Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Andriès, directeur général de Safran, et Mme Suzanne Kucharekova, directrice des affaires publiques 2
– Présences en réunion................................19
Lundi
14 avril 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 24
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures trente.
M. le président Charles Rodwell. Nous reprenons nos auditions en entendant le directeur général et la directrice des affaires publiques de Safran.
Monsieur Andriès, après une première carrière au sein de l’administration, vous êtes entré dans l’industrie chez Lagardère et Airbus, puis vous avez gravi les marches au sein de Safran, grand groupe industriel et technologique français présent dans les domaines de l’aéronautique, de l’espace et de la défense. Vous êtes également président du conseil d’administration de l’École nationale supérieure des mines de Paris.
Vous êtes accompagné de Mme Suzanne Kucharekova, directrice des affaires publiques de Safran.
Je vous remercie de déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Olivier Andriès et Mme Suzanne Kucharekova prêtent successivement serment.)
M. Olivier Andriès, directeur général de Safran. Safran est un chef de file ou leader mondial, reconnu dans les domaines de l’aéronautique, de la défense et de l’espace, et plus particulièrement de la propulsion aéronautique et des équipements – notamment les équipements critiques pour la sécurité des vols, comme les trains d’atterrissage, les nacelles d’avions et les systèmes électriques, mais aussi les intérieurs d’avions, en particulier les sièges, et les équipements de défense. Dans le domaine spatial, notre filiale commune avec Airbus, ArianeGroup, réalise à la fois les fusées Ariane, dont Ariane 6, et des systèmes pour la force de dissuasion nucléaire, notamment des missiles balistiques.
Dans chacun de nos domaines d’activité, nous sommes soit le numéro 1, soit le numéro 2 mondial. Cette position est le fruit de l’histoire.
Puisque l’on parle de réindustrialisation, j’aimerais revenir sur une étape fondamentale pour le groupe Safran, qui s’appelait alors Snecma : la signature, en 1974, d’un partenariat avec l’américain General Electric (GE), pour nous lancer dans les moteurs d’avions civils. Nous avons fêté le cinquantième anniversaire de ce partenariat l’an dernier.
À l’époque, la Snecma était une société détenue par l’État, qui faisait principalement des moteurs d’avions militaires – ceux des avions de combat de Dassault. La vision du directeur général de l’époque, partagée par le gouvernement et par le président de la République Georges Pompidou, était que pour se développer, il fallait absolument que la Snecma entre dans les moteurs d’avions civils. Airbus démarrait tout juste. Il n’était pas encore ce qu’il est devenu, et les grands avionneurs étaient américains : Boeing, Lockheed et Douglas. Il fallait donc s’allier avec un partenaire américain. Alors qu’il subissait quelques oppositions, ce projet de partenariat est remonté au niveau des présidents Richard Nixon et Georges Pompidou, qui ont décidé de le lancer à l’occasion du sommet de Reykjavik. Nous sommes donc le fruit de la politique menée à l’époque par Georges Pompidou. C’est un élément de fierté, qui montre que les positions se construisent dans la durée.
Ce partenariat nous a permis de développer un moteur en rupture, d’abord pour Boeing qui a été le premier à nous faire confiance. Airbus n’est venu qu’après, des années plus tard, quand il a lancé l’A320 avec un moteur CFM – du nom du partenariat que nous avions noué avec GE. Nous sommes ainsi devenus leader mondial des moteurs d’avions, en ayant l’honneur de motoriser à la fois des avions Airbus et Boeing.
Nous couvrons 70 % du marché mondial des moteurs d’avions moyen-courrier, lesquels représentent environ 80 % des avions commerciaux livrés.
Nous avons reproduit ce succès dans les années 2010, en lançant un successeur au moteur de l’époque. Ce successeur, le moteur Leap, motorise les Boeing 737 Max en simple source et l’A320neo, offert avec deux moteurs et pour lequel nous détenons 60 % de part de marché chez Airbus. Nous avons par ailleurs100 % de part de marché chez Boeing. Nous avons également été retenus par l’avionneur chinois Comac.
Le mouvement audacieux opéré il y a cinquante ans a donc fait ce que nous sommes.
Par ailleurs, la position que nous avons acquise dans les moteurs a permis à la Snecma de consolider autour d’elle un certain nombre d’acteurs français dans le domaine des équipements aéronautiques qui, à un moment ou l’autre de leur histoire, étaient potentiellement en difficulté. Nous avons ainsi consolidé autour de nous des sociétés aussi prestigieuses que Labinal, Turbomeca, leader mondial des moteurs d’hélicoptères situé à Pau et bien connu de notre premier ministre, mais aussi Sagem – Safran est d’ailleurs le fruit de la fusion de la Snecma et de Sagem, qui nous a permis d’entrer dans le domaine de la défense et des équipements de défense – et Zodiac, qui est la dernière grande acquisition que nous avons faite, il y a sept ans.
C’est aussi ce qui explique notre présence géographique sur le territoire métropolitain, où nous avons quatre-vingts sites de production. Nous sommes présents dans toutes les régions métropolitaines, et le premier employeur industriel dans une vingtaine de départements. Nous faisons vivre de nombreux bassins d’emploi, comme Pau où nous employons près de 3 000 personnes, Montluçon dans l’Allier, Issoudun dans l’Indre ou Fougères aux marges de la Bretagne.
Nous réalisons 90 % de notre chiffre d’affaires à l’export, et 50 % de nos effectifs ainsi que 90 % de nos activités de recherche et de technologie sont en France. Nous sommes un groupe international, qui participe à la balance commerciale du pays – avec Airbus et le reste du secteur aéronautique, nous pesons pour 30 milliards d’excédent commercial. Nous sommes malgré tout français. Nous avons des racines françaises, et comme je l’ai dit, nous sommes enracinés dans un certain nombre de territoires en France. Nous employons 100 000 personnes dans le monde, dont 50 000 en France. C’est important et nous en sommes fiers.
Nous effectuons environ 50 % de nos achats en France. Nous avons derrière nous toute une filière industrielle de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans le domaine de l’aéronautique et de la défense. Nous réalisons 20 % de notre chiffre d’affaires dans la défense, et nous en sommes fiers, à la fois dans le domaine des moteurs militaires, ceux des avions de combat de Dassault et ceux du Rafale, dans celui des équipements critiques, dans l’électronique de défense et dans les technologies de souveraineté, comme la navigation inertielle que nous développons depuis cinquante ans en partenariat avec la force de dissuasion nucléaire française. La navigation inertielle est une technologie que la France est le seul pays, en dehors des États-Unis, à maîtriser en Occident. Elle permet à n’importe quel objet – sous-marin, bateau, fusée, missile, avion – de connaître exactement sa position sans avoir besoin de se reposer sur les constellations, lesquelles peuvent être brouillées ou leurrées.
Nos grands enjeux stratégiques sont la décarbonation et la souveraineté.
Nous sommes un acteur important de l’aéronautique, et tous les acteurs de la filière sont collectivement engagés à décarboner le secteur aérien pour parvenir à la neutralité carbone à horizon 2050. Pour atteindre cette cible, nous pouvons nous appuyer sur la technologie, qui doit nous permettre de parcourir environ 30 % du chemin, et sur les carburants durables. La technologie, ce sont essentiellement l’aérodynamique de l’avion et le moteur – qui devrait, à lui tout seul, apporter 20 % d’économies. En tant que leader mondial dans les moteurs d’avions, nous avons décidé d’être disrupteurs, en proposant pour le futur moyen-courrier d’Airbus et de Boeing un moteur en rupture, qui devrait apporter 20 % d’économies de carburant par rapport aux toutes dernières générations de moteurs, lancées il y a à peine quelques années.
L’aéronautique est probablement le seul secteur industriel complet pour lequel la France peut jouer un rôle mondial de décarbonation. De fait, elle a un leader mondial dans le domaine des avions – Airbus – et un leader mondial dans le domaine des moteurs, Safran. En outre, la réduction de seulement 50 % des émissions de gaz carbonique dans le secteur aérien au niveau mondial représenterait autant que la décarbonation totale de toute la France. C’est un enjeu stratégique, dans lequel la France peut avoir un rôle. Ce n’est pas joué et nous nous y préparons, surtout pour les nouvelles générations d’avions moyen-courriers qui seront lancées par Airbus et par Boeing à l’horizon du milieu de la prochaine décennie. C’est la raison pour laquelle nous sommes dans une période de très forte intensification de notre effort de préparation de l’avenir et nous investissons plus de 1 milliard par an en recherche et technologie. C’est aussi pour cela que nous sommes honorés d’avoir le soutien de l’État français, au travers du Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) et du crédit d’impôt recherche.
L’autre enjeu est celui de la souveraineté. Nous sommes fiers d’être un acteur de la défense, secteur décrié durant des années, notamment au regard des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La situation est en train de se retourner, d’une part parce que les acteurs européens se rendent compte, avec l’invasion de l’Ukraine, qu’il faut se défendre, d’autre part parce que pour intensifier l’effort de défense, il est important que tous les auteurs du secteur soient bien orientés. Pour nous et pour nos équipes, c’est une fierté de penser que nous sommes l’arsenal de la démocratie et que nous avons des valeurs à défendre. C’est un message que je souhaite porter : travailler dans le domaine de la défense peut être une fierté.
J’en viens à la notion d’attractivité territoriale, importante pour la réindustrialisation.
Safran compte de nombreux sites à l’international et 50 % de ses effectifs sont en dehors de France, dont 25 % en Amérique du Nord – au Mexique, au Canada et aux États-Unis. Nous avons aussi des effectifs, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Maroc, en Tunisie et en Pologne. Nous développons nos activités en Inde et nous en avons quelques-unes en Chine. Cette implantation mondiale est le fruit à la fois de nos acquisitions et de notre politique de développement à l’international.
Nous sommes un grand fournisseur de Boeing. Nous lui fournissons des moteurs et des équipements – des trains d’atterrissage et des câblages d’avions. Or, pour développer nos activités en Amérique du Nord, l’accès au marché passait par une implantation locale. C’est bénéfique pour tout le monde : nos centres de développement sont principalement en France, mais nous avons des activités industrielles en Amérique du Nord. Nos sites au Canada, au Mexique et aux États-Unis servent prioritairement nos grands clients américains, au premier rang desquels Boeing, mais aussi des acteurs de la défense, et toutes les compagnies aériennes nord-américaines au travers de nos activités de maintenance et de réparation de moteurs et d’équipements critiques.
Outre nos acquisitions et notre volonté d’accéder aux marchés d’autres zones géographiques, notre implantation mondiale vise à répondre à des enjeux de compétitivité globale.
Je prendrai l’exemple de ce que nous avons fait à Casablanca. Nous sommes numéro 2 mondial dans le domaine des nacelles d’avions. Ces berceaux dans lesquels se trouvent les moteurs sont un équipement critique compte tenu de ses fonctionnalités. En l’occurrence, nous faisons les nacelles des Airbus A320neo. Or, il y a quelques années, Airbus a exprimé le souhait de réinternaliser cette production. Cette perspective n’était pas neutre pour nous, dans la mesure où les nacelles sont construites sur le site du Havre, qui emploie 1 500 personnes. Aussi avons-nous accepté une baisse des prix pour conjurer la menace d’une internalisation par Airbus. En contrepartie, il nous a fallu trouver les moyens de baisser les coûts. Alors que nous étions dans une période de montée en cadence, nous avons décidé de créer un site jumeau au Maroc, avec une future répartition équilibrée entre Le Havre et Casablanca. Cela n’a pas eu impacté les effectifs du Havre et nous avons maintenu la charge. Mais le fait de développer le site de Casablanca, dont les coûts sont moins élevés que ceux du Havre, nous a permis d’abaisser le coût moyen des nacelles livrées à Airbus, donc de maintenir notre compétitivité. C’est un exemple typique de politique industrielle : le site que nous avons développé à Casablanca nous a permis de sauver celui du Havre. Sans cela, il ne nous aurait pas été possible de suivre la demande d’Airbus tout en préservant le site du Havre en l’état.
C’est un exemple de la dynamique de compétitivité mondiale dans laquelle nous nous trouvons.
Par ailleurs, nous pensons qu’Airbus et Boeing lanceront des avions nouvelle génération entre 2028 et 2030, pour une entrée en service autour de 2035. Dans cette optique, ils mettront les équipementiers en concurrence. C’est logique et normal. C’est la dynamique du marché. Notre ambition est d’être les meilleurs, pour être retenus. Le contenu français est important dans l’actuel A320 d’Airbus. Au-delà de ce que fait l’avionneur, il y a une valeur ajoutée française puisque nous faisons les trains d’atterrissage, les nacelles, les câblages et les systèmes électriques. Mon ambition, légitime, est de reproduire cette situation pour la prochaine génération d’avions. Mais nous serons mis en concurrence. Il nous appartient donc de veiller à rester compétitifs, au meilleur niveau de l’innovation en apportant le meilleur produit, mais aussi au meilleur prix.
Bidos, le site de 1 000 personnes dans lequel nous produisons les trains d’atterrissage d’Airbus, se situe à Oloron-Sainte-Marie. Nous y sommes le principal industriel. La réussite de notre stratégie pour nous positionner sur les avions de demain aura un impact important pour ce site et pour notre maillage territorial. Nous sommes conscients de cette responsabilité.
J’en viens aux clés d’attractivité d’un territoire.
La première est l’énergie, a fortiori pour des activités aussi consommatrices que la fabrication de freins carbone, dans laquelle nous sommes leader mondial. Nous devons d’ailleurs décider de l’implantation d’une quatrième usine carbone – ce dossier a été quelque peu médiatisé. La France a longtemps disposé d’un atout fantastique avec l’énergie nucléaire et le système d’accès régulé à l’électricité nucléaire (Arenh). Mais ce système arrive à sa fin et l’on discute de ce qui arrivera post-Arenh, avec les contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN). La France n’a plus la même compétitivité dans le domaine de l’énergie que celle qu’elle a eue pendant des dizaines d’années. Les atouts se cultivent et s’entretiennent, mais pendant quelques années, on l’avait oublié concernant le nucléaire. C’est dommage, même si tout le monde vient de reprendre conscience que l’énergie doit rester un atout pour le territoire français. En Amérique du Nord, y compris au Canada, le prix de l’énergie est très compétitif, voire plus compétitif que celui de l’énergie nucléaire française.
Le deuxième atout de notre pays, toujours reconnu comme tel, est l’excellence de nos écoles d’ingénieurs. C’est elle qui a incité des entreprises étrangères, notamment dans le domaine du numérique, à venir s’installer en France. Mais, depuis quelques années, le niveau d’exigence en mathématiques à l’école n’a fait que s’émousser. C’est triste, parce que c’est une bombe à retardement. Les mathématiques sont fondamentales, pas par principe mais parce qu’elles forment l’esprit et la rigueur intellectuelle, en particulier des ingénieurs qui ont à résoudre des problèmes complexes. Elles ne devraient donc pas seulement être une option. Elles ont fait la force de l’enseignement français pendant des années, mais nous ne pouvons que constater que cette force s’émousse.
S’agissant des compétences de façon générale, je salue la politique engagée depuis quelques années par le président de la République en matière d’apprentissage. Elle a participé à la réindustrialisation du pays ces dernières années. Entretenir l’idée selon laquelle il fallait avoir son bac était une grande faiblesse par rapport à l’Allemagne. On a même eu des politiques visant 80 % de bacheliers. Il est aisé de fixer une telle cible : il suffit d’abaisser le niveau ! Pardon d’être « brut de fonderie », mais c’est la réalité. Il est indispensable de remettre à l’honneur les filières industrielles et d’apprentissage, en les valorisant comme elles le sont en Allemagne. Ces métiers sont précieux et font la force industrielle d’un pays.
Les infrastructures sont aussi un atout, de même que le crédit d’impôt recherche. Il est tentant de le démanteler – à chaque fois qu’il y a un nouveau gouvernement, le sujet revient sur le tapis –, mais ce serait une grave erreur. L’attractivité de ses écoles d’ingénieurs et la compétitivité de ses activités d’engineering font encore la force de notre pays. Mais le coût des ingénieurs en France est très élevé, à cause des cotisations patronales. C’est le deuxième coût le plus élevé dans le monde, après les États-Unis. Or le crédit d’impôt recherche permet de rendre nos activités de recherche et de développement compétitives. L’enjeu n’est pas seulement d’avoir des bureaux d’études et des centres de recherche : enraciner des activités de développement en France permet de conserver des activités industrielles. En effet, dans le monde industriel, il faut une proximité entre le développeur, c’est-à-dire l’ingénieur qui conçoit un produit, et le producteur, c’est-à-dire l’industriel qui va devoir le produire, pour permettre un dialogue nourri entre les deux. La proximité entre nos centres de développement et nos centres de production est d’ailleurs ce qui fait notre maillage, en France.
J’insiste, le crédit d’impôt recherche est fondamental pour maintenir une activité de développement, d’étude et de recherche – au sens de recherche appliquée, et pas seulement fondamentale. Ce faisant, il a un impact sur l’enracinement d’activités industrielles. Les aides à l’innovation sont importantes également.
J’en viens aux freins à l’attractivité de notre territoire. Ce sont d’abord les impôts de production. Même si un effort a été consenti depuis 2017 avec la diminution de moitié de la contribution sur la valeur ajoutée, une note de l’Institut Montaigne montre que ces impôts correspondent encore à 3,8 % du PIB en France, contre 2,5 % en moyenne en Europe et 1,5 % en Allemagne. Ils représentent donc un boulet.
L’autre point négatif sont les cotisations patronales, qui représentent 50 % du salaire brut que nous versons à nos 50 000 employés en France. Alors que notre masse salariale s’élève à environ 3 milliards d’euros, nous versons à peu près 1,5 milliard de cotisations patronales. Une étude de Rexecode montre que les cotisations patronales représentent 34 % du salaire brut versé en Europe, et 30 % en Allemagne. La situation française s’explique par le fait que notre pays fait porter au travail l’essentiel de son modèle social. Un ingénieur français coûte donc plus cher qu’un ingénieur allemand, même si à la fin, il reçoit un salaire brut reçu moins élevé que celui de son homologue allemand. Or cet élément entre en ligne de compte dans l’attractivité du territoire.
Je mentionnerai aussi le temps de travail. Je vous invite à regarder la part de l’industrie dans le PIB depuis la décision du passage aux 35 heures. La courbe parle d’elle-même.
Pour finir, j’évoquerai l’enjeu de la visibilité et de la stabilité dans la décision d’implantation industrielle d’une entreprise. La politique tournée sur les affaires ou « pro-business » instaurée en 2017 a été très importante, à cet égard. On en a d’ailleurs vu les résultats, avec une amorce de réindustrialisation du pays. Il est fondamental de maintenir une stabilité fiscale, mais aussi politique. Il n’est rien qu’un industriel déteste plus que l’instabilité et l’incertitude.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie. J’ai une première question, relative à vos filières d’approvisionnement en France. Lors de la sortie de la crise du Covid et de la relance de votre filière, on a évoqué des difficultés de montée en cadence. Le groupe Airbus a été particulièrement vocal à ce sujet, concernant ses filières de sous-traitance. Quel est l’état des lieux de vos capacités de montée en cadence, et quelles mesures prônez-vous pour soutenir celles des filières ?
Ma deuxième question concerne le marché américain. Alors que vous êtes implantés au Mexique et aux États-Unis, de quelle manière la politique tarifaire menée par l’administration Trump, en lien direct avec la politique fiscale conduite à travers l’Inflation Reduction Act (IRA) par l’administration Biden, peut-elle guider vos choix d’investissement dans les deux à trois ans à venir ? Dans vos activités civiles de maintenance et de moteurs, êtes-vous soumis à des restrictions liées aux normes américaines sur le trafic d’armes au niveau international ou International Traffic in Arms Regulations (ITAR) et aux mesures du Cloud Act américain, entre autres ?
Ma troisième question porte sur l’aviation civile en Chine. Vous avez évoqué le groupe Comac. Les mesures prises par le président Xi Jinping et ses administrations en matière de restriction d’accès aux marchés stratégiques chinois impactent-elles votre activité ? Doit-on s’attendre à l’émergence d’un Safran chinois dans les deux à trois ans, qui mènerait une compétition vitale pour votre activité sur ce marché en croissance ?
Enfin, sur le volet militaire, vous avez évoqué la question du financement. Ma question sera plus large. La France et l’Europe ont-elles la capacité de livrer un moteur de nouvelle génération pour l’aviation militaire en toute indépendance vis-à-vis de la Chine et des États-Unis ? Je pense au programme Scaf (système de combat aérien du futur) ou à son équivalent purement français.
M. Olivier Andriès. Comme d’autres, depuis 2020, le secteur de l’aéronautique a subi une succession de chocs, commencée avec la pandémie de Covid. En mars 2020, le trafic aérien mondial s’est écroulé de 80 %. Cela ne s’était jamais vu. Il y avait déjà eu des chocs, mais leur impact avait été momentané et le trafic était vite reparti. Là, le choc a été d’une ampleur sans précédent, qui a fortement déstabilisé l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement ou supply chain.
Dans un grand nombre de pays, en effet, les entreprises n’ont eu d’autre choix que de se séparer d’un certain nombre de leurs collaborateurs. La baisse de 40 % de notre chiffre d’affaires nous a conduits à nous séparer d’environ 20 000 collaborateurs dans le monde. Le seul pays dans lequel nous n’avons pas réduit nos effectifs a été la France, parce que le gouvernement a instauré le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) et parce que nous avons passé un accord dit de solidarité avec nos partenaires sociaux. Cela nous a permis de maintenir l’emploi et les compétences.
Quand le trafic est progressivement revenu, il a fallu réembaucher – ce que toutes les entreprises aéronautiques du monde ont fait. Mais, les réductions d’effectifs s’étant traduites par le départ de personnes expérimentées et par une perte de compétences, les entreprises ont réembauché des personnes plus jeunes et moins expérimentées, qu’il a fallu prendre le temps de former. Cette forte perturbation des chaînes d’approvisionnement a expliqué les difficultés de la remontée en puissance après le Covid.
Puis, alors que le trafic commençait à bien repartir vers la fin 2021, le deuxième choc est survenu en février 2022 avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il a eu un impact considérable sur l’amont de nos chaînes de valeur, dès lors que la Russie est un important producteur de matières premières comme le nickel, l’aluminium ou le titane. De ce choc en amont, il a résulté un choc énergétique et un choc inflationniste, qui n’ont pas aidé à stabiliser la situation. L’ensemble des fournisseurs se sont trouvés dans une situation dans laquelle la demande était forte – notamment la demande de montée en puissance des avionneurs, avec la reprise du trafic aérien –, mais la chaîne d’approvisionnement était fragilisée par cette succession de chocs.
Fin 2024, la situation a commencé à s’améliorer. Nous traitons progressivement les sujets. Les situations dites critiques sont en baisse. Nous travaillons beaucoup. En France, nous cherchons à créer une solidarité de filière, laquelle est soutenue par les quatre grands donneurs d’ordre. Toutefois, la guerre commerciale lancée par les États-Unis devrait probablement continuer à perturber les chaînes d’approvisionnement.
Vous me demandez quelles mesures prendre pour aider la montée en cadence. Qui dit montée en cadence, dit besoin en fonds de roulement, pour constituer des stocks et acheter des matières premières et des équipements. Or de nombreuses PME et ETI sont confrontées à une situation de liquidité ou cash difficile : leur besoin en fonds de roulement est élevé, mais on leur demande de rembourser les prêts garantis par l’État (PGE) attribués post-Covid. J’ai demandé à Bercy s’il était possible de reporter les remboursements de ces PGE, mais je comprends que cette négociation ne se passe qu’au niveau européen, ce qui ne facilite pas les choses.
J’en viens à votre question sur les filières d’approvisionnement. C’est un sujet stratégique. Quand on est dans le militaire, notamment dans l’aviation de combat, il faut avoir une souveraineté totale. Il n’est pas de souveraineté sans aviation de combat. C’est la force d’un pays comme la France qui est encore, en dehors des États-Unis dans le monde occidental, le seul capable de faire un avion de combat de A à Z.
Par ailleurs, il n’est pas de souveraineté dans l’aviation de combat sans souveraineté dans les moteurs, en particulier dans les parties chaudes – ces parties les plus sensibles qui fonctionnent à des températures très élevées. La souveraineté dans les moteurs nécessite donc une souveraineté dans l’élaboration des matériaux dont sont constituées les parties chaudes, comme la turbine haute pression et les aubes de turbine haute pression. C’est la première raison stratégique pour laquelle nous avons souhaité racheter Aubert & Duval. Cette société, que le groupe Eramet souhaitait vendre, était en grande difficulté après des années de crise opérationnelle et de crise qualité. Nous l’avons reprise avec Airbus et Tikehau, avec qui nous avions monté un fonds pour accompagner la filière en 2020.
Pour un motoriste, il est stratégique de travailler avec un élaborateur d’alliages. Et pour nous, il était fondamental de travailler avec un élaborateur français. Or dans le monde occidental, ils sont tous américains à l’exception d’Aubert & Duval. Pour la maîtrise de notre souveraineté et pour notre capacité à préparer les matériaux dont nous avons besoin pour le moteur nouvelle génération, celui du Scaf, il était essentiel de reprendre le contrôle de cette entreprise. C’est avec elle qu’il y a près de quarante ans, nous avons développé les matériaux nécessaires pour le moteur du Rafale. C’est avec elle que nous allons développer ceux nécessaires au moteur du Scaf.
En outre, j’associe souvent la notion de résilience à celle de souveraineté. En l’occurrence, nous avons aussi une stratégie de résilience de notre supply chain. Nous ne sommes plus dans un monde de globalisation heureuse. Cela semble évident aujourd’hui, mais nous le voyions venir depuis quelques années. Aussi avons-nous pris la décision de systématiquement développer une double, voire une triple source dans nos chaînes d’approvisionnement. Ne pas avoir de point de défaillance unique est notre boussole. Chaque pièce du moteur Leap a ainsi une double source, voire une triple source. Généralement, il y a une source française, mais il peut aussi y avoir une source à l’étranger. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous diversifions nos chaînes d’approvisionnement. Cette boussole vaut également pour l’approvisionnement matières.
Dans certains domaines comme la fonderie et la forge, nous sommes confrontés à un oligopole américain. Nous avons donc pris la décision de racheter Aubert & Duval, pour avoir un forgeron. Nous étions le seul motoriste à être déjà forgeron, mais nous avons renforcé cette capacité. Nous avons également décidé de développer l’activité de fonderie d’aubes de turbine – et, dans la mesure où il s’agit d’une activité stratégique dans les domaines militaire et civil, nous avons décidé de le faire en France. Il y a un an, nous avons annoncé notre installation à Rennes et la création de 500 emplois. Nous avons bien travaillé avec la maire socialiste de Rennes et avec le conseil régional, qui nous ont soutenus, et nous nous sommes installés dans une zone précédemment utilisée par Stellantis, en respectant l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). Mais nous avons été surpris, dès l’annonce de ce beau dossier, d’être critiqués par les écologistes qui ont mis en cause la majorité municipale de Rennes et nous ont jeté des tomates sur le thème : « C’est scandaleux, c’est l’aéronautique, c’est l’avion – ils vont polluer – et c’est le militaire, ce n’est pas bien ! »
Je serai très clair : il n’est plus question d’investir en France dans une ville détenue par une majorité écologiste. Ce n’est plus possible. Je ne le ferai pas. Si c’est pour se faire accueillir par des tomates, quand on crée 500 emplois dans une région, ce n’est pas la peine ! Je ne le ferai pas. Chaque fois que nous devrons décider d’une localisation, je bannirai toute offre faite par une ville détenue par une majorité écologiste. Ce n’est pas politique, mais à partir du moment où l’on oublie l’intérêt national, où l’on a une attitude égoïste et où l’on ne comprend pas que créer 500 emplois est important pour le territoire concerné et pour la vie des personnes, il n’est pas question pour nous d’investir.
J’en viens à votre troisième question. Dans le domaine de la défense, notre stratégie est de ne pas être soumis aux normes ITAR, d’être « ITAR-free », pour ne jamais avoir à demander à la Maison-Blanche l’autorisation d’exporter tel ou tel de nos produits. En matière de défense, pour mémoire, l’exportation est interdite sauf autorisation de l’État. Nous agissons donc toujours dans un cadre étatique. Pour autant, il est hors de question d’avoir une quelconque dépendance vis-à-vis d’un pays tiers. Je cite souvent l’exemple du Gripen suédois. Cet avion de combat étant motorisé par un moteur américain, la Suède ne peut l’exporter où que ce soit sans l’autorisation de la Maison-Blanche.
Pour finir, vous m’avez interrogé sur la Chine. Ce pays représente 20 % du marché mondial dans le domaine de l’aéronautique. Il est donc important pour Airbus, pour Boeing et pour nous. La Chine a l’ambition légitime de développer son industrie aéronautique. Elle a commencé en développant un avionneur et elle cherchera aussi à développer ses compétences dans le domaine des moteurs d’avions – nous ne nous faisons pas d’illusion sur ce point.
Nous sommes présents en Chine, où nous avons quelques activités de production et de maintenance. Nous servons la maintenance de nos clients compagnies aériennes chinoises à partir de ce pays. C’est donc une activité locale pour le marché local. L’objectif est de créer de la résilience et de ne jamais être dépendants d’un point de défaillance unique ou d’une source unique. Par ailleurs, notre politique consiste à ne partager aucune avancée technologique. Nous vendons des équipements, mais nous ne faisons aucun partage de technologie. Et pour cause, nous ne voulons pas favoriser l’arrivée d’un concurrent. En revanche, nous entretenons une relation classique client-fournisseur avec nos clients chinois.
Enfin, les équipements critiques que sont les moteurs nécessitent une connaissance approfondie des matériaux et de la métallurgie. Une arrivée sur ce marché se fait nécessairement sur le long terme, et je ne vois pas un concurrent motoriste chinois arriver dans les cinq à dix ans. Mais je n’ai aucun doute qu’à moyen terme, la Chine sera capable de développer à la fois des avions et des moteurs.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie d’avoir accepté de témoigner devant nous. Je pèse mes mots, d’autant que plusieurs de vos sous-traitants, dans ma circonscription de Moselle, font partie de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et sont souvent fiers de dire qu’ils fournissent des produits Safran. Safran est une fierté française, et je vous remercie d’avoir souligné que dans vos objectifs, il y a la décarbonation – enjeu planétaire – et la souveraineté, enjeu national malheureusement de plus en plus mis de côté et parfois considéré comme un gros mot.
Vous n’avez pas complètement répondu à la question du président concernant les répercussions, pour vos activités civiles, de la politique commerciale agressive menée par les États-Unis à notre encontre ? La réponse européenne envisagée à court terme vous semble-t-elle à la hauteur ?
Par ailleurs, vous avez indiqué que pour fournir Boeing aux États-Unis, la contrepartie était d’implanter des sites industriels sur le sol américain. Cette logique doit-elle être adoptée en Europe, pour réindustrialiser le continent et plus précisément notre pays ?
Enfin, êtes-vous défavorisés, dans les marchés publics européens, par l’absence d’une véritable préférence européenne ?
M. Olivier Andriès. L’évolution des tarifs douaniers affecte l’ensemble des flux que nous livrons à nos clients américains en provenance du Mexique ou du Canada – même si les dernières décisions en date relativisent un peu le sujet, nous ne sommes pas totalement revenus à la situation qui prévalait avant l’arrivée de M. Trump à la Maison-Blanche. C’est également vrai pour les nombreux équipements que nous livrons depuis l’Europe. Or pour le groupe Safran, les flux internes d’Europe vers les États-Unis représentent plusieurs milliards de dollars.
Les moteurs que nous livrons à Airbus et à Boeing sont franco-américains. Dans le cadre du partenariat que je mentionnais, ils ont un contenu à 50 % français et à 50 % américain. Une taxe est appliquée pour la partie française quand ils sont livrés aux États-Unis. Si l’Europe devait apporter une riposte symétrique, le même dispositif s’appliquerait de l’autre côté.
Nous sommes proactifs en matière de mitigation ou management du risque, en travaillant à l’optimisation de nos flux. Certaines pièces transitent par les États-Unis pour livrer des compagnies aériennes qui ne sont pas américaines. Nous évitons donc de passer par ce pays si ces pièces n’ont pas à y être transformées. Ce travail d’optimisation de nos flux permettra de contenir un peu le sujet. Quoi qu’il en soit, cette affaire de tarifs crée déjà des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Certains fournisseurs commencent à faire savoir qu’ils arrêteront de nous livrer, à moins que les tarifs douaniers ne soient payés par Safran. De notre côté, nous engagerons des discussions avec nos clients américains concernant le paiement de ces tarifs, car il n’y a pas de raison que nous les absorbions.
Ma conviction est que cette politique commerciale une mauvaise nouvelle pour tout le monde, mais surtout pour nos clients américains. Dans l’aéronautique, c’est d’abord Boeing qui souffrira, car il achète de nombreux équipements européens. Les compagnies nord-américaines souffriront aussi : quand elles achèteront des pièces de rechange pour continuer à voler, elles les paieront plus cher que n’importe quelle compagnie aérienne ailleurs dans le monde. Les messages passés à ce sujet la semaine dernière ont d’ailleurs probablement amené l’administration américaine à reculer. C’est mon interprétation.
Par ailleurs, je ne pense pas que la réponse européenne doive être totalement symétrique. Parfois, la réponse peut être plus douloureuse que l’action initiale.
L’industrie aéronautique étant globale, les flux sont nombreux entre l’Europe et les États-Unis : Airbus achète beaucoup d’équipements américains, et Boeing achète beaucoup d’équipements européens. Depuis 1979, un accord bilatéral exemptait cette industrie de droits de douane, ce qui lui a permis de prospérer des deux côtés de l’Atlantique et de représenter un excédent de la balance commerciale aux États-Unis et en Europe, en particulier en France. Cet accord était donc gagnant-gagnant. Nous aspirons à revenir à cette situation, que nous considérons comme la meilleure. Je crois comprendre que c’est aussi la position de nos partenaires et clients américains. Je ne pense pas que l’industrie américaine dans son ensemble suive la politique de l’administration actuelle.
Sans être symétrique, parce qu’elle doit être bien pesée, la réponse de l’Europe doit être ferme. Nous insistons pour que tel soit le cas. La décision a été prise de suspendre cette réponse pendant quatre-vingt-dix jours pour se donner le temps de la négociation. Il ne faut pas faiblir, pour que l’Europe soit prête, si la négociation n’est pas possible, à répondre fermement. Quand elle est unie, l’Europe est forte. Elle dispose de tous les moyens de répondre fermement, y compris en utilisant l’instrument de la coercition. En d’autres termes, la réponse européenne ne doit pas nécessairement être symétrique, mais elle doit être ferme et faire mal.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pour compléter ma dernière question, l’absence de véritable préférence européenne dans les marchés publics a-t-elle déjà défavorisé le groupe Safran, ou vous favorise-t-elle ? Considérez-vous qu’il existe une certaine naïveté de la part de l’Europe de ne pas conditionner l’accès au marché par des implantations obligatoires, à l’instar des États-Unis ?
Par ailleurs, une implantation sur un autre continent est-elle nécessairement synonyme de transfert de technologies ?
M. Olivier Andriès. L’Europe achète près de 75 % de ses équipements militaires en dehors d’Europe, pour l’essentiel aux États-Unis. Il existe donc un déséquilibre.
Le seul pays européen qui a toujours eu en tête les enjeux de souveraineté, depuis le général de Gaulle, est la France. Mais nous avons été très isolés, en la matière. Personne ne nous écoutait. Il est intéressant de constater que depuis quelques semaines, ce sujet commence à percoler davantage dans les autres pays en Europe.
Nous sommes favorables à ce qu’il y ait une préférence européenne claire pour les équipements de défense. Aux États-Unis, après tout, il y a un Buy American Act. Ce ne serait donc qu’une opération symétrique. Mais certains pays préfèrent ne pas se poser la question et acheter américain. C’est, de leur point de vue, la meilleure garantie d’avoir une protection américaine.
Deux arguments ont été avancés lors des discussions dans le cadre du plan européen ReArm Europe, dans lesquelles la France a été en pointe pour défendre la notion de préférence européenne. À mon avis, ces arguments sont aisément balayables, au moins partiellement.
Le premier était qu’il y a urgence à se réarmer, ce qui impose d’ouvrir les portes en grand à des équipements américains. Certes, il y a urgence. Mais les industriels américains sont également confrontés à une forte demande partout dans le monde, y compris aux États-Unis. Ils ne sont donc pas forcément les mieux placés pour y répondre. J’en veux pour preuve que la Pologne nous a sollicités, parce que son partenaire américain pour un produit particulier n’était pas en mesure de livrer suffisamment d’équipements et de pièces de rechange. On nous a appelés à l’aide.
Le second argument était celui de la plus grande performance des équipements américains. Ce n’est pas systématiquement vrai. Nous n’avons pas à avoir honte de la performance des nôtres, bien au contraire.
En les entendant à Bruxelles, où nous nous sommes rendus il y a quelques semaines avec Mme Kucharekova, je me suis permis de dire que ces deux arguments étaient une prophétie autoréalisatrice : les mettre en avant conforte le fait d’aller chercher un équipement américain sans se poser la question d’acheter européen. Il faut donc les combattre.
Je suis, comme toute l’industrie aéronautique française, en faveur d’une forte préférence européenne, au sens d’un contenu européen à hauteur de 65 % et d’une autorité de conception européenne. Car, si vous produisez en Europe un équipement qui a été conçu aux États-Unis, vous n’avez pas la maîtrise de son utilisation. Le critère le plus important est celui de l’autorité de conception européenne.
Par ailleurs, pour répondre à votre autre question, les implantations ne sont pas nécessairement liées à des transferts de technologie. Elles peuvent très bien ne concerner qu’une simple activité de production. Cela étant, dans le domaine de la défense, de plus en plus de pays nous demandent de faire du making, c’est-à-dire de la fabrication sur place, et même du transfert de technologie. Cela fait d’ailleurs partie des critères d’implantation. L’Inde en est un exemple typique. La France a un grand partenariat avec ce pays, qui nous achète beaucoup d’équipements de défense, et qui est friand – c’est logique – d’avoir des implantations industrielles et du transfert de technologie, ce que nous sommes prêts à faire dans une certaine mesure.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’ai quelques questions concernant ArianeGroup, que vous détenez avec Airbus. La première porte sur la règle européenne du retour géographique, qui vous impose près de six cents sous-traitants pour le programme Ariane 6, avec la volonté que chacun des treize États contributeurs reçoive une charge de travail alignée sur sa contribution financière. Est-ce une véritable contrainte, ou est-elle surmontable sans freiner l’innovation ?
M. Olivier Andriès. J’ai été l’un des premiers à critiquer cette règle du retour géographique. Je ne critique pas le principe en soi, mais j’en critique les modalités dans le cas d’espèce.
Ariane est un programme magnifique. Ce sont cinquante ans de politique spatiale européenne, qui ont été une grande réussite. Nous sommes désormais défiés par SpaceX et nous devons nous adapter à cette nouvelle compétition d’un lanceur non seulement réutilisable, mais aussi fortement soutenu par le gouvernement américain. Il ne faut pas être naïf, dans cette affaire. Ariane 6 permet certes de réduire le coût des lancements, par rapport à son prédécesseur Ariane 5, mais il est confronté à cette compétition de SpaceX. Nous devons donc être compétitifs en matière de prix.
Je respecte parfaitement le fait qu’à partir du moment où un pays accepte de financer à hauteur de x % un programme tel qu’Ariane, il demande en retour x % de la charge industrielle. Ce serait la position que l’on prendrait en France. Aussi faut-il respecter le fait que c’est une position légitime de tous les pays qui participent à ce programme. Je ne critique donc pas le principe en soi, mais la modalité. En général, en effet, il n’y a qu’un ou deux acteurs par pays. Le partenaire sélectionné est donc incontournable – c’est le cas en Suède, en Suisse, en Belgique ou en Espagne. On nous dit qu’il faut travailler avec cet acteur. Soit ! Mais, ce qui me gêne un petit peu, c’est que le partenaire en question fasse une offre de prix pour sa prestation, c’est-à-dire pour sa partie de la fusée Ariane – son composant ou son module – sans qu’ArianeGroup soit en position de négocier ce prix, au risque que le pays du partenaire ne passe pas d’accord. Cela ne fonctionne pas, car ArianeGroup est confronté à cette pression sur le marché des prix, tandis que ses partenaires, imposés en quelque sorte, sont dans une situation d’arsenal.
Nous sommes au milieu du gué, avec une très forte concurrence américaine par rapport à Ariane 4 et Ariane 5, une pression sur les prix et un système totalement « arsenalisé ».
La bonne approche eût été de considérer que si un pays a financé x % du programme Ariane 6, son industriel a le droit d’obtenir x % du prix, quel que soit ce prix. Tout le monde serait ainsi confronté à la même pression compétitive et concurrentielle du marché, et tout le monde s’astreindrait à faire des efforts de compétitivité. Ce principe de partage du risque, ou risk sharing, existe dans toutes les relations partenariales dans l’aéronautique. Nous participons nous-mêmes à des programmes de gros moteurs faits par notre partenaire General Electric selon un modèle de partage du risque. Ce système aurait été sain. Mais nous sommes dans un système d’arsenal, dans lequel les partenaires que j’appelle les « sept magnifiques » ne se heurtent à aucune force qui les amènerait à être plus compétitifs. C’est une leçon à apprendre pour la suite.
Pour le prochain programme, le système devra être plus sain – toujours européen, car dans le domaine spatial, les forces centrifuges que l’on sent, de la part de l’Italie d’un côté et de l’Allemagne de l’autre, n’auraient pas de sens. Nous devons rester vigilants en la matière. Nous plaidons pour maintenir cette dynamique européenne qui a réussi pendant cinquante ans et pour aborder le défi de SpaceX ensemble, dans un cadre plus sain de partage des risques.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Le président exécutif d’ArianeGroup, M. Martin Sion, a récemment déclaré qu’il sera « nécessaire de créer un modèle européen original » pour le programme qui succédera à Ariane 6. Quel sera ce nouveau modèle européen original ? Craignez-vous la fin du monopole d’ArianeGroup, notamment pour les lanceurs lourds, et qu’elle débouche sur la dispersion des forces européennes, tant sur le plan des efforts budgétaires qu’en matière de demande – laquelle n’est déjà pas très volumineuse, et se retrouverait potentiellement atomisée ?
En comparaison à des puissances comme les États-Unis, la Chine ou la Russie, considérez-vous qu’en France, le secteur du spatial soit suffisamment soutenu ?
M. Olivier Andriès. Il n’y a aucune garantie qu’ArianeGroup sera l’entité européenne sélectionnée pour faire la suite d’Ariane 6. Lors de la conférence de Séville, les principaux pays européens ont convenu qu’un appel d’offres sera ouvert – et que le meilleur gagnera. Il faut donc inventer un nouveau modèle, plus compétitif. Dans cette optique, ArianeGroup devra travailler avec des partenaires, dans un cadre plus sain dans lequel chacun sera confronté à la même pression compétitive. La logique d’arsenal a bien fonctionné pendant cinquante ans, mais nous ne sommes plus dans cette logique.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez déclaré que la France n’a plus la même compétitivité que par le passé, s’agissant de ses tarifs énergétiques, mais que l’énergie doit rester un atout pour notre territoire.
Une réforme vise à accorder un prix attractif à nos groupes électro-intensifs, correspondant à peu près aux coûts de production nucléaire et hydraulique. Elle va dans le bon sens, mais reste insuffisante. De nombreuses études, à commencer par celle de la Banque publique d’investissement (BPIFrance), affirment que les deux tiers du potentiel de réindustrialisation de la France reposent sur nos PME et nos ETI, qui sont complémentaires avec nos grands groupes et notre socle industriel de base. Au nom de quoi priverions-nous ces PME et ces ETI de l’avantage attractif que peut constituer le prix de l’énergie ?
Alors qu’au sein du marché unique européen, la France peut se trouver pénalisée par les coûts de main-d’œuvre attractifs d’Europe de l’Est, ne pourrait-elle pas devenir l’eldorado de l’industrie en Europe si elle retrouvait sa souveraineté énergétique en matière de prix, sans remettre en question les flux et les échanges d’électricité au travers des interconnexions ?
M. Olivier Andriès. Il ne faut pas opposer les grands groupes, les PME et les ETI, car nous formons un écosystème complet et cohérent. Pour un grand groupe, ne pas avoir de fournisseurs est une fragilité. Je l’ai dit, nous effectuons 50 % de nos achats en France. Avec Airbus, nous entretenons une filière aéronautique. Cela crée un ciment.
Le sujet de l’énergie est d’ordre prioritaire pour les activités électro-intensives. Mais pour celles d’assemblage, par exemple, qui ne sont pas très consommatrices d’énergie, ce n’est qu’un critère parmi d’autres.
Par ailleurs, les industriels ont besoin d’une énergie compétitive et décarbonée, mais aussi d’une visibilité sur le long terme.
J’ai comparé le prix de l’énergie de nos entités dans le domaine des freins carbone, dans lequel nous sommes leader mondial – nous équipons un avion sur deux dans le monde. Nous avons trois usines : une à Villeurbanne en France, une dans le Kentucky aux États-Unis et une en Malaisie. En 2019, le prix de l’énergie était assez comparable dans ces trois zones géographiques. Mais, entre 2019 et 2023, le prix a été multiplié par cinq en France, tandis qu’il est resté relativement stable aux États-Unis et qu’il a légèrement augmenté en Malaisie. Cela crée un vrai sujet de compétitivité.
Depuis le pic de 2023, le prix de l’électricité a baissé. Il n’empêche que cela donne une leçon. La volatilité en Europe s’explique par le fait que le marché est européen et fonctionne sur la base de la dernière centrale mise en ligne. Or un industriel ne peut pas vivre avec une volatilité de cette nature. Nous avons besoin d’une énergie compétitive et décarbonée, avec une visibilité sur une dizaine d’années au moins. C’est le type de proposition qu’on peut vous faire en Amérique du Nord.
Pour des processus industriellement assez lourds, comme les nôtres, la livraison d’énergie doit rester stable. Autrement dit, une électricité qui repose uniquement sur les renouvelables, avec des intermittences, ne fonctionne pas. Pour cette fameuse quatrième usine carbone que nous voulons développer, les critères sont les suivants : une énergie soit nucléaire soit hydraulique – ce sont des énergies stables –, décarbonée – le nucléaire et l’hydraulique le sont par nature –, avec la possibilité d’un contrat sur dix ans. En Europe, il est très difficile d’avoir un contrat sur dix ans. C’est ce à quoi cherche à répondre de CAPN.
Au Québec, où nous avons des activités, le prix de l’électricité est de 50 dollars du mégawattheure. Je ne dis pas qu’il faut y coller, d’autant qu’il augmentera au fil du temps. Mais le prix de l’électron est un vrai sujet de compétitivité et d’attractivité du territoire. Or l’une des missions d’EDF est d’être un élément de compétitivité du territoire français – et pas simplement pour les gros industriels électro-intensifs. Regardez la situation qu’ont vécue les boulangers pendant la période de pic du prix de l’électricité, en 2023. Le service doit être rendu à tout le monde.
L’énergie est un véritable atout, qu’il faut cultiver.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. De votre point de vue, la compétitivité énergétique permettrait de compenser les freins que vous avez mentionnés, comme celui du coût du travail, dans l’appréciation de l’implantation d’une usine en France – alors que vous en avez déjà une aux États-Unis et une en Malaisie. C’est très intéressant.
Safran est le premier groupe français à déposer des brevets et 90 % de ses dépenses en recherche et développement se concentrent sur le territoire national. Pouvez-vous revenir sur les dispositifs d’aide dont vous bénéficiez, en particulier le crédit d’impôt recherche ?
M. Olivier Andriès. Chaque année, nous sommes le premier ou le deuxième déposant sur le podium, avec Stellantis et Valeo en général. Mais en valeur absolue et sur plusieurs années, c’est effectivement le groupe Safran qui détient le plus gros portefeuille de brevets.
Le crédit d’impôt recherche est une manière de compenser le coût des ingénieurs en France. C’est un élément important, pas simplement pour avoir des bureaux d’études, mais aussi pour l’attractivité industrielle, compte tenu de la proximité nécessaire entre concepteurs et producteurs.
Nous sommes également bénéficiaires des aides du Corac, qui a été créé en 2020 alors que nous étions tous percutés par le Covid et qu’il fallait intensifier l’effort de préparation de l’avenir pour décarboner le secteur aérien. Aux États-Unis aussi, l’industrie est très fortement soutenue par les pouvoirs publics. Ce soutien existe aussi en Angleterre et en Allemagne.
Ce dispositif a bien fonctionné. Depuis le démarrage, nous avons bénéficié en moyenne d’environ 160 millions de financements du Corac par an. Ce montant baissera car, compte tenu de la situation budgétaire du pays, les budgets alloués au Corac ont été réduits depuis 2023.
Je précise que, d’une part, pour chaque euro reçu, Safran investit 1 euro d’autofinancement. D’autre part, 36 % des fonds que l’on reçoit ruissellent vers des PME et des ETI à 100 % françaises. Nous embarquons ainsi avec nous, dans nos programmes de préparation de l’avenir, des PME et des ETI françaises qui n’ont pas les moyens d’autofinancer leur part.
M. Sébastien Huyghe (EPR). En 2003, j’ai remis au Premier ministre un rapport sur l’attractivité de la France pour les sièges sociaux des grands groupes internationaux, dans lequel je démontrais que pour avoir des unités de production dans notre pays, il fallait de préférence avoir les centres de décision ainsi que ceux de recherche et développement. Je constate que rien n’a changé et que ce paramètre est toujours aussi important.
Vous avez évoqué la quatrième usine pour les freins carbone, dont vous devez décider de l’implantation à la mi-2025. En 2019, votre prédécesseur avait poussé un « coup de gueule » face aux difficultés du groupe à implanter deux usines en France du fait des complexités administratives. Sans dévoiler de secret, quels sont les critères que vous listez pour le choix de l’implantation d’une usine dans notre pays, outre le prix de l’énergie ? Il est important, pour notre commission, de savoir sur quels points appuyer pour faciliter la réindustrialisation.
Par ailleurs, vous avez évoqué vos déboires à Rennes. En tant que député du Nord, je vous invite à venir dans les Hauts-de-France ! Le président de région Xavier Bertrand a voulu en faire une région « pro-business ». Nous serons heureux de vous y accueillir. Dans ma circonscription, un terrain est même tout prêt à vous accueillir, pas loin de l’usine de votre partenaire Dassault, à Seclin. Il pourrait parfaitement faire l’affaire de Safran.
M. Olivier Andriès. En 2018, nous avons décidé d’implanter un site du côté de Valenciennes dans le cadre d’une coentreprise ou joint-venture avec Air France, pour faire de la réparation de pièces aéronautiques.
Pour cette quatrième usine, nous prendrons la décision dans les mois qui viennent.
Le critère prédominant est celui de l’énergie – nucléaire ou hydraulique –, car elle représente plus de 30 % du coût de fabrication des pièces. Les autres critères sont presque secondaires.
La question du raccordement au réseau est importante. Or il n’est pas toujours facile d’être raccordé au réseau, en France, et les délais sont longs.
Enfin, je vous ai parlé du prix de l’électron, mais il y a aussi celui du transport, même si des efforts sont faits pour les groupes électro-intensifs. Se pose aussi la question de la fiscalité relative à l’énergie. Là encore, l’État est prêt à accorder des exemptions de taxes aux groupes électro-intensifs, mais c’est un élément important à sécuriser – d’où l’enjeu de la stabilité fiscale dont je parlais tout à l’heure.
Je le répète, le critère de l’énergie est d’ordre numéro 1. Même si le coût salarial est un peu plus élevé dans telle ou telle région, pour l’activité précise des freins carbone, c’est secondaire si je puis dire.
M. le président Charles Rodwell. Qu’en est-il par rapport aux autres pays ? Quels sont les délais comparés pour implanter une usine ? Quelles sont les complexités administratives qu’une implantation entraîne, en France ou dans un autre pays ?
M. Olivier Andriès. Il est vrai que ce n’est pas toujours simple, en France. Cela étant, je constate qu’il existe une bonne collaboration entre l’État et les collectivités locales concernées. Au niveau local, la volonté de piloter le dossier collectivement et efficacement est réelle. Quand je vois la manière dont cela s’est passé pour notre dernière implantation à Rennes, je n’ai strictement aucun reproche à faire aux réponses globales que l’on a eues, de la part de l’État, de la mairie et de la région.
Ce n’est pas toujours simple, car notre organisation territoriale n’est pas simple, entre l’État, la région, le département et les communautés de communes. Mais, globalement, quand on identifie un site et quand on commence à entrer dans un dialogue avec les partenaires locaux, il y a du répondant. Bien sûr, tout le monde ne répond pas de la même façon. Mais on sent qu’il y a du répondant. Il y a des efforts de simplification à faire. Quant à la simplification en Europe, c’est un autre sujet.
Dans le cas de la quatrième usine, le principal sujet est celui du raccordement au réseau, qui peut prendre beaucoup de temps. C’est potentiellement un critère éliminatoire.
M. le président Charles Rodwell. Concernant le financement de l’industrie de la défense, estimez-vous qu’à court terme, les annonces conjointes du ministère des armées et du ministère de l’économie et des finances d’un soutien par des capitaux publics et privés – de particuliers et d’entreprises – sont de nature à répondre à vos besoins d’investissement ?
Pour le long terme, l’approvisionnement en capitaux publics ne suffit plus. Quels sont les pays qui ont déployé des capacités massives de financement de leur industrie de défense par des capitaux privés, que vous recommanderiez d’observer ? Nous sommes un certain nombre à étudier le sujet du passage d’une retraite par répartition à une retraite par capitalisation pour protéger la retraite des Français, mais aussi nourrir des fonds de pension capables de financer le réarmement industriel dont notre pays a besoin. D’autres modèles existent-ils ailleurs, dans des pays petits ou grands ?
M. Olivier Andriès. Ce sujet d’un système complémentaire de retraite par capitalisation répond à la problématique des cotisations patronales et du financement du modèle social. Je note d’ailleurs que les seules personnes qui bénéficient d’un tel système sont les fonctionnaires.
Par ailleurs, pour que les industriels investissent et montent en cadence, il faut une visibilité concernant les commandes. C’est la question du budget du ministère de la défense et, plus généralement, celle du budget. Sans commandes, il n’y a pas de montée en cadence. C’est tout simple.
L’autre point est le financement de toute la supply chain, pour qu’elle puisse suivre cette montée en cadence. Cela passe par le soutien du monde financier et bancaire aux industries de défense. L’initiative prise il y a quelques jours par le ministre de l’économie et des finances et celui de la défense de réunir à Bercy un certain nombre d’acteurs pour parler du financement de l’industrie était plus que bienvenue. Faire valoir qu’investir dans la défense n’est pas honteux était fondamental. Au contraire, c’est servir son pays et les valeurs de la démocratie, dans le contexte actuel.
Il fallait aussi débloquer ou « cracker » le problème selon lequel en Europe, la plupart des fonds investissant en capital et la plupart des banques faisant du financement pour le besoin en fonds de roulement évitent le secteur de la défense, celle-ci étant perçu comme étant exclu des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ce phénomène n’existe pas aux États-Unis. Les investisseurs américains n’ont aucun état d’âme à investir dans les entreprises de défense, car ils considèrent que ces valeurs sont l’arsenal de la démocratie.
Le changement de paradigme que nous vivons se prête à une évolution des mentalités. D’ailleurs, la plupart des grands banquiers et des représentants du monde financier qui étaient présents se sont engagés à financer non pas l’effort de guerre, car ce n’est pas ce dont il est question, mais la préparation à une montée en cadence dans le domaine de la défense. Les financiers ne se substitueront pas au budget, car les commandes sont passées par l’État. Mais ce mouvement de montée en cadence a besoin d’être accompagné par les financiers.
Cette initiative était donc une bonne chose.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour vos explications claires, qui apporteront beaucoup à notre commission d’enquête. Nous vous proposons, le cas échéant, de compléter nos échanges par les réponses et les documents que vous jugerez utiles.
La séance s’achève à seize heures vingt-cinq.
Présents. – M. Sébastien Huyghe, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Lionel Vuibert