Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Audition conjointe, ouverte à la presse, réunissant :

 M. Philippe d’Ornano, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) et président de Sisley, et M. Alexandre Montay, délégué général du METI

 M. Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P)

 M. Gilles Mure-Ravaud, membre de la section industrie de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), président du groupement des métiers de l’impression et de la communication, et Mme Jennifer Bastard, responsable fiscalité de la CPME              2

– Présences en réunion................................21

 


Lundi
5 mai 2025

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à quatorze heures.

M. le président Charles Rodwell. Mes chers collègues, nous allons à présent entendre les responsables d’organisations qui représentent des dizaines de milliers d’entreprises dans notre pays. Nous sommes très heureux de pouvoir accueillir M. Philippe d’Ornano, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) et président de Sisley, M. Alexandre Montay, délégué général du METI, M. Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), M. Gilles Mure-Ravaud, membre de la section industrie de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), président du groupement des métiers de l’impression et de la communication, et Mme Jennifer Bastard, responsable fiscalité de la CPME.

Je vous remercie de déclarer tout autre intérêt, public ou privé, de nature à influencer vos déclarations. Avant de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Bastard, MM. d’Ornano, Montay et Mure-Ravaud prêtent serment.)

M. Philippe d’Ornano, co-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire. Le sujet de l’industrie concerne un grand nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) que nous que nous représentons. Les ETI françaises sont au nombre de 7 200 ; elles se caractérisent par un chiffre d’affaires allant de 50 millions d’euros à 1,5 milliard d’euros et un nombre de salariés compris entre 250 et 5 000. Cette catégorie propre, créée en 2008, permet d’intégrer un tissu d’entreprises moyennes et grandes, dont 40 % sont industrielles. Elles assurent le tiers des exportations de notre pays ; 86 % d’entre elles sont exportatrices et pour la moitié d’entre elles, les exportations représentent 50 % de leur chiffre d’affaires.

Le premier enjeu de l’industrialisation ou plutôt de la désindustrialisation française concerne la transmission d’entreprises, puisque l’un des grands faits ayant provoqué la diminution du nombre d’ETI en France porte sur le blocage des transitions d’entreprises, lequel a provoqué un affaiblissement industriel considérable. Le doublement en 1983 des droits de succession et l’impôt sur la fortune sur une partie des actifs d’entreprise a provoqué la vente massive de nombre d’ETI françaises entre les années 1980 et les années 2000. Il existait en 1980 autant d’ETI en France qu’en Allemagne, mais la situation s’est considérablement modifiée par la suite : en 2008, il y en avait 4 600 en France contre 12 500 en Allemagne – patrie du Mittelstand – 10 500 en Angleterre et 8 500 en Italie. À bas bruit, en vingt ans, a été provoquée la vente d’un nombre important des entreprises qui avaient réussi depuis l’après-guerre. Je pense par exemple à celles de la filière ski, à l’instar des entreprises Rossignol ou Salomon.

La transmission des entreprises demeure un enjeu majeur et à partir des années 2000, des pactes ont été instaurés – pactes Sauter, Migaud, Strauss-Kahn, puis Dutreil – qui ont permis de rendre cette transmission à nouveau possible. De fait, le long terme est essentiel en matière industrielle : il faut du temps pour construire une entreprise industrielle, pour l’amener à une certaine taille. En France, 21 ans sont nécessaires en moyenne pour arriver à la taille d’ETI.

Ensuite, la compétitivité du coût du site France constitue le deuxième enjeu essentiel. Lors des quarante dernières années, la France a mis en place un système de droits de douane « à l’envers », qui a rendu la production et le travail en France beaucoup plus coûteux que dans l’environnement européen. Ce faisant, nous avons provoqué progressivement une désindustrialisation de tous nos territoires.

Les deux premiers facteurs expliquant le positionnement des entreprises françaises en matière de coût ne concernent pas l’impôt sur les bénéfices, mais d’une part les taxes de production, à hauteur de deux fois la moyenne européenne (soit 40 milliards d’euros supplémentaires pour les entreprises françaises) et d’autre part le coût du travail qualifié, qui concerne l’économie de la montée de gamme, les chercheurs, les ingénieurs, les ouvriers qualifiés. La moyenne européenne des charges sociales patronales s’établit à 1,21 %, contre 1,45 % pour les cadres et 1,41 % hors cadres, à l’exception des bas salaires avec la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Ces deux facteurs différenciants expliquent que la production est plus chère en France, induisant la disparition de savoir-faire, la perte d’unités de production dans les territoires.

La troisième difficulté, à la fois française et européenne, porte sur la complexification. Je rappelle ainsi que les normes ont été multipliées par sept depuis 2010, soit 28 milliards d’euros de coûts additionnels estimés pour les ETI françaises. À ce titre, l’enjeu n’est pas tant de simplifier que d’interrompre la complexification, qui se matérialise notamment aujourd’hui par la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), mais également d’autres dispositifs. Les raisons sont souvent légitimes, mais les mesures d’impact ne sont pas suffisamment établies, induisant des effets considérables sur l’économie française, qui pénalisent l’industrie et favorisent la désindustrialisation.

Le quatrième fait majeur est relatif à l’énergie. Les deux dernières années ont été particulièrement difficiles ; les ETI ont payé jusqu’à dix fois leurs factures d’électricité alors que le prix de la production d’électricité restait le même. Les importants profits générés par les énergéticiens ont pour partie été fiscalisés et le coût a été payé par les industriels. Les contrats qui sont signés aujourd’hui sont plus raisonnables, mais le prix de l’électricité achetée demeure plus de deux fois supérieur à celui des États-Unis. Ce facteur affecte nécessairement la compétitivité de notre industrie en économie ouverte.

Pour autant, il ne s’agit pas d’une fatalité. Il est possible de réaligner la France sur son environnement européen. La compétitivité, qui consiste à placer les entreprises en situation où elles sont compétitives dans l’environnement européen, génère un retour sur investissement, qui se finance. Depuis 2017, les impôts concernant les entreprises ont tous augmenté en masse, au moment où l’on baissait simultanément l’impôt sur les sociétés et la taxation des dividendes. De fait, la baisse du taux d’imposition n’a pas provoqué une baisse des recettes fiscales liées, sans parler des externalités positives induites : la baisse du nombre de chômeurs, le retour de l’activité dans les territoires.

En conclusion, il ne s’agit pas de baisser les impôts, mais de les réaligner sur l’environnement européen pour produire de la richesse et permettre une réindustrialisation en France.

M. Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité. Je souhaite par ma part compléter ces propos en évoquant les 29 000 petites entreprises françaises de l’artisanat, du commerce, mais aussi de l’industrie. Ces entreprises sont actives dans la sous-traitance, essentiellement dans la sous-traitance non alimentaire et 82 % d’entre elles sont artisanales. Elles emploient 97 000 salariés et en réalisent plus de 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 22 % du secteur industriel.

Les secteurs principaux dans lesquels ces petites entreprises sont présentes sont le décolletage, la mécanique industrielle, la chaudronnerie, les traitements des métaux, les forges, fonderies et plasturgies électroniques. Ces entreprises sont essentiellement implantées en région Auvergne-Rhône-Alpes. Je rappelle également que 92 % du tissu économique de notre pays sont constitués de petites entreprises de moins de onze salariés. Ces entreprises artisanales progressent en termes de sous-traitance, avec une hausse de 11 % de l’activité entre 2012 et 2016, portée par le régime de l’autoentreprise, plutôt dans des secteurs de services adossés à l’activité industrielle.

Ces entreprises partagent les difficultés et fragilités de toutes les petites entreprises, notamment celles présentes dans le secteur industriel. Elles éprouvent des difficultés à recruter, en raison de l’absence de compétences, faute de formation. Le coût du travail pèse également, de même que les marges en forte érosion pour 40 % des entreprises artisanales de sous-traitance. Situées en bout de chaîne, elles pâtissent en outre de la forte pression exercée par leurs donneurs d’ordre, qui y sont eux-mêmes exposés. En conséquence, 40 % d’entre elles font face à des difficultés de trésorerie. Elles sont également de plus en plus confrontées à des retards de paiement.

S’agissant de leur financement, ces entreprises artisanales de sous-traitance ont deux fois plus recours aux prêts bancaires que la moyenne de l’artisanat. Une fois encore, les recrutements sont en forte tension, puisque dans certaines spécialités, 87 % des projets de recrutement sont jugés difficiles. Le secteur soutient donc particulièrement la formation en apprentissage : 40 % des apprentis des métiers de la sous-traitance sont formés dans l’artisanat.

L’artisanat constitue un maillon essentiel de la chaîne industrielle. En tant que sous-traitant, l’artisan joue un rôle de proximité, d’adaptabilité, d’innovation incrémentale en soutien aux donneurs d’ordres, dont il dépend bien évidemment. Dès lors, la réindustrialisation ne peut se dérouler sans les entreprises artisanales industrielles ; elle doit prendre en compte l’ensemble du tissu productif. Soutenir les entreprises artisanales contribue également à renforcer la souveraineté industrielle du pays.

Il faut favoriser les investissements productifs, notamment l’accès au crédit, parce que leurs fonds propres ne sont pas suffisants, mais aussi nous aider à lutter contre les délais de paiement abusifs. Un travail est déjà accompli en ce sens ; nous agissons avec la Banque de France et l’ensemble des dispositifs. Surtout, il convient de ne pas abandonner la politique de formation par l’apprentissage, qui est particulièrement indispensable dans ce secteur, compte tenu des difficultés de recrutement précédemment évoquées.

Ces entreprises éprouvent également des besoins d’accompagnement, pour leur permettre de gravir une étape supplémentaire et conserver l’espoir de devenir un jour une ETI. Elles ont besoin d’un soutien un peu particulier : beaucoup auraient la capacité de croître, car elles disposent de la compétence et de l’envie, mais sont freinées par le manque de personnels. Enfin, la transmission-reprise constitue également une préoccupation. À l’image de la population française, nombre de nos chefs d’entreprise artisanaux vieillissent et s’interrogent pour savoir comment organiser leur sortie et la reprise de leur activité. Des dispositifs ont été mis en place pour permettre l’amortissement de l’achat du fonds commercial, mais cette expérience s’achèvera en 2025. La dernière préoccupation concentre l’amélioration des relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants.

M. Gilles Mure-Ravaud, membre de la section industrie de la Confédération des petites et moyennes entreprises. La CPME est la première organisation patronale en nombre d’employeurs. Elle compte aujourd’hui environ 240 000 entreprises et 5,5 millions de salariés. Son maillage y est très fort, à travers 113 unions territoriales, 122 fédérations professionnelles. Au sein de l’industrie, on dénombre trente-six fédérations professionnelles, dans des domaines très vastes comme l’agroalimentaire, la métallurgie, le bâtiment, le textile, la carrosserie, la papeterie, l’imprimerie.

Alors que la réindustrialisation s’impose comme un impératif stratégique pour notre souveraineté économique, les entreprises industrielles de petite taille intermédiaire sont malheureusement les grandes oubliées des politiques publiques. Pourtant, elles irriguent sur les territoires l’emploi local innovant, qui fait vivre le tissu productif. Il est temps de leur donner les moyens d’agir.

L’industrie française constitue en effet la colonne vertébrale de notre souveraineté économique et connaît aujourd’hui un virage crucial. De nombreux efforts ont été réalisés en matière de réindustrialisation, mais l’objectif de relancer durablement nos tissus industriels au travers des PME n’est malheureusement pas atteint aujourd’hui, face à aux nombreux obstacles existants.

Aujourd’hui la réindustrialisation est freinée par un empilement de normes, qui provoquent des délais excessifs et un manque de lisibilité. Comme la taille de nos entreprises est limitée, elles manquent de personnels pour travailler sur la partie administrative. Nous en appelons donc à un véritable choc de simplification. De même, nous avons besoin d’un environnement fiscal stable et d’une stratégie d’aménagement du territoire fondée sur la confiance.

Par ailleurs, une autre urgence concerne le foncier. Dans de nombreuses régions, nous sommes confrontés à certains dispositifs qui limitent les zones industrielles. De même, les zones franches urbaines (ZFU) souffrent d’un manque de visibilité quant à leur avenir. Ensuite, les sites industriels « clés en main » représentent une bonne initiative, mais celle-ci n’est pas forcément bien adaptée à la taille de nos entreprises. En outre, ce dispositif est plus spécifiquement axé sur certaines filières.

Enfin, face à la hausse de l’énergie, les aides ont permis d’amortir le choc, mais nombre d’entreprises ont subi des défaillances, qui ont également été provoquées par les retards de paiement. La situation est aujourd’hui très compliquée. En conclusion, les deux mots fédérateurs que je souhaite porter devant vous sont simplification et maillage territorial.

M. le président Charles Rodwell. Je souhaite vous poser une série de questions, avant de céder la parole au rapporteur. La première fait écho à l’audition de l’ancien ministre Renaud Dutreil, qui nous a parlé du financement de la croissance des PME, afin de leur permettre de devenir des ETI. Il l’a illustré en comparant la situation de la France à celle de l’Allemagne et de l’Italie.

Vous avez parlé notamment de la compétitivité-coût du travail. Quel est votre point de vue sur le financement de notre modèle social, notamment de nos retraites ? Considérez-vous que la retraite par capitalisation puisse constituer une réponse, à la fois pour éviter que le coût de nos retraites repose uniquement sur le travail, mais aussi pour permettre à la France, comme tant d’autres pays l’ont fait, de créer ses propres fonds de pension ? Ces derniers viseraient ainsi à financer la croissance de nos PME, pour leur permettre de devenir des ETI, puis des grandes entreprises. Nous avons déjà mené plusieurs politiques pour baisser le coût du travail, notamment sur le volet des cotisations salariales. L’étape suivante n’est-elle pas le passage à un nouveau mode de financement de notre protection sociale ?

Ensuite, ma deuxième question concerne les délais de paiement et plus globalement la constitution des chaînes d’approvisionnement. Les filières particulièrement résistantes et résilientes en France sont confrontées à l’enjeu de la solidification de leur chaîne d’approvisionnement sur des maillons clés. À ce titre, la question des délais de paiement ressort fréquemment, à la fois en lien avec la commande publique et les relations entre sous-traitants. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous dresser un état des lieux des mécanismes de financement et des mécanismes de commande publique en France ? En effet, les centrales d’achat du ministère de la santé ou du ministère des armées font souvent l’objet de polémiques régulières, parfaitement légitimes. Par ailleurs, les mécanismes de subventions multiples d’organismes comme l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou la Banque publique d’investissement (BPIFrance) font l’objet d’interrogations de la part d’une bonne part de vos adhérents. Considérez-vous que l’effort en direction de la politique de l’offre aille dans le bon sens ? Quelles sont les prochaines étapes de réforme que vous nous recommandez de poursuivre dans cet objectif ?

M. Philippe d’Ornano. La retraite par capitalisation existe déjà en France en quelque sorte, pour les fonctionnaires. Il est certain que la retraite est l’un des postes importants qui génère potentiellement une forte dépense publique et un déficit important. La retraite par capitalisation semble être à ce titre pertinente et permettrait de surcroît aux Français de bénéficier d’une partie du bon fonctionnement de leurs entreprises cotées.

Il n’en reste pas moins qu’en matière de réindustrialisation, le sujet de la dépense publique n’est pas connecté avec celui de la compétitivité. Certes, il faut effectivement traiter les sujets relatifs à la dépense publique et aux retraites. Mais en réalité, le sujet de la compétitivité, de la création de l’activité et de la richesse est déconnecté ; il intervient dans le cadre européen, lequel représente 60 % de nos échanges. Nous devons produire un effort afin de réaligner compétitivement notre pays et créer de l’activité.

Ensuite, la relation avec la sous-traitance constitue un sujet très important, y compris dans les secteurs où la France demeure très compétitive. En effet, c’est à travers la sous-traitance que nos filières peuvent être affaiblies. Cet affaiblissement peut provoquer la perte des savoir-faire. Nous voyons ainsi apparaître de nouveaux centres de production et de sous-traitance dans des grandes zones ou des grands pays, avec des compétiteurs financés et soutenus par des États, mettant en péril les points forts qui demeurent en France. Il est donc crucial de porter une attention particulière aux filières, à la sous-traitance et, plus globalement, à la chaîne de valeur. Dans mon secteur de la cosmétique, troisième poste d’exportation de la France, le comité de filière qui permet des échanges entre l’État et les industriels existe seulement depuis quatre ans.

Encore une fois, les enjeux portent essentiellement sur le réalignement compétitif. Les grands plans d’aides et de subventions sont difficiles à gérer et coûteux dans leur mode de fonctionnement. Plutôt que de mettre en place ces systèmes de distribution d’argent, il serait beaucoup plus efficace de conduire simplement un alignement compétitif raisonnable sur l’environnement européen. Nous y gagnerions en efficacité. Les entreprises qui peuvent fonctionner se développeraient, grandiraient de manière vertueuse.

Par ailleurs, la commande publique ne doit pas affecter les efforts de bon achat ; elle ne doit pas devenir l’équivalent des droits de douane de Trump, c’est-à-dire une manière de protéger des rentes de situation. L’acheteur public est aussi responsable pénalement ; s’il achète mal faute de disposer des bons barèmes, il ne pourra prendre de bonnes décisions et pourrait même se retrouver dans l’illégalité.

Il s’agit en réalité de bien prendre en compte toutes les externalités positives qu’une production en France peut apporter à notre pays, par exemple des externalités positives sociales, mais également écologiques. Ainsi, il faut souligner que la France est un des pays dont la production industrielle est parmi les plus décarbonées en Europe. De fait, si l’on est favorable à la décarbonation, il vaut mieux produire en France que dans d’autres pays européens. Cet aspect devrait être pris en compte. Il faudrait établir des barèmes permettant à l’acheteur public d’agir dans des conditions de sécurité juridique.

Encore une fois, plutôt que de mettre en place des subventions, des aides, des grands plans, nous sommes favorables à la poursuite d’un réalignement compétitif et une mesure du retour sur investissement de ce réalignement, pour regagner des parts de marché, des savoir-faire, de la production et de l’emploi en France.

M. Michel Picon. Monsieur le président, en évoquant le financement de la protection sociale, vous avez mis en lumière un sujet qui préoccupe beaucoup l’U2P. Nos concitoyens y sont très attachés, mais il faut bien comprendre que les ce financement pèse sur le coût du travail et la capacité des entreprises à pouvoir le supporter. De fait, leurs salariés souffrent par contrecoup de la différence entre le brut, le « super brut » et le net perçu, qui seul permet de les faire vivre.

Nos entreprises sont des entreprises à taille humaine et sont conscientes des difficultés que leurs salariés rencontrent, qui les conduisent parfois le 20 du mois demander un acompte parce que la vie est trop dure pour eux. Ces difficultés impactent la productivité et provoquent également des problèmes en matière de recrutement : certains Français arbitrent entre la reprise d’un travail et la perception d’aides sociales pendant quelques mois.

Quoi qu’il en soit, il est essentiel pour nous d’alléger le poids du financement de la protection sociale sur le travail. L’U2P y travaille depuis plusieurs mois et s’apprête à formuler des propositions très rapidement. Ce financement doit ainsi être redéployé sur d’autres supports. Il s’agira ensuite à la représentation nationale d’arbitrer entre ces différents supports, dans le compromis entre le travail et la rente ; le travail et la retraite ; le travail et l’héritage.

Vous nous avez également interrogés sur la retraite par capitalisation ; nous y sommes naturellement favorables, même s’il ne s’agit sans doute pas de la solution unique, compte tenu de l’aversion de nos concitoyens pour le risque. Les Français sont habitués à l’assurance-vie, mais ils sont plutôt déployés sur des fonds euros sans risque plutôt que sur des unités de compte, qui pourraient financer l’économie de notre pays.

Nous pensons qu’il faudra effectivement mettre en place un régime par capitalisation qui viendra diversifier le régime par répartition. Il restera ensuite à établir le bon dosage entre ces deux aspects. Pour autant, je ne crois pas que cela permettra de résoudre les problèmes relatifs à l’équilibre de nos caisses de retraite. En effet, les effets de la capitalisation ne se matérialisent que sur le temps long, à peu près le temps d’une carrière. Selon nous, un certain pourcentage de capitalisation viendrait compenser la baisse de la démographie, qui va se poursuivre, compte tenu de la diminution du taux de natalité.

Ensuite, je ne peux guère apporter de contribution utile à votre deuxième question sur la chaîne d’approvisionnement. En revanche, les entreprises que je représente ne sont pas concernées par la commande publique. D’une part, elles ne sont pas équipées pour répondre à toutes les contraintes qui pèsent sur le dossier à remplir pour pouvoir concourir à une commande publique. D’autre part, elles ne sont sans doute pas outillées pour répondre aux volumes qui sont demandés par la commande publique.

Nous ne sommes pas dans la ligne de mire des dispositifs mis en place par des institutions comme BPIFrance ou l’Ademe. Il a fallu que j’écrive à l’Ademe pour qu’elle nous intègre aux groupes de travail qu’elle a mis en place avec des représentants du Medef ou de la CPME. En oubliant l’U2P, l’Agence oublie toutes les petites entreprises que nous représentons. Des organismes comme BPIFrance ou l’Ademe devraient disposer de services spécialisés sur les aides et les conseils. Les petites entreprises ne demandent pas toujours d’argent ; elles ont intégré l’idée que les aides d’aujourd’hui étaient les impôts de demain. En revanche, elles demandent un coup de pouce en matière de conseil, de lisibilité, de facilité.

M. Gilles Mure-Ravaud. S’agissant de la retraite par capitalisation, la CPME se positionne aujourd’hui au cœur du sujet. Vous avez d’ailleurs certainement entendu les prises de position de notre président Amir Reza-Tofighi en faveur de la capitalisation. Il existe naturellement plusieurs modalités techniques pour mettre en place ce mode de financement.

Ensuite, le sujet des délais de paiement concerne tout particulièrement le milieu industriel, qui se caractérise par une chaîne composée de plusieurs maillons. Aujourd’hui, certaines branches de l’industrie se retrouvent « coincées » en amont et en aval par de mesures injustes. Dans le secteur du papier carton et l’imprimerie, nous sommes coincés entre d’une part des fournisseurs qui nous demandent de payer avec des délais très courts et d’autre part des clients de l’édition qui payent à quatre-vingt-dix jours. Il y a trente ans, le secteur du papier, du carton et de l’imprimerie représentaient 5 % du PIB contre 0,7 % à 1 % aujourd’hui. Les imprimeries étaient au nombre de 6 000 il y a vingt ans, elles ne sont plus que 3 000 aujourd’hui.

S’agissant des commandes publiques, je partage les propos qui ont été tenus par mes prédécesseurs. Nous avons l’impression que les acheteurs manquent de formation et s’arc-boutent sur des positions extrêmement rigides face à des petites entreprises qui n’ont pas les moyens de remplir des appels d’offres d’une manière très fine. Nous les aidons, mais elles demeurent confrontées à des procédures complexes.

S’agissant des mécanismes de financement, de nombreuses actions ont été entreprises, mais il est possible d’aller encore plus loin. Par exemple, une partie de l’assurance vie pourrait être plus fléchée vers l’industrie, afin de porter le taux actuel de l’ordre de 15-20 % à 50 %.

M. le président Charles Rodwell. Je souhaite revenir sur la question de la formation que vous avez évoquée précédemment, en revenant sur un exemple et un contre-exemple d’une même politique publique, appliquée de la même manière sur le territoire national, mais dont les effets ont été inverses.

Face aux problèmes de pénurie de recrutement sur la filière nucléaire en Normandie, dans le département de la Manche et dans le département de Seine-Maritime, une Université des métiers du nucléaire a été déployée en Normandie, au plus près des chantiers de Penly, de Flamanville, du site d’Orano à La Hague ou de Cherbourg, pour répondre à des bassins différents, mais relativement proches. De nombreux acteurs nous ont indiqué que cette décision avait été particulièrement pertinente, car ces formations sont de qualité et localisées au plus près des sites et des besoins. Très concrètement, les étudiants en apprentissage ont un même logement pour suivre leurs études et se rendre sur le site sur lequel ils travaillent. En résumé, en rapprochant la filière de formation des sites, il a été possible de résorber une partie des problèmes de pénurie.

À l’inverse, un contre-exemple est symbolisé par le secteur de la plasturgie à Oyonnax. De nombreux chefs d’entreprise nous expliquent qu’il s’agit là d’une filière d’excellence, mais qui souffre de problèmes de formation et de recrutement, dans un département qui manque de main-d’œuvre. Les acteurs ont également essayé de rapprocher les filières de formation au plus près des entreprises et d’installer des plateaux techniques, des plateaux de formation de grande qualité. Ce déploiement a coûté plusieurs millions d’euros d’argent public et de fonds privés, sur le même modèle que celui du nucléaire. Malheureusement, du jour au lendemain, le problème de recrutement a empiré, en raison du déficit d’attractivité dont souffre le territoire. En faisant partir une partie de ces formations de Paris, Lyon et Saint-Étienne pour les installer à Oyonnax, la pénurie s’est en réalité accrue.

Ces deux exemples montrent qu’une même décision prise en coordination avec l’État, la région, les pouvoirs politiques locaux et entrepreneurs locaux, a entraîné des effets inverses. Au-delà du financement de l’aide à l’apprentissage, que pouvons-nous faire de plus pour rapprocher les filières de formation des besoins des entrepreneurs ?

Par ailleurs, notre pays souffre d’un très grand retard en matière de robotisation et de numérisation des PME et des ETI, notamment par rapport à l’Allemagne, sans parler des pays asiatiques, la Corée du Sud notamment. Faut-il financer des entreprises qui fabriquent des robots en France ? Ce faisant, le temps que ces entreprises se développent, nous prendrons encore plus de retard pour financer la robotisation des PME et des ETI françaises. À l’inverse, assumons-nous d’acheter des robots qui ne sont pas français pour accélérer la robotisation de nos entreprises ?

M. Philippe d’Ornano. La désindustrialisation a éloigné les jeunes des carrières liées à l’industrie, qu’il convient de réhabiliter. Ensuite, l’attractivité est également spécifique à chacun des territoires. De ce point de vue, il est important de travailler de manière plus décentralisée. Dans le domaine des projets industriels, nous travaillons fréquemment avec les territoires, dont un grand nombre sont très à l’écoute de l’installation de projets, aident les entreprises, voire financent eux-mêmes des formations.

Il est certain que la situation est différente entre, d’une part, le secteur du nucléaire qui profite des commandes de l’État ou d’entreprises publiques et, d’autre part, la plasturgie qui connait une forte concurrence. Le premier financement est l’autofinancement, ce qui permet de faire le lien avec votre deuxième question. Il y a quatre fois moins de robots en France qu’en Allemagne. Il y a six ans, nous avions réalisé une étude qui montrait que lorsque l’on plaçait une ETI française en Allemagne, elle réaliserait 70 % de profits en plus chaque année.

Grâce à ces profits, elle pourrait se moderniser, acheter des robots, investir dans des équipes pour chercher des marchés à l’export. L’objectif ne consiste pas à fournir des aides ou à se demander s’il faut acheter des robots français ou non. Entre parenthèses, j’observe que dans les filières fortes, les robots sont d’origine française. Dans la cosmétique par exemple, les mélangeurs qui sont utilisés sont français.

En réalité, si nous voulons réindustrialiser la France, l’objectif consiste à donner aux entreprises françaises les marges de manœuvre et l’autofinancement qui leur permettront d’acheter des robots, si elles en ont besoin, de manière à être compétitives. L’enjeu consiste donc bien à assurer à nos entreprises un autofinancement équivalent à celui de ses concurrents. Si l’on obtient cette équivalence, la France devrait être en mesure de faire aussi bien, sinon mieux que l’environnement européen, grâce sa position géographique et la productivité de ses employés.

M. Michel Picon. Il convient de mieux adapter, à travers nos centres de formation d’apprentis (CFA), les offres de formation aux besoins des entreprises, y compris dans les territoires. De fait, il faut aussi relever les réussites : la France est passée de 340 000 apprentis à près d’un million et 80 % des apprentis qui sont passés par nos entreprises ont ensuite trouvé un emploi. À ce titre, je tiens à saluer le travail effectué en collaboration avec France Travail, qui est allé vers les petites entreprises pour les aider à définir leurs besoins ou à rédiger des offres d’emploi. Ce déploiement engendrera des résultats ; j’en suis convaincu.

Simultanément, nous conduisons actuellement une action avec la ministre du travail sur le redéploiement des types de formation, en fonction des besoins des branches professionnelles. À ce titre, il est possible d’imaginer des financements différenciés selon les besoins d’un territoire, des entreprises dont les besoins sont réels. Je pense évidemment à l’hôtellerie, la restauration, les services à la personne, le bâtiment. À ce jour, 480 000 emplois ne sont pas pourvus. Je rappelle également que les entreprises ont créé 2 000 000 d’emplois, contribuant à faire diminuer le chômage de 9 % à 7 %. Il s’agit donc de mieux cibler l’accompagnement des demandeurs d’emploi vers des secteurs qui sont porteurs.

Ensuite, je ne peux que confirmer les propos de M. d’Ornano sur le soutien aux équipements de robots, de machines. Il est souvent reconnu que la France possède les meilleurs chercheurs, produit des technologies de pointe. Mais nous ne sommes pas toujours capables de les mettre en œuvre. Il faut soutenir tous ceux qui pourraient concourir à donner des outils de production performants et améliorer la productivité de nos entreprises.

M. Gilles Mure-Ravaud. La France est bien placée dans le domaine nucléaire, considéré comme une énergie « propre », quand l’image de la plasturgie est sans doute moins valorisée. Cela me conduit à souligner le travail nécessaire pour améliorer l’image de l’industrie auprès de nos jeunes. À cet effet, le syndicat patronal national du papier carton, que je préside, a lancé une campagne nationale, comportant notamment des affichages dans le métro, sur le média papier et imprimé. De telles actions de communication contribuent à modifier les mentalités.

J’ajoute par ailleurs que les CFA sont essentiels et qu’ils disposent d’un maillage très intéressant. Nous disposons là d’un bon outil, que nous devons continuer à développer. S’agissant toujours de l’image, j’ai en tête une statistique selon laquelle un jeune diplômé sur deux d’une école scientifique change de métier très rapidement. Sur les 100 000 jeunes considérés, 50 000 passent ainsi d’une filière à l’autre.

Nous sommes effectivement sous-équipés en termes de robots. Dans ces circonstances, créer des usines de fabrication de robots me semble constituer une très bonne idée. Simultanément, si nous voulons combler le retard actuel, il est également nécessaire de s’équiper de robots existants, performants et d’un bon rapport qualité-prix. Dans le domaine de l’imprimerie et de la papeterie, il n’existe plus aujourd’hui de fabricants français de machines à imprimer. Nous sommes donc obligés de nous équiper avec des machines fabriquées à l’étranger, en Allemagne ou ailleurs.

À ce sujet, un exemple me vient à l’esprit, concernant une société qui voulait construire des robots pour l’imprimerie et produire des tirages en petite quantité. Basée à Nevers, elle disposait d’un modèle économique ou business model intéressant, mais elle n’a pas réussi à trouver les financements, notamment parce que le marché n’était pas très porteur. En conséquence, elle a malheureusement dû se résoudre à cesser son activité.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie à mon tour d’avoir accepté notre invitation. Il nous tenait véritablement à cœur de vous recevoir parce que vous représentez justement ce tissu de TPE, PME et ETI qui constitue, en complémentarité avec les grands groupes, ce socle industriel de base. Ces acteurs permettent non seulement de faire vivre l’économie de la nation d’abord, mais constituent également le fondement sur lequel repose le potentiel de réindustrialisation de notre pays. BPIFrance a ainsi communiqué sur un chiffre passionnant, qui doit guider nos travaux : les deux tiers du potentiel de réindustrialisation de la France résident dans nos PME et ETI. Je n’oublie pas non plus le maillage des très petites entreprises représentées aujourd’hui par l’U2P, qui sont évidemment indispensables à la vie de ces PME et de ces ETI.

Avant d’évoquer des sujets transverses, je souhaiterais interroger chacun d’entre vous sur les freins à la croissance que rencontrent vos entreprises en raison de leurs tailles respectives. Monsieur Picon, vous avez évoqué le fait que beaucoup de petites entreprises de moins de onze salariés auraient les capacités, les ressources et même l’envie de croître, mais qu’elles auraient besoin d’un accompagnement pour y parvenir. De quelle manière cet accompagnement devrait-il prendre forme ? S’agit-il de mettre en place des services spécialisés au sein des différentes agences ou entités comme BPIFrance ?

Monsieur d’Ornano, vous avez souligné que nos ETI sont non seulement au cœur de l’activité industrielle de notre pays, mais également qu’elles contribuent fortement à nos exportations. Ceci est essentiel, compte tenu du terrible déficit commercial dont souffre la France, à hauteur de 81 milliards d’euros l’année dernière. Il est évidemment indispensable de tout entreprendre pour relocaliser un maximum d’activités et exporter. Aujourd’hui, quelles réformes préconiseriez-vous concernant le pacte Dutreil ? Je rappelle que celui-ci a permis le maintien, la pérennisation et la croissance d’entreprises comme les ETI.

Monsieur Mure-Ravaud, en tant que représentant des PME, quelles sont vos recommandations pour augmenter le nombre d’adhérents des métiers du METI ? Quels sont les principaux freins rencontrés par les PME dans le passage vers le statut d’ETI ?

M. Michel Picon. La majorité des PME souhaitent effectivement se développer et franchir un palier. Comme vous le suggérez dans votre question, il s’agit effectivement que tous les organismes qui accompagnent les entreprises à passer des étapes et à se développer fassent preuve d’une vision orientée vers les TPE. Il s’agit surtout pour elles de considérer que leurs interlocuteurs n’ont pas toujours le temps, ni les moyens de s’approprier les normes qui paraissent simples à certains ; car elles concentrent leur énergie sur leur production, leur activité. Ces organismes devraient ainsi être dotés d’un département spécifiquement dévolu aux TPE.

Il est coutume d’opposer l’organisation que je représente avec le Medef et les grandes entreprises qu’il rassemble. De fait, la production des normes s’adresse essentiellement à ces grandes entreprises, charge ensuite aux plus petites de s’y adapter. Nous recommandons la démarche inverse : il faudrait établir des normes simples, adaptées aux petites structures, puis créer des spécificités pour les plus grandes entités. Pour y parvenir, le dénominateur commun est la simplification. À ce titre, l’exposition pénale des chefs d’entreprise est importante non pas en raison d’une volonté de violer la loi mais parce que cette dernière est incompréhensible ; il faut être accompagné d’une ribambelle d’avocats pour éviter des amendes. Je rappelle que le code du travail et le code du commerce n’ont cessé de connaître une inflation du nombre de leurs articles.

La norme doit être simplifiée, au même titre que les contraintes qui pèsent sur les chefs d’entreprise ; je ne cesse de rencontrer des entrepreneurs qui ignorent s’ils sont dans la légalité ou non. Le 1er mai, les commerçants n’arrivent parfois pas à déterminer s’ils sont « essentiels » et autorisés à ouvrir ou non. J’ai pu assister à une scène où des gendarmes se sont rendus chez des fleuristes pour leur demander si telle ou telle personne était bien salariée. Ce constat vaut pour toutes les entreprises, mais il est encore plus prégnant pour celles qui ne disposent pas d’équipe en nombre suffisant. Les franchissements de seuil sont difficiles : pour un chef d’entreprise, passer de dix-neuf à vingt salariés ou de quarante-neuf à cinquante salariés est particulièrement angoissant. Cela ne peut être accompli sans être accompagné par des spécialistes ou une administration bienveillante qui vous facilite le travail. S’il n’existe pas de baguette magique, il est vital de prendre en compte les spécificités des plus petits.

M. Philippe d’Ornano. Je le redis : au début des années 1980, il y avait autant d’ETI en France qu’en Allemagne de l’Ouest. Si nous avions conservé la même proportion, le déficit de notre balance commerciale n’atteindrait pas de telles proportions ; les sous-jacents économiques de notre pays seraient bien plus solides, ce qui nous permettrait d’aborder de manière plus sereine un certain nombre de défis.

Le deuxième enjeu concerne la transmission : une ETI sur deux sera transmise lors des sept prochaines années. Se joueront alors les vingt prochaines années de l’économie française. Nous avons perdu trente ans en raison de ce blocage des transmissions d’entreprises, qui n’a été corrigé qu’au début des années 2000. L’objet du pacte Dutreil consiste précisément à ne pas payer d’impôts tant que l’on ne vend pas son entreprise.

L’Europe l’a très bien compris depuis la fin des années 1990, puisque le taux moyen d’imposition pour les transmissions est de 5 %. En France, compte tenu de la taxation des dividendes qu’il faut distribuer pour pouvoir financer une transmission d’entreprise, le taux est de 17,5 % en ligne directe et de 22 % à 23 % en ligne indirecte, avec les pactes Dutreil. En résumé, il faut aujourd’hui sortir de l’entreprise 17,5 % de sa valeur pour pouvoir la transmettre. Au préalable, ce taux était de 55 %.

J’ajoute qu’au sein de l’Union européenne, sept pays exemptent les entreprises de taxation lorsqu’il s’agit d’une transmission d’entreprise. Nous préconisons l’établissement d’un pacte long terme, à côté du pacte Dutreil. Ce pacte comporterait un engagement encore plus long, avec le passage de 75 % à 90 % d’abattement en contrepartie d’une conservation qui serait portée à dix ans, soit une durée extrêmement longue. Ce faisant, cela permettrait à la France de se réaligner sur l’environnement européen et de regagner en compétitivité.

Ensuite, il ne faut pas établir en France un système de droits de douane à l’envers. Les entreprises devraient pouvoir produire en France dans un environnement compétitif similaire à celui de l’environnement européen. Si l’on arrive à recréer cet écosystème compétitif, il permettra de générer de l’activité et de l’emploi dans les territoires. Cela bénéficierait aux salariés : grâce à la baisse du chômage, les salariés reprendraient le pouvoir et les entreprises seraient obligées de mieux former.

Ce cercle vertueux a commencé à être mis en place dans les années 2010, d’abord avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sous François Hollande, puis avec le réalignement d’une partie de la fiscalité sous Emmanuel Macron. Il demeure un écart qui est important, de l’ordre de 130 milliards d’euros. Mais il ne coûte pas à l’État ; il s’agit d’un investissement qui engendrera un retour d’activité, lequel permettra à l’État de retrouver sa recette fiscale et à nos concitoyens de connaître une situation économiquement bien plus solide.

En résumé, ces mesures associent la facilitation de la transmission d’entreprises et la mise en place d’un écosystème aligné sur l’environnement européen. Il ne s’agit pas d’une politique de l’offre telle qu’elle est pratiquée par les Allemands ou les Chinois ; mais d’un début de politique de réalignement compétitif. Si nous parvenons à nous réaligner, le retour sera important pour notre pays.

M. Gilles Mure-Ravaud. Pour passer au niveau supérieur, il n’existe pas une recette unique, cela passe par la conjugaison de plusieurs actions. La première concerne la simplification. Il convient de faciliter les démarches des PME et PMI, qui doivent être aidées. Les dispositifs tels que « Territoires d’industrie » sont louables, mais ils doivent être poursuivis. La simplification concerne naturellement les normes ; la moindre certification ISO 9 002 ou 14 0001 est très onéreuse. En outre, nos compétiteurs étrangers bénéficient d’une fiscalité différente. Dans des secteurs comme la chimie ou la papeterie, nous sommes confrontés à des concurrents frontaliers (Espagne, Italie, Allemagne), qui profitent d’une fiscalité bien plus favorable.

Ensuite, pour pouvoir franchir un cap supérieur, il faut également protéger l’activité en amont et en aval. Je pense notamment à la chimie ; vous avez certainement entendu parler du cas de Vencorex, qui produisait des produits chimiques notamment destinés à des activités souveraines comme le nucléaire ou la défense. Aujourd’hui, un plan de continuation a été mis en place au niveau de la filière.

Enfin, il faut souligner le rôle des investissements. Je pense notamment à l’Italie, qui a mis en place des zones industrielles réunissant de très petites entreprises intervenant dans le même secteur d’activité, constituant ainsi des effets de grappe. En France, ce type d’organisation demeure beaucoup plus rare. Il importe donc de changer également les mentalités.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Avant d’évoquer les questions de compétitivité, je souhaite vous interroger sur les stratégies d’investissement public. Pour pouvoir se développer, une entreprise doit naturellement remplir son carnet de commandes. Mais l’État mène également des plans d’investissement, sur lesquels je souhaiterais vous interroger. Le plan France Relance 2020-2022 a déployé près de 100 milliards d’euros, dont 30 milliards d’euros étaient concentrés essentiellement sur nos territoires, nos PME et nos ETI.

Le plan France 2030 l’a ensuite remplacé. Son objectif, louable, consiste à se concentrer essentiellement sur les innovations dites de rupture. Considérez-vous que le plan France 2030 (54 milliards d’euros sur cinq ans) néglige le socle industriel de base que vous vous représentez au travers des ETI, PME et TPE, et qui est à mes yeux essentiel pour l’industrialisation de l’ensemble des filières, mais aussi des innovations ? Vous sentez-vous négligés par les objectifs d’attribution de ces investissements, mais aussi par les méthodes qui ont été choisies, c’est-à-dire le passage par des appels d’offres ?

M. Alexandre Montay, délégué général du METI. Lors du plan France Relance, nous avons relevé la mise en place d’une véritable « équipe de France » à travers les collectivités territoriales, l’État et des préfets, qui a produit une mobilisation assez forte sur des appels à projets, lesquels ont été bien structurés en direction des territoires. Ceux-ci ont permis aux ETI d’en bénéficier, puisqu’elles ont obtenu 18 % des appels à projets « réindustrialisation ». Le bilan est donc assez satisfaisant, dans la mesure où ces actions ont contribué à redynamiser l’investissement industriel.

Le bilan France 2030 est à ce stade beaucoup plus mitigé, puisque 6 % des ETI y sont éligibles. En effet, les grandes lignes directrices de l’investissement de France 2030 ne sont pas dirigées vers le socle industriel que vous mentionnez, mais vers des technologies de rupture, quand les ETI se positionnent plutôt dans l’innovation incrémentale. Il me semble que 53 milliards d’euros sont mobilisés dans le cadre de France 2030. Si un tel montant était accordé à l’effort de redressement compétitif, le retour serait majeur. De fait, les ETI seraient beaucoup plus réceptives à une amélioration de l’écosystème de compétitivité.

Les retours du terrain sur les méthodes d’appels d’offres sont extrêmement compliqués. J’ai encore discuté la semaine dernière avec un panel d’ETI de santé. Bien que la santé constitue un enjeu stratégique d’indépendance et de souveraineté, nous déplorons la très grande difficulté des entreprises de ce secteur à pouvoir émarger à France 2030 et à remplir les conditions d’attribution de ces appels à manifestations d’intérêts ou appels à projets.

M. Michel Picon. Les entreprises de proximité sont assez peu associées à ces plans, même si elles sont concernées au bout de la chaîne d’approvisionnement, en leur qualité de sous-traitants.

M. Gilles Mure-Ravaud. Si les ETI sont éligibles à 6 % des appels à projets de France 2030, les PME le sont encore moins. Nous n’y sommes pas vraiment associés, mais souhaitons que les appels d’offres soient plus lisibles, que les délais soient plus longs pour nous permettre de répondre.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. À mes yeux, il est indispensable de soutenir financièrement et d’investir dans les filières d’innovation technologique, mais il ne faut pas non plus négliger le socle industriel de base. Si tel est le cas, ces innovations seront développées industriellement à l’étranger.

Je souhaite par ailleurs évoquer le sujet du financement. Avant de bouleverser tout un modèle social – sur lequel je ne porte pas de jugement –, ne pensez-vous pas que la France ne mobilise pas suffisamment les atouts dont elle dispose déjà ? En effet, la France est dotée de près de 6 600 milliards d’euros d’épargne financière, qui pourrait être en partie mobilisée sur la base du volontariat.

Si l’on suit les études d’Olivier Lluansi, qui font relativement consensus, pour atteindre l’objectif de réindustrialisation à 15 % du PIB en 2035, il faudrait pouvoir disposer chaque année de 20 milliards d’euros supplémentaires de financement, soit près de 200 milliards d’euros sur dix ans. Or ces 200 milliards d’euros représentent moins de 2 % du stock actuel de l’épargne financière française.

Selon vous, ne faudrait-il pas créer un livret épargne industrie, qui semble constituer l’Arlésienne des derniers gouvernements ? Ne faut-il pas amplifier l’action de BPIFrance, créer un véritable fonds souverain français en mobilisant l’épargne des Français et en tirant parti de la rente énergétique de la France ? En effet, une fois amorti, le nucléaire pourrait nous apporter une rente intéressante. En outre, je suis favorable à l’exploitation des ressources gazières françaises, à condition évidemment d’y procéder de manière écologique. Notre sous-sol recèle ainsi d’une rente dormante de 200 milliards d’euros, que nous refusons d’exploiter depuis 2017.

M. Gilles Mure-Ravaud. Cette masse financière dormante peut effectivement faire songer à un gaspillage. Mais pour mobiliser le « bas de laine » des Français, il conviendrait de mener une campagne de communication bien adaptée, auprès du plus grand nombre. Un tel mouvement de l’assurance-vie nécessite en effet de faire preuve d’une grande pédagogie. Je serais pour ma part le premier à accepter de diriger mon argent dormant en direction de l’industrie, mais encore faut-il trouver des segments intéressants. Ensuite, BPIFrance peut être comparée à une Ferrari dont le moteur serait sous-dimensionné, ce qui est regrettable, tant cet organisme est envié par de nombreux États.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie. Comme je l’ai précisé dans ma question, il s’agirait de mobiliser l’épargne des Français uniquement sur la base du volontariat. J’ajoute d’ailleurs que dans son étude, Olivier Lluansi estime que nonobstant le risque que représenterait un tel produit, la rémunération serait a priori au rendez-vous. Il considère en effet que le rendement serait environ de 5 %, à comparer avec la très faible rémunération offerte par le livret A, compte tenu de l’inflation. Dès lors, il est raisonnable de penser que les Français seraient enclins à se tourner vers un tel produit.

M. Michel Picon. Je connais bien le monde de l’assurance vie, pour avoir vendu des produits financiers pendant de longues années à nos concitoyens. Je me dois de préciser que ces derniers sont averses au risque, mais au fond, il en va également de même des établissements bancaires et des assureurs. Je ne suis pas certain que les détenteurs de ces milliards d’euros d’assurance vie soient conscients que leur argent est aujourd’hui plus fléché vers les États-Unis que vers les entreprises françaises. Si on leur expliquait, peut-être l’abriteraient-ils de manière différente. En revanche, les retours sur investissement, non pas pour l’épargnant lui-même, mais pour les intermédiaires que sont les grands acteurs financiers comme les assureurs et les banquiers bancaires, seraient moins élevés.

En conséquence, peut-être conviendra-t-il que le législateur et au-delà, les pouvoirs publics, incitent plus les acteurs financiers à agir de la sorte. Quoi qu’il en soit, leurs clients ne leur interdisent pas de le faire. La plupart des gens qui versent tous les mois 150 euros, voire 200 euros dans une assurance-vie ne donnent pas une instruction sur l’allocation de ces sommes. Les acteurs financiers choisissent où ces montants sont placés ; ils arbitrent entre le risque et la sécurité, conscients que leurs clients en assurance vie ne placent pas leur argent sur les marchés boursiers.

Il convient donc d’organiser ce fléchage vers les entreprises, notamment les petites entreprises. Il est très difficile pour nos entreprises d’avoir recours à tous les soutiens existants, d’abord parce qu’elles les méconnaissent. Aujourd’hui, il existe de nouveaux métiers dont l’objectif consiste précisément à « chasser » les aides et différents soutiens. Une disposition s’achevant à la fin de l’année 2025 porte sur l’amortissement du fonds commercial dans la reprise d’entreprises, afin que l’acheteur dispose d’une trésorerie plus améliorée lui permettant de plus investir dans le projet, notamment en rééquipement des machines ou dans les ressources humaines.

En résumé, je partage votre proposition, compte tenu de l’aversion au risque des banquiers vis-à-vis des petites entreprises. Si une entreprise de sept à huit personnes n’a pas le soutien d’un fonds de cautionnement – il en existe quelques-uns mis en place avec les organismes professionnels de l’artisanat ou des professions libérales –, il lui est difficile de trouver un banquier acceptant de l’accompagner. Il ne faut pas oublier que le banquier est lui-même soumis à des contraintes de solvabilité.

M. Philippe d’Ornano. La mobilisation de l’épargne financière des Français semble constituer une bonne idée, sur le papier. Mais il s’agit également d’une très grande responsabilité, y compris si l’on procède par des incitations et sur la base du volontariat. En réalité, il convient de respecter le bon timing, en procédant étape par étape.

Si l’on n’a pas redressé au préalable l’environnement compétitif, il est vraiment dangereux d’inciter les Français, déjà averses au risque et aux marchés financiers, à investir leur épargne dans des projets industriels. Encore une fois, il convient d’abord de procéder à ce réalignement compétitif.

Ensuite, il faut relever les nombreux débats, voire contre-vérités sur le rendement et la fiscalisation de la prise de risque de l’investisseur. En France, un investisseur est, au total, taxé à 72 % ou 73 %. D’abord, je rappelle le taux de 55 % attaché à la fiscalité dans l’entreprise. Certains économistes font remarquer qu’il faut effectivement intégrer l’impôt sur les sociétés, mais en réalité l’investisseur a injecté de l’argent dans un projet, a développé une entreprise, payé ses salaires, acheté ses machines. Celui-ci paye un impôt sur les sociétés sur son résultat, mais aussi les taxes de production, qui sont à peu près 30 % plus élevées que l’impôt sur les sociétés. Si l’on considère cet ensemble, en moyenne, l’investisseur est fiscalisé dans l’entreprise à 55 % et 34 % en distribution.

Je constate simplement qu’il s’agit d’une très lourde fiscalité, en tout cas supérieure celle du travail, contrairement à ce que l’on entend très souvent dire, à tort. Dès lors, cette question doit être abordée si l’on veut que plus en plus de personnes se dirigent vers l’investissement productif, le soutien aux entreprises.

Le premier point consiste à réaligner compétitivement la France pour que les entrepreneurs aient une chance d’obtenir un retour sur investissement. Ensuite, il doit pouvoir gagner raisonnablement, prendre sa marge, ce qui est peu le cas en France. Par conséquent, le marché de l’investissement est beaucoup plus faible en France qu’aux États-Unis, ce qui pénalise la croissance et le développement des entreprises.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Venons-en à présent à la question de l’alignement compétitif. La France dispose d’un atout comparatif et compétitif majeur, notamment au sein du marché unique européen : le coût de production de son énergie. Comme vous l’avez bien souligné, pendant la crise énergétique que nous avons traversée, le coût de production est resté le même, mais les prix ont très fortement augmenté, étant parfois multipliés par dix.

Une réforme du marché européen de l’énergie a été négociée. Elle permet aux activités électro-intensives, aux grands groupes énergivores, de pouvoir bénéficier de prix attractifs dans le cadre de leurs activités. Malheureusement, l’ensemble des entreprises de l’économie française se retrouve privé de cet atout compétitif fourni par la production électrique française, notamment grâce au nucléaire, qui est également décarbonée et en quantité suffisante.

Par conséquent, appelez-vous à un élargissement de l’assiette des acteurs économiques qui peuvent bénéficier du prix attractif de la production électronucléaire ? En appelez-vous à une décorrélation des prix de production de l’électricité française, parmi les moins chers d’Europe, de ceux du gaz, à l’échelle européenne ? Souhaitez-vous que les règles européennes de tarification de l’électricité soient entièrement réformées ?

Je précise que nous sommes dans un marché unique et que vos entreprises se retrouvent évidemment en compétition directe avec des pays d’Europe de l’Est, qui bénéficient d’un atout comparatif, grâce à un coût de main-d’œuvre nettement plus faible. Je ne souhaite évidemment pas remettre en question le marché unique. Mais nous souffrons de 36 milliards d’euros de déficit commercial avec les autres pays de l’Union européenne. Retrouver notre atout compétitif en matière de prix de l’énergie permettrait selon moi de pouvoir jouer avec des règles à peu près loyales face à ces pays de l’Europe de l’Est.

M. le président Charles Rodwell. Je me permets de compléter la question de M. le rapporteur. Comment jugez-vous le fait qu’un million de TPE et de PME françaises aient vu la hausse de leurs factures d’électricité limitée grâce à l’investissement des Français et de l’État pour les protéger face à la crise énergétique qui les a frappés ?

M. Michel Picon. Nos entreprises intervenant dans le secteur industriel ne sont pas particulièrement énergivores. Cependant, dans le secteur de l’artisanat, l’État a aidé certaines professions fortement consommatrices d’électricité, comme les boulangers, à tenir au moment de la crise de l’énergie. Je pense qu’une partie de nos problèmes est héritée des atermoiements qui existaient il y a quelques années au sujet de la politique énergétique du pays. Les entreprises ont été victimes des signaux contradictoires successifs dans ce domaine.

En tant que législateurs, vous savez pertinemment que les entreprises ont besoin de lisibilité et de stabilité. Elles sont décontenancées lorsque le prix des matières premières explose. Des amortisseurs sont donc nécessaires. Par ailleurs, dans ce domaine, la simplification est également essentielle. Les petites entreprises doivent affronter un véritable parcours du combattant pour connaître les outils permettant d’accéder à une énergie moins chère.

M. Philippe d’Ornano. Monsieur le rapporteur, vous avez raison de souligner que les entreprises industrielles françaises ont payé leur électricité à un prix injuste en raison de la guerre en Ukraine, qui l’a décorrélé du coût de production. Si celles-ci avaient le malheur de signer leur contrat ou leur renouvellement de contrat à un mauvais moment, elles pouvaient payer jusqu’à dix fois plus cher. De mon côté, mon entreprise a subi une multiplication des coûts par quatre, dont l’impact a été encore plus violent pour nos sous-traitants. Simultanément, les énergéticiens ont enregistré de très forts profits. Au moment même où il était question de réindustrialiser le pays, les impacts ont été extrêmement violents.

Si nous voulons mener une véritable politique de réindustrialisation, deux objectifs doivent être poursuivis : une énergie compétitive, donc la moins chère possible ; mais également la plus décarbonée possible. Aujourd’hui, selon les énergéticiens français et les comparaisons avec les autres pays, le prix de production est environ de 60 euros le mégawattheure, contre 30 dollars aux États-Unis.

Dès lors, il convient de se demander si nous payons le bon prix. Ne faudrait-il pas par exemple moderniser les installations hydroélectriques en compagnie de l’Europe ? Le parc nucléaire est-il utilisé à son plein potentiel, lequel permettrait de faire baisser le prix de revient ? Ces enjeux sont vitaux pour la réindustrialisation. Notre parc électronucléaire constitue certes un avantage, mais sommes-nous sûrs de le valoriser suffisamment si nous voulons véritablement aider un certain nombre d’entreprises électrointensives ? Les aides à ces entreprises étaient d’ailleurs comptabilisées à hauteur de 1.7 milliard d’euros par Rexecode.

Si ce choix est effectivement un réel objectif, les pouvoirs publics doivent en tirer les conséquences et fournir des aides aux entreprises électro-intensives, lesquelles ne sont pas toujours des grandes entreprises, mais parfois aussi des ETI. À mon avis, les législateurs et les pouvoirs publics doivent se poser la question.

M. Alexandre Montay. Par ailleurs, le débat ne doit pas se limiter à l’électrointensivité, mais doit également concerner le secteur diffus industriel, composé par les entreprises « électrosensibles ». Sans être électrointensives, ces dernières présentent néanmoins des consommations importantes, à l’image de la verrerie ou de la plasturgie par exemple. Lors de nos discussions avec les énergéticiens et le gouvernement, nous nous sommes ainsi efforcés de remettre au cœur du sujet le secteur diffus industriel. Il s’agit là aussi d’ETI et de PMI.

M. Gilles Mure-Ravaud. Pendant longtemps, le gisement de Lacq fournissait du gaz ; mais désormais, nous n’en entendons plus parler. J’ai découvert en écoutant M. le rapporteur que le sous-sol français recèle d’importantes quantités de gaz. Si tel est le cas, il s’agit naturellement d’une heureuse nouvelle. De son côté, la CPME prône une décorrélation du prix de notre électricité de celui du gaz. Nous disposons en effet d’une filière nucléaire mondialement reconnue, mais je n’ai pas le sentiment que tout est entrepris pour permettre aux industriels d’en bénéficier.

Les petites entreprises peuvent parfois être affectées à deux niveaux. D’une part, elles sont souvent sous-traitantes et d’autre part, elles utilisent des produits provenant de grandes entreprises qui ont malheureusement été profondément touchées. Nous souffrons donc à la fois en amont et en aval. Dans le secteur du papier et de l’imprimerie, une seule machine grande consommatrice d’énergie peut constituer à elle seule 20 % à 30 % des coûts totaux de l’entreprise. Une simple variation de quelques pourcents peut donc facilement entraîner un dépôt de bilan.

Il convient de prêter une attention particulière aux filières et de mener une politique bien plus massifiée. Parmi les 66 000 entreprises qui ont déposé le bilan, il serait intéressant de savoir le nombre de celles qui y ont été conduites principalement en raison de la hausse des coûts de l’énergie. En résumé, il est nécessaire de mener une réflexion globale, bien au-delà de celle qui a été menée jusqu’à présent. La France ne dispose pas d’un très grand nombre d’avantages comparatifs, mais l’électricité d’origine nucléaire en fait partie.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Monsieur Mure-Ravaud, vous avez parlé de 66 000 défaillances d’entreprises. Nous savons qu’en début d’année, il restait à peu près 40 milliards d’euros de prêts garantis par l’État (PGE) à rembourser sous deux ans. Cet élément explique à mon sens en partie le grand nombre de défaillances que notre pays a enregistrées. Vos organisations respectives appellent-elles au report des échéances du remboursement des PGE ?

M. Philippe d’Ornano. Il peut toujours exister quelques cas particuliers, mais il ne s’agit pas véritablement d’un sujet général pour les ETI.

M. Michel Picon. Nous demandons pour notre part un étalement dans le temps du remboursement, pour les entreprises qui en ont besoin. Nous demandons aux banques de refinancer l’opération, avec le soutien de l’État. Cette prolongation intervient parfois, mais au cas par cas.

M. Gilles Mure-Ravaud. L’État a déjà énormément contribué. La CPME réfléchit quant à elle à un étalement.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. La question de la commande publique a déjà été évoquée tout à l’heure. Nous savons qu’il s’agit d’une dépense relativement immuable et contrainte. Or à l’heure actuelle, deux tiers des achats publics en matière de biens manufacturiers sont importés. Seriez-vous favorable à ce que nous nous inspirions du modèle allemand, conforme aux règles européennes de la concurrence des marchés publics ? Celui-ci prévoit ainsi une clause de localisation pour autoriser les acheteurs publics à favoriser une entreprise ou les moyens d’exécution d’un marché public pour un motif de proximité géographique. Aujourd’hui, la clause environnementale peut être invoquée en ce sens, à défaut d’une clause de « priorité nationale », qui ne serait pas conforme au droit européen.

M. Michel Picon. Je réponds par l’affirmative, même si je ne mesure pas les tensions que cela pourrait susciter par ailleurs, pour certaines entreprises. La commande publique doit favoriser le tissu d’entreprises localisées dans son secteur.

M. Philippe d’Ornano. Il me semble dangereux de mettre en place ce type de système. En revanche, il faut pouvoir bonifier les externalités positives françaises. Lors du débat sur la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, nous avions agité une idée, qui suit d’ailleurs son cours, d’un standard environnemental européen. Celui-ci se rapproche ainsi du dispositif de haute qualité environnementale (HQE). Il s’agit d’un standard volontaire que les entreprises sont libres d’intégrer ou non. Il présente l’avantage de pouvoir objectiver les externalités positives françaises, notamment pour les acheteurs publics, les investisseurs, les consommateurs, mais aussi éventuellement les politiques publiques de subvention.

La France dispose en la matière d’un certain nombre d’atouts, qui pourraient être pris en compte. Il ne s’agirait pas de donner une priorité à l’achat en France, mais plutôt de bonifier en fonction d’une certaine grille et d’un certain nombre de facteurs, pour permettre à l’acheteur public de prendre en compte l’avantage de la production en France. Un travail est actuellement mené sur ce sujet.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Sans vouloir déclencher de débats entre vous, ne pensez-vous pas qu’un tel mécanisme constituerait justement une barrière d’accès aux marchés publics pour les PME, dans la mesure où de tels standards seraient particulièrement discriminants pour elles ?

M. Philippe d’Ornano. Je ne crois pas. J’ai déjà pratiqué un process HQE pour un bâtiment. L’avantage d’un tel dispositif réside dans sa simplicité et sa nature adaptée à la taille de l’entreprise, mais aussi au secteur. Quels que soient la taille ou le secteur d’activité, cela permet de rentrer dans un dispositif qui offre la possibilité à de nombreuses tierces parties de se positionner. Je pense ainsi à la Banque de France, aux acheteurs publics, aux investisseurs intéressés par un positionnement dans des secteurs plus verts, et aux consommateurs.

Il nous semble très intéressant que la France préempte ce dispositif. Si nous n’agissons pas de la sorte, je ne suis pas certain que les avantages, notamment écologiques, à produire en France soient pris en compte par l’ensemble de l’Union européenne. Je rappelle en effet que la France fait partie des favoris ou leaders de la production décarbonée en Europe.

M. Gilles Mure-Ravaud. De notre côté, nous préconisons surtout d’y voir plus clair en matière d’approvisionnement, ou de sourcing et d’allotissement, c’est-à-dire des éléments qui sont essentiels pour les PMIE et les PME. Nous conduisons à ce titre une réflexion sur ces sujets, mais elle n’a pas encore abouti.

M. le président Charles Rodwell. Notre audition s’achève. Je pense que M. le rapporteur partage ma frustration ; nous aurions aimé pouvoir encore discuter avec vous, mais nous devons accueillir notre prochain invité. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges si vous le souhaitez, en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en adressant les documents que vous jugerez utiles au secrétariat de la commission d’enquête.

 

La séance s’achève à seize heures cinq.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Emmanuel Fernandes, Mme Florence Goulet, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Lionel Vuibert, M. Frédéric Weber