Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Table ronde, ouverte à la presse, relative au foncier industriel et réunissant

• M. Rollon Mouchel-Blaisot, préfet de la Somme, et M. François Noisette, ancien inspecteur général de l’environnement et du développement durable, chargés de la mission nationale de mobilisation pour le foncier industriel,

• M. Stéphane Raison, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, directeur en charge de l’installation de grands sites de consommation au sein d’EDF, ancien président d’Haropa Port et du Grand Port maritime de Dunkerque,

• M. Christophe Simonnet, directeur général de Faubourg Promotion (groupe IDEC), et Mme Delphine Laffay, directrice générale adjointe de la société Faubourg Aménagement (groupe IDEC)              2

– Présences en réunion................................23

 


Jeudi
10 avril 2025

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

 

M. le président Charles Rodwell. Dans le cadre d’une table ronde relative au foncier industriel, nous accueillons des membres de la mission nationale de mobilisation pour le foncier industriel, ayant rendu son rapport le 25 juillet 2023 : M. Rollon Mouchel-Blaisot, préfet de la Somme, et M. François Noisette, ancien inspecteur général de l’environnement et du développement durable, actuellement directeur de projet chez Kalutere-Polis. Nous recevons également M. Stéphane Raison, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, directeur en charge de l’installation de grands sites de consommation chez EDF, et ancien président d’Haropa Port et du Grand Port maritime de Dunkerque. Enfin, nous accueillons deux représentants du groupe IDEC, spécialistes de l’immobilier d’entreprise, de l’aménagement et de la promotion des parcs d’activité et logistique : M. Christophe Simonnet, directeur général de Faubourg Promotion, et Mme Delphine Laffay, directrice générale adjointe de Faubourg Aménagement.

Je vous rappelle l’obligation de nous déclarer tout intérêt public ou privé susceptible d’influencer vos déclarations. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

(M. Rollon Mouchel-Blaisot, M. François Noisette, M. Stéphane Raison, M. Christophe Simonnet et Mme Delphine Laffay prêtent serment.)

M. Rollon Mouchel-Blaisot, préfet de la Somme, chargé de la mission nationale de mobilisation pour le foncier industriel. Nous apprécions particulièrement l’attention que vous portez aux enjeux fonciers, que nous avons examinés avec François Noisette dans le cadre de notre mission. Notre tâche consistait à concilier réindustrialisation et sobriété foncière, dans le contexte des objectifs de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers établis par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et Résilience ». Le gouvernement nous a demandé d’objectiver les besoins en foncier industriel, démarche essentielle face aux débats parfois mal informés sur le sujet. Au niveau macro-économique la France n’a pas de problèmes de foncier.

Nos conclusions, fondées sur un scénario de croissance ambitieux de 2 % du PIB sur dix ans, indiquent un besoin de 20 000 à 25 000 hectares pour soutenir la réindustrialisation. Ce chiffre est relativement modeste comparé à d’autres secteurs comme le résidentiel, qui consomme environ 60 % du foncier.

Pour répondre à ces besoins, nous préconisons d’abord l’utilisation du foncier existant. La France dispose en effet de 170 000 hectares de friches et de nombreuses zones économiques et industrielles sous-densifiées. Nos visites dans divers bassins industriels ont révélé un potentiel de densification de 20 à 30 % dans de nombreuses villes moyennes. De plus, la tendance à la compacité des implantations industrielles libère du foncier pour de nouveaux projets. Nous estimons pouvoir répondre à la majorité des demandes en utilisant des surfaces déjà artificialisées. Néanmoins, environ 8 000 à 10 000 hectares d’artificialisation nouvelle seront probablement nécessaires, ce qui impliquera des choix politiques.

Si nous n’avons pas de problème macro-économique de foncier, des défis micro‑économiques persistent. Les terrains disponibles ne correspondent en effet pas toujours aux souhaits d’implantation des entreprises et d’autres contraintes peuvent intervenir comme l’installation sur les sites Seveso. Notre conviction est que le problème n’est pas quantitatif mais qualitatif. La qualité du foncier, sa maîtrise, et son adéquation avec les besoins en énergie, en eau, en numérique, et en main-d’œuvre sont cruciales. Un terrain n’a de valeur que s’il possède les attributs recherchés par les entreprises. De plus, le foncier est une matière vivante. Le stock de friches évolue constamment, avec des reconversions et de nouvelles créations. Nous devons raisonner en flux plutôt qu’en stock, notamment concernant les zones commerciales périphériques, dont la France détient le record européen.

Nos recommandations incluent la préparation d’une dizaine de très grands terrains, tout en reconnaissant que 85 % des besoins fonciers concernent des surfaces inférieures à un hectare. Nous soulignons également l’importance d’améliorer la connaissance précise du foncier disponible et de fluidifier les interactions entre tous les acteurs impliqués, des intercommunalités aux opérateurs et experts.

En conclusion, notre analyse démontre que la France dispose du potentiel foncier nécessaire à sa réindustrialisation. Les défis résident dans l’optimisation de l’utilisation de ce foncier et dans l’amélioration de sa qualité et de son adéquation aux besoins industriels.

La question du zéro artificialisation nette (ZAN) se pose avec acuité. Nous avons proposé d’adapter sa gestion dans les territoires industriels en adoptant une approche consolidée. Celle-ci ne se limite pas aux terrains à artificialiser pour accueillir de nouvelles entreprises, mais englobe également les besoins en logements et en équipements publics liés à l’augmentation de la population. J’ai préconisé l’utilisation d’outils existants pour établir un consensus local, tout en reconnaissant que certaines zones peuvent être prioritaires en raison de leurs enjeux industriels spécifiques.

De plus, la maîtrise foncière s’avère cruciale. Nous avons constaté de nombreux phénomènes spéculatifs sur le foncier, ce qui soulève deux aspects importants. D’une part, il est nécessaire d’assurer une certaine maîtrise publique du foncier pour permettre aux collectivités locales de conserver un droit de regard sur l’évolution du bassin industriel. D’autre part, il convient d’explorer de nouveaux modèles de gestion du foncier, tels que les baux emphytéotiques ou les occupations temporaires, pour s’adapter aux besoins évolutifs des industriels qui ne souhaitent pas nécessairement acquérir les terrains.

Enfin, l’anticipation et l’efficacité administrative sont primordiales. Notre pays doit se doter d’une stratégie foncière permanente, impliquant tous les acteurs, notamment les collectivités locales. Il est essentiel de reconstituer les stocks de terrains utilisés et d’anticiper les besoins à moyen et long terme, tout en résolvant les problématiques à court terme pour certains projets industriels.

Concernant l’efficacité administrative, la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, appliquée seulement depuis peu, montre déjà son importance. Dans le cadre de projets d’implantation, il est crucial que l’ensemble des acteurs (État, régions, intercommunalités, acteurs économiques) anticipent les besoins et s’engagent auprès des investisseurs. Nous devons être en mesure de leur présenter clairement les procédures, les critères et les délais, avec un engagement formel des autorités compétentes. Cette approche vise à « dérisquer » les projets et à éviter les mauvaises surprises.

Un point crucial, souvent perçu comme un frein potentiel, concerne la compensation environnementale. Nous avons suggéré de réformer les sites naturels de compensation, permettant ainsi aux porteurs de projets de s’acquitter de leurs obligations sur des sites prédéterminés. L’enjeu pour un investisseur n’est pas tant le principe de la compensation que la prévisibilité du processus. Notre objectif est de réduire l’incertitude qui peut dissuader les investissements.

M. Stéphane Raison, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, directeur en charge de l’installation de grands sites de consommation au sein d’EDF, ancien président d’Haropa Port et du Grand port maritime de Dunkerque. Mon parcours de quinze ans dans l’aménagement portuaire m’a conduit à des conclusions significatives concernant l’implantation industrielle. J’ai débuté à Dunkerque en 2009, en pleine crise mondiale, en tant que directeur général adjoint et directeur de l’aménagement. La situation était critique : toutes les filières industrielles étaient à l’arrêt, y compris la sidérurgie, et l’usine d’aspartame subissait une forte concurrence internationale. Cette période coïncidait avec la seconde réforme portuaire – inscrite dans la loi du 4 juillet 2008 après la réforme des dockers du 9 juin 1992 – et instaurait une nouvelle gouvernance et organisation, ainsi que l’élaboration des premiers projets stratégiques des ports.

Cette programmation à long terme a permis aux ports de structurer leur approche de l’aménagement, mettant en lumière l’importance cruciale de l’anticipation. À Dunkerque, avec un domaine portuaire d’environ 7 000 hectares, nous avons décidé de planifier la création de zones d’activité industrielles sur 300 hectares, soit environ 10 % du foncier disponible. Parallèlement, nous avons élaboré un document cadre à long terme pour la compensation environnementale des opérations industrielles, appelé schéma directeur du patrimoine naturel (SDPN), validé à l’unanimité par les deux commissions du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) en 2011.

Après un passage à La Réunion pour la réforme de son port en 2012, je suis revenu à Dunkerque en 2014, en tant que directeur général, lorsque Patrice Vergriete devient maire de Dunkerque. Nous avons alors lancé les états généraux de l’emploi local pour définir une stratégie de réindustrialisation acceptée par le territoire. Deux facteurs clés ont émergé : le délai de mise sur le marché (DMT) ou time to market (TTM), imposant des délais d’investissement courts, généralement de deux à trois ans au maximum, et la capacité d’accueil des territoires, c’est-à-dire détenir les ressources en eau, en énergie suffisantes pour attirer de nouvelles industries. Entre 2011 et 2016, nous avons obtenu les autorisations administratives pour nos zones d’activité, incluant les compensations environnementales. Les travaux ont été achevés entre 2018 et 2020, dix ans après le lancement du projet stratégique. Cette planification à long terme et la mise en place des infrastructures nécessaires, notamment en eau industrielle et en électricité – avec notamment un nouveau transformateur électrique cofinancé par Dunkerque-Port, Enedis et RTE –, ont permis l’implantation d’usines de batteries et d’autres industries comme SNF Floerger, le deuxième chimiste français, ainsi que des entreprises agro-alimentaires.

Cette expérience démontre l’importance de la préparation du foncier et des infrastructures pour attirer les investissements industriels. Cette idée avait été introduite lors de la loi du 19 juin 1965 sur les ports maritimes autonomes. Le terrain appartenait au Grand port maritime (GPM) et il a été préparé pour accueillir des activités industrielles. Entre 2020 et 2024, les mêmes principes ont été appliqués lorsque le gouvernement de Jean Castex me charge de la réforme des ports du Havre et de la Seine : se concentrer sur la compensation environnementale, l’identification des utilités et du foncier. Entre janvier 2021, moment où je saisis RTE pour le renforcement du Havre et de Port-Jérôme-sur-Seine avec un doublement de la ligne de 400 000 volts et mon départ en octobre 2024, cette approche a permis d’annoncer l’arrivée de trois nouveaux grands industriels sur la zone du Havre, seulement trois ans après le début du projet.

L’acceptabilité industrielle représente un facteur déterminant dans les circonscriptions portuaires. Des territoires comme Dunkerque ou Le Havre, forts de leur histoire industrielle, offrent un terrain propice à l’implantation d’industries décarbonées, contribuant ainsi à la transformation des principaux sites émetteurs de CO2.

Aujourd’hui, chez EDF, nous poursuivons cette approche. En tant que troisième propriétaire foncier de France avec 45 000 hectares, EDF dispose de friches industrielles bien connectées aux réseaux de transport et aux postes de transformation à forte puissance. Nous participons à l’effort gouvernemental en mettant ces terrains à disposition pour attirer de nouveaux industriels dans des écosystèmes favorables, contribuant ainsi à la compétitivité de l’industrie française.

M. Christophe Simonnet, directeur général de Faubourg Promotion. Le groupe IDEC, peu connu mais actif sur des projets à Dunkerque et Fos, est un opérateur immobilier global et familial. Nous sommes cinq associés, avec le CIC comme partenaire bancaire au capital. Le groupe compte environ 600 collaborateurs et prévoit un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros.

IDEC se compose de plusieurs branches d’activité. Initialement constructeurs de bâtiments d’activité et d’immobilier d’entreprise en région Centre, nous avons élargi notre champ d’action. Nous avons créé une branche foncière pour investir au nom de clients ne souhaitant pas immobiliser leurs capitaux dans l’immobilier. Cette branche s’est étendue avec la création d’un fonds d’investissement dédié aux start-ups, visant à les accompagner dans leur développement.

Parmi les entreprises que nous soutenons figure Verkor, dont nous sommes l’un des fondateurs. Notre implantation à Grenoble et à Chambéry a facilité notre engagement initial auprès d’eux, aboutissant à leur décision d’implanter leur giga-usine ou gigafactory à Dunkerque. Nous sommes également actionnaires de Gravity, une gigafactory qui prévoit à Fos une opération de 2 milliards d’euros sur 67 hectares. Notre participation au capital d’InnoEnergy nous permet d’identifier et d’accompagner des start-ups industrielles prometteuses, telles qu’HoloSolis à Sarreguemines et Heliup, cette dernière étant spécialisée dans les panneaux solaires ultralégers.

La troisième branche d’IDEC se concentre sur la promotion et l’aménagement. Nous collaborons avec les collectivités pour développer les territoires et mener des activités de promotion immobilière dans divers secteurs : industriel, logistique, tertiaire, services et résidentiel. Notre portefeuille foncier actuel s’élève à 600 hectares. Mme Delphine Laffay, directrice générale adjointe de la société Faubourg Aménagement, s’occupe spécifiquement de cette branche.

IDEC Énergie, notre quatrième branche, se positionne comme installateur, producteur et investisseur dans les systèmes énergétiques, principalement solaires, mais aussi éoliens et géothermiques. Nous soutenons également des start-ups spécialisées dans ces domaines.

Enfin, nous développons nos activités à l’international, particulièrement en Europe du Sud – Espagne, Italie, Portugal – et en Asie – notamment au Vietnam – pour diversifier nos opérations et poursuivre nos activités d’entrepôts logistiques, devenues plus complexes en France.

L’implantation de Verkor à Dunkerque résulte de notre capacité à accompagner les start-ups financièrement, dans leur recherche foncière et dans leur construction. Étant donné qu’une gigafactory mesure a minima 50 hectares, il est difficile de trouver des espaces prêts à accueillir une industrie. Le port de Dunkerque s’est distingué par son anticipation et sa préparation, offrant les infrastructures et les utilités nécessaires, facteurs déterminants pour une implantation rapide, cruciale pour les industriels. De même, à Fos-sur-Mer, notre acquisition de 250 hectares, majoritairement propriété du GPM de Marseille, et notre anticipation des études environnementales, comme le diagnostic quatre saisons qui dure un an, nous ont permis d’attirer deux gigafactories. Cette approche proactive, bien que coûteuse, s’avère décisive pour répondre aux besoins urgents des industriels, contrairement au GPM de Marseille, qui n’avait pas anticipé ces demandes malgré son vaste foncier.

En conclusion, notre stratégie d’anticipation et de préparation des terrains, malgré les coûts initiaux, s’est révélée être un atout majeur pour attirer et faciliter l’implantation rapide d’industries innovantes.

M. François Noisette. Il est crucial que les propriétaires et les collectivités s’alignent dans le cadre d’un accord pour optimiser les procédures. Nous disposons désormais d’outils contractuels permettant de mener ces procédures en parallèle, plutôt que de les enchaîner séquentiellement. La clé réside dans l’établissement d’une confiance politique solide entre les élus, l’industriel, et l’ensemble des parties prenantes, y compris les fournisseurs d’utilités et les associations environnementales.

Il est tout à fait envisageable de conclure des accords de compensation, à condition qu’ils soient élaborés en collaboration avec les associations concernées pour garantir leur validité et leur acceptation. Certaines régions ont déjà mis en place avec succès de tels accords.

Néanmoins, des points faibles subsistent dans la législation et les pratiques actuelles. Prenons l’exemple des compensations environnementales : un aménageur ne peut actuellement pas prendre d’engagements de compensation qui s’appliqueraient aux futurs permis de construire. Cette situation peut engendrer des complications lorsqu’un industriel souhaite modifier l’agencement d’un terrain déjà préparé. Il est impératif que l’industriel soit prêt à adapter son projet, à condition que cela n’entraîne pas de délais supplémentaires.

La législation actuelle impose de recommencer toute la procédure environnementale au moment du permis de construire, ce qui constitue un obstacle. Nous devrions envisager d’autoriser un aménageur à s’engager sur l’emplacement et la surface maximale d’un bâtiment, tout en reconnaissant l’impact inévitable sur la biodiversité à cet endroit précis. Cette approche permettrait d’améliorer l’efficacité du processus sans compromettre ni l’environnement ni la compétitivité.

M. Rollon Mouchel-Blaisot. Une préconisation majeure, qui concerne autant le législateur que le pouvoir réglementaire, et que tous les industriels ont soulignée, porte sur l’instabilité des règles. Nous proposons d’instaurer une période de stabilité réglementaire de cinq ans à partir de l’obtention d’une autorisation. Si le projet économique ne se concrétise pas dans ce délai, une réévaluation serait alors envisagée. Cette mesure apporterait une sécurité cruciale pour les investisseurs.

Concernant la préservation des zonages industriels, nous recommandons une plus grande précision dans les documents d’urbanisme. Il est préférable de définir clairement des zones industrielles plutôt que des zones d’activité économique plus générales, où il peut y avoir du commerce, des activités tertiaires, etc. Cette approche permet non seulement de maîtriser les coûts, mais aussi de limiter la spéculation foncière.

Mon expérience dans la Somme m’a montré que les projets industriels évoluent souvent considérablement au cours du dialogue avec l’État, les collectivités et les opérateurs locaux. Prenons l’exemple du projet d’usine Verkor, annoncé lors du sommet Choose France 2024, représentant un investissement de 1,3 milliard d’euros. Bien que le processus industriel ne soit pas encore finalisé, nous observons une véritable co-construction entre l’entreprise et l’ensemble des acteurs locaux. Cette approche collaborative nécessite de la part de l’administration et des collectivités à la fois de la directivité et de la flexibilité, car nous travaillons souvent sur plusieurs scénarios simultanément.

Enfin, concernant la logistique, nos travaux se sont davantage concentrés sur la logistique industrielle que sur la logistique de distribution de produits importés. Notre objectif est de favoriser la reconquête de la capacité productive française. Nous avons constaté que l’administration et les collectivités sont souvent confrontées à des intermédiaires ou des brokers, ce qui complique parfois l’identification des véritables porteurs de projets.

M. le président Charles Rodwell. Messieurs Mouchel-Blaisot et Noisette, quel bilan tirez-vous des dispositions de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, notamment concernant la parallélisation des procédures d’implantation industrielle ? Estimez-vous que vos préconisations ont été correctement mises en œuvre ?

Monsieur Raison, pourriez-vous nous éclairer sur les mécanismes de compensation environnementale et leur optimisation ? Par ailleurs, dans vos fonctions actuelles, comment abordez-vous la question de l’approvisionnement en électricité des sites industriels potentiels ? Je pense notamment à des sites comme Châteauroux, où 300 hectares restent inexploités faute d’infrastructures électriques adéquates. Pouvez-vous nous présenter le calendrier de RTE sur ces questions ?

Monsieur Simonnet et Madame Lafay, concernant les sites « clés en main », les critères actuels sont-ils suffisamment adaptés ? La révision des critères pour les sites France 2030 a-t-elle permis d’atteindre une crédibilité suffisante en termes de délais pour les porteurs de projets industriels souhaitant s’implanter en France ?

M. Rollon Mouchel-Blaisot. L’application de la loi Industrie verte n’est effective que depuis six mois. Dans mon département, nous nous préparons à la mettre en œuvre sur d’importants projets à venir, bien que nous n’ayons pas encore de retour d’expérience complet sur l’ensemble du processus. Il est cependant certain que cette loi permet de réduire les délais. Elle s’applique principalement aux projets d’envergure nécessitant une autorisation environnementale, et non aux simples déclarations. Des avancées significatives sont également constatées concernant la loi sur l’eau.

Nous expérimentons actuellement cette nouvelle approche sur des projets ambitieux, comme l’usine d’engrais bas carbone que vous avez mentionnée. Nous mettons en place le processus d’industrie verte, qui permet de réduire la phase de vérification de la complétude et de la régularité du dossier. Contrairement à l’approche administrative traditionnelle, nous adoptons désormais une démarche davantage parallèle et itérative, permettant d’initier le travail sans attendre la constitution d’un dossier exhaustif.

La loi introduit également la possibilité d’un avis informel. Les industriels, et d’autres acteurs, peuvent ainsi solliciter l’administration pour obtenir une indication préalable sur sa position concernant certains aspects de leur projet. Cette procédure s’inscrit dans une logique d’accompagnement, sans préjuger de l’avis final.

Enfin, il est désormais possible de mener simultanément la concertation et l’approfondissement du dossier. L’objectif de réduire les délais jusqu’à 12 ou 6 mois est ambitieux mais réalisable. La réussite de ces nouvelles procédures dépend largement de la qualité du dossier déposé initialement. Les services de l’État, bien que bienveillants et facilitateurs, sont souvent confrontés à des dossiers de qualité inégale, pour rester diplomatique. C’est pourquoi la phase d’accompagnement en amont est cruciale.

Nous sommes confrontés à un problème de compétence des bureaux d’études. Face à la complexité croissante des législations, tous ne sont pas en mesure de produire des dossiers à la hauteur des exigences. Je suggère personnellement la mise en place d’un système d’agrément ou de labellisation, similaire à celui existant pour les artisans du bâtiment. Cela permettrait de gagner du temps et d’assurer un meilleur accompagnement des porteurs de projets.

Il est également impératif de renforcer les compétences des services de l’État. Après quatre décennies de désindustrialisation, nous avons perdu une partie de notre expertise. Dans de nombreux domaines, nous n’avons même plus la capacité d’être maître d’ouvrage. C’est pourquoi, avec François Noisette, nous avons préconisé dans notre rapport que l’ensemble de la haute fonction publique soit formé non seulement à la transition écologique, mais aussi à la réindustrialisation.

M. François Noisette. En complément, il est essentiel que l’industriel, les collectivités, l’État et les différents partenaires s’engagent véritablement dans une dynamique de projet pour faire avancer les choses. Cette dynamique et la confiance qui s’établit entre les partenaires permettent également d’évaluer la détermination de l’industriel à mener son projet à terme. Il arrive parfois qu’un industriel hésite à investir 20 000 euros pour une enquête sur un projet de 1 milliard d’euros, ce qui n’est pas sérieux. J’ai personnellement été témoin de telles situations.

M. Stéphane Raison. Il m’est difficile de répondre spécifiquement sur la situation de Châteauroux en raison de la séparation entre EDF et le transporteur RTE. Nous ne sommes pas habilités à influencer les décisions de RTE ni les conditions de raccordement. Néanmoins, je souhaite vous apporter quelques éléments sur le positionnement de la France en matière d’approvisionnement électrique.

L’année dernière, la France a établi un record historique en exportant 89 TWh d’électricité, ce qui équivaut à la consommation de la Belgique. Cette production a été principalement exportée vers l’Italie (52 TWh), l’Allemagne (28 TWh), et l’Espagne (8 TWh en solde net d’exportation). En termes d’intensité carbone, l’électricité française se distingue avec seulement 33 grammes d’équivalent CO2 par kWh, contre 295 pour l’Italie, 333 pour l’Allemagne et 125 pour l’Espagne. Concernant les prix, au 7 avril, le mégawatt-heure (MWh) se négociait à 63 euros en France, 100 euros en Italie, 82 euros en Allemagne et 60 euros en Espagne.

La question de la capacité d’accueil et de la desserte électrique d’une zone est cruciale pour l’implantation de nouvelles industries, comme nous l’avons constaté avec les centres de données ou data centers. Les 35 sites labellisés, annoncés par le président de la République lors du sommet de l’intelligence artificielle de février, ont été sélectionnés notamment pour leurs caractéristiques favorables en termes de desserte électrique. EDF a participé à ce travail en collaboration avec RTE pour identifier les terrains les plus appropriés pour accueillir des projets de data centers à forte puissance, en utilisant notamment nos 45 000 hectares de foncier disponible.

Dès mon arrivée chez EDF, nous avons immédiatement cherché à optimiser notre foncier pour répondre aux besoins urgents des opérateurs en développement, où le time to market est resserré. Nous avons ainsi analysé notre base foncière de 45 000 hectares selon 45 critères distincts, couvrant notamment l’urbanisme, l’environnement et le raccordement électrique. Notre priorité a été de favoriser la réutilisation des friches industrielles, sujet qui nous occupe aujourd’hui. Nous nous efforçons de transformer d’anciennes centrales thermiques en nouveaux outils industriels au service de la France. Cette démarche se poursuit activement, notamment sur un de nos sites à fort potentiel électrique, actuellement en phase de manifestation d’intérêt.

La réindustrialisation que nous menons implique de nombreux projets énergivores : usines d’électrocarburants, de batteries, data centers, etc. L’électricité constitue l’enjeu central de cette bataille, sans oublier l’importance de l’eau dans certains bassins contraints. La capacité d’exportation quotidienne de 14 gigawatts de la France vers ses voisins représente un atout majeur pour la relocalisation industrielle.

Concernant la compensation environnementale imposée par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de la faune et de la flore sauvages dite « directive Habitats », je suggère une modification permettant d’étaler les mesures compensatoires sur le moyen terme, plutôt que de les exiger intégralement au moment de la réalisation du projet. Cette flexibilité faciliterait grandement la mise en œuvre des projets industriels.

Un autre point crucial concerne la directive européenne du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Les investisseurs internationaux, lorsqu’ils envisagent une implantation en Europe, considèrent généralement une zone englobant les Pays-Bas, la France, la Belgique et l’Allemagne. Proposer des plateformes industrielles déjà aménagées, comme ce fut le cas pour Verkor à Dunkerque en 2020, constitue un avantage décisif. Cela offre aux industriels un site prêt à l’emploi, avec des procédures achevées, des utilités en place, une accessibilité optimale et une acceptabilité territoriale établie. Une légère modification de cette directive, permettant de préparer ces plateformes sans les lier à un usage industriel spécifique, accélérerait considérablement l’implantation d’entreprises. Une fois l’infrastructure de base en place, les procédures d’instruction pour les projets spécifiques s’en trouveraient grandement simplifiées.

M. François Noisette. Pour préciser le point évoqué précédemment, il s’agit bien de la discussion sur la notion de projet au sens de la directive, afin de clarifier pour les personnes moins familières avec ces aspects procéduraux.

M. Christophe Simonnet. Concernant les sites « clés en main », l’analyse et le référencement effectués s’avèrent effectivement plus détaillés et complets, ce qui est plutôt favorable. Cependant, certains aspects moins maîtrisables soulèvent des interrogations quant au déroulement du projet. La mise en place d’un comité de pilotage constitue un excellent outil, particulièrement lorsqu’il est présidé par le sous-préfet ou le préfet local, comme nous le pratiquons fréquemment, notamment sur Fos.

Néanmoins, nous rencontrons des difficultés, notamment sur les questions d’évitement, de réduction et de compensation. Bien que les sites « clés en main » soient considérés comme constructibles, nous constatons la présence d’espèces protégées sur pratiquement tous les sites en France, quelle que soit leur taille. Lors du dépôt de nos dossiers, nous éprouvons des difficultés à rencontrer les services instructeurs en amont, particulièrement des organismes comme le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), avant ou pendant l’instruction. Cette situation engendre des complications pour l’ensemble des industriels. La possibilité de les rencontrer, de discuter de nos opérations et de co-construire les projets avec eux me semble cruciale pour trouver les meilleures solutions.

Un autre problème concerne la répétition des procédures et des enquêtes publiques pour les sites « clés en main ». Nous nous retrouvons parfois à redéposer des dossiers déjà traités dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté (ZAC), puis à nouveau pour chaque permis de construire successif. Cette redondance allonge considérablement les délais. Il serait judicieux, une fois qu’une zone a été désignée pour une activité spécifique et a fait l’objet d’une enquête publique préliminaire, d’éviter la multiplication systématique des enquêtes publiques pour chaque nouveau projet, ce qui ralentit significativement le processus et peut décourager les industriels.

Enfin, certaines autorisations administratives, telles que les permis de construire ou les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ne sont toujours pas soumises à des délais d’instruction définis. L’absence de ces échéances pour l’examen de nos dossiers par certains services peut entraîner des retards importants, risquant de faire perdre des opportunités avec des industriels ou des clients potentiels. Il est crucial d’adresser ces problématiques procédurales pour améliorer l’efficacité de nos démarches.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Tout d’abord, je m’adresse à monsieur Noisette et à monsieur le préfet : quel regard portez-vous sur la ZAN et sur son évolution à travers la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, dite « proposition de loi Trace », adoptée par le Sénat le 18 mars 2025 ? Comment percevez-vous cette évolution ?

Par ailleurs, une question complémentaire, principalement destinée à monsieur Noisette, faisant suite à un point évoqué par le président. Vous avez mentionné dans votre intervention liminaire la nécessité de paralléliser certaines procédures. La loi Industrie verte a effectivement permis de paralléliser les procédures administratives avec les procédures de consultation du public, permettant ainsi un gain de temps estimé à près de huit mois. Concrètement, quels autres types de procédures pourraient être parallélisés pour optimiser davantage les délais, au-delà de la concertation nécessaire que vous avez évoquée ?

M. Rollon Mouchel-Blaisot. En tant que représentant de l’État, il ne m’appartient pas de commenter le débat parlementaire en cours sur les différentes propositions de loi, dont certaines s’inspirent d’ailleurs de notre contribution. Néanmoins, je peux souligner que, si les enjeux macro-économiques ne posent pas de difficultés majeures, nous rencontrons de nombreux défis à l’échelle micro-économique. Nous avons parfois regretté une application trop uniforme des dispositifs, ne tenant pas suffisamment compte des spécificités territoriales. Certains territoires ont fait preuve d’une grande vertu dans la décennie précédente, tandis que d’autres ont été moins exemplaires. De plus, les réalités démographiques et les besoins futurs varient considérablement d’une région à l’autre, tout comme les perspectives de développement industriel.

En tant que praticien de terrain, je déplore parfois le manque de flexibilité et l’insuffisance du dialogue avec les collectivités locales concernées pour ajuster les « allocations » en fonction des réalités territoriales. Cependant, ayant eu l’honneur de piloter pendant cinq ans la politique prioritaire du gouvernement Action Cœur de Ville, visant à revitaliser nos villes moyennes et à lutter contre l’étalement urbain, j’ai pu constater que nos approches en matière d’aménagement urbain restent parfois obsolètes. Il est frappant de constater, par exemple, l’absence de corrélation entre l’étalement urbain et l’évolution démographique.

Concernant spécifiquement le foncier industriel, nous avons élaboré dans la Somme une feuille de route départementale, co-construite avec l’ensemble des acteurs locaux, établissant un diagnostic partagé et des orientations communes. Cette démarche collaborative, tout en respectant l’autonomie de chacun, s’est avérée particulièrement fructueuse.

En tant que représentant de l’État, je préconise une approche beaucoup plus frugale, non seulement dans nos projets d’aménagement, mais aussi dans notre consommation foncière. La Somme, deuxième surface agricole utile du pays, possède parmi les meilleures terres agricoles de France. Il est impératif de réfléchir à deux fois avant de les sacrifier. Ce discours trouve un écho de plus en plus favorable dans les territoires. Nous assistons à une multiplication des projets de reconversion de friches, que ce soit pour de nouvelles activités économiques ou pour la construction de logements.

Si je devais formuler une recommandation générale, tout en garantissant une application loyale des décisions du législateur, ce serait d’accorder davantage de souplesse aux territoires. Cela, tout en maintenant l’objectif global qui n’est nullement incompatible avec le développement urbain et industriel. Cette approche nous oblige, chacun dans nos fonctions, à établir des priorités claires. Le ZAN ne constitue pas un frein au développement ou à l’aménagement, mais il nous contraint collectivement à faire des choix. En ce qui nous concerne, convaincus que c’est l’avenir du pays, nous considérons que le foncier industriel doit être prioritaire dans les choix d’artificialisation.

M. François Noisette. Concernant les procédures complémentaires à optimiser, il est crucial d’effectuer, dès le démarrage d’un projet, un inventaire exhaustif et minutieux de tous les aspects qui devront être traités à un moment ou à un autre.

J’ai en mémoire un projet, certes non industriel, où des problématiques de sécurité publique ont émergé tardivement. La discussion préalable avec les services de police pour anticiper leurs besoins, comme un espace de stationnement pour quelques véhicules lors d’événements particuliers, s’est avérée complexe mais nécessaire.

Dans un autre cas, sur un site comportant plusieurs installations classées Seveso, un industriel a découvert tardivement un problème de sécurité incendie avec une installation voisine existante. Cette découverte a entraîné un investissement imprévu de dix millions d’euros pour la construction d’un mur de séparation renforcé entre les deux sites. Bien que le coût financier n’ait pas représenté le problème principal, le délai supplémentaire de trois mois engendré par cette modification a constitué un véritable défi. Une anticipation de cette problématique aurait permis une meilleure gestion du projet, tant en termes de coûts que de délais.

Il est également crucial d’anticiper les questions liées aux plans de circulation. Ces derniers ne peuvent être modifiés rapidement, et leur inadéquation peut entraîner des répercussions importantes, notamment sur l’accès des services de secours. La présence d’établissements sensibles à proximité, comme une école, ou des contraintes d’accès préexistantes doivent être prises en compte dès le début du projet.

L’expérience montre que lorsque ces questions sont anticipées, elles trouvent généralement des solutions satisfaisantes. Les parties prenantes ne sont pas opposées par principe aux investissements bénéfiques pour le territoire. Les difficultés surgissent lorsque ces aspects sont découverts tardivement, sans qu’une réflexion préalable n’ait été menée sur les compensations ou les adaptations nécessaires.

En somme, il n’existe pas de liste exhaustive prédéfinie, mais plutôt une nécessité impérieuse d’effectuer un inventaire complet avec l’ensemble des partenaires concernés. Cette démarche permet d’identifier et de résoudre en amont les potentielles difficultés, évitant ainsi des complications de dernière minute qui peuvent s’avérer coûteuses en temps et en ressources.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Monsieur Simonnet, vous avez mentionné que parmi les autorisations déposées auprès de l’administration, toutes n’étaient pas synchronisées. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les autorisations en question ?

Plus généralement, en tant qu’accompagnateur des entreprises et des acteurs économiques dans leur recherche de foncier, quel est votre avis sur les différents portails existants ? Je pense notamment au portail du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et à celui réalisé par la Banque des territoires. La Cour des comptes a soulevé la question de la pertinence de ces outils. Quelle est votre évaluation de l’efficacité de ces dispositifs en matière de référencement des friches pour les acteurs économiques souhaitant s’implanter ?

Mme Delphine Laffay, directrice générale adjointe de Faubourg Aménagement. Notre approche dans l’évaluation d’un site, qu’il s’agisse d’une friche industrielle ou d’un nouveau terrain, s’inscrit dans une démarche d’anticipation proactive. Notre objectif est de nous positionner en amont du développement foncier, plutôt que de simplement réagir à une demande existante. Nous analysons les sites selon diverses échelles, car notre ambition va au-delà de la simple création de gigafactories. La réindustrialisation de la France nécessite une offre foncière diversifiée, adaptable à différents besoins industriels.

Plusieurs critères sont déterminants dans notre sélection de sites. L’approvisionnement en électricité, tant en termes de puissance que de décarbonation, est primordial. Nous évaluons également les ressources en eau, l’état et l’adaptabilité des infrastructures existantes, ainsi que la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée ou facilement formable. Notre processus d’évaluation initiale s’étend sur une année, incluant des études saisonnières complètes et des analyses de trafic. Nous examinons aussi l’environnement immédiat du site pour anticiper d’éventuelles complexités.

L’engagement précoce avec les services de l’État est crucial, mais il doit être judicieusement programmé. Nous organisons des réunions de pré-cadrage dès que nous disposons d’éléments substantiels, afin d’identifier et de résoudre conjointement les principales contraintes. Cette approche collaborative se concrétise par la mise en place de comités de pilotage.

Nous constatons parfois des divergences entre la planification territoriale et les aspirations locales en matière de développement industriel. Notre démarche vise à obtenir l’adhésion de toutes les parties prenantes (État, élus, agglomérations, régions) pour définir les meilleurs outils de mise en compatibilité des documents d’urbanisme.

Toutes les friches industrielles ne sont pas nécessairement destinées à une reconversion économique. Certains sites peuvent révéler une biodiversité inattendue qu’il convient de préserver. Nous devons faire preuve de maturité dans notre approche et reconnaître que parfois, la meilleure option est de laisser un site évoluer naturellement. Il est essentiel de ne pas considérer systématiquement les friches comme seules sources de sites « clés en main ». Cette réflexion s’inscrit dans une démarche d’évitement, de réduction et de compensation des impacts environnementaux. Les élus doivent parfois « faire le deuil » quant à la non reconversion d’un site pour l’emploi ou pour l’habitat, par pur opportunisme, puisque certaines friches sont parfois situées à un endroit éloigné des flux routiers.

Dans le cadre de notre processus de pré-cadrage, nous cherchons à déterminer rapidement la nécessité ou non d’obtenir une dérogation pour la sauvegarde des espèces protégées. Notre objectif est de concilier le développement industriel avec un aménagement végétal qualitatif, tout en anticipant les exigences réglementaires. Cette approche proactive vise à simplifier les procédures ultérieures, notamment en ce qui concerne la démonstration de l’intérêt public majeur et l’absence de solutions alternatives.

Nous rencontrons parfois des difficultés liées aux avis consultatifs émis hors du champ d’application spécifique de certains organismes. Ces avis peuvent influencer indûment la consultation publique ou ajouter des contraintes supplémentaires non justifiées. Notre préoccupation est d’intégrer tous ces éléments au bon moment du processus, en tenant compte de la notion de projet au sens de l’évaluation environnementale.

Enfin, une approche équilibrée dans la gestion des projets multi-acteurs sur un même site s’impose. Il est crucial d’éviter les ralentissements dus à une vision trop globale qui pourrait retarder le développement de projets individuels en attente d’une évaluation complète des impacts cumulés.

M. Christophe Simonnet. Permettez-moi d’illustrer quelques points de simplification nécessaires dans nos procédures actuelles. Premièrement, lors d’un porté à connaissance sur un dossier d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), aucun délai n’est prescrit pour son instruction. Deuxièmement, pour le dépôt d’un dossier en enregistrement, il n’existe pas de délai de recevabilité défini. Troisièmement, il arrive fréquemment que les services instructeurs, notamment de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), décident après plusieurs mois d’instruction qu’un dossier initialement déposé en enregistrement doit basculer en autorisation. Cette situation est particulièrement problématique, car elle n’est pas prévisible au moment du dépôt initial, malgré l’expertise des bureaux d’études impliqués. L’industriel se trouve ainsi confronté à un changement de procédure inattendu après une période d’instruction déjà conséquente.

M. le président Charles Rodwell. Cette situation explique effectivement l’absence de durée de recevabilité que vous avez mentionnée précédemment.

M. Christophe Simonnet. Le problème ne tient pas à l’absence de durée de recevabilité, mais plutôt à un changement parallèle du régime d’instruction des dossiers au niveau des ICPE. La conséquence directe de ces modifications est un allongement systématique des délais, ce qui s’avère particulièrement difficile à justifier auprès de nos industriels. Nous nous trouvons dans une situation où nous leur expliquons initialement la procédure d’enregistrement de leur dossier, pour ensuite, trois mois plus tard, les informer d’un basculement vers une procédure d’autorisation, sans réelle explication sur l’origine de ce changement. Cette complexité et cette imprévisibilité peuvent décourager les investisseurs. À titre d’exemple, l’industriel Bridor, pour lequel nous devions construire une importante usine, a finalement décidé d’investir ailleurs en Europe, suite à ces complications.

M. le président Charles Rodwell. Cet exemple constitue un cas d’école emblématique de la non-acceptabilité de certains projets en région Bretagne. Il met en lumière l’instrumentalisation de ces situations par des associations dont les motivations sont toujours présentées comme légitimes.

M. Christophe Simonnet. Un exemple récent souligne les difficultés liées aux délais de procédure et aux instructions. Dans le cadre d’une de nos opérations majeures, portant sur l’aménagement d’un foncier de près de 50 hectares destiné à accueillir divers actifs, nous avons reçu deux avis défavorables du CNPN. Cette situation rejoint mes précédentes remarques concernant la difficulté de dialoguer avec certaines instances. Face à ces deux avis défavorables du CNPN, bien que consultatifs, le préfet se trouve dans une position délicate pour lancer l’enquête publique relative au permis d’aménager. Pendant ce temps, les industriels, confrontés à ces incertitudes et ces délais, sont contraints d’explorer d’autres options.

La gestion et l’explication de ces situations s’avèrent particulièrement complexes. Les opérations d’aménagement s’inscrivent dans des temporalités longues, et lorsque nos instructions se heurtent à des avis défavorables sans possibilité de dialogue avec les émetteurs de ces avis, nous nous trouvons dans une impasse. Cette situation affecte en premier lieu les élus locaux, et c’est à eux que s’adresse cette problématique.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Monsieur le préfet, pourriez-vous nous éclairer, du point de vue de l’administration, sur les raisons de ces délais excessifs pour des procédures qui ne sont pourtant soumises à aucune contrainte temporelle réglementaire ?

M. Rollon Mouchel-Blaisot. Monsieur le député, vous n’êtes pas sans savoir que les politiques publiques sont souvent confrontées à des injonctions contradictoires que nous devons arbitrer au quotidien. Nous sommes face à l’impératif de construire davantage tout en préservant les espaces concernés par ces projets. Cette dualité fait partie intégrante des contraintes que nous devons gérer. Je comprends parfaitement les difficultés évoquées précédemment, et j’en ai une preuve flagrante : la totalité de nos décisions fait l’objet de contentieux, ce qui soulève également des questions sur la formulation de nos lois et règlements.

Prenons l’exemple du secteur de l’énergie, notamment les éoliennes. Il arrive que le juge administratif, saisi en cour administrative d’appel en plein contentieux, ordonne l’autorisation d’un projet initialement refusé par le préfet, et ce malgré les avis défavorables des services de l’État, y compris patrimoniaux. Le préfet se voit alors contraint d’autoriser le projet sous peine d’astreinte. Cette confusion des responsabilités, résultant de la rédaction actuelle des lois, contribue à l’incertitude des porteurs de projets quant aux instances décisionnaires.

Je n’ai pas intégré le service public il y a plus de quarante ans pour me consacrer exclusivement au contentieux. Mes collaborateurs au sein de la préfecture et des services de l’État ont pour mission d’assister nos concitoyens et les entreprises, non de passer leurs journées à rédiger des mémoires en défense. Bien que nous devions assumer la responsabilité de nos actes, il me semble que nous avons peut-être excessivement dessaisi l’autorité administrative de certaines responsabilités.

Par ailleurs, la multiplication des agences et autorités au sein même de l’État contribue à ralentir les processus d’avis et de décision. Ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’ingénierie, tant auprès du préfet que des collectivités locales et des porteurs de projets. Il serait judicieux de réduire le nombre d’agents dédiés uniquement au contrôle procédural au profit d’une ingénierie renforcée dans nos services déconcentrés, capable d’accompagner et de faciliter les projets.

Concernant votre suggestion, je l’ai mise en œuvre dans le cadre d’un grand chantier en France, le canal Seine-Nord Europe, pour lequel je suis le préfet coordonnateur de l’autorisation environnementale. J’ai réussi à limiter le document-cadre à 300 pages, ce qui représente déjà un effort considérable pour un projet de cette envergure.

M. le président Charles Rodwell. Effectivement, 300 pages pour l’ensemble du projet représentent une prouesse remarquable.

M. Rollon Mouchel-Blaisot. Il s’agit du document-cadre pour ce qui est considéré comme le chantier du demi-siècle en France dans ce domaine. Bien que peu médiatisé, ce projet revêt une importance capitale. Il est vrai qu’à l’époque de Freycinet, la construction de canaux était probablement plus rapide, notre réglementation actuelle n’étant pas toujours adaptée à des chantiers d’une telle ampleur. D’ailleurs, pour certains projets d’envergure, des lois d’exception sont parfois nécessaires.

Dans le cadre du canal Seine-Nord Europe, j’anime une équipe regroupant les services de l’État et la société du canal. Nous recevons chaque mois plusieurs dizaines de « porter à connaissance », reflétant l’avancement des travaux. Nous nous apprêtons à signer une charte lors du prochain comité de pilotage, dans laquelle nous nous engageons à répondre, en principe sous un mois, à l’ensemble de ces portées à connaissance. Cela représente un travail colossal pour les services instructeurs, mais je comprends parfaitement le besoin de visibilité des opérateurs économiques.

Notre objectif est de traiter rapidement les portées à connaissance ne posant pas de problème particulier et d’informer promptement les porteurs de projet en cas de difficultés anticipées. Bien que ce projet ne concerne pas directement le foncier industriel, il impliquera la création de zones industrielles. Nous établissons donc conjointement des règles visant à garantir un délai de réponse maximal pour chaque portée à connaissance. L’ampleur du travail administratif est considérable, mais cette approche nous permet d’offrir plus de prévisibilité et d’efficacité dans le traitement des dossiers.

M. François Noisette. De nombreuses procédures administratives ne sont actuellement soumises à aucun délai légal, notamment les dérogations pour les espèces protégées et les dossiers ICPE. Cette situation engendre des incertitudes considérables pour les porteurs de projets. Par ailleurs, l’attitude des services administratifs joue un rôle crucial dans le traitement des dossiers. Prenons l’exemple des questions liées à la sécurité incendie, qui sont normalement encadrées par le permis de construire. Pour un industriel, l’enjeu majeur réside dans l’élaboration, en amont, de mesures potentiellement dérogatoires ou adaptées à la spécificité de son processus industriel. L’efficacité de cette démarche dépend grandement de l’interlocuteur au sein des services d’incendie et de secours. Dans certains cas, un travail collaboratif permet de finaliser le dossier en deux mois, avec un engagement du service à le réexaminer lors des demandes de permis et d’autorisation ICPE. Dans d’autres situations, ce dialogue s’avère plus complexe. Cette problématique concerne aussi bien les industries que les équipements publics, et ce dans de nombreux domaines. Il s’agit d’un sujet particulièrement sensible car il touche à la sécurité publique, dépassant le cadre strict de l’environnement. Les services d’incendie et de secours portent des responsabilités considérables, impliquant des enjeux de vies humaines. Néanmoins, cette situation génère actuellement de nombreuses incertitudes et des délais importants pour de multiples projets.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Monsieur Raison, permettez-moi de m’écarter brièvement de la question du foncier, sujet que nous n’avons malheureusement pas pu traiter de manière exhaustive dans le cadre de cette commission d’enquête. J’aimerais aborder la question des infrastructures. En tant qu’ancien directeur du port de Dunkerque, comment expliquez-vous l’absence de ports français parmi les dix premiers ports à conteneurs européens ?

M. Stéphane Raison. La France bénéficie d’une géographie exceptionnelle pour le transport maritime, avec des ports comme Dunkerque, Le Havre et Marseille offrant des qualités nautiques comparables à celles de nos grands voisins européens, notamment Anvers et Rotterdam. Cependant, plusieurs facteurs expliquent notre retard dans le domaine des conteneurs.

Toutefois, les investissements français dans les infrastructures portuaires ont été tardifs et d’une ampleur moindre par rapport à nos concurrents. Par exemple, Rotterdam a investi 5 milliards d’euros dans le terminal Maasvlakte, offrant une capacité qui dépasse les 15 millions d’équivalents vingt pieds, bien au-delà des capacités du Havre ou de Marseille. Les investissements français, comme Port 2000 au Havre, livré en 2006, ou Fos 2XL à Marseille, sont restés de taille modeste en comparaison.

De plus, la situation géographique des ports français les désavantage en termes d’accès aux principaux bassins de consommation et de production européens. À l’exception de la région parisienne, l’accès à la « banane bleue » industrielle allemande est plus aisé via Rotterdam ou Anvers. Les connexions multimodales, notamment ferroviaires, ont longtemps fait défaut pour relier efficacement nos ports à ces zones économiques majeures.

Par ailleurs, les délais de réalisation des projets d’infrastructure en France sont considérables. À titre d’exemple, le débat public sur l’extension des bassins à Dunkerque, lancé en 2017, prévoit des travaux pour 2029, soit douze ans plus tard. De même, les retombées industrielles significatives des investissements portuaires peuvent prendre des décennies à se concrétiser, comme l’illustre l’annonce récente de MSC d’investir 1 milliard d’euros au Havre, seize ans après la livraison de Port 2000.

Enfin, je souligne l’importance cruciale de l’industrie pour le développement portuaire. Un port ne peut prospérer sans un écosystème industriel fort. La transformation des marchandises sur place génère de la valeur ajoutée et crée de l’emploi. C’est un élément clé de la réussite d’Anvers, deuxième pôle ou cluster chimique mondial. En France, nous manquons de ces écosystèmes industriels portuaires, notamment en raison de l’absence d’infrastructures essentielles comme des réseaux privés d’hydrogène ou d’eau industrielle, qui constituent la base des places de marché industrielles performantes.

Pour redresser la situation, il est impératif d’accélérer la réindustrialisation de nos zones portuaires en créant ces places de marché industrielles, en s’appuyant sur nos atouts géographiques et en investissant massivement dans des infrastructures modernes et des connexions multimodales efficaces.

M. le président Charles Rodwell. Le rôle de la Commission nationale du débat public (CNDP) dans l’implantation industrielle fait actuellement débat. Certains proposent de la rendre optionnelle pour les projets industriels, laissant le choix aux élus ou aux porteurs de projets d’organiser une concertation. D’autres suggèrent sa suppression pure et simple, notamment pour des raisons d’économie. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Ensuite, pensez-vous que le dispositif France Expérimentation offre aujourd’hui un cadre juridique suffisamment solide pour créer des conditions spécifiques adaptées à certaines implantations confrontées à des défis particuliers ? Je pense par exemple à l’entreprise Novo Nordisk qui, au cours de ses extensions successives à Chartres, a fait appel à ce type d’expérimentation pour surmonter les difficultés locales.

Enfin, les DREAL et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) disposent d’une autorité au niveau régional, avec un rattachement hiérarchique à leur ministère de tutelle au niveau central. Cette structure crée parfois un manque de clarté dans la chaîne de commandement, notamment vis-à-vis des autorités préfectorales départementales et régionales. Estimez-vous nécessaire de clarifier, par voie législative ou réglementaire, l’autorité du préfet sur l’ensemble des directions déconcentrées de l’État, y compris les DRAC et les DREAL ? L’objectif serait d’aligner l’action de ces administrations sous l’autorité du préfet pour faciliter les projets d’implantation.

M. Rollon Mouchel-Blaisot. L’utilisation de la CNDP pour certains grands projets dans la Somme s’avère bénéfique lorsqu’elle est mise en œuvre précocement. Loin d’être un facteur de retard, elle permet de présenter les projets de manière objective et potentiellement de les délimiter plus efficacement. Cette approche est particulièrement pertinente pour des projets d’envergure, comme en témoigne notre récente conférence de presse sur un projet de giga-usine de batteries. Malgré une communication préalable extensive impliquant les autorités régionales et locales, l’engagement d’une concertation objective sous l’égide de la CNDP apporte un élément rassurant supplémentaire. L’intégration de cette démarche dès le début, notamment pour des projets s’étalant sur plusieurs années en raison de leur complexité intrinsèque et non des procédures administratives, ne constitue pas un frein. Au contraire, elle vient consolider le projet.

Quant à France Expérimentation, que je connais peu, je préconiserais plutôt un renforcement de France Simplification, initiative lancée le 28 octobre 2024 par le Premier ministre Michel Barnier. J’ai d’ailleurs mis en place une démarche similaire au niveau départemental, Somme Simplification, offrant aux élus locaux une procédure de recours auprès du préfet.

La possibilité de saisir France Simplification, sous l’autorité du cabinet du Premier ministre qui coordonne l’ensemble des ministères, est particulièrement intéressante. J’ai personnellement fait appel à ce dispositif il y a quelques mois pour tenter de résoudre des problématiques réglementaires industrielles complexes, en forçant des arbitrages interministériels et la recherche de solutions concrètes. Il serait judicieux d’amplifier et, si je puis dire, d’« industrialiser » ce processus de simplification.

Concernant l’autorité des préfets, des travaux sont en cours sous l’égide du ministère de l’intérieur et du Premier ministre pour renforcer la capacité d’animation des services de l’État. Nous n’éprouvons pas de difficultés à collaborer avec les services de la DRAC et de la DREAL. Lors de dossiers importants, ces services interviennent dans les départements pour apporter leur expertise. Il est crucial de renforcer ce pilotage des politiques publiques sous l’autorité du préfet, qui doit en assumer la responsabilité.

Cependant, comme je l’ai souligné précédemment, le véritable problème réside dans la création de structures autonomes qui revendiquent une indépendance et adoptent une posture d’inspecteurs des travaux finis. Cette approche est particulièrement problématique pour ceux qui sont en première ligne.

M. François Noisette. La CNDP introduit une instance de médiation essentielle pour les projets complexes, simplement en raison de leur envergure. Cette médiation impose un travail approfondi sur le vocabulaire, une explication détaillée du projet et une écoute attentive des objections. La CNDP dispose d’experts hautement qualifiés dans ce domaine. Ces professionnels facilitent l’émergence du compromis nécessaire, car tout projet finit par être un compromis entre divers enjeux parfois contradictoires.

L’intervention d’un médiateur, agissant comme caisse de résonance de ce travail préparatoire, s’avère véritablement utile. J’ai pu observer des médiateurs exiger des réponses précises à certaines questions, qu’elles concernent des aspects industriels ou administratifs, afin de pouvoir répondre efficacement aux interrogations soulevées. Cette démarche apporte une réelle clarté au processus.

M. Stéphane Raison. Fort d’une longue expérience en matière de débat public, je ne me prononcerai pas sur les débats d’infrastructure. En revanche, je souhaite aborder la récente consultation sur la suppression de la ligne « industrie » dans l’article R. 121-2 du code de l’environnement, concernant les projets entre 300 et 600 millions d’euros.

Prenons l’exemple d’une usine d’électrocarburants dans un port, produisant 30 000 tonnes de carburant aérien durable ou sustainable aviation fuel (SAF). Un tel projet, nécessitant un investissement d’un milliard d’euros, déclencherait automatiquement un débat public. Pourtant, il n’occuperait que 12 hectares sur une zone industrielle de 10 000 hectares, dans un environnement déjà entièrement dédié à l’industrie.

Par ailleurs, je me souviens qu’en 2018, à Dunkerque, nous avons tenté d’attirer le projet d’usine Tesla, finalement implanté à Berlin. L’unique préoccupation de l’industriel était le facteur temps, ce que j’appelle le délai de mise sur le marché (DMT) ou time to market (TTM). Lorsque nous avons évoqué la nécessité d’un an de débat public pour une usine à 3 milliards d’euros, ils ont immédiatement abandonné le projet. Bien que nous puissions aujourd’hui nous estimer chanceux de ne pas l’avoir obtenu, cet exemple illustre l’importance cruciale du temps dans les décisions industrielles.

Concernant l’expérimentation, je rejoins entièrement les propos de monsieur le préfet sur la nécessité de simplification. Il est impératif de simplifier nos processus et de disposer d’instances capables de répondre efficacement à ce besoin de simplification. Nous revenons toujours à cette notion de temps industriel, qui me semble fondamentale.

M. Christophe Simonnet. Concernant nos opérations de développement, tant sur nos propres terrains que sur ceux adjacents du Grand Port maritime de Marseille, plusieurs industriels sont soumis à la procédure de la CNDP. Nous comptons cinq ou six projets concernés, chacun nécessitant des commissions hebdomadaires qui mobilisent l’ensemble des acteurs, parfois avec des temporalités légèrement décalées.

Notre réflexion porte sur la possibilité de rationaliser ce processus. Ne pourrait-on pas réduire le nombre de commissions par opération, voire en mutualiser certaines ? Nous constatons que de nombreuses questions sont récurrentes et pourraient être traitées collectivement pour l’ensemble des porteurs de projets. Pour autant, nous partageons l’avis général sur l’utilité de la CNDP en tant qu’instance d’arbitrage capable de peser le pour et le contre de ces opérations. Notre position est de maintenir cette commission, tout en cherchant à la simplifier et à la mutualiser lorsque plusieurs projets se développent sur un même territoire.

Quant aux procédures France Expérimentation et France Simplification, nous ne sommes malheureusement pas familiers de ces dispositifs.

Un cas concret illustre les défis auxquels nous sommes confrontés en termes de cumul de procédures et de contraintes de délai. Nous avons acquis un terrain, ancienne base militaire, nécessitant une dépollution pyrotechnique. Pour des raisons de délai, nous nous sommes engagés à prendre en charge cette dépollution sur une profondeur de 2.5 mètres. Cependant, l’instruction de notre dossier exige un diagnostic archéologique préventif avant la dépollution pyrotechnique. Cette séquence nous impose des délais supplémentaires considérables, sans parler des coûts additionnels. Paradoxalement, si nous découvrions des vestiges archéologiques lors de la dépollution pyrotechnique, cela serait traité dans le même temps. Or la procédure actuelle nous oblige à commencer par l’archéologie, puis à procéder à la dépollution pyrotechnique, ce qui soulève des questions de sécurité et d’efficacité.

Mme Delphine Laffay. Dans la gestion de sites industriels, nous sommes confrontés à plusieurs défis majeurs. La coordination entre les opérations de dépollution pyrotechnique et les fouilles archéologiques s’avère complexe. Bien que nous ayons proposé de mener ces activités en parallèle pour des raisons de sécurité évidentes, liées à la présence réelle d’explosifs, les services compétents ont insisté pour que l’archéologie précède notre intervention. Cette situation illustre la nécessité de mutualiser ces démarches pour optimiser les processus.

De plus, nos actions sont fortement contraintes par les autorisations administratives, notamment les dérogations relatives aux espèces protégées. Ces contraintes temporelles réduisent considérablement notre fenêtre d’intervention, souvent limitée à quelques mois par an. Cette accumulation de délais et de coûts successifs impacte négativement l’attractivité de nos sites, dissuadant parfois les industriels de s’y implanter en raison des incertitudes persistantes.

Concernant la CNDP, nous reconnaissons l’importance de ces échanges pour communiquer sur les projets futurs. Cependant, il convient de souligner que les industriels, en phase de conception de leurs projets, ne disposent pas toujours de toutes les informations relatives aux risques, impacts et effets cumulés. Ces éléments nécessitent un temps d’élaboration et de concertation avec les services de l’État avant d’être présentés au public.

Par ailleurs, nous constatons des divergences entre le code de l’urbanisme et le code de l’environnement, notamment en ce qui concerne la densification des projets. Alors que nous cherchons à optimiser l’utilisation de l’espace par une construction plus verticale, les contraintes environnementales nous obligent souvent à nous étaler horizontalement.

Dans un scénario idéal, nous préconiserions une rationalisation des procédures de consultation publique. Si une phase préalable approfondie est menée, il serait judicieux de reconsidérer la nécessité de multiplier les enquêtes publiques et les participations électroniques lors des étapes ultérieures du projet. Cette simplification permettrait d’éviter la confusion du public face à la multiplicité des consultations et renforcerait la clarté du processus décisionnel. Notre objectif est d’améliorer la lisibilité des procédures pour le public, en favorisant son rôle d’accompagnateur plutôt que de frein au développement des projets industriels.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Il apparaît clairement que l’anticipation, l’accélération et la simplification sont des axes majeurs d’amélioration. Le dispositif site « clés en main » semble prometteur et mériterait d’être étendu pour faciliter l’implantation rapide de projets industriels.

Concernant les terrains ne relevant pas de ce dispositif, j’aimerais recueillir votre opinion sur une proposition qui gagne en popularité : qualifier de « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) tout projet industriel créateur d’emplois significatifs s’implantant sur une friche. Cette qualification permettrait de bénéficier du régime dérogatoire au principe de protection des espèces et de l’habitat. Bien entendu, des possibilités de recours subsisteraient, reconnaissant que toutes les friches ne sont pas nécessairement adaptées à l’accueil d’usines, notamment en milieu urbain. J’ajoute que cette qualification serait soumise à deux conditions essentielles : la reconnaissance du caractère d’intérêt public majeur et l’impératif d’un terrain public majeur. Quelle est votre position sur cette proposition ?

M. Rollon Mouchel-Blaisot. Le témoignage d’IDEC souligne l’importance de dépasser le simple pouvoir de dérogation du préfet pour aller vers une modification du droit commun dans certains cas. Concernant le rôle des préfets, je suggère qu’ils soient chargés de déterminer la procédure la plus adaptée pour atteindre les objectifs des différentes priorités publiques. Il est crucial de passer d’une culture de la procédure à une culture du résultat, en confiant aux préfets le pouvoir d’adapter les méthodes sans négliger les objectifs industriels, environnementaux, économiques ou urbanistiques.

Il est également essentiel d’adopter une approche équitable pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Nous devons veiller à ce que nos lois, procédures et postures administratives accordent la même attention à la PME locale souhaitant s’agrandir qu’à un projet de grande envergure.

La maîtrise foncière est un élément clé qui nécessite des moyens d’intervention adéquats, tels que les établissements publics fonciers (EPF) ou d’autres outils similaires. Le fonds Friches, bien que récent, apparaît comme une évidence dans ce contexte. Ces dispositifs sont essentiels pour faciliter le développement industriel tout en préservant nos objectifs environnementaux et sociaux.

Nous avons estimé les besoins de réhabilitation à 2 000 hectares de friches industrielles. Il est impératif de maintenir les moyens du fonds friches ou des dispositifs équivalents, ainsi que les moyens de décarbonation. Actuellement, certains projets risquent d’être suspendus ou ralentis, notamment dans l’industrie verrière ou dans les sucreries. Ces investissements colossaux peuvent conférer à nos industries un avantage en termes d’attractivité et de compétitivité, mais cela nécessite un soutien public conséquent et durable.

Nous avons également identifié un besoin crucial d’ingénierie. Il est essentiel de réduire les procédures superflues et de renforcer l’accompagnement en ingénierie auprès des décideurs. Une logique d’aménagement du territoire s’impose. Lors de nos visites avec François Noisette, j’ai été particulièrement frappé par certains constats, qui font écho à mon expérience antérieure dans le milieu territorial. Nous devons rester vigilants. Certes, la stratégie avant-gardiste des ports qui ont anticipé le développement de leur foncier est louable. Cependant, toutes les entreprises n’ont pas vocation à s’implanter dans une enceinte portuaire. Pour éviter un nouveau déménagement industriel en France, il est crucial d’exploiter les nombreuses friches disponibles dans des régions comme le Grand Est. Néanmoins, la réindustrialisation doit concerner une grande diversité de territoires dans notre pays, au-delà de quelques niches ou filières spécifiques. Nous sommes donc confrontés à un véritable enjeu d’aménagement du territoire. Sans une attention particulière, nous risquons un second déménagement industriel.

Il est impératif d’élaborer une stratégie nationale pérenne. C’est ce que nous nous efforçons de démontrer, tout en insistant sur une mise en œuvre totalement décentralisée et déconcentrée. Pour conclure sur ce point, je tiens à souligner un message essentiel : il serait désastreux d’interrompre l’effort engagé. Au contraire, nous devons le poursuivre, l’intensifier et nous fixer des objectifs à moyen et long terme.

M. François Noisette. Concernant les projets prioritaires à l’international, si les obstacles se limitent aux questions d’espèces protégées, il convient de rappeler que vous avez récemment voté un article dispensant certains projets de la procédure de dérogation, sous réserve d’un examen approprié des mesures de compensation. Cet outil législatif offre désormais la possibilité d’avancer sur ces dossiers. Bien que le dispositif RIIPM traite également d’autres aspects, il est crucial de ne pas confondre les enjeux.

Des améliorations restent nécessaires, notamment pour éviter la renégociation systématique des mesures à chaque permis de construire lorsque l’aménageur a déjà géré ces questions en amont. Il est contre-productif de multiplier les commissions de la SNDP sur un même site, aboutissant inévitablement à des recommandations divergentes. Nous sommes confrontés à un réel problème de mutualisation, tant dans la durée que dans l’espace, particulièrement lorsque plusieurs grands projets coexistent sur un même territoire.

Il est impératif de rationaliser les procédures. Les citoyens aspirent à une cohérence globale et ne souhaitent pas multiplier les réunions pour chaque projet industriel distinct. De même, les associations environnementales préfèrent une approche holistique plutôt que des discussions fragmentées sur des problématiques similaires avec différents interlocuteurs.

La préservation de la nature exige une vision d’ensemble, tout comme les questions d’emploi et de formation. Il serait inefficace de traiter la formation séparément pour chaque industriel. C’est à l’échelle du bassin d’emploi que nous devons travailler, sous l’égide des collectivités locales, de la région, de l’intercommunalité, de l’éducation nationale et des acteurs de la formation professionnelle, trop souvent négligés dans ces projets. À titre d’exemple, dans la zone d’Ambert, nous avons constaté la fermeture de nombreuses filières de formation industrielle, malgré un passé industriel riche. Il est urgent de réactiver ces formations, d’autant plus que les infrastructures existent encore, bien que menacées de fermeture.

M. Stéphane Raison. Le dispositif de RIIPM s’avère être un outil efficace dans un contexte de compétition internationale, particulièrement lorsqu’il s’agit de déterminer l’implantation d’un projet pour un marché spécifique. Cet atout est d’autant plus significatif dans un pays comme le nôtre, où 95 % de l’électricité est décarbonée, ce qui constitue un avantage majeur dans la décarbonation mondiale.

J’insiste sur l’importance cruciale de la planification, notamment en ce qui concerne la capacité d’accueil des territoires. Il est essentiel de reconnaître que tous les territoires français ne disposent pas des mêmes potentialités. Chaque territoire présente des caractéristiques et des dominantes spécifiques. Certains peuvent accueillir certaines filières, d’autres non. Malheureusement, l’absence de planification adéquate nous prive d’une vision claire des possibilités d’accueil de chaque territoire.

Il serait judicieux de réévaluer la capacité d’accueil des 183 Territoires d’industrie en France. Cette démarche permettrait de gagner un temps précieux et d’éviter des coûts échoués en matière de réseaux et d’utilités. Il est irréaliste d’envisager de fournir un gigawatt de puissance électrique partout en France, car cela nécessiterait des centaines de milliards d’euros d’investissements. Une approche sélective s’impose, basée sur un diagnostic approfondi, afin d’identifier les territoires où nous pouvons agir rapidement et efficacement.

Mme Delphine Laffay. Nous reconnaissons l’intérêt de cette approche, mais il est crucial de ne pas négliger les petits industriels et les activités de moindre envergure. Adoptons une vision plus large, car ce sont ces acteurs qui constituent majoritairement le tissu économique français. Ils ont des besoins d’extension et doivent rester à proximité de leurs sources d’approvisionnement et de leurs clients. Il est impératif qu’ils bénéficient également de simplifications administratives et d’une sécurité juridique dans leur développement. Nous devons penser globalement et inclusivement, sans nous limiter à une approche uniforme.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges si vous le souhaitez, en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en adressant les documents que vous jugerez utiles au secrétariat de la commission d’enquête.

La séance s’achève à seize heures quarante.

 


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell