Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Table ronde, ouverte à la presse, sur l’accès aux matières premières stratégiques pour l’industrie, réunissant :

 Mme Catherine Lagneau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

 M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (DIAMMS)

 M. Philippe Varin, président de la Chambre de commerce internationale, ancien président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën, ancien président du conseil d’administration d’Areva, auteur du rapport Sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matières premières minérales              2

– Présences en réunion................................22

 


Lundi
5 mai 2025

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 36

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à dix-huit heures dix.

M. le président Charles Rodwell. Mes chers collègues, nous concluons cette journée d’audition en tenant une table ronde consacrée notamment à l’accès aux matières premières stratégiques pour l’industrie, en réunissant M. Philippe Varin, président de la Chambre de commerce internationale, ancien président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën, ancien président du conseil d’administration d’Areva, et auteur du rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière première minérale, remis au gouvernement en janvier 2022, M. Catherine Lagneau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Mme Catherine Lagneau, M. Benjamin Gallezot et M. Philippe Varin prêtent successivement serment).

M. Philippe Varin, président de la Chambre de commerce internationale, ancien président du directoire du groupe PSA Peugeot Citroën, ancien président du conseil d’administration d’Areva. Je vous remercie pour votre invitation. Je souhaite rappeler brièvement le contexte, les diagnostics et les recommandations que j’ai formulées début 2022.

Concernant le contexte, trois éléments essentiels sont à considérer. Premièrement, nous sommes entrés dans l’ère des matériaux. Un citoyen européen consomme déjà 20 tonnes par an d’extraction de la planète pour les matériaux. Dans les 30 prochaines années, nous consommerons autant de matériaux que depuis le début de l’humanité. Cette problématique est amplifiée par la transition écologique, qui nécessite des matériaux présents en faible quantité dans la croûte terrestre. L’empreinte d’un véhicule électrique est six fois supérieure à celle d’un véhicule thermique, et un kilowattheure éolien requiert six fois plus de matériaux qu’un kilowattheure gaz. La fabrication d’un smartphone de 130 grammes nécessite 70 kg de matière. Les matériaux critiques sont donc essentiels pour les transitions écologique et numérique. Sur le plan géopolitique, on passe du triangle du pétrole (États-Unis, Russie, Arabie Saoudite) à une géopolitique des matériaux, ces derniers étant inégalement répartis sur la planète.

Deuxièmement, l’implication des États, au-delà des outils économiques traditionnels, s’avère indispensable. La Chine contrôle désormais 60 % des chaînes de valeur menant aux batteries ou aux aimants pour les voitures, atteignant des parts de marché de 90 % sur certains segments comme le gallium, le scandium, le graphite ultra pur ou les terres rares. Les États-Unis ont réagi avec l’Inflation Reduction Act (IRA) et un investissement de 370 milliards de dollars visant une autosuffisance continentale.

L’Europe a réagi tardivement, grâce à la proposition du commissaire européen Thierry Breton du règlement du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques ou Critical Raw Materials Act qui a fait progresser certains sujets, malgré l’absence d’une étude d’impact approfondie et de crédits spécifiques conséquents.

Troisièmement, nous faisons face à une véritable révolution systémique. Il est logique de rouler en France avec un véhicule électrique alimenté par l’énergie nucléaire, mais cela l’est moins en Allemagne où l’électricité provient en partie du charbon. L’absence de synchronisation au niveau européen entre le développement des véhicules électriques et de l’énergie décarbonée constitue une incohérence majeure.

Quant au diagnostic, nous risquons un déséquilibre entre l’offre et la demande de matériaux critiques, avec des conséquences sur les prix et la disponibilité, pour trois raisons principales.

Premièrement, les pays riches en ressources sont souvent politiquement instables, comme nous l’avons constaté en Amérique latine. L’instabilité politique en Afrique constitue aussi un enjeu majeur pour la sécurisation des matières premières, d’autant plus dans le contexte actuel de découplage entre l’Union européenne, la Chine et les États-Unis.

Par ailleurs, le secteur minier traverse actuellement une phase de sous-investissement, caractérisée par un manque de réserves et des rendements décroissants. L’exploitation de gisements de cuivre à teneur suffisante nécessite désormais des forages plus profonds, coûteux et chronophages.

De plus, le syndrome « non au projet dans mon arrière-cour » ou « Not in my backyard » (Nimby) et le renforcement des réglementations allongent considérablement les délais de mise en exploitation des nouvelles mines, avec des durées atteignant sept à dix ans au minimum. Cette situation complique l’équilibrage de l’offre et de la demande.

Face à ces défis, les clés du succès résident dans la rapidité d’innovation et le développement de mines responsables, garantissant une traçabilité indispensable à leur acceptabilité sociale. Il est important d’intégrer l’éco-conception dès les premières étapes, comme nous l’avons fait pour les batteries.

Contrairement aux smartphones, dont le taux de recyclage est quasi nul, malgré leur forte consommation de matières, les nouvelles chaînes de matériaux intègrent l’éco-conception dès le début.

Enfin, l’atténuation des risques ou « dérisking » des enjeux financiers s’avère essentiel, car cette transition nécessitera d’augmenter les investissements en infrastructures de deux à cinq trillions de dollars, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015.

Mes recommandations s’articulent autour de trois niveaux. Au niveau national, j’approuve la création du poste de délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (DIAMMS), ainsi que la mise en place d’un observatoire sur les matériaux critiques. Je recommande également le renforcement des compétences et des programmes de recherche et développement (R&D) dans les filières des batteries et des aimants, ainsi que la création d’un fonds d’investissement dédié.

En collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, il est important de développer une diplomatie des métaux ciblant des pays et des matériaux spécifiques. La cartographie actualisée du sous-sol français en matière de ressources s’impose, la dernière datant d’une quarantaine d’années. En outre, il convient de concentrer les efforts sur certains territoires stratégiques, comme à Dunkerque où deux usines géantes ou gigafactories ont été implantées, ou encore à Lacq pour les aimants, et en Alsace pour le lithium.

Au niveau européen, je préconise l’établissement d’un règlement sur les batteries, la définition de normes pour l’exploitation minière responsable, la mise en œuvre du Critical Raw Materials Act, et l’augmentation des investissements dans l’innovation de rupture.

Enfin, au niveau mondial, bien que cela dépasse le cadre de mon rapport initial, je souligne l’importance de créer une Agence internationale des matériaux, à l’instar de l’Agence internationale de l’énergie. Il est essentiel de centraliser les données actuellement dispersées entre différentes entités. De plus, face à la multiplication des restrictions commerciales sur les exportations de matériaux, comme celles imposées par la Chine ou l’Indonésie sur le nickel, un dispositif de contrôle doit être mis en place, afin d’éviter que ces ressources ne deviennent une arme diplomatique aux mains de quelques pays.

Mme Catherine Lagneau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). En complément des éléments présentés par Philippe Varin, je souhaite vous exposer le rôle et les missions du BRGM, dans le contexte qui nous occupe ce jour.

Le Bureau de recherches géologiques et minières est un établissement public de recherche et d’expertise dont l’histoire remonte à deux siècles. Sa création s’inscrit dans la volonté de l’État français d’étudier ses ressources du sous-sol, coïncidant avec l’avènement de l’ère industrielle et la mise en place des premiers services de cartographie géologique. Il convient de rappeler que l’intérêt de l’humanité pour les ressources du sous-sol est bien plus ancien, comme en témoigne la dénomination des âges préhistoriques (âge du fer, âge du bronze, etc.). La mondialisation et l’ère pétrolière nous ont peut-être fait oublier temporairement notre dépendance à ces ressources.

Le BRGM a longtemps concentré ses efforts sur l’étude des ressources minérales, de l’exploitation minière, jusqu’au dernier inventaire réalisé dans les années 1970-1980. Par la suite, l’État français s’est désengagé de ce domaine, et notre établissement a élargi son champ d’action à d’autres enjeux liés au sous-sol. Nous travaillons désormais sur les risques géologiques tels que le retrait-gonflement des argiles et l’érosion côtière, ainsi que sur la gestion des eaux souterraines, notamment à travers l’exploitation du réseau piézométrique national.

Nous assurons également la surveillance des anciens sites miniers et la maîtrise d’ouvrage déléguée pour l’ensemble des sites miniers sur le territoire national. Nos activités s’étendent aussi aux ressources du sous-sol pour la transition énergétique, comme la géothermie et le stockage de CO2.

Actuellement, en 2025, notre travail sur les ressources minérales ne représente qu’environ 10 % de notre activité. Cette réduction s’explique par notre statut d’établissement public industriel et commercial, qui nous oblige à travailler en fonction des financements accordés dans le cadre de projets spécifiques. Nous avons néanmoins maintenu notre expertise en métallogénie et en qualification des gisements grâce à nos activités internationales, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, où nous avons réalisé des inventaires de ressources minérales.

Cette expertise nous permet aujourd’hui de relancer un grand inventaire des ressources minérales en France, à la demande de l’État dans le cadre de la planification écologique. Ce projet, officiellement lancé au début de cette année, mais sur lequel nous travaillons depuis un an, revêt une importance particulière. En effet, bien que le sous-sol n’ait pas changé, nos objectifs de recherche ont évolué. Par exemple, nous n’avions jamais systématiquement recherché les ressources en lithium sur notre territoire national, ni d’autres ressources comme les terres rares, essentielles à la transition écologique.

Cette nouvelle ère des ressources minérales se caractérise par la recherche de substances aux propriétés nouvelles, nécessaires à l’électronique et à l’industrie moderne. De plus, les avancées technologiques en géophysique et en géochimie nous permettent désormais d’explorer le sous-sol plus en profondeur et avec une plus grande précision.

Nous disposons aujourd’hui de capacités d’analyse plus fines en géochimie, permettant une détection et une qualification plus précises des minerais. Cette évolution scientifique nous conduit à retourner sur le terrain pour effectuer de nouveaux prélèvements et réaliser des vols aéroportés, afin de collecter des données géophysiques actualisées.

De plus, les technologies numériques et l’intelligence artificielle facilitent considérablement le croisement des données existantes avec les nouvelles informations recueillies, offrant ainsi de nouveaux indices sur les anomalies du sous-sol, caractéristiques des ressources minérales.

Cependant, cet inventaire stratégique, bien qu’il fournisse des indications précieuses sur les zones potentielles d’exploration, ne constitue qu’une première étape. Des investigations plus poussées seront nécessaires, car, in fine, seuls des forages permettront de connaître avec certitude la composition du sous-sol. Cette phase de forage n’est pas incluse dans l’inventaire actuel, qui se limite aux prélèvements de surface et aux données électromagnétiques. La qualification précise de la nature des gisements de notre sous-sol ne pourra être réalisée que lors d’une phase ultérieure, plus tactique.

M. Benjamin Gallezot, délégué interministériel aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques (DIAMMS). Je suis ravi de pouvoir présenter devant votre commission d’enquête notre diagnostic sur ce sujet, ainsi que les mesures mises en place, qui s’inscrivent dans la lignée des recommandations rappelées par Philippe Varin. Avant d’aborder les différents aspects de la politique menée, permettez-moi de souligner quelques points essentiels.

Premièrement, notre approche englobe l’intégralité de la chaîne de valeur des métaux, de l’extraction au recyclage, en passant par les étapes de transformation et de raffinage. Cette vision globale est importante pour identifier précisément les goulots d’étranglement et les dépendances qui se situent en particulier au niveau des phases de raffinage, dans un nombre limité de pays, plutôt qu’au niveau de celles de l’extraction.

Deuxièmement, nous traitons d’une cinquantaine de métaux stratégiques, chacun présentant des spécificités qui rendent impossible l’application d’une politique uniforme. Les marchés de ces métaux varient considérablement en taille, allant de 150 à 200 milliards de dollars par an pour l’aluminium ou le cuivre, à moins de 10 milliards pour l’ensemble des terres rares, à comparer aux 2 000 milliards du marché pétrolier.

Troisièmement, ces métaux sont utilisés dans l’ensemble de l’industrie, avec des besoins variant selon les secteurs. Prenons l’exemple du titane : son utilisation principale se fait dans les peintures et additifs, mais une partie est également employée sous forme de métal dans l’industrie, avec différentes qualités selon les applications.

Quatrièmement, nous nous trouvons à l’intersection entre des marchés très internationalisés et des considérations de politique publique. Les considérations géopolitiques et économiques doivent être conciliés dans notre approche.

Ces caractéristiques ont guidé l’élaboration de notre politique, qui s’articule autour de quatre axes principaux. Le premier concerne l’intelligence minérale, à savoir la connaissance fine des différentes filières, des ressources, des besoins de nos industries, la réalisation de tests de résistance, incarné par l’Office français des ressources minérales pour l’industrie (OFREMI). Cet organisme, fruit d’un partenariat entre cinq établissements publics de recherche et filières industrielles.

Le deuxième axe se concentre sur le développement des capacités sur le territoire national. Cela inclut l’extraction, avec la réaffirmation par le gouvernement de sa volonté d’exploiter les ressources de notre sous-sol. Le Parlement sera prochainement saisi d’un document de politique dans ce domaine : la Politique nationale des ressources et des usages du sous-sol (PRUSS). La consultation publique est terminée et le ministre présentera prochainement les grands axes de la politique d’extraction pour les matières premières minérales, les stockages et la géothermie. Nous avons également lancé un inventaire de nos ressources minérales, financé par le programme France 2030.

Plusieurs projets phares illustrent cette démarche. Le projet « Exploitation de MIca Lithinifère par Imerys » (Emili), porté par la société Imerys sur la carrière de Beauvoir et à Montluçon pour la transformation du minerai, vise à répondre à environ un tiers des besoins en lithium du sous-sol français.

Dans le domaine des terres rares, nous avons deux projets en cours, dont l’un, déjà en production, concerne la séparation des terres rares, une capacité unique en Europe. Un projet est situé sur l’usine de Solvay à La Rochelle et un autre sur le bassin de Lacq avec Carester.

Concernant les batteries, nous aspirons à construire une chaîne complète, de l’extraction du lithium à la fabrication des matériaux de cathode, avec des projets portés par Orano à Dunkerque et Axens à Valenciennes, ainsi qu’un projet de précurseurs de matériaux de cathode, près du Havre.

Nous développons actuellement des installations de raffinage de lithium, de nickel et de cobalt, notamment sur le port autonome de Bordeaux. Dans le secteur du recyclage, nous avons lancé des initiatives importantes, telles que le recyclage direct d’aimants permanents, de matériaux électroniques, ainsi que de métaux de base, en particulier l’aluminium et le cuivre.

Nos projets en cours accroîtront de 50 % la capacité française de recyclage d’aluminium. De plus, le projet de l’industriel Nexans à Lens, dédié au cuivre, permettra de couvrir une part significative des besoins français en fil de cuivre recyclé.

Ces initiatives, parmi d’autres, bénéficient du soutien de l’appel à projets France 2030 pour les matériaux critiques, doté d’une enveloppe de 400 millions d’euros. S’y ajoute le crédit d’impôt industrie verte, adopté par le Parlement et applicable dès le 1er janvier 2024, qui a déjà été intégré dans la plupart des projets mentionnés, particulièrement ceux liés à la filière des batteries et des énergies renouvelables.

Notre stratégie vise à développer, pour un maximum de filières, les capacités de recyclage, de transformation et, lorsque c’est possible, d’extraction. Nous envisageons d’autres projets d’extraction, en fonction des ressources déjà identifiées.

Le troisième axe concerne la coopération internationale, qui joue un rôle essentiel dans cette démarche, car notre sous-sol ne peut répondre à l’ensemble de nos besoins. De plus, les chaînes de valeur étant internationalisées, nos industriels dépendront toujours en partie d’approvisionnements internationaux.

Dans ce contexte, nous avons établi une douzaine d’accords avec des pays sur différents continents. Ces partenariats couvrent divers aspects, notamment la coopération intergouvernementale pour aider ces pays à évaluer leurs ressources. La plupart des pays, y compris la France jusqu’à récemment, ne disposent pas d’évaluations actualisées de leurs ressources. Nous les assistons également dans le développement de compétences humaines nécessaires au lancement de projets miniers.

Ces coopérations visent à soutenir des projets industriels concrets. Un exemple notable est celui de l’industriel français Eramet, qui a inauguré l’année dernière en Argentine l’une des premières unités d’extraction directe de lithium au monde, produisant aujourd’hui des quantités significatives.

Pour appuyer ces initiatives, nous disposons de plusieurs outils financiers. Nous avons créé un fonds d’investissement avec la société InfraVia, auquel l’État contribue. Nous offrons également des garanties publiques du Trésor pour certains projets et prêts, permettant à nos industriels de sécuriser leurs approvisionnements. L’Agence française du développement (AFD) et sa filiale Proparco peuvent aussi soutenir certains projets.

L’innovation constitue le quatrième pilier de notre stratégie. Une grande partie des projets France 2030 mentionnés comportent un volet innovation, notamment pour développer de nouveaux procédés de raffinage et de recyclage.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour ces explications détaillées. Permettez-moi de vous poser une question concernant l’état actuel de nos connaissances, tant sur le potentiel de nos terres en France que sur celui des pays avec lesquels le BRGM collabore. Au vu des études que vous avez menées, réévaluez-vous le niveau de menace que représente notre forte dépendance vis-à-vis de la Chine pour certains minerais, matériaux et métaux ?

Les analyses géologiques que vous avez effectuées, que ce soit sur le territoire français, européen ou dans d’autres régions hors d’Europe et de Chine, confirment-elles l’état d’alerte actuel concernant notre dépendance excessive envers la Chine, tant pour l’extraction que pour le traitement de certains matériaux et métaux ?

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de la situation ? Estimez-vous que la non-exploitation du potentiel de nombreuses régions dans le monde pourrait permettre une diversification de nos marchés, capable d’accompagner l’augmentation de la demande en matériaux et métaux ?

M. Benjamin Gallezot. Chaque cas est unique dans ce domaine. Nous ne pouvons pas faire de généralisation ou de diagnostic qui s’appliquerait à tous les métaux. Pour chaque métal, nous devons analyser si la criticité relève plutôt de l’extraction ou de la transformation. De plus, la dimension temporelle est essentielle : certaines criticités n’existent pas aujourd’hui, mais pourraient devenir significatives à l’avenir.

Prenons l’exemple du cuivre. Actuellement, nous ne rencontrons pas de problème majeur d’approvisionnement ou de dépendance problématique. De nombreux pays peuvent fournir du cuivre, et les unités de transformation sont relativement diversifiées. Cependant, si nous projetons à 5, 10 ou 15 ans, la situation des gisements nécessite davantage d’exploration. Pour gérer cette potentielle criticité à long terme, nous devons développer le recyclage et établir des partenariats, notamment avec des pays d’Amérique latine et d’Afrique comme la République démocratique du Congo (RDC) ou la Zambie, pour les aider à développer de nouveaux gisements.

Concernant les terres rares, particulièrement celles utilisées dans la fabrication d’aimants permanents, la Chine détient effectivement une part de marché considérable. Néanmoins, si nous considérons le long terme et les nombreux projets en développement, tant dans l’extraction que dans le raffinage et la séparation, une diversification des ressources semble tout à fait réalisable.

Ces deux exemples illustrent la diversité des problématiques et des réponses nécessaires. J’aurais pu citer une cinquantaine de cas similaires. Dans le segment de la transformation, notamment pour certains métaux très spécialisés, la Chine occupe aujourd’hui une position dominante. Nous pourrons revenir sur les raisons de cette concentration, particulièrement dans les phases de raffinage.

Mme Catherine Lagneau. M. Gallezot a souligné un point important : la problématique ne se limite pas à la localisation géologique des ressources ou aux capacités d’extraction, mais s’étend également aux capacités de raffinage. Cette réalité explique notamment la position dominante de la Chine sur le marché des terres rares. Bien que ne possédant que 60 % des ressources mondiales, la Chine raffine près de 100 % des terres rares importées en Europe.

Concernant la France, nous avons lancé un nouvel inventaire pour évaluer précisément nos ressources disponibles. Nous savons déjà que notre territoire recèle des gisements de classe mondiale pour certains minerais comme le tungstène, l’antimoine, l’or, l’uranium et le baryum. Nous disposons également de ressources en cuivre, plomb, zinc, germanium, étain, niobium, tantale et béryllium. Cependant, la viabilité économique de ces gisements reste à déterminer. L’arrêt de leur exploitation dans les années 80 était principalement dû à la disponibilité des minerais sur le marché mondial à cette époque.

L’inventaire en cours vise à requalifier les échantillons prélevés lors du précédent recensement. Les premiers résultats sont encourageants et laissent présager l’existence de gisements de qualité sur notre territoire. Bien que ces ressources ne puissent pas couvrir l’intégralité des besoins de l’industrie française ou européenne, elles pourraient néanmoins susciter l’intérêt des industriels pour leur exploitation.

Le rôle du BRGM se limite à fournir des indices et des indications sur les ressources potentielles. L’enjeu d’un renouveau minier sur le territoire national réside dans notre capacité à susciter l’intérêt des industriels pour le développement de projets d’exploitation.

M. Philippe Varin. La question de l’approvisionnement en matières premières critiques est intrinsèquement liée aux choix des écosystèmes de réindustrialisation.

Prenons l’exemple de la mobilité électrique, en particulier la production de batteries. Le lithium, nécessaire à cette industrie, est relativement bien réparti sur la planète, y compris en France. Cette situation est plutôt rassurante. Cependant, les technologies des batteries lithium-ion actuelles requièrent également du nickel, du cobalt et du manganèse pour les cathodes.

Le cobalt pose un défi particulier, avec 64 % de la production mondiale concentrée en RDC. Heureusement, la tendance est à la réduction de la proportion de cobalt dans les cathodes, ce qui devrait atténuer progressivement ce point de tension.

Le nickel présente également des enjeux, sa répartition géographique étant limitée. Des pays comme l’Indonésie imposent des restrictions à l’exportation, ce qui souligne l’importance stratégique d’acteurs comme Eramet pour notre approvisionnement. Le cuivre reste un élément critique de manière générale.

Pour les moteurs électriques, qu’il s’agisse de véhicules ou d’éoliennes, l’utilisation d’aimants contenant des terres rares est importante. Une filière d’aimants doit être développée en France et en Europe. Bien que nous disposions de capacités à Pau et à La Rochelle, ce secteur nécessite une accélération significative. La dépendance vis-à-vis de la Chine pour l’ensemble des terres rares, légères et lourdes, représente un risque stratégique majeur.

Le titane, essentiel pour l’aéronautique, mérite également notre attention. Bien que la situation se soit améliorée depuis trois ans, le début du conflit en Ukraine a mis en lumière notre dépendance aux pays de l’Est de l’Europe, qui fournissaient alors 70 % de nos besoins. Cette situation requiert une vigilance constante.

Mme Catherine Lagneau. De nombreux métaux critiques sont des coproduits d’autres industries minières. Le gallium, par exemple, est extrait de la bauxite lors de la production d’aluminium, ce qui ne pose pas de problème de volume étant donné l’importance de l’extraction d’aluminium et de bauxite.

Cependant, certains métaux présentent des défis plus complexes. L’iridium, extrait conjointement avec le platine, illustre parfaitement cette problématique. Paradoxalement, plus nous recyclons le platine, moins nous en extrayons, ce qui réduit par conséquent la production d’iridium. Or, l’iridium est indispensable pour certaines technologies d’électrolyse de l’hydrogène, et nos besoins en iridium dépassent ceux en platine pour ces applications spécifiques. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la proportion d’iridium dans le minerai est inférieure à celle du platine.

Ces enjeux complexes de coproduction pour des besoins industriels spécifiques nécessitent une analyse approfondie de chaque métal, tant du point de vue de son utilisation que des défis liés à son extraction et son raffinage. Cette complexité justifie le travail minutieux réalisé par l’OFREMI, un outil partenarial qui conjugue les enjeux industriels et la connaissance géologique détaillée du sous-sol.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Monsieur Varin, votre rapport sur la sécurité d’approvisionnement des métaux critiques a été publié début 2022. Pourriez-vous faire un état des lieux des mesures qui ont été prises et, surtout, identifier les actions majeures qui restent à mettre en œuvre selon vous ? Par ailleurs, pourriez-vous développer la notion de « mine responsable » et nous expliquer pourquoi, à votre avis, ce label peine encore à s’imposer ?

Monsieur Gallezot, dans le cadre de vos responsabilités interministérielles, il est unanimement reconnu que, faute de pouvoir extraire nous-mêmes certaines ressources, nous devons les importer et donc sécuriser cet approvisionnement. La diversification des sources d’approvisionnement est évidemment indispensable. Dans quelle mesure les événements géopolitiques actuels pourraient-ils engendrer des pénuries pour nos producteurs sur le sol européen ?

Considérez-vous que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières européennes (MACF), qui vise à taxer en priorité les intrants plutôt que les produits finis ou semi-finis et qui sera mis en place au 1er janvier 2026, ne constitue pas, en l’état actuel, une difficulté pour l’approvisionnement en matières premières, notamment l’aluminium et l’acier, pour les producteurs européens soumis à la taxe carbone et en concurrence directe ?

Madame Lagneau, pourriez-vous nous éclairer sur les conséquences de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures dite « loi Hulot », qui interdit la recherche et l’exploitation des hydrocarbures, qu’ils soient conventionnels ou non ? Disposez-vous d’estimations sur les quantités et les gisements de gaz dont disposerait la France ? Pouvez-vous confirmer l’exactitude des chiffres du rapport remis en 2015 à Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, qui évoquerait des gisements de gaz de schiste pouvant être exploités écologiquement et générer près de 200 milliards d’euros de revenus sur une trentaine d’années ? Ces chiffres vous semblent-ils pertinents ? Il me semble que le BRGM n’avait pas été associé à ce rapport.

Dans ma circonscription, dans l’est de la Moselle, nous avons identifié ce qui semble être le plus grand gisement mondial d’hydrogène blanc, représentant environ la moitié de la production annuelle mondiale. Estimez-vous son exploitation réalisable, comme l’affirment les acteurs économiques ?

De plus, un gisement de gaz de couche a été découvert, dont le volume correspondrait à environ 5 % de la consommation annuelle française pendant une trentaine d’années. Considérez-vous pertinent d’exploiter ces gisements, notamment dans l’optique de réduire notre dépendance vis-à-vis de puissances étrangères ? Les industriels affirment que cette exploitation peut se faire de manière écologique, sans recourir à la fracturation hydraulique. Quelle est votre position sur ces deux opportunités énergétiques ?

M. Philippe Varin. Le marché de l’automobile et la pénétration des véhicules électriques est quand même nettement inférieur à ce qui était prévu en 2022. La vitesse de déploiement de l’ensemble de ce programme dans certains domaines est liée au manque d’attraction par rapport à ce qui pouvait être anticipé sur la demande de matériaux critiques. Concernant le secteur de la recherche et de l’innovation, une accélération significative s’impose, particulièrement dans le domaine des batteries. Nous accusons un retard considérable par rapport à la Chine, qui possède une avance technologique d’une décennie sur les batteries lithium-ion. Notre stratégie industrielle doit viser à combler cet écart le plus rapidement possible, ce qui nécessitera inévitablement une collaboration avec les acteurs chinois. Nous devons développer notre expertise sur ces technologies, notamment sur la technologie Lithium fer Phosphate (LFP), qui offre des batteries à moindre coût, mais reste dominée par la Chine.

Nous devons concentrer nos efforts sur le développement de nouvelles technologies de batteries où notre retard serait moins prononcé. Cela exige des investissements conséquents de notre industrie, probablement avec un soutien européen renforcé.

Par ailleurs, la synergie entre les filières industrielles, le BRGM et l’ensemble de l’écosystème s’est nettement améliorée grâce à l’OFREMI. Néanmoins, certains aspects, comme la constitution de stocks stratégiques pour des matières critiques à faible volume, méritent une attention particulière. Pour des éléments comme le gallium, dont la Chine contrôle 90 % du marché, des mesures de précaution s’imposent. Une collaboration étroite entre l’OFREMI, le BRGM et les filières industrielles est essentielle pour aborder efficacement ces enjeux.

Au niveau européen, l’identification récente de 47 projets importants pour l’avenir est une initiative prometteuse. Pour accélérer ces développements, une approche plus directive, ou « top-down », est nécessaire, bien que cela ne soit pas dans la tradition européenne.

Concernant le concept de « mine responsable », c’est un sujet important, notamment dans le cadre de la directive européenne sur les batteries. Cette directive comporte trois volets : la provenance des matériaux issus de mines responsables, le taux de recyclage dans les batteries, et le passeport CO2des batteries. Si les deux derniers aspects sont bien définis et quantifiés, la notion de mine responsable nécessite encore des précisions et une normalisation.

Actuellement, l’International Council on Mining and Metals (ICMM), qui est l’association mondiale des miniers, a établi des principes pour la mine responsable et développe une norme qui se rapproche de la norme « Initiative for Responsible Mining Assurance » (IRMA), portée par des acteurs externes à l’industrie automobile, incluant de nombreuses organisations non gouvernementales. Une convergence est en cours, mais n’est pas encore achevée. Le règlement européen du 12 juillet 2023 relatif aux batteries et aux déchets de batteries n’impose pas encore l’approvisionnement via des mines responsables, mais exige une traçabilité et une transparence accrues.

Mme Catherine Lagneau. Concernant le concept de mine responsable, un rapport du Groupe international d’experts pour les ressources des Nations Unies avait recensé 90 initiatives visant à standardiser ou consolider ce concept en 2020. En 2025, nous avons constaté une augmentation significative, avec plus de 140 initiatives décrivant ces standards. Cette prolifération témoigne de l’importance croissante du sujet, mais souligne également la nécessité d’une convergence des bonnes pratiques, des réglementations et des standards.

Il est encourageant de constater que cette préoccupation devient générale dans l’industrie minière. Cependant, une harmonisation reste nécessaire. L’Organisation internationale de normalisation ou International Organization for Standardization (ISO) semble également s’être saisie du sujet. Nous pouvons espérer que dans les années à venir, une forme de convergence émergera au niveau européen, voire mondial, sur la définition d’une mine responsable.

M. Benjamin Gallezot. Concernant l’impact de la situation géopolitique actuelle, la multiplication des restrictions potentielles, notamment de la part de la Chine, et l’instauration de systèmes de licences pour l’exportation de certains matériaux ou produits finis, accentuent les risques. L’ampleur de ces risques varie selon les métaux, étant particulièrement élevée pour les terres rares, où la concentration des capacités en Chine est importante.

Il convient de noter que les récentes décisions de mise sous licence des exportations du gallium ou du germanium n’ont pas entraîné un arrêt total des exportations. Nous encourageons vivement toutes les parties prenantes à maintenir les échanges commerciaux de ces matières. Parallèlement, notre action principale se concentre sur la diversification, la recherche de nouvelles sources et le développement de substituts.

Prenons l’exemple des terres rares : depuis deux ans et demi, nous avons initié des projets significatifs, notamment le projet Carester à Lacq. Ce projet vise à établir une unité capable de recycler des éléments contenant des terres rares et de les séparer, tout en traitant également du minerai ou des concentrés de terres rares pour en extraire les éléments spécifiques qui nous intéressent. Cette approche illustre notre stratégie de réduction de la dépendance et d’augmentation de notre autonomie dans ce domaine essentiel.

La capacité clé dans le domaine des terres rares réside dans l’extraction et la séparation des différentes terres rares, lourdes ou légères, essentielles à la fabrication d’aimants permanents. Nous avons déjà amorcé une augmentation de production à La Rochelle, avec des quantités actuellement limitées à 50 tonnes, mais qui sont appelées à croître significativement. La capacité de séparation des terres rares lourdes que nous développons à La Rochelle, qui sera opérationnelle d’ici un à deux ans, couvrira l’intégralité des besoins du marché européen, ce qui représente un enjeu considérable.

Nous soutenons également un projet de recyclage direct d’aimants permanents, mené par la société Magreesource à Grenoble. Cette entreprise produit déjà des quantités significatives d’aimants et prévoit d’augmenter sa capacité avec l’ouverture d’un second site dans les années à venir.

Parallèlement, nous explorons des solutions de substitution. Certains constructeurs automobiles ont opté pour des moteurs électriques sans aimants permanents, illustrant ainsi les possibilités technologiques alternatives. Notre stratégie vise à atténuer les risques à court terme tout en apportant des solutions pérennes à moyen et long terme.

Concernant les stocks stratégiques, la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 a déjà instauré un cadre législatif permettant à l’État d’exiger des industriels la constitution de stocks pour les équipements de défense. Pour les autres filières, nous travaillons activement à l’échelle européenne pour identifier les meilleures solutions de stockage.

Quant au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, bien qu’il ne relève pas directement de ma responsabilité, il concerne principalement les industries de l’acier et de l’aluminium. L’objectif est de protéger et développer les filières existantes en Europe. Ce mécanisme suscite des débats, car il peut engendrer des intérêts divergents au sein de la chaîne de valeur. Il est important d’examiner la position des différents acteurs à chaque étape de cette chaîne. Je rappelle que ce mécanisme répondait à une demande pressante des industries européennes.

Mme Catherine Lagneau. Je dois préciser que l’absence du BRGM dans l’étude de 2015 sur le gaz de schiste est tout à fait normale. Notre expertise se concentre sur les ressources minérales non énergétiques, excluant ainsi les ressources gazières, pétrolières ou même l’uranium. Ces domaines relèvent davantage de la compétence d’organismes comme l’Institut français du pétrole et des énergies renouvelables (Ifpen).

Concernant l’hydrogène « blanc » ou naturel, nous sommes effectivement impliqués, notamment dans le projet dans l’est de la Moselle. Nous collaborons avec l’Université de Lorraine et l’industriel concerné pour comprendre la nature de ce gisement. L’hydrogène se forme naturellement dans la croûte terrestre, principalement par des phénomènes de serpentinisation de l’eau. Cependant, l’existence de poches de gaz d’hydrogène exploitables reste à démontrer. Nous poursuivons activement les recherches pour évaluer le potentiel et les méthodes d’exploitation possibles, en excluant la fracturation.

Pour ce qui est du gaz de houille, le BRGM et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) ont travaillé à la qualification de ces gisements. Nous sommes particulièrement vigilants sur ce sujet, étant responsables de la pré-mine, et nous maintenons un dialogue avec les industriels intéressés par l’exploitation de ces ressources.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Je souhaite aborder plus en détail la question de l’acceptabilité de l’extraction du lithium, particulièrement en Alsace, qui représente avec l’Allier le gisement le plus important en France. Les consultations citoyennes autour des projets d’extraction de lithium se heurtent systématiquement à des échecs. Les habitants des zones concernées et plus largement les Alsaciens expriment des inquiétudes légitimes concernant les nuisances potentielles, la destruction de terres arables, les risques de pollution, notamment de l’eau, et les séismes potentiels.

Ces craintes sont exacerbées par des incidents récents, comme le 5 mai 2025 avec l’interdiction de consommation d’eau du robinet dans onze communes haut-rhinoises pour cause de pollution aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), ou l’arrêt de l’activité de géothermie profonde de la société Fonroche, située au nord de Strasbourg, à la suite des séismes provoqués en décembre 2020. Des projets aussi stratégiques ne peuvent se réaliser sans l’adhésion des populations locales.

Pourtant, le gouvernement semble vouloir affaiblir, voire supprimer la Commission nationale du débat public (CNDP). Ma question est donc la suivante : comment permettre aux citoyens de devenir des acteurs d’une transition écologique consentie et non subie ? Ne faudrait-il pas préserver et même renforcer les outils démocratiques existants, tels que la CNDP, voire repenser en profondeur notre démocratie, y compris dans nos institutions ?

Mme Catherine Lagneau. Je souhaite apporter des précisions sur l’exploitation du lithium en Alsace et dans l’Allier. En Alsace, il s’agit d’extraire du lithium des eaux géothermales profondes, qui ne sont pas en concurrence avec les eaux potables. Cette méthode présente un double avantage : produire de l’eau chaude pour la géothermie et extraire du lithium simultanément. La géothermie est une énergie disponible, souveraine et non carbonée, ce qui la rend particulièrement intéressante.

Concernant les risques sismiques liés aux forages anciens, ils ont été largement étudiés. Les foreurs en question n’étaient pas au meilleur niveau techniquement. Nous avons collaboré avec l’Ineris pour développer des techniques de forage plus avancées. Des industriels compétents doivent être sélectionnés pour réaliser ces forages. Bien que ces opérations comportent des risques, ils sont aujourd’hui maîtrisés. Des forages similaires sont effectués dans le monde entier sans incident majeur, et il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas les réaliser en Alsace avec la même rigueur.

Pour l’Allier, il s’agit d’une exploitation minière plus traditionnelle, avec l’extraction de lithium sous une carrière existante. Le débat local a permis de répondre à de nombreuses préoccupations des riverains, notamment sur la gestion de la ressource en eau, l’extraction et le raffinage. Ces longues discussions ont abordé à la fois les enjeux locaux et globaux. Les oppositions ont souvent porté sur la nécessité même d’ouvrir des mines et leurs usages, plutôt que sur des problématiques strictement locales. Les industriels ont répondu à ces inquiétudes en présentant un projet basé sur le concept de mine responsable.

M. Benjamin Gallezot. Je tiens à apporter quelques compléments d’information. Tout d’abord, la géothermie profonde est une technique déjà utilisée dans la région. Elle alimente en chaleur l’usine Roquette Frères depuis plusieurs années, démontrant ainsi son efficacité et sa viabilité. Cette méthode est vertueuse et permet à l’entreprise de bénéficier d’un approvisionnement en chaleur à moindre coût. L’extraction supplémentaire de lithium n’ajoute aucun risque significatif à cette technique déjà éprouvée.

Il est important de nuancer les propos concernant la non-acceptabilité de ces projets. Lors d’une récente visite à Rittershoffen avec le vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, nous avons constaté que la centrale géothermique y est bien acceptée, sans problème particulier.

Il convient de souligner que nous sommes actuellement au stade des permis exclusifs de recherche pour le lithium et en partie pour la géothermie. Nous cherchons à déterminer l’étendue de la ressource avant toute décision d’extraction. La phase d’exploitation, appelée concession, n’interviendra que dans plusieurs années. Entre ces deux étapes, des procédures rigoureuses sont en place, incluant des enquêtes publiques, des consultations des collectivités locales et des analyses de l’autorité environnementale. Un guide a été établi pour garantir la qualité des forages.

Ce gisement présente un intérêt particulier, car il permettrait d’exploiter simultanément la chaleur et le lithium. Des gisements similaires existent de l’autre côté de la frontière allemande, où l’exploitation a déjà commencé. Nous pourrons bénéficier de leur retour d’expérience.

La rigueur de nos procédures, la maîtrise des techniques employées et l’intérêt de ces opérations offrent de solides garanties pour la réussite de ces projets. Ils présentent des avantages significatifs pour le territoire, notamment en matière d’approvisionnement en chaleur et de développement industriel. La géothermie profonde offre une source d’énergie stable et économique, bénéfique tant pour les industries que pour les habitants via des réseaux de chaleur. Il serait donc peu judicieux de stigmatiser cette technique, au vu des bénéfices qu’elle peut apporter.

M. le président Charles Rodwell. Je souhaite aborder deux points essentiels en lien avec vos interventions précédentes. Premièrement, concernant la coopération internationale que vous avez mentionnée comme l’un des piliers de notre stratégie, pouvez-vous nous dresser un bilan des accords bilatéraux signés avec certains pays pour l’extraction et l’approvisionnement en métaux et matériaux critiques ? Je pense notamment à l’accord avec le Chili et à l’exploitation minière d’Eramet en Argentine. Quelles sont les avancées réalisées et quels sont les projets à venir dans ce domaine ?

Deuxièmement, concernant le volet financement, pouvez-vous nous faire un point sur l’efficacité des mesures financières mises en place par l’État ? Je fais référence notamment à la création du fonds que vous avez mentionné et aux garanties d’État accordées, tant pour le financement des projets industriels en France que pour les investissements de grandes entreprises à l’étranger visant à assurer notre souveraineté sur certains matériaux. Quelle est votre évaluation de l’impact de ces dispositifs financiers ?

M. Benjamin Gallezot. Concernant le premier point, nous avons conclu une douzaine d’accords, ce qui représente une avancée significative dans un domaine relativement nouveau pour la diplomatie française. En effet, si nos postes diplomatiques et l’administration du ministère des Affaires étrangères étaient habitués à traiter les questions énergétiques, la problématique des minerais et métaux n’était pas réellement abordée jusqu’à présent. Nous avons mis en place cette initiative début 2023, et le fait d’avoir signé douze accords en deux ans témoigne déjà d’un résultat probant. Cela démontre la reconnaissance par ces différents pays de l’intérêt de la France comme partenaire.

Nos accords avec le Canada et l’Australie, par exemple, se traduisent par des échanges concrets entre entreprises, illustrant l’intérêt mutuel de ces partenariats. Ces accords s’inscrivent dans une perspective de long terme. Ainsi, l’assistance du BRGM à la RDC pour une meilleure connaissance de ses ressources, ou nos efforts de formation des cadres en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays, sont des initiatives dont les résultats se manifesteront progressivement, mais durablement.

Pour ce qui est des résultats à plus court terme, notre accord avec la Mongolie a permis à Areva de développer un partenariat important dans le domaine de l’uranium. En Amérique latine, le projet d’Eramet en Argentine mobilise plusieurs industriels français de la filière du lithium, positionnés avantageusement en tant qu’opérateurs ou fournisseurs de solutions technologiques. Nous collaborons également de manière substantielle avec le Kazakhstan, notamment sur la question du titane. Nous avons, par ailleurs, diversifié nos approvisionnements en titane, en nous tournant vers d’autres pays producteurs, tels que l’Arabie saoudite.

Nos projets avec le Canada concernent principalement les domaines du graphite et des terres rares. Nous développons également des partenariats avec le Nigeria pour l’exploitation de ses ressources minérales, et nous entretenons des discussions avec le Maroc, qui dispose de gisements considérables, intéressant particulièrement les industriels français de l’automobile. Cette activité diplomatique intense se traduit systématiquement par des projets concrets de développement et d’investissement.

Concernant les instruments financiers, nous en avons essentiellement mis en place trois. Le premier est le fonds pour les métaux critiques, recommandé par Philippe Varin. La société IntraVia, sélectionnée pour gérer ce fonds, a constitué ses équipes et a commencé à lever des fonds privés en complément des fonds publics. Les premiers investissements devraient se concrétiser prochainement. Ce fonds, prévu pour une durée de 25 ans, a identifié plusieurs centaines d’opportunités d’investissement et adopte une approche particulièrement sélective.

Le deuxième outil est une garantie de projet stratégique fournie par la Banque publique d’investissement (Bpifrance), applicable aux projets en France ou à l’étranger. Pour les projets à l’international, l’obtention de cette garantie est conditionnée à l’existence d’un contrat d’approvisionnement avec un industriel français. Plusieurs dossiers sont actuellement à l’étude, et ce dispositif a déjà été appliqué à des installations en France, notamment pour les usines de batteries.

Paradoxalement, malgré les enjeux liés à la rareté de ces métaux, le marché est actuellement bien approvisionné, notamment en lithium, nickel et cobalt. Cette situation, couplée aux incertitudes à court terme sur les volumes, engendre un certain attentisme chez les industriels. Beaucoup préfèrent encore s’approvisionner à court terme plutôt que de s’engager dans des contrats à long terme. Nous insistons régulièrement auprès des différentes filières sur l’importance de sécuriser leurs approvisionnements sur le long terme.

Un important travail de sensibilisation reste à faire pour inciter les industriels à modifier leurs pratiques d’achat. Cette situation devrait s’améliorer avec la montée en puissance de la production de nos usines de batteries, qui apportera une meilleure visibilité sur les besoins futurs.

M. Philippe Varin. En complément de cet exposé exhaustif, qui démontre l’efficacité de notre diplomatie économique, je souhaite attirer l’attention sur la situation paradoxale de l’Afrique. L’Europe devra importer 70 % de ses besoins pendant une longue période, alors que l’Afrique recèle des ressources potentielles considérables. Cependant, pour les raisons conjoncturelles, les utilisateurs ne s’empressent pas de conclure des contrats à long terme.

Cette situation profite actuellement aux négociants qui, en collaboration avec la Chine, contrôlent une part importante des flux de ressources africaines. Ces négociants se chargent ensuite d’approvisionner les constructeurs, ce qui n’est pas, à mon sens, une configuration pérenne.

L’intérêt limité de l’Union européenne ces dernières années pour établir des relations stratégiques avec l’Afrique sur ces questions constitue une lacune qu’il faudra combler. Laisser ces ressources africaines aux mains des négociants à long terme n’est probablement pas la meilleure solution pour nos industries.

M. le président Charles Rodwell. Pourriez-vous nous faire un point sur le volet financement ? Concernant vos propositions sur ce sujet, certains détracteurs du fonds InfraVia soulignent les difficultés à lever les capitaux privés nécessaires pour financer une part importante des projets prévus en France et à l’étranger, projets qui serviraient nos intérêts nationaux. Quelle est votre vision sur la constitution de ce fonds ?

M. Philippe Varin. Effectivement, nous accusons un retard par rapport à la dynamique initialement prévue début 2022. Le fonds se constitue, les équipes sont en place, et les fonds publics sont disponibles. Cependant, la situation conjoncturelle des utilisateurs, notamment les constructeurs automobiles, est telle qu’ils disposent actuellement de solutions à court terme satisfaisantes pour financer leurs besoins immédiats. Par conséquent, ils ne se précipitent pas pour investir à ce stade.

La situation conjoncturelle de l’industrie automobile est l’une des principales raisons de ce retard par rapport au plan initial. De plus, la baisse significative des cours des matières premières, après les pics atteints, a réduit l’incitation à investir. Néanmoins, je reste convaincu que le concept demeure tout à fait pertinent sur le long terme.

Mme Catherine Lagneau. Je n’ai pas d’avis à formuler concernant le financement. Je souhaite néanmoins apporter un témoignage complémentaire sur la concrétisation de cette diplomatie minérale. Les premières étapes des feuilles de route impliquent une mobilisation significative du BRGM, notamment en collaboration avec les services géologiques nationaux des pays ciblés par cette stratégie diplomatique.

Nous avons conclu plusieurs accords, qui se traduisent par des projets concrets. À titre d’exemple, nous menons des projets de R&D sur les salares ou déserts de sel en Amérique du Sud, ainsi que des initiatives en Afrique visant à développer les compétences des services géologiques nationaux dans divers pays.

Nous travaillons également sur le développement d’outils d’aide à la numérisation et à la gestion des données, car l’un des principaux défis des services géologiques consiste à passer à l’ère numérique et à mieux capitaliser les données disponibles.

Au Kazakhstan, nous conduisons des projets concrets d’aide à la valorisation des ressources présentes dans les déchets miniers. Ces exemples illustrent concrètement les projets sur lesquels le BRGM s’investit à l’international, en soutien à la diplomatie et en accompagnement des actions menées par M. Gallezot à l’échelle internationale.

Mme Florence Goulet (RN). J’ai plusieurs questions à vous soumettre. Premièrement, nous constatons que la décision de reconstituer des stocks stratégiques n’est toujours pas arrêtée. Comment expliquez-vous que la France ne dispose pas de sa propre liste nationale de matériaux critiques et semble s’appuyer sur des listes européennes ?

Au-delà de la dépendance matérielle, l’impact des coûts de fabrication joue un rôle central. Certains matériaux, comme l’aluminium, illustrent parfaitement cette réalité : environ 60 % du coût d’une tonne d’aluminium est directement lié à l’électricité nécessaire à sa production. Cela implique que certains matériaux doivent être considérés comme stratégiques, en raison de leur dépendance énergétique. Pouvez-vous confirmer que le caractère stratégique de ces matériaux est également lié au coût de l’énergie ? Compte tenu de la récente crise énergétique majeure, pensez-vous que cela pourrait aggraver notre situation de dépendance vis-à-vis de ces matériaux stratégiques ?

Ma troisième question concerne les matières premières, qui nécessitent des technologies de transformation et de valorisation, ajoutant un niveau supplémentaire de dépendance. La maîtrise de ces procédés industriels est tout aussi stratégique. Quel est votre avis sur ce sujet ? Ne faudrait-il pas une politique volontariste de l’État pour s’engager également dans ce secteur, étant donné que les industriels français semblent particulièrement désavantagés, selon leurs témoignages ?

M. Benjamin Gallezot. Je vais commencer par répondre à votre dernière question. Comme je l’ai souligné en introduction, le pilier central de notre stratégie consiste à développer les capacités de transformation et de raffinage en France. Cela englobe l’extraction, mais surtout les activités de transformation, de raffinage et de recyclage. L’augmentation de 50 % des capacités de recyclage d’aluminium s’inscrit précisément dans cette logique. Lorsque nous mettons en place une unité avec le soutien de l’État, nous le faisons dans le cadre de l’appel à projets « métaux critiques », avec plusieurs dizaines de millions d’euros de soutien pour chaque projet. Il s’agit clairement d’une politique de soutien aux capacités de transformation.

Le développement des usines de séparation des terres rares, maillon essentiel de la chaîne, bénéficie également de soutiens en R&D et du crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte, qui prend en charge une partie des dépenses d’investissement de ces projets, que ce soit dans le cadre de Carester ou de Solvay. Il s’agit véritablement de l’un des axes centraux de notre politique.

Concernant la liste des matériaux critiques, il faut comprendre que pour 90 à 95 % des chaînes de valeur, nous sommes face à des systèmes fortement intriqués au niveau européen. Je ne suis pas convaincu de la pertinence d’établir des listes de matériaux critiques différentes pour chaque État membre. La cohérence au niveau européen apporte une force considérable. Néanmoins, cela ne nous empêche pas de nous concentrer sur certains matériaux ou métaux qui ne figurent pas dans la liste européenne.

L’uranium en est un exemple typique : nous avons une politique très claire dans le domaine minier et dans toute la chaîne de l’uranium, visant à assurer notre indépendance, bien que l’uranium ne soit pas sur la liste européenne. Ce cas est particulier, puisqu’il s’agit davantage d’un combustible que d’un matériau. Cependant, la logique d’extraction, de raffinage et de recyclage s’applique évidemment au cas de l’uranium.

Concernant les stocks stratégiques, le gouvernement a pris une décision, proposée à l’Assemblée dans le cadre du projet de loi de programmation militaire, et le Parlement l’a votée. Cette disposition permet de constituer des stocks stratégiques dans le domaine de la défense, où nos objectifs de souveraineté sont particulièrement forts et où l’État est acheteur et prescripteur.

Pour les stocks destinés aux filières civiles, une action européenne concertée est nettement plus pertinente et cohérente. Si nous constituons des stocks au niveau français, mais que ceux-ci sont utilisés dans des chaînes de valeur européennes, transformés à divers stades dans différents pays d’Europe, il est logique d’adopter une approche européenne.

Prenons l’exemple du germanium : Umicore, l’industriel européen qui s’en occupe, a des activités notamment en Belgique. La constitution de stocks dans ce domaine doit se faire en cohérence avec les différents partenaires européens. Le niveau d’interdépendance et d’intrication des chaînes de valeur fait de l’échelon européen un niveau extrêmement pertinent.

Enfin, dans tous les processus de transformation et de raffinage des métaux, l’électricité est un intrant fondamental. L’accès à une électricité abondante et au meilleur coût possible est un facteur majeur. Nous avons vu plusieurs projets, que ce soit dans le domaine des batteries ou des matériaux de cathode, choisir de s’implanter en France en raison de notre électricité décarbonée grâce au nucléaire. Le cas de l’aluminium est particulièrement emblématique, étant l’une des industries les plus électro-intensives. Dans notre stratégie sur l’aluminium, qui inclut la production d’aluminium primaire, la question de préserver cette activité et d’assurer un accès à l’électricité décarbonée est absolument fondamentale.

Mme Catherine Lagneau. Je souhaite souligner l’importance d’investir dans la R&D concernant l’extraction, le raffinage et le recyclage des matières premières. Ces domaines ont été largement négligés en matière de financement public. J’ai évoqué précédemment la situation du BRGM : si nos capacités dans ces domaines se sont amoindries, c’est en raison d’un manque d’investissement en recherche, développement et expertise. L’industrie minière et le raffinage sont des secteurs énergivores, représentant 10 % de la consommation énergétique mondiale. Il est donc primordial d’investir dans de nouvelles techniques pour toutes ces dimensions, ce qui nécessite de l’innovation. Pour que la France demeure une grande nation industrielle, nous devons impérativement poursuivre nos investissements dans ce domaine, particulièrement sur ces sujets.

Concernant le recyclage, le BRGM y a consacré d’importants travaux. Cela s’inscrit dans nos axes de développement sur l’exploitation minière, notamment ce que nous appelons la « mine urbaine ». Nous avons notamment travaillé sur de nouvelles techniques de recyclage, comme la biolixiviation, qui utilise des bactéries pour décomposer certains équipements électroniques. Ces technologies, moins énergivores et décarbonées, pourraient être développées à plus grande échelle. Mon message est clair : il est essentiel de continuer à investir dans cette dimension, pour développer de nouvelles techniques plus respectueuses de l’environnement, tout en poursuivant notre développement industriel.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je souhaite rebondir sur la question du recyclage, qui me semble indispensable pour des raisons à la fois écologiques et stratégiques en matière d’indépendance. En effet, le recyclage permet de réduire nos dépendances et de résoudre partiellement les problèmes de sécurité d’approvisionnement.

Concernant le recyclage des métaux stratégiques, quelles seraient vos recommandations concrètes pour inciter les industriels à investir dans cette filière ? Pensez-vous que cela devrait passer par des obligations d’utilisation de matériaux recyclés stratégiques dans leurs processus industriels ?

M. Philippe Varin. Concernant les équipements tels que les batteries ou les aimants, la question du recyclage est déjà prise en compte. La directive européenne prévoit un taux de recyclage pour les batteries, qui augmente progressivement, année après année. Cela s’inscrit dans une démarche d’éco-conception, où le recyclage est prévu dès la conception du produit. Cette approche réglementaire n’est malheureusement pas encore appliquée aux smartphones et à d’autres produits.

Cette transition ne peut se faire que progressivement. Actuellement, nous avons besoin de capacités de recyclage importantes, notamment pour traiter les déchets de fabrication des batteries, qui sont considérables au début de la production. Il est important de pouvoir réinjecter ces déchets dans les circuits primaires, ce qui plaide en faveur de plateformes intégrées où les équipements de recyclage sont à proximité immédiate des installations de production primaire. C’est le cas à Dunkerque, ce qui me semble être une approche positive.

Cependant, la contribution significative du recyclage à l’approvisionnement ne sera pas immédiate, hormis pour les déchets de fabrication. Il faudra attendre que les véhicules électriques arrivent en fin de vie, voire qu’ils soient réutilisés, avant de pouvoir recycler massivement leurs batteries. Sur les dix à quinze prochaines années, nos besoins en ressources seront principalement satisfaits par des capacités de production primaire.

M. Benjamin Gallezot. Comme je l’ai souligné, le recyclage est l’une de nos priorités majeures. Prenons l’exemple des batteries : une unité de recyclage, exploitée par Veolia, est déjà opérationnelle pour extraire les matériaux des batteries usagées. Actuellement, cette unité n’est pas utilisée à pleine capacité, ce qui rejoint les propos de Philippe Varin.

L’essor du véhicule électrique et la montée en puissance des usines de fabrication de batteries font que les capacités de recyclage déjà mises en place ne sont pas saturées. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous reposer sur nos lauriers. Deux autres projets de recyclage d’envergure sont en cours, mais nous étions presque en avance sur la question du recyclage.

Concernant les métaux de base comme le cuivre et l’aluminium, j’ai mentionné que des investissements conséquents ont été réalisés, augmentant significativement notre capacité de recyclage. Ces matières, auparavant collectées en France, mais souvent transformées à l’étranger, pourront désormais être traitées sur notre territoire grâce aux investissements soutenus par l’État. C’est particulièrement le cas pour le cuivre. Je vous rappelle qu’Orange a lancé un appel d’offres majeur pour le retrait de l’ensemble des fils de cuivre du réseau téléphonique, et les nouvelles capacités de broyage et de réutilisation permettront aux industriels de se positionner sur cet appel d’offres.

Pour les déchets électroniques, nous avons quatre projets en R&D et en production. Le recyclage de ces déchets est complexe, car il faut séparer tous les métaux mélangés. Nous avons développé des techniques avec le BRGM et d’autres entreprises pour relever ce défi.

Sur l’aspect réglementaire, des obligations d’incorporation existent déjà pour les batteries. Nous travaillons également sur un sujet important : la conservation des déchets et des matières recyclées sur le territoire national et européen. Actuellement, une partie de ces déchets collectés en France et en Europe quitte notre territoire. Nous menons des discussions, parfois difficiles, car tous les acteurs de la chaîne de valeur n’ont pas les mêmes intérêts, pour mettre en place des dispositifs limitant la fuite de ces matériaux précieux. Parallèlement au développement des capacités industrielles, cet outil réglementaire devrait nous permettre de mieux conserver nos déchets valorisables.

Enfin, il y a aussi la possibilité de réutiliser des minéraux ou des métaux stratégiques présents dans les déchets miniers ou métallurgiques. En complément de l’inventaire des ressources minérales qui vous a été présenté, nous réaliserons un inventaire de ces ressources minérales secondaires, c’est-à-dire de l’ensemble des ressources potentiellement présentes dans ces anciens déchets miniers.

Mme Catherine Lagneau. Effectivement, il s’agit d’un enjeu fort. Vous évoquiez précédemment l’acceptabilité d’un éventuel renouveau minier. Le retraitement des déchets, de ce que nous avons déjà extrait de la terre, est un enjeu en soi. Le fait que nous ayons également des projets à l’international portant précisément sur cette question du retraitement des déchets me semble être un enjeu important, à la fois en matière de recherche et probablement d’acceptabilité future sur notre territoire.

Un certain nombre de métaux critiques que nous recherchons aujourd’hui sont des coproduits d’autres productions, notamment de productions que nous avons effectuées sur notre territoire national. Nous avons déjà extrait une partie de ces éléments. On pense notamment au germanium qui serait probablement présent dans certains résidus miniers déjà extraits sur le territoire national. Cela fait partie des travaux menés par le BRGM : refaire un inventaire de l’existant. Nous disposons déjà d’un certain nombre de données sur les ressources qu’il faut requalifier dans cette optique, afin de fournir à l’État des informations sur les ressources existantes déjà extraites du sous-sol.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Le projet de mine de lithium dans l’Allier a été qualifié de projet d’intérêt national majeur (PINM). Estimez-vous que l’ensemble des projets miniers concernant des matériaux stratégiques devrait répondre au critère de raison impérative d’intérêt public majeur, permettant ainsi certaines dérogations environnementales pour faciliter et accélérer ce type de projet ?

M. Benjamin Gallezot. Le dispositif de projet national d’intérêt majeur s’évalue au cas par cas, sans automaticité. La décision de prendre un décret dépend de plusieurs facteurs, notamment la nature stratégique de la ressource et l’acceptabilité par les collectivités locales. Les projets portant sur un enjeu stratégique présentent un intérêt particulier pour ce type de dispositif.

Dans le cadre du Critical Raw Materials Act, la France s’est engagée à accélérer les procédures pour les projets qualifiés de stratégiques. Nous avons proposé au Parlement, dans le projet de loi de simplification, des mesures visant à raccourcir les délais de délivrance des permis exclusifs de recherche. Le PINM, établi par décret, permet également de réduire les délais, particulièrement en ce qui concerne la modification des documents d’urbanisme, souvent source de retards importants. Jusqu’à présent, ce statut a été accordé au projet d’Imerys. Nous examinerons l’opportunité de l’attribuer à d’autres projets à l’avenir, sachant que cette démarche doit être initiée par l’industriel. La réduction des délais d’un projet implique une responsabilité partagée entre l’État et l’industriel, ce dernier devant mener les études, y compris environnementales, avec la plus grande diligence.

Dans la sécurisation des approvisionnements, l’État joue un rôle central. Nous mettons en œuvre une stratégie basée sur les recommandations de Philippe Varin, applicable à tous les secteurs industriels. Cependant, nous avons besoin d’une mobilisation de l’ensemble du tissu industriel, d’une prise de conscience et d’un investissement des industriels, afin de mener des analyses approfondies de leur chaîne de valeur et nous engager dans des démarches à long terme.

Nous devons encore progresser avec nos industriels sur ce point. Les industriels français ne se distinguent pas particulièrement de leurs homologues européens ou mondiaux à cet égard. La situation actuelle de dépendance résulte largement des choix d’approvisionnement passés. Les leçons de cette expérience doivent être tirées, afin d’adopter une logique d’approvisionnement à long terme et de sécurisation.

M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition et d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en adressant les documents que vous jugerez utiles au secrétariat de la commission d’enquête.

 

La séance s’achève à vingt heures.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Emmanuel Fernandes, Mme Florence Goulet, M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Lionel Vuibert, M. Frédéric Weber