Compte rendu
Commission d’enquête
relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation
– Ensemble des comptes rendus des auditions effectuées par une délégation de la commission d’enquête en Polynésie française lors du déplacement effectué du 21 au 31 mars 2025. 2
Vendredi 21 au lundi 31 mars 2025
Compte rendu n° 32
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Didier Le Gac,
Président de la commission
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Déplacement en Polynésie Française
Comptes rendus du vendredi 21 au lundi 31 mars 2025
(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)
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Ensemble des comptes rendus des auditions effectuées par une délégation de la commission d’enquête en Polynésie Française lors du déplacement effectué du 21 au 31 mars 2025.
M. le président Didier Le Gac. Pour cette première audition dans le cadre de notre déplacement en Polynésie française, je suis très heureux que nous puissions rencontrer Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale (CPS), et Vincent Dupont, son directeur.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête a été créée au mois de décembre dernier et nous menons nos travaux jusqu’au début du mois de juin. Nous avons dès à présent effectué de nombreuses auditions à Paris et, dans le cadre du déplacement d’une délégation de notre commission d’enquête en Polynésie française, nous souhaitions évidemment vous rencontrer puisque la Caisse de prévoyance sociale est au centre de ce que les Polynésiens appellent parfois la « double dette des essais nucléaires ».
Avant d’entendre votre position sur ce sujet et de vous écouter plus largement, je vous précise que nous sommes ici dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire. Aussi, je vais vous demander de nous déclarer chacun à tour de rôle tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Patrick Galenon et Vincent Dupont prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et vous laisse donc immédiatement la parole.
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour avoir bien voulu nous inviter à cet entretien ; les conséquences des essais nucléaires sont pour nous un sujet qui est plein de sens, à tous points de vue (économique, moral…). À ce sujet, je voudrais tout de suite vous dire que lorsque nous avons fait nos propres analyses, notamment dans le cadre des maladies radio-induites, nous nous sommes prononcés dès 2005 pour que soit reconnue une relation linéaire et sans seuil entre les essais d’une part, et la survenance de ces maladies d’autre part.
Je dois également vous préciser que les chiffres dont nous disposons ne datent que de 1985 ; nous les avons actualisés jusqu’en janvier 2025. Vous savez qu’on est passé d’un régime initialement de responsabilité à un régime de solidarité, de telle sorte que la CPS n’a bénéficié d’un remboursement total de la part de l’État français que pour sept dossiers. Avec le changement de logique ainsi intervenu, c’est désormais la CPS qui assume seule la prise en charge financière des victimes de maladies radio-induites, celles-ci ne pouvant plus se retourner devant l’État pour obtenir un quelconque remboursement. Bien que le Conseil d’État ait affirmé que le législateur avait souhaité instaurer un régime exclusif de toute recherche de responsabilité, nous souhaiterions néanmoins que l’État nous aide et évite que nous soyons ainsi soumis à la double peine d’avoir à subir à la fois une maladie et un paiement important comme vous l’avez signalé dès votre propos introductif.
M. le président Didier Le Gac. Pouvez-vous nous préciser en quelques mots le fonctionnement de la CPS, et nous dire quels liens elle entretient avec le processus d’indemnisation du Civen ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Je suis arrivé en Polynésie il y a trente-cinq ans ; je suis médecin de formation et je travaille depuis plus de vingt ans maintenant à la CPS, qui est donc un organisme équivalent à une caisse générale de sécurité sociale ; elle s’occupe aussi bien de l’assurance-maladie que des prestations maladie, des retraites. Elle a les mêmes compétences que la Sécurité sociale en métropole sauf pour ce qui est de l’assurance-chômage et de la dépendance qu’elle ne gère pas (une réforme a été décidée afin de le prévoir mais cela n’a pas encore été mis en place). Elle est financée à 74 % par des cotisations, le reste venant de subventions du pays au nom régime de solidarité ; elle ne bénéficie plus de subvention de l’État depuis deux ans. Elle couvre par ailleurs trois régimes différents qui sont la solidarité, les salariés et les non-salariés. Son budget annuel est d’environ 170 milliards de francs pacifique (soit 1,48 milliards d’euros environ), l’assurance-maladie représentant près de 70 milliards (hors ce qui touche à la recherche et ce qui relève de la direction de la santé qui représente à elle seule environ 12 milliards). Une des particularités de la caisse est qu’elle finance les évacuations sanitaires, prises en charge par des acteurs privés pour évacuer les malades en métropole (en région parisienne pour 85 % d’entre eux, certaines évacuations se faisant également vers la Nouvelle-Zélande) lorsque le plateau technique ne permet pas de les soigner ici, en Polynésie ; ça représente un coût annuel de 4 à 5 milliards par an. Le siège de la CPS se trouve à Papeete mais elle dispose de douze antennes par ailleurs et de deux antennes situées l’une en Nouvelle-Zélande, l’autre à Paris pour faire le lien avec les patients qui pourraient y être évacués. Depuis le mois de juillet 2022 qui a vu entrer en vigueur une réforme de sa gouvernance, le conseil d’administration de la CPS est constitué pour chaque régime des mêmes personnes : cinq représentants des centrales syndicales, cinq représentants du patronat et cinq personnalités qualifiées désignées par le pays.
Je préciserai enfin que le Centre hospitalier de Polynésie française (CHPF) est la seule structure qui prend en charge des personnes atteintes de pathologies cancéreuses ; depuis 2012 qui a vu l’ouverture d’un centre d’oncologie, on prend ainsi une partie des cancers mais une partie importante des patients concernés continue tout de même d’être envoyée en métropole. Cela dit, si c’est nécessaire, le traitement en urgence de patients qui nécessitent des soins reste toujours possible au CHPF : personne ne reste sur le pas de la porte ! Mais ce sera ensuite à la caisse du CHPF de recouvrer les sommes dues par les intéressés.
M. le président Didier Le Gac. Le taux de remboursement est-il le même qu’en métropole ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. La couverture est même plus favorable qu’en métropole ; il n’existe en Polynésie aucun forfait journalier, ceux qui ont des droits ouverts bénéficiant ainsi d’une prise en charge totale. Dans le secteur public, il existe également une prise en charge à 100 % mais il peut y avoir reste à charge pour les consultations au même titre que pour les professionnels de santé, le ticket modérateur étant de 30 %.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Existe-t-il des conventions avec des cliniques privées ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Oui, il existe une harmonisation des financements, sachant que le mode de financement est fixé par dotations globales, dont le montant est déterminé non plus en fonction de la comptabilité analytique qui pourra être présentée mais en fonction de l’activité clinique observée.
M. le président Didier Le Gac. Venons-en au sujet de l’indemnisation des personnes affectées de maladies (notamment de cancers) dues aux rayons ionisants. Quels sont les liens entre la CPS et le Civen ? Quand intervenez-vous dans le processus ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. C’est assez simple : la CPS et le Civen n’ont quasiment aucun rapport ! On en a eu au début. On a ainsi eu l’occasion de rencontrer les représentants du Civen depuis 2006 mais, en pratique, on n’entretient pas de lien direct avec le Civen puisque dans la constitution des dossiers, ce sont deux associations (l’Association 193 de Mme Lena Normand et l’association Moruroa e Tatou) qui s’occupent des victimes, qui les aident à constituer leurs dossiers d’indemnisation. On a parfois pu effectuer des recherches sur certaines données, sur les carrières des victimes, leur donner certains éléments médicaux mais on n’a jamais constitué de dossiers. Avec la mise en place d’un centre médical de surveillance au Ministère de la santé (rattaché à la Direction de la santé mais bénéficiant d’un fonctionnement d’État puisque comptant des médecins militaires, un financement de l’État…), c’est cette cellule qui a finalement pris le leadership sur ce sujet. En 2009, on a été à l’origine de la mise en place d’une convention qui a permis à cette cellule de cibler la population pour faire de la prévention et monter des dossiers ; à ce dispositif s’est ensuite adossée une structure voulue par le Haut-Commissariat. Nous donnons directement à cette cellule les éléments qui nous sont demandés, notamment les relevés de carrières qui sont des éléments importants dans la constitution des dossiers d’indemnisation, mais le patient ne vient pas pour autant à la caisse.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Ce type de convention existe-t-il avec les associations ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. C’est plus compliqué avec les associations. Il y a deux ans et demi, on a mis en place, à la demande du président Moetai Brotherson, une politique volontariste en instaurant un guichet unique afin de permettre aux personnes qui le souhaiteraient d’entamer des démarches personnalisées et de bénéficier d’un circuit court d’informations mais ça n’a jamais véritablement pris car la demande des assurés n’est pas celle-là ; ce qu’ils souhaitent surtout, c’est la transmission d’informations en cours.
M. le président Didier Le Gac. Combien coûtent les indemnisations à la caisse ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Nous avons eu à l’époque à gérer 14 dossiers, notamment de cancers de la thyroïde qui ne posent guère de difficultés puisque leur lien avec les rayons peut assez facilement être établi ; quant aux autres dossiers, on n’a plus rien depuis 2007, hormis donc nos 14 dossiers en instance. On a essayé par ailleurs d’évaluer le coût moyen par cancer éligible en procédant à des études sur le plus gros échantillon possible ; on s’est demandé quel pouvait être le coût moyen d’un cancer de la thyroïde, du colon, du sein… ? On n’a aucun document sur la période 1966-1984 à la CPS ; en 2009, on s’était attaqué aux dépenses en nature, notamment aux problèmes des pensions de réversion pour les assurés décédés. On a essayé d’estimer à l’époque la part des prestations en espèce et des prestations en nature en y incluant les indemnités journalières ; depuis 2015, on se focalise sur les prestations en nature puisqu’on a là aussi des discussions factuelles mais elles sont longues et complexes. Au départ, on souhaitait lister l’ensemble des coûts que la CPS prenait en charge en Polynésie française ou à l’extérieur de celle-ci, aussi bien en ambulatoire qu’en hospitalier ; finalement, on est relativement exhaustif en matière de versements. Le coût par cancer va ainsi de 5 à 23 millions de francs pacifique pour les leucémies, qui sont les plus coûteuses puisqu’elles se déroulent sur un temps long, ce qui rend très complexe, au regard de la diversité des pathologies, la détermination d’un coût moyen.
Aujourd’hui, on indemnise environ 14 000 patients dont la moitié est décédée, ce qui représente un coût globalisé de 125 milliards de francs pacifique sur la période 1984-2025 ; on a isolé la « part sécu » et la « part pays ». Quand on regarde les résultats, on est extrêmement surpris de voir que l’incidence et la prévoyance ne sont pas différentes de ce que l’on observe en métropole ; la grosse différence en revanche tient au fait que le diagnostic est effectué 15 ans plus tôt en métropole. Le problème n’est donc pas un problème de dépistage.
On a toujours séparé l’indemnisation de la victime au titre du préjudice subi (qui est d’ailleurs toujours moins bien indemnisé qu’en métropole) et celle au titre du préjudice social, qui est notamment porté par la CPS ; or, quand des affaires d’indemnisation devant le Civen sont passées en justice et que le préjudice a finalement été estimé, le jugement est rendu sur les deux préjudices mais c’est pourtant la caisse qui a payé l’ensemble !
Mme Dominique Voynet (EcoS). J’ai deux questions à vous poser. Le chiffre avancé de 14 000 dossiers est impressionnant ; peut-on aller davantage dans le détail en liant le nombre et la nature des cancers et des essais avec l’existence d’éventuels clusters (dans les Gambier par exemple…) et l’âge moyen des victimes ? Est-on capable de le faire ? Ma seconde question est la suivante : à mon sens, les médecins travaillent un peu avec un bandeau sur les yeux. Est-on véritablement capable de dire que l’évolution de certaines maladies va plus vite en Polynésie que dans d’autres territoires ? Est-on par exemple capable de dire que certains cancers évoluent plus vite ici qu’à Wallis-et-Futuna ou en Nouvelle-Calédonie ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. C’est compliqué car il faudrait rentrer dans le détail des dossiers médicaux pour accéder à divers éléments comme la date du diagnostic, la date du décès éventuel, le stade de la pathologie... Il faudrait donc avoir accès à la complétude du dossier pour pouvoir ensuite comparer toutes ces données. Or les médecins conseils n’ont pas accès à tout cela ! À cet égard, l’intérêt de l’ICPF est que, lui, devrait avoir accès à l’ensemble des dossiers.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Dans les chiffres que vous avancez ici, est-ce que vous êtes repartis depuis 1984 pour intégrer les 23 maladies qui figurent actuellement dans l’annexe à la loi Morin ? Par ailleurs, la commission d’enquête s’intéresse aussi aux conséquences sociales des essais : pouvez-vous sur ce point nous faire un bref rappel historique du transfert de la compétence santé à la Polynésie française ?
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Il faut bien avouer que toutes les conséquences de ce transfert n’ont pas été mesurées lors du transfert de la compétence santé à la Polynésie en 1977 lorsqu’elle a bénéficié de l’autonomie !
Mme Dominique Voynet (EcoS). Si vous avez besoin à un moment quelconque d’avoir accès à des dossiers de personnes avant 1984, à qui vous adressez-vous ? Cela est-il arrivé ? Avez-vous, à cette occasion, sollicité par exemple l’armée, un employeur, une caisse ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. On peut sans doute avoir l’information mais tout cela n’est malheureusement pas informatisé…
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Par ailleurs, je précise quand même que nous n’avons pas accès aux archives militaires.
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. On a un certain nombre d’archives, notamment pour calculer le montant des retraites versées ; mais tout cela prend beaucoup de temps faute d’informatisation. En outre, il y aura un problème si l’on fait appel à une entreprise à laquelle le CEP a pu recourir et qui a depuis disparu.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Avez-vous pu bénéficier de l’aide du CEA sur ce point car il peut éventuellement avoir par devers lui la liste des entreprises concernées ?
Mme Dominique Voynet (EcoS). Effectivement, est-ce que vous leur avez envoyé des demandes d’informations ? Avez-vous des traces écrites de ces demandes ?
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Je ne sais pas, d’autant que plusieurs documents sont couverts par le secret défense…
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Vous pourriez sans doute avoir des informations, ne serait-ce que la liste des entreprises qui ont permis de construire le CEP.
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Oui mais on peut avoir travaillé sur le CEP sans pour avoir été présent au moment d’un essai.
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous, si l’on supprime le seuil de 1 millisievert, du caractère irréfragable du lien qui pourrait ainsi être établi entre l’essai et la pathologie radio-induite ? Si les critères de lieu et de temporalité sont remplis ainsi que celui de la maladie référencée sur le décret de 2014, on devrait pouvoir indemniser !
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. La loi Morin définit effectivement trois critères différents : la maladie, la temporalité, le lieu mais le critère qui nous gêne, c’est le 1 millisievert ; ce qui nous gêne aussi, c’est le fait que certaines maladies ne soient pas présentes dans le décret, comme par exemple le cancer de la prostate. SI l’on ne prend en considération que les maladies figurant sur la liste annexée à la loi Morin, on ne traite finalement que 10 % des cancers.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Que pensez-vous de la transmission intergénérationnelle de certaines maladies ? Avez-vous travaillé sur ce sujet ?
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Ça peut effectivement exister mais c’est un sujet complexe car il faut pouvoir le prouver. Or cette preuve réside dans l’examen de cellules sexuelles, qui sont très fragiles et dont l’étude s’avère de fait particulièrement délicate.
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Pour qu’il y ait de l’intergénérationnel, il faudrait de grosses radiations : même si elles ont lieu, étaient-elles suffisantes pour autant ? Il y a sur ce sujet des avis contraires, en tout cas partagés. Par ailleurs, si l’on parle en termes de cancers, est-ce la bonne approche ? Les conséquences ont finalement été plus sociétales et sociales que médicales de mon point de vue. Je n’ai jamais vu ou ressenti le syndrome de la psychose ; je n’ai absolument pas le sentiment qu’une personne serait particulièrement angoissée du seul fait qu’une personne de sa famille aurait été irradiée par le passé.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Avez-vous des chiffres sur l’évolution du taux de natalité, sur d’éventuelles fausses couches, sur des malformations de nouveau-nés depuis l’installation du CEP ?
M. Vincent Dupont, directeur de la Caisse de prévoyance sociale. Pour tout ce qui ne relève pas du cancer, il faudrait aller chercher dans les archives du Centre hospitalier de Polynésie française (CHPF).
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Je connais beaucoup de personnes qui étaient à Moruroa et qui n’ont effectivement pas pu avoir d’enfants. Faut-il pour autant le généraliser ? Je ne sais pas.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Est-ce que la CPS a des chiffres concernant le nombre d’enfants mort-nés en Polynésie, notamment au moment où ont eu lieu les essais ?
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale. Non, ce serait plutôt le CHPF qui pourrait avoir ce type d’informations. D’ailleurs, une autre question se pose concernant l’éventuel nombre de fausses couches. Il y a un vrai problème de définition et d’appréhension scientifique du phénomène des essais nucléaires ; la seule véritable différence en matière épidémiologique, ce sont les maladies cardio-vasculaires ; les essais semblent avoir eu une incidence particulière sur ce point et c’est assez troublant.
Mme Dominique Voynet (EcoS). D’où ma demande de travailler en effectuant des comparaisons avec ce que l’on peut trouver en Nouvelle-Calédonie ou dans d’autres territoires en matière d’hypertension, de diabète.
M. le président Didier Le Gac. Avez-vous eu un début de remboursement de la part de l’État en ce qui concerne les frais engagés par la CPS pour indemniser les personnes atteintes de maladies radio-induites ?
M. Patrick Galenon, président de la Caisse de prévoyance sociale: on ne cesse de le demander ! On l’a encore fait officiellement le 3 décembre 2023 en dernier lieu mais aucune suite n’a été donnée depuis.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie vivement pour votre participation à cet entretien.
M. le président Didier Le Gac. Nous sommes très heureux de vous revoir, Monsieur le Président, pour procéder à une audition dans un cadre plus formel que celui de nos discussions d’hier. J’en profite immédiatement pour vous remercier de tout ce que faites pour faciliter l’organisation de notre séjour en mettant à notre service une salle pour travailler et procéder à certaines auditions, rendant ainsi nos relations plus faciles et plus fluides qu’avec d’autres acteurs.
Je ne vais pas vous rappeler l’histoire de cette commission d’enquête, que nous avons évoquée hier, et à laquelle nous sommes tous attachés. Dans le cadre de nos travaux, il était inenvisageable pour nous de ne pas venir sur place, ici en Polynésie française, pour rencontrer un certain nombre d’acteurs. Nous vous remercions d’ailleurs une nouvelle fois pour avoir bien voulu vous rendre disponible un dimanche !
Comme vous l’avez dit hier, Monsieur le Président, ce sujet des essais nucléaires vous est particulièrement cher puisque celui-ci fait en quelque sorte partie de votre « domaine réservé » en tant que Président de la Polynésie française, mais je rappelle que vous aviez également déposé et présenté une proposition de loi sur ce sujet en juin 2021, qui avait malheureusement été rejetée en commission mais que je me souviens avoir votée à titre personnel ! Autant dire que vos propos, ainsi que ceux de vos ministres ici présents, seront très importants pour nous.
Avant que vous n’interveniez et que nous puissions tous échanger, je vais devoir, comme la réglementation m’y oblige, vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Moetai Brotherson, Cédric Mercadal et Taivini Teai prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. L’idée de construire un « centre de mémoire sur les essais nucléaires » est un vœu formulé par les Polynésiens depuis 2006 et a d’ailleurs été approuvé par les présidents de la République François Hollande et Emmanuel Macron. L’État a mis à disposition un bâtiment pour ce faire mais le Pays souhaite préalablement la constitution d’un comité scientifique avant de s’engager pleinement dans ce processus. Pouvez-vous nous indiquer les raisons de cette demande ? Où en sont les discussions aujourd’hui ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. L’idée de construire un centre de mémoire a commencé à émerger dès 2005 après le travail de la commission d’enquête diligentée par l’Assemblée de Polynésie française ; elle a été reprise par les Gouvernements successifs du pays jusqu’à se traduire par la signature d’une convention avec l’Etat portant sur l’érection de ce centre de mémoire. Au moment où cette convention se fait, ce sont les autonomistes (Édouard Fritch) qui étaient au Gouvernement ; du côté des indépendantistes et de quelques autonomistes, une crainte a commencé à naître, consistant à penser que ce centre ne deviendrait qu’une « machine à blanchir » les essais nucléaires ; d’où la nécessité de se pencher sérieusement sur son contenu ! J’ai toujours pensé que ça ne devait pas être un musée au sens strict du terme ; ce doit être un centre où l’on expose les faits, à charge et à décharge, et on laisse le visiteur vivre cette histoire et se forger sa propre conviction. Quand je prends mes fonctions de président en mai 2023, je fais le point sur ce dossier avec Yolande Vernaudon. On a constitué un comité l’an dernier ; celui-ci a commencé ses travaux et on continue d’avancer avec différents comités de travail qui regroupent une cinquantaine de personnes (scientifiques, membres associations…) qui se réunissent régulièrement. On a essayé d’être sinon œcuméniques, du moins d’être variés en tout cas en ce qui concerne la composition de cette communication.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Toujours sur le centre de mémoire, êtes-vous satisfait de l’avancement des travaux ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Non, je ne le suis pas ! Objectivement, je ne pense pas qu’on puisse aller plus vite. On vient de signer devant un notaire la prorogation de l’affectation du lieu car les travaux devaient être achevés aujourd’hui et ce n’est pas le cas. Je souhaiterais que ça aille plus vite mais il ne faut pas bâcler ce travail ; j’ai dit que ce lieu ne devait pas être un lieu de colère, ni de propagande à la gloire du commissariat à l’énergie atomique (CEA). Pour moi, l’enjeu, la cible principale, c’est notre jeunesse car si ce centre devait demain devenir une sorte de cercle des poètes disparus pour seulement quelques retraités se retrouvant là dans une ambiance de naphtaline, on aura totalement raté notre mission. En plus, le terrain pour édifier ce centre se trouve juste à côté de parcs, de lycées… Il faut en profiter pour en faire un véritable lieu d’attraction pour notre jeunesse ; il faut que ce soit également un lieu où l’art puisse s’exprimer autour de ce sujet.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Vous avez dit « ni à charge, ni à décharge » Monsieur le Président : c’est aussi notre point de vue dans le cadre de cette commission. On vient d’auditionner juste avant vous les responsables de la CPS, qui nous ont donné des chiffres, notamment le coût pour les Polynésiens de l’indemnisation des personnes affectées par les rayons ionisants ; pouvez-vous nous dire un mot sur le transfert de la compétence santé à la Polynésie française ? Dans quelles conditions celui-ci s’est-il effectué ? Et par ailleurs, les autorités locales de l’époque avaient-elles conscience de ce que ce transfert allait impliquer pour la Polynésie ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Il faut replacer les choses dans leur contexte. Tout a démarré en 1977 avec le premier statut d’autonomie de la Polynésie ; à cette époque, hormis quelques personnes engagées contre le combat nucléaire, la classe politique n’est majoritairement pas informée des effets probables des essais nucléaires ; de fait, lorsque le transfert de la compétence santé se fait, on ne voit absolument pas se profiler le souci sanitaire qui va survenir quelques années après. Le premier qui en parle, c’est Oscar Temaru qui, par le biais de Bengt Danielsson (antinucléaire de longue date), rencontre des scientifiques japonais qui lui disent de faire attention aux effets des tirs nucléaires, les maladies apparaissant généralement dix ans après. Or, en 1977, on est dix ans après le tir Aldébaran et on commence seulement à constater l’apparition de maladies radio-induites en Polynésie française mais personne n’est alors au courant, ni les politiques, ni les responsables du système de santé.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Il existait pourtant déjà au moins un rapport américain sur les dangers du nucléaire !
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Certes mais il faut se souvenir que ce rapport de l’armée américaine date de 1961, qu’il a été traduit et envoyé à la France en 1962. Il fait suite aux essais nucléaires atmosphériques américains et détaille les effets pathologiques des tirs mais, dans les faits, personne ne connaît ce rapport en 1977, en France ! On n’en prend connaissance que lorsque Richard Tuheiava devient sénateur, s’empare du sujet et commence à l’étudier.
M. Cédric Mercadal, ministre de la Santé et de la Prévention, chargé de la Protection sociale généralisée. Il faut également se souvenir que le système de santé de la Polynésie française à cette époque, entre 1950 et 1970, était largement un corps d’armée : c’était de la médecine militaire ! On a hérité également de tout cela dans le système médical polynésien ; on n’était donc pas dans l’optique de développer notre médecine ici, de faire de la recherche… On ne travaille par exemple vraiment sur le cancer que depuis 2015/2016, mais on n’était pas plus au fait de tout cela avant la fin des années 2000…
Mme Dominique Voynet (EcoS). Au fil de nos travaux, on a auditionné et entendu parlé de personnes ayant eu des statuts très différents lorsqu’elles ont travaillé sur les sites militaires, principalement du CEP : des militaires bien sûr, mais aussi des gens ayant un statut civil, des personnes recrutées par des entreprises tierces, parfois un peu de force et pas sur la seule base du volontariat comme on nous l’a parfois fait croire… Comment s’appliquait le code du travail à l’époque ? D’ailleurs, était-ce le code du travail français qui s’appliquait ou pas, et comment peut-on vérifier qu’il était alors effectivement respecté ? Car on a des témoignages écrits ou oraux qui nous disent que les gens n’avaient alors pas de dosimètre, ne bénéficiaient pas de contrat de travail, qu’ils étaient payés en liquide ce qui posait ensuite problème pour reconstituer leurs carrières en vue de toucher une retraite…
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. La compétence travail a été transférée à la Polynésie non en 1977 mais seulement en 1992 ; de fait, le code du travail français s’est appliqué en Polynésie jusqu’à cette date, comme en métropole, mais ce serait peut-être à vérifier…
M. le président Didier Le Gac. Quel est votre avis sur la mission « aller vers » ? Est-ce, de votre point de vue, un progrès ? Faut-il l’amplifier ? Que pensez-vous de l’éventuelle création d’une antenne du Civen en Polynésie française ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. La mission « aller vers » a forcément constitué un progrès mais je ne sais pas si elle a finalement été si efficace que cela… On a tous les ans un rapport qui nous est remis sur cette mission : elle a été prolongée. La mission « aller vers », ce sont des Polynésiens qui vont à la rencontre d’autres Polynésiens ; je n’ai pas de raison de douter de la bonne foi de cette mission. Elle semble parfois être en concurrence avec l’activité de certaines associations, notamment l’association 193 (mais pas seulement elle), associations qui avaient historiquement cette fonction d’aider les victimes à constituer leurs dossiers d’indemnisation. On assiste aujourd’hui à de grandes discussions entre l’association 193 et cette mission « aller vers », l’association mettant en exergue le manque d’efficacité de cette mission. À titre personnel, je n’ai pas les éléments pour le dire.
Je crois par ailleurs qu’il existe plusieurs obstacles à la constitution d’un dossier d’indemnisation. Une barrière psychologique tout d’abord parce que les personnes concernées ont subi un traumatisme et souhaitent assez logiquement l’oublier. Un obstacle dû à la distance ensuite. Un manque d’enthousiasme des Polynésiens pour tout ce qui est « paperasse », notamment si celle-ci est dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas forcément. Quand j’étais député, j’avais demandé à ce que les supports ou les documents échangés avec le Civen soient enfin traduits en langues locales et n’existant pas seulement en français… Il existe également des obstacles administratifs alors que notamment lorsque certains documents ont disparu. Pour ma part, je suis preneur de tout dispositif qui permet d’aider et d’améliorer la constitution des dossiers.
M. Cédric Mercadal, ministre de la Santé et de la Prévention, chargé de la Protection sociale généralisée. On a à faire face à un gros problème de relevés de carrières. L’informatisation de la CPS ne date que de 1986 ; on n’a donc pas d’informations précises sur le passé pour les gens qui veulent faire reconnaître leurs droits.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je crois qu’on a tous été choqué de voir que pas mal de déchets de l’époque du CEP avaient été « océanisés » ou « lagonisés » sur les anciens sites des essais nucléaires. On a aussi entendu parler du nettoyage des avions qui traversaient les nuages nucléaires pour recueillir les échantillons (les fameux « vautours »), également du nettoyage d’autres appareils (avions, hélicoptères) qui se faisait sur place… Le Gouvernement polynésien a-t-il déjà demandé à ce qu’il soit procédé à des explorations océanographiques pour effectuer des analyses des milieux marins ?
M. le président Didier Le Gac. D’ailleurs, dans votre proposition de loi, il y avait l’idée de créer une commission sur les déchets…
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. L’idée générale de la proposition portait également sur les sites de tirs. Il existe deux puits, PS1 et PS3, dont on nous certifie qu’ils vont résister au temps et à tout le reste mais dans le même temps, on anticipe que la partie dure du sol serait menacée d’effondrement au niveau des atolls, ce qui a justifié le financement du projet Telsite à hauteur de 12 milliards de francs pacifique. J’ai tendance à croire que lorsqu’on finance ainsi un tel thermomètre, c’est qu’on soupçonne la fièvre d’arriver ! Il y a eu une vaste opération de dépollution mais ce qui a été fait en vérité, ce sont surtout des opérations par rapport aux métaux lourds et au fioul ; on a par ailleurs démonté des hangars, cassé de vieux bâtiments, évacué une partie des déchets… L’idée de faire des prélèvements par le biais d’une mission océanographique pourrait être intéressant mais ce serait sans doute très compliqué sur la partie extérieure, sans doute plus facilement faisable dans le lagon ; sauf erreur, des plongeurs militaires et civils sont d’ailleurs allés à la limite du lagon dans le cadre de l’opération de dépollution mais pas plus loin.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. A-t-on des informations par rapport au réservoir d’avion qui a été récupéré récemment à Hao ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Non ; je sais qu’on a cru initialement que ce pouvait être un obus ou une torpille mais c’est finalement un réservoir, dont on ne sait pas comment il est remonté dans le lagon. Sinon, je ne sais pas où il est actuellement entreposé.
Mme Dominique Voynet (EcoS). On nous a pourtant affirmé sous serment qu’on n’avait « océanisé » que des déchets coulés dans le béton, ce qui est manifestement faux !
M. Yoann Gillet (RN). Vous avez dit tout à l’heure que vous souhaitiez que le centre de mémoire ne soit « ni à charge, ni à décharge » mais, au-delà, quelle serait selon vous la bonne réparation pour la Polynésie ? Comment faire en sorte que ce sentiment de colère puisse s’estomper ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Vaste question…
Je pense que la demande de pardon est le préalable incontournable ; j’ai été très déçu que le Président de la République ne le fasse pas en juillet 2021. Quelques mois plus tard, il a demandé pardon aux harkis : pourquoi pas à notre égard ? Ce n’est pas coûteux mais symboliquement c’est important.
Ensuite, il y a l’indemnisation des victimes. On sait que, depuis le vote de la loi Morin, un mécanisme existe ; il est imparfait et il faut donc l’améliorer. Il ne se passe pas un mois sans que je reçoive un message d’une personne faisant état d’un dossier rejeté, parfois au sein de la même fratrie, avec le dépôt de dossiers identiques, le refus du Civen portant au surplus sur des pathologies qui peuvent être plus graves le cas échéant ! Les gens ne comprennent pas ; ils ne peuvent pas comprendre. Il faut donc un mécanisme qui soit à la fois plus simple et plus efficace. Je sais qu’il existe des demandes d’indemnisation automatique pour les personnes qui ont travaillé là-bas mais je ne pense pas que ce soit la bonne solution car des gens ont travaillé à Moruroa et se portent très bien ! J’ai moi-même les deux cas dans ma famille. Je pense que, dès lors qu’on déclare une pathologie radio-induite, il faut pouvoir être indemnisé beaucoup plus simplement qu’aujourd’hui.
Se pose également le cas des victimes indirectes : la loi Morin est le seul mécanisme qui ne prenne pas en compte les victimes indirectes ! Ça fait polémique et ça fait peur à l’État mais le sujet des effets transgénérationnels, c’est-à-dire des situations où l’on a à faire non à des pathologies strictement identiques mais à des effets médicaux observables sur les enfants par exemple, doit être traité. On me dit que les méthodes actuelles ne le permettent pas mais, dans ce cas, ne peut-on changer de méthode ?
M. Yoann Gillet (RN). Est-ce que vous, si le pardon devait arriver, vous l’accepteriez publiquement ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Ça me paraîtrait naturel et ce pardon serait accepté par le Polynésiens, pas seulement par moi. La Polynésie reste un pays très chrétien et je vous rappelle que le pardon figure évidemment dans les grands préceptes de la religion chrétienne.
Mme Dominique Voynet (EcoS). C’est généreux et impressionnant d’accorder son pardon dans ces conditions ! Mais le pardon serait sans doute plus efficace si l’on ouvrait en grand les portes et les fenêtres pour que toute la vérité soit faite sur cette époque. L’armée a assez largement déclassifié ses archives pour que la vérité soir faite ; ce n’est pas le cas du CEA… Hier, vous avez abordé un point essentiel : le préjudice fait à la Polynésie est avant tout d’ordre moral, psychologique et pas seulement sanitaire et environnemental ; il touche à la manière dont les personnes envisagent leur avenir. Que faut-il faire, dans ce cas, pour qu’il y ait une réparation mais du point de vue collectif ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Il y a plusieurs façons d’envisager cela. La question financière se pose évidemment, avec la question des sommes dues par l’État français à la CPS, à la sanctuarisation de ce que l’on appelle ici « la dette nucléaire » soit les 18 milliards de francs pacifique accordés à l’époque et qui pourrait s’arrêter du jour au lendemain si la France élisait un nouveau Président de la République, un nouveau Parlement… Si je prends les compétences de la Polynésie française, notamment l’éducation et la santé, notre statut actuel permet de faire déjà beaucoup de choses mais de manière limitée. Aujourd’hui, on ne peut pas avoir école d’immersion par exemple (type école Diwan…) alors que toutes les études faites par les experts montrent que les élèves issus de ces écoles ont de meilleurs résultats dans toutes les matières, pas seulement en langue ou en français. Il serait temps qu’on puisse le faire. Dans le domaine de la santé, je suis fils d’infirmer ; on est compétent en matière de santé en Polynésie, pas en matière de médicament ce qui rend notre intégration dans le système de santé assez délicat à mettre en œuvre. Quand on voir le taux de décrochage scolaire en Polynésie, on se dit que le polynésien est moins doué ou qu’il ne trouve pas sa place dans le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Il faut se souvenir que le Lycée Paul Gauguin a été construit parce qu’il fallait à l’époque un lycée pour les fils des personnels du CEP, mais seulement en vue de leur permettre de continuer leurs études une fois rentrés en métropole ; on n’a absolument pas pensé aux enfants polynésiens…
Mme Dominique Voynet (EcoS). Les enseignants en Polynésie sont-ils obligés de parler le tahitien, ou une autre langue locale ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Non, pas plus que les généalogistes ou tout autre fonctionnaire du pays… Il existe tout de même des écoles où l’enseignement se fait en moitié en langue locale, moitié en français.
M. le président Didier Le Gac. J’ai une question par rapport à la mauvaise foi, qu’on a évoquée précédemment. Que pensez-vous du livre du docteur Baert qui nie la relation entre les cancers observés en Polynésie et l’exposition aux tirs ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Je ne veux pas juger ce monsieur, ce n’est pas à moi le faire. Il a à peu près mon âge ; c’est dommage qu’il n’ait pas été en poste ici dans les années 1980 ou 1990 où il aurait pu voir et soigner les victimes d’essais nucléaires dont la peau partait parfois en lambeaux… Je suis assez choqué par le contenu du livre mais c’est de sa responsabilité.
M. Yoann Gillet (RN). On ne fait pas ce reproche de ne pas avoir vécu cette histoire aux auteurs du livre Toxique !
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Ça pourrait effectivement être intéressant de les mettre face à face. Dans le livre Toxique, on peut y lire des analyses très intéressantes sur le trajet des nuages des tirs mais ils ne développent pas davantage de point de vue strictement médical.
Sur la question de la transmission, dans les années 1992-1996, un groupe de professeurs avait été chargé de réviser les manuels scolaires pour y intégrer l’histoire de l’annexion et celle des essais nucléaires. Moi, j’ai cinq enfants, âgés de onze à trente-cinq ans ; eh bien, ils sont tous passés au travers ! Personne ne leur en a parlé ! Il se trouve que, même si cette période des essais figure dans les livres, et alors même qu’il y a davantage d’enseignants polynésiens que par le passé, je suis sûr qu’une partie d’entre eux s’autocensurent lorsqu’il s’agit d’évoquer les essais. Amenez une classe de terminale voir la pièce de théâtre Les Champignons de Paris : ils y apprendront tout ! Je me souviens que, de 2014 à 2017, j’avais en charge l’éducation populaire comme adjoint au maire de Faʻaʻā. On avait mis en place une sorte de cinéclub itinérant en partenariat avec le Festival international du film océanien (FIFO) et notre première projection s’est déroulée dans un quartier social où nous avons projeté le film Aux enfants de la bombe (2012). La projection était ensuite suivie d’un débat avec des experts ; et je me souviens qu’à la fin de la projection, un jeune homme d’une vingtaine d’années avait levé la main pour intervenir, les larmes aux yeux car il venait ainsi d’apprendre que l’on avait procédé à des essais nucléaires dans son pays !
Mme Dominique Voynet (EcoS). L’État a parfois fait preuve de déni, a caché des informations… Avez-vous constaté aujourd’hui un changement d’attitude de la part de l’État ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Il y a un changement depuis que le dispositif de la loi Morin existe. L’État ne peut plus refuser de discuter désormais. La posture peut varier d’un Haut-Commissaire à l’autre ; sur cette question, le Haut-Commissaire Spitz est un homme pragmatique avec lequel on peut discuter. Cela dit, il y aura toujours une position assez constante de l’État comme quoi il faut tourner la page donc on ne sera jamais d’accord sur tout ; il faut écrire des pages mais pas tourner la page.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Et par ailleurs, on ne peut pas tourner une page blanche !
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. La question de la restitution des atolls, qui fait parfois partie de nos discussions, nous ramène à la question des compétences. En principe, en droit des collectivités locales, quand il y a transfert de compétences, il y a évaluation préalable. Pourtant, si l’on étudie les différentes évolutions statutaires de la Polynésie française au fil du temps, on se rend compte qu’une telle évaluation n’a été faite qu’une seule fois, pour l’éducation, et encore partiellement ! Aujourd’hui, on a des communes qui veulent que le pays leur transfère ou partage avec elles certaines compétences (le sport, le social, la culture…) mais je rappelle que ce sont en principe des compétences du pays. La compétence générale lui a été retirée quand le code général des collectivités locales (CGCT) a été mis en œuvre en Polynésie ; il y a aujourd’hui une tolérance du pays pour que les communes exercent certaines compétences qui sont en principe de son ressort mais il ne faut pas exagérer.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Dans le cadre de l’autonomie de la Polynésie et notamment au regard de ses compétences en matière de santé et d’environnement, qu’est-ce que le pays envisage de faire sur le sujet des essais nucléaires ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. L’action au niveau du Parlement doit aboutir à une évolution de la réglementation ; mais comme rien ne bouge, on s’est dit « fiou » pour reprendre un terme bien de chez nous (lassitude, impatience, contrariété… c’est tout ça en même temps, « fiou »). En attendant que les choses évoluent dans le cadre du dispositif étatique, nous avons décidé de créer notre propre statut des victimes des essais nucléaires ! On est en train de le faire ; un groupe de travail a été constitué avec l’ICPF (Institut du cancer de Polynésie française), la DSCEN (délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires), mon cabinet… pour donner de la substance à ce statut. La loi Morin pourrait voir la liste des maladies radio-induites étendue mais puisque rien n’est fait, on va définir nos propres critères. Toutes les personnes reconnues affectées par le Civen seront indemnisées : ça, ça ne pose aucune difficulté ; mais d’autres le seraient également désormais. Je sais que certains nous critiquent en disant que la Polynésie va payer à la place de l’État avec un tel dispositif. En fait, on raisonne différemment. Ce que l’on veut, c’est mettre en place ce statut, définir ce qu’on estime être pertinent comme périmètre, comme critères… et on mettra alors l’État en face de ses responsabilités en lui demandant d’expliquer le delta qui pourrait exister entre les deux types d’indemnisation proposées.
M. Cédric Mercadal, ministre de la Santé et de la Prévention, chargé de la Protection sociale généralisée. La problématique de la dette de la CPS est avant tout d’ordre juridique. Le terme de « solidarité » n’est pas celui de « responsabilité » et donc, en l’état, la CPS doit tout payer. Il y a un responsable mais, dans les faits, c’est la CPS qui garde la facture sur les frais de maladie car le terme utilisé (« solidarité ») n’est pas le même.
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Sur cette question des chiffres, il faut au moins que l’État s’accorde sur une méthode de calcul et sur les données que l’on utilise !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. J’aurais une question à vous poser au sujet des archives. Pour mieux comprendre cette époque, il est absolument nécessaire de récupérer de nombreux éléments historiques. Mais la question se pose : où sont les archives ? Quelle est leur teneur ? On sait que le CEA reste globalement très fermé, comme on l’a ressenti lorsqu’on l’a auditionné, le 12 mars dernier. Localement, des archives existent-elles pour mieux connaître cette période et existe-t-il des difficultés d’accès sur ce point ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Vous savez qu’il existe plusieurs sources d’archives. Celles de la CPS mais seulement pour son fonctionnement après 1985 ; elles n’en sont pas moins importantes puisque ce sont des données médicales. Il existe évidemment un service des archives au pays, dont l’accès est public. Il existe également des archives télévisuelles, radiophoniques, privées qui, pour certaines, n’ont pas été versées. En ce qui concerne les archives déclassifiées, je rappellerais que, lorsque la Président de la République a fait cette annonce d’une plus grande ouverture d’archives restées classifiées jusqu’alors, un comité technique de déclassification a été créé, comprenant notamment deux représentants de la Polynésie française désignés par le Président : il se trouve que les deux représentants en poste aujourd’hui ne se rendent quasiment jamais en France et ne participent donc pas régulièrement aux travaux de ce comité, qui a pourtant un rôle essentiel puisque c’est lui qui détermine si un air est proliférant ou non. On en d’ailleurs en train de procéder à de nouvelles nominations.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Pouvez-vous nous dire un mot des archives faisant partie du « Fonds du Gouverneur » ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. Il existait une convention par laquelle les archives de l’État étaient stockées par le pays au sein du Service polynésien des archives (le SPA) mais nous n’avons pas l’intention de la renouveler. Parmi ces archives de l’État, il y a effectivement le fameux « Fonds du Gouverneur » dont on ne sait pas comment on va le stocker demain. Le Haut-Commissaire Spitz souhaite renouveler la convention mais moi, je n’ai plus de place au sein du SPA pour nos propres archives ! Il faut donc que l’État crée un centre d’archives ici, en Polynésie.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Nous avons auditionné tout à l’heure les responsables de la CPS et nous avons été fort étonnés de leur peu de curiosité sur certains sujets comme d’éventuelles statistiques concernant la mortalité infantile… Est-ce que toi, Cédric, tu en sais davantage ? Le pays a-t-il eu la curiosité de demander au CEP de lui fournir la liste des entreprises civiles ayant travaillé pour son compte à l’époque des essais nucléaires ?
M. Moetai Brotherson, Président de la Polynésie française. À ma connaissance, la demande officielle par le Gouvernement de Polynésie française n’a jamais été faite. Sur la question des femmes stériles ou de l’éventuelle importance d’enfants mort-nés, on en revient très vite à des questions tabous ! Sans dire qu’il y a une omerta sur ces sujets, disons que c’est à tout le moins très douloureux. Je sais qu’il y a des archives de l’église catholique qui existent sur les enfants enterrés, ce qui peut être un début de piste... Le seul semblant d’étude qui existe a été effectué par le docteur Christian Sueur pour le film Aux enfants de la bombe. Je l’avais rencontré ; il m’avait expliqué qu’il était pédopsychiatre mais que sa patientelle d’enfants présentait d’assez nombreux troubles psychiques ; au fil des discussions qu’il a pu avoir, quelqu’un lui a dit, sous forme de boutade, que c’était la faute aux essais nucléaires ! Sauf que le docteur Sueur a décidé de gratter un peu plus ce sujet et s’est rendu compte que, dans la quasi-totalité des cas où un enfant présentait des troubles, un parent ou un grand-parent avait travaillé à Moruroa. Il a été vilipendé pour cela mais, en tout cas, c’est la seule démarche qui a été faite sur ces possibles effets.
M. Cédric Mercadal, ministre de la Santé et de la Prévention, chargé de la Protection sociale généralisée. Pour répondre à la question de Dominique Voynet, on regarde ce sujet avec l’IPCF, notamment pour susciter et développer des projets de mémoires universitaires sur ces sujets. Malheureusement, ces études n’ont toujours pas été faites à ce jour.
M. le président Didier Le Gac. Monsieur le Président, Messieurs les ministres, nous vous remercions infiniment pour cet entretien et les réponses que vous avez bien voulu nous apporter.
M. le président Didier Le Gac. Monsieur le Haut-Commissaire, Madame la cheffe de la subdivision administrative de l'archipel des Tuamotu-Gambier, c’est avec un grand plaisir que nous vous auditionnons ce matin.
Comme vous le savez, une première commission d’enquête avait été créée, à l’initiative du groupe GDR de l’Assemblée nationale, sur les conséquences des essais nucléaires mais ses travaux ont été interrompus par la dissolution du 9 juin dernier. Grâce à la ténacité de notre rapporteure et de son groupe, une nouvelle commission a été créée sur le même sujet et nous voici donc au cœur de nos travaux, qui doivent prendre fin début juin, la rapporteure devant remettre son rapport le 10 juin au plus tard.
Nous sommes ici en Polynésie pour une semaine environ, avec un programme fort complet et chargé ; nous souhaitions évidemment vous entendre sur le sujet de notre commission d’enquête. Mais, avant de vous entendre tous les deux, je me dois de vous demander de prêter serment. Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Éric Spitz et Mme Alexandra Chamoux prêtent serment.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. J’ai été secrétaire général du Haut-Commissariat de 2008 à 2010 puis, après avoir occupé divers postes, je suis revenu ici le 26 septembre 2022 comme Haut-Commissaire. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a vraiment eu une évolution par rapport au sujet du nucléaire ; par le passé, certaines associations comme Moruroa e tatou étaient assez vindicatives (j’ai un souvenir de manifestations très rudes, notamment lors de la visite d’Yves Jégo, alors ministre des Outre-mer, dans les jardins de la résidence). Depuis, le Président Macron a réuni cette table ronde en juillet 2021 avec le pari de faire table rase du passé, de faire en sorte qu’on se dise les choses, qu’on mette tout sur la table. À la suite de ces rencontres, il a pris plusieurs engagements en juillet 2021 qui ont quasiment été tous tenus ; un gros travail a été fait. D’ailleurs, j’ai repris les verbatims des dernières élections territoriales en Polynésie et j’ai ainsi pu constater que le sujet nucléaire n’avait jamais été abordé lors de la campagne ; ce n’est plus un sujet polémique.
Quels étaient ces engagements ?
La création de la mission « Aller vers » tout d’abord, qui a été effective dès janvier 2022 et qui, dès le début, a été bilingue en travaillant à la fois en français et en tahitien. L’idée était, à travers des équipes uniquement composées de Polynésiens bilingues, d’aller au-devant des gens pour prendre contact avec eux, en faisant un véritable porte à porte dans les atolls, et pour les aider à constituer leurs dossiers d’indemnisation. La preuve que ça fonctionne, c’est qu’on a maintenant d’anciens membres de Moruroa e tatou qui travaillent avec nous. Aujourd’hui, c’est l’association 193 qui est la plus virulente ; le 1er juillet dernier, elle a accepté de venir me voir pour la première fois et ça s’est très bien passé ; ils étaient étonnés de voir tout le travail qu’on faisait et ils ont donc vu tout l’intérêt qu’il y avait à coordonner nos efforts. Le fait est qu’on est confronté aux mêmes difficultés ; on s’est par exemple promis de s’informer mutuellement quand on avait des dossiers pour éviter les éventuels doublons. Entre la loi Morin et la création de la mission « aller vers », on a eu davantage de dossiers transmis au Civen que pendant les deux années précédentes ; on a parcouru les 45 îles habitées de la Polynésie, ce qui a permis de constituer 1770 dossiers, dont 919 ont été envoyés complets au Civen ; cette mission devait s’achever fin 2024 mais j’ai obtenu qu’elle soit prolongée de deux ans supplémentaires, jusqu’au 31 décembre 2026. On bénéficiait de trois postes budgétaires mais un a été supprimé ; on n’en a plus que deux. Pour autant, on peut être satisfait du résultat obtenu au regard de cet engagement qui était très fort.
Le deuxième engagement ensuite, ça a été la création d’une compagnie de RSMA (régiment du service militaire adapté) à Hao. C’est chose faite depuis 2022, avec un doublement des effectifs dès l’année suivante. L’armée est en train de construire un magnifique complexe à Hao pour accueillir de nouveaux jeunes, dont la moitié sont illettrés, le taux d’insertion étant au final de 94 %, ce qui témoigne d’une très belle réussite. Le critère pour recruter ces jeunes est qu’ils soient le plus défavorisé possible. L’idée était également de redynamiser l’atoll de Hao puisque les encadrants du RSMA travaillent et vivent sur place, ce qui permet d’attirer des gens et de dynamiser l’économie et le tissu social. Je rappelle enfin que le RSMA est une formation militaire d’un mois pour apprendre le savoir-être minimal, ce qui est très recherché par les employeurs, et leur donner une formation qualifiante (dans l’électricité, le photovoltaïque, l’agriculture en région chaude, l’hôtellerie-restauration d’où la construction d’ailleurs d’un éco-lodge permettant d’apprendre les rudiments du secteur de la restauration).
Le troisième engagement a été le fonds Macron pour la transition énergétique. Au titre de ce fonds, nous finançons à 80 % (soit 2,7 M€) un projet de ferme solaire sur Hao porté par EDT (Électricité De Tahiti) ; nous avons également en cours un projet d’entreprise de carénage.
Nous travaillons également à la dépollution et à la déconstruction des anciennes installations du CEP à Moruroa et Fangataufa : en ce moment, l’armée dépense environ 40 M€ sur ce projet et nous travaillons en outre avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour mettre en place une biodégradation et une dépollution à l’aide notamment de plantes locales qui pourraient par ailleurs s’exporter.
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Sur le sujet de la déconstruction, l’idée est que toutes les anciennes infrastructures du CEP soient déconstruites à terme ; depuis 2021, il y a un suivi particulier du Haut-Commissariat sur cet engagement. Je suis en relations constantes avec l’armée sur ce point pour voir si l’on suit bien notre feuille de route. Aujourd’hui, tout ce qui existait a été déconstruit, seuls deux anciens abris en dur subsistent (ce sont des sortes de « blockhaus ») ; à chaque fois, on demande préalablement au maire de la commune concernée si l’on peut ou non déconstruire l’infrastructure existante, certains tavanas (« maires ») nous disant à cette occasion qu’ils utilisent ces bâtiments et qu’ils veulent donc les conserver. L’État étant propriétaire de certains bâtiments, il a souhaité que leur devenir se fasse en accord avec les propriétaires privés mais les règles d’indivision restent complexes, d’autant que tous les copropriétaires ne sont pas d’accord entre eux.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française: si, par exemple, un accident survient, c’est la responsabilité de l’État qui peut être engagée. J’ai donc saisi le tribunal administratif sur ces questions juridiques sous-jacentes pour qu’il nous éclaire. Je ne veux pas effacer le passé mais avant tout éviter des accidents bêtes !
Un autre engagement avait consisté à céder un terrain pour l’édification d’un futur centre de mémoire ; on a ainsi cédé l’Hôtel de la marine au bénéfice du Pays.
Enfin, entre autres engagements, il y avait la décision de prolonger le contrat de défense et le principe de consacrer 12 M€ à la dépollution des terrains situés à six endroits différents (Papeete, Faa’a, qui est la commune la plus importante de Polynésie française, Arue, Mahina, Pirae, et Tairapu Est).
Sur tous ces sujets, nous sommes en constante relation avec la Présidence ; je vois d’ailleurs le président Brotherson chaque semaine et nous avons une réunion de travail chaque mercredi.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. En vous entendant, on a l’impression que le sujet du nucléaire est passé ; vous nous l’avez dit au regard des programmes qui se sont confrontés lors des élections territoriales d’avril 2023. Pourtant je vous rappelle que le programme du parti qui a remporté les élections avait une revendication intitulée « Faire reconnaître le fait nucléaire », comme quoi le sujet est toujours d’actualité !
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Ce n’est pas le sentiment que j’ai, étant persuadé que tout le travail qui a été fait depuis plusieurs années sur ce sujet a permis d’aplanir les choses.
M. le président Didier Le Gac. Pourtant, en 2021, la parution du livre Toxique a eu un certain impact, comme la toute récente publication de l’ouvrage du docteur Patrice Baert. Les discussions restent vives ; comment vivez-vous cela ? Est-ce une réalité que vous constatez sur le terrain ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. En tant que représentant de l’État, je suis allé sur toutes les îles de la Polynésie française. Quand je rencontre les gens, on me parle de santé, de logement… mais jamais de nucléaire ! Une fois seulement, j’ai été interpellé sur ce sujet, sur l’île de Vahiné, et j’ai alors contacté la mission « Aller vers » pour qu’elle s’y rende. Il va de soi que la France a une dette à l’égard de la Polynésie et on fait tout aujourd’hui pour la réparer.
M. Yoann Gillet (RN). Les plus jeunes générations ne savent pas ce qui s’est passé en Polynésie française. C’est ce que je ressens assez fortement : est-ce également votre sentiment, ce décalage entre les anciennes générations et les plus jeunes ? Par ailleurs, vous avez fait état des engagements de l’État qui avaient été tenus : lesquels ne l’ont pas encore été ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Les essais nucléaires figurent désormais dans les livres d’histoire ; c’est au programme des élèves de sixième et de troisième et ce fut d’ailleurs le sujet donné au dernier brevet des collèges ici, en Polynésie. Je rappelle à ce titre que la compétence « éducation » est une compétence du pays ; nous, nous payons les enseignants mais c’est le pays qui a la responsabilité des programmes.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Sur votre question des engagements non tenus, il y en a un qui est le remboursement par la Sécurité sociale des frais engagés par la Caisse de prévoyance sociale (CPS). On s’était mis d’accord sur un forfait de remboursement de 71 000 euros pour tout dossier accepté par le Civen (ce qui représentait au final un montant global de 5 Mds de francs pacifiques, soit près de 400 dossiers retenus). À partir du moment où la revendication a consisté à ce que l’État rembourse tous les cancers depuis 1985, j’ai dit que je n’étais pas d’accord. On continue donc de travailler sur ce sujet avec la CPS mais on ne peut valablement rembourser n’importe quel cancer du poumon « classique ».
M. le président Didier Le Gac. Et que pensez-vous de la non réunion à ce jour de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Ça ne fait pas partie des engagements du Président de la République mais, sauf erreur, je crois que la ministre Catherine Vautrin s’était engagée pour qu’elle se réunisse au premier trimestre 2025.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Ça a déjà été dit, mais sachez que cette commission d’enquête n’est pas là pour instruire à charge ou à décharge. Il s’agit de comprendre, de se faire une opinion éclairée sur certains sujets afin de pourvoir tourner la page au mieux. Le pays ne souhaite d’ailleurs pas que ce passé soit effacé mais il veut qu’on en parle de façon juste.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. La composition très diversifiée du conseil scientifique et culturel du Centre de mémoire des essais nucléaires français en Polynésie (Pu Mahara) devrait y contribuer fortement.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Que vont devenir les territoires de Moruroa et de Fangataufa, qui font parfois l’objet de demandes de restitution au pays, sachant que ce n’est pas possible à tout le moins tant que les sites ne seront pas dépollués ? Par ailleurs, qu’en est-il des divers objets et matériels qui ont pu être « lagonisés » ou « « océanisés » comme ce réservoir d’avion Vautour récemment remonté à la surface ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. En ce qui concerne les sites de Moruroa et de Fangataufa, je rappelle qu’il y a chaque année des prélèvements qui sont effectués dans le cadre des missions Turbo, qui permettent de regarder l’impact environnemental de ces « lagonisations » passées. Outre ces moyens énormes qui sont déployés, il y a aussi un système mis en place à Moruroa de télésurveillance puisque, à tout moment, une partie de l’atoll peut théoriquement glisser dans la mer ; c’est également la raison pour laquelle on a installé des poteaux tous les 200 ou 330 mètres dans la mer pour casser les éventuelles vagues qui pourraient survenir. Je vous précise enfin que les missions Turbo associent tous les acteurs concernés comme le ministère de la Défense (avec le CEA et le DSCEN) ou l’ASNR (vous rencontrerez d’ailleurs je crois Hugo Lepage durant votre séjour ici) ce qui permet d’effectuer une surveillance à la fois constante et sérieuse. Quant à l’avenir de ces deux îles, je ne peux en parler puisque c’est un sujet politique et non plus institutionnel ; cette rétrocession n’est pas un débat. Pour ce qui est des objets « océanisés », vous pourrez voir ça avec l’amiral.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Au niveau de la passe d’Amanu à Hao, je crois qu’il y a pas mal d’objets « océanisés »
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Amanu est à deux heures et demie de bateau de Hao, donc tout de même pas vraiment au niveau de la passe. Par contre, l’armée connaît les points précis où elle a « océanisé » des objets et du matériel par le passé.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Le CEA et l’Amirauté sont compétents pour gérer les anciens sites ; vous, vous l’êtes sur tout le reste de la Polynésie. À ce titre, comment avez-vous géré la remontée de cette pièce d’avion, sans doute un réservoir d’avion Vautour : quelles sont vos interventions, voire implications dans ce type de découverte ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Quand on m’a signalé ça, on pensait tout d’abord à un obus. J’ai envoyé Alexandra Chamoux et la direction de la protection civile pour voir ce qu’il en était. On a photographié et analysé ce qu’on a trouvé et j’ai ensuite demandé à la Marine de récupérer l’objet. Les gendarmes ont effectué des prélèvements, qui ont ensuite été envoyés à Paris et qui font actuellement l’objet d’une enquête judiciaire.
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Cet objet est effectivement un réservoir d’avion Vautour ; il semblerait qu’il n’ait pas été forcément utilisé, sachant que certains réservoirs ont été récupéré par des habitants qui ont pu les utiliser par la suite comme bacs à fleurs !
M. le président Didier Le Gac. Faut-il pérenniser la mission « Aller vers » plutôt que de seulement la prolonger de deux ans ? Car un problème d’accès à l’information demeure…
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. On préfèrerait plutôt s’orienter vers un allègement des procédures dans le dépôt des dossiers. Il faut se souvenir que l’on s’adresse souvent à des ménages qui ne parlent pas bien le français ; la création d’une plateforme numérique pour assurer un meilleur suivi des dossiers pourrait sans doute être utile. Dans le cadre de cette mission, notre première tâche c’est l’information : 90 % de la mission, c’est de l’accompagnement de victimes pour constituer leur dossier d’indemnisation. À ce titre, les gens nous donnent à cette occasion deux procurations : une pour nous permettre de faire à leur place un certain nombre de démarches administratives (demande de relevés de carrière, d’actes de naissance, de justificatifs de domicile…) et une seconde procuration portant sur la seule partie médicale du dossier. C’est une procuration adressée à notre médecin-conseil, qui peut ainsi demander au Centre hospitalier de Polynésie française (CHPF) le dossier médical de la personne. Jusqu’au 31 décembre 2024, on bénéficiait de trois agents polynésiens et d’un médecin-conseil, ainsi que d’une chargée de mission qui pilote la mission « Aller vers », que je dirige par ailleurs. Le médecin-conseil est employé sous le statut de vacataire mais il est par ailleurs médecin-conseil pour d’autres tâches, comme celle consistant à vérifier l’aptitude des pompiers volontaires. Ce qui est sûr, c’est qu’on était convaincu qu’on allait devoir prolonger la mission « Aller vers ». Si l’on a du stock à ce jour, il va falloir voir si l’on a encore beaucoup de dossiers à traiter à l’avenir. Concrètement, on a visité 38 îles en informant à l’avance les populations de notre venue ou, autre possibilité, un administrateur a participé à une réunion avec le conseil municipal pour expliquer la démarche suivie. Et je trouve que, sur les dernières missions, on a eu un peu moins de dossiers qu’avant car l’information est passée, a bien été transmise.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Il y a bien une réunion avec le conseil municipal en amont mais, ensuite, la mission va directement voir les gens, en faisant du porte à porte. La mission « Aller vers » est ouverte tous les jours de la semaine et on peut se présenter ici sans rendez-vous. Si une personne souhaite venir et souffre d’un handicap, on se déplace.
M. le président Didier Le Gac. Quels liens avez-vous avez les associations d’aide aux victimes ? Y a-t-il une forme de concurrence entre vous ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Quand je suis arrivé, Moruroa e Tatou était en sommeil ; il a vraiment fallu attendre le 2 juillet 2024 pour que l’association 193 vienne me voir alors que je l’attendais depuis deux ans…
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. On a beaucoup de contacts avec le SDIRAF (Syndicat de Défense des Retraités Actuels et Futurs) qui, à l’origine, n’était pourtant pas une association qui avait vocation à traiter de ces questions d’indemnisation. Ils se sont pourtant pleinement emparés de ce sujet et nous avons donc de fréquents contacts avec son président, Émile Vernier. Nous entretenons également de très bonnes relations avec Yannick Lowgreen, président de l’association Tamarii Moruroa.
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Avant qu’Alexandra n’arrive, on avait déjà lancé les missions Turbo. L’armée a réalisé deux films sur leur déroulement, en français et en tahitien, et nous avons visionné ces films avec la population avant de débattre avec elle ; ça s’est très bien passé !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. C’est donc quand même bien un sujet ! Pouvez-vous nous expliquer pourquoi un dossier qui a été refusé ne peut être redéposé ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Il arrive souvent qu’une victime puisse penser que l’association la soutenant ou la mission « Aller vers » ont mal fait son dossier. Mais au final, c’est bien le Civen qui décide ; de notre côté, nous n’avons pas le droit de filtrer les demandes : c’est au Civen de se prononcer. On a donc des retours de décisions négatives et nous devons alors expliquer aux victimes le sens des décisions prises.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Qu’en est-il du contentieux ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. C’est un contentieux classique devant la juridiction administrative. Quelle que soit la personne qui se présente devant nous, on lui traduit le courrier du Civen ; on lui explique comment former un recours, on l’oriente vers une association le cas échéant mais on ne l’accompagne pas dans son recours.
M. Yoann Gillet (RN). Le but des travaux de la commission d’enquête à mon sens, c’est d’aboutir à une situation apaisée avec une certaine acceptation de ce qui est survenu par le passé. Il y a encore deux points de blocage néanmoins : le remboursement d’une partie de ses dépenses à la CPS, les indemnisations personnelles accordées ou non par le Civen. La mission « Aller vers » permet de déposer des dossiers ; avez-vous une idée du taux de dépôt de dossiers transmis par la mission « Aller vers » par rapport au total ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. En 2022, nous n’avons pas fait de bilan d’activité car c’était l’année de démarrage de la mission. En 2022 / 2023, on était à 38 % de taux d’acceptation, soit en gros le chiffre d’acceptation des demandes obtenu par le Civen en 2023 (qui était de 42 %). Les chiffres annoncés devant vous par le Civen lors de son audition ne m’étonnent pas car les dossiers sont moins bien ficelés ; pour les agents qui travaillent là-dessus au quotidien, c’est comme si la mission « Aller vers » était strictement assimilée au Civen donc c’est assez difficile d’expliquer les raisons de refus d’un dossier. Il existe également une certaine désinformation de la population où le lien cancer / indemnisation effectué par le Civen est présenté comme étant automatique de fait, dès qu’il y a un refus alors même qu’une personne est malade, il y a un énorme sentiment de frustration. Notre politique, finalement, consiste bien souvent à envoyer des dossiers au Civen quand bien même tous les dossiers ne seraient pas remplis.
M. le président Didier Le Gac. Pensez-vous qu’il serait opportun de créer une antenne du Civen ici, en Polynésie, qui pourrait ainsi instruire les dossiers sur place ?
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Peut-être mais, avant tout, il faudrait créer une plateforme numérique permettant de déposer les dossiers alors que tout se fait actuellement sous forme papier. On pourrait ainsi plus facilement suivre l’instruction des dossiers ; je précise à cet égard que, même si l’instruction conduite par le Civen est assez rapide, ce sont bien souvent les réunions qui sont complexes.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Est-ce possible, à votre avis, de récupérer la liste des entreprises qui ont travaillé pour le CEP ou est-ce que cela n’aurait aucun sens ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Si, ça aurait du sens, notamment si l’on pouvait ainsi connaître tous les sous-traitants. On travaille régulièrement à cet égard avec le docteur Pontis. Généralement, c’est le Centre médical de suivi (CMS) qui fait ce type de demandes mais divers services peuvent également être sollicités pour retrouver des dossiers.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Qu’en est-il par ailleurs des archives du fonds dit « Fonds du Gouverneur » ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. On a un vrai problème d’archives de l’État qui sont actuellement dans un bâtiment du Pays et auquel nous n’avons donc pas accès. On est actuellement en train de réfléchir à la construction d’un autre bâtiment. Une autre difficulté tient au manque de personnel pour les gérer, les inventorier… La convention entre l’État et le Pays sur ce sujet n’a pas été renouvelée et nous tournons de fait quelque peu en rond.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Le Fonds du Gouverneur a-t-il un statut particulier ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Je ne sais pas ; il faudrait sans doute demander à Paul Léandri, qui est le chef de la mission aux affaires culturelles au Haut-Commissariat de la République en Polynésie française.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Quel regard le Haut-Commissariat porte-t-il sur la première commission d’enquête sur les essais nucléaires ? Que pense-t-il par ailleurs de l’objet de cette seconde commission d’enquête et de ses neuf objectifs ?
M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Je suis très respectueux du pouvoir législatif donc je m’abstiendrai de répondre sur le fond. Sachez en tout cas que tout ce qui peut éclairer notre Histoire, notamment ici celle de la Polynésie, est intéressant et que nous y apporterons tout notre concours.
M. le président Didier Le Gac. Amiral, c’est un grand plaisir pour nous de vous rencontrer dans le cadre du déplacement qu’effectue une délégation de la commission d’enquête parlementaire sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.
Je vous rappelle que cette commission a été créée au mois de décembre dernier ; elle fait suite à une première commission d’enquête qui avait été créée en avril 2024 mais dont les travaux ont été ajournés à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) qui avait initié la première commission a décidé d’user de son droit pour créer une nouvelle commission sur le même sujet que sont les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie française entre 1966 et 1996. Cette nouvelle commission a été officiellement créée le 17 décembre dernier ; elle comprend 30 membres, issus de tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale et doit rendre son rapport au plus tard le 16 juin prochain.
Nous avons dès à présent effectué 24 auditions, ce qui nous a permis de rencontrer et d’entendre 74 personnes différentes : des historiens, des associations, des institutionnelles, des scientifiques, des vétérans.
Nous avons un programme très complet préparé par Mme la rapporteure ici présente pour cette semaine que nous passons en Polynésie. Hier, nous avons ainsi rencontré les dirigeants de la CPS ainsi que le président Moetai Brotherson ; juste avant vous, nous rencontrions le Haut-Commissaire Spitz. Une fois rentrés à Paris, nous aurons encore plusieurs auditions à effectuer dont plusieurs actuels ou anciens ministres (M. Neuder, ministre de la santé, M. Valls, ministre des outre-mer, M. Morin, ancien ministre de la défense et auteur de la loi qui porte son nom de janvier 2010).
Votre audition nous semblait indispensable, notamment puisque, en votre qualité de commandant supérieur des Forces armées en Polynésie et commandant des zones maritimes Polynésie Française et Océan Pacifique, c’est vous qui avez la responsabilité de la surveillance des atolls de Moruroa et de Fangataufa. À ce titre, nous vous remercions vivement pour tous les moyens logistiques que vous avez mis en œuvre pour nous permettre, demain, de nous rendre sur ces deux atolls.
Mais, avant que vous n’interveniez et que nous puissions tous échanger, je vais devoir, comme la réglementation m’y oblige, vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer chacun tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Guillaume Pinget, Aurélie Dumont, Laurent Bourgois et Antoine Tognelli prêtent successivement serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je vous laisse donc la parole, en vous disant encore une fois combien nous sommes heureux de vous rencontrer ici.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Monsieur le président, Madame la rapporteure, Madame et Monsieur les députés, je suis donc le contre-amiral Guillaume Pinget, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et commandant du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) depuis le 7 août dernier. À ce titre, j’assure aujourd’hui la responsabilité de la surveillance et de la protection, de l’entretien et du soutien logistique pour les anciens sites d’expérimentations nucléaires de Moruroa et Fangataufa.
Après la cession de Moruroa et Fangataufa en 1964, les deux atolls ont été affectés dans le domaine de l’État au ministère des Armées par l’arrêté n° 1878/DOM du 4 août 1964, qui leur confère la qualité de terrains militaires. Ils relèvent donc du ministère des Armées, notamment en matière de sécurité et de protection.
Concernant Hao qui était la base avancée de Moruroa, cet atoll n’est pas sous la responsabilité du MINARM, les forces armées s’étant retirées en juin 2000, mais aujourd’hui encore, nous travaillons sur des projets de dépollution notamment au niveau des anciennes emprises militaires qui ont été polluées aux hydrocarbures, aux PCB (polychlorobipohényle – composé chimique industriel autrefois utilisé dans les huiles isolantes pour les transformateurs électriques), et aux métaux lourds comme le plomb.
À mes côtés, la capitaine de corvette Aurélie Dumont, cheffe du bureau CEP, gère l’ensemble des besoins logistiques nécessaires pour le bon fonctionnement du camp militaire situé sur Moruroa. Elle facilite la logistique des équipes du CEA quand ils viennent en Polynésie pour la maintenance de leurs installations, pour la mission « Turbo », ou pour les campagnes topographiques de Moruroa et Fangataufa.
Pour les aspects techniques et scientifiques, je m’appuierai également sur deux experts du CEA, Laurent Bourgois qui a fait 34 années de sa carrière au CEA dont les 17 dernières à la direction des applications militaires. Il est ingénieur de formation, et a fait toute sa carrière dans le domaine de la radioprotection et du calcul d'impact. Antoine Tognelli, salarié CEA de la Direction des Applications Militaires depuis 21 ans, ingénieur hydrogéologue de formation, a passé toute sa carrière dans le domaine de la surveillance de l’environnement.
Je vais tâcher de vous apporter un éclairage précis sur l’organisation actuelle du CEP, sur les dispositifs de sécurité en place, ainsi que sur la contribution des armées au soutien logistique des missions de surveillance radiologique et géomécanique réalisés par les scientifiques du CEA, sous contrôle du département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires de la DGA (DGA/DSCEN).
Sans être expert de l’histoire du CEP, qui a été créé en 1962, je note deux périodes distinctes. Avant et après 1998. Avant la fin des essais nucléaires en 1996, la gestion des sites reposait sur une structure dédiée mixte armées CEA, sous l’autorité du ministère de la Défense.
Deux entités jouaient alors un rôle central :
- La DIRCEN (Direction des Centres d’Expérimentations Nucléaires) : Structure directement rattachée au ministère de la Défense, elle pilotait l’ensemble des essais. Elle supervisait les opérations techniques, scientifiques et de sûreté nucléaire sur Moruroa et Fangataufa. Elle organisait les campagnes d’essais, en assurait le suivi post-expérimentation et veillait à la gestion des infrastructures nécessaires aux tirs. Deux services mixtes de surveillance radiologique et biologique relevaient de la DIRCEN ; leur centre technique était installé à Mahina ;
- Le COMCEP (Commandement du Centre d’Expérimentations du Pacifique), subordonné à la DIRCEN assurait le commandement militaire des installations, le soutien des expérimentations et des opérations liées aux essais. Il avait en charge l’administration des sites, le soutien logistique et la coordination avec les autres acteurs du programme.
Avec la fin des essais en 1996 et la fermeture de la DIRCEN en 1998, une réorganisation en profondeur a été mise en œuvre. Il s’agissait de passer d’une logique d’expérimentation à une logique de surveillance et de sécurisation. Cette transformation a conduit à la mise en place du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) sous sa forme actuelle, qui intègre les missions de protection des sites et de soutien logistique pour le suivi environnemental, radiologique et géo mécanique.
Le cadre organisationnel actuel est fixé par les arrêtés du 7 septembre 1998 et du 4 juillet 2000, modifiant l’arrêté du 9 décembre 1986, qui définit les missions et responsabilités du Centre d’Expérimentation du Pacifique. L’article premier de l’arrêté de 1998 en définit clairement les missions.
Je rappelle que le centre d’expérimentations du Pacifique est chargé :
- d’assurer la protection et la défense des anciens sites d’expérimentations nucléaires ;
- d’assurer le soutien des opérations de surveillance géomécaniques et radiologiques sur les sites de Moruroa et de Fangataufa ; le commandement de ces opérations est assuré par le commandant du centre d’expérimentations du Pacifique ;
- de soutenir l’ensemble des moyens qui concourent à la préparation, à l’exécution et au contrôle de la surveillance géomécanique et radiologique de ces sites.
Le centre d’expérimentations du Pacifique relève pour l’emploi de l’état-major des armées.
Parallèlement, nous collaborons avec le DSCEN (Département de Surveillance des Centres d’Expérimentations Nucléaires), qui a été créé en septembre 1998 après l’arrêt des essais nucléaires en Polynésie française en 1996 et la dissolution de la DIRCEN en 1998 (Direction des centres d’expérimentations nucléaires). Le DSCEN relève de la direction générale de l’armement.
Vous avez récemment rencontré la Médecin en chef Jalady qui est à la tête du DSCEN et avec laquelle nous travaillons quotidiennement. Le DSCEN voit ses missions définies dans l’arrêté du 10 mai 2019. Ce département est chargé notamment de :
- assurer la direction et le suivi de la surveillance radiologique, géologique et géomécanique des sites pour le ministère des Armées ;
- de superviser et contrôler les missions périodiques de surveillance sur les sites de Mururoa et Fangataufa ;
- de présenter à la commission d’information auprès des anciens sites d’expérimentations nucléaires du Pacifique les éléments relatifs à la surveillance radiologique, géologique et géomécanique des sites, ainsi qu’aux impacts sanitaires des expérimentations.
- de conserver et d’exploiter les archives de l’ex-DIRCEN.
La collaboration avec le DSCEN et le CEA est matérialisée par un protocole tripartite relatif au soutien logistique apporté au CEA-DAM par le commandant supérieur des forces armées en Polynésie française COMSUP-PF pour la réalisation de la surveillance géomécanique et radiologique des atolls de Mururoa et Fangataufa.
Pour revenir à mes fonctions relatives au CEP, les missions se divisent en deux grands domaines.
En premier lieu, la surveillance des emprises militaires. En plus de leur statut de terrains militaires, Moruroa et Fangataufa ont un statut nucléaire spécifique : ils sont classés IANID (Installation et Activités Nucléaires Intéressant la Défense). Les différentes catégories des IANID sont énumérées dans l’article L. 1333-15 du code de la défense - parmi les IANID on va retrouver par exemple les INBS (installations nucléaires de base secrète) ou encore les systèmes nucléaires militaires. Les anciens sites d’expérimentations nucléaires du Pacifique constituent une catégorie particulière compte tenu du fait qu’il n’y plus d’exploitation du site.
Ce classement en IANID vise à maintenir un statut juridique spécifique, ce statut permet ainsi la surveillance radiologique à long terme et de protéger ces sites, dont l’accès n’est pas autorisé, compte tenu des enjeux stratégiques, sanitaires et environnementaux.
Dans ce cadre « nucléaire », les déchets nucléaires encore présents sur les 2 atolls et ceux qui ont été immergés font l’objet de déclarations périodiques par le DSCEN auprès de l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs) que l’on peut consulter sur leur site internet.
Aujourd’hui, la protection de l’atoll de Moruroa repose sur un détachement permanent d’une trentaine de militaires. Leur mission consiste à :
- contrôler l’accès aux zones sensibles et prévenir toute intrusion maritime ou terrestre ;
- assurer des patrouilles régulières, à la fois côté lagon et côté terrestre ;
- entretenir les sites et les infrastructures nécessaires à la bonne réalisation des missions de la surveillance géomécanique opérée par le CEA (nettoyage de panneaux solaires, défrichage des zones techniques).
L’un des enjeux majeurs de cette mission de surveillance est la protection des informations proliférantes qui pourraient y être trouvées par des compétiteurs, dont certaines informations pourraient être accessibles. Nous devons également restreindre l’accès aux atolls pour des raisons sanitaires (pollution radioactive résiduelle localisée au niveau du banc Colette ou au niveau des sédiments en fond de lagon au droit des anciens tirs sur barge).
Concernant Fangataufa, cet atoll ne bénéficie pas d’une présence militaire permanente. Nous avons décidé d’y effectuer une surveillance satellitaire militaire et des survols aériens réguliers afin d’y détecter toute activité anormale. Il n’y a pas de piste aérienne sur Fangataufa, l’atoll n’est accessible que par bateau.
En second lieu, l’apport d’un soutien aux missions du CEA
Les forces armées apportent en effet un soutien logistique permanent au CEA pour l’entretien des installations et dispositifs de surveillance qui vous seront présentés demain. Elles apportent également un soutien aux campagnes de surveillance annuelles menées par le CEA, notamment dans le cadre de la mission TURBO. Cette mission annuelle mobilise pendant un mois un bâtiment de la Marine nationale, le Bougainville, et son équipage, pour transporter les équipes scientifiques et leur matériel et assurer le soutien aux opérations de prélèvements environnementaux sur les atolls.
L'engagement des Armées dans ces missions se traduit concrètement par la mise à disposition des moyens militaires pour soutenir les équipes scientifiques pendant deux mois, et par l’appui logistique et l’entretien des infrastructures utilisées par le CEA.
Les résultats de cette mission de surveillance radiologique et ceux de la surveillance géomécanique sont présentés tous les ans par le DSCEN lors de la commission d’information locale qui a été créée par l’arrêté du 4 mai 2015 modifié par l’arrêté du 29 avril 2019. Le commandant supérieur des forces armées en Polynésie française est membre de cette commission qui est présidée par le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française.
Durant cette commission d’information, l’actuelle Autorité de Sûreté Nucléaire et Radioprotection (ASNR anciennement IRSN) présente également les résultats des prélèvements radiologiques réalisés dans le reste de la Polynésie.
Dans un cadre médical, les armées mettent à disposition de la direction de la santé Polynésienne un Centre médical de suivi des anciens travailleurs civils et militaires du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), le CMS, qui a été créé le 30 août 2007 et dont le fonctionnement est décrit dans la convention État Polynésie française n° 161-07 du 30 août 2007 relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du CEP et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d’expérimentation nucléaire. Ce centre comprend 2 médecins spécialistes en radioprotection et des personnels polynésiens qui facilitent notamment la communication en reo Tahiti.
Cette convention décrit les missions du CMS. L’objectif principal consiste à « proposer aux anciens travailleurs civils du CEP et aux populations civiles vivant actuellement dans les communes de Tureia, Reao, de Pukarua et de Gambier, ainsi que celles qui y résidaient entre 1966 et 1974, un bilan de santé individuel gratuit afin de répondre aux inquiétudes sur l’éventuelle présence, dans ces populations, de pathologies susceptibles d’avoir été causées par l’exposition à des retombées radioactives consécutives aux essais nucléaires. »
Je sais que vous avez d’ailleurs auditionné le chef du centre médical, le médecin chef Julien Pontis, le 12 février dernier. Il est en mesure de recevoir votre délégation à la direction de la santé cette semaine.
Enfin je terminerai par les travaux de dépollution actuels en cours sur Hao et qui portent sur différents projets :
- un projet de recherche scientifique avec le CNRS sur la dépollution des métaux à partir de bioremédiation (dépollution par les plantes), projet qui porte sur les 3 prochaines années ;
- un projet de thermomètre pour dépolluer les sols aux PCB que nous espérons commencer en 2026 ;
Je vous remercie et je reste à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie beaucoup et je laisse tout de suite la parole à Mme la rapporteure.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Pouvez-vous tout d’abord nous dire quelle est l’importance du sujet des essais nucléaires dans votre travail au quotidien ?
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Je suis arrivé ici pour la première fois en 1996, juste après la reprise des essais nucléaires ; le contexte était alors très compliqué. Lorsque j’ai pris mes actuelles fonctions il y a quelques mois, il allait de soi que le sujet du CEP allait faire partie de mon travail. Très rapidement, je me suis documenté sur cette histoire, je me suis rendu à Moruroa ainsi qu’à Hao ; c’est un des sujets importants sur lesquels je travaille, et qui donne lieu au moins une fois par semaine à une réunion, au moins dans le cadre d’un briefing sur la surveillance et la logistique de ces deux sites ; une partie des personnels qui y sont stationnés est relevée tous les mois, ou tous les 3 ou 4 mois. C’est également un sujet dont je parle régulièrement avec les élus…
Mme Dominique Voynet (EcoS). Quand on parle de la pollution des sites, il n’y a pas que la pollution radioactive mais aussi tout ce qui relève de la pollution chimique (hydrocarbures, polychlorobiphényles ou PCB, métaux lourds…) ; qu’en est-il par ailleurs de tous les déchets « océanisés » durant la phase active des essais ? En principe, vous déclarez chaque année un état des déchets ainsi jetés à la mer à l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ; comment ces sites sont-ils surveillés ?
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Sur le sujet des déchets radioactifs, ce sont ceux-là qui sont signalés auprès de l’ANDRA ; ils sont stockés dans des puits de tirs à Moruroa et à Fangataufa, à plus de 1 000 mètres de fond. À ma connaissance, on n’est pas allé faire de prélèvements là-bas ; dans le cadre de la mission Turbo, on n’effectue que des prélèvements d’eau de mer et d’organismes vivants (algues, plancton, poissons…).
Sur le site de Hao, ce sont plutôt les déchets industriels consécutifs aux installations lors de la création du CEP qui sont concernés ; les conditions dans lesquelles le site a été évacué étaient à l’évidence perfectibles. On a commencé le démantèlement des installations vers 2010 et on les a achevées en 2018. On a dépollué tout le lagon de Hao d’où nous avons extrait divers objets (châssis de camions, batteries…) grâce à des plongeurs militaires. Ce qui reste aujourd’hui, ce sont les sols qui conservent des traces de plastiques, de PCB et de métaux lourds.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Qu’avez-vous fait des déchets ainsi récupérés ?
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Je ne sais pas ; je sais que nous n’avons pas d’endroit de stockage dédié en tout cas.
M. Antoine Tognelli, expert en analyses environnementales au CEA. Du côté océanique, les prélèvements sont possibles jusqu’à 1 000 mètres de profondeur. Ensuite, les mesures effectuées ne peuvent porter que sur des radionucléides.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Dans les puits de déchets, on sait à peu près ce qu’il y a. Est-on certain qu’il n’y a pas de déchets radioactifs dans les lagons ?
M. Antoine Tognelli. Il y a des sédiments de fonds de lagon qui ont quelques traces radioactives auxquels il faut ajouter le cas spécifique du « banc Colette ». Les fuites qui ont pu exister lors de tirs souterrains ont surtout concerné des gaz rares mais ils n’ont pas été piégés ; ça n’a donc pas eu d’impact, en tout cas très peu d’impact en termes d’inhalation.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Il faut se souvenir que le lagon, à Moruroa, n’est profond que de 30 à 40 mètres au maximum. C’est la même chose à Fangataufa.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Sur le sujet de la surveillance radiologique, on est confronté à une méfiance des divers acteurs puisque le CEA effectuait lui-même toutes les mesures à l’époque, tout au long des opérations du CEP. On le voit encore aujourd’hui : les sites de tirs sont exclusivement du ressort du CEA, l’autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) étant responsable de la surveillance des autres sites. Est-il envisageable qu’une entité indépendante fasse des prélèvements sur les sites en question afin de faire baisser la méfiance des élus, de la population et des associations ? De la sorte, toutes les données ne viendraient pas du CEA.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Je pense que certaines mesures seraient sans doute réalisables par des tiers indépendants mais s’il y a d’éventuelles matières proliférantes, cela peut immanquablement susciter des difficultés.
M. Laurent Bourgois, chef du service Protection contre les Rayonnements du CEA. Les laboratoires d’analyse du CEA sont accrédités par le comité français d’accréditation (COFRAC) qui vérifie que ce sont les bons systèmes de mesure qui sont utilisés et que ces mesures sont par la suite effectuées correctement ; l’accréditation est soumise à renouvellement tous les cinq ans en fonction de la qualité du travail réalisé, de la qualité des mesures etc.… On bénéficie donc de ce suivi externe qui nous oblige à être extrêmement rigoureux.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Est-ce que l’équivalent du COFRAC existait dès 1962 ? À tout le moins, existait-il à l’époque une entité indépendante équivalente ?
M. Antoine Tognelli. Non car cet organisme n’a vu le jour qu’avec la montée en compétences du nucléaire.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. En tout cas, les relevés montrent que les mesures effectuées par l’ASNR sont cohérentes avec celles du CEA, ce qui montre que les mesures sont visiblement faites de la même manière. Les marqueurs de radioactivité artificielle sont les mêmes. Seule différence, il y a quelques écarts dans les mesures effectuées sur les sols.
Mme Aurélie Dumont, cheffe du bureau du centre d’expérimentation du Pacifique (CEP). Je préciserais également que plusieurs scientifiques sont venus sur Moruroa et sur Fangataufa à l’initiative de l’État et de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pour aider à vérifier les mesures ainsi effectuées.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Encore une fois, sous réserve de ne pas dévoiler d’information proliférante, on n’est absolument pas opposé au principe de transparence. Je signale également que le fait que la zone économique exclusive des atolls soit particulièrement bien gardée permet de bien contrôler les approches à Moruroa et Fangataufa.
M. le président Didier Le Gac. Avez-vous conduit des projets de recherche spécifiques, en vous inspirant par exemple d’expériences internationales ?
Mme Aurélie Dumont, cheffe du bureau du CEP. Sur la partie biologique, le CNRS intervient dans le cadre d’une convention qui a été signée en septembre dernier mais il est présent ici depuis au moins une dizaine d’années. On a ainsi découvert qu’on pouvait dépolluer certains sites (PCB, hydrocarbures) grâce à des plantes ; ça a l’air très efficace mais ce fut une première en Polynésie française que de travailler ainsi sur des sols coralliens. Des scientifiques sont venus le mois dernier sur Hao. Des projets ont déjà été menés dans le passé en recourant à des bactéries qui mangent naturellement des hydrocarbures : en deux ans, les terres redeviennent acceptables. On utilise également de nouveaux procédés qui recourent à la chaleur pour éliminer des PCB (il faut alors faire chauffer le sol à plus de 250 ou 300 degrés) ; ça a déjà été utilisé et c’est plutôt efficace. On souhaiterait l’utiliser ici à Moruroa et Fangataufa pour pouvoir y habiter de nouveau et même y faire certaines cultures. Ce projet est piloté par l’armée, qui dispose de la maîtrise d’œuvre, avec l’aide de sous-traitants privés ; on espère avoir toutes les autorisations administratives d’ici 2026. Ce projet est financé directement par le ministère de la Défense, dont le budget comporte d’ailleurs une ligne spécifique portant sur la dépollution de Hao.
M. Yoann Gillet (RN). Disposez-vous d’une cartographie précise des déchets « océanisés » ? Pouvez-vous nous indiquer quelle quantité cela représente et de combien de temps faudrait-il disposer pour tous les extraire ?
M. Antoine Tognelli. Il y a environ 532 tonnes de déchets sur la fosse de Hao. Il y a par ailleurs deux fosses à Moruroa : la fosse Novembre au nord où sont entreposées 76 tonnes de déchets ; quant à la zone Oscar à l’ouest, elle en comprend 1 280 tonnes. Compte tenu des caractéristiques physiques du milieu (les déchets se situent à cinq kilomètres de l’atoll, à une profondeur de 2 000 à 2 500 mètres de profondeur), tout projet de récupération ne serait pas raisonnable.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Il existe une surveillance géophysique des atolls, de ces fosses ; quant aux déchets, ils sont enfouis au fond des puits de stockage, lesquels sont ensuite comblés dans la couche basaltique. Est-ce envisageable de les enlever et de les mettre ailleurs ?
M. Antoine Tognelli. Comme vous venez de la dire, les puits de déchets sont situés dans le basalte ; de fait, même s’il devait y avoir un glissement de terrains, il n’y a pas de risque de voir ces déchets émerger. De plus, quand on regarde les loupes (c’est-à-dire les positions dans les atolls), on constate que les déchets ne partiraient pas en mer comme certains peuvent le penser.
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Ce sujet a été étudié mais il n’y a pas d’impact à prévoir.
Mme Aurélie Dumont, cheffe du bureau du CEP. Dans le rapport établi par l’AIEA, des scénarios maximalistes ont été envisagés et toute une batterie de simulations ont été faites pour mesurer les risques potentiels pour la population. Tous les cas de configuration ont été balayés pour les 30 000 ans à venir donc tout cela est plutôt très rassurant !
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Puisque nous avons évoqué les opérations Turbo, qui se déroulent chaque année au large des atolls de Moruroa et de Fangataufa, il faut quand même se souvenir que nous déployons dans ce cadre des moyens considérables : un bateau (le Bougainville), également des avions pour amener les scientifiques sur place, sachant qu’il faut également acheminer de la nourriture, du pétrole… Les mesures sont effectuées par le CEA, qui les transmet ensuite à une autorité indépendante (le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense ou DSND) avant que les résultats ne soient ensuite transmis au Département de Suivi des Centres d'Expérimentations Nucléaires (DSCEN).
M. Antoine Tognelli. La surveillance radiologique est une surveillance continue et quotidienne. Chaque jour, on prélève des échantillons d’air, des dosimètres effectuant une surveillance continue. Une opération Turbo (il y en a une chaque année depuis 1998) mobilise environ 70 personnes dont deux équipes de cinq personnes venant du CEA, ainsi que quelques Polynésiens qui sont experts en matière de pêche. Le déploiement se fait en mars – avril et chaque opération procède à 85 prélèvements, ce qui donne ensuite lieu à 350 échantillons. Les analyses sont faites sur un an et donnent lieu au final à environ 750 résultats. Une partie des personnels qui sont employés font à la fois de l’analyse et des prélèvements, mais en général ces deux fonctions sont séparées ; il existe en outre un « Guide de surveillance », qui conduit à imposer au CEA les points de contrôle et de prélèvements. L’analyse est ensuite effectuée par le CEA sous la surveillance du COFRAC comme on l’a précédemment évoqué. Depuis 1998, date de la première opération Turbo, les concentrations mesurées sont en constante diminution mais elles n’ont pas disparu pour autant, la vie du plutonium 239 étant par exemple de 24 000 ans. Il existe une vingtaine de puits qui vont jusqu’à 350 mètres de profondeur : on y fait des prélèvements tous les ans pour regarder la qualité des eaux souterraines et pour vérifier qu’il n’y a pas d’augmentation des concentrations précédemment constatées.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je comprends le concept d’information proliférante ; je me demande néanmoins comment on peut tirer des informations pertinentes de données qui datent d’il y a plus de 60 ans ! Est-ce que la notion d’information proliférante n’est pas utilisée de façon un peu commode pour ne pas avoir à déclassifier certains documents ?
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. Fabriquer une bombe est compliqué et donc toute information, même ancienne, reste sensible, surtout dans l’environnement mondial actuel !
M. Laurent Bourgois. Je signale à cet égard que les déchets entreposés au niveau du banc Colette sont issus d’un tir raté. On a fait exprès de mal faire fonctionner une bombe pour voir comment ça se passe ; ce n’était qu’un tir de sécurité.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Qu’en est-il du colisage ? Respecte-t-on la même réglementation qu’en métropole ?
M. Antoine Tognelli. Oui. Pour les véritables essais, effectués à plus de 1 000 mètres sous terre, on bénéficie d’un phénomène de vitrification
M. le président Didier Le Gac. Comment restituez-vous les résultats de ce que vous trouvez à la population ?
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. C’est la commission d’information qui s’en charge. Elle est un peu l’équivalent d’une commission locale d’information : présidée par le Haut-Commissaire, elle se réunit une fois par an, généralement fin octobre. Les résultats des opérations Turbo lui sont présentés par le DCEN, les résultats étant ensuite communiqués et faisant l’objet d’une publication.
M. le président Didier Le Gac. Entretenez-vous des relations avec les États-Unis ou la Grande-Bretagne pour savoir comment ils gèrent leurs sites de dépollution ?
M. Antoine Tognelli. Ces deux pays exercent une surveillance ciblée mais pas continue comme nous ; quant à la Russie, on ne sait pas ce qu’ils font comme surveillance, sans doute pas grand-chose…
M. le contre-amiral Guillaume Pinget. On a une vraie difficulté à communiquer, à rendre accessible ces informations au grand public. Votre commission d’enquête est de fait très intéressante mais l’enjeu de la communication auprès de la population polynésienne existe par ailleurs. Les travaux de votre commission ont permis de faire sortir certains documents des archives mais il y a toujours un risque d’instrumentalisation de certains travaux. Il faut aller vers davantage de confiance et de transparence. On est tout à fait disposé à vous aider pour faciliter votre travail et pour aller vers davantage de transparence.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie tous les quatre pour cet entretien et vous dis donc à demain pour la visite des sites de Moruroa et de Hao !
M. le président Didier Le Gac. Messieurs les présidents, Monsieur le directeur, nous sommes très heureux de vous rencontrer dans le cadre du déplacement d’une délégation de notre commission d’’enquête.
Comme vous le savez, une première commission d’enquête, créée à l’initiative du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (auquel appartient notre rapporteure), avait vu le jour mais ses travaux ont cessé avec la dissolution du mois de juin dernier. Grâce à sa ténacité et à celle de son groupe, une nouvelle commission a été créée fin décembre et nous devons rendre nos travaux début juin.
Il était évident pour nous qu’il fallait que nous venions ici, en Polynésie ; nous sommes d’autant plus intéressés de vous entendre que l’Assemblée de Polynésie française a réalisé une commission d’enquête sur ce sujet des essais nucléaires en 2005-2006 et que nous souhaiterions donc avoir votre regard sur ce sujet, ô combien important pour la Polynésie française.
Mais, avant que vous ne preniez la parole, je vais devoir, comme la réglementation m’y oblige, vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Heinui Le Caill, Allen Salmon, Tafai Mitema Tapati et Richard Tuheiava prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je laisse donc la parole à celui d’entre vous qui souhaite commencer.
M. Allen Salmon, président de la commission des institutions, des affaires internationales, et des relations avec les communes. Soyez tout d’abord les bienvenus ici, à Tahiti ! Nous sommes heureux de vous rencontrer ; c’est un plaisir et même un honneur que d’avoir des députés de la métropole en face de nous. Nous remercions tout spécifiquement Mereana Reid-Arbelot pour avoir organisé cette rencontre. Je me suis permis de me faire accompagner aujourd’hui par deux représentants que j’ai choisis en raison de leur expérience du fait nucléaire, à savoir mes collègues Heinui Le Caill et Tafai Mitema Tapati. Je ne vous présente pas Richard. Tuhaveiea, dont vous connaissez le rôle et l’engagement sur ces questions.
Nous sommes là, présents devant vous, avec le désir d’accroître la transparence sur ce sujet ; on n’oublie pas nos frères algériens ainsi que les militaires métropolitains qui résident en France. Nous souhaitons avant tout améliorer la réparation des victimes qui sont toujours dans la souffrance ; ce n’est pas un hasard si nous sommes là et non aux obsèques de Jean-Marius Raapoto qui se déroulent en ce moment même.
M. Heinui Le Caill, président de la commission de l’éducation, de la jeunesse et des sports. Je rappelle que Bruno Barrillot a été l’un des rédacteurs de la commission d’enquête diligentée par l’Assemblée de Polynésie en 2005-2006, qui a revêtu une très grande importance pour que la vérité soit faite sur cette page de notre Histoire. J’avais moi-même un père atteint d’un cancer du cerveau, qui a mené une vie exemplaire (il ne buvait pas d’alcool…) et, alors que j’avais environ 16 ans, je me suis posé la question du « pourquoi » de ce cancer. Je voyais des gens faire le tour de l’île en parlant aux gens des essais nucléaires ; j’ai rencontré des Hibakushas japonais qui m’ont raconté un peu la même histoire que celle qu’a vécue mon père, et je me suis alors posé beaucoup de questions. Plus tard, j’apprends que son cancer fait partie des maladies radio induites. Dès 16 ans, je me suis donc lancé dans cette campagne anti essais. J’ai fait carrière dans l’enseignement, j’ai travaillé avec Barrillot, alors directeur du DSCEN, avec lequel j’ai rédigé un livret pédagogique qui s’adresse avant tout aux adolescents et qui raconte l’histoire du CEP : on a alors choisi de rappeler les faits, on n’était surtout pas dans le parti pris, on a également rappelé l’aspect scientifique des choses. L’idée était de le distribuer aux collèges, aux lycées mais avec le changement politique intervenu en 2004-2008, ce livret a été censuré dans les faits. J’espère que le Gouvernement actuel va pouvoir relancer cette parution. J’ai également participé à la création de manuels scolaires ; la première version de 1996 traitait du CEP en une page, où l’on insistait alors sur la manne financière que cela avait représentée à l’époque. Puis on est passé de l’âge de pierre à l’âge moderne : on a refait les manuels en 2010 mais avec une vérité toute différente, qui tenait compte de la commission d’enquête de 2005, de la loi Morin… On y parle de Pouvanaa a Oopa, des victimes mais on ne dit pas clairement que les essais ont eu des conséquences sanitaires. Pour que vous compreniez bien le contexte, l’idée était alors de publier dans ce manuel une image ; on a pris une image tirée de la banque de données de l’ONU et on a demandé l’autorisation de publier une image de bombe atomique ; eh bien l’armée ne nous a pas autorisés à publier l’image du nuage radioactif ! On a reçu un appel du Gouvernement autonomiste de l’époque qui nous a dit de renoncer à utiliser cette image sous peine de voir notre manuel d’histoire scolaire censuré. Mes collègues enseignants ont tous pris peur ; on a retiré cette image. La censure ne s’est pas arrêtée à la loi Morin ; elle a continué, l’armée ayant toujours une grande influence ici.
M. le président Didier Le Gac. On nous a dit que c’était obligatoire d’avoir un apprentissage sur l’histoire des essais nucléaires mais de l’aveu même du président Brotherson, qu’on a auditionné hier, il semble que beaucoup de jeunes passent au travers ; certains encore aujourd’hui n’ont pas entendu parler des essais nucléaires. Le président Brotherson nous a également parlé de l’autocensure des enseignants qui existe encore aujourd’hui semble-t-il.
M. Allen Salmon. Pendant longtemps, ce sujet ne faisait pas partie du programme ; ça reste encore maintenant un sujet brûlant, délicat… Quel message apporter aux enfants ? Un message objectif et vrai ! On a vécu dans une situation de mensonge pendant de trop nombreuses années. Est-ce aujourd’hui le rôle des enseignants de révéler tout cela ? Je ne sais pas mais en tout cas il faut adopter des règles qui permettent d’aborder ce sujet dans les mêmes termes, quel que soit le lieu de l’établissement, quel que soit l’enseignant…
M. Heinui Le Caill. Je suis d’accord mais de nombreux enseignants eux-mêmes ne connaissent pas cette histoire !
M. Allen Salmon. Certes mais il faut faire attention car trop connaître ce sujet fait également courir le risque d’être submergé par ses émotions
M. Heinui Le Caill. Les essais ont fait des victimes ; on le sait. Des enquêtes comme celle conduite par Disclose montrent qu’il y a eu des contaminations ; je demande aujourd’hui au ministère de l’éducation d’établir de nouveaux programmes compte tenu des nouvelles découvertes. Il semblerait que ce soit en cours. On m’a proposé de travailler dessus mais le président autonomiste de l’époque avait refusé. Il y avait alors un parti pris politique ; il faut qu’on avance sur ces points. Tant que le fait nucléaire n’est pas sanctionné aux examens, il faut le faire ; mais en France aussi il faut l’enseigner, comme d’ailleurs des sujets comme la colonisation ou l’esclavage.
M. Tafai Mitema Tapati, président de la commission de l’agriculture et des ressources marines. J’ai une autre histoire du nucléaire à raconter. Je suis né aux Marquises ; mon corps a ressenti les effets des essais nucléaires alors que je n’avais que sept ou huit ans. Notre vie familiale de tous les soirs était rythmée ainsi : ma mère faisait des tressages, on était avec elle, on apprenait nos leçons et d’année en année, apparaissait une nouvelle maladie. On avait mal partout et on ne comprenait pas ce qui se passait. Le mot qui circulait était qu’on était des « contami » pour « contaminés ». En 1968-1969, j’ai quitté mon village pour aller à l’école primaire car, dans mon village, on s’arrêtait au CE2. Et là j’ai vu que tous les enfants scolarisés à l’internat avaient des ulcères partout et on se demandait pourquoi ; c’était les premiers effets du nucléaire, de la radiation. À quatorze ou quinze, j’étais en 4e ; je suis arrivé ici en 1975 pour poursuivre mes études. J’habitais à Saint Hilaire et j’allais à Taoni à pied pour étudier mais je n’ai pas fini ma première année. J’ai commencé à travailler dans le bâtiment tout jeune puis à Moruroa à dix-sept ans, toujours dans le secteur du bâtiment. On mangeait de tout (du poisson…) ; je faisais alors partie des piroguiers de Moruroa, et je me souviens que j’étais là quand Meknès a éclaté en 1989. Un an après, on nous a renvoyés sur le site pour bétonner tout le site sur plus d’un mètre d’épaisseur. J’ai travaillé à Moruroa entre 1977 et 1984 ; j’ai ensuite entamé des études pastorales et j’ai été pasteur protestant de 1984 à 2023. L’Église protestante a été pionnière dans la protestation contre les essais nucléaires. Il faut savoir que quand on est membre pastoral, on est automatiquement membre de l’association Moruroa e Tatou. De 2007 à 2023, j’étais vice-président de l’association Moruroa e Tatou ; c’est comme ça que j’ai travaillé avec Bruno Barrillot et bien d’autres… C’est d’ailleurs moi qui me suis occupé de ses obsèques alors qu’il était prêtre catholique ! On était certain que toute la Polynésie française était contaminée par la pollution nucléaire. Aujourd’hui, ce que l’on demande, c’est que l’État prenne ses responsabilités par rapport aux essais.
M. le président Didier Le Gac. Par quoi passe cette reconnaissance ? La loi Morin est-elle un début en la matière ? Faut-il davantage insister sur l’indemnisation ?
M. Tafai Mitema Tapati. La loi Morin n’arrive pas à répondre aux besoins des victimes ; quand on était à Moruroa e Tatou, on n’a jamais cessé de dire à l’État qu’il était nécessaire de revoir la loi Morin. Le dommage subi par les descendants du fait du décès doit par exemple être pris en compte ; il faut que la famille soit prise en considération et pas seulement la victime directe. Ensuite la liste des maladies radio induites n’est pas complète. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes meurent du cancer de la prostate ; or, cette maladie n’est pas prise en compte dans la réglementation française alors qu’elle l’est par exemple aux États-Unis.
Mme Dominique Voynet (EcoS). L’indemnisation individuelle est-elle suffisante ? Des personnes demandent qu’il y ait un pardon à l’égard de la Polynésie, des excuses, un geste plus symbolique, plus collectif... Quel est votre avis là-dessus ?
M. Tafai Mitema Tapati. Quand on regarde la participation financière de la Polynésie aux actions sanitaires, on voit que plus de 100 Mds de francs pacifique correspondent à des dépenses prises en charge par la CPS alors que ça devrait logiquement être pris en compte par l’État. Le pardon ne suffit pas ; l’État devrait vraiment aider à reconstruire notre pays. Le village de Hao est une véritable favella ! Hao a été laissé dans un état désolant. L’État français devrait reconstruire cet atoll et développer économiquement Hao, comme Hao l’a aidé à développer ses essais nucléaires par le passé.
M. Allen Salmon. Personnellement, je n’ai jamais vraiment été au fait des expériences nucléaires. Avec mon père, on n’était pas d’accord : il était engagé en politique et je lui disais que c’était scandaleux d’empoisonner ainsi les personnes avec ces tirs. Mais mon père m’a dit que c’était grâce au CEP que nous avions un aéroport, un certain essor économique… Je me suis retrouvé ici comme représentant à l’Assemblée de la Polynésie française, je deviens président de la commission des institutions et voilà que je me retrouve avec le dossier du nucléaire ! Ma première constatation a été simple : c’est un sujet brûlant qui a divisé toute la population, mon père et moi, les politiques (les indépendantistes ont pris ça comme cheval de bataille, les autres y voyant un argument clientéliste), ce sujet a également divisé les confessions religieuses (les protestants sont contre, les autres religions disant que la religion ne doit pas s’occuper de politique…). En tant que président de commission, j’ai préparé plusieurs réunions sur le fait nucléaire ; on a aujourd’hui pratiquement terminé notre rapport (cf « Héritage empoisonné, les 193 bombes françaises ») où nous avons essayé d’être le plus objectif possible, de ne pas être militant, le préjudice environnemental n’ayant pas été résolu, l’indemnisation sanitaire non plus…
Mme Dominique Voynet (EcoS). Dans la commission qui a travaillé sur ce sujet, l’opposition était présente, il y a eu tout le monde : est-ce que tout le monde a validé ce travail ?
M. Allen Salmon. La commission prendra connaissance de ce rapport mercredi donc je ne peux répondre à cette question. Il faut prendre en compte nos spécificités ; on n’a pas subi le même nombre de tirs qu’en Algérie, ça n’a pas été la même durée non plus ; souvenez-vous qu’on a eu des explosions sur notre sol pendant 30 ans, parfois jusqu’à 12 tirs dans l’année ! C’est une situation toute particulière que nous avons subie ; la notion de population civile n’est pas non plus la même car toute la population civile a été touchée, ici en Polynésie. Pour nous, la différence de situation justifie une différence de traitement ; c’est légitime non ?
Le deuxième point que j’ai retenu est peut-être ce qui existe au niveau des archives médicales. Ici, en Polynésie française, au bout de vingt ans, les archives ne sont plus conservées alors que les archives médicales militaires sont conservées à titre définitif. Je ne comprends pas cette différence de traitement : est-ce de la discrimination par rapport aux victimes de ce pays ? Je parle ici des dossiers médicaux individuels ! Les indemnisations individuelles sont par ailleurs très restrictives ; une indemnisation globale serait sans doute plus judicieuse à mon sens.
M. Yoann Gillet (RN). D’accord mais sous quelle forme et suivant quels critères ?
Mme Dominique Voynet (EcoS). Par exemple, pensez-vous que le préjudice environnemental doive être pris en compte pour tout le monde, et pas seulement du point de vue individuel ?
M. Yoann Gillet (RN). De plus, pour vous, l’indemnisation collective doit-elle intervenir en lieu et place de l’indemnisation individuelle ou doit-elle s’ajouter à cette dernière ?
M. Allen Salmon. Elle doit être complémentaire.
M. Heinui Le Caill. Pour ma part, je propose que 1 % du chiffre d’affaires du nucléaire civil français (soit environ 6 000 Mds de francs pacifique) soit versé à la Polynésie.
M. Allen Salmon. Il existe une asymétrie persistante au niveau du traitement des dossiers ; on joue sur deux tableaux. Jusqu’en 2017, on adoptait le critère du risque négligeable puis on l’a retiré mais non ! À la place, on nous sort le critère du 1 mSv qui vient compliquer davantage l’indemnisation des victimes. Il y a de fait toujours eu des hauts et des bas.
Un deuxième point important : le fait que l’État considère cette dette comme relevant de la solidarité nationale et non comme une reconnaissance de la faute réelle commise à l’égard du peuple polynésien. Cette « solidarité nationale » vient brouiller la réalité, elle la masque ; ce n’est pas une solidarité mais bien une réparation qui doit être mise en place d’où la nécessité à mon sens d’une reconnaissance de faute de la part de l’État.
Un troisième point qui pose problème, c’est la centralisation excessive des indemnisations au niveau national. On est à 20 000 km de Paris, et tout se passe en France. Les victimes se débrouillent comme elles peuvent alors qu’elles ne parlent pas toujours français ; c’est compliqué. Aussi, nous souhaitons une décentralisation de toute cette organisation.
Mme Dominique Voynet (EcoS). La mission « Aller vers » n’a pas réglé le problème ?
M. Allen Salmon. Cette mission est évidemment une bonne chose ; ça a aidé, c’est sûr ! Malgré tout, les résultats ne sont toujours pas là car seulement trois personnes y travaillent, ce qui est ridicule pour parcourir un espace aussi grand que l’Europe !
M. Heinui Le Caill. On a proposé d’intégrer dans le Civen des juristes polynésiens : l’Aven a un représentant polynésien dans le Civen. Or, pour le comité de suivi du nucléaire, tous les médecins présents sont des médecins militaires, le docteur Baert venant d’ailleurs de sortir un livre qui met à mal tout cela, y compris votre commission d’enquête. Il faudrait également que soient présents des médecins civils pour assurer davantage d’impartialité.
M. Allen Salmon. On souhaiterait la mise en place d’un comité au plan local.
M. Heinui Le Caill. Les victimes sont parfois appelées au milieu de la nuit par le Civen : on ne peut pas continuer comme ça !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Que pensez-vous de la mise en place d’une plateforme numérique qui permettrait de déposer les dossiers plutôt que par courrier postal ?
M. Allen Salmon. C’est une idée ! Il y a un quatrième point que je voulais aborder, ce sont les différentes logiques d’analyse. Aujourd’hui, il y a une analyse scientifique et une analyse juridictionnelle. Quand on a affaire à l’analyse scientifique, on donne des réponses basiques : oui, non, ne se prononce pas. En droit, il y a seulement oui ou non. Cette différence de logiques pose certaines difficultés au niveau de l’indemnisation : le docteur Baert dit par exemple que « les scientifiques doivent être au centre de ce fait nucléaire ». Ça m’a choqué ! Ceux qui doivent être au centre du fait nucléaire, ce sont avant tout les victimes, la population ; les scientifiques doivent seulement accompagner les victimes !
M. Richard Tuheiava, directeur de cabinet du Président de l’Assemblée de la Polynésie française. Chers députés, c’est également pour moi un plaisir que de vous voir ; c’est un souhait très profond que d’avoir une avancée sur le plan parlementaire sur le sujet épineux des conséquences des essais nucléaires. Je souhaite apporter un éclairage plus partisan, plus activiste sur ce sujet. J’ai été deux fois représentant au Parlement français, et j’ai même voté contre la loi Morin (on était les deux seuls sénateurs opposés à la loi Morin avec Dominique [Voynet] alors qu’on nous demandait avec force pression de nous abstenir). Finalement, j’ai pu voter contre. Ça fait 15 ans que cette loi a été votée et on est toujours dans un mécanisme d’indemnisation d’affichage ; c’est une loi d’affichage qu’a souhaitée un ministre de la Défense en perte de vitesse, qui a seulement voulu apporter une satisfaction politique à l’époque. Je suis très fier et droit dans mes bottes d’avoir voté contre cette loi à cette époque et je remercie Dominique de m’avoir soutenu sur ce combat. Depuis 2010, plein de choses se sont passées pour le territoire de la Polynésie ; notre territoire a été inscrit sur la liste des territoires à décoloniser. Depuis 1963 déjà, il y avait déjà eu des rapports rendus sur les effets des nuclear weapons, rapports ou ouvrages traduits bien avant le démarrage des essais nucléaires français ; de fait, on connaissait les conséquences des essais nucléaires avant même le début des essais !
C’est à Cestas, en Gironde, que Manuel Valls a lancé le programme Simulation en 2014 en dotant la France d’un centre qui a coûté 7 Mds€, soit l’équivalent de 75 ans de dotation pour la Polynésie française.
Depuis qu’on a été réinscrit sur la liste des territoires à décoloniser en 2013, le Gouvernement n’a pas voulu débattre de ces sujets ; entre 2013 et 2022, on a eu 3 députés du mouvement indépendantiste et jamais de discussion possible. Les délégations polynésiennes se sont déplacées 11 fois à l’ambassade de France à New York ; c’est un peu comme si le Gouvernement s’était fait prendre la main dans le sac après coup car on remet un coup de projecteur sur une période où nous aurions dû être inscrits de manière continue sur cette liste.
Le débat nucléaire est aujourd’hui plus factuel, plus documenté ; depuis décembre 2024, une résolution a été adoptée par la majorité de l’Assemblée de la Polynésie française, appelant la France au dialogue de la décolonisation dans lequel le nucléaire figure explicitement ; le 21 mars dernier, la demande préalable du Président de l’Assemblée a été envoyée au Président de la République Emmanuel Macron, mais également à Manuel Valls et au Haut-Commissaire Spitz pour engager ce dialogue de décolonisation. On aura sans doute une décision implicite de rejet face à notre demande mais on engagera alors une action devant le tribunal administratif pour enjoindre le Gouvernement à dialoguer.
En 2018, il y a eu une amorce vers la Cour pénale internationale pour condamner la France pour crime contre l’Humanité au titre des essais nucléaires. Vous savez qu’un des tirs qui a posé problème a été le tir Canopus en 1968, et que nous avons eu les élections législatives en juillet de la même année… La population de Tureia a été entièrement déplacée de l’autre côté de l’île car le tir était dangereux. Mais pourtant, quand on regarde les données du rapport du CEA de l’époque, on ramène la population (57 habitants) sur place, pour réintégrer les lieux, alors même que l’on sait pertinemment les conséquences qui pouvaient survenir en termes de contamination ! Les témoignages de la flotte qui a ramené ces personnes montrent que les militaires avaient un peu de conscience mais pourtant, aucun d’eux n’a seulement voulu descendre alors que le tir avait été tiré une semaine auparavant.
M. Allen Salmon. Je rappelle qu’un enfant sur quatre a eu un cancer de la thyroïde !
M. Richard Tuheiava. C’est impossible de parler du sujet des conséquences des essais sans parler également du dialogue qui doit exister sur la décolonisation, et qui a été officiellement entamé à New York. Si on procédait ainsi, ce serait un nouveau déni ; le président Antony Géros s’excuse de ne pas être là mais sachez qu’on s’est mis d’accord sur ces sujets-là avant de vous en parler : nucléaire et décolonisation doivent être traités de concert ! Dans ce contexte, la loi Morin vient seulement donner un habillage humain à quelque chose d’infâme.
M. le président Didier Le Gac. Vous avez été auteur d’une proposition de loi dans laquelle vous évoquez la restitution des atolls qui ont servi de sites aux essais. Est-ce toujours une revendication ? Par ailleurs, quel regard portez-vous sur leur dépollution ?
M. Heinui Le Caill. L’Assemblée de la Polynésie française a mis en place la commission de décolonisation ; à titre personnel, je m’occupe de la thématique des conséquences des essais sur la population. Bruno Barrillot souhaitait lancer une étude épidémiologique en Polynésie, on a commencé à avoir des contacts avec le ministère de la Santé qui a approché le docteur de Vathaire mais ça aurait coûté 200 millions de francs pacifiques ! On a par ailleurs été abordé par un généticien américain (hawaïen pour être précis) qui avait travaillé sur le sujet de la goutte ; il avait aussi proposé de réaliser une étude épidémiologique avec l’aide d’un hôpital hawaïen, Il faudrait lancer ces deux études épidémiologiques mais le pays va devoir les financer alors que l’État pourrait les prendre en charge.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Le problème est également de savoir ce que l’on veut savoir exactement, quoi chercher ?
M. Heinui Le Caill. L’idée est de pouvoir se prononcer sur l’avenir.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Car il y a certes les cancers mais il faudrait également regarder ce qu’il en est au niveau des maladies cardio-vasculaires, des maladies infantiles, de la proportion d’enfants morts nés… Mettre sur pied une équipe multidisciplinaire internationale serait une bonne chose.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. J’ai une question portant sur le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée de la Polynésie de 2005. Quelles suites ont été données à ce rapport ? Comment ce rapport a-t-il été accueilli par l’État à l’époque ?
M. Richard Tuheiava. Le rapport avait été validé par la majorité de l’époque ; on était en 2005-2006, un an après les Taoi ; il y a eu beaucoup de visites du CEA en Polynésie à la suite de la parution de ce rapport ; la propagande de l’époque sur les essais propres avait un peu repris du service. J’admets qu’il ne faut pas avoir une vision exclusivement victimisante de ce sujet mais il faut développer une vision qui instaure un vrai point de dialogue pour que les deux parties grandissent ; il faut faire toute la transparence sur ce qui s’est passé, y compris les aspects positifs des essais nucléaires sur l’industrie, les impacts jusqu’à aujourd’hui, l’apport économique notamment…
M. Heinui Le Caill. Je dirais que l’impact de la commission de 2005 a surtout été de libérer enfin la parole. Ça a été le point fort de cette commission ; ensuite, il y a eu un gros travail pédagogique de vulgarisation qui nous a conduit à sillonner les collèges et les lycées pour y faire de la pédagogie ; vous poursuivez aujourd’hui ce chemin. On vous en remercie.
M. le président Didier Le Gac. À notre tour de vous remercier pour votre disponibilité, en espérant que les conclusions du rapport rejoindront vos préoccupations.
M. le président Didier Le Gac. Madame Vernaudon, la délégation de la commission d’enquête parlementaire sur les conséquences des essais nucléaires que je conduis est très heureuse de vous rencontrer, sachant le rôle que vous jouez dans ce processus.
Ce n’est pas à vous que je vais rappeler l’historique en quelque sorte de cette commission. Et donc, avant que nous puissions échanger, je vais tout de suite vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Yolande Vernaudon prête serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie.
Mme Yolande Vernaudon, Déléguée polynésienne au suivi des conséquences des essais nucléaires (DSCEN). Je souhaite la bienvenue à votre délégation sur le suivi des conséquences des essais nucléaires. Je vais tout d’abord rapidement vous présenter la DSCEN, qui a été créée par un arrêté du Gouvernement de la Polynésie française à la fin de l’année 2007. C’est un service du pays ; cette délégation a, dès le départ, eu pour but de suivre toutes les conséquences des essais nucléaires, et pas seulement celles observables sur le plan sanitaire. Ce service est un service de mission en administration centrale, qui ne met rien en œuvre directement et qui est transdisciplinaire. Il a disparu en 2013, dans un contexte politique très compliqué, seul Bruno Barrillot en était alors membre entre 2008 et 2013. En 2013, Gaston Flosse a limogé Barrillot avant qu’il ne soit rappelé par le président Edouard Fritch, ce qui a permis de réactiver la DSCEN en août 2016 mais il est malheureusement décédé peu après, le 25 mars 2017. J’ai alors été sollicitée pour prendre sa suite après avoir travaillé huit mois avec lui. Je préciserai que je suis fonctionnaire du Pays depuis 35 ans et que je suis ingénieur agronome à la base ; il m’a donc fallu recruter un adjoint ayant un profil de juriste ainsi qu’une secrétaire comptable et une bibliothécaire depuis maintenant deux ans. L’équipe compte aujourd’hui 4 personnes.
Une des premières difficultés auxquelles j’ai été confrontée est qu’on n’a personne de compétent, dans le public comme dans le privé, en bibliothéconomie (c’est-à-dire comment référencer une monographie dans les règles de l’art, etc…). Le classement des livres de Barrillot était complexe donc je me suis mis en quête de prestataires et j’ai lancé un appel à candidatures ; on a recruté un fonctionnaire universitaire qui n’est pas resté longtemps. Actuellement, on a une bibliothécaire de collectivité qui va malheureusement partir et quelqu’un qui est local et qui, lui, va rester ! Ouf ! On a déjà constitué le catalogue en ligne de notre bibliothèque et on souhaite avoir le Pû Mahara digital ; le conseil scientifique et culturel du Pū Mahara a été mis en place à la fin du mois d’août 2024 mais on est encore assez loin des projections scientifiques et culturelles. Ce conseil scientifique est composé de 27 personnes (30 étaient sollicitées au départ) : 25 représentants les rédacteurs, 5 les modérateurs (qui sont en quelque sorte « les sages » du comité). Sur les 30 sollicités, 2 ont refusé puisqu’ils étaient retraités et ne souhaitaient pas s’investir. Le Conseil s’organise comme il l’entend. Des comités rédactionnels se sont mis en place, certains s’investissant davantage que d’autres ; je dois signaler qu’un rédacteur sur les 28 a démissionné ; on a donc actuellement 22 rédacteurs et 5 sages (Éric Comte, Yvette Tommasini, Chantal Spitz, Joël Allain et Daniel Palacz). Quant aux rédacteurs, on a choisi des personnes aux profils très diversifiés, relevant du champ académique (enseignants-chercheurs, représentant les sciences humaines, la biologie, la médecine, la chimie…), du monde de la culture… À titre bénévole, ils ont accepté de se lancer dans l’aventure. La première mission a consisté à proposer un projet scientifique culturel éducatif, l’État étant seul maître d’ouvrage mais accompagnant le projet (on va lui demander de participer financièrement). Il est prévu d’établir un centre d’interprétation pour faciliter les discussions actuelles et futures. Paul Léandre est responsable de la culture au Haut-Commissariat et nous travaillons très bien ensemble ; une convention a été conclue entre l’État et le Pays sur le centre de mémoire, qui est désormais établi ; mon interlocuteur était alors Denis Mauvais, chef de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier. Il avait étudié l’histoire et était intéressé par ce projet mas son successeur l’était beaucoup moins… Ce dernier souhaitait avant tout mettre en place un bâtiment avant même de savoir ce qu’on allait y mettre dedans ! On a tenu pour éviter cette erreur magistrale mais on a perdu beaucoup de temps. En 2018, lorsqu’on a relancé la gouvernance, on n’a pas explicitement travaillé sur les orientations du projet, au bénéfice de la seule forme ; ce manque de clarté sur la définition des orientations partagées nous a causé un réel préjudice. À ce jour, les membres sollicités doivent produire une proposition de projet scientifique, culturel et éducatif d’ici septembre, programme qui se traduira ensuite dans un cahier des charges avec appel à projet puis lancement d’un concours d’architecture… Si tout va bien, on prévoit l’inauguration du bâtiment en 2030 ! On essaie de mettre en place en parallèle un Pū Mahara digital d’ici à la fin de l’année 2027. Le Pū Mahara digital serait un jumeau avec également des orientations scientifiques ; le PSCE doit également faire des propositions en termes de gouvernance, pour savoir également quelles institutions impliquer, quelle taille, quelle gouvernance ? On a commencé à financer des enquêtes sur ces thèmes mais il faut avancer pas à pas sur ce sujet qui, sinon, va partir dans tous les sens.
M. Yoann Gillet (RN). La partie programme n’est donc pas encore lancée ?
M. Le président Didier Le Gac. Mais c’est un travail préliminaire…
Mme Yolande Vernaudon. Il ne faut pas présenter dans notre projet la belle aventure de la bombe nucléaire ! Il y a eu quelques péripéties mais on est aujourd’hui reparti sur de bonnes bases avec un conseil scientifique, comprenant des personnalités qualifiées ; on est par ailleurs certain d’avoir aujourd’hui un équilibre entre autonomistes, indépendantistes, associations culturelles, protectrices environnement… Ce conseil scientifique est très hétérogène dans sa composition. Il faut également avoir à l’esprit que l’émotion est centrale sur ce projet ; ce n’est pas quelque chose de froid, qui présenterait la science de manière brute.
Je profite de votre venue pour rebondir sur une question que vous m’aviez posée le 21 mai dernier, et à laquelle je n’avais pas répondu, notamment sur la méthode ; la méthode que je préconise est la suivante, qui s’inspire de la Commission Reko Tika (« la parole droite »). Il faut absolument effectuer un travail de classement exhaustif des archives et des documents en développant un effort de classement par thématiques qui corresponde à des départements ministériels. Agir ainsi permet de stabiliser les interlocuteurs. On a ensuite choisi d’objectiver les doléances (telle doléance pour atteindre tel objectif…). Le Premier ministre Jean Castex nous a répondu favorablement le 7 juillet 2021 en reprenant ce plan d’action, le Premier ministre ayant alors nommé un chargé de mission à Matignon qui s’est malheureusement fait absorber par le Haut-Commissariat, et qui n’a donc pas eu de durée.
Quant à l’ouverture des archives, qui est un sujet important pour votre commission, je rappelle que c’est le Pays qui a demandé l’ouverture des archives (je souligne le rôle moteur de la DSCEN là-dessus).
M. le président Didier Le Gac. Bonjour à tous, bonjour Monsieur Tefaarere,
Je suis très heureux que notre commission puisse vous rencontrer ici, à Papeete.
Je vous rappelle que cette commission a été créée au mois de décembre dernier ; elle fait suite à une première commission d’enquête qui avait été créée en avril 2024 mais dont les travaux ont été ajournés à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) qui avait initié la première commission a décidé d’user de son droit pour créer une nouvelle commission sur le même sujet que sont les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie française entre 1966 et 1996. Cette nouvelle commission a été officiellement créée le 17 décembre dernier ; elle comprend 30 membres, issus de tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale et doit rendre son rapport au plus tard le 16 juin prochain.
Nous avons dès à présent effectué près de 25 auditions, ce qui nous a permis de rencontrer et d’entendre pas loin de 80 personnes différentes : des historiens, des associations, des institutionnelles, des scientifiques, des vétérans…
Nous avons un programme très complet préparé par Mme la rapporteure ici présente pour cette semaine que nous passons en Polynésie. Hier, nous avons effectué un déplacement à Moruroa et Hao, où nous avons d’ailleurs organisé une réunion publique. Avant-hier, nous avons rencontré le Haut-Commissaire Spitz, le contre-amiral Pinget et plusieurs représentants éminents de l’Assemblée de Polynésie française. Une fois rentrés à Paris, nous aurons encore plusieurs auditions à effectuer dont plusieurs actuels ou anciens ministres (M. Neuder, ministre de la santé, M. Valls, ministre des outre-mer, M. Morin, ancien ministre de la défense et auteur de la loi qui porte son nom de janvier 2010…).
Votre audition aujourd’hui, la première d’une longue journée pour nous, est intéressante car vous êtes un adversaire résolu de l’arme nucléaire.
Vous avez vécu une vie de combats : ancien syndicaliste, vous avez également été conseiller indépendantiste à l’Assemblée de Polynésie et, comme je l’ai dit, fortement opposé à l’arme nucléaire, vous avez même fait 3 mois de détention provisoire après les manifestations antinucléaires de 1992. Vous avez par ailleurs dirigé l’association Moruroa e Tatou, présidence que vous avez cédée en août 2023 (je précise d’ailleurs que nous avons déjà auditionné les actuels responsables de l’association Moruroa e Tatou).
Votre point de vue sur le sujet des essais nucléaires nous sera donc très utile. J’aurais deux questions à vous poser pour lancer la conversation :
- quels sont les grands chantiers sur lesquels il faut aujourd’hui travailler selon vous ? Régler le problème de la dette de la CPS ? Modifier la loi Morin et, éventuellement, supprimer le seuil du 1 millisievert ? Accélérer l’ouverture des archives historiques ?
- après que le Président de la République a reconnu l’existence d’une « dette » de la France à l’égard de la Polynésie, quelle doit être selon vous la prochaine étape dans cette logique de réconciliation ?
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Hiro Tefaarere. Je ne souhaite pas jurer car l’État a manqué à sa parole et les représentants de l’État ne jurent pas.
M. le président Didier Le Gac. Je vous rappelle que nous ne sommes pas des représentants de l’État mais des représentants du peuple français ; par ailleurs, la réglementation applicable au fonctionnement des commissions d’enquête vous impose de jurer de dire la vérité devant celle-ci.
M. Hiro Tefaarere. Il y a une différence entre représentant du peuple et représentant du peuple polynésien ; Cela dit, je jure quand même puisque vous me le demandez mais c’est de mauvaise grâce.
M. Hiro Tefaarere prête serment.
Je rappellerai le contexte historique de tout cela. J’ai été le seul élu de Polynésie française à voter contre la loi Morin ; à l’époque, j’avais fait un long discours intitulé « J’accuse » où j’ai tout dit sur l’histoire des essais. À mon sens, tout est à revoir dans la loi Morin ; je ne vais pas m’étendre là-dessus car je suppose que tout le monde vous a déjà dit qu’il fallait améliorer le texte… Ce qui m’intéresse, c’est, indépendamment de la poursuite de cette discussion, la question qui fait que je me suis demandé si j’allais venir ou non à cette audition. J’ai participé à toutes les rencontres, commissions, auditions qui ont pu avoir lieu et j’ai été le seul responsable politique polynésien à avoir fait cela, depuis l’époque de Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande ! Macron, lui, n’a pas voulu me voir ; je ne sais pas pourquoi je dérange autant. En 1978, mon patron des Renseignements généraux, paix à son âme, avait été invité à aller à Moruroa comme patron des RG ; j’étais alors responsable des chantiers du CEP à Moruroa dans les années 1970. J’ai ainsi pu voir toutes les combines, toutes les bêtises qui ont été faites et je les ai dénoncées à mon patron. C’est pour ça qu’il est allé sur place ; il a appris que la bombe avait parfois « mal explosé » et qu’il y avait pu avoir des morts, notamment chez les légionnaires. J’ai lu tout ce qui avait pu être publié sur le sujet et on avait notamment vu un document du CEA à l’époque qui avait anticipé une potentielle vague de submersion de vingt mètres de haut. Bref, mon patron a fait un rapport sur tout cela ; il a été viré.
J’étais un jeune inspecteur, major de ma promotion, et on m’avait alors fait comprendre qu’il valait mieux que je me taise ; mais c’est dans ma nature de ne jamais me taire face aux injustices commises en Polynésie française. Je me suis battu et j’ai compris que je devais me faire titulariser. On était alors en 1980. En 1981, on a officialisé la section locale de la CFDT ; j’ai été élu pour la police nationale, et mon syndicat a raflé tous les sièges, notre victoire ayant ensuite fait tache d’huile : on est devenu le syndicat le plus important du pays en seulement deux ans car on avait osé affronter l’État. Grâce à Gasto Defferre et François Mitterrand, j’ai été titularisé. J’ai alors demandé à être mis en disponibilité car j’avais dénoncé à la police nationale certains faits qui ont été corroborés par l’enquête ensuite menée par des contrôleurs de la police, lorsqu’ils sont venus ici pendant deux mois. Je suis ensuite mis en disposition partielle et je me suis ensuite uniquement consacré à mes combats.
Mon syndicat s’est mis à travailler sur tous les sujets, notamment les conséquences des tirs effectués à Moruroa (conséquences sanitaires, sociales, environnementales, sociologiques, humaines, spirituelles…) ; lorsque j’ai rencontré Alain Christnacht, l’ancien président du Civen, on se connaissait déjà. On a abordé tous les sujets possibles pendant plus de cinq heures au siège de l’Église protestante ; il faut se souvenir que nous sommes à peine plus de 200 survivants de Moruroa aujourd’hui ; sur mon île, on est seulement 5 !
À partir de 1962, il fallait construire le CEP. L’État cherchait de la main-d’œuvre en faisant miroiter la carotte financière, éventuellement en recrutant de force ; j’avais des oncles qui étaient là-bas ; quand ils revenaient de là-bas, ils ne disaient rien car les consignes passées par les militaires étaient de ne rien dire du tout. Il faut savoir que l’installation du CEP a entraîné beaucoup de bouleversements mais sachez que le Tahitien est quelqu’un qui observe, qui ne parle pas mais, quand il a confiance, il s’engage et est prêt à mourir pour une cause. À la mairie de Papeete, il y a un écriteau du général de Gaulle qui dit : « Ils ont été les premiers, ils ont été fidèles, ils ont été les meilleurs » et, c’est moi qui ajoute, il nous a donné la bombe… Face à la menace de voir la Polynésie régie par un protectorat militaire, car c’est ce qu’avait laissé entrevoir de Gaulle, on a cédé.
Nous sommes en 1962-1966 : les premiers essais ont lieu, la CPS voit le jour en 1968 seulement. Mais il faut savoir que tous les travailleurs des entreprises sous-traitantes du CEA, du CPE n’ont jamais été déclarés de leur vie ! Dans les combats que je mène, il y a une logique : réhabiliter la mémoire des camarades décédés. Aujourd’hui, combien ont été directement indemnisés ? L’association Moruroa e Tatou a fait le compte : seulement 123 dossiers.
Comment fait-on pour les autres victimes directes des essais nucléaires ? On en avait identifié 30 000. Quand on a rencontré Alain Christnacht, que nous déclare-t-il ? À votre place, j’aurais fait plus ou autant que vous en tout cas ; sur les 193 essais effectués en trente ans, 6 ont contaminé non seulement toute la Polynésie française mais également tout le Pacifique sud nous a-t-il avoué. Après, ne soyez pas surpris qu’à mon retour en France, le Président de la république va me faire comprendre que ce serait bien que je prenne ma retraite. On s’est alors dit que ce n’était plus nécessaire de parler avec l’État.
Aujourd’hui, il faut accélérer la procédure d’indemnisation des victimes : il faut passer par l’attribution d’un forfait. Il faut également veiller à rembourser la CPS. Tous les employés qui travaillaient sur les sites, lorsqu’ils étaient malades, passaient par l’hôpital Jean Prince de Tahohi. En 1977, le Pays s’est vu transférer la compétente santé ; comment expliquer qu’en 1987, il découvre que c’était toujours les militaires qui géraient le problème des évacuations sanitaires ? Or, l’État refuse toujours de nous donner le registre des évacués militaires. Bruno Barrillot, mon ami, a fait un énorme travail ; il y a eu également le colloque à l’Assemblée nationale, en février 1999, sur les conséquences des essais nucléaires… J’ai toujours mené ce combat mais j’en ai payé le prix (des tortures, ma condamnation fin 1998 à 25 ans de réclusion criminelle).
Je vous signale également que j’ai présidé la CPS de 1992 à 1994 ; dans nos dossiers, on a pu remonter jusqu’en 1976, mais pas au-delà faute d’archives.
J’ai abordé toutes ces questions avec Lionel Jospin, Michel Rocard, François Mitterrand mais je n’ai pas eu de réponse. Jacques Chirac a été le plus ouvert ; François Hollande l’a moins été même si nous entretenons des relations amicales. En tout cas, Michel Rocard a été le premier à organiser un vrai débat sur les conséquences des essais nucléaires ; le mot d’ordre en 1988 était « Qui paie contrôle ». Le combat continue en tout cas.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour ces propos très clairs sur l’Histoire, sur vos demandes pour le peuple polynésien ; je passe tout de suite la parole à nos collègues.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Merci beaucoup d’être venu à notre rencontre et pour les propos que vous avez tenus, qui nous éclairent ; pouvez-vous nous parler de la découverte de la faille qui s’est creusée à la suite des essais ? Et pouvez-vous développer les conditions de la venue de Michel Rocard et de sa doctrine « Qui paie contrôle » ?
M. Hiro Tefaarere. Plus d’une fois, il était prévu de faire exploser la bombe à 900 mètres de hauteur et on l’a faite exploser à seulement 600 mètres. On avait la possibilité de ne pas les faire exploser alors ; d’ailleurs, les ingénieurs sur place avaient expliqué qu’on pouvait arrêter le processus mais les militaires n’ont rien voulu savoir ; deux travailleurs polynésiens et des légionnaires sont morts. Avec Canopus, un tsunami a été créé d’où l’idée de construite une digue à Moruroa sur toute la longueur, depuis l’aéroport, afin de limiter les dégâts.
À l’époque, la faille était large d’un mètre ; elle a grandi depuis. Aujourd’hui, elle fait 2 kilomètres de long, 800 mètres de profondeur, 600 mètres de large ; c’est désormais la faille la plus surveillée au monde selon les experts du CEA. Des satellites examinent sans cesse cette faille mais moi, je parle de génocide ! Vous savez sans doute que tous les Gambiers, toutes ces îles seront balayées, 28 heures seulement après les îles du Vent et sous le Vent. En 1966, il y a eu un séisme au Pérou et on en a ressenti les effets jusque-là…
Quant au contexte Rocard, c’était à la demande des autorités polynésiennes qu’il est venu ; il souhaitait déjà suspendre les essais nucléaires mais les autorités ne le souhaitaient pas. On a eu un très grave conflit social en 1987 : le conflit des dockers, qui a tout brûlé à Moruroa ; ils réclamaient des revalorisations salariales, ont bloqué le port de Papeete pendant un mois… On les a soutenus et la CFDT, comme les autres syndicats, ont menacé de bloquer le pays. Gaston Flosse était au pouvoir à l’époque (c’était alors l’homme le plus puissant de tout le Pacifique) ; un accord a finalement été signé, disant en préambule qu’il fallait également qu’un accord intervienne entre le CEA et les autres acteurs au sujet des essais. Michel Rocard a alors dit à Alexandre Leontieff qu’il fallait ouvrir des discussions pour étudier les conséquences des essais sur tous les plans. On a demandé de notre côté un alignement des conditions salariales entre travailleurs locaux et travailleurs expatriés mais on n’a pas eu de réponse à notre demande. Il y a eu le chantage habituel de la part de l’État de couper les crédits et une convention cadre s’est alors mise en place avec la fameuse formule de Rocard « Qui paie contrôle ». Mais Flosse lui a opposé un autre discours, à savoir « Qui contrôle paie » ! En 1990, une grève générale est survenue à la suite du refus de nos demandes ; les ingénieurs civils ne pouvaient donc plus aller sur les plateformes. C’était une période d’extrême tension où les gendarmes entouraient les travailleurs. À l’époque, c’était des tirs souterrains qui étaient pratiqués et nous avions alors entre 4 000 et 6 000 travailleurs permanents sur place (dont 1 000 expatriés, pour moitié venant du CEA, pour moitié sous statut militaire). De nouveaux conflits sont intervenus et le chef d’état-major des armées de l’époque m’a appelé pour qu’on se rencontre à Moruroa ; c’est là qu’on a compris que l’État n’allait pas nous présenter de charte des sites. Flosse est revenu en 1991 et nous a alors dit que Léontielff avait laissé une ardoise de 11 Mds de francs CFP ; on a de nouveau bloqué les routes, des forces de l’ordre ont été envoyées… Des négociations ont alors été entamées sous l’égide de l’Église protestante et du Haut-Commissaire de l’époque, Jean Montpezat. En 1992, comme vous le savez, François Mitterrand suspend les essais nucléaires ; on a été les premiers à être prévenus car on était alors à Paris ! On a demandé à participer aux négociations en cours et c’est ce qu’on a fait avec François Mitterrand, Gilles Ménage et Yves Collet ; le pays a accepté de rétrocéder la compétence des gardiens de prison à l’État, comme les policiers à l’époque ; l’État a surtout accepté de participer chaque année à hauteur de 18 Mds de francs CFP à tous les projets permettant de moderniser la Polynésie française à la suite de l’arrêt des essais.
M. Yoann Gillet (RN). Sur quels éléments vous appuyez-vous pour dire qu’un tsunami arrivant sur la faille serait dû aux essais nucléaires ? Par ailleurs, sur la fragilité de l’atoll, on a vu les installations permettant de surveiller et de contrôler les avancées et les mouvements de terrain ; quand on vous écoute, vous semblez remettre en question le sérieux des moyens mis en œuvre pour surveiller tout cela. Est-ce le cas ? Et dernière question sur la globalisation et le forfait pour les indemnisations (qui coûterait en gros 84 000 euros par personne concernée) : qui devrait en bénéficier selon vous et suivant quels critères ?
M. Hiro Tefaarere. Sur votre première question, je n’affirme rien. Je répète les propos du CEA notamment Julien de La Gravière, délégué du CEA en 2004… Ensuite, une deuxième enquête a été effectuée sur le tsunami : les chiffres varient énormément et ont fait passer la vague de 20 à 14 mètres, puis 11 mètres et même, récemment, à 210 mètres de hauteur : il faut être sérieux ! Que prédit finalement le CEA ? Ont-ils réussi à prédire qu’un tsunami allait survenir en 1979 à la suite d’un essai raté ? L’amiral Sanguinetti a perdu tout son équipage à cette occasion, il faut s’en souvenir ! Je vous ai parlé tout à l’heure du tremblement terre au Pérou ; je lis les rapports et constate que les études tablent sur un impact jusque sur les Tuamotu !
Sur votre deuxième question concernant les moyens actuels de surveillance des glissements de terrains, je suis croyant. Tellement croyant que, pour nous, il y a une entité invisible à l’origine de tout. Aujourd’hui, l’homme ne peut pas tout prévoir ; je respecte bien sûr les scientifiques du CEA, plusieurs nous ont d’ailleurs informés et soutenu. Mais l’homme n’est pas parfait et ne peut tout prévoir : par exemple, le scientifique n’a pas prévu le covid ! le registre des évacués sanitaires, des malades, on ne l’a pas : où est donc le respect des conditions ayant suivi le transfert de la compétence santé au bénéfice du Pays depuis 1977 ? On a pu savoir certaines choses seulement parce qu’on était méticuleux et qu’on a suivi tous les dossiers ; sur 2 000 adhérents, plus de 1 800 sont morts. J’ai enterré le dernier la semaine dernière ; tous les cancers dont il était atteint figuraient dans la liste annexée à la loi Morin.
Nos amis japonais nous ont appris que certaines maladies avaient p être véhiculées par le linge lavé ici, à Papeete, avec de l’eau douce ; le problème évidemment, c’est comment peut-on apporter la preuve du lien existant ?
Mme Dominique Voynet (EcoloS). À titre personnel, tu as évoqué la peine de 25 ans de réclusion à laquelle tu as été condamné. À quoi fais-tu allusion ? Ensuite, concernant ton travail de syndicaliste, on sait que la CPS a été mise en place en 1968 et que ses archives n’existent environ que depuis 1977, les dossiers informatisés existant depuis 1984. Ce sont des archives délicates à cerner faute de contrat de travail, de fiche de paie, de traces de cotisations… As-tu cherché la liste des entreprises ayant travaillé sur les sites de tirs ? Hier, quand on posait la question des dossiers qui pouvaient exister à l’hôpital Jean Prince, on nous a dit que ceux-ci étaient peut-être stockés à Limoges ; on va regarder. Que peux-tu nous dire par ailleurs des conditions de vie des ouvriers sachant qu’ils ne pouvaient manger de poisson du lagon ou boire de l’eau de coco ?
M. Hiro Tefaarere. Le CEP avait une cantine mais seulement pour une catégorie de personnels ; les autres se débrouillaient. Les travailleurs de la Sodexo ne faisaient les repas que pour le CEA. Les employés du CEA étaient bien mieux logés et nourris que les autres travailleurs du CEP (la Somex, Citra, les sociétés off shore…) ou que les employés des sociétés françaises qui avaient leurs succursales à Paris. Quand on a reconstitué les dossiers à la CPS, on est allé à Blois et on a recruté l’informaticien de Jack Lang pour mettre en place un système permettant de remonter aux archives de 1976. On a reconstitué le maximum de ce qu’on pouvait. Aujourd’hui c’est la même chose ! Sur les événements de l’aéroport dont je vous ai parlé tout à l’heure, je n’étais pas encore arrêté que j’avais déjà été condamné à 25 ans de prison (Oscar Temaru à 15 ans) : finalement, au procès, j’ai été condamné à 5 ans ferme et à devoir payer une indemnité de 40 millions de francs pacifique. J’ai fait appel et j’ai été condamné à un an puis j’ai bénéficié d’une grâce présidentielle qui m’a dispensé d’effectuer ma peine. C’est comme ça que j’ai pu me représenter en 2001. La responsabilité civile et pénale est individuelle et non pas collective : c’était important de le rappeler. Finalement, j’ai tout payé mais j’ai également tout perdu, notamment pour ma retraite d’ancien fonctionnaire de l’État. Cela dit, j’ai obtenu gain de cause il y a six mois.
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous des opérations Turbo ?
M. Hiro Tefaarere. Je ne reçois plus leurs rapports, non plus que celui sur informations radiologiques que j’avais pourtant chaque année.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie vivement pour être venu devant notre commission ; ça aurait été dommage de ne pas avoir votre témoignage pour comprendre tous ces événements que vous avez vécus au premier rang.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Je trouve ce contexte politique très important et ça nous manquait ; ta participation, ta vision est importante.
M. le président Didier Le Gac. Madame, Messieurs, soyez les bienvenus ici, à la Présidence de la Polynésie française où nous effectuons un certain nombre d’auditions dans le cadre des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires en Polynésie française.
Comme vous le savez sans doute, cette commission d’enquête fait suite à une précédente commission qui a vu ses travaux ajournés à la suite de la dissolution du 9 juin dernier. Cette nouvelle commission, qui a débuté ses travaux en janvier, a d’ores et déjà entendu plus de 70 personnes de tous horizons et votre témoignage est, à ce titre, extrêmement intéressant pour nous. Nous avons effectivement souhaité vous entendre car vous êtes maires de communes qui ont connu le fait nucléaire, qui ont subi les dommages du nucléaire. En effet, les Gambiers et Tureia ont été frappés par des nuages radioactifs, notamment dans les années 1960 comme l’a montré le livre Toxique. Le livre reprend d’ailleurs le témoignage d’une jeune femme de l’époque, habitant aux Gambiers, à laquelle des militaires lui déconseillaient de boire de l’eau de pluie tout en restant muet évidemment sur les dangers causés par les essais nucléaires.
Nous souhaiterions aujourd’hui vous entendre sur divers points : quel est l’état de la population de vos communes face à cette Histoire, puisque je suppose que de nombreux habitants sont aujourd’hui malades ou ont perdu un membre de leur famille, sans doute en raison d’un cancer ? Que doit-on faire aujourd’hui pour apaiser les relations sur cette page d’Histoire : la future construction d’un centre de la mémoire vous semble-t-elle une bonne idée et peut-elle être suffisante ?
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer chacun tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc tour à tour vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Monica Richeton, MM. Lucas Paeamara et Vai Vianello Gooding prêtent chacun serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et vous laisse tout de suite la parole.
Mme Monica Richeton. Avant tout, je souhaitais vous dire que c’est à mon avis une bonne chose de mettre en place cette rencontre entre vous et nous. Ce n’est pas facile pour nous ; moi-même, de mon côté, ça fait plusieurs fois qu’on m’a posé des questions sur les essais nucléaires et la plaie reste vive. Aux Gambiers, il y a beaucoup de personnes atteintes d’un cancer et je pense que, de votre côté aussi, vous commencez à percevoir tout ce qui se passe en Polynésie française. Mais que faire ? Quand on parle des politiciens qui ont signé à l’époque pour accepter l’installation du CEP chez nous, avaient-ils vraiment le choix ? Non ! On n’avait pas le choix ; il faut vivre avec mais est-ce suffisant pour nous aider ? Là non plus, je ne sais pas.
M. Lucas Paeamara. J’ai été élu pour la première fois en 1977 ; je suis venu sur Mangareva et j’ai été extrêmement surpris de voir autant de militaires chez moi. La bombe H a été lâchée. Je me souviens du tir Canopus sur Mangareva : on a été enfermé pendant plusieurs jours dans un blockhaus. Pendant ce temps, les militaires ont installé des détecteurs de rayons ionisants. Un jour, un employé de Mangareva qui travaillait au SMCB a reçu l’ordre d’annoncer à la population qu’elle ne devait plus boire l’eau de leurs citernes ; il fallait les vider car il y avait de retombées radioactives dedans alors qu’on nous disait pourtant le contraire.
En 1969, des patients de base sont soudainement tombés malades ; on a parlé de la ciguatera ; ces gens subissaient des pertes de tension… Par ailleurs, on voyait beaucoup de poissons morts joncher la plage. On ne savait pas trop quoi en penser. Un autre jour, un employé de ma commune a été obligé d’arrêter de travailler car il venait subitement d’être atteint d’un cancer de la thyroïde et il est décédé peu après. Alors même qu’on faisait la veillée, une autre personne est décédée cette fois-ci d’un cancer de l’utérus ; tout le monde a été étonné de cette coïncidence. Et quelques mois après, ce sont trois personnes qui sont décédées en l’espace de presque trois jours. Évidemment, on s’est posé beaucoup de questions ! Et par ailleurs, au-delà de la seule douleur, comment faire pour indemniser tout ce monde ? Tout le monde a été contaminé à mon avis et c’est donc toute la population qui devrait être normalement indemnisée.
M. Vai Vianello Gooding. Je vous remercie également pour votre invitation et merci également aux deux anciens maires d’être là. J’ai également été dans un blockhaus quand il y a eu le tir Canopus. Pour la petite histoire, le jour même où il y a eu ce tir, une femme a accouché et a appelé son fils Canopus ! Je me souviens que les murs ont tremblé lors des tirs ; on a pleinement ressenti les tirs de Moruroa et de Fangataufa. Effectivement, il était interdit de boire de l’eau ; on la récupérait dans des fûts de 200 litres et les gendarmes sont intervenus jusque chez nous, en bateau, pour nous demander de tous les vider. Quant à aujourd’hui, le peuple mangarevien est malade ; il y a une multiplication de cancers. En plus, on les soigne mal faute de moyens : on n’a pas de médecin permanent à Mangareva ! C’est ce genre de situations qui font que les jeunes sont fâchés aujourd’hui ; on est un peuple abandonné. En fait, on a été abandonné depuis le départ du CEP jusqu’à aujourd’hui ; il n’y avait aucune compensation financière pour l’archipel, aucune !
M. le président Didier Le Gac. Merci beaucoup pour ces premiers témoignages, déjà éclairants. Je laisse la parole à Mme la rapporteure.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Il paraît qu’on avait demandé aux habitants des Gambiers de cultiver pas mal de légumes au temps du CEP mais que s’est-il passé ensuite ?
M. Vai Vianello Gooding. Les légumes consommés à Moruroa l’ont été bien après les tirs problématiques ; le service de l’agriculture de l’époque avait dit que la consommation des légumes ayant poussé à Mangerava ne pouvait être autorisée en raison des retombées nucléaires.
M. Lucas Paeamara. Il y avait par ailleurs une société qui regroupait tous les légumes que les gens mangeaient ; le bateau arrivait et repartait ensuite à Hao ; ça n’a pas duré très longtemps.
M. le président Didier Le Gac. Y a-t-il encore aujourd’hui de la défiance pour pêcher le poisson dans le lagon et le manger ?
M. Vai Vianello Gooding. On mange du poisson pêché au large mais très peu de gens pêchent aujourd’hui dans le lagon de peur de tomber malade. Moi, par exemple, je ne mange que rarement le poisson du lagon : on perçoit une sorte de pincement dans le pied quand on mange le même poisson toute la semaine. Avant, on était malade dans la journée lorsqu’on mangeait du poisson ! Dans la restauration scolaire, on a recours à du poisson pêché au large, pas du lagon ; certaines personnes continuent d’en manger mais la plupart ne préfèrent pas.
M. le président Didier Le Gac. Existe-t-il des prélèvements pour analyser la toxicité des poissons du lagon ?
M. Vai Vianello Gooding. Non mais la toxicité n’a pas disparu ; elle a éventuellement reculé…
Mme Monica Richeton. Je complète un peu ce qui vient d’être dit. On n’avait pas le choix : soit on utilisait du poisson congelé mais il n’était pas toujours en bon état ; soit on mangeait du poisson pêché dans le lagon mais on ne le faisait que rarement, ce qui est bien un signe qu’il était empoisonné. Tout cela est vraiment… je ne sais pas quoi dire… Tout le monde a été empoisonné : parents, grands-parents, enfants et petits-enfants ! On a eu des prélèvements mais il n’y en a plus désormais. Après le CEP, comme ça a été dit, on a senti une population abandonnée alors qu’on avait auparavant des docteurs, des infirmiers militaires, tout était organisé. En tout cas, je peux vous dire que les bombes aériennes, c’était quelque chose ! Parfois, le verre de nos lampes à pétrole cassait lors du souffle de la bombe ! On l’a vécu !
M. Lucas Paeamara. Il n’y a jamais eu d’empoisonnement en Polynésie. Ce n’est que depuis l’arrivée de la bombe qu’il y a eu des empoisonnements ; c’est clair et net, on ne va pas chinoiser ! Il faut essayer maintenant d’indemniser. Au niveau du territoire, l’État français donne 10 Mds de francs CFP par an mais ça tombe dans la poche du territoire : c’est lui qui dose, qui distribue… On préférerait que l’État indemnise directement les communes touchées.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Je constate que les discours sont très convergents entre les tavanas, les scientifiques, les historiens… Je m’étonne néanmoins toujours de ce que les scientifiques qui observaient les effets des essais sur les mollusques, les poissons ou les coraux n’ont jamais fait d’études sur ce qui était arrivé au sein de la population humaine (non seulement au regard du nombre de cancers mais aussi des autres conséquences sanitaires comme le nombre d’enfants mort-nés, le nombre de fausses couches, la prégnance éventuelle de la stérilité…) ? Une telle étude validerait l’hypothèse d’une population entièrement touchée et pas seulement de ceux qui travaillaient sur le CEP. Qu’en est-il par ailleurs des maladies transgénérationnelles. Est-ce que ce sont des sujets débattus aux Gambiers ?
M. Vai Vianello Gooding. Il arrive effectivement que les mêmes maladies frappent les enfants après avoir atteint leurs parents. Est-ce transmissible ? Je n’en sais rien mais il y a des cas ; j’ai au moins quinze ou vingt jeunes chez moi qui ont actuellement les mêmes maladies que leurs parents sur environ 1592 habitants actuellement dans ma commune.
Mme Monica Richeton. Je peux également répondre là-dessus ; mon père est mort d’un cancer, ma mère également ainsi que ses deux fils. Je me suis demandé si, à l’époque, ils avaient bu de l’eau contaminée, éventuellement de l’eau récupérée par la toiture ? Ça m’a beaucoup travaillé…
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Avez-vous des témoignages ou des souvenirs sur d’éventuelles fausses couches, des malformations d’enfants, des enfants mort-nés au Gambiers ?
M. Lucas Paeamara. J’ai eu un exemple ; une femme qui avait été empoisonnée et qui a eu un enfant né avec un rein mal formé (en fait, les deux reins étaient collés l’un à l’autre). Quand il a eu huit mois, il a failli décéder mais, heureusement, on a eu un bon médecin qui est venu le soigner ; je connais bien cette histoire puisque c’est celle de mon épouse.
J’ai d’ailleurs écrit un livre : Mangareva, ma bien aimée. Tout est là-dedans !
M. Vai Vianello Gooding. Quand on est confronté au millisievert, on n’a pas le choix il faut présenter des dossiers d’indemnisation en bonne et due forme.
La population mais également l’archipel ont besoin d’être indemnisés ; après les essais, une convention a été signée entre le Président Chirac et Gaston Flosse avec à la clé 18 Mds de francs CFP affectés à la Polynésie française pour financer l’après-nucléaire. Ce montant a été ensuite abaissé à 10 Mds. Concrètement, on présente un dossier en vue de percevoir des fonds mais souvent on nous dit qu’on verra l’année prochaine puisque tous les crédits sont partis… On a ainsi de gros retards de développement ; par exemple, il nous faudrait 900 millions de francs FCP pour satisfaire nos besoins en approvisionnement en eau pour toute l’île !
Dominique Voynet (EcoloS). Je comprends cette demande de réparation en direction des communes puisque leur développement est lié à présence du CEA et des militaires avant que ne se profile ce légitime sentiment abandon ; faut-il créer une dotation exceptionnelle pour le budget des communes ? Je souhaite par ailleurs revenir sur les pathologies dont souffrent les habitants de l’archipel : on a à la fois un diagnostic tardif et des gens malades plus tôt (60 ans contre 80 en métropole dans le cas des cancers), sans compter un préjudice moral spécifique… Compte tenu de la forte implantation religieuse aux Gambiers, peut-être serait-il facile de retracer l’épidémiologie en consultant les registres paroissiaux et en adaptant ainsi l’indemnisation à l’échelle des Gambiers ?
M. Vai Vianello Gooding. Effectivement mais il faudrait également aller consulter les archives du centre médical d’Equitea, éventuellement de Papeete également.
M. Lucas Paeamara. On ne peut comparer toutes les îles entre elles ; par exemple le taux de contamination est faible à Tahiti, mais on est au contraire en plein dedans aux Gambiers. Il faut regarder à la fois au prorata de la population et au prorata de l’éloignement par rapport aux sites des tirs.
M. Vai Vianello Gooding. Il faut se souvenir que l’insularité nous coûte cher ; les dotations du pays ne correspondent pas à l’éloignement de l’archipel par rapport au cœur de la Polynésie française.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie tous les trois pour vos témoignages.
M. le président Didier Le Gac. Bonjour Roti Make, C’est un plaisir pour nous de vous entendre aujourd’hui. Votre personnalité ne peut laisser indifférent !
Vous êtes née à Rapa en 1953, d’un père français venu installer la station météorologique sur l’île et d’une mère Rapa. Après y avoir passé la première partie de votre jeunesse, vous avez rejoint votre mère qui était alors installée en Suisse avec votre beau-père, mais aussi vos frères et sœurs.
Vous avez suivi l’école des beaux-arts puis une école d’arts appliqué et vous êtes donc devenue peintre, avant de devenir professeure en 1980. Vous avez également été animatrice d’une émission de radio intitulée « La voix des femmes » et, entre autres engagements, vous avez également été présidente de la section polynésienne de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LIPFL).
On l’aura compris : vous avez mené plusieurs combats et nous souhaiterions donc vous entendre aujourd’hui sur la thématique de notre commission d’enquête, à savoir les effets des tirs nucléaires effectués en Polynésie.
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Roti Make prête serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je vous laisse donc la parole avant que les autres députés membres de la délégation n’interviennent pour échanger avec vous.
Mme Roti Make. Je me suis engagée en politique sur le fait nucléaire. J’ai ainsi voulu insister sur le fait que la Polynésie française avait été contaminée par les essais nucléaires et que tout cela avait modifié le mode vie polynésien, en ayant eu un impact sur notre culture, sur le foncier surtout… Les Polynésiens sont un peu dans une sorte de no men’s land ! Faute de pouvoir accéder à la vérité, ils ont également subi un impact psychologique important ; comme si on leur avait enlevé l’envie de réagir. J’ai également travaillé sur ce sujet par le biais de la Ligue internationale du droit des femmes, grâce à laquelle on a fait adopter sur le plan international des résolutions permettant de faire reconnaître que les essais avaient eu un impact spécifique sur les femmes, au-delà du seul peuple polynésien. J’ajoute que j’ai également été présidente et cofondatrice de l’association Moruroa e Tatou.
M. le président Didier Le Gac. Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte ce combat a démarré ?
Mme Roti Make. J’ai été présidente de l’Organisation pour la paix. Lors de la première réunion, on a demandé qu’une femme soit présidente de l’association Moruroa e Tatou. Comme j’étais là, j’ai dit d’accord alors même qu’étaient présentes d’autres femmes plus anciennes militantes antinucléaires que moi !
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous de la loi Morin ? Est-ce une victoire pour vous, pour le combat que vous menez ?
Mme Roti Make. Cette loi est importante mais elle n’est pas entrée dans le cœur de l’impact des essais nucléaires. La loi n’impacte pas assez les personnes. Il faut élargir l’indemnisation car les enfants ne sont pas concernés alors que la radioactivité passe les générations. Ce que je ressens finalement, c’est que la loi Morin va finalement refermer l’indemnisation ; je n’étais pas favorable d’emblée à cette loi mais il est vrai que ceux qui veulent rapidement bénéficier d’une aide financière notamment peuvent y recourir. Ils ont perdu des êtres chers et ont vécu un traumatisme ; je comprends leur démarche et parfois leur impatience.
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous par ailleurs du terme de « dette » employé par le Président de la république ?
Mme Roti Make. Je rappelle que le Président Chirac avait également parlé de « dette éternelle » de la France à l’égard de la Polynésie française. On l’oublie souvent. IL faut également avoir à l’esprit, en jetant ce regard sur notre histoire, que nous sommes un pays colonisé !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Que faut-il faire par ailleurs pour que la jeunesse s’approprie toute cette histoire aujourd’hui ?
Mme Roti Make. On a été censuré pendant des années ; militer contre le nucléaire a eu des répercussions sur ma condition. Aujourd’hui, lorsqu’ils cherchent une information, les jeunes agissent comme si l’on avait gommé une partie de leur mémoire ; ils n’ont pas conscience que les effets des essais nucléaires ont été néfastes pour tout un peuple.
M. Yoann Gillet (RN). Personne, je crois, ne nie le traumatisme du peuple polynésien ; par ailleurs, il existe également un consensus sur les failles du processus d’indemnisation. À ce jour, il n’y a pas d’étude scientifique sur les effets transgénérationnels des cancers ; sur quoi vous basez-vous pour dire cela ? Par ailleurs, beaucoup de personnes nous disent dans leurs témoignages qu’il existe des taux anormalement élevés de cancers dans certaines parties de la Polynésie française mais, pour autant, il n’existe pas d’étude qui l’attesterait. On est donc confronté à des propos difficilement vérifiables, ce qui constitue un vrai point de blocage pour notre commission.
Mme Roti Make. Effectivement, je ne suis pas scientifique ; ce que je demande c’est qu’on ne ferme pas la porte car l’impact des essais sur la santé des Polynésiens pourra éventuellement être prouvé à l’avenir. Il ne faut pas bloquer cette éventualité.
M. Yoann Gillet (RN). Les seules études scientifiques actuelles prouvent plutôt le contraire mais je ne suis pas davantage scientifique…
Mme Roti Make. Quand j’étais membre de l’association Moruroa e Tatou, j’ai lu de nombreux rapports, un grand nombre de dossiers ; qu’est-ce que je fais de tout cela ? J’avais envie de tout brûler ! Des générations entières vont mourir et l’impact continue ; c’est dans cet esprit de paix, de voir comment on peut trouver de façon apaisée une issue à tout cela qu’il faut regarder la situation des essais nucléaires en Polynésie.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Ne jette pas tes rapports ! Ils pourront être utiles au futur centre ! Tu as dit que les essais avaient déstabilisé les Polynésiens… Peux-tu nous en dire davantage là-dessus car c’est ce traumatisme qui pourrait justifier que l’État puisse indemniser les dommages causés à la population ?
Mme Roti Make. Pourquoi le polynésien est-il devenu comme ça ? Sans argent, on ne peut prétendre à la médecine car il faut aller consulter de grands docteurs, il faut aller en France métropolitaine car nous n’avons pas tous ces moyens ici etc.… Cette prise en charge de la santé signifie qu’il vaut mieux avoir de l’argent. Or, les Polynésiens n’avaient pas cette relation avec l’argent auparavant ! Avec le CEP, ils sont véritablement devenus avides ; ça a été un profond impact sur la société polynésienne. Par ailleurs, le fait que de nombreux Polynésiens aient été expropriés pour construire les installations du CEP a conduit à ce qu’ils se retrouvent sans terre, suscitant la violence des enfants, faute pour l’administration de bien avoir administré les biens de tout un peuple ! Ces baisses de revenus ont conduit de très nombreuses femmes à devoir trouver un emploi en urgence, pour leurs enfants notamment, ce qui n’a jamais été reconnu par la CPS !
M. Le président Didier Le Gac. Au sujet des terres, que pensez-vous de la question de l’éventuelle rétrocession des atolls au Pays ?
Mme Roti Make. Ce serait un véritable cadeau empoisonné ! Deux îles ont été privatisées militairement avec l’autorisation de l’assemblée territoriale de l’époque ; on rétrocéderait quelque chose qu’on a préalablement privatisé militairement ? Est-ce que l’État serait d’accord pour effectuer un suivi d’analyse de cet endroit et pour en faire quoi par ailleurs ? Y mettre des prisonniers ? Y installer des militaires ? Y construire un aéroport ? Tout cela est illusoire alors qu’on sait très bien qu’il suffit d’un tremblement de terre pour que tout ça disparaisse ; on ne sait pas comment notre bloc terrestre va réagir à cela. De plus, de telles constructions auront de nouveau un impact sur l’environnement puisque les résidus iront dans l’Océan et déclencheront des épidémies de ciguatera. J’avais envoyé un courrier au Président Nicolas Sarkozy à l’époque, qui avait dépêché des recherches là-bas mais ici, je n’ai jamais eu de réponse sur le phénomène de ciguatera. Ce dont il faut avoir conscience, c’est que si rien n’est fait, il n’y aura plus de confiance dans les autorités, notamment du Gouvernement français.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. On se rend compte tout de même qu’un travail sérieux est effectué sur les atolls par le CEA, avec des améliorations notables (on a vu des chiffres et des tableaux extrêmement éclairants). Sur le sujet du foncier, ça ne se limite pas à Moruroa et Fangataufa ; c’est vrai que le goût pour l’argent qui est arrivé avec le CEP a touché l’ensemble de la Polynésie et pas seulement ces deux atolls. Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est que la jeune génération est sans terre, sans fenua.
Mme Roti Make. Avant, ces gens-là étaient agriculteurs ; avec le CEP, on est allé chercher des travailleurs dans toutes les îles, ce qui a impacté le développement économique et financier de la Polynésie française tout entière. Les militaires avaient par ailleurs beaucoup d’argent, ce qui a également modifié la physionomie de la société et de l’économie polynésiennes. Les parts en indivision se sont multipliées et les Polynésiens sont devenus suspicieux ; s’ils ont vendu leurs terres, ce n’était par un choix mais un vrai signe de désespérance pour financer les études des enfants, pour qu’ils puissent ensuite étudier à Tahiti… Les anciens savaient qu’ils n’avaient pas le droit de vendre leurs terres car c’était dans leur statut ; la France devait en principe garantir la terre aux Polynésiens mais elle a totalement échoué.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Tu as beaucoup insisté sur la nécessité que ce soit l’État qui établisse l’état réel des contaminations et qui le dise aux Polynésiens. As-tu entendu parler des campagnes Turbo ? Dans l’affirmative, qu’en penses-tu ? Sur le traumatisme de la population polynésienne, que doivent être selon toi les bonnes et justes réparations ? On nous parle de pardon, d’excuses, d’indemnisation sous des formes variées (réparations financières collectives au bénéfice des communes arrosées par les nuages ou au bénéfice du Pays tout entier, réparations individuelles…). Qu’en penses-tu ?
Mme Roti Make. La réparation, c’est un processus mais pas une solution à court terme. Le problème, c’est que, bien souvent, quand l’argent arrive dans le budget de la commune, cet argent est ensuite utilisé à des fins électorales : c’est également un traumatisme pour la population. Ce qu’il faudrait, c’est une association apolitique qui gère cet argent, ou la CPS éventuellement, mais ne mettez pas cet argent dans les communes ! L’argent doit aller vers les travailleurs, vers les entreprises.
M. Le président Didier Le Gac. Merci beaucoup pour cette entrevue.
M. le président Didier Le Gac. Bonjour Messieurs, nous sommes très heureux et même très honorés de vous voir dans le cadre de ce déplacement de la commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie entre 1966 et 1996.
Je vous rappellerai très rapidement que cette commission a été créée au mois de décembre dernier ; elle fait suite à une première commission d’enquête qui avait été créée en avril 2024 mais dont les travaux ont été ajournés à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) qui avait initié la première commission a décidé d’user de son droit pour créer une nouvelle commission sur le même sujet que sont les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie française entre 1966 et 1996. Cette nouvelle commission a été officiellement créée le 17 décembre dernier ; elle comprend 30 membres, issus de tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale et doit rendre son rapport au plus tard le 16 juin prochain.
Nous avons dès à présent effectué près de 25 auditions, ce qui nous a permis de rencontrer et d’entendre pas loin de 70 personnes différentes : des historiens, des associations, des institutionnelles, des scientifiques, des vétérans…
Nous entendrons de nouveau des vétérans vendredi et nous allons vous écouter aujourd’hui car, pour nous, rien ne remplace le témoignage de ceux qui ont vécu directement cette page de notre Histoire. Je ne vous poserai pas de question d’emblée car je préfère vous laisser la parole ; ce que nous souhaitons, c’est savoir concrètement comment vous avez vécu cette époque. Quels postes occupiez-vous dans ce contexte historique si particulier ? Quelles étaient les règles de protection qu’on vous faisait prendre s’il y en avait ? Qu’avez-vous vous-même constaté à l’époque ?
Je vais vous donc vous laisser tout de suite la parole mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
MM. Marius Chan, Daniel Palacz, Bernard Pellemans et Alberto Bono prêtent successivement serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je vous laisse donc la parole avant que les autres députés membres de la délégation n’interviennent pour échanger avec vous.
M. Daniel Pallacz. Pouvez-vous nous indiquer tout d’abord ce que va donner la finalité de l’enquête ?
M. le président Didier Le Gac. Le principe d’une commission d’enquête, c’est qu’on étudie un sujet très précisément ; mais, comme c’est la rapporteure qui a demandé cette commission d’enquête, je vais la laisser vous expliquer les raisons de sa constitution et les préconisations qui pourraient ensuite être faites. J’ajoute, même si ce n’est pas toujours le cas, que les travaux de la commission peuvent éventuellement être suivis du dépôt d’un projet ou, plus fréquemment, d’une proposition de loi reprenant certaines préconisations pouvant conduire à une modification des textes applicables.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. J’accorde beaucoup d’importance à cette commission d’enquête. Tout simplement parce que, lors des campagnes électorales, j’ai senti que le sujet, la période du CEP étaient encore vivaces dans certains esprits, même si elle pouvait être totalement occultée dans d’autres. C’est intéressant, à mon sens, que la jeune génération s’approprie cette époque pour qu’il y ait un véritable apaisement chez ceux qui lui sont hostiles ; il faut par ailleurs que notre jeune génération puisse enfin connaître cette histoire ! Le Parlement bénéficie de cet outil de contrôle de l’action du Gouvernement que sont les commissions d’enquête pour recueillir des informations, et nous soumettrons ensuite des préconisations ; l’enquête est en cours, nous verrons ce qu’il en sera pour les conclusions.
M. le président Didier Le Gac. Pour compléter ce qui vient d’être dit, sachez qu’une commission d’enquête n’est pas un tribunal ; elle n’est et ne doit être ni à charge, ni à décharge ; on est là pour comprendre et écouter.
M. Bernard Pellmans. Pour ma part, je suis arrivé en Polynésie française en novembre 1963 (il y aura 62 ans cette année) ; un mois et demi après, j’ai embarqué sur le navire Francis Garnier puis je suis arrivé à Moruroa ; j’avais dix-huit ans et j’étais marin d’État. J’ai fait toute ma carrière en Polynésie française, sauf deux ans que j’ai passés en France car il n’y avait pas assez de volontaires à l’époque. De fait, comme j’avais mis comme souhait d’affectation « Tahiti », je revenais tout de suite ! J’ai vécu tous les essais aériens en tant que militaire (on était en mer, pas sur le sol) ; j’ai assisté à 170 tirs en étant physiquement présent ! J’ai quitté Moruroa en mars 1998 après le dernier tir du 26 janvier 1996. En 1981, j’ai été patenté et le CEA m’a embauché, au départ comme mécanicien. Aujourd’hui, je suis en vie et en bonne santé ; j’aurai 80 ans dans 15 jours !
Pour répondre à certaines de vos questions, sachez que j’ai bénéficié d’un suivi médical de la part du CEA ; mon dossier est à la DAM, à Bruyères le Chatel. Je ne me suis jamais senti en manque de sécurité.
M. le président Didier Le Gac. Bonjour M. Olanda ! [nb : un problème technique avait empêché l’intéressé d’être présent dès le début de l’audition]. Je vais vous demander de prêter serment tout d’abord !
M. Daniel Olanda prête serment.
M. Marius Chan. J’étais affecté à Moruroa comme gendarme ; bien avant ça, j’ai effectué des renforts en Polynésie française puis j’ai été convoqué comme chef de corps pour être envoyé à Moruroa pendant un an ; je suis parti en caravelle en mars 1978. En arrivant, je me suis demandé ce que je faisais ici : il y avait de tout, des camions, des équipements sportifs, des chantiers. Arrivé à la brigade, je contrôlais les personnes qui travaillaient, effectuaient des visites, je conduisais des patrouilles continuelles sur le site, exerçant notamment la surveillance de la zone où était stationnée la Légion étrangère. Je suis allé au village Martine et ai participé à une surveillance accrue à l’arrivée des avions partant pour l’étranger. Il fallait également veiller à ce qu’il n’y ait pas d’indépendantistes sur le site. Pour ma part, je n’ai pas connu de tir aérien. J’ai commencé mon travail assez vite en 1978 ; j’ai débuté la surveillance alors que les tirs souterrains commençaient en 1975. Je me souviens du premier tir souterrain auquel j’ai participé : nous étions alors sept gendarmes, une sirène a résonné sur l’ensemble de l’atoll, le compte à rebours a commencé et ensuite, alors qu’on était tous accroupis, on a senti un soulèvement de l’atoll qui tanguait comme si on était sur un bateau ! On était à l’extérieur pendant les tirs souterrains ; on avait l’impression d’être recouverts par une pluie fine qui ensuite s’arrêtait. On entendait par la radio que le tir avait été effectué et, à ce moment-là, on recevait des personnalités qui étaient venues de France spécialement pour ça… Nous n’étions pas protégés ; on avait notre uniforme kaki de gendarme, des sandalettes de cuir, un képi ; on était en permanence en lien avec le poste de commandement de tir (PCT)de tir. Une fois les tirs effectués, les scientifiques arrivaient : on regardait leur numéro de badge et on les laissait passer les barrages ; des voitures les amenait (eux, ils étaient eux extrêmement bien protégés !) jusqu’au point zéro où ils effectuaient ensuite leurs prélèvements (eau de mer, sable, cadavres de poissons, requins…).
M. Bernard Pellmans. Oui, je me souviens que la terre tremblait pendant 30 à 40 secondes selon la puissance et la profondeur du tir, et le lagon devenait alors tout blanc ; un geyser se formait alors, souvent jusqu’à 50 ou 60 mètres de haut à cause des zones d’air qui existaient dans le corail.
M. Daniel Pallacz. Je suis d’origine polonaise, né de parents polonais ; je portais donc une carte verte d’étranger même si je suis né en France : tous les six mois, j’allais faire viser ma carte verte dans un commissariat, en France. J’ai fait une école d’ingénieur de marine marchande ; j’habitais alors à Villeneuve Saint Georges. En 1963, comme j’étais un cancre à l’école, je me suis dit que je devais partir et j’ai donc demandé à être engagé ; je suis allé en formation dans les sous-marins : c’était l’aventure ! On naviguait également sur l’Astrée, la Galatée, d’anciens U-Boat allemands basés à Lorient et à Toulon. Au bout de trois ans, j’avais un grade m’interdisant de continuer à naviguer (j’étais navigateur timonier sur les sous-marins) ; j’ai donc fait une autre école de formation pour devenir chef de quart. On m’a proposé, comme j’étais major de ma promotion, d’aller en Terre-Adélie ; on m’a donné des congés et j’attendais mon ordre de départ. Manque de bol, j’ai été appelé par le ministère de la Marine : il y avait le fils de quelqu’un de haut placé qui revendiquait la place pour aller sur le Marion Dufresne en Terre-Adélie, et on m’a alors demandé de céder ma place. En échange, j’allais où je voulais ! C’est comme ça que je suis arrivé ici en 1966 ; j’avais 20 ans, j’étais célibataire, je ne dépensais rien ; Tabarly venait souvent ici, Moitessier également… Mon idée première était de rentrer en France et de faire de la voile ; mais l’hospitalité tahitienne m’a impressionné. Une fois, je suis rentré en France en DC6 mais tous mes amis d’ici m’ont demandé de livrer des paquets à leurs familles, ce que j’ai fait… Or, il se trouve, qu’une fois, le dernier paquet était destiné à une Polynésienne vivant en France, et qui est finalement devenue ma femme ! Grâce à une amie de ma femme, on m’a fait affecter à Tahiti. Ici, j’ai travaillé sur une guimbarde, Le Scorpion, qui mettait des crapauds (de grosses pièces en béton pesant douze tonnes, qui permettaient d’arrimer les barges entourant la barge sur laquelle était fixé le ballon supportant la charge nucléaire). Voilà à quoi je travaillais. J’ai ensuite quitté l’armée et je suis devenu plongeur civil à Moruroa ; j’ai été embauché par « Études et Travaux sous-marins de Polynésie » (qui a ensuite fermé) puis j’ai créé mon entreprise tout seul. On était une équipe de quinze plongeurs sur les sites nucléaires ; on n’était pas sur les aspects techniques de la bombe mais on travaillait à sa mise en œuvre, notamment sur le site Dindon. On a commencé à travailler à 32 mètres de fond puis, à force d’être remblayé, on a fini à 12 mètres de hauteur ! C’était pareil à Denise ; on travaillait très vite et on était alors payé par la SODETRA, une entreprise sous-traitante du CEA. Mon dernier tir atmosphérique a été le dernier tir effectué au mois de septembre 1974. Alors que je travaillais dans mon entreprise, qui marchait plutôt bien, j’ai vu tous mes anciens collègues mourir de cancers du foie, du pancréas… Jusqu’à présent, je suis en bonne santé…
M. Alberto Bono. Je suis né de parents italiens mais j’ai eu la nationalité française en vertu de l’article 1er d’une convention franco-tunisienne entrée en vigueur par une loi du 20 décembre 1923 (j’ai été naturalisé le 3 juin 1945). Je suis donc né en Tunisie de parents italiens. J’ai fait des études de pharmacie et j’ai dû faire mon service militaire ; tout le corps médical (pharmaciens, dentistes, vétérinaires…) suivait les cours du service de santé de Libourne et à la fin de cette formation, on m’a donné le choix de mon affectation ; je suis allé au SMCB (même l’officier ne savait pas ce que ça voulait dire). À l’aéroport, on m’a enfin dit ce que ça voulait dire (service mixte car composé de militaires et civils) ; je suis arrivé en Polynésie en mai 1970. Après une formation accélérée de deux mois et demi à Maïna, au siège du SMCB, alors dirigé par le docteur colonel Million, on m’a envoyé à Rangiroa, où il n’existait pas de poste militaire. S’y trouvait en revanche un Institut de recherche sur les oléagineux. Le docteur Million m’a ensuite demandé d’aller à Papeete puis, vingt-quatre heures après, je suis allé à Hao où je suis resté neuf mois, ce qui m’a permis de connaître les Tuamotu de l’Est avec une mission mensuelle de prélèvement de faune et de flore locales, qu’il fallait ensuite étiqueter, dater et envoyer à Maïna, puis de là à Villacoublay pour y effectuer des analyses très précises. À la fin de mon service, le docteur Million m’a proposé de signer un contrat civil, me permettant de faire le même travail que je faisais jusqu’alors mais comme civil. Je suis alors parti quatre mois et demi aux îles Marquises avec neuf tonnes de matériel (des instruments de mesure…) ; j’y assurais les missions du SMSR et du SMCB, ainsi qu’une mission de surveillance météorologique à Atuona, aux Marquises. J’ai ensuite été rapatrié sur Tahiti et comme j’avais pris goût à la Polynésie, alors même que j’étais libéré de mon contrat, je ne voulais pas renter en France. Dans l’idéal, je voulais faire un petit « stop over » mais je n’avais d’argent pour aller en Asie ou en Amérique du Sud ; on a accepté de me libérer sur le territoire polynésien mais seulement si je trouvais du travail (sinon je devais retourner à Paris). On m’a proposé de travailler trois mois dans une pharmacie ; j’ai été embauché à la pharmacie Juvin pendant six mois et on m’a ensuite proposé de rester six mois supplémentaires. Depuis le mois de mai 1970, je n’ai plus jamais quitté la Polynésie française. La pharmacie a été achetée et j’ai donc créé ma propre pharmacie, à Arue, que j’ai tenue pendant trente-cinq ans.
M. Daniel Olanda. Je suis arrivé ici le 10 mai 1967. Mon père avait été muté à la DCRN (c’était le début de l’installation des docks pour entretenir les bateaux militaires), le premier dock étant arrivé en 1964. J’ai obtenu un CAP d’électricien et ai ensuite été embauché comme bobineur à la DSCEN. Nous n’avions aucun moyen de protection à l’époque ; des chaussures de sécurité certes mais c’était tout. On n’avait aucun équipement sinon. On a subi tous les effets des bateaux venant de Moruroa, des moteurs de derricks avec de la poussière de corail revenant de Moruroa… Ma femme a eu un cancer de l’utérus, et est décédée il y a peu, le 3 août 2024, après dix ans de traitement. Je suis malade aujourd’hui mais je me doute de ce que j’ai : j’ai un cancer des reins qui, depuis cinq ans, me cloue dans un lit médical. En 2003, Naval group (pour qui on travaillait) nous a jeté comme des malpropres pour ne pas avoir à nous indemniser au titre des maladies professionnelles qu’on avait pu contracter. À mon sens, le Civen ne sert à rien ; le docteur Pontis m’a montré que les enquêtes étaient mal faites : je me bats aujourd’hui pour ma femme, pour moi-même et pour mes anciens camarades décédés ! Quand je travaillais ici, je nettoyais tous les moteurs des bateaux de sauvetage … On a travaillé sans aucune protection, sans aucun masque, on touchait les coques et mécanismes sans gants, les liquides etc… jusque dans les années 1985 ; là, la DGA a imposé des règles mais c’était trop tard ! À l’époque, on a subi le tir Centaure et tous ses effets, notamment ses nuages radioactifs ; quand on travaillait sur les bateaux, je me souviens que tous les embruns allaient à l’intérieur des bureaux de la DCN ; le Civen n’a pourtant rien voulu écouter là-dessus…
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie tous pour vos témoignages très éclairants, précis et émouvants même. Quel regard portez-vous sur l’après Moruroa ? Et que pensez-vous de l’utilisation du terme de « dette » utilisé par le Président de la République il y a près de quatre ans ?
M. Bernard Pellmans. La fin du CEP a été extrêmement brutale, c’est sûr ; Jacques Chirac et Gaston Flosse avaient réussi à mettre d’accord sur le versement d’une indemnité annuelle de 18Mds de francs CFP mais ça a été réduit. Aujourd’hui, on se demande pourquoi tous ceux qui ont travaillé à Moruroa ne soient pas payés par l’État plutôt que par la CPS, ce qui concerne actuellement environ 2 000 personnes. Alain Juillet, ancien patron de la DGSE, m’a dit que c’était légitime comme demande.
Sinon, je peux vous préciser que je ne touche aucune retraite actuellement ; on ne cotisait pas obligatoirement à l’époque. J’ai une pension d’ancien militaire mais je ne touche aucune retraite civile pour les années travaillées à Moruroa. Je continue de travailler même si je n’en ai pas besoin.
M. Daniel Pallacz. Pour avoir un pass permettant de circuler sur les sites de tirs, il y avait des enquêtes très poussées qui étaient menées ! Tout employé ayant mis les pieds à Moruroa était badgé ! On doit sans doute pouvoir retrouver leurs traces…
M. Alberto Bono. Pour ma part, j’ai fait des expérimentations à Tureia, l’atoll le plus touché par les retombées directes ou différées des tirs (parfois plus de 24 heures après) ; sur 41 essais atmosphériques réussis, Tureia a subi 34 retombées ! C’est dire la contamination que nous avons subie ! J’ai donc fait une expérience à la demande du SMCB car j’étais officier et je ne pouvais pas moralement le soustraire à mes obligations. Il fallait se nourrir pendant quinze jours comme le reste de la population qui habitait Tureia ; j’ai établi un rapport en janvier 1971, qui a été déclassifié depuis. On s’est alors rendu compte que la population locale n’avait pas accès à l’alimentation venue de France. J’ai donc fait cette expérience pendant quinze jours ; il fallait garder les selles, les urines pour ensuite les faire analyser et il y avait en outre un plat témoin ; on en déduisait ce qu’on avait gardé. J’ai eu de grosses difficultés à obtenir ces résultats pendant quinze ans. Quand on a fait sur moi des recherches de radionuclédides, on s’est aperçu qu’en quinze jours, j’avais atteint un indice de tri (quand votre organisme a un taux de radioactivité deux fois supérieur à la moyenne de la radiaoctivité ambiante) qui était très fort : j’ai eu un indice de 2,1 en seulement quinze jours ! Imaginez si j’étais resté plus longtemps. J’en ai référé au Centre médical de suivi ; quand Julien de la Gravière est venu, j’ai été à Arcueil pour voir mes résultats ; je n’ai jamais eu de réponse à l’époque.
M. le président Didier Le Gac. Avez-vous bénéficié d’un suivi médical quand vous étiez là, sur les installations du CEP ?
M. Daniel Pallacz. Non ; pour ce qui me concerne, je n’ai pas eu de suivi et tout cela ne m’a jamais fait peur. On était 4 000 polynésiens à Moruroa, qui ne parlaient pas un mot français, nous avions été recrutés aux Gambiers… Nous étions venus, mus par l’appât du gain ; c’était une véritable apothéose pour eux quand ils arrivaient ; on savait que la pêche était interdite mais bon, on pêchait quand même parfois des langoustes, des poissons, des tortues…
M. Bernard Pellmans. Je me souviens que des types allaient pêcher la langouste la nuit mais on était surveillé par des hélicoptères et des gendarmes. Je n’avais pas de radiodosimètre et, pour la douche, j’utilisais de l’eau de pluie. Sur la plage nord de Tureai, sur près de 200 mètres, sur une épaisseur de 30 à 50 centimètres, vous avez des coquilles de bénitiers juvéniles : on explique assez facilement cette mortalité très importante par le fait que ces organismes marins se nourrissent en filtrant l’eau de mer, ce qui les a conduits à retenir quantité de radionucléides.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Quand on est allé à Moruroa, on nous a dit que les bâtiments étaient équipés si besoin ; mais vous nous avez dit tout à l’heure que vous ressortiez très vite, dès le lendemain du tir…
M. Daniel Pallacz. Oui, ça faisait partie de notre boulot mais une équipe allait quand même vérifier l’état du lieu et procédait à un certain nombre de mesures.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Anémone était le poste de commandement, le seul poste où il y avait des personnes lors du tir et d’où partirait l’ordre de mise à faux. On a vu que les gens qui étaient sur le site d’Anémone, ils avaient des denrées pour vivre pendant quelques jours en attendant la dissipation des tirs aériens. Le SMSR venait ensuite pour effectuer des relevés et dire s’il était possible de faire venir les équipes.
M. Bernard Pellmans. On revenait deux jours après le tir en général ; on était éloigné de 40 miles par rapport au point zéro.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Pouvez-vous nous parler de Fangataufa ? Par ailleurs, vous avez chacun fait état des rapports sociaux qui existaient entre diverses populations (personnel du CEA, personnels civils, militaires, étrangers, personnes venues de la métropole)… : les gens se voyaient–ils ? Quel était le niveau d’information de ces diverses populations sur les sites ?
M. Bernard Pellmans. Il faut, je pense, différencier entre personnels militaires et civils. Au sein de l’armée, il y avait les trois armes, le génie… Je laisse la Légion à part car elle bénéficiait d’un commandement particulier avec des règles spécifiques… On était parfois presque 2 000 ou 2 500 sur l’atoll mais, pour autant, on ne se mélangeait pas beaucoup. Le CEA formait des gens pour que tout soit bien réglementé et veillait ainsi au grain.
M. Daniel Pallacz. Le personnel civil local avait des logements spéciaux, un transport spécial, leurs propres véhicules.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Je m’interroge quand même sur le niveau d’information existant ; au moment des repas par exemple, des échanges étaient sans doute possibles sur, par exemple, les précautions à prendre…
M. Daniel Pallacz. Non, on n’en parlait pas beaucoup ; à cela, il faut ajouter qu’il était interdit de prendre des photos…
M. le président Didier Le Gac. Merci beaucoup Messieurs pour toutes ces informations extrêmement précieuses.
M. le président Didier Le Gac. Bonjour à tous. Mesdames, nous sommes très heureux de vous accueillir et de vous entendre dans le cadre de cette commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie entre 1966 et 1996.
Comme vous vous en doutez sûrement, un des sujets importants qui nous occupent concerne l’indemnisation des personnes ayant développé une maladie en lien, ou supposée l’être, avec l’exposition à des rayons ionisants venant de tirs nucléaires.
La procédure devant le Civen pose question, les difficultés d’analyse des critères retenus également mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la constitution par les malades de leur dossier devant le Civen. À cet égard, vous jouez un rôle fondamental. La mission « Aller vers », mise en place depuis le mois de janvier 2022, va au-devant des personnes, les aide et vous allez nous dire comment.
Car, en vous auditionnant, nous souhaitons savoir tout simplement comment vous faites. Comment vous contacte-t-on ? Quelles pièces cherchez-vous pour les malades ? Lorsque vous allez sur tel ou tel atoll, comment les gens savent que vous allez venir ? Autant de questions qui nous intéressent pour connaître un peu mieux le côté réellement concret de vos tâches.
Votre audition, qui prend place parmi toutes celles que nous allons effectuer ici, nous semblait indispensable et nous nous réjouissons donc de vous voir toutes les quatre. Je vous indique tout de suite que nous ne jugeons pas, nous ne sommes ni à charge, ni à décharge. Nous souhaitons seulement comprendre pour, éventuellement, modifier ce qui existe pour être plus efficace.
Avant que vous n’interveniez et que nous puissions tous échanger, je vais devoir, comme la réglementation m’y oblige, vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacune à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mmes Alexandra Chamoux, Gwendolyne Fouache, Heiava Lenoir et Maida Marmouyet prêtent chacune serment.
M. le président Didier Le Gac Je vous remercie Mesdames et je vous laisse donc la parole, en vous disant encore une fois combien nous sommes heureux de vous rencontrer ici.
Mme Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier, responsable de ma mission chargée du suivi des conséquences des essais nucléaires. Avant tout, il faut savoir qu’aux yeux des Polynésiens, nous sommes « la mission nucléaire ». En tout cas, nous allons nous efforcer de vous répondre le plus précisément possible.
Mme Gwendolyne Fouache, chargée de mission. Pour ma part, j’ai pris mon poste en septembre dernier et j’accompagne Alexandra Chamoux pour réaliser tous les engagements pris par le Président de la République, à commencer par le bon fonctionnement de la mission « Aller vers ».
Mme Alexandra Chamoux. Il faut savoir qu’il existe également un médecin-conseil au sein de la mission, qui nous aide pour la partie strictement médicale ; il est là trois demi-journées par semaine. En effet, sur le volet médical, nous ne sommes pas compétents pour récupérer des données qui relèvent du secret médical et, donc, les personnes qui s’adressent à nous signent tout d’abord une procuration permettant au médecin de faire toutes les demandes de dossiers et de données médicaux dont on aurait besoin auprès des cliniques, des hôpitaux, des dispensaires…
Mme Heiava Lenoir. Dans notre activité quotidienne, nous faisons véritablement du porte à porte. On assure également des permanences au sein des mairies ; concrètement, la commune informe la population de la commune de notre passage à venir et des personnes viennent nous rencontrer à la mairie ; si elles ne viennent pas, ce qui peut se comprendre puisque la peur ou la honte d’avoir développé une maladie existent, on va les voir directement chez elles. On explique par ailleurs dans les permanences des mairies ce que l’on fait exactement. Quand on rencontre les personnes, on leur demande de remplir deux procurations et de remplir également un dossier administratif ; on leur donne ensuite une copie de tous ces documents et nous gardons les originaux.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). La peur ou la honte que vous évoquez, ce sont celles du cancer ou des essais nucléaires ?
Mme Heiava Lenoir. Les deux mais surtout celle d’avoir soi-même développé un cancer.
Mme Alexandra Chamoux. Les premières années de son fonctionnement, le Civen demandait une attestation de résidence dans la commune pour les personnes ayant vécu en Polynésie entre 1966 et 1998 ; désormais, un témoignage écrit suffit.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Imaginons : j’ai travaillé sur un site, j’avais un contrat de travail et on ne retrouve pas mon dossier. Comment fait-on ? Les personnels chargés de remplir les dossiers à l’époque, étaient-ils au fait de l’orthographe des noms tahitiens et de l’écriture tahitienne ? Car une erreur typographique peut ensuite avoir pour conséquence qu’on ne retrouvera pas mon dossier…
M. le président Didier Le Gac. Il faut visiblement produire un relevé de carrière ; comment est-ce que ça se passe ?
Mme Maida Marmouyet. S’il n’y a pas de relevé de carrière, le dossier n’est pas considéré incomplet pour autant. Il faut toujours produire un document de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) mais il y a quand même un certain nombre de facilités. Si vous avez vécu à une seule adresse, un témoignage suffit ; si vous avez vécu à plusieurs adresses (en cas de déménagement…), deux témoignages sont suffisants. Par ailleurs, la CPS peut fournir une attestation de non-affiliation ; on effectue alors des recherches auprès du commandement suprême de Polynésie ou de tout autre organisme susceptible de nous aider.
M. le président Didier Le Gac. Puisque ce document ne semble pas nécessaire, il faudrait peut-être modifier la réglementation, non ?
Mme Alexandra Chamoux. C’est assez facile à obtenir quand c’est la personne elle-même affectée qui demande ce document. Si c’est une demande venant d’un ayant droit, c’est plus compliqué pour aller faire les recherches dans les archives.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Au sujet des maladies, avez-vous souvent des personnes qui font état de maladies hors décret ? Par ailleurs, certaines personnes sont décédées sans qu’on ait éventuellement pu mettre un nom sur la maladie dont elles étaient atteintes : que faire dans ce cas ? et que se passe-t-il si la maladie excipée n’est pas identifiée ?
Mme Heiava Lenoir. On a eu affaire à des personnes, qui étaient ayant droit, et qui ne pouvaient nous donner la maladie dont leur parent avait été victime. Dans ce cas, on recueille leur demande et on fait une enquête. A ce titre, on a de vrais difficultés avec les personnes qui ont été hospitalisées à l’hôpital Jean Prince entre 1966 et 1998 ; on n’a aucune trace. On demande alors au Civen de prendre la suite mais il a également souvent du mal à trouver les dossiers et les informations pertinentes (même s’il semble que les dossiers soient localisés à Limoges).
M. Yoann Gillet (RN). Les dossiers sont-ils envoyés même s’ils sont incomplets ?
Mme Maida Marmouyet. La plupart des dossiers rejetés portent sur la question du 1 millisievert (mSV) ; en tout cas, pour ce qui est des essais souterrains, ce n’est pas à nous de prendre la décision.
Mme Alexandra Chamoux. Il y a des différences dans nos chiffres sur tous les dossiers qu’on envoie. Ainsi, le Civen a reçu 816 dossiers cette année. On a envoyé 954 dossiers complets depuis 2022 : 408 demandes ont déjà été examinées par le Civen et 121 ont été acceptées (soit 29 %), 285 ont été rejetées (70 %) et 2 demandes ont également été ajournées. Quant aux dossiers hors décret, on est à 40 % de demandes acceptées.
Mme Maida Marmouyet. Quant à la recherche d’éléments, il arrive également que le Civen demande le dossier de suivi militaire au cas où.
Mme Alexandra Chamoux. Lorsque le Civen accepte ou rejette une demande, il y a ensuite une expertise médicale qui est diligentée puisque c’est sur la base de cette expertise que l’indemnisation va être effectuée. Le médecin expert est mandaté par le Civen ; c’est notamment lui qui envoie la convocation.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Dans ce cadre, quel est le rôle du médecin-conseil ?
Mme Alexandra Chamoux. Le médecin-conseil ne voit jamais les personnes. Il établit le certificat médical (qui fait partie des pièces obligatoires dans le dossier) attestant ou n’attestant pas de la maladie.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Il y a donc quatre médecins experts ; comment ça se passe dans les faits ? Les personnes vont voir les médecins pour évaluer leurs préjudices ?
Mme Heiava Lenoir. Avant toute convocation, chaque usager reçoit un courrier détaillant le déroulement de l’expertise qui va s’en suivre.
Mme Maida Marmouyet. Si la demande émane d’un ayant droit, le médecin expert reçoit l’ayant droit ; ensuite, le Civen va demander des preuves et des éléments de travaux, congés sans solde etc.… pour estimer montant qui pourra être versé à l’issue de la procédure.
M. le président Didier Le Gac. Le dossier administratif que vous nous montrez me semble d’une extrême complexité. C’est sans doute quelque chose qu’il faudra revoir. Je vous remercie en tout cas pour cet échange très intéressant.
M. le président Didier Le Gac. Bonjour Messieurs, nous sommes très heureux d’accueillir, pour cette deuxième audition de la journée, deux personnes que je vais tout de suite présenter.
Frère Maxime Chan, vous avez membre fondateur de l’Association 193, dont vous avez été le président du bureau du conseil d’administration jusqu’à ce que vous succède le Père Auguste Uebe Carlson, que nous avons d’ailleurs auditionné il y a quelques semaines. Aujourd’hui, vous êtes vice-président et trésorier de la FAPE (fédération des associations de protection de l'environnement en Polynésie française, qui regroupe une soixantaine d’associations de protection de l’environnement). Yves Conroy, vous avez commencé à travailler à l’Office des Postes et Télécommunications en 1966 comme agent, avant de devenir technicien puis de passer un concours pour devenir le premier inspecteur des télécoms polynésien. En 1979, vous vous êtes lancé dans le secteur privé dans les secteurs des télécoms et des énergies renouvelables, hydroélectriques et solaires. Mais si nous vous avons invité aujourd’hui, c’est surtout en raison de votre engagement contre le nucléaire. Vous avez à ce titre remporté une grande victoire en ayant obtenu une indemnisation de la part du Civen après le décès de votre épouse décédée d’un cancer du sein en 2004 dont le dossier a été reconnu alors même qu’elle n’avait jamais vécu ni à Moruroa, ni à Fangataufa. Votre épouse n’ayant vécu que dans l’archipel de la Société, le cas de votre femme illustre bien selon vous le fait que c’est toute la Polynésie qui a été touchée par les essais nucléaires et pas seulement les deux atolls de Moruroa et Fangataufa.
Nous souhaitons donc vous entendre tous les deux notamment sur le contenu de la loi Morin, sur ses modalités d’application, sur les modifications qui devraient selon vous y être apportées.
Mais, avant que vous n’interveniez et que vous puissiez échanger avec nous et notamment avec notre rapporteure Mereana Reid Arbelot, je vais devoir, comme la réglementation m’y oblige, vous demander de prêter serment, toutes les personnes auditionnées par une commission d’enquête parlementaire devant le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Frère Maxime Chan et Yves Conroy prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je vous laisse donc la parole.
Frère Maxime Chan. Je suis né en 1940, quelques mois après l’arrivée de mes parents en Polynésie, qui fuyaient guerre que menaient les Japonais en Chine. Je suis chinois d’origine ; ma mère était mi-jamaïcaine, mi-chinoise ; je suis donc un émigré. À l’école, j’ai appris qui était le général de Gaulle quand, en 1956, il est venu ici, je l’ai vu sur le quai. Je l’admirais alors. Lorsque les essais ont commencé, j’étais en formation en métropole ; je me suis engagé chez les Frères en 1963-65, et j’ai alors vu l’installation du CEP se faire ; et comme toute personne normale, on se fiait alors à ce qui se disait. Le CEP était alors présenté sous un très bon jour, comme un moyen d’aider les écoles, de construire Papeete… J’ai fait mes études à Angers en 1965-68 ; c’est à ce moment-là que le général de Gaulle a dit que la Polynésie française avait « accepté » la contrainte nucléaire. Il faut se souvenir que les gens étaient alors acquis à la politique menée par l’État afin de se moderniser, d’avancer et de satisfaire tout un tas d’intérêts, notamment matériels. En tant que jeune professeur de mathématiques et de sciences naturelles, je suis donc revenu ici après les événements de mai 68. Je suis reparti en 1971 pour tenter le Capes et je suis revenu en 1974 au moment du tir Centaure ; je suis un témoin passif, sensible au discours officiel jusqu’à mon engagement pour l’environnement en 1989 avec la fédération des associations de protection de l’environnement en Polynésie française (FAPE), qui regroupe une soixantaine d’associations de protection de l’environnement. En 1969, on ne parlait pas des essais, et ce jusqu’en 1995, y compris au sein des associations de protection de l’environnement. Ce qu’il faut avoir à l’esprit également, c’est que le fait nucléaire est intimement lié au fait colonial : c’est parce qu’on était une colonie que les essais ont pu se passer ici ! D’ailleurs, chaque fois qu’on soulevait un problème concernant les essais, on était accusé d’indépendantisme et ça a réfréné pas mal de personnes qui voulaient dire quelque chose sur les essais et qui ne l’ont pas fait pour ne pas être accusés de la sorte. De plus, les essais ont amené avec eux de l’argent, suite à la consigne du général de Gaulle de doter la France d’une force de dissuasion crédible aux yeux du monde. Ça a donc eu tout un tas de conséquences sur le comportement sociologique, politique, dans les familles… Bref, il a fallu attendre la fin des essais pour que la parole se libère et qu’on puisse enfin parler des conséquences sanitaires des essais. La prise de conscience a été extraordinaire et est maintenant irréversible ; les anciens travailleurs de Moruroa avaient la consigne de ne pas parler à l’époque mais, aujourd’hui, ce sont ceux qui interviennent le plus spontanément. Quant à l’environnement, il faut arrêter de parler de « remise en état » car les dégâts sont irréversibles ; il faut avoir un langage de vérité et admettre qu’on ne peut pas tout réparer.
M. Yves Conroy. Pour ma part, j’étais embauché à La Poste, plutôt bien payé, tout allait bien ; en 1993, je suis allé chez mon ophtalmologiste car j’avais de gros problèmes aux yeux. Le scanner que j’ai alors passé a montré que j’avais une grosse tumeur dans la tête sur hypophyse, qui touchait nerf optique. Je suis allé me faire soigner à l’hôpital Cochin puis j’ai subi une opération à l’hôpital de Fresnes. C’est là qu’on m’a dit que mes ennuis étaient dus aux essais nucléaires polynésiens. En 1997, ma femme a développé un cancer ; on l’a envoyé à Gustave Roussy et elle est décédée le 13 décembre 2004. On s’est aperçu qu’elle avait un myélome et on m’a incité à déposer plainte, ce que j’ai fait ; j’ai gagné mon procès. En 2010, c’est la loi Morin ; le myélome fait partie de la liste des maladies radio-induites et je me suis alors souvenu de ce qu’on m’avait dit quand j’avais eu mon problème à l’œil. Je suis alors allé voir le Père Auguste pour lui parler du cas de mon épouse qui n’avait pourtant pas été à Moruroa ; je vous le dis franchement, pour moi, la loi Morin, c’est pour se foutre de la tête du monde ! Ce sont toutes des maladies dues au nucléaire ; cette loi n’a aucune utilité, il faut la supprimer et, plutôt, prélever un petit pourcentage sur l’énergie nucléaire vendue et l’affecter à la Polynésie française. J’ai déposé mon dossier auprès du Civen, qui a bizarrement reconnu que ma femme avait été exposée à une dose de 5 mSv mais moi, je suis atteint d’une maladie qui n’est pas sur la liste ; le cancer de la prostate s’est pourtant fortement développé ici, en Polynésie française, mais il ne figure toujours pas sur la liste française.
M. le président Didier Le Gac. Qu’est-ce qui vous amène à dire que tout le monde est malade ?
M. Yves Conroy. Vous savez que toute la Polynésie française a été irradiée ; il y a une sédimentation d’irradiations au fil des essais et nous transmettons ça à nos enfants par la suite etc. Ça n’en finit plus !
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Est-ce que tu as vécu en dehors de Tahiti ? Tu n’as jamais été aux Tuamotu ou Gambiers ? Maxime, tu es rentré en 1974 ; te souviens-tu des informations fournies à l’époque sur le tir Centaure, éventuellement avant ou après ?
Frère Maxime Chan. C’est bien simple, on ne nous a rien dit !
M. Yves Conroy. Je me souviens que, pendant une semaine, on nous a interdit de boire du lait de coco mais c’est tout.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Tu as dit que l’argent avait notamment eu pour effet de ne pas inciter les gens à parler ; dès 1995, vous avez travaillé sur le sujet des essais ou était-ce déjà avant ?
Frère Maxime Chan. C’est la reprise des essais nucléaires à l’été 1995 qui nous a poussés à travailler sur le sujet à la suite de la protestation de Barrillot… Ça nous a fait réfléchir. C’est là qu’on s’est rendu compte que, pour rendre ses décisions, le Civen s’appuyait sur des relevés mais qui ne concernaient uniquement qu’un endroit ; il exclut donc tous les territoires où n’y a pas eu de relevé.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Ne peut-on pas dire plutôt qu’ils extrapolent ?
Frère Maxime Chan. Oui mais dans le sens négatif alors.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Notre commission d’enquête traite de l’ensemble des conséquences des essais ; on nous a beaucoup dit que la communauté protestante avait mobilisé très tôt sur les essais et que, au contraire, les catholiques avaient plutôt appuyé le CEP. Admets-tu aujourd’hui l’idée que la communauté catholique a joué un rôle de relais des arguments du CEP pour rassurer la population ?
Frère Maxime Chan. Oui, en gros, c’est vrai. Le responsable de l’Église catholique d’alors était Monseigneur Coppenrath (un ancien résistant) ; il avait des relations avec l’état-major des armées mais était profondément contre les essais. Il comprenait les consignes données mais il n’était pas pour autant un facilitateur sur ce sujet.
M. le président Didier Le Gac. Concernant l’environnement, vous avez parlé de dégâts irréversibles ; on a pourtant auditionné des scientifiques, qui nous ont dit que la nature reprenait ses droits, notamment la faune et la flore et que les dommages réels causés par les essais disparaissaient au bout de quelques années. Qu’en pensez-vous ?
Frère Maxime Chan. Ce qu’ils disent n’est pas faux, la nature a effectivement repris ses droits mais pour autant, là où il y a du plutonium, on n’arrive pas à l’enlever : ça, c’est irréversible ! Par ailleurs, tout ce que contiennent les puits de forage est actuellement confiné mais il y a quand même des scénarios qui disent que certains éléments peuvent sortir ; si jamais il y a un éboulement de grande ampleur, les éléments les plus nocifs (césium et plutonium) peuvent éventuellement ressortir.
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous des missions Turbo ?
Frère Maxime Chan. Ce sont des missions utiles, rassurantes mais tout va bien là où l’on fait des prélèvements ! Bruno Barrillot avait déjà posé en son temps une question à Julien de La Gravère pour lui demander « et si on prélève à cet endroit-là, notamment au nord-est de Moruroa ? » Il lui avait répondu qu’il y avait là du plutonium et qu’on allait mettre les travailleurs en danger si on les y envoyait.
M. Yves Conroy. En fait, le docteur Baert veut saquer Barrillot, le père Auguste et les autres !
Frère Maxime Chan. Une des conséquences des essais a également été l’explosion des Rae Rae ici car les essais nucléaires ont entraîné une modification des cellules sexuelles des habitants ; ce n’est pas culturel ! On a également pas mal de personnes handicapées, ce qui pose d’autres problèmes de santé publique en Polynésie.
M. Yoann Gillet (RN). Quels éléments scientifiques vous permettent d’affirmer cela ? Est-ce qu’avec la tolérance croissante de la société, les gens ne vivent pas plus facilement leur sexualité ?
Frère Maxime Chan. Oui mais il y a vraiment eu une explosion qui a été très visible, et qui a posé des problèmes dans plusieurs familles qui ont vu leurs garçons devenir très efféminés.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). On nous a dit que les Polynésiens éprouvaient une grande pudeur à parler de leur maladie ; est-ce la même chose concernant le handicap, la stérilité, les fausses couches ou les enfants mort-nés ?
Frère Maxime Chan. Le père Auguste a vu sur plusieurs livres de la paroisse que les fausses couches s’étaient multipliées après les premiers essais. De fait, une grosse question se pose : était-ce normal que, avant le début des essais et alors même qu’on savait qu’il y aurait des conséquences sanitaires, qu’il n’y ait pas eu d’étude épidémiologique dans le cadre d’une sorte de point zéro ? C’est une grosse faute que de ne pas l’avoir fait !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. On n’a malheureusement pas d’élément sur ce sujet.
Frère Maxime Chan. Il faut par ailleurs faire attention quand on parle d’« explosion des cancers « car le nombre de cancers radio-induits a certes augmenté ; mais quand on parle de 800 nouveaux cas, c’est tous les cancers qui sont concernés.
M. Yves Conroy. Les seuls éléments que l’on a, ce sont ceux des hôpitaux.
M. Yoann Gillet (RN). Il semblerait que l’augmentation du nombre de cancers soit à peu près la même qu’en métropole ; la difficulté, c’est qu’on n’a pas d’étude spécifique sur un territoire.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour cet entretien.
M. le président Didier Le Gac. Monsieur le Président, nous sommes très heureux de vous entendre ici, dans le cadre des auditions auxquelles procède la commission d’enquête parlementaire sur les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie française entre 1966 et 1996.
Je ne vais pas retracer votre parcours dont tout le monde connaît la longévité et la richesse ; je rappellerai seulement que vous avez été président de la Polynésie française à pas moins de cinq reprises (2004, 2005-2006, 2007-2008, 2009, 2011-2013) et que vous avez été par ailleurs deux fois président de l’Assemblée entre 2008 et 2011.
Je vous rappelle que cette commission d’enquête, devant laquelle vous allez intervenir aujourd’hui, a été créée au mois de décembre dernier ; elle fait suite à une première commission d’enquête qui avait été créée en avril 2024 mais dont les travaux ont été ajournés à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR (Gauche Démocrate et Républicaine) qui avait initié la première commission a décidé d’user de son droit pour créer une nouvelle commission sur le même sujet que sont les conséquences des essais nucléaires effectués en Polynésie française entre 1966 et 1996. Cette nouvelle commission a entamé ses travaux au mois de janvier et doit rendre son rapport au plus tard le 16 juin prochain. Nous avons dès à présent effectué près de 30 auditions, ce qui nous a permis de rencontrer et d’entendre plus de 80 personnes différentes : des historiens, des associations, des institutionnelles, des scientifiques, des vétérans.
Nous avons un programme très complet préparé par Madame la rapporteure ici présente pour cette semaine que nous passons en Polynésie. Avant-hier, nous avons effectué un déplacement à Moruroa et Hao, où nous avons d’ailleurs organisé une réunion publique. Lundi dernier, nous avons rencontré le Haut-Commissaire Spitz, le contre-amiral Pinget et plusieurs représentants éminent de l’Assemblée de Polynésie française. Une fois rentrés à Paris, nous aurons encore plusieurs auditions à effectuer dont plusieurs actuels ou anciens ministres (M. Neuder, ministre de la santé, M. Valls, ministre des outre-mer, M. Morin, ancien ministre de la défense et auteur de la loi qui porte son nom de janvier 2010…).
Votre audition aujourd’hui est intéressante car vous êtes un adversaire résolu de l’arme nucléaire.
Je rappellerai qu’en tant qu’ancien officier des douanes, il vous est parfois arrivé de contrôler des avions et des bateaux sur l’atoll de Moruroa au début des essais, entre 1964 à 1975 : vous avez donc connu les essais atmosphériques au premier plan ! Bien plus tard, c’est sous votre présidence à l’Assemblée de Polynésie française qu’a été créée au mois de juillet 2005 une commission d’enquête sur la période des essais aériens. Enfin, je rappellerai que vous êtes à l’origine d’un dépôt de plainte, le 2 octobre 2018, devant la Cour pénale internationale accusant la France de crimes contre l'humanité en raison des essais nucléaires expérimentés en Polynésie française trois décennies durant.
Autant de sujets sur lesquels nous souhaitons évidemment vous entendre.
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vais vous inviter à prêter serment, comme toute personne auditionnée par une commission d’enquête parlementaire doit le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Oscar Temaru prête serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie Monsieur le Président et je vous laisse donc la parole pour un propos liminaire si vous le souhaitez ; ensuite, Madame la rapporteure et les deux autres députés membres de la délégation qui sont présents interviendront pour échanger avec vous.
M. Oscar Temaru, ancien Président de la Polynésie française. Je vous remercie d’être tous venus jusqu’ici. Vous savez, initialement, je ne voulais pas vous rencontrer car, intervenir sur ce sujet des essais nucléaires, je le fais depuis plus de cinquante ans ; mais votre rapporteure m’a convaincu donc j’ai finalement accepté de vous rencontrer.
Sachez que je suis né indépendantiste ; je vous rappelle que mon père était un des bras droits de Pouvana’a a Oopa, un des premiers à avoir manifesté contre les essais nucléaires.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Monsieur le Président, on a vu beaucoup de monde depuis notre arrivée en Polynésie. Je crois qu’on a maintenant assez bien établi les réserves et les difficultés qui existent pour aller vers une indemnisation individuelle ; les propositions que l’on peut faire ne vont sans doute pas répondre totalement aux problèmes. Mais ce qui me préoccupe, c’est la façon de réparer ce qui est en partie irréparable (le plutonium laissé au fond du lagon à Moruroa par exemple). Comment, d’après vous, l’État peut-il envoyer les bons signaux en Polynésie française ? Quels sont d’après vous les gestes à accomplir ?
M. Oscar Temaru. Lorsqu’il est venu me prévenir que l’État avait monté un complot pour me mettre en prison en France, quelqu’un m’a dit : « La France n’a pas le droit de faire ça dans un si beau pays ». Le terme de « crime contre l’humanité » que j’ai utilisé pour traduire la France devant la Cour pénale internationale me semble assez juste. Lorsque je suis revenu de Moruroa en 1976, j’ai rencontré Monseigneur Coppenrath et lui ai dit ce que j’avais vu dans le lagon : une cocoteraie changeant de couleur, une interdiction de boire de l’eau de coco et de pêcher dans le lagon… Il m’a alors dit que l’amiral et les marins qui étaient présents étaient catholiques, comme lui et moi, et qu’il ne me croirait donc que lorsque je lui amènerai quelqu’un dans un cercueil. J’ai également vu Monseigneur Gaillot qui m’a dit que, de toute façon, les Français de savaient pas ce qui se passait ici… Je vais vous raconter autre chose. Le père de la bombe française, Ghislain Houzel, m’a appelé ; il s’est présenté à moi et m’a dit qu’il souhaitait me rencontrer pour demander pardon au nom de la France. Ça m’a fortement soulagé également car j’étais alors seul contre tous dans ce combat, sans expérience, ni formation scientifique. Je pensais que mon ami François Hollande allait dire la même chose quand il était Président de la République mais il a seulement dit que Moruroa était la France et que nous avions donc effectué nos essais chez nous.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie pour ces propos. Un des sujets récurrents concernant les essais, c’est celui de la réparation ; il y a d’un côté l’indemnisation individuelle, due aux victimes des essais, mais il y a aussi une réparation collective. Comment doit-on procéder d’après vous ?
M. Oscar Temaru. C’est la question que j’ai récemment posée lors d’un colloque sur la santé car les essais ont effectivement suscité un fort traumatisme. Il faut savoir que des familles se sont divisées sur ce sujet, qu’il y a eu des traumatismes de toutes sortes, que les essais ont créé des problèmes psychologiques, ont eu des conséquences sur la santé… Jusqu’en 1966, les gens vivaient ici à un certain rythme ; l’arrivée du CEP a tout bouleversé du jour au lendemain, entraînant de multiples changements dans la vie quotidienne (dans l’alimentation, dans la façon de se nourrir, dans les produits de consommation de toutes sortes…). Depuis cette époque, on a beaucoup importé notre alimentation, et ça perdure jusqu’à aujourd’hui. Il faut aujourd’hui se retrousser les manches pour cultiver ici, produire ici et ne plus dépendre de l’extérieur.
M. le président Didier Le Gac. Le père de la bombe vous a donc demandé pardon. Aimeriez-vous la même chose de la part de la France ?
M. Oscar Temaru. Comme je vous l’ai dit, j’aurais aimé que François Hollande fasse de même mais ça n’a pas été le cas. Je suis effectivement pour un pardon mais j’insiste sur un point : ce n’est pas une question d’argent, c’est avant tout une question de dignité alors qu’à cette époque, on nous a pris pour de véritables cobayes.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Ce message de pardon, ce serait donc un premier pas de la part du Président de la République pour apaiser tout cela, car évidemment, il y a des choses qu’on ne pourra pas changer ?
M. Oscar Temaru. Le message de Ghislain Houzel était sincère. Si pardon il doit y avoir, ça doit être de la même teneur ; je ne veux pas que ça se fasse simplement pour la forme.
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Ce matin, lorsque nous sommes allés à la rencontre de classes de terminale dans un lycée d’Arue, une jeune fille nous a dit en gros qu’elle était choquée qu’on n’apprenne rien en France métropolitaine sur les essais effectués en Polynésie alors que cette histoire était également la nôtre et, pourtant, on n’apprenait pas la même histoire. J’irai même plus loin ! En France métropolitaine, et pas seulement chez nos élèves, une grande majorité de la population n’a absolument pas conscience de ce qui s’est passé ici ; à cet égard, je compte beaucoup sur le rapport de Mereana Reid-Arbelot pour ouvrir les yeux !
M. Oscar Temaru. Oui mais ici, les gens disent : « une commission d’enquête, c’est bien, pourquoi pas… mais après ? ». Et effectivement, c’est l’après qui importe.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Cette quête de vérité existe partout ; une autre lycéenne demandait ce matin : « Pourquoi tant d’années de silence ? ». Les archives commencent heureusement à s’ouvrir de plus en plus largement et c’est là un axe de préconisations que je souhaite approfondir et donner au rapport…
M. Oscar Temaru. Il faut se souvenir que la politique nucléaire de la France a été soutenue par le personnel politique de l’époque. Ça fait trente ans que l’on ment ! En échange du nucléaire, Gaston Flosse a demandé de l’argent pour compenser les dommages existants et, accessoirement, ça lui a permis de mieux museler les oppositions contre les essais.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Oui, car à l’époque, être pour la bombe, c’était être pour le maintien de la Polynésie dans la France ; être contre la bombe, c’était au contraire être indépendantiste.
M. Oscar Temaru. Non, pas tout à fait : c’est un peu plus compliqué. La France nous a retiré en 1946 de la liste des pays colonisés, comme la Nouvelle-Calédonie d’ailleurs ; parmi les peuples polynésiens, il y a aussi le peuple mahori…
Mme Dominique Voynet (EcoloS). Que savaient les gens, à l’époque, de l’utilité des essais ? La question de la dissuasion a-t-elle été débattue ? Est-ce que c’était d’emblée un sujet présent dans le cadre de votre mobilisation ?
M. Oscar Temaru. C’était plutôt le couple Bengt et Marie-Thérèse Daniellson qui a fait un travail fantastique et qui a initié ce mouvement. Ensuite, plusieurs pays se sont réunis au sein du forum ; on a alors rencontré des représentants de diverses nations et également d’anciennes victimes japonaises. Le constat était unanime face aux dépenses concernant la bombe : on a dépensé des milliards pour quelque chose qu’on n’utilisera jamais.
M. Yoann Gillet (RN). En 1996, vous militez pour l’indépendance de la Polynésie à moyen terme ; y a-t-il un lien avec la reprise des essais en 1995 ou est-ce que ça n’a rien à voir ?
M. Oscar Temaru. Les médias ont écrit beaucoup de choses sur ce mouvement. Comme les Kanaks, nous avons été colonisés ; on a accepté d’être les victimes de l’Histoire ; tous les chefs d’État ont rencontré François Mitterrand sur ce sujet mais l’idée derrière tout cela était que le problème a été l’arrivée des Français après. Ce n’est pas une revendication des partis politiques mais tout un peuple qui le réclame ! On n’a jamais soutenu le statut de 1977. Être un État souverain, c’est avoir siège à l’ONU : où est la France ? La France est là.
M. le président Didier Le Gac. Quel regard portez-vous sur la dette que la France a à l’égard de la CPS puisque c’est cette dernière qui finance les dépenses de santé en Polynésie, à la suite du transfert de la compétence santé au bénéfice de la Polynésie en 1977 ?
M. Oscar Temaru. Pour moi, c’est très clair : c’est à l’État de prendre en charge ces dépenses, pas à nous. Quand il y a eu le covid, Édouard Fritch est parti en France pour discuter des modalités de prise en charge et, à la fin, on a dû assumer une dette de 5 Mds de francs pacifique. Pourtant l’État est responsable de tout ça !
Mme Dominique Voynet (EcoloS). La mobilisation de la Polynésie française contre les essais est-elle toujours un ciment ? Tu fais partie de la Commission pour le futur Centre de la mémoire ; le Centre a l’air prometteur et ce matin, les jeunes filles qu’on a rencontrées nous disaient que l’on ne parlait pas trop des essais dans les familles ; l’une d’entre elles en avait entendu parler via un morceau de rap, l’autre grâce à son professeur d’art plastique. Le Centre de mémoire doit-il être un centre d’accumulation de connaissances ou un centre vivant ?
M. Oscar Temaru. Il y en a qui veulent tout oublier mais ce serait malhonnête ; d’autres pensent que les conséquences de la radioactivité durent des centaines d’années et qu’il ne faut donc pas oublier. Tout le monde est conscient de cette Histoire spécifique mais c’était l’omerta ; jusqu’à il y a peu finalement, la presse était muselée et personne ne parlait. Par ailleurs, puisque la question m’a été posée, je suis favorable à la restitution des atolls à la Polynésie.
M. le président Didier Le Gac. Mais dans ce cas, il faudrait une remise en état ?
M. Oscar Temaru. Oui… Si les Français voyaient ! Des cargaisons entières de ciment et de bien d’autres choses ont été laissées dans le lagon à la suite de diverses tempêtes…
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête: Comment les Polynésiens pourraient ressentir la sincérité du pardon qui pourrait être fait ?
M. Oscar Temaru. Je pense qu’on le saura. Ce n’est pas uniquement au niveau de la France ; c’est planétaire.
J’ai rencontré Xi Jinping, alors vice-président de la République populaire de Chine, qui m’a dit vouloir mettre en place des exploitations d’aquaculture en Polynésie ; tout le monde est venu avec des avocats, une société d’exportation avait été choisie ainsi qu’une société de commercialisation. Que n’a-t-on pas entendu à l’époque ? Je me suis dit que c’était un homme de paix, la Chine ne voulant pas de la guerre mais sortir les gens de la pauvreté.
Aujourd’hui, l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour ; on a un statut spécifique d’autonomie depuis 1977 ; voici les limites. Que peut-on faire ? On ne sait pas vraiment. Ce serait le bon moment pour la France de participer à une possible évolution car il faut regarder l’avenir, pas le passé ; mais, pourtant, on ne nous a jamais rien demandé.
M. Yoann Gillet (RN). Si vous aviez un seul vœu pour la Polynésie hors l’indépendance, quel serait-il ?
M. Oscar Temaru. C’est simple : « Pacific People Passport », c’est-à-dire un apaisement des esprits partout.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie beaucoup Monsieur le Président pour cet entretien.
M. le président Didier Le Gac. Maîtres, je vous remercie d’avoir bien voulu, tous les deux, venir devant cette commission d’enquête relative aux conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.
Vous le savez, mais la procédure devant le Civen (Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires) suscite interrogations et incompréhensions, voire frustrations. Cette autorité administrative indépendante examine les dossiers présentés par des personnes qui sont affectées par une maladie, généralement un cancer, qu’ils estiment radio-induite du fait d’une exposition à des rayons ionisants, notamment lorsqu’ils ont travaillé sur les sites d’essais nucléaires comme ce fut le cas à Moruroa ou Fangataufa, et qui souhaitent être à ce titre indemnisées.
La procédure est souvent complexe et longue, parfois source de découragement (certaines victimes renoncent à s’y engager) mais aussi méconnue. L’ancienneté des faits, la difficulté à réunir certaines pièces attestant de la présence au moment d’un essai, le fait d’être affecté par une maladie ne figurant pas sur la liste établie par le décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, sont autant de difficultés pour les demandeurs potentiels.
Nous aimerions donc connaître votre point de vue sur cette procédure et sur les améliorations qui pourraient y être apportées ; à n’en pas douter, ce sera un axe fort du rapport de la commission.
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vais vous inviter à prêter serment, comme toute personne auditionnée par une commission d’enquête parlementaire doit le faire.
Je vous remercie donc de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Sophie Guessan et M. Philippe Neuffer prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je vous laisse donc la parole pour un propos liminaire si vous le souhaitez ; ensuite, Madame la rapporteure et les deux autres députés membres de la délégation qui sont présents interviendront pour échanger avec vous.
Me Philippe Neuffer. Je préciserai seulement de manière liminaire que je défends gratuitement des victimes des essais nucléaires depuis 2008.
Me Sophie Guessan. En ce qui me concerne, je suis avocate collaboratrice au sein d’un cabinet d’avocats ; j’exerce depuis un an et demi et je suis très vite entrée dans cette réglementation et dans cet objet qu’est le Civen, le sujet m’ayant vite passionné tant sur le plan juridique que scientifique. On travaille avec une association à Vahiné pour contester une décision de rejet du Civen ; c’est l’activité principale de notre cabinet sur le plan nucléaire.
Me Philippe Neuffer. Avec Jean Paul Teissonière, nous avons été les premiers à traiter ce contentieux qui était initialement un contentieux de la sécurité sociale, des maladies professionnelles. On a commencé en 2007 ; on travaille régulièrement avec l’association Moruroa e Tatou, avec des associations de vétérans, d’anciens travailleurs ce qui nous conduit à avoir un taux de satisfaction de 95 %, les 5 % restant correspondant à d’anciens plaignants qui ne souhaitent pas poursuivre dans la procédure.
C’est un contentieux inspiré du contentieux de l’amiante mais la grande différence, c’est que ce régime d’indemnisation ne reconnaît pas le régime propre des ayants droits, notamment le préjudice économique et moral qui peut en ressortir (je pense par exemple aux femmes ayant dû occuper deux emplois pour compenser la perte d’un époux ou d’un compagnon, ou au traumatisme subi par des enfants qui n’ont pas connu leur père). La plupart de mes clients sont des hommes ; il y a aussi des contentieux subséquents qui se passent devant notaire. Une fois que notre client est indemnisé, la répartition du montant de l’indemnisation se fait devant notaire ; pour moi, ce qui a été fait pour l’amiante pourrait être transposé pour le nucléaire.
M. le président Didier Le Gac. On a entendu qu’on ne se mariait pas beaucoup en Polynésie ; est-ce une conséquence de ce changement de société ?
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. C’est vrai mais on a beaucoup d’enfants…
Me Philippe Neuffer. Sur ces questions d’indemnisation, il faut inscrire les choses dans la loi ; tous les ayants droit doivent pouvoir être indemnisés à partir du moment où ils ont tissé des liens suffisants avec les victimes premières en quelque sorte.
Me Sophie Guessan. Sur le terrain de la responsabilité de droit commun, les proches des ayants droit peuvent demander réparation s’ils justifient d’une communauté de vie par exemple. On n’a pas de relation établie au plan civil donc il ne faut pas exclure les proches qui n’auraient pas de lien de parenté au sens du droit civil.
M. le président Didier Le Gac. Quelles difficultés rencontrez-vous dans l’application de la loi Morin ?
Me Philippe Neuffer. Ce qui me gêne, c’est cet équilibre que le Civen cherche à établir constamment entre gestion des fonds publics et indemnisation ; si l’on dit qu’on indemnise et qu’on met, dans le même temps, des obstacles de temps (prescriptions…), en termes d’exposition (le seuil du 1 mSv…). Comment fait-on ? Comment peut-on ensuite renverser la preuve d’une exposition inférieure à 1 mSv alors qu’on n’a pas les moyens de constater l’état des nucléides passées ? Bref, c’est une preuve impossible à rapporter alors qu’il faudrait un système simple et automatique.
M. le président Didier Le Gac. Mais il faut quand même mettre des critères, non ?
Me Sophie Guessan. Aujourd’hui, sur le plan contentieux, on est dans un débat stérile. On n’a aucun moyen de contester efficacement les positions du Civen ; la loi Morin est généreuse à travers ses trois critères. Sauf que cette présomption de causalité entre exposition aux rayons et maladie radio-induite est très facilement renversable pour le Civen. Dans ses argumentations, il nous produit le rapport du CEA de 2006 ou celui de l’IRSN de 2019 : le premier rapport nous montre un tableau illisible comportant des doses efficaces d’inhalation, des doses externes, des doses d’irradiation qu’on a du mal à lire ! On se retrouve à faire des calculs pour calculer nous-même la dose supposée à laquelle une personne aurait pu être exposée, sauf qu’il n’y avait pas de poste de surveillance à l’époque. Le CEA a par ailleurs créé un tableau dans lequel il regroupe des données en fonction des archipels de la Polynésie française : pourquoi oppose-t-on une moyenne lissée sur toutes les îles ? Ça n’a scientifiquement et juridiquement aucun sens ! Renverser une présomption juridique, c’est possible si vous la renversez par une autre présomption mais c’est donc invérifiable. Comme vous le savez sans doute, il est très fréquent ici d’aller passer un week-end à la presqu’ile de l’île sur laquelle vous habitez et donc, retenir comme critère le lieu de résidence n’a en lui-même pas grand sens. Je pense qu’il existe des données qui ont été faites sur des postes de télémesure installés sur certaines iles : il faut y recourir pour d’abord opposer les mesures observées sur ces iles à la situation du demandeur, et non pas recourir à une simple moyenne.
Si je regarde le nombre de cancers du sein en Polynésie, je constate que le Civen est plus souple sur l’appréciation du caractère radio-induit de la pathologie ; j’ai eu plusieurs acceptations en ce sens, y compris quand les données du CEA étaient inférieures à 1 msv. Si je regarde maintenant l’âge de la personne malade, notamment lors du tir Centaure, si celle-ci était alors âgée entre 5 et 15 ans au moment du tir (j’ai actuellement un dossier d’une cliente née en 1969, qui a vécu à Tahiti de 1970 à 1980), eh bien le Civen estime qu’elle a reçu une dose inférieure à 1 mSv mais il accorde tout de même une indemnisation parce qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Enfin, si je prends en considération le lieu de résidence de la personne, le Civen indemnise parfois, parfois non… C’est difficilement lisible comme vous le voyez ! Il faudrait que le Civen publie ses décisions, anonymisées évidemment mais ça doit être publié comme pour toute autre autorité administrative indépendante en application de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) ! Par ailleurs, lorsqu’on demande au Civen sur quoi il se base pour rendre ses décisions, il nous oppose toujours le même tableau et prend des décisions dont on a du mal à suivre la logique.
Me Philippe Neuffer. Je me souviens d’un dossier disant que la présomption n’existait pas puisqu’elle pouvait être renversée mais que ce renversement ne pouvait pas davantage être contesté ; il y a là un double discours très difficile à expliquer.
Mme Dominique Voynet (EcoS). C’est compliqué mas ça doit l’être encore davantage pour les cancers de petites cellules ou pour certaines pathologies qui peuvent éventuellement survenir plus tôt que dans le cas général ; le Civen prend il en compte ce genre de choses ou pas ?
Me Philippe Neuffer. À mon sens, le Civen ne fait aucune distinction en Polynésie française.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Par ailleurs, quand on parle des six essais les plus sales, il ne faut pas oublier qu’il y en a eu quarante autres !
Me Sophie Guessan. La jurisprudence du tribunal administratif dit qu’on doit opposer les données les plus comparables à la situation du demandeur mais comme il n’y en a pas, on oppose des données seulement collectives ; il existe par ailleurs situation où il n’existe pas de données, ce qui complique encore davantage les choses.
Me Philippe Neuffer. Généralement, on a l’avis de deux médecins qui sont présents ensemble et qui évaluent à deux ; cette expertise est un obstacle supplémentaire à l’indemnisation. En effet, si la personne ne se présente pas, ou même si solidarité joue, on a un problème évident alors que c’est une épreuve dont on pourrait se passer. Il faut également tenir compte du principe de la réparation intégrale du préjudice que le Civen oublie parfois.
Me Sophie Guessan. J’ajoute que le côté transgénérationnel n’est pas pris en compte par le Civen. J’ai par exemple actuellement deux dossiers différents mais la question peut éventuellement se poser : l’un où la mère a été indemnisée, lui non : est-ce un cancer transgénérationnel ? Peut-être. Ils ont vécu au même endroit mais pas à la même époque donc c’est difficile de se faire une opinion définitive.
Me Philippe Neuffer. Sur le caractère transgénérationnel, je me permets de préciser que lorsqu’on fait des assemblées générales de l’association Moruroa e tatou, ce sont de plus en plus les ayant droit qui viennent et qui remplacent ainsi leurs parents.
Mme Dominique Voynet (EcoS). C’est certain qu’une grosse erreur est de ne pas avoir eu de point zéro au moment du début des essais. Ça aurait encore un sens, j’en suis persuadée, de lancer une étude épidémiologique aujourd’hui dans la population polynésienne, de faire par exemple des comparaisons avec Wallis et Futuna, avec la Nouvelle-Calédonie et de voir si des pathologies ressortent ici. Je suis préoccupée par le fait qu’on ne sait pas si les essais ont eu des conséquences en termes de stérilité, de fausses couches, d’enfants morts nés. Peut-être existe-t-il des moyens d’objectiver les choses ? Pour ma part, je préconise une étude épidémiologique prospective sur les territoires ultra-marins en se fondant sur un protocole robuste dès le départ.
Me Sophie Guessan. Pour nos propres analyses, on peut recourir aux documents déclassifiés que l’on trouve sur le site de Moruroa Files ; ils ne sont pas publiés sur Légifrance ou sur le site du Civen, ce qui est extrêmement dommage : pourquoi d’ailleurs ? Par ailleurs, quand on ouvre Moruroa Files, les données qui y figurent ne sont pas en mSv mais en microrades, ou en curies mais pas en mSv ; les unités de mesure ne sont pas les bonne sur Moruroa Files ! Un projet permettant de clarifier tout cela serait sans doute extrêmement opportun !
Mme Dominique Voynet (EcoS). Mereana et moi sommes toutes deux membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Chaque fois qu’on auditionne certains scientifiques, il y a une sorte de condescendance de leur part lorsqu’ils avancent certains chiffres sur le mode « on va faire effort pour vous expliquer mais vous n’y comprendriez rien »
M. le président Didier Le Gac. Lorsqu’on a rencontré l’équipe de la mission « Aller vers », on s’est par ailleurs rendu compte combien la partie administrative de la procédure était archaïque, confuse.
Me Philippe Neuffer. Ce serait très bien de mettre en place ici une antenne du Civen !
Me Sophie Guessan. Ce serait effectivement sans doute la moindre des choses de faire quelque chose à ce sujet.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie tous les deux pour vos analyses et cet entretien.
M. le président Didier Le Gac. Bonsoir à tous. Pour notre toute dernière audition au cours de ce déplacement en Polynésie française, nous souhaitions entendre de nouveau des témoins directs de cette époque des essais nucléaires car vos témoignages sont primordiaux pour nous afin de mieux connaître et de mieux comprendre ce qui s’est passé pendant trente ans en Polynésie française.
Avant de vous écouter sur ce que vous avez à nous dire à ce sujet, je vous précise que nous sommes ici dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire. Aussi, je vais vous demander de nous déclarer chacun à tour de rôle tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter chacun à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mmes Jeanne Puputauki, Astrid Brander-Hoffman et M. Bruno Marlier prêtent serment.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et vous laisse donc immédiatement la parole.
Mme Jeanne Puputauki (en visioconférence). Je suis née à Rikitea, sur l’atoll de Mangareva, le 25 septembre 1943. J’ai longtemps vécu sur mon île avant de prendre le bateau pour Papeete, où mon fils est né le 25 mai 1966 puisqu’il n’y avait pas d’hôpital ou de maternité à Rikitea. À ce titre, j’ai un clair souvenir du hangar où nous nous sommes enfermés lors du premier tir du 2 juillet 1966 (mon fils avait alors un mois seulement) mais nous ne savions pas ce qui se passait exactement. Une fois que la bombe a été tirée, on nous a dit qu’on pouvait retourner chez nous, ce que nous avons fait. Il faut se souvenir que les Gambiers fournissent les légumes et les fruits de Moruroa ; en rentrant, on savait que de la poussière était rentrée chez nous ; on nous a dit de ne plus manger de poisson mais c’est tout. Mon père a développé un premier cancer à la gorge, il a été opéré mais ça n’a pas suffi ; on est donc rentré ici, chez nous et il est mort un mois après. Ce fut la même chose avec ma mère qu’on n’a pas pu opérer ; mes deux sœurs ont également eu des cancers ; l’une d’elles a eu une tumeur au cerveau, elle a été opérée en France et est revenue ici mais elle ne pouvait plus parler et elle est morte également. Ma deuxième sœur a également eu un cancer qui a été en partie soigné mais celui-ci n’a jamais disparu, de telle sorte qu’il a fallu l’opérer très régulièrement ; le dernier docteur qui s’est occupé d’elle et qui l’a opérée m’a appelée et m’a dit qu’il ne pouvait plus rien faire. Elle est décédée trois semaines après qu’on soit revenu ici, chez nous. J’ai moi-même été atteinte d’un cancer ; mon docteur m’a dit que j’allais devoir être opérée en France et qu’on allait devoir m’enlever un sein. C’est donc mon tour aujourd’hui que d’avoir un cancer… Mon dernier fils, qui est né à Rikitea, est parti comme militaire en France et a eu lui aussi trois cancers ! Mais il n’y a pas que moi qui ai eu un cancer ; il y a plein de personnes qui en sont atteintes à Rikitea !
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. Merci beaucoup Mamie Jeanne pour ton témoignage ; je vais juste donner quelques explications pour que l’on prenne parfaitement conscience de ce que tu viens de dire. Les Gambiers, ce sont plusieurs îles qui sont dans le même lagon ; Rikitea, le village où elle habite, est sur l’île de Mangareva, l’île principale des Gambiers. D’après ce qu’a dit Mamie Jeanne, ils ont retrouvé plein de poissons et de requins morts au large de Mangareva. À quel moment par rapport aux essais ? Est-ce que ça arrivait souvent dans l’année ?
Mme Astrid Brander-Hoffman. Ma famille est également originaire de Rikitea par ma grand-mère et a toujours vécu dans les Tuamotu de l’Est, notamment à Turaeva. J’ai participé aujourd’hui même à la journée des témoins « La voix de l’Océan » et j’ai beaucoup regretté qu’il n’y ait pas alors eu d’allusion aux essais souterrains alors que l’Océan, c’est notre histoire, ce sont nos ancêtres, c’est notre spiritualité, notre survie. Tureia est une île isolée, presque invisible sur la carte. Au début des années 1960, la France est arrivée ici avec toute sa domination, en ayant avec elle la certitude de son droit et c’est ainsi qu’elle a décidé que nos vies valaient moins que d’autres.
Pour ma part, je suis née en 1967 ; j’ai vécu à Tureia jusqu’en 1975 et je me suis intéressé à l’histoire des essais à la suite du décès de ma mère, lorsqu’elle m’a demandé de reprendre son dossier puisque sa première demande d’indemnisation avait échoué. Si vous me le permettez, je voudrais parler aujourd’hui au nom de mes grands-parents et de tous ceux qui sont morts dans la quasi-indifférence de la France. Mon grand-père était le premier chef de district à l’époque (on ne parlait pas encore de « maire ») ; l’inquiétude était là mais comment l’exprimer alors dans une langue qui n’est pas la nôtre ? Et que pouvions-nous dire alors que notre vie n’avait que si peu de poids ? Quelle considération avait alors la France pour ce peuple de nomades qui ne vivait alors que de l’Océan ? Au moment des essais, j’ai le souvenir d’avoir été amenée dans un blockhaus, de nuit, avec un masque, où l’on nous apportait des vivres pendant plusieurs nuits. J’ai le souvenir du chamboulement de la vie des Tuamotu qui est intervenu avec les essais : un chamboulement total, qui a affecté tous les aspects de la vie quotidienne… Et puis j’ai vu les gens mourir petit à petit ; Magalie, une cousine germaine, est décédée à l’âge de neuf ans d’une leucémie ; j’ai un oncle qui a été soigné pour un problème de dents mais, en fait, il avait développé un cancer ; et il y a eu mon grand-père, qui a fait partie des premières personnes à avoir été reconnue irradiée ; comment a-t-on pu dénier toute affectation pour ces gens-là ? Je n’ai pas de mots assez forts aujourd’hui pour clamer ma colère… Ce sont les premières personnes qui ont dû rembourser les frais engagés par la CPS ! Et puis je pense également à ma grand-mère : comment prouver aujourd’hui qu’elle a été irradiée, elle qui a vécu toute sa vie à Tureia ? J’ai cet exemple en tête mais sachez que bien d’autres personnes de ma famille sont également décédées, ma mère ayant pour sa part développé un cancer du sein après avoir eu plusieurs problèmes de santé. Elle a été soignée à Lyon pour son cancer, a rapidement subi une ablation, puis des séances de radiothérapie ; à cet égard, elle a été plutôt bien suivie... Mais quand elle a monté son dossier d’indemnisation pour le présenter au Civen, celui-ci a pourtant été refusé ; c’est vraiment là que je me suis rendu compte à quel point la France nous dénigrait, à quel point tous ces gens censés être intelligents nous ont dénigrés ; comment se fait-il que nous, peuple autochtone avec notre propre intelligence mais également nos faiblesses, nous n’ayons jamais été entendus ? J’ai vu à quel point on nous a pris pour des idiots, tout simplement. J’ai vu des gens ne même pas venir aux convocations de l’administration tellement ils avaient honte. Au final, et après avoir bataillé, le dossier du Civen a abouti à la seconde tentative mais je peux vous dire que la rencontre avec l’expert a été quelque chose ! Lui aussi nous a fortement dénigrés, il nous a tout simplement pris pour des gens arriérés au moment de l’expertise, me demandant par exemple si je savais parler français alors que l’entretien avait commencé depuis plus d’une heure...
Ce que je retiens de cette période, c’est qu’avec le nucléaire, c’est tout simplement la mort qui s’est infiltrée chez nous, dans la mer, dans nos sols… Le nucléaire, c’est un génocide.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie et je laisse maintenant la parole à M. Marlier si vous le voulez bien.
M. Bruno Marlier. Pour ma part, je suis infirmier ; j’ai été militaire en Polynésie française, dans les zones de Moruroa, de Hao et des Gambiers de 1976 à 1978 (j’étais à l’époque infirmier affecté sur La Lorientaise). Dès qu’il y avait des tirs souterrains, j’y participais. On ne savait pas trop où l’on allait alors (au nom du devoir de réserve, on était militaire, on n’avait pas le droit de dire grand-chose). Côté protection puisque vous avez posé la question, on n’avait pas de masque, ni même aucune tenue particulière. Mais si je suis venu ici, devant vous, ce soir, c’est avant tout pour vous parler de mon frère, qui a travaillé à Moruroa avant moi, ayant, comme moi, voulu être marin. Sauf que mon frère est décédé dès l’âge de trente-six ans, atteint de multiples cancers (langue, gorge…) qu’il a traînés pendant une dizaine d’années, ayant considérablement souffert à la fin de sa vie ; il a d’ailleurs été reconnu comme ayant été irradié lorsqu’il travaillait à Moruroa. J’ai vu mon frère terriblement souffrir ; merci Seigneur de l’avoir pris ! Je suis resté un peu en métropole et je suis revenu en Polynésie en 2001 (aujourd’hui, j’ai soixante-huit ans). Je me suis dirigé vers l’antenne médicale qui s’occupe des anciens de Moruroa et de ceux qui ont pu travailler sur des sites similaires. En Polynésie, j’ai été infirmier aussi bien en cabinet qu’à domicile ; j’ai malheureusement vu de très nombreux cas de cancers dont je suis sûr qu’ils étaient liés aux essais nucléaires, les personnes atteintes étant ensuite décédées sans que rien n’ait été fait à leur égard. On nous disait de ne pas manger de poisson mais le poisson se déplace : il va partout ! La Polynésie française a offert la bombe atomique à la France, ce qui lui a permis d’être forte au plan international ; on le voit aujourd’hui ! Le regard porté par la France sur la Polynésie doit changer. Je remercie notre députée Mereana Reid-Arbelot d’avoir remué tout ça !
M. le président Didier Le Gac. Quand vous dites que votre frère a été irradié, cela veut-il dire qu’il a déposé un dossier au Civen ? Qu’il a été indemnisé ?
M. Bruno Marlier. Mon frère avait en effet constitué un dossier d’indemnisation avec l’aide de l’association Moruroa e Tatou, qui a abouti ; il a surtout bénéficié du soutien de toute sa famille et, aujourd’hui, je suis fier de parler à ma nièce (sa fille) de cette Polynésie, où elle va venir pour la première fois cette année, que son père aimait tant !
Mme Virginie Materouru entre dans la salle et, à la demande du président Didier Le Gac, prête serment.
Mme Virginie Materouru. Je suis née au mois de décembre 1964 ; le CEP commençait alors à fabriquer des blockhaus à Mangareva, juste à cent mètres de ma maison ; pendant la construction, on ne comprenait pas trop ce qui se passait. Pour nous c’était surtout notre terrain de jeux ; une partie de cette construction était en dur mais au-dessus, ce n’était que des tôles en plastique. Je me souviens sinon du tir Canopus : quelqu’un nous avait dit que nous devions vite ramasser nos affaires pour aller dans le blockhaus et laisser tout en plan, dans nos maisons. Pour autant, on ne comprenait pas trop pourquoi ! On nous disait de ne pas sortir mais, comme nous étions des enfants, nous sommes partis dans les égouts pour voir ce qui allait se passer… Je me souviens quand on est sorti : à un moment donné, on a vu un grand flash et, en regardant le ciel, on a vu un grand halo blanc ; on est alors re-rentré dans le blockhaus puis nous sommes de nouveau sortis. On a alors vu flotter plein de poissons morts dans le lagon ; on l’a raconté à nos parents puis on nous a isolés dans une pièce, là encore sans savoir pourquoi.
M. le président Didier Le Gac. Avez-vous des personnes qui, autour de vous, ont vécu cette période et qui sont tombées malades ?
Mme Virginie Materour. Oui, malheureusement. Ma mère a perdu des enfants ; j’ai une sœur qui a également eu une méningite puis on lui a dit qu’elle avait développé une tumeur au cerveau ; j’ai également deux petits frères qui sont décédés ; ma jeune sœur, qui a un an de moins que moi, a eu un nodule au sein gauche à l’âge de quatorze ans ; elle ensuite eu un lupus dont elle a souffert toute sa vie. Elle a tout le temps pris des médicaments, a été dialysée, a progressivement perdu la vision des couleurs, et est finalement décédée à l’âge de cinquante‑et-un ans. Parmi les autres adultes de ma famille, j’ai un grand-père qui a été atteint d’un cancer de la vessie ; mon père a également été gravement malade, développant un cancer de l’estomac à 47 ans ; il s’en est sorti mais a dû être opéré et est resté deux ans et demi à l’hôpital, dont cinq mois dans le coma.
M. le président Didier Le Gac. J’ai une question globale pour vous tous : il existe actuellement un dispositif d’indemnisation individuelle au travers de la loi Morin (mais nous savons que le processus est long, compliqué…). J’espère qu’on pourra le modifier. Quel est votre point de vue sur une éventuelle réparation collective ?
Mme Virginie Materour. Ça me semble juste qu’on réclame aujourd’hui cette réparation ; en tout cas, j’ai personnellement été affectée (puisque je souffre d’eczéma depuis trente ans, j’ai des nodules mais on me dit que ce n’est pas grave)…
Mme Astrid Brander-Hoffman. Une reconnaissance ou une réparation collective, pourquoi pas mais sous quelle forme pourrait avoir lieu cette réparation ? Je ne saurais pas le dire mais ça peut être un grand pas vers une guérison collective de cette page de notre histoire.
M. le président Didier Le Gac. Que pensez-vous des déclarations du Président de la République, de juillet 2021, estimant que la France avait une « dette » à l’égard de la Polynésie française ?
Mme Astrid Brander-Hoffman. Ce n’est pas suffisant ; il faut qu’il demande pardon.
M. Bruno Marlier. Oui, il faut qu’il y ait cette reconnaissance mais également qu’il y ait une prise en charge par la France des dépenses qui ont affecté le budget de la CPS. Car ce sont quand même les travailleurs tahitiens qui financent cette caisse ; il faut donc non seulement un pardon mais également éclaircir cette situation financière. Si la plus grande ouverture du secret-défense est une bonne chose, c’est quand même quelque chose qui n’intéresse guère les Polynésiens…
Mme Dominique Voynet (EcoS). Je dois dire que, pour ce qui constitue notre dernière audition ici, en Polynésie, vos témoignages sont particulièrement émouvants ; c’est aussi la raison pour laquelle on ne peut pas répondre à vos attentes de manière seulement technocratique. Comme l’a rappelé notre président tout à l’heure, la procédure devant être suivie devant le Civen est longue, compliquée, aléatoire, incompréhensible, comporte même une part d’humiliation pour démontrer sa bonne foi, nécessitant de se justifier en permanence. J’espère qu’on pourra avancer là-dessus. Astrid, vous nous avez dit que les malades avaient dû rembourser la CPS lorsqu’ils avaient reçu leur indemnisation… Pouvez-vous développer ce point ?
Mme Virginie Materou. Effectivement, nous devions déduire une partie des sommes reçues de l’indemnité, et ce au bénéfice de la CPS.
Mme Dominique Voynet (EcoS). J’ignorais ça ; c’est scandaleux !
Mme Astrid Brander-Hoffman. À l’époque, on m’a dit que la loi l’autorisait mais ça fait un certain nombre d’années qu’il n’y a plus cette déduction des frais médicaux puisque la loi a été modifiée depuis ; il faudrait sans doute rembourser les personnes qui ont dû effectuer un tel versement par le passé.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Plusieurs personnes malades ont engagé des procédures devant le Civen mais aucun d’entre vous n’a visiblement engagé de procédure pour obtenir une réparation en votre qualité d’ayant-droit alors que plusieurs d’entre vous ont eu des membres de vos familles qui sont pourtant décédées de cancers, sans doute à la suite de ces essais. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Par ailleurs, M. Marlier, vous dites avoir été témoin de nombreux cancers qui ont touché votre patientèle ; aviez-vous connaissance des procédures applicables, avez-vous pu conseiller votre patientèle pour constituer et déposer des dossiers d’indemnisation ? Avez-vous connaissance de travaux qui auraient été effectués sur certains atolls pour faire des études épidémiologiques et pour objectiver l’ampleur du phénomène ?
M. Bruno Marlier. À ma connaissance, il n’y a eu aucune enquête épidémiologique effectuée en Polynésie. De par ma profession, je me suis rendu sur toutes les îles et je peux vous assurer que jamais, on n’a vérifié les cancers qui avaient pu s’y développer. Mais je ne vous raconte que ce que j’ai vu ! Quand je suis allé voir le Centre médical de suivi (le CMS qui, comme vous le savez, dépend de l’armée), j’en ai parlé à des collègues, à des anciens de Moruroa et on a tous été un peu chamboulé par cette triste vérité. J’en ai même pleuré ; j’étais en effet très perturbé par ce qu’on m’a dit à cette époque. Le colonel du service de santé des armées (SSA) que j’avais en face de moi a été sans pitié dans ses prises de position, ce qui m’a beaucoup déçu. Quant aux démarches administratives, notamment devant le Civen, je trouve qu’on n’est pas vraiment aidé, on n’y est pas forcément bien reçu et les démarches restent difficiles.
Mme Virginie Materour. Il faut effectivement accompagner les ayants-droits car ils ne savent pas comment ça se passe.
Mme Mereana Reid-Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête. La loi Morin ne prévoit pas la réparation des préjudices propres des ayants-droits (comme cela peut se faire dans le cadre de l’indemnisation des victimes d’accidents de la route ou de l’amiante). Je voudrais à cette occasion porter un regard sur toutes les auditions que nous avons menées à ce jour : vous êtes des personnes qui ont vécu cette période dans vos îles, dans vos fonctions, dans votre être… Vous avez vécu avec les débuts du CEP, dans des villages où l’arrivée du CEP a modifié beaucoup de choses, notamment par la soudaine présence de nombreux militaires. Est-ce que la langue était un frein pour comprendre toute cette nouvelle situation ? Aviez-vous eu alors toutes les informations nécessaires ? Ce qui me frappe en vous entendant, c’est surtout le manque de considération ! A-t-on pris le temps de vous écouter, de vous expliquer les choses ? Vous-même M. Marlier, vous dites qu’il y a toujours eu un sachant, quelqu’un qui savait et qui parlait à quelqu’un qui, lui, ne savait pas. C’est ce qui s’est semble-t-il toujours passé depuis le début.
M. le président Didier Le Gac. Ce sujet, en parlez-vous avec vos enfants ou vos petits-enfants ? Nous avons par exemple rencontré avant-hier des élèves dans un lycée qui, visiblement, ignoraient en grande partie cette histoire. Seule une minorité de lycéens pouvaient en parler ; on nous a dit que c’était à la fois de la pudeur, du tabou, de l’autocensure de la part des enseignants le cas échéant qui ne savent pas toujours comment l’aborder… Comment expliquez-vous que les jeunes Polynésiens soient si peu au courant de cette histoire, qui est pourtant contemporaine ?
Mme Virginie Materou. Le sujet est effectivement très sensible et témoigne également d’une certaine méconnaissance de la part des enseignants mais plus largement de toute la population ; aussi, les enfants vont lire ce qu’il y a dans les livres… Moi, j’en parle à mes enfants, ainsi qu’à mes neveux et nièces puisque leur mère (ma sœur) est décédée, ainsi qu’à mes petits-enfants qui, eux pour le coup, posent des questions sur ce sujet et s’y intéressent.
M. Bruno Marlier. Comme vous l’avez sans doute remarqué, les Polynésiens ont un grand cœur mais également une grande pudeur : on garde les choses pour nous. Je ne suis donc pas très surpris de ce que vous me dites : les Gambiers ont été les plus touchées et vous êtes toutes les trois issues de ce territoire, qui était le véritable jardin de Moruroa. Toujours est-il qu’aux Gambiers, on ne parle pas du nucléaire car on ne veut pas réveiller les souffrances !
Mme Astrid Brander-Hoffman. Il n’y a pas de sujet tabou chez moi mais on ne parle pas du nucléaire, peut-être comme la Seconde Guerre mondiale en France métropolitaine. Les jeunes y attachent également moins d’importance ; ils survivent, souhaitent avoir un travail et c’est tout ce qui leur importe.
M. Yoann Gillet (RN). Je vous remercie tous pour vos témoignages. J’ai une remarque : les jeunes, dites-vous, cherchent du travail et ont d’autres préoccupations. J’ai plutôt l’impression qu’il y a en réalité une volonté de ne pas raviver les souffrances auprès de leurs familles, certains ayant quand même des connaissances sur ce sujet. Par ailleurs, on ne parle peut-être pas de ces sujets car il existe également de fausses informations qui circulent sur le nucléaire (le fait de ne pas manger de poisson car il aurait été irradié du fait des essais par exemple).
Mme Astrid Brander-Hoffman. Je peux vous assurer que, toujours aujourd’hui, si vous dites que du poisson vient de Tureia, vous ne le vendrez pas !
Mme Jeanne Puputauki. En tout cas, c’est la première fois que je suis entendue sur ce sujet des essais nucléaires ; je voulais vous remercier pour cela.
M. le président Didier Le Gac. C’est nous qui vous remercions pour cette audition tardive qui clôt ainsi notre déplacement en Polynésie française.