Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants des organisations syndicales de salariés :
• Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Marc Aubry, secrétaire national de la fédération générale des mines et de la métallurgie (CFDT-FGMM) en charge de la politique industrielle et de la RSE
• Confédération générale du travail (CGT) : Mme Virginie Neumayer, membre de la direction confédérale et Mme Clothilde Mathieu, conseillère confédérale industrie-environnement
• Confédération générale du travail – Force ouvrière (FO) : Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation, des affaires juridiques et des outre-mer, et M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux FO
• Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) : M. Bruno Azière, délégué national au sein du secteur transition économique, membre du comité exécutif du Conseil national de l’industrie, et M. Louis Delbos, chargé d’étude au sein du service économie et protection sociale 2
– Présences en réunion.....................................27
Jeudi
15 mai 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 39
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à onze heures.
M. le président Charles Rodwell. Aujourd’hui, nous entendrons les représentants des organisations syndicales des salariés. Nous accueillons :
– pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Marc Aubry, secrétaire national de la fédération générale des mines et de la métallurgie (CFDT-FGMM) en charge de la politique industrielle et de la RSE ;
– pour la Confédération générale du travail (CGT) : Mme Virginie Neumayer, membre de la direction confédérale et Mme Clothilde Mathieu, conseillère confédérale industrie-environnement ;
– pour Force ouvrière (FO) : Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation, des affaires juridiques et des outre-mer et M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux FO ;
– pour la Confédération générale des cadres (CFE-CGC) : M. Bruno Azière, délégué national au sein du secteur transition économique, membre du comité exécutif du Conseil national de l’industrie et M. Louis Delbos, chargé d’étude au sein du service économie et protection sociale.
Le représentant de la Confédération française des travailleurs chrétiens pourra nous rejoindre en cours d’audition.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu présents à notre invitation.
Je vous invite à déclarer tout intérêt public ou privé susceptible d’influencer vos déclarations. De plus, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Marc Aubry, Mme Virginie Neumayer, Mme Clothilde Mathieu, Mme Patricia Drevon, M. Valentin Rodriguez, M. Bruno Azière et M. Louis Delbos prêtent serment.)
M. Marc Aubry, secrétaire national de la fédération générale des mines et de la métallurgie (CFDT-FGMM) en charge de la politique industrielle et de la RSE. Ingénieur de formation, j’ai débuté ma carrière en 1988 à la Société européenne de production avant d’assumer des fonctions syndicales dix ans plus tard. J’ai notamment été représentant syndical central, coordinateur Safran et administrateur représentant les salariés actionnaires du groupe Safran pendant huit ans. Depuis 2019, je suis secrétaire national à la fédération générale des mines et de la métallurgie, en charge de la politique industrielle et de la responsabilité sociale des entreprises. Je siège également au Conseil national d’économie circulaire. Notre fédération, qui couvre les secteurs de la métallurgie, des services automobiles, de l’aéronautique et du recyclage, représente plus de deux millions de salariés de l’industrie.
L’industrie française a connu une désindustrialisation marquée entre 1970 et 2010, sa part dans le produit intérieur brut (PIB) chutant de 17 % à 11 % entre 1995 et 2010. Depuis le milieu des années 2010, une dynamique de réindustrialisation s’est amorcée, malgré les perturbations liées à la crise du Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Cependant, cette dynamique semble s’interrompre en 2024, dans un contexte d’incertitude politique en France, en Europe et aux États-Unis.
L’industrie est cruciale pour la prospérité économique, la cohésion sociale et territoriale, ainsi que pour la transition écologique. La Confédération française démocratique du travail (CFDT) défend le développement d’activités industrielles durables et une politique économique alliant renforcement de la productivité, investissements ciblés et création d’un environnement favorable à l’implantation et au développement d’activités industrielles en France.
La transition écologique, obligation légale découlant de l’accord de Paris sur le climat, vise la neutralité carbone d’ici 2050 et une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Pour la CFDT, ces objectifs sont incontournables. L’industrie jouera un rôle central dans la réussite de la décarbonation, tant par la réduction de ses propres émissions que par le développement de solutions technologiques décarbonées pour le bâtiment et les transports, ainsi que par la promotion de l’économie circulaire. La décroissance impérative de l’usage des carburants fossiles passe par l’électrification des usages dans les transports et le logement.
La CFDT soutient le développement d’une production d’électricité décarbonée et l’optimisation du recyclage des déchets dans le cadre d’une économie circulaire. Nous préconisons une transformation de l’industrie qui consolide les filières d’excellence existantes et favorise l’émergence de nouvelles.
Cette transformation écologique nécessite des investissements considérables, impliquant un engagement fort des entreprises et, si nécessaire, un accompagnement public impérativement assorti de conditionnalités sociales et écologiques. La gestion efficace des emplois et des compétences est cruciale pour répondre aux besoins des secteurs porteurs tout en assurant la reconversion des salariés des secteurs en déclin, tout en préservant en France un outil de production performant et un savoir-faire global.
La souveraineté stratégique est essentielle pour réduire notre dépendance aux importations de matières premières, d’énergie et de technologies. La CFDT plaide pour une souveraineté d’approvisionnement, y compris par la relance de l’extraction minière en France, dans le respect des normes sociales et environnementales.
L’industrie de la défense, qui emploie plus de 200 000 personnes en France, offre des perspectives de croissance significatives, notamment dans le contexte d’une politique européenne de défense émergente.
En conclusion, l’industrie française est en pleine mutation, confrontée à des défis mais aussi à des opportunités liées à la transition écologique, à la souveraineté stratégique et à la réindustrialisation. Dans ce contexte, toutes les parties prenantes doivent être entendues, respectées et assumer leurs responsabilités. Le plus grand obstacle à la réindustrialisation serait de renoncer aux objectifs communs établis, de multiplier les arrêts et les reprises successives, de type stop and go.
Mme Virginie Neumayer, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail (CGT). Depuis 1975, nous avons constaté une baisse significative des effectifs, qui sont passés de 5,3 millions à 2,3 millions d’emplois aujourd’hui et dont la part dans la valeur ajoutée se monte à 12,8 % seulement. En comparaison, l’Allemagne conserve une part industrielle de 24 % dans son économie. Il est important de noter que les freins à la réindustrialisation ne sont pas liés au coût du travail, celui-ci étant plus faible en France qu’en Allemagne, comme l’indiquait le code du travail en 2023.
La crise du Covid a mis en lumière nos lacunes en termes de production de biens essentiels tels que les diamants, les masques, les tests et le paracétamol. Malheureusement, toutes les leçons n’ont pas été retenues. Sanofi, par exemple, a cédé sa filiale de paracétamol à une entreprise américaine et vient d’annoncer un investissement de plus de 20 milliards de dollars aux États-Unis. Les domaines régaliens sont également touchés, comme en témoigne le démantèlement d’Atos, géant numérique français, dont le supercalculateur est désormais menacé.
Nous avons recensé 360 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) depuis l’automne. La CGT a proposé dans un document « 16 mesures d’urgences contre la guerre commerciale » guerre qui va aggraver la situation de certaines filières par effet de bord. Nous demandons instamment la tenue d’états généraux de l’industrie pour présenter nos propositions. Nous constatons que la puissance publique est souvent sollicitée, que ce soit pour indemniser les salariés dans le cadre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou pour sauver certains sites. À cet égard, nous avons une alerte précise sur la situation de Vencorex.
Pour redresser la situation, il faut préserver l’existant. ArcelorMittal envisage de quitter la France et l’Europe d’ici 2030, alors que l’acier est indispensable pour la transition écologique, que ce soit pour les transports, les infrastructures énergétiques ou les centrales nucléaires. Selon l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), les besoins en acier augmenteront en effet de 2 à 6 % dans les prochaines années. Nous plaidons pour la nationalisation et la maîtrise publique du secteur de l’acier. Il est illusoire d’espérer une industrie 2.0 sans une industrie traditionnelle solide. C’est une question de volonté politique.
Les grands groupes du CAC 40 opèrent à l’international au détriment de la croissance nationale et de leurs sous-traitants. 62 % de leurs effectifs sont à l’étranger, contre seulement 38 % pour les entreprises allemandes. STMicroelectronics envisage de délocaliser deux chaînes de production à Singapour et de supprimer mille postes. Nous avons alerté les pouvoirs publics sur la situation de ce géant des semi-conducteurs.
Pour nous, il est clair que l’entreprise est devenue une machine à profit ou cash. La part des dividendes dans la valeur ajoutée est passée de 5 % en 1985 à près de 25 % aujourd’hui. Ce n’est pas le financement de la protection sociale qui a conduit aux handicaps structurels que nous observons, mais plutôt les pertes de savoir-faire dues aux externalisations et aux départs volontaires.
Les aides publiques aux entreprises ont augmenté, passant de 157 milliards d’euros en 2019 à plus de 200 milliards depuis 2020. France Relance et France 2030 totalisent 154 milliards d’euros de subventions, mais leurs effets bénéfiques sur l’emploi restent à démontrer. Nous devons abandonner la logique de saupoudrage et d’appels à projets dispersés pour mettre en place une véritable planification.
L’attractivité de notre pays repose sur la valorisation de nos atouts, notamment nos services publics, qui sont des leviers puissants pour l’implantation de centres de production. Pour les salariés, il est essentiel de promouvoir une meilleure connaissance des métiers techniques et de restaurer l’ascenseur social, largement dégradé ces dernières années.
L’électricité décarbonée constitue un avantage comparatif pour notre pays. Cependant, l’opérateur public historique, EDF, a été fragilisé ces dernières décennies par la Commission européenne. Il est temps de sortir du marché de l’électricité pour redonner à EDF les moyens d’investir et de produire efficacement.
Par ailleurs, il est urgent d’engager la décarbonation de notre industrie. Cette démarche sera bénéfique tant pour la planète que pour notre balance commerciale. La planification est indispensable pour un État redistributif efficace. Même si les effets positifs de ces décisions ne seront pas immédiats, il est crucial d’agir dès maintenant.
M. le président Charles Rodwell. Je tiens à préciser que nous auditionnons cet après-midi STMicroelectronics et que nous avons également décidé de convoquer la direction de Sanofi suite aux récentes annonces. Je vous serais reconnaissant de nous transmettre le rapport que vous avez mentionné. Nous avons bien reçu vos mesures d’urgence concernant les plans de sauvegarde de l’emploi.
Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale de la Confédération générale du travail – Force ouvrière (FO) en charge de l’organisation, des affaires juridiques et des outre-mer. L’importance capitale de l’industrie et de la réindustrialisation pour notre pays et pour l’emploi est un sujet que nous défendons depuis des années, voire des décennies. Malheureusement, nous n’avons pas toujours été entendus. Nous constatons aujourd’hui une volonté parlementaire de se pencher sur cette question, comme en témoignent les diverses auditions sur l’industrie, dont celle-ci.
L’industrie est incontestablement un secteur stratégique pour un pays. Sans production nationale, nous sommes vulnérables. C’est particulièrement évident dans le domaine de la défense, où la volonté de relocaliser la production est manifeste. Prenons l’exemple de l’acier, produit notamment par ArcelorMittal. Quelles mesures concrètes avons-nous prises pour garantir que ces entreprises restent et se développent sur notre territoire ? De notre point de vue syndical, les moyens nécessaires n’ont pas été déployés.
L’industrie est un secteur clé pour l’emploi. Un emploi industriel génère trois à quatre emplois supplémentaires de manière induite. La situation d’ArcelorMittal, qui envisage de quitter la France d’ici 2030, est particulièrement préoccupante. Comment pouvons-nous protéger et développer notre industrie ? Les débats actuels sur le protectionnisme montrent que c’est un outil dont l’Europe s’est peu servie jusqu’à présent contrairement aux États-Unis de Donald Trump. Certains États utilisent ces mécanismes pour protéger leur industrie et leurs emplois. Il est temps que nous nous interrogions sur notre propre stratégie.
Nous disposons d’outils au niveau européen, comme la taxe carbone. Utilisons-nous efficacement cet instrument pour éviter d’être submergés par des produits non européens ? Cette taxe, initialement conçue dans une optique écologique, doit également devenir un levier économique légitime. Exploitons les outils à notre disposition pour protéger et développer notre industrie. En rendant les importations plus coûteuses, nous pourrions influencer les choix industriels de nos grandes entreprises du CAC 40.
Actuellement, nous finançons la recherche et le développement par le crédit d’impôt recherche (CIR) avec des montants considérables provenant des finances de l’État. Cependant, il est paradoxal que nous n’imposions pas la condition que les résultats de ces recherches soient produits sur le territoire français qui les a financées. Nous sommes favorables à ce que l’État soutienne nos entreprises dans leurs projets d’innovation et de développement de secteurs stratégiques, mais il est inacceptable que cette production soit ensuite délocalisée en Chine, aux États-Unis ou ailleurs.
Le cas de Sanofi illustre parfaitement cette problématique. Cette entreprise a procédé à des plans de sauvegarde de l’emploi quasiment chaque année depuis longtemps, et ce n’est que maintenant que l’on commence à s’en inquiéter. Nous disposons d’outils comme la Banque publique d’investissement (Bpi), créée à notre demande il y a quelques années. Il est impératif de renforcer son efficacité, particulièrement dans l’accompagnement des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises (TPE-PME), en simplifiant son accès et en aidant les entreprises à monter leurs projets pour bénéficier de son soutien.
Nous sommes favorables aux normes, notamment écologiques et relatives aux conditions de travail. Néanmoins, elles deviennent problématiques lorsqu’elles créent une concurrence déloyale au sein même de l’Union européenne, notamment avec les pays de l’Est. Il est crucial de construire une Europe sociale et d’élever le niveau de protection sociale pour tous les salariés européens, afin d’éviter que la protection sociale ne devienne une variable d’ajustement.
Il est également nécessaire de rétablir certaines aides actuellement interdites pour des raisons de concurrence européenne, particulièrement lorsqu’il s’agit de filières stratégiques. La réglementation européenne doit évoluer pour permettre le soutien de ces secteurs essentiels à notre souveraineté nationale.
Nous devons créer de véritables lieux de dialogue et de consensus entre les acteurs des différentes filières pour élaborer des stratégies efficaces. Le secteur alimentaire, par exemple, montre les limites de l’approche actuelle, avec des augmentations de prix importantes sans résultats probants.
La formation et la reconversion professionnelle sont également des enjeux majeurs. Les métiers de l’industrie évoluent rapidement, et nous devons préparer nos salariés à ces changements. Une vraie stratégie de reconversion est nécessaire pour rendre l’industrie plus attractive et assurer son avenir.
Enfin, nous devons lutter contre le déficit d’image de l’industrie auprès des jeunes. Cette désaffection nuit à l’innovation et à l’avenir du secteur. Il est essentiel de revaloriser ces métiers et de communiquer sur l’importance d’une industrie forte pour notre pays. L’État doit porter cette campagne de communication pour attirer les talents dont nous avons crucialement besoin dans l’industrie.
M. Valentin Rodriguez, secrétaire général de la fédération des métaux FO. Notre priorité absolue doit être d’empêcher la disparition ou la délocalisation des industries existantes sur notre territoire. Prenons l’exemple historique d’Arcelor. En 2006, ce groupe, issu de la fusion d’entreprises française, espagnole et luxembourgeoise, était le leader mondial de l’acier, maîtrisant des technologies uniques. Pourtant, nous avons cédé à une offre publique d’achat (OPA) de Mittal Steel, dont la gestion actuelle du secteur est discutable.
Dans l’automobile, nous avons perdu 100 000 emplois depuis les années 2000, non pas à cause de réglementations particulières ou de la transition écologique, mais en raison de la mise en concurrence des sites au sein de l’Union européenne. Aujourd’hui, seul un véhicule sur cinq acheté par les Français est fabriqué sur le territoire national, contre un sur deux au début des années 2000. Les trois modèles les plus vendus, la Clio, la 208 et la Dacia Sandero, ne sont plus produits en France, certains étant même fabriqués hors d’Europe, au Maroc ou en Turquie.
Nous possédons encore une industrie en France et nous devons y consacrer des moyens conséquents. Nous devons aborder les questions de compétitivité, notamment énergétique, et améliorer le dialogue social, y compris au sein du Conseil national de l’industrie (CNI).
Nous avons heureusement encore des fleurons industriels français qu’il convient de protéger, soit par un protectionnisme intelligent, soit par des conditions plus exigeantes aux frontières, soit par la conditionnalité des aides publiques. Je pense à l’aéronautique avec Airbus, mais aussi au spatial avec le lanceur de la fusée Ariane, assemblé au Mureaux, et au nucléaire, porteur d’avenir malgré le manque d’investissements ces dernières années. Ces secteurs, créateurs d’emplois pour l’avenir, doivent être soutenus et protégés. Il est essentiel de rattraper notre retard et de faire des choix politiques clairs en leur faveur.
M. Bruno Azière, délégué national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) au sein du secteur transition économique, membre du comité exécutif du Conseil national de l’industrie. La réindustrialisation, ou plus précisément le positionnement adéquat de l’industrie dans notre économie, ne vise pas uniquement l’accroissement de la création de richesses. Nous la considérons comme un facteur essentiel pour notre société, renforçant notre souveraineté en réduisant nos dépendances, favorisant la cohésion par la territorialisation de nos activités et sécurisant nos enjeux environnementaux. Cependant, sa mise en œuvre se heurte à de nombreux obstacles. Le premier, évoqué par certains collègues, relève du bon sens : il est impératif de mettre un terme à la destruction de notre capital industriel, encore trop fréquente dans nos territoires. Lorsque des emplois industriels disparaissent et que les outils industriels sont abandonnés, notre réponse habituelle consiste à revitaliser les territoires avec d’autres secteurs d’activité. Or la compétence industrielle représente une valeur nationale qu’il nous faut impérativement préserver.
Un autre défi, souvent présenté sous l’angle de l’attractivité, mais que nous préférons qualifier de fierté, consiste à réenchanter collectivement l’industrie. Les années de désindustrialisation, d’entreprises sans usine ou fabless ont profondément altéré les perceptions de ce secteur. Pour y remédier, l’industrie doit se concentrer sur le contenu de ses sites, au-delà de son image. En effet, si nos promesses ne correspondent pas à la réalité, nos efforts seront vains. Les meilleurs ambassadeurs sont les salariés eux-mêmes. Ils doivent donc constater concrètement les changements pour que les discours soient crédibles. Cela englobe les conditions de travail, la sécurité, la sécurisation des parcours professionnels, l’organisation du travail, mais aussi le partage de la valeur, l’inclusion et le management.
La compétitivité de nos industriels constitue également un enjeu majeur. L’industrie, par nature transformatrice, consomme de l’énergie. Si cette consommation est cinq fois supérieure à celle de ses concurrents, elle ne pourra pas être compétitive. Comme l’a dit Olivier Lluansi devant votre commission, l’énergie est la sève de l’industrie. Sans une énergie décarbonée et compétitive, toute réindustrialisation est compromise. Notre organisation dresse un constat sans équivoque : la perte de capacité de production d’électricité pilotable entraîne inévitablement une hausse des prix de l’énergie insoutenable pour les industriels soumis à une concurrence mondiale. L’électricité est devenue plus onéreuse en Europe que chez ses concurrents industriels comme la Chine et les États-Unis, générant des écarts de compétitivité qui ont entraîné, entraînent et entraîneront des délocalisations et un appauvrissement de notre capacité industrielle.
Plus que jamais, l’énergie doit être abordable et, dans un monde décarboné, l’électricité joue un rôle crucial. Elle doit être stable, disponible, c’est-à-dire pilotable et diffusable. C’est pourquoi nous préconisons une meilleure maîtrise de notre mix énergétique, la préservation de notre filière nucléaire, la lutte contre les prix négatifs, la garantie de la stabilité des réseaux, la réforme du marché européen de l’électricité, et la fin d’une politique de concurrence excessive dans les entreprises de réseaux.
La CFE-CGC défend depuis longtemps l’idée qu’une réindustrialisation de notre pays passera par la montée en gamme de notre industrie. L’amélioration de la compétitivité hors-prix de nos entreprises est indispensable, car elle encouragerait le développement de produits plus qualitatifs et innovants, aux marges plus confortables. Notre structure productive serait ainsi moins dépendante des facteurs coûts, favorisant une production plus locale. Collectivement, nous pourrions en tirer des bénéfices en termes de croissance de l’emploi et d’amélioration de notre performance à l’exportation.
Pour la CFE-CGC, une politique de réindustrialisation doit privilégier des stratégies de moyen et long terme, axées sur l’amélioration de notre compétitivité hors-prix. La recherche constitue un levier essentiel à cet égard, à condition de lui allouer des moyens suffisants. Nous appelons à mobiliser amplement ce domaine d’action pour construire une véritable politique d’innovation orientée vers le long terme. En matière d’investissement en recherche et développement, la France accuse un retard. En y consacrant 2,2 % de son PIB en 2021, elle peine à atteindre la moyenne de l’OCDE et échoue à atteindre l’objectif des 3 % fixé par la stratégie de Lisbonne en 2010. À titre de comparaison, la Suède et la Belgique consacrent 3,4 % de leur PIB à la recherche et développement, l’Allemagne 3,1 %.
Par ailleurs, la reconquête industrielle, combinée à nos enjeux de transformation environnementale et numérique, nécessite le renforcement des compétences. Il est impératif d’améliorer l’appareil de formation et de réduire le coût du travail qualifié sans compromettre l’attractivité des rémunérations.
L’industrie s’articule majoritairement autour de filières industrielles, structurées par de grands donneurs d’ordres. Le défi à relever réside dans l’instauration d’une forme de solidarité intra-filière, notamment en permettant un meilleur partage de la valeur produite entre les maillons de la chaîne de valeur. Trop souvent, les TPE-PME subissent la pression économique des grands groupes visant à réduire les coûts d’approvisionnement et de sous-traitance. Cette pression se répercute en cascade sur les sous-traitants de rang inférieur, compromettant leur équilibre économique et leur capacité d’investissement. Elle les contraint à comprimer leurs marges au-delà du raisonnable et à exiger une flexibilité du travail excessive, parfois simplement pour survivre face à la concurrence des pays à bas coûts ou low cost et résister à la captation par le haut du fruit de leur travail.
Cette problématique entame la capacité d’investissement des PME, qui ne peuvent plus allouer suffisamment de moyens au développement de produits ou à la modernisation de leurs outils de production. C’est particulièrement flagrant dans l’industrie, où l’on constate que les PME françaises sont nettement moins robotisées que leurs homologues allemandes. Ce retard freine et limite la mise en place d’une production locale qui pourrait se substituer aux importations.
En outre, pour répondre aux besoins massifs d’investissement dans l’industrie, que ce soit pour gérer la transition de certains modèles de production ou pour mettre en place des politiques innovantes, nous estimons que les salariés peuvent jouer un rôle plus important. L’épargne salariale constitue pour la CFE-CGC une manne financière considérable, avec des encours atteignant 200 milliards d’euros en 2024, insuffisamment exploitée et qui pourrait être davantage orientée vers l’industrie française. C’est pourquoi nous promouvons la création d’un fonds à impact industriel en faveur du Made in France pour soutenir les entreprises ayant une dynamique de création de valeur et d’emploi en France. Ce fonds, actuellement en cours de création, devrait être lancé l’année prochaine et se concentrer sur l’industrie au sens large.
Cependant, les obstacles ne sont pas uniquement nationaux. Certains trouvent leur origine au niveau européen, notamment lorsque la doctrine commerciale de l’Europe n’est pas alignée avec sa politique industrielle. Il est en effet incompréhensible d’orienter nos industriels vers des productions éthiques sur le plan environnemental et sociétal, tout en laissant entrer sans contrepartie des produits concurrents qui ne répondent pas aux mêmes exigences. L’Europe doit cesser d’être naïve vis-à-vis d’un commerce mondial dont elle est la dernière à vouloir respecter les règles et faire de sa politique commerciale un élément de consolidation du marché intérieur. Nous sommes conscients que cela peut avoir un impact sur l’inflation, mais les consommateurs européens devront accepter ces efforts pour soutenir notre industrie et notre compétitivité à long terme.
La souveraineté et le respect de l’environnement constituent des piliers essentiels pour garantir notre indépendance future et améliorer notre qualité de vie. Cette démarche implique nécessairement des adaptations. À titre d’exemple, il est impératif d’instaurer une préférence européenne dans les marchés publics. La CFE-CGC estime que l’État doit montrer l’exemple en adoptant une approche plus exigeante dans sa commande publique. Celle-ci représente, en incluant les collectivités locales, plus de 170 milliards d’euros en 2023. Cependant, l’observatoire économique de la commande publique souligne que seulement 18 % des marchés publics, en termes de montant, intègrent une clause sociale, et 29 % une clause environnementale.
Pour favoriser l’émergence d’une économie plus solidaire et durable, il est crucial de réserver davantage la commande publique aux entreprises qui contribuent activement au développement de l’emploi et à la protection de l’environnement. De plus, il est essentiel d’allouer une part significative de la commande publique aux TPE-PME, acteurs clés du dynamisme économique de nos territoires. À cet égard, nous saluons les avancées formulées dans le projet de loi sur la simplification de la vie économique.
En conclusion, j’ai entendu de nombreuses personnes, devant cette commission et ailleurs, s’interroger sur les freins à notre volonté apparemment collective de réindustrialiser le pays. Bien qu’il soit difficile de déterminer quelles approches seront les plus efficaces, nous sommes convaincus que toute initiative nécessite une stratégie à long terme et un pilotage rigoureux du plan d’action décidé. Vision et stabilité sont les clés du développement industriel. N’oublions pas que ce dernier est avant tout le fruit de la persévérance dans le temps. Par ailleurs, il est important de souligner qu’une réindustrialisation durable ne peut se faire sans la présence d’une industrie amont performante et compétitive en Europe.
M. le président Charles Rodwell. Je souhaiterais commencer par aborder la question du coût du travail et, plus largement, de la protection sociale, notamment les volets retraite et santé. Actuellement, son financement repose presque exclusivement sur le travail, principalement via le système de cotisations. Compte tenu du vieillissement de notre population, ces coûts sont appelés à augmenter. Quelles solutions proposez-vous face à ce défi ?
Notre groupe préconise notamment le développement de la retraite par capitalisation, qui permettrait de réduire la pression sur le coût du travail, garantirait une retraite plus élevée à de nombreux retraités, comme c’est le cas dans la fonction publique en France ou dans d’autres pays, et favoriserait la création de fonds français ou européens capables de financer nos entreprises, à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis. Quel est votre avis sur cette proposition ?
Madame Neumayer, vous avez souligné la baisse du coût du travail en France par rapport à l’Allemagne. Nous estimons que cette évolution est le résultat des mesures telles que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les baisses successives de cotisations et le crédit d’impôt recherche. Quelle est votre analyse sur ce point ?
En ce qui concerne la protection de nos entreprises sur les marchés national et européen, je souhaite aussi vous interroger sur l’extension de la taxe carbone aux frontières. Le principe initial visait à protéger nos sidérurgistes ou métallurgistes engagés dans la décarbonation de leur production, face à l’importation de produits concurrents moins chers mais plus polluants. Bien que le principe semble juste, son application reste perfectible.
Nous envisageons deux options : soit supprimer cette taxe carbone aux frontières, soit l’étendre aux produits finaux, secteur par secteur. Notre groupe propose d’étendre la taxe carbone aux frontières et d’allouer l’intégralité des recettes à la réduction des impôts de production. Ainsi, nous taxerions les importateurs qui polluent pour alléger la charge fiscale de nos entreprises produisant sur le territoire français. J’aimerais connaître votre opinion sur ces propositions.
Mme Virginie Neumayer (CGT). Notre analyse démontre que la question de la réindustrialisation n’est pas directement liée à celle du coût du travail. Nous avons illustré ce point en comparant la situation avec l’Allemagne. Même si la question des recettes se pose, il me semble que cette commission a largement entendu les positions de France Industrie, du Medef et de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Leurs préoccupations semblent davantage porter sur le maintien de l’industrie existante sur le territoire national, ce qui nous paraît disproportionné par rapport aux solutions envisagées.
J’ai partiellement répondu concernant les solutions, mais il est évident que la privatisation n’en fait pas partie. Nous revenons trop souvent sur ces sujets au détriment d’une réflexion plus approfondie. Cela pose la question de la planification et de l’anticipation de ces enjeux.
En complément, nous soulevons la question de l’équité entre les femmes et les hommes en matière de revenus. Vous avez fait référence aux aides publiques, notamment au crédit d’impôt recherche. Ces aides, accordées sans conditionnalité, bénéficient à certaines entreprises détenues majoritairement par des fonds de pension américains comme Blackrock. Ainsi, les aides publiques financent indirectement la protection sociale au profit de ces fonds de pension étrangers.
Concernant la question industrielle, il est important de noter que certains aspects négatifs n’ont pas été pris en compte. Je tiens à souligner qu’en France, l’empreinte carbone augmente relativement par rapport à nos voisins, tandis que nos émissions de gaz à effet de serre stagnent, voire régressent, en raison d’une forte désindustrialisation. Il a également été mentionné qu’il ne s’agit pas tant d’augmenter la production d’électricité que de mieux la réguler. Actuellement, notre consommation électrique est équivalente à celle de 2005, ce qui révèle des injonctions contradictoires qu’il faut résoudre.
Quant à vos propositions sur la taxe carbone, la question de son extension à divers secteurs se pose, étant donné que seuls certains sont actuellement concernés, comme l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium et l’électricité. Il est certainement nécessaire d’élargir son champ d’application pour lutter efficacement contre le dumping climatique, contre les pays qui cherchent à accroître leur compétitivité en négligeant les normes environnementales. Cependant, il est crucial de souligner que cela n’empêchera pas les délocalisations au sein de l’Union européenne, comme nous l’avons observé avec les mouvements vers les pays de l’Europe de l’Est.
Pour répondre à ces défis, nous proposons un choc d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, basé sur des normes sociales et environnementales communes. Il est essentiel de se préoccuper des conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués à l’échelle mondiale et de faire respecter les devoirs de vigilance des grands groupes. Ces propositions nous semblent plus pertinentes et plus larges que la simple extension de la taxe carbone, dont le mécanisme présente certaines limites.
Mme Patricia Drevon (FO). J’entends votre interrogation sur les cotisations sociales, dont la baisse est présentée comme la solution universelle. Cependant, il convient de rappeler que les exonérations n’ont cessé d’augmenter, atteignant aujourd’hui 200 milliards d’euros, sans conditionnalités ni impact significatif sur la réindustrialisation en France. Le coût du travail ne semble donc pas être l’obstacle principal, ayant bénéficié d’un soutien conséquent ces dernières années. Le rapport de la mission confiée à Antoine Bozio et Étienne Wasmer relative à l’articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d’activité et à son effet sur l’emploi, le niveau des salaires et l’activité économique, commandé par le gouvernement et publié le 3 octobre 2024, démontre d’ailleurs qu’au-delà d’un certain seuil, les exonérations de cotisations n’ont plus d’effet sur l’emploi.
Concernant la taxe carbone, nous y sommes favorables et soutenons son extension. Le protectionnisme n’est pas un mot injurieux mais un moyen de préserver nos emplois, nos industries et notre système de protection sociale. Nous sommes ouverts à débattre des modalités de réajustement de cette mesure, même si nous ne sommes pas favorables à ce qu’elle finance la baisse des impôts de production.
Il est surprenant que vous nous interrogiez sur de nouvelles exonérations de cotisations ou baisses du coût du travail, alors qu’aucune des cinq organisations syndicales présentes n’a proposé cette solution. Nous espérons que vous avez écouté attentivement nos propositions.
Pour conclure sur la réindustrialisation, il est essentiel de ne pas se focaliser uniquement sur le coût du travail. D’autres facteurs de compétitivité méritent notre attention.
M. Valentin Rodriguez (FO). Une étude récente, que nous vous transmettrons, compare les coûts de fabrication d’un véhicule en France et dans d’autres pays. Les résultats sont édifiants : la différence de prix de revient est minime. Par rapport à l’Espagne, l’écart n’est que de 300 à 400 euros. Avec la Slovénie, il se réduit à 260 euros. Même face à la Chine, la différence ne dépasse pas 5 à 6 %.
Ces chiffres démontrent que nous disposons de leviers de compétitivité qui ne se limitent pas au coût du travail. Ils nous permettraient d’être pleinement compétitifs au sein de l’Union européenne. Il serait d’ailleurs pertinent de réfléchir à des propositions visant à atténuer la concurrence intra-européenne.
Comme l’a souligné mon collègue de la CFE-CGC, d’autres facteurs impactent fortement la compétitivité. Le coût de l’énergie, par exemple, peut être jusqu’à six fois supérieur en France par rapport à d’autres continents. Le prix des matières premières a également connu une hausse significative. Ces éléments pèsent désormais plus lourd dans les décisions des entreprises que le seul coût du travail. Il est donc impératif d’élargir notre conception de la compétitivité au-delà de ce seul critère.
M. le président Charles Rodwell. Ma question portait spécifiquement sur la retraite par capitalisation, qui constitue un modèle alternatif de financement de la protection sociale. J’apprécierais que vous nous fassiez parvenir le rapport mentionnant les écarts de coûts de production entre pays.
M. Marc Aubry (CFDT). Je rejoins les propos de mes collègues concernant la compétitivité. Bien que celle-ci soit cruciale pour la réindustrialisation, le coût du travail n’en est qu’une composante parmi d’autres. Dans mon intervention précédente, j’ai souligné l’importance des compétences, de leur gestion, de la formation, ainsi que de la disponibilité et de l’intérêt des salariés pour les filières industrielles. La qualité des infrastructures et la disponibilité de l’énergie électrique sont également des facteurs déterminants.
Actuellement, le coût du travail en France ne présente pas de distorsion majeure par rapport à nos voisins européens. Concernant la retraite par capitalisation, la CFDT ne soutient pas cette approche. Néanmoins, des dispositifs similaires existent déjà, notamment à travers l’épargne salariale et les régimes de retraite supplémentaire. Une réflexion pourrait être menée sur l’orientation de ces fonds vers le financement de l’industrie. Cette première étape serait déjà significative, sans remettre en question le système actuel qui nous semble suffisamment stable et garantir une protection adéquate.
Il est important de noter qu’une négociation est en cours sur ce sujet, et ce n’est pas ici que nous allons traiter en profondeur de l’extension d’un système de retraite par capitalisation.
L’un des freins majeurs à la réindustrialisation réside dans l’orientation de l’épargne. Elle atteint actuellement des niveaux historiquement élevés dans notre pays. Il serait judicieux d’examiner vers quels dispositifs la diriger et quelle part consacrer à la réindustrialisation. Une réflexion approfondie s’impose, indépendamment de la question du financement par capitalisation des retraites. Les montants épargnés, que ce soit dans l’épargne traditionnelle ou l’assurance-vie, pourraient être mobilisés si des incitations adéquates étaient mises en place, tout en préservant des rendements attractifs. Le fléchage de ces fonds vers le financement de la réindustrialisation offre des pistes prometteuses, plutôt que de se concentrer uniquement sur les retraites par capitalisation.
L’extension de la taxe carbone est effectivement un sujet de réflexion important. Son objectif n’est pas seulement protectionniste, mais vise également à encourager la décarbonation à l’échelle mondiale, pas uniquement en France. Cependant, cette mesure peut avoir des conséquences inattendues, comme l’illustre l’exemple des véhicules électriques chinois. Si la taxe ne s’applique qu’aux produits finis, ces véhicules pourraient échapper à la taxation. L’objectif principal reste la réduction des émissions de carbone, y compris pour les produits importés. Cette approche pourrait inciter à une diminution globale des émissions pour tous les produits consommés en France, au-delà d’un simple protectionnisme.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Concernant les retraites, la CFE-CGC demeure fermement attachée au système par répartition. Nous n’excluons pas une réflexion sur un éventuel complément par capitalisation, mais nous sommes convaincus que notre dispositif actuel peut être équilibré. Les partenaires sociaux ont déjà prouvé leur capacité à prendre les décisions nécessaires dans d’autres domaines, comme l’Agirc-Arrco. Nous préconisons de laisser le temps à la concertation pour envisager des solutions appropriées.
S’agissant de la protection sociale, nous sommes disposés à examiner une assiette différente de celle du travail si ce sujet venait à être abordé. Nous apporterons des réponses concrètes le moment venu.
Quant à la taxe carbone aux frontières, nous soutenons le principe de cet outil. Cependant, sa mise en œuvre et son applicabilité nous paraissent extrêmement complexes, comme vous l’avez souligné. Nous estimons qu’il est préférable de différer son application tant qu’un dispositif simple, visible et efficace n’aura pas été élaboré. Cette mesure ne résoudra pas, notamment, les défis actuels de la sidérurgie.
Au-delà de l’aspect environnemental, la dimension sociale est également cruciale. Certains produits entrant sur le territoire européen ne respectent pas les exigences sociales que nous défendons collectivement. Ce type d’outil ne permettra pas de les bloquer efficacement. Nous préconisons plutôt l’instauration d’un contenu local dans les produits. L’évaluation du poids carbone d’un véhicule assemblé, par exemple, nous semble extrêmement complexe à mettre en œuvre.
Concernant la réduction du coût du travail, vous avez mentionné l’impact positif du CICE et probablement du crédit d’impôt recherche. Dans le cadre de la réindustrialisation, nous constatons que les allègements actuels ont principalement bénéficié à des secteurs ou des entreprises non soumis à la concurrence internationale. Cela n’a pas permis d’alléger suffisamment le coût du travail des secteurs productifs exposés à cette concurrence.
M. le président Charles Rodwell. Face à la détention des entreprises, notamment celles du CAC 40, mais pas uniquement, par des fonds de pension et des capitaux étrangers, nous envisageons deux moyens pour inverser cette tendance : la capitalisation et aussi la mise en place de mécanismes permettant aux salariés de redevenir actionnaires et propriétaires de leurs entreprises. Je pense particulièrement à l’actionnariat salarié. Pourriez-vous brièvement nous donner votre avis sur les dispositifs existants pour faciliter l’actionnariat salarié et sur les éventuelles améliorations à apporter ?
Mme Patricia Drevon (FO). L’actionnariat salarié existe depuis longtemps, notamment dans le cadre des sociétés coopératives de production (Scop). L’amélioration principale à apporter concerne l’accompagnement des salariés dans cette démarche, qui s’apparente actuellement à un véritable parcours du combattant. Il est essentiel de faciliter la création de Scop ou de structures équivalentes pour préserver l’outil de production et les emplois.
Nous avons soutenu la création de la Scop Duralex, où la CGT, avec ses représentants locaux et le soutien de la confédération, a porté le dossier. Cependant, le processus s’est avéré extrêmement complexe. Sans un accompagnement adéquat et un soutien étatique renforcé, de telles initiatives resteront difficiles à concrétiser.
Concernant la capitalisation comme solution pour faire entrer des capitaux dans les entreprises du CAC 40, les organisations syndicales demeurent très attachées au système de répartition. Nous ne sommes pas favorables à la capitalisation pour diverses raisons, notamment au vu des expériences négatives observées aux États-Unis, où certains salariés se sont retrouvés sans retraite pendant plusieurs mois.
Quant au partage de la valeur, un accord a été signé il y a deux ou trois ans, mais sa mise en œuvre reste insuffisante, particulièrement dans les PME. La volonté de partager la valeur doit également émaner du patronat, pas uniquement des organisations syndicales. Nous avons mis en place des outils qu’il faut déployer, mais la volonté d’aller dans cette direction fait souvent défaut.
Nous préconisons une conditionnalité accrue des aides publiques, notamment en imposant l’obligation de négocier et de mettre en place des dispositifs de partage de la valeur. Cette approche pourrait favoriser une mise en œuvre plus large et effective de ces mécanismes.
Mme Virginie Neumayer (CGT). La question de l’actionnariat salarié mérite d’être examinée. Actuellement, ce sont les fonds de pension qui contraignent les entreprises à des taux de rentabilité à deux chiffres. Cependant, à la CGT, nous estimons que l’actionnariat salarié seul ne suffira pas à résoudre ce problème. Nous préconisons plutôt le renforcement des droits d’intervention des représentants du personnel, qui leur permettront de peser sur les choix stratégiques des entreprises. Cela implique d’accroître la présence des administrateurs salariés dans les conseils d’administration, en leur accordant des droits d’intervention renforcés, notamment sur les orientations stratégiques et les politiques d’investissement. Nous proposons également d’étendre leur présence au-delà du seuil actuel de mille salariés.
Il est crucial de renforcer les droits d’intervention, par exemple, dans l’attribution des aides publiques. Nous suggérons la mise en place de critères spécifiques pour s’assurer que ces aides sont utilisées de manière appropriée et conformément à leur objectif initial.
Bien que nous ne diabolisions pas l’actionnariat salarié, nous ne le considérons pas comme la réponse principale à la question que vous avez posée. Nous pourrions également développer sur l’importance des droits d’intervention dans les comités sociaux et économiques (CSE), qui nous semblent complémentaires à ceux des conseils d’administration. Il est essentiel d’anticiper les évolutions à venir, et ce sont les salariés et leurs représentants, forts de leur connaissance du terrain et de leur travail, qui sont les mieux placés pour influencer ces décisions cruciales.
M. Marc Aubry (CFDT). L’actionnariat salarié en France, en dehors du cadre des coopératives, est aujourd’hui principalement concentré dans les grandes entreprises cotées. Là où il existe, ce dispositif est généralement apprécié, notamment parce qu’il est souvent associé à une participation financière des entreprises. Nous avons évoqué les problématiques liées au coût du travail, mais ces mécanismes fonctionnent particulièrement bien lorsqu’ils sont accompagnés d’abondements, constituant ainsi une forme de rémunération complémentaire.
Cette approche présente plusieurs avantages. Elle incite les salariés à s’intéresser davantage à l’économie et aux résultats de leur entreprise, ce qui a des effets bénéfiques, y compris dans la perception de l’entreprise par ses employés. Cependant, il existe un risque potentiel : celui d’encourager les salariés à concentrer leurs investissements, les rendant ainsi doublement dépendants de leur employeur, à la fois pour leur salaire et pour leurs placements financiers.
Cette situation justifie la mise en place de mécanismes d’abondement pour atténuer ces risques. Elle explique également pourquoi ce modèle est difficilement transposable aux petites entreprises, où les risques sont potentiellement plus élevés. Certes, dans ces structures, les perspectives de gains peuvent être plus importantes en raison de croissances potentiellement plus fortes, mais les risques de pertes ne sont pas non plus à négliger.
L’actionnariat salarié fonctionne donc plutôt bien dans les grandes structures, où la diversification des activités limite les risques pour les salariés actionnaires. Néanmoins, des cas comme ceux d’Atos ou d’Alcatel ont montré que, même dans ces contextes, des pertes significatives peuvent survenir lorsque l’entreprise rencontre des difficultés majeures.
Des textes législatifs récents ont souhaité faciliter la mise en œuvre de l’actionnariat salarié. Cependant, nous n’avons pas observé d’accélération significative de son développement. Dans les entreprises où ce dispositif existait déjà, on a pu constater un effet d’aubaine avec une légère augmentation de son utilisation, mais il ne s’est pas étendu de manière notable à de nouveaux secteurs ou entreprises. En somme, il n’y a pas eu de rupture majeure ou de game changer dans ce domaine.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Concernant les fonds de pension, notre expérience dans le secteur automobile soulève des inquiétudes. De nombreux sous-traitants ont été rachetés ces dernières années par des fonds dont l’horizon de pilotage ne privilégie pas l’ancrage territorial, la pérennité ou le développement de l’entreprise. Leur focus est plutôt sur une rentabilité à très court terme et très élevée. Cette approche conduit souvent à un sous-investissement dans l’outil productif et à une pression croissante sur l’activité, jusqu’à ce que l’entreprise perde en compétitivité.
Face à cette situation, à la CFE-CGC, nous envisageons d’autres pistes. L’une d’elles consisterait à orienter l’épargne des Français vers des fonds ayant un système de pilotage différent, axé non seulement sur la rentabilité, mais aussi sur l’ancrage territorial et la préservation des emplois en France. Nous partageons également la position de la CGT sur la nécessité de renforcer la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration des entreprises françaises, là où se décident les stratégies d’entreprise.
Cependant, comme vous l’avez souligné, de nombreuses entreprises n’ont pas leur siège social en France, ce qui limite l’impact de cette mesure. C’est pourquoi nous estimons qu’il est crucial de renforcer le rôle du CSE dans les décisions stratégiques des entreprises, afin d’assurer une meilleure représentation des intérêts des salariés.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie de votre présence dans le cadre de cette audition. Il était indispensable de pouvoir auditionner les représentants de celles et ceux qui font vivre nos industries.
J’aimerais évoquer avec vous quatre grands sujets : le financement, la compétitivité, la planification et les compétences.
Au préalable, je souhaite vous poser une question préliminaire qui nécessite une réponse brève : vos syndicats respectifs disposent-ils d’études d’impact ou d’estimations concernant les suppressions d’emplois à venir ? Nous savons que l’année dernière, malheureusement, 24 000 emplois industriels ont été supprimés. La Plateforme automobile (PFA), représentant les constructeurs automobiles, estime que près de 100 000 emplois industriels seront supprimés dans ce seul secteur au cours des dix prochaines années, notamment en raison de l’interdiction des véhicules à moteur thermique. Avez-vous, au sein de vos organisations syndicales, des estimations similaires concernant les suppressions d’emplois industriels ?
M. Marc Aubry (CFDT). Effectivement, nous nous penchons sur cette question. Vous mentionnez les prévisions de destructions d’emplois, mais il est également important de considérer les prévisions de créations d’emplois. Ces études sont menées notamment dans le cadre de réunions paritaires de branches ou lors d’échanges au sein des comités stratégiques de filière. Ces travaux permettent d’identifier les métiers en tension, les besoins futurs, ainsi que les nécessités de renouvellement générationnel.
Concernant l’automobile, l’impact de la transition du moteur thermique vers le moteur électrique a effectivement été identifié comme entraînant mécaniquement une réduction d’activités de fabrication. Cette tendance était déjà observable lors du passage du diesel à l’essence. Cependant, nous ne pouvons pas nous opposer à la transition vers la mobilité électrique, qui répond à des impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il est crucial de se pencher sur le devenir de ces emplois et d’explorer les possibilités de reconversion, tant au niveau individuel que collectif. Cela implique de travailler sur les compétences pour sécuriser les parcours professionnels et potentiellement transformer certaines usines, comme celles dédiées à la fabrication d’injecteurs diesel. Nous ne pouvons pas relancer une filière de production d’injecteurs diesel uniquement pour préserver ces emplois. Il faut anticiper cette évolution tout en identifiant de nouvelles activités génératrices d’emplois, comme dans l’industrie de l’armement, qui recherche actuellement beaucoup de main-d’œuvre.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous prie de bien vouloir répondre plus directement à ma question : vos syndicats disposent-ils d’estimations chiffrées concernant les suppressions et créations d’emplois ? Nous aborderons les questions de compétences et de reconversion dans la suite de nos échanges.
M. Marc Aubry (CFDT). Pour répondre précisément à votre question, des études spécifiques sont effectivement menées dans le cadre des comités de filière et des commissions nationales sur l’emploi et les compétences. Des organismes tels que la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) travaillent sur des prévisions sectorielles et des projections en termes de besoins en main-d’œuvre. Ces études sont régulièrement actualisées en fonction de l’évolution de la situation et des hypothèses retenues.
En ce qui concerne spécifiquement la métallurgie, les prévisions globales actuelles indiquent un besoin de recrutement assez important dans les années à venir. Cela n’exclut pas l’existence de difficultés localisées et de situations complexes, notamment dans certains secteurs plus durement touchés par les mutations économiques et technologiques.
Mme Patricia Drevon (FO). Les observatoires de branche des métiers et des compétences possèdent l’expertise nécessaire pour effectuer des projections et des prévisions sur les besoins en formation. Ces structures, spécifiquement conçues à cet effet, fonctionnent de manière particulièrement efficace dans certaines filières. Il est donc essentiel de s’appuyer sur ces observatoires pour obtenir des données chiffrées pertinentes. Généralement pilotés par les directions, ils disposent des capacités d’analyse requises.
Concernant le Conseil national de l’industrie (CNI) et les comités de filières qui en dépendent, nous constatons une certaine inertie. Cette situation soulève des interrogations quant à la gestion des cas actuels, si les acteurs ne sont pas réunis.
Quant au fonctionnement des contrats de filières et à l’implication des organisations syndicales, nous observons une participation limitée lors des phases de négociation. Il est impératif de réunir l’ensemble des acteurs capables de proposer des solutions concrètes. Ces discussions doivent porter sur l’avenir des filières, les mesures à mettre en œuvre et les axes de développement pour améliorer notre industrie.
Concernant l’emploi, nous nous interrogeons actuellement sur la notion de plein emploi, tout en cherchant à comprendre les raisons des pertes d’emplois constatées. C’est précisément l’objet de notre réunion aujourd’hui.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Pour répondre précisément à votre question, nous ne disposons pas d’une vision macroéconomique globale. Cette absence s’explique par le fait que les organisations syndicales se concentrent prioritairement sur les secteurs où les chiffres révèlent des difficultés spécifiques. En effet, une analyse macroéconomique englobant toutes nos filières industrielles pourrait donner l’illusion trompeuse d’un pays créateur d’emplois, alors qu’un examen filière par filière met en lumière des zones de destruction massive d’emplois.
Notre préoccupation principale ne se limite pas aux prévisions chiffrées, qu’il s’agisse de la destruction de 100 000 emplois ou de la création de 10 000 dans l’automobile. L’enjeu crucial réside dans la gestion de l’écart entre ces chiffres. Que l’on parle d’une perte nette de 90 000 ou 70 000 emplois selon les études, l’essentiel pour une organisation syndicale est d’anticiper et de se préparer à gérer cet écart. Cette approche s’applique tant aux filières en phase défensive qu’à celles en phase offensive, comme le secteur nucléaire qui prévoit de recruter 100 000 personnes supplémentaires dans les cinq prochaines années.
Ainsi, nous privilégions des analyses sectorielles plutôt qu’une vision macroéconomique qui risquerait de fausser notre perception de la réalité. Nous disposons de plusieurs analyses de ce type pour étayer notre réflexion.
Mme Virginie Neumayer (CGT). L’établissement d’une vision prospective nécessite avant tout l’accès à un ensemble complet de données. Or la situation actuelle, marquée par les répercussions des politiques de l’administration Trump et les fluctuations des exportations chinoises, complexifie considérablement cette tâche. C’est précisément pour cette raison que nous avons sollicité une rencontre avec le ministre de l’économie et ses services il y a environ trois semaines. Notre objectif était de mettre en place une cellule de veille dans le contexte de la guerre commerciale, afin d’obtenir ces données cruciales et de les confronter à la réalité quotidienne vécue par les salariés.
Il est important de souligner que de nombreux groupes présentent des visions stratégiques peu transparentes en termes de prospective, ce qui contraste avec les informations dont dispose l’administration économique française. Pour améliorer notre travail prospectif, il serait nécessaire de renforcer les politiques de filières, actuellement très hétérogènes et peu efficaces. Cela impliquerait notamment de consolider les droits des représentants dans ces instances et de s’inspirer des bonnes pratiques existantes.
Je pense notamment à l’exemple de la filière nucléaire qui a défini les besoins en compétences pour 50 métiers à l’horizon 2035, prenant en compte les départs à la retraite et en identifiant un besoin de recrutement d’environ 10 000 personnes. Ce type d’approche pourrait être étendu à d’autres filières.
Concernant la question des compétences, il est crucial de comprendre leur nature dynamique et leur transmission entre salariés. Cela nécessite la mise en place de systèmes de tutorat, le maintien en poste des salariés expérimentés pour assurer la transmission, notamment dans le cadre de l’apprentissage, et d’éviter les effets de rupture générationnelle dans certains métiers.
Sur le plan du financement, nous préconisons une réorientation de l’épargne vers le financement de l’économie locale et des projets décarbonés. La France dispose d’outils institutionnels, tels que les caisses d’épargne régionales, qui pourraient jouer un rôle crucial dans cette recomposition des fonds dédiés à la planification industrielle. Il est regrettable que ces outils soient actuellement sous-utilisés, cantonnés à des fonctions de comptabilité plutôt que d’être exploités comme des instruments de prospective au service de la puissance publique.
En matière de compétitivité, la question de l’énergie, et particulièrement de l’électricité, est primordiale. La France, dépourvue de ressources fossiles abondantes contrairement aux États-Unis avec leur gaz de schiste, doit viser l’indépendance énergétique et sortir progressivement des énergies fossiles. Cela implique de valoriser nos atouts, comme dans le domaine de l’électricité et de l’électrification, tout en préservant nos outils nationaux, notamment en luttant contre la mise en concurrence des concessions hydrauliques, souhaitée par la Commission européenne.
Il est également crucial de se concentrer sur l’optimisation des coûts de production d’électricité plutôt que de persister dans le maintien d’un marché de l’électricité déconnecté des réalités. Les prix élevés de l’électricité constituent un choc économique majeur, et il serait judicieux d’envisager des contrats à long terme permettant à certaines industries stratégiques de bénéficier de tarifs plus avantageux. Ce sont ces enjeux cruciaux sur lesquels nous devons concentrer nos efforts dans les temps à venir.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’aimerais connaître votre analyse des atouts et des faiblesses de la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite « loi Florange », qui impose aux entreprises de plus de mille salariés de rechercher un repreneur avant toute fermeture de site, ainsi que les évolutions que vous préconisez.
Par ailleurs, je voudrais évoquer la création d’un fonds souverain français. Ce fonds, qui s’apparenterait à une Banque publique d’investissement dotée de moyens considérablement accrus, mobiliserait l’épargne des Français sur une base volontaire. Pour rappel, cette épargne s’élève actuellement à plus de 6 600 milliards d’euros en termes d’actifs financiers. L’objectif serait double : soutenir des secteurs stratégiques et intervenir au capital de fleurons industriels en difficulté, lorsqu’aucune solution privée française viable n’est identifiée. Quelle est votre position sur la mise en place d’un tel dispositif ?
Mme Patricia Drevon (FO). Nous avons été plusieurs fois auditionnés sur la loi Florange. Le taux de réussite est estimé entre 10 et 20 %, principalement en raison d’une intervention souvent trop tardive. La loi ne s’applique qu’aux entreprises de plus de 250 salariés, un seuil qu’il conviendrait d’abaisser. Il est impératif de renforcer l’obligation de recherche effective de repreneurs, car actuellement, rien ne garantit que cette recherche soit menée de manière approfondie. Des mesures complémentaires ont été mises en place, comme le décret du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable dit « décret Montebourg », élargi en 2019, qui contrôle les investissements étrangers dans douze secteurs stratégiques. Cependant, ces dispositions méritent d’être actualisées pour refléter les enjeux contemporains.
Il est crucial de préserver les compétences au sein des entreprises, même en période de ralentissement économique. À cet égard, un accord récent dans la métallurgie vise à maintenir les compétences pendant les périodes de baisse d’activité. Nous devons également veiller à la cohérence de nos politiques industrielles et environnementales. Par exemple, la transition vers les véhicules électriques doit s’accompagner d’un développement conséquent de notre capacité de production d’énergie, notamment nucléaire. Enfin, il est essentiel d’adopter une approche proactive plutôt que réactive dans la mise en place de mesures telles que la taxe carbone. Nous devons anticiper les évolutions nécessaires plutôt que de les subir.
Mme Virginie Neumayer (CGT). Notre proposition principale est l’instauration d’un moratoire sur les licenciements pour contrer la désindustrialisation, tout en renforçant la loi Florange. Nous préconisons plusieurs améliorations à cette dernière. Tout d’abord, nous suggérons d’abaisser le seuil d’application de l’obligation de recherche de repreneur de 1 000 salariés à 50 salariés. Nous proposons de l’aligner sur le seuil des PSE, ce qui permettrait d’élargir le champ d’application et d’offrir davantage de solutions alternatives.
Nous recommandons également de donner aux CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce en cas de recherche de repreneur jugée insuffisante. L’objectif est de transformer cette obligation de recherche, actuellement formelle, en une véritable obligation de résultat, assortie d’un pouvoir d’injonction sous astreinte.
Par ailleurs, nous plaidons pour l’interdiction de supprimer des emplois pendant toute la durée de la procédure de recherche de repreneur.
Nous portons également un projet de loi visant à mieux encadrer les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Ce texte préciserait notamment les modalités de contribution des donneurs d’ordres en cas de licenciements chez leurs sous-traitants.
Enfin, nous souhaitons réunir des assises de l’industries, nous en appelons à une mobilisation de toutes les forces vives de la nation pour définir une véritable planification industrielle. Celle-ci devrait répondre aux besoins sociaux et environnementaux actuels et futurs, en tenant compte des horizons longs propres à l’industrie, qui peuvent s’étendre sur 20, 30, voire 60 ans pour certains sites. Cette vision à long terme ne peut se satisfaire d’une approche limitée aux cycles quinquennaux. C’est sur ces enjeux cruciaux que nous souhaitons engager la nation.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Il est indéniable que la loi Florange nécessite des améliorations. Il serait notamment judicieux d’envisager une obligation de résultat plutôt que de moyens, bien que son application stricte reste complexe. Un point crucial a été soulevé par ma collègue : lors de la vente d’un bien particulier, on s’efforce généralement de le présenter sous son meilleur jour pour attirer les acheteurs. Malheureusement, ce n’est que rarement le cas dans le cadre de cette mesure. En effet, l’intervention tardive implique souvent un manque de volonté du cédant à accompagner la revitalisation ou la réorientation de l’outil productif qu’il met à disposition. Cette situation attire principalement des fonds de retournement, qui s’apparentent davantage à des joueurs de loterie et n’apportent généralement que peu de valeur sur le long terme.
Nous n’avons pas encore approfondi le sujet du fonds souverain. Notre priorité actuelle se porte sur le fléchage de l’épargne salariale, qui nous semble être un outil plus rapidement opérationnel. Nous restons néanmoins ouverts à d’autres possibilités.
M. Marc Aubry (CFDT). Je ne répondrai pas à la question sur la loi Florange car je n’ai pas d’éléments. En ce qui concerne le concept de fonds souverain, il pourrait effectivement constituer une réponse pertinente aux enjeux évoqués précédemment. L’industrie nécessite des investissements conséquents pour se transformer et contribuer à la revitalisation des territoires. Parallèlement, nous disposons d’une épargne importante, soutenue par divers dispositifs fiscaux et sociaux avantageux. En comparaison internationale, notre niveau d’épargne est plutôt favorable. La question cruciale réside dans l’utilisation de cette épargne.
De multiples solutions permettent de placer cette épargne au service de la réindustrialisation et de la transformation de notre tissu industriel. Cela n’élude pas pour autant la problématique de la compétitivité. En effet, si l’on propose aux épargnants des placements qui ne génèrent pas de plus-value dans un environnement donné, cela engendrera inévitablement des déficits. Néanmoins, je suis convaincu qu’une réflexion approfondie sur l’utilisation et le fléchage d’une partie de cette épargne mérite d’être menée.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Il est indéniable qu’une politique de l’offre est nécessaire pour permettre aux entreprises de dégager des marges. Cependant, elle doit impérativement s’accompagner d’une politique de la demande. Celle-ci vise à garantir que les bénéfices dégagés par les entreprises soient redistribués équitablement, tant aux salariés qu’à l’échelle nationale, tout en assurant la viabilité des activités entrepreneuriales au niveau local et national.
Êtes-vous favorable à une sortie des règles européennes de tarification de l’électricité, communément appelées règles du marché européen de l’énergie ? L’objectif serait double : d’une part, offrir un choc d’offre bénéfique à nos entreprises en améliorant leur compétitivité, et d’autre part, créer un choc de demande profitable aux Français et aux collectivités territoriales, en augmentant leur pouvoir d’achat et leurs marges. L’idée est que le coût de la facture reflète fidèlement les coûts de production et d’investissement sur le sol français.
Dans l’optique de pérenniser les activités de nos entreprises en stimulant la demande, êtes-vous favorable à l’instauration d’une préférence européenne à l’échelle continentale ?
Enfin, soutenez-vous l’idée d’une priorité locale à l’échelle nationale, qui permettrait aux acheteurs publics français de privilégier un produit français, même légèrement plus onéreux ? Il ne s’agit pas d’imposer, mais plutôt d’offrir cette liberté à l’acheteur public.
Mme Patricia Drevon (FO). Concernant l’énergie, nous sommes favorables à une révision du système actuel. Si le critère des coûts de production est primordial, il convient également de considérer l’impact sur le coût du travail. Des ajustements sont nécessaires dans ce domaine.
S’agissant de la préférence européenne et de la préférence nationale, particulièrement pour les commandes publiques financées par l’impôt, nous y sommes favorables. Cependant, la question de la faisabilité, notamment pour une préférence française, reste à éclaircir dans le cadre réglementaire actuel. Une préférence européenne semble plus aisément envisageable.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. L’Allemagne applique déjà une forme de priorité locale. En effet, elle a mis en place un critère de localisation conforme aux règles de la préférence européenne.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Nous sommes favorables à la priorité dans les achats publics. Quant à la tarification de l’électricité, nous soutenons également sa réforme. Cependant, il serait imprudent de prétendre qu’une solution immédiate existe sans en avoir étudié tous les aspects. Une analyse approfondie et une étude d’impact comparant les différentes options sont indispensables avant de s’engager. Par conséquent, il nous est difficile de fournir une réponse catégorique comme vous le demandez aujourd’hui, la question étant plus complexe qu’elle n’y paraît.
M. Marc Aubry (CFDT). La question de l’énergie, particulièrement de sa disponibilité et de sa décarbonation, est effectivement centrale. Nous devons considérer les enjeux à court terme, notamment la possibilité de modifier rapidement les dispositions existantes. Cela implique de changer les règles tout en accompagnant la transformation de l’ensemble de l’équipement de distribution et de production. C’est un défi complexe qui nécessite une approche globale.
Concernant la priorité locale et les marchés publics, il est vrai que les règles actuelles sont très strictes et laissent peu de marge de manœuvre. Une piste de réflexion intéressante serait d’explorer des moyens de favoriser une forme de circuit court et de production locale, ce qui n’est pas permis par les textes en vigueur. Bien que ces textes aient leur vertu en termes de respect de la concurrence, il serait pertinent d’envisager des ajustements pour promouvoir une économie plus locale et durable.
Mme Virginie Neumayer (CGT). Sur la question de l’énergie, le débat pourrait être long, mais le point central pour nous reste la doctrine de la Commission européenne sur la concurrence libre et non faussée. Cette approche a conduit au démantèlement de nombreux services publics, comme récemment la SNCF, au profit d’intérêts spéculatifs. Notre défi est de sortir de cette doctrine européenne, dans laquelle la France joue malheureusement un rôle actif.
Concernant les questions soulevées, nous préconisons un travail approfondi sur les critères des marchés publics. L’objectif serait de favoriser les pratiques les plus vertueuses sur le plan social et environnemental, tout en œuvrant au maintien de notre capacité productive nationale. Cette démarche permettrait d’établir des critères sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour redynamiser le tissu industriel local, national, voire ouest-européen. Il s’agit d’un processus de longue haleine qui nécessite un engagement soutenu.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. En ce qui concerne l’attractivité des métiers industriels, au-delà de l’aspect salarial, quelles évolutions en termes d’organisation et de rythme de travail préconisez-vous pour les rendre plus attrayants ? Il me semble crucial que les industriels et les syndicats collaborent pour aligner les pratiques professionnelles avec les nouvelles aspirations sociétales. Par ailleurs, quel est votre avis sur le dispositif des écoles de production, qui facilite l’insertion professionnelle ? Enfin, que pensez-vous de l’idée de confier la responsabilité des filières industrielles au sein des lycées professionnels au ministère de l’Industrie, à l’instar des lycées agricoles relevant du ministère de l’agriculture ?
M. Marc Aubry (CFDT). Face aux besoins globaux en compétences, les écoles de production, bien qu’en plein essor, demeurent marginales. Leur intérêt réside dans leur capacité à réintégrer certains jeunes dans un parcours d’apprentissage menant à une qualification professionnelle. Cependant, les enjeux en matière de compétences sont bien plus vastes. Nous devons nous pencher sur le remplissage des filières de formation pour nos métiers et sur l’efficacité des dispositifs d’apprentissage. Malgré les efforts consentis, force est de constater que les bénéfices ont principalement profité à l’apprentissage post-baccalauréat, laissant un vide au niveau des formations moins qualifiées, notamment les brevets d’études professionnelles (BEP). Paradoxalement, l’industrie emploie de plus en plus de salariés de niveau post-bac.
Quant à l’image de l’industrie, au-delà des représentations médiatiques, nous souffrons d’une sous-représentation flagrante. Contrairement à d’autres secteurs comme la cuisine, l’enseignement ou l’aviation, nos métiers sont quasi invisibles dans les fictions et documentaires. Cette absence de visibilité, plus que toute image négative, constitue un véritable handicap. Il est impératif que les entreprises s’engagent davantage auprès des collèges, car c’est à ce niveau que se forgent les orientations. Les stages de troisième et de seconde offrent des opportunités à saisir. Les industries gagneraient à s’ouvrir davantage pour faire découvrir leurs métiers.
M. Valentin Rodriguez (FO). L’attractivité des métiers industriels repose avant tout sur la réussite d’une politique industrielle forte, garantissant la pérennité et le dynamisme du secteur sur notre territoire. Face à une médiatisation constante des plans sociaux et des difficultés, il est crucial de repenser nos stratégies industrielles. En effet, il est compréhensible que les jeunes hésitent à s’orienter vers un secteur perçu comme instable.
Un travail approfondi de communication, tant au niveau local que national, s’impose pour déconstruire les stéréotypes et mettre en lumière la diversité des métiers industriels. La filière métallurgique a déjà entrepris des efforts en ce sens. Néanmoins, nous ne pouvons occulter la réalité de certains postes encore pénibles, notamment dans la production en chaîne. Des améliorations significatives en termes de qualité de travail et de rémunération sont indispensables pour accroître l’attractivité globale de nos métiers.
Les écoles de production, bien que limitées en nombre, comblent un vide laissé par les filières traditionnelles de l’éducation nationale. Elles jouent un rôle complémentaire utile dans notre paysage éducatif.
Quant à la proposition de transférer la responsabilité des filières professionnelles industrielles au ministère de l’industrie, nous y sommes actuellement réservés. L’exemple des lycées agricoles n’a pas démontré de réelle plus-value en termes d’attractivité ou d’adaptation des formations.
Mme Patricia Drevon (FO). L’exemple du secteur agricole, qui a conservé la gestion de ses formations, n’a pas démontré d’amélioration notable en termes d’attractivité, d’image ou de conditions de travail. Cette organisation, héritée de l’histoire, n’a pas apporté de réelle plus-value dans l’adaptation des formations aux besoins du secteur. Je ne vois donc pas l’intérêt de transposer ce modèle à l’industrie, considérant que l’expérience agricole n’a pas été particulièrement concluante.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je précise que l’idée derrière cette proposition est d’adapter plus efficacement l’offre de formation aux besoins spécifiques de l’industrie.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Je tiens à souligner l’engagement fort de nos équipes dans de nombreuses entreprises sur les questions d’attractivité et de compétences. Cependant, il faut reconnaître que l’amélioration des conditions de travail nécessite une volonté partagée, ce qui n’est pas toujours le cas. L’industrie, par nature, impose certaines contraintes liées aux rythmes de production et aux impératifs commerciaux, incluant parfois des travaux postés difficiles à éliminer complètement.
Néanmoins, je peux vous assurer que nos représentants s’efforcent d’améliorer les conditions de travail, notamment à travers le développement du télétravail lorsque c’est possible. De nombreux accords d’entreprise ont été conclus en ce sens.
Nous considérons les écoles de production comme un complément pertinent à l’offre de formation existante, répondant à la fois à des besoins professionnels et sociétaux. Leur développement nous semble une piste intéressante à explorer.
Quant à votre dernière question, il est difficile d’y répondre catégoriquement. Cependant, il est crucial de prendre en compte la dimension territoriale dans cette réflexion. Les métiers industriels sont souvent exercés par une main-d’œuvre peu mobile. Pour établir une cartographie précise des compétences et évaluer les besoins en formation initiale, une analyse fine au niveau local est indispensable. Or le ministère que vous évoquez ne semble pas disposer actuellement d’une présence territoriale suffisante pour mener à bien cette mission.
Mme Virginie Neumayer (CGT). Un effort réel de promotion est indispensable, notamment pour féminiser les métiers dans les écoles. Toutefois, concernant l’attractivité, nos enquêtes révèlent systématiquement que le premier élément déterminant est la question salariale. La revalorisation des métiers techniques est donc primordiale. Il faut cesser de se focaliser sur des concepts comme celui de start-up nation et privilégier une approche concrète pour attirer les jeunes vers ces métiers.
Un point crucial que vous n’avez pas évoqué concerne la fidélisation du personnel. L’industrie offre des métiers nobles, certes, mais souvent pénibles. Il est impératif d’améliorer les conditions de travail dans ces secteurs. Cela implique de traiter la question de la pénibilité, des lignes de travail, et des droits d’intervention des salariés. Je pense notamment au rétablissement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui avaient permis des avancées significatives en matière de conditions de travail. Depuis leur suppression, nous constatons une régression dans ce domaine.
La mobilité professionnelle est également un enjeu central, englobant des aspects tels que le logement et les conditions d’exercice. À titre d’exemple, sur le chantier de réacteur pressurisé européen ou European pressurized reactor (EPR) de Flamanville, nous avons collaboré avec les collectivités territoriales et les industriels pour élaborer une charte sociale visant à accueillir les salariés dans de bonnes conditions. Ce type d’initiative mérite d’être développé.
Enfin, la question du financement des lycées professionnels est aujourd’hui cruciale, car leur situation est critique. Il est urgent de leur allouer des moyens suffisants. Le véritable enjeu n’est pas tant la structure ministérielle que les moyens de financement mis à disposition.
M. Francis Weber (RN). Je suis pleinement conscient des défis auxquels sont confrontées les organisations syndicales aujourd’hui, chacune avec sa sensibilité et sa diversité.
Je souhaiterais aborder la question des normes qui sont parfois imposées trop rapidement et de manière trop contraignante. Prenons l’exemple de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur dite « proposition de loi Duplomb », actuellement en discussion à la commission des affaires économiques. Il ne s’agit pas d’opposer les « bons » aux « mauvais », mais de trouver un équilibre entre responsabilité écologique et responsabilité sociale. Notre rôle de législateurs est de veiller à cet équilibre, en évitant d’imposer des normes qui pourraient s’avérer contre-productives et nuire à nos institutions industrielles.
Lors de nos auditions avec des dirigeants d’entreprises, notamment dans ma circonscription où de nombreuses personnes travaillent pour des groupes comme Stellantis ou ArcelorMittal, nous avons constaté l’impact concret de ces normes. Par exemple, Stellantis a dû interrompre la production de certains véhicules sur un site simplement parce que le maintien de l’activité à 100 % devenait trop coûteux en raison des nouvelles réglementations relatives à la performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs et appelées Cafe (Corporate Average Fuel Economy), entrées en vigueur le 1er janvier 2021 et évoluant en 2025. De même, ArcelorMittal fait face à des difficultés concernant les investissements nécessaires pour pérenniser la production d’acier liquide sur les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Ces situations soulèvent la question d’une éventuelle nationalisation si ces sites de production stratégiques venaient à être menacés.
Ensuite, concernant les aides et le partage de la valeur, nous avons proposé une taxation des rachats d’actions en cas de superprofits, bien que cette proposition n’ait pas encore été pleinement débattue. J’aimerais connaître votre point de vue sur cette question du partage de la valeur en cas de profits exceptionnels.
Enfin, sur la méthode, je tiens à exprimer mon inconfort face au fait que certains de vos représentants syndicaux dans les usines aient pour consigne de ne pas échanger avec certains parlementaires. Il n’y a pas de « bons » ou de « mauvais » parlementaires ; nous sommes tous ici par la volonté du peuple. J’espère que cette situation s’améliorera, car notre objectif commun est l’intérêt des salariés. Il est crucial de ne pas choisir ses interlocuteurs en fonction de leur appartenance politique lorsqu’ils ont été élus démocratiquement.
M. Valentin Rodriguez (FO). Concernant le débat sur les normes jugées trop rapides ou trop contraignantes, il est vrai que dans certains cas, leur impact peut être considérable. Il serait pertinent d’envisager une classification européenne, notamment dans le contexte de la transition écologique. Nous pourrions réfléchir à la mise en place d’exceptions dérogatoires temporaires, en prenant en compte les enjeux sociaux, les pertes d’emplois potentielles et leurs conséquences sur l’environnement et le climat. Cette réflexion ne remet pas en cause l’importance de la trajectoire de transition écologique, mais vise à en atténuer les effets négatifs immédiats.
L’impact des normes dites Cafe sur certains secteurs est indéniable. Cependant, il faut noter que certains constructeurs ont continué à promouvoir les véhicules thermiques, en partie en réponse à la demande, mais aussi parce que les marges y étaient plus importantes. Les déséquilibres observés ne sont donc pas uniquement imputables à la norme, mais aussi à des choix stratégiques des entreprises. Des ajustements sont d’ailleurs en cours pour apporter plus de flexibilité dans l’application de ces normes.
Quant aux investissements en suspens, il est important de souligner que pour le site de Fos-sur-Mer, des investissements considérables sont prévus, notamment pour l’installation d’une ligne électrique de 400 000 volts, ce qui pourrait être déterminant pour la pérennité du site.
Je souhaite revenir brièvement sur la question de la sidérurgie, évoquée lors d’une autre commission d’enquête. La proposition d’un moratoire sur la décarbonation pour sauvegarder l’industrie, en particulier dans ce secteur essentiel à notre souveraineté industrielle, mérite réflexion. Un tel moratoire ne signifierait pas l’abandon des objectifs environnementaux, mais permettrait de prendre le temps de développer les outils et technologies nécessaires pour une transition sans conséquences sociales désastreuses, tout en préservant l’industrie sidérurgique française.
Enfin, concernant la méthode de dialogue avec les parlementaires, je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet, notre position ayant été clairement exprimée au niveau confédéral.
Mme Patricia Drevon (FO). En ce qui concerne les organisations syndicales, il est essentiel de rappeler que nous ne devons pas discriminer dans nos échanges avec les parlementaires. Notre indépendance et notre neutralité politique nous imposent de répondre à tous les élus, quelle que soit leur affiliation.
M. Bruno Azière (CFE-CGC). Toute norme élaborée sur la base d’une étude approfondie de ses impacts, y compris sociaux et économiques, ne devrait pas être remise en question dans son principe. Cependant, il est crucial que leur mise en œuvre soit pilotée et ajustée en fonction des effets observés au fil du temps.
Les normes Cafe accompagne le plan européen de décarbonation des véhicules. Nous saluons le fait que l’Europe ait pris conscience de la nécessité d’en mesurer les effets et de vérifier s’ils correspondent aux attentes initiales. Il est vrai que certains constructeurs européens ont tardé à s’engager dans la transition vers l’électrification de leurs véhicules. Néanmoins, il faut reconnaître que les clients, souvent négligés dans ces discussions, n’achètent pas nécessairement les véhicules que l’on souhaiterait qu’ils achètent. Imposer un système qui favoriserait uniquement les véhicules peu demandés au détriment de ceux qui sont recherchés par les consommateurs poserait un problème majeur.
Mme Virginie Neumayer (CGT). Nous considérons que, plutôt que d’octroyer des aides publiques, il conviendrait de nationaliser.
Par ailleurs, les salariés sont les premières victimes des risques industriels, notamment dans le cas des substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS). Cette problématique soulève également des enjeux de sensibilité sociale auprès des populations environnantes. Il est impératif de lier la question industrielle à ces préoccupations, alors que des solutions alternatives existent. Nous préconisons l’attribution de nouveaux droits d’intervention renforcés sur les questions environnementales, ce qui bénéficierait également aux futures implantations.
Bien que ce ne soit pas le lieu d’un débat sur le coût du travail, nous considérons aussi que la lutte contre le déclassement des populations et le réinvestissement dans les territoires, tant sur le plan industriel que des services publics, constituent des moyens efficaces de dissuasion. Cette approche contribue, selon nous, à contrer la progression des idées d’extrême droite.
M. Marc Aubry (CFDT). Il faut reconnaître que si les normes constituent un objectif en soi, leur application peut parfois s’avérer contre-productive. Des ajustements, parfois critiques, peuvent s’avérer nécessaires. Prenons l’exemple de l’amélioration énergétique de l’habitat : certaines normalisations, qu’elles concernent l’utilisation de matériaux spécifiques ou la qualification des artisans, ont entraîné une augmentation des coûts, réduisant ainsi le nombre de travaux entrepris. Il est donc impératif de réévaluer régulièrement ces normes à l’aune de la réalité du terrain et de l’objectif initial. Si nous constatons que certaines ne sont plus justifiées, plusieurs options s’offrent à nous : nous pouvons envisager leur suspension départementale, leur révision, voire leur report d’application si nécessaire. Une norme n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre un objectif. Sa pertinence doit être constamment questionnée au regard de sa finalité initiale.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions et vous invite à compléter nos échanges en répondant au questionnaire qui vous a été transmis ou en faisant parvenir au secrétariat tout document que vous jugeriez utile à notre commission.
J’indique que pour la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), M. Éric Sekkai, secrétaire général de la fédération CFTC chimie-mines-textile-énergie, en charge de l’industrie, empêché de manière imprévue à participer à notre table ronde, sera invité à répondre par écrit aux questions.
La séance s’achève à treize heures cinq.
Présents. – M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber