Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Audition, ouverte à la presse, de M. Florian Aragon, président-directeur général de Toyota France, M. Rodolphe Delaunay, président-directeur général du site Toyota Motor Manufacturing France, et Mme Sophie Glémet, responsable affaires gouvernementales et industrielles du bureau de Paris de Toyota Motor Europe              2

– Présences en réunion................................15

 


jeudi
20 mars 2025

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

 

M. le président Charles Rodwell. L’usine que Toyota a ouverte le 6 juin 2001 à Onnaing, près de Valenciennes, est devenue en 2022 la première usine automobile de France, devant Sochaux. Près de 280 000 véhicules en sont sortis en 2024. Cette réussite sera, je crois, un cas d’école pour notre commission d’enquête.

Monsieur Aragon, vous êtes président-directeur général de Toyota France, après y avoir gravi tous les échelons.

Monsieur Delaunay, vous êtes président-directeur général du site Toyota Motor Manufacturing France (TMMF), après avoir occupé des fonctions similaires à la tête du site de Renault Douai.

Madame Glémet, vous êtes responsable « affaires gouvernementales et industrielles » du bureau de Paris de Toyota Motor Europe.

Je vous remercie de déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Florian Aragon, M. Rodolphe Delaunay et Mme Sophie Glémet prêtent successivement serment.)

M. Rodolphe Delaunay, président-directeur général du site Toyota Motor Manufacturing France. Vous l’avez dit, Toyota est un acteur industriel présent sur le site d’Onnaing, près de Valenciennes, depuis 2001. À compter de cette date, il y a investi plus de 1,5 milliard d’euros, sans compter les sommes imputables à Toyota France et au centre de design ED2. Nous produisons deux modèles, la Yaris et la Yaris Cross, dans cette usine où travaillent trois équipes et d’où sort une voiture toutes les minutes.

Toyota représente plus de 12 000 emplois directs en France, dont 5 000 sur le site d’Onnaing. À l’échelle européenne, nous employons 27 000 personnes, hors réseau concessionnaire.

Les services de l’État, à tous les niveaux – national comme local, administratif comme technique –, nous ont toujours soutenus lors de notre implantation et du développement de nos projets.

Pour la troisième année consécutive, TMMF est le site qui produit le plus de voitures en France, puisque près de 280 000 véhicules en sont sortis en 2024. Parmi les sept sites industriels de Toyota en Europe, il est aussi celui dont la production est la plus élevée. Nous en sommes particulièrement fiers.

L’origine française de la Yaris est garantie depuis 2012, et celle de la Yaris Cross l’est depuis 2021. C’est ce dernier véhicule que nous avons le plus produit l’année dernière, puisque près de 200 000 exemplaires, essentiellement hybrides, sont sortis de notre usine. Depuis avril 2024, la production est même devenue 100 % hybride, tant pour la Yaris que pour la Yaris Cross.

Pérenniser notre activité, préserver nos emplois et réussir les défis de la transition vers une mobilité bas-carbone : tels sont les trois enjeux majeurs auxquels nous serons confrontés dans les années à venir.

M. Florian Aragon, président-directeur général de Toyota France. Toyota est un constructeur généraliste, qui vend chaque année 1,2 million de voitures en Europe et 140 000 voitures en France. Notre objectif est de proposer des solutions technologiques acceptables par le plus grand nombre : nous avons donc développé une stratégie multitechnologies, orientée vers le client, à qui nous voulons procurer ce dont il a besoin. Ainsi, nous nous tournons vers les moteurs hybrides, hybrides rechargeables, électriques ou à hydrogène – liquide, gazeux ou fonctionnant avec une pile à combustible.

Nous avons été pionniers en nous lançant dans la technologie hybride, il y a plus de trente ans. Depuis lors, nous avons produit 31 millions de ces véhicules à travers le monde.

Dans le cadre de notre stratégie multitechnologies, notre ambition est d’être au rendez-vous de la décarbonation du parc automobile et du respect des normes européennes issues du règlement du 17 avril 2019 établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs et appelées Cafe (Corporate Average Fuel Economy), tout en restant à l’écoute des attentes des clients. Ainsi, après avoir très longtemps développé l’hybride, au point d’en faire un succès, nous avons annoncé il y a quelques jours le lancement, d’ici à 2026, de six nouveaux véhicules électriques, sous la marque Toyota ou Lexus, car nous sommes convaincus que cela répond à une demande de nos clients. Nous avons également annoncé le développement de la troisième génération de notre pile à combustible, qui bénéficiera aux moteurs à hydrogène et permettra de renforcer les infrastructures de véhicules plus lourds tels que les poids lourds et les autocars.

Notre feuille de route est assez claire : nous avons l’ambition d’atteindre la neutralité carbone pour tous nos véhicules, d’ici à 2050 au niveau mondial et d’ici à 2040 au niveau européen, ainsi que pour l’ensemble de nos sites industriels européens, d’ici à 2030. L’ennemi de Toyota, c’est le carbone !

M. le président Charles Rodwell. J’aimerais vous interroger d’abord sur votre implantation originelle. Il est connu que Toyota a bénéficié du soutien d’un sous-préfet dédié, jusqu’au milieu des années 2000, à un moment où le mouvement de désindustrialisation était déjà engagé, notamment dans le secteur automobile. L’implantation de Toyota à Onnaing était donc remarquable, d’une part parce qu’elle était à contre-courant, d’autre part parce qu’un mécanisme spécifique avait été mis en place pour la faciliter du point de vue administratif. Pouvez-vous en décrire le fonctionnement et les enjeux ? Recommanderiez-vous d’appliquer un tel dispositif à d’autres projets d’implantations d’usines en France ?

Ma deuxième question concerne la pénétration par Toyota du marché chinois. Tous les constructeurs automobiles, français et européens, nous ont avisés non seulement du déversement progressif de la production de véhicules électriques chinois sur le territoire européen, mais également de la fermeture progressive du marché chinois aux constructeurs européens, lesquels s’avèrent moins compétitifs et se trouvent confrontés à des normes précisément instaurées pour rendre cet accès plus difficile. Comment les constructeurs japonais, en particulier Toyota, se situent-ils par rapport à ces évolutions ?

M. Rodolphe Delaunay. La politique de Toyota est de produire localement : ainsi, nous produisons 70 % de nos véhicules sur le territoire où nous réalisons nos ventes, les 30 % restants étant importés du Japon. Voilà pourquoi Toyota a souhaité s’implanter en Europe.

Notre démarche a débuté en 1995, alors que nous nous préparions à la fin des quotas à l’importation de véhicules japonais, qui devait intervenir au cours des années 2000. Nous avons commencé à prospecter, à prospecter de manière informelle, ce qu’on appelle faire du nemawashi : pour comprendre le marché, notre président de l’époque s’est régulièrement rendu en Europe, notamment en France, où la construction automobile faisait déjà partie de l’histoire. Nous voulions surtout savoir si nous serions les bienvenus, car il nous importait de nous inscrire dans le paysage local et d’être parfaitement ancrés sur le territoire. En 1997, Toyota a annoncé ses investissements.

Au moment de l’ouverture de l’usine, en 2001, une chose a fait peur à Toyota Motor Corporation : l’application de la nouvelle loi du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail (dite loi sur les 35 heures), qui venait s’ajouter à nos craintes concernant les lourdeurs administratives. L’État a alors décidé de nommer un sous-préfet, M. Laurent Fiscus, pour nous aider dans toutes nos démarches.

Initialement, le projet était celui du territoire. La chambre de commerce et d’industrie (CCI) est allée présenter son projet audacieux au Japon et l’a défendu pendant toute la procédure, de l’établissement de la short list jusqu’au choix final du site de Valenciennes. Toyota n’aurait jamais pu réussir seul : son succès doit beaucoup au soutien du territoire, des collectivités concernées, notamment de la région, ainsi que de l’État, car le projet était suivi par le président de la République, Jacques Chirac, et le premier ministre, Lionel Jospin. Il fallait un engagement mutuel, une volonté de travailler ensemble.

Vingt-cinq ans plus tard, nos liens avec tous ces acteurs sont toujours aussi forts. Nous échangeons régulièrement avec chacun d’entre eux, ne serait-ce que parce que TMMF est un employeur important, dont dépendent 5 000 salariés directs et même 10 000 personnes en comptant les sous-traitants. Je le répète : lorsque nous prospections, il y a plus de vingt-cinq ans, nous voulions être certains que nous serions les bienvenus. Nous avions posé la question à Jacques Calvet, ancien président de PSA, qui avait approuvé notre implantation.

Je l’ai dit, ce travail en commun s’est traduit par la nomination d’un sous-préfet chargé de faciliter nos démarches administratives. Chez Toyota, nous aimons nous concentrer sur la création de valeur, et nous n’aimons pas perdre de temps sur ce que nous appelons des muda, de la « non-valeur ajoutée ». La nomination de ce sous-préfet nous a forcément aidés à remplir nos tâches administratives et à organiser la formation de nos salariés. Néanmoins, nous avons préparé notre implantation dans le moindre détail : nous nous sommes penchés sur les infrastructures, les écoles, et même sur la disponibilité du poisson frais dans les supermarchés ! Voilà ce qui a permis notre réussite et notre présence sur ce territoire aujourd’hui.

M. Florian Aragon. La stratégie de Toyota est la même sur tous les continents : il s’agit toujours de produire localement des véhicules qui répondent aux attentes des clients. C’est pourquoi notre groupe a ouvert plusieurs usines en Chine. Toutefois, la performance et l’implantation de Toyota dans ce pays ne rentrent pas dans mon domaine de compétences. Je propose donc que nous revenions vers vous ultérieurement pour répondre à cette question.

M. le président Charles Rodwell. Volontiers. Vous avez dit que vous produisiez localement des véhicules qui répondent aux attentes du marché : cela signifie-t-il que les voitures que vous produisez en France ne sont pas tout à fait les mêmes que celles que vous produisez en Chine, pour ce qui est du design ou de la conception ? La production est-elle personnalisée, au plus près du marché ?

M. Florian Aragon. Tout à fait. Parmi les 1,2 million de voitures que nous vendons chaque année en Europe, 75 % à 80 % sont construites sur le continent, dans les huit usines, dont celle d’Onnaing, qui produisent les moteurs et les véhicules. Toutes ces voitures, de la plus petite, l’Aygo Cross, jusqu’au SUV de taille moyenne, la Yaris Cross, sont dessinées et créées pour l’Europe, même si certaines peuvent être commercialisées ensuite dans d’autres régions du monde. La même logique est appliquée aux continents américain et asiatique : ils ont des modèles dessinés pour eux, avec des technologies et des designs parfois spécifiques, ce qui n’empêche pas leur exportation en fonction de l’intérêt qu’ils suscitent.

M. Rodolphe Delaunay. Nous avons un centre de design en France, à Sophia-Antipolis, où la Yaris Cross a été dessinée. Partout dans le monde, nous nous inscrivons dans la logique d’être le meilleur ou best in town, chère à Toyota, qui consiste à produire sur le territoire où nous réalisons nos ventes. Les 30 % de véhicules qui ne sont pas produits localement sont importés du Japon. J’ajoute que 18 % des voitures sortant de l’usine de TMMF sont destinées au marché français, les autres étant vendues ailleurs en Europe.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Nous sommes ravis de vous recevoir, car votre entreprise est un cas d’école : vous êtes, en quelque sorte, les irréductibles qui résistent aux difficultés que rencontre le secteur automobile en France. L’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique en 2035 a en effet plongé tous les autres constructeurs dans une crise profonde et structurelle. La Plateforme automobile estime qu’environ 100 000 emplois industriels seront supprimés, sans parler des emplois de la distribution, chez les concessionnaires, ou des services, dans les garages. Or, alors même que des sous-traitants ferment leurs usines et que les plans sociaux se multiplient, vous avez annoncé en novembre dernier le recrutement de près de 600 CDI. Quelle est la raison de ces recrutements massifs, que l’on ne peut évidemment que saluer ? Prévoyez-vous une hausse d’activité, ou à tout le moins le maintien de celle-ci à long terme ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que Toyota souhaitait développer de nouveaux modèles électriques en Europe. Certains de ces modèles seront-ils produits dans votre usine d’Onnaing ? Dans le cas contraire, où le seront-ils ?

M. Rodolphe Delaunay. Alors que TMMF aura 25 ans l’an prochain, mon ambition et mon engagement, en tant que président-directeur général, sont de garantir les vingt prochaines années du site. Nous devons avoir une vision à long terme.

Lorsque nous avons célébré, en novembre dernier, la production de la cinq millionième Yaris en moins de vingt-cinq ans, nous avons effectivement annoncé le développement de nouveaux véhicules électriques afin de préparer l’avenir. Nous devrons recruter et former de nouveaux salariés, ainsi que nouer des relations avec de nouveaux partenaires, qui sont pour nous des members. Nous ne voulons pas sacrifier l’avenir en raison d’un problème de conjoncture.

Nous ne voulons pas non plus nous laisser gagner par le doute. Beaucoup d’observateurs se sont demandé pourquoi nous n’avions pas annoncé, à l’occasion de nos vœux pour 2024, le développement de véhicules électriques. Dans certains titres de presse, on pouvait lire que Toyota, c’était fini, parce que nous avions raté le virage de l’électrique. On entend maintenant la réaction inverse : finalement, Toyota, aurait raison. Ce n’est pas notre problème, car nous ne nous laissons pas emporter par un effet de mode. Le choix final appartient toujours au consommateur. C’est lui qui fait vivre l’entreprise : si nous produisons quelque chose dont il n’a pas envie, nous nous retrouverons dans une situation difficile. L’enjeu, pour nous, est de proposer le bon modèle au bon moment. Tel est le cas pour notre Yaris et notre Yaris Cross, deux modèles 100 % hybrides.

Notre but est d’offrir une mobilité accessible au plus grand nombre. Or la voiture est devenue le deuxième poste de consommation des ménages, après le logement. Les modèles sont de plus en plus chers : si l’électrique ne rencontre pas le succès escompté, c’est parce que le consommateur n’est pas prêt à faire ce choix. La décision d’acheter une voiture électrique dépend de trois critères : le prix, l’autonomie et les infrastructures disponibles. Si le consommateur ne considère pas que ces trois critères sont remplis, il reste dans l’expectative et retarde son achat. Même le fonctionnement d’un véhicule hybride n’est pas toujours clair : certains clients pensent par exemple qu’il faut brancher la voiture chez soi, alors que le moteur se recharge tout seul. Nous avons cependant la chance de proposer aujourd’hui des produits 100 % hybrides qui correspondent à la demande.

Un autre enjeu, pour nous, est de maintenir le fonctionnement de l’usine à un niveau élevé, car ce n’est pas en France que la main-d’œuvre est la moins chère. Pour rester compétitifs, nous devons faire tourner l’usine au maximum de sa capacité. Nous avons atteint notre vitesse de croisière, puisque nous avons produit l’an dernier 280 000 véhicules sur les 300 000 possibles : autrement dit, nous avons trouvé un optimum adapté au fonctionnement de toute la chaîne logistique et aux capacités de nos fournisseurs.

Vous allez bien évidemment me demander quand tout cela va changer. Au risque de vous décevoir, je ne peux pas vous répondre. Personne, dans cette salle, ne roule avec un véhicule 100 % électrique : cela montre bien que, pour l’instant, tout le monde n’est pas prêt. Nous ferons notre transition lorsque le moment sera venu. Nous y travaillons déjà beaucoup : aujourd’hui encore, nous recevions une personne importante venue du Japon pour préparer la suite.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je partage totalement votre analyse : il n’existe pas encore de marché pour l’électrique en France – s’il y en a un, il demeure très minoritaire, voire marginal.

Vous avez évoqué le critère du prix : il est vrai qu’une voiture électrique reste 30 % plus chère qu’une voiture thermique, même si les prix ont vocation à se rapprocher avec le temps. L’autonomie des véhicules demeure limitée. Quant aux infrastructures, peu de bornes de recharge ont été installées dans l’ensemble du pays.

Il n’empêche que la loi impose de mettre fin aux ventes de véhicules à moteur thermique en 2035. À mes yeux, cet objectif est intenable, pour vous comme pour l’ensemble des constructeurs présents en France. Quel est votre point de vue sur cette question ? Quel sera l’impact de cette décision sur votre réseau de sous-traitants, qui constitue un écosystème localisé autour de votre usine de Valenciennes ?

M. Rodolphe Delaunay. S’agissant de l’échéance de 2035, nous serons évidemment prêts. Nous nous y préparons d’ores et déjà. Quoi qu’il en soit, nous respecterons les engagements pris et les règles européennes. La grande question est celle du moment où nous entamerons notre transition vers le 100 % électrique. Je vous ai dit tout à l’heure que nous ne pouvions pas y répondre pour l’instant, mais que nous y travaillions. Il faudra choisir le bon moment, car il sera indispensable de maintenir nos volumes de production afin de préserver nos 5 000 emplois et ceux de nos sous-traitants. Le consommateur décidera.

M. Florian Aragon. Il y a plus de trente ans, Toyota a fait un choix important en décidant de passer à l’hybride et en essayant d’imposer progressivement cette technologie. Cela nécessitait des investissements lourds mais ne posait pas de problème d’infrastructures, puisqu’il ne fallait pas installer de bornes de recharge. Nous avons donc développé la technologie hybride, depuis le Japon, avant de l’appliquer à de premiers produits – d’abord à la Prius, puis à la Yaris, ensuite à une voiture un peu plus grosse telle que la Corolla, et ainsi de suite.

Nous avons aussi écouté le client, qui considérait que ces véhicules étaient écologiques, agréables, et qu’ils pouvaient être accessibles. Par ailleurs, les particuliers français ont parfois bénéficié d’aides à l’acquisition de ce genre de véhicules bas-carbone : ainsi, l’achat des toutes premières Prius hybrides donnait droit à un crédit d’impôt de 2 000 euros. De telles mesures montrent aux clients la direction à prendre pour favoriser le développement d’une technologie permettant de décarboner le parc automobile.

Nous avons donc poursuivi cette stratégie, jusqu’à ce que nous décidions, il y a cinq ou six ans, d’arrêter de doter de moteurs thermiques la plupart des véhicules de notre gamme. Aujourd’hui, nous avons volontairement choisi de ne proposer notre petite voiture, notre voiture moyenne et notre voiture plus grosse qu’en modèles hybrides.

Nous nous approchons désormais d’une nécessaire transition. M. Delaunay l’a dit, nous respecterons évidemment la loi en 2035. En revanche, nous sommes à l’écoute des clients et ne sommes donc pas convaincus que les prochains modèles commercialisés seront 100 % électriques. Ils devront toutefois garantir une neutralité carbone, car notre ennemi, c’est le carbone !

Nous sommes convaincus qu’une demande de véhicules électriques commence à poindre : c’est pourquoi Toyota a décidé de lancer de nouveaux modèles électriques, qui arriveront sur le marché dans les mois et les années à venir. Il faut cependant faire la différence entre ce qui est imposé et ce que veut le client. La réglementation européenne Cafe oblige les constructeurs à produire toujours plus de véhicules électriques, sans que les consommateurs soient véritablement incités à acquérir ces derniers. Pour continuer de développer cette technologie et atteindre la neutralité carbone, il conviendrait d’adopter des mesures fiscales stables et durables pour orienter le choix du consommateur vers un véhicule qui corresponde à ses besoins, reste accessible et lui permette de participer à la décarbonation du parc automobile.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. À titre personnel, je trouve aberrant de sanctionner les constructeurs automobiles qui ne feraient pas suffisamment d’efforts en matière de réduction des émissions de dioxyde de carbone. Ces mesures ont-elles un impact sur votre activité en France ?

Du reste, la Commission européenne a annoncé début mars vouloir assouplir ces contraintes. Je suppose que vous avez accueilli très favorablement cette nouvelle…

M. Florian Aragon. Effectivement. Lors des premières discussions européennes, il y a quelques mois, Toyota avait proposé d’étaler l’objectif de baisse des émissions sur cinq ans : la souplesse qui nous est accordée, en nous octroyant trois ans au lieu d’un, nous paraît donc tout à fait bienvenue. Au-delà de ce qui a été décidé au bénéfice des constructeurs et de la filière automobile, il faut cependant prévoir des mesures afin d’inciter les clients à adopter la technologie électrique.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. L’une des clés de votre réussite est-elle d’être un groupe japonais ? Existe-t-il une culture d’entreprise japonaise, et, si oui, comment se manifeste-t-elle ? Les entreprises françaises, notamment celles du secteur automobile, devraient-elles s’en inspirer ?

M. Rodolphe Delaunay. Notre force vient du fait que nous associons à la culture japonaise notre créativité latine. Toutefois, il n’y a pas de recette magique. Beaucoup nous copient, tant dans le domaine du management – s’agissant, par exemple, de la vision orientée client – que des principes techniques – tel que le diagramme de causes et effets ou diagramme d’Ishikawa. Certains s’en sont inspirés pour écrire des livres à succès. La seule chose qu’on ne peut pas copier, c’est notre état d’esprit, nos valeurs, notre comportement, car ils forment notre ADN depuis la création de l’entreprise. Nous avons une approche fondamentalement pragmatique.

M. le président Charles Rodwell. Lorsque nous avions échangé, la dernière fois, vous m’aviez expliqué pourquoi, lorsque vous vous êtes installés en France, au début des années 2000, notre pays était plus compétitif, du point de vue du ratio coûts-bénéfices, que des pays d’Europe de l’Est. Vous avez choisi de vous installer dans le nord de la France, ainsi qu’au Benelux, plutôt qu’au cœur de l’Europe, du fait de l’écosystème que ces régions abritaient. En effet, me disiez-vous, la valeur ajoutée de votre production provient, pour 20 %, de l’activité de votre usine et, pour 80 %, de vos fournisseurs et de vos sous-traitants. Sous ce rapport, la région présente de nombreux avantages, dispose de bons réseaux de formation et vous offre l’accès aux ports. Me confirmez-vous que telles étaient bien les raisons de votre implantation ? Ce business model est-il toujours d’actualité ? La France bénéficie-t-elle toujours de ce haut niveau de compétitivité ? Tel était, en tout cas, l’objectif des politiques fiscales et économiques qui ont été menées au cours des dernières années.

M. Rodolphe Delaunay. Vous avez très bien résumé les déterminants de notre choix. Lorsqu’on part de zéro, on s’inscrit dans une logique de développement qui s’étend aux fournisseurs, lesquels sont avant tout des partenaires. Les salaires et la logistique représentent chacun 10 % du coût complet d’une voiture, les fournisseurs, 80 %. Il est donc essentiel de s’implanter au cœur d’un tel écosystème. Le fait que la majorité de nos fournisseurs se trouvent à moins de trois heures de TMMF représente un avantage déterminant pour la vente de nos véhicules en Europe de l’Ouest. Transporter une voiture de l’Europe de l’Est à l’ouest du continent représente un coût considérable, de l’ordre de 600 euros ; cela explique que nous ayons mis en place des liaisons ferroviaires entre nos centres de distribution ou hubs situés en République tchèque, à Barcelone et en Angleterre.

Si le système actuel fonctionne, notre grande crainte, pour l’avenir, est de nous retrouver un peu comme en Angleterre, où les fournisseurs quittent le pays. L’enjeu est essentiel en matière de coûts – y compris de l’énergie –, de salaires et de fiscalité. Il faut être vigilant à ce sujet car cela pourrait être une des conséquences de la désindustrialisation. On entend parfois dire que l’on peut taxer les entreprises qui atteignent certains niveaux de chiffre d’affaires et de résultat puisqu’elles ont de l’argent : en un sens, c’est vrai, mais le raccourci est un peu rapide car c’est oublier que la compétition est mondiale. Chacun se compare : je me compare par rapport aux autres usines ; un investisseur ou une entreprise qui réfléchit à son implantation va comparer les coûts existants dans différents pays.

Le risque est qu’à un moment donné, vous décrochiez complètement parce que vos produits sont trop chers. En effet, le consommateur n’est pas prêt à acheter un bien, fût-il made in France, à un prix beaucoup plus élevé. Il faut veiller à ce que les impôts et les taxes frappant les entreprises – en particulier l’industrie – ainsi que le coût de l’énergie qu’elles supportent demeurent à un niveau qui préserve la compétitivité française pour les années à venir.

Mme Sophie Glémet, responsable des affaires gouvernementales et industrielles du bureau de Paris de Toyota Motor Europe. Le plan européen qui a été récemment annoncé nous inspire de l’inquiétude sur un point précis. Nous sommes une entreprise japonaise très implantée localement puisque près de 98 % de nos 5 000 salariés sont français.

M. Rodolphe Delaunay. Notre usine française emploie trente Japonais.

Mme Sophie Glémet. Nous avons pensé nos investissements à un horizon de vingt ans ou plus. Or, d’après ce que nous avons compris, les appels d’offres seront peut-être réservés à certains investissements ou produits exclusivement européens.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Toyota a-t-il développé, dans le secteur de Valenciennes, des dispositifs de formation particuliers ? Travaillez-vous avec des établissements d’enseignement, des lycées professionnels ? La formation vous paraît-elle suffisante dans notre pays, ou un industriel comme vous doit-il pallier les défaillances du système de formation français ?

M. Rodolphe Delaunay. La formation est clé chez nous, dans tous les domaines. Nous avons notre propre centre de formation, mais nous nous appuyons évidemment sur la collectivité, le territoire et France Travail. Nous avons été parmi les premiers à employer des salariés qui étaient au chômage de longue durée, avec l’aide du département. Nous avons noué des partenariats avec l’université de Valenciennes, notamment sur la formation technique des maintenanciers. La maintenance est en effet un métier sous tension en France et, plus généralement, en Europe.

Il y a quatre ans, constatant que nous n’arrivions pas à recruter, à moins de proposer un salaire nettement supérieur à celui du marché, j’ai décidé de développer l’apprentissage. Chaque année, nous employons entre vingt-cinq et trente apprentis, que nous formons. Nous nous sommes associés avec l’université de Valenciennes, le territoire et un lycée. Nous avons une classe dédiée dans le cadre de l’université et une autre avec l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) ; la formation dispensée repose sur nos technologies, en particulier les robots Kawasaki et l’automatisme Toyopuc. Chaque année, nous embauchons peu ou prou la moitié des apprentis, sachant que certains souhaitent poursuivre leurs études au sein d’une école d’ingénieurs et que d’autres ne manifestent pas le désir de rester.

La formation est primordiale pour nous permettre d’avoir une industrie forte en France. Il faut veiller à ne pas taxer l’apprentissage, qui est un vecteur important de développement. Malheureusement, à l’heure actuelle, les entreprises sont taxées sur les apprentis. Cela produit des conséquences très concrètes : mon boulanger me disait, la semaine dernière, qu’il ne pourrait garder que deux apprentis sur les trois qu’il emploie. Une entreprise comme TMMF continuera évidemment à recruter des apprentis mais il faut garder à l’esprit que la formation constitue un investissement : on crée de la richesse en développant l’apprentissage ou la formation. Nous disposons de très bonnes écoles, qu’il s’agisse de lycées ou d’universités. À Valenciennes, nous avons notre écosystème, constitué notamment par l’école d’ingénieurs Institut national des sciences appliquées (Insa) et l’Université polytechnique Hauts-de-France (UPHF). Nous travaillons aussi avec l’Institut catholique d’arts et métiers (Icam), à Lille.

M. le président Charles Rodwell. S’il y a bien une réforme que nous sommes fiers d’avoir mise en œuvre au cours des sept dernières années, c’est celle de l’apprentissage, qui a permis de passer de 250 000 à 1 million d’apprentis par an. À l’aune des recrutements que vous avez effectués, estimez-vous que cette réforme a été importante pour vos filières ? La réforme du lycée professionnel, que nous souhaitons engager, vous paraît-elle nécessaire ?

M. Rodolphe Delaunay. Il est difficile pour un jeune de savoir ce qu’il veut faire ; je crois qu’il doit avoir des rêves et être en mesure de les réaliser. Il n’y a rien de pire qu’un étudiant qui ne sait pas à quoi se destiner, voire qui est engagé dans une voie qui ne lui plaît pas, alors que les carrières professionnelles sont de plus en plus longues – c’est une situation destructrice de valeur. Je dis aux jeunes : ayez des rêves et vivez-les. Ils doivent les matérialiser avec leurs parents, leurs enseignants. Ils doivent se projeter à deux, trois ou cinq ans. À partir du moment où on sait ce qu’on veut faire, on peut s’épanouir dans le monde du travail.

M. Robert Le Bourgeois (RN). Lorsque vous vous êtes implantés, il y a une trentaine d’années, vous avez été parfaitement reçus et accompagnés. Si vous arriviez aujourd’hui en France, pensez-vous que vous bénéficieriez des mêmes aides et que vous rencontreriez le même succès ? Les choses se sont-elles complexifiées ?

M. Rodolphe Delaunay. Lorsque nous nous sommes implantés, ce n’était pas simple. Les 35 heures commençaient à être appliquées. Il fallait y croire ! Cela étant, si c’était à refaire, nous le referions de la même façon. Nous avons été bien reçus. La pédagogie a joué un rôle essentiel. Notre président est venu plusieurs fois. Il a rencontré tous les partenaires sociaux et les acteurs de l’automobile. Ce travail préparatoire était important. La force de Toyota est que nous sommes un groupe de processus : tout est rythmé par notre travail en équipes. Lorsque nous devons nous implanter sur des sites vierges ou greenfields, nous disposons déjà d’une structure globale. Nous referions donc les choses de la même façon, et je pense que nous rencontrerions le même succès.

Mme Sophie Glémet. À l’époque, l’Agence des investissements étrangers en France, dirigée par M. Tordjman, a joué un rôle important, à l’instar de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar). Nous avons toujours d’excellentes relations avec Business France et la direction générale des entreprises (DGE), qui nous consultent. Nous bénéficions d’un suivi constant.

M. Thierry Tesson (RN). Lorsque j’étais inspecteur d’académie, je travaillais, entre autres, dans le bassin de Valenciennes, où la question de la formation se posait de manière récurrente. J’ai observé, au cours des dernières années, un fort développement de l’apprentissage après des décennies d’atonie. Toutefois, on constate que de nombreux apprentis du niveau 5, équivalent à un CAP, ne terminent pas leur formation. Vous faites une description très positive des choses, historiquement, notamment de l’accompagnement dont vous avez bénéficié. Depuis le début de ces auditions, nous avons entendu des analystes et des entrepreneurs dresser des critiques à l’encontre du système de normes et de contraintes qui caractérise l’Europe et, singulièrement, la France. N’êtes-vous jamais confrontés à ce type de difficultés ?

M. Rodolphe Delaunay. On peut faire le choix de se plaindre et de regarder le train passer ou de prendre son destin en main et d’avancer. Tout n’est pas parfait : nous sommes confrontés aux mêmes problématiques que les autres entreprises. Toutefois, notre force vient de notre pragmatisme. Nous essayons de traiter les difficultés avec la plus grande réactivité possible, au bon niveau. Nous avons essuyé des vents contraires. Lorsque nous avons démarré l’hybride, en 1997, cela faisait rire tout le monde. Lorsque Toyota s’est implanté, personne n’y croyait : certains nous ont appelés « l’usine tournevis », pensant que nous allions percevoir les subventions avant de partir.

Nous sommes toujours là parce que nous sommes résilients, tout en restant humbles. Il n’en reste pas moins que nous sommes confrontés aux coûts, impôts, taxes et charges… Les salaires s’élèvent à un peu plus de 12 euros de l’heure en France, contre 2 euros en Turquie, par exemple. Il faut composer avec cela et rester compétitif en faisant différemment des autres. C’est le fruit d’une action globale. Nous sommes performants parce que nous avons des fournisseurs à proximité mais aussi parce qu’un grand nombre de nos pièces sont intégrées : ainsi fabriquons-nous nos pare-chocs avant et arrière, tout comme la planche de bord. Cela fait notre singularité.

Toutefois, rien n’est acquis. Il faut préparer l’avenir, ce qui implique d’avoir une vision de long terme.

M. Florian Aragon. La fiscalité fait partie des vents contraires que nous devons affronter, notamment dans le cadre de la transformation énergétique et technologique. À titre d’exemple, l’écoscore offre la possibilité au client de bénéficier d’un bonus sur l’achat d’un véhicule électrique en fonction du lieu où celui-ci a été produit. Nous comprenons évidemment l’intérêt de la mesure : comme je l’ai dit, le client est au centre de nos préoccupations et c’est en fonction de cet impératif que, depuis trente ans, nous implantons toutes nos installations au plus près de celui-ci. Nous produisons 80 % de nos modèles dans notre région mais, en règle générale, nous commençons par développer les produits au Japon avant de les exporter aux États-Unis, en Chine, en Europe ; nous installons la technologie avant de la démocratiser et de la faire entrer dans nos usines. Or, si un véhicule électrique est produit hors de l’Europe, il n’est pas éligible aux avantages de l’écoscore. Le client n’est donc pas incité à accomplir cette transition. Une loi rétroactive qui fait évoluer les avantages en nature du jour au lendemain n’incite pas non plus les entreprises à mettre à la route des véhicules fiscalement intéressants pour leurs employés. Nous demandons de la clarté, de la stabilité, des mesures incitant à la transition énergétique. Nous sommes satisfaits des succès que nous avons rencontrés mais nous devons nous assurer de la pérennité de l’entreprise. À cette fin, nous avons besoin de l’aide des gouvernements.

M. le président Charles Rodwell. Au cours des dernières années, on nous a reproché d’avoir baissé l’impôt sur les sociétés (IS) et les impôts de production, d’avoir maintenu le crédit d’impôt recherche à son niveau actuel, d’appliquer des crédits d’impôt, par le biais de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, à certains éléments qui touchent, pour une part, votre filière et enfin de pratiquer une fiscalité punitive à l’égard d’une partie des importations de véhicules électriques, notamment chinois, au travers de droits de douane de 10 % et d’une surtaxe qui s’échelonne, selon les constructeurs, entre 35 % et 45 %. Comment jugez-vous ces différentes décisions pour ce qui concerne votre activité ?

M. Florian Aragon. Nous sommes avant tout demandeurs d’une stabilité de la fiscalité et de dispositions marquées par une cohérence entre les échelons européen et français dans le domaine de la transition écologique. Ainsi, les normes européennes Cafe, qui impose un seuil d’émission de CO2 aux constructeurs et, en conséquence, la vente d’une certaine proportion de véhicules électriques, coexiste avec l’incitation fiscale française ; l’une et l’autre peuvent parfois être en adéquation. Pour progresser en matière de décarbonation du parc, il faut une fiscalité stable, qui indique au client la direction qu’il doit emprunter.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Parmi les freins à l’activité de nos industries, monsieur Delaunay, vous avez évoqué le prix de l’énergie. Comment Toyota a-t-il supporté la crise énergétique que nous avons connue ? Cette question est-elle pour vous une source de préoccupation ou disposez-vous de garanties auprès de vos fournisseurs de nature à stabiliser les tarifs à long terme ?

M. Rodolphe Delaunay. Au cours de cette période d’hyperinflation, le coût de l’énergie a été multiplié par trois, ce qui a nécessairement un impact sur le prix de nos véhicules. Si nous voulons parvenir à la souveraineté énergétique, nous devons être compétitifs et nous démarquer des autres pays en ayant une énergie moins chère. C’est important pour l’ensemble des entreprises industrielles, qui cherchent, par nature, à diminuer leurs coûts de production, dont l’énergie représente une part substantielle.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Nous sommes le pays européen où le coût de production de l’électricité est le moins élevé ; pourtant, nous nous privons de cet avantage compétitif du fait de l’indexation du prix de l’électricité sur celui du gaz à l’échelle européenne. Les pays d’Europe de l’Est, pour leur part, tirent avantage du coût de la main-d’œuvre. Si nous payions l’électricité à prix coûtant, dans le cadre d’une stabilité des tarifs permise par notre mix hydraulique et nucléaire, la France serait-elle l’eldorado de l’industrie en Europe ?

M. Rodolphe Delaunay. Si la France avait l’énergie la moins chère d’Europe, cela lui procurerait sans aucun doute un avantage compétitif.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Nourrissez-vous des inquiétudes à l’égard de la taxe carbone ou, autrement dit, du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui vise à taxer davantage les intrants comme l’acier, l’aluminium et les matières premières que les produits finis et semi-finis, lesquels constituent une concurrence déloyale aux produits fabriqués en Europe par les industriels ?

Mme Sophie Glémet. Nous menons actuellement une réflexion sur cette question importante ; nous avons des rendez-vous à ce sujet. Je vous propose que nous revenions vers vous ultérieurement sur ce point.

M. Frédéric Weber (RN). Le président de Toyota, Akio Toyoda, avait déclaré que le passage au tout-électrique n’était pas réaliste. Soucieux de défendre l’industrie de son pays, il s’opposait à cette idée au motif que des centaines de milliers d’emplois seraient supprimés au Japon à cause de la disparition du moteur thermique. Il plaidait pour une offre plus large incluant les véhicules hybrides.

Le calendrier du pacte vert pour l’Europe est-il selon vous en adéquation avec les aspirations des consommateurs ou faut-il le revoir ?

En ce qui concerne le microhybride, est-ce une solution vertueuse à développer ou déjà dépassée ?

M. Florian Aragon. L’échéance de 2035 est évidemment importante. Nous nous y préparons.

Le groupe Toyota et son président misent sur une stratégie multitechnologies, adaptée à la demande des clients. Nous sommes convaincus de la nécessité de la neutralité carbone mais nous doutons que le 100 % électrique soit la bonne solution pour y parvenir. Pour leur usage quotidien, certains clients auront besoin d’un véhicule électrique, d’autres d’un véhicule hydrogène. Vous devez voir rouler parmi les taxis à Paris des Mirai bleues – nous en avons déployé 800 avec tout l’écosystème nécessaire – car nous sommes persuadés que l’hydrogène répond parfaitement à la demande d’un taxi en ville. Il ne faut pas oublier le véhicule hybride qui répond aussi à un besoin des clients. L’hybride rechargeable est fortement pénalisé par la fiscalité mais la demande est bien réelle.

S’agissant du microhybride, il est difficile de vous répondre à ce stade. Je reviendrai vers vous ultérieurement. Notre stratégie repose aujourd’hui sur la technologie de l’hybride complet –  un gros moteur électrique et une batterie alliés au moteur essence. Cependant, notre gamme compte deux modèles microhybrides.

Mme Sophie Glémet. L’idée est de ne pas opposer les technologies – nous avons connu la compétition entre l’essence et le diesel, lequel représentait 60 % du marché – mais de mettre en avant les complémentarités.

Pour parcourir de la distance avec de la masse – les camions, les transports collectifs, les flottes captives – ou dans l’écosystème parisien, l’hydrogène a du sens. Nous essayons donc d’être présents sur ce segment. Le succès de l’hybride complet tient notamment au fait qu’avec une batterie de véhicule électrique, nous équipons quatre-vingt-dix véhicules, et que ladite batterie est pleinement utilisée, contrairement à certains véhicules électriques.

D’autres solutions, telles que le microhybride, le prolongateur d’autonomie ou range extender, sur lesquels les recherches se poursuivent, viendront compléter la palette.

M. Florian Aragon. L’hybride assure l’accessibilité à la décarbonation. L’ennemi de Toyota, c’est le carbone, pas les technologies.

M. Robert Le Bourgeois (RN). Votre entreprise est plutôt en bonne santé financière, donc peu menacée par la désindustrialisation.

Vous l’avez dit, la part des fournisseurs représente jusqu’à 80 % du coût d’un véhicule. Vous avez évidemment une responsabilité à l’égard des sous-traitants. Comment assurez-vous leur suivi pour prévenir leurs difficultés ? Y a-t-il une cartographie ? Offrez-vous un accompagnement particulier à ceux qui connaissent des difficultés financières ou stratégiques ?

M. Rodolphe Delaunay. Nous avons environ 200 fournisseurs et nous effectuons un monitorage de chacun d’eux. Pour nous, un fournisseur est un partenaire. Certains sont à nos côtés depuis le début.

On dit à nos fournisseurs : « mauvaise nouvelle d’abord ». En d’autres termes, ils doivent nous informer en premier des problèmes qu’ils rencontrent. Nous disposons d’équipes dédiées, au sein de la Toyota Production System (TPS) ou de mon usine, que nous pouvons envoyer sur place, pour les aider. Nous les accompagnons également en matière de ressources humaines, notamment lors des négociations annuelles obligatoires. Nous sommes très vigilants.

Le suivi est assuré par TMMF, d’un côté, et par les achats, de l’autre. Il donne lieu à des points réguliers. Nous travaillons vraiment en étroite collaboration.

M. Robert Le Bourgeois (RN). Avez-vous repéré des fragilités particulières chez certains sous-traitants et éventuellement une aggravation de celles-ci ?

M. Rodolphe Delaunay. Les fournisseurs de rang 1 souffrent mais ce ne sont pas les plus touchés.

Les difficultés concernent les fournisseurs de rang 2, 3 ou 4. Certains d’entre eux finissent de rembourser un prêt garanti par l’État (PGE). Ils se heurtent au manque de visibilité et parfois à l’absence de capacité à innover. Or nous sommes à la croisée des chemins. L’ennemi, c’est le carbone, tout le monde le dit. Chacun a engagé la transition vers l’électrique mais les volumes ne sont pour l’instant pas au rendez-vous. Certains se trouvent ainsi à court de trésorerie.

Je connais bien le sujet car je suis aussi le président de l’Association régionale de l’industrie automobile (Aria) des Hauts-de-France. L’industrie automobile compte 56 000 salariés et 400 entreprises dans la région.

Il faut absolument accompagner les sous-traitants. Cela nous prend du temps et de l’énergie mais cela nous évite des perturbations du flux de production ou de la qualité.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures quarante.


Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Emmanuel Fernandes, M. Alexandre Loubet, M. Pierre Pribetich, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber.