour les malades en attente, mais nous devons nous réjouir que la commission ait à nouveau pu se réunir.

M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour tous ces éléments, Monsieur le Président, et vous promets de revenir vers vous lorsque cette commission rendra son rapport !

 

La séance s’achève à 21 heures 45.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Moerani Frébault, M. Yoann Gillet, M. Didier Le Gac, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Dominique Voynet