Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France (Medef), président de Martin Belaysoud Expansion, Mme Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques du Medef, et M. Jean-Baptiste Léger, responsable du pôle transition écologique du Medef 2
– Présences en réunion................................19
Jeudi
5 juin 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 51
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures trente.
M. le président Charles Rodwell. Nous concluons cette semaine d’auditions en entendant M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France (Medef), accompagné de Mme Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques du Medef, et M. Jean-Baptiste Léger, responsable du pôle transition écologique du Medef.
Monsieur Patrick Martin, en tant que dirigeant de l’entreprise familiale Martin Belaysoud Expansion, active notamment dans la distribution professionnelle de matériel de second œuvre technique et dans la conception, la construction et la maintenance pour les industries pétrolière, gazière et aéronautique, vous connaissez bien la réalité de l’industrie.
Comme à Mme Elizabeth Vital Durand et à M. Jean-Baptiste Léger, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Je vous demande, avant de vous exprimer, de nous déclarer tout autre intérêt, public ou privé, de nature à influencer vos déclarations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Patrick Martin, Mme Elizabeth Vital Durand et M. Jean-Baptiste Léger prêtent successivement serment.)
M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France, président de Martin Belaysoud Expansion. Le Medef, première organisation patronale française, regroupe 101 fédérations professionnelles appartenant à tous les secteurs d’activité, dont l’industrie, mais aussi la construction, le commerce et les services, et 119 structures départementales et régionales représentant 200 000 entreprises, lesquelles emploient 11 millions de salariés, soit les deux tiers de ceux du secteur privé.
En ce qui concerne la réindustrialisation, sujet de première importance et d’actualité, le Medef a une lecture nuancée de la situation. Nous sommes très conscients des enjeux et l’objectif nous motive beaucoup, mais nous déplorons que, trop longtemps, notre pays se soit désintéressé de l’industrie et que certains, dont nous n’étions pas, soient allés jusqu’à la stigmatiser. Nous le payons aujourd’hui cruellement.
L’industrie, en effet, entraîne toute l’économie, comme le prouve sa contribution à l’exportation, à l’innovation ainsi qu’à l’emploi : chaque emploi industriel en entraîne trois à quatre dans d’autres secteurs, en particulier les services. Provincial, je souligne également son impact territorial. Nous avons tous en tête des territoires qui se sont effondrés avec la disparition de leur industrie, comme les vallées vosgiennes avec la fermeture des mines et des entreprises textiles. D’autres, au contraire, prospèrent pour l’instant grâce à leur haut niveau d’industrialisation. Je suis originaire de l’Ain, qui fait partie des départements les plus industriels de France. Il abrite en particulier la « Plastics Vallée » : l’industrie de la plasturgie a rendu florissants ces environs d’Oyonnax, en partie montagnards et historiquement très déshérités. À quelques kilomètres de là, la vallée de l’Arve, également historiquement pauvre, ne vit pas que du salaire des frontaliers qui travaillent en Suisse : l’industrie du décolletage a contribué à l’enrichir considérablement.
Grâce à quelques décisions opportunes, nous avions commencé à gravir la pente de la réindustrialisation. D’abord, l’État, suivi des collectivités locales et de la population, a progressivement pris conscience de l’importance de l’industrie. Ensuite, des mesures correctives, certes insuffisantes, ont été décidées pour améliorer la compétitivité et l’attractivité de notre pays. Mais cette dynamique, qui se traduisait par des investissements directs des entreprises et un redressement de l’emploi industriel, est aujourd’hui enrayée. Le ralentissement est d’autant plus sensible que la compétition internationale, dans le secteur industriel en particulier, s’est exacerbée – selon moi, elle s’intensifiera encore.
Les déterminants sont de nature diverse. Au risque de vous surprendre, le Medef estime que le premier, ce sont les compétences. Nous avons un peu cheminé dans ce domaine, mais les marges de progression restent considérables. La mobilisation de tous les acteurs n’est pas totale. Sans développer, car ce n’est pas dans ce domaine que le Medef est le plus légitime, je veux pointer un affaissement du niveau de la formation dans le primaire et dans le secondaire, lequel se traduit par un déclassement de la France dans plusieurs classements internationaux.
S’agissant des lycées professionnels, ils irriguent l’industrie. Or, malgré le fort ralentissement de son activité, elle éprouve de grandes difficultés à recruter à certains niveaux de qualification, d’entrée notamment – le terme n’a dans ma bouche aucune connotation péjorative. C’est paradoxal. Enfin, le manque d’étudiants, et singulièrement d’étudiantes, dans les filières scientifiques et techniques est patent.
Nous devons donc nous concentrer avec détermination sur les compétences et la formation, initiale et tout au long de la vie. En matière de reconversion, les enjeux sont considérables : on observe des effets de bord d’un secteur d’activité à l’autre, qui iront croissant ; c’est particulièrement vrai dans l’industrie. Les pays les plus efficaces en ce qui concerne la croissance, le pouvoir d’achat, le PIB et le taux d’emploi ne sont pas toujours ceux dont la fiscalité est la plus attractive ou qui ont le plus de ressources naturelles ; ce sont ceux qui possèdent le plus haut niveau de formation et les meilleures compétences.
Plus classiquement, le Medef estime que le deuxième déterminant est le niveau de prélèvements obligatoires, qui affecte lourdement l’industrie. Là encore, nous avons connu des avancées intéressantes, mais nous ne sommes pas au bout du chemin. Le décalage reste significatif en matière de charges sociales et de fiscalité de production, comme le montre la comparaison avec l’Allemagne, qui fait partie de nos principaux concurrents – je me réjouis d’ailleurs qu’elle semble redémarrer : on connaît sa puissance d’attraction, industrielle en particulier, sur l’ensemble du continent européen. Il serait caricatural d’affirmer que le manque de compétitivité coût explique seul les déficits commerciaux chroniques que nous enregistrons, mais il y contribue largement : vous connaissez les excédents que dégagent l’Allemagne et l’Italie, beaucoup plus compétitives que la France dans ce domaine.
Le troisième déterminant est l’énergie. Dans ce domaine aussi, nous avons pris du retard et les décisions sont urgentes. C’était moins le cas il y a quatre ans encore, avant la crise ukrainienne et ses conséquences sur les prix du gaz et de l’électricité. Par ailleurs, les États-Unis ont adopté une stratégie très offensive : ils sont devenus les premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures, qu’ils exportent, et ils bénéficient de prix de l’énergie trois à quatre fois moindres que les nôtres.
Nous parlons de souveraineté et de compétitivité : il est urgent que la France, au besoin en se montrant plus exigeante envers l’Union européenne et ses réglementations, se fixe un cap précis, en particulier s’agissant du nucléaire, tout en respectant la logique de la neutralité technologique. EDF est-il un instrument de souveraineté et de compétitivité ou une société de droit commun ? Ce n’est pas au Medef d’en décider : c’est à l’État de choisir une stratégie et de la déployer. Des progrès ont été accomplis ces derniers temps, comme dans le cas d’Aluminium Dunkerque et de quelques autres dossiers.
Le dernier déterminant concerne la simplification et la réglementation. Je suis un des seuls représentants socioprofessionnels à m’être insurgé contre le vote du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dit « loi climat et résilience »), non tant à cause des zones à faibles émissions (ZFE) ou de l’obligation de rénovation thermique des logements – mesure dont nous approuvons la finalité, mais pas les modalités ni le calendrier d’application – qu’en raison de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Je trouve formidable que maintenant on détricote cette disposition : il y a urgence à le faire.
Il ne s’agit nullement de renier nos objectifs environnementaux, mais nous devons réussir à les concilier avec l’impératif de compétitivité économique. La question du rythme est cruciale : les investisseurs internationaux ne comprennent pas pourquoi les délais d’instruction des dossiers demeurent aussi longs en France – par comparaison non avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou avec le Vietnam, où j’étais il y a quelques jours avec le Président de la République, mais avec la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Pologne, qui est en plein boom.
Ces problèmes sont parfaitement identifiés. Le commerce international, comme le monde en général, connaît de fortes perturbations. En la matière, c’est essentiel, nous devons mener nos réflexions à terme et aller au bout de nos décisions.
Selon l’analyse du Medef, que partagent Olivier Lluansi et d’autres, dont de grands chefs d’entreprise parmi lesquels certains se sont exprimés devant vous, l’objectif revendiqué de réindustrialiser le pays est en décalage avec la stagnation, voire la désindustrialisation, qu’on observe dans la réalité.
M. le président Charles Rodwell. La politique de l’offre menée depuis 2017 est constituée d’un volet fiscal et d’un volet de réformes. Le premier comprend la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) ; la baisse des impôts de production ; la défiscalisation des heures supplémentaires ; la suppression de la taxe d’habitation ; la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse généralisée de charges. Le second rassemble les ordonnances travail, la réforme de l’apprentissage, la réforme des retraites et les réformes de simplification – loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance dite « loi Essoc » du 10 août 2018 (pour un État au service d’une société de confiance), loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « loi Pacte », loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique dite « loi Asap » –, que nous devons poursuivre. Quel bilan dressez-vous du travail législatif de ces sept dernières années ? Quels aspects de la politique de l’offre nous recommandez-vous d’approfondir ?
Faut-il adapter le pacte Dutreil aux nouvelles contraintes des entreprises ? Lorsque la loi du 1ᵉʳ août 2003 pour l’initiative économique fut votée, les enjeux de la robotisation et de la numérisation n’étaient pas aussi essentiels.
Troisièmement, je souhaiterais connaître votre avis sur la proposition de directive du 26 février 2025dite omnibus, en particulier sur son volet relatif aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et sur la réduction des obligations de publication d’informations en matière environnementale.
M. Patrick Martin. Si je n’y suis pas absolument tenu, je me permets de ne pas répondre à votre question relative à la taxe d’habitation. J’en dirai seulement que, à mon avis, ce n’était pas la meilleure décision : outre son coût pour les finances publiques, elle a, ici et là, détourné les élus locaux de la construction de logements, ce qui constitue un véritable drame – je n’hésite pas à employer ce mot. L’industrie est liée au logement : la suppression de la taxe d’habitation n’est pas étrangère aux difficultés que rencontrent par exemple la sidérurgie et les industries du ciment, des tuiles et des briques, de l’équipement de la maison.
S’agissant des impôts de production, la direction choisie était la bonne, mais, comme je l’ai souligné, nous ne sommes pas au bout du chemin : par rapport à nos concurrents directs, nous supportons une surcharge de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.
La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été interrompue. Cela pose d’abord un problème financier : la baisse représente des espèces sonnantes et trébuchantes précieuses pour gagner en compétitivité et encourager l’investissement dans l’industrie – la CVAE pèse proportionnellement davantage sur ce secteur d’activité que sur les autres.
Ensuite, il y a un problème de principe. Lorsque l’État revient sur ses engagements, cela perturbe fortement les acteurs économiques, notamment les entrepreneurs. La baisse de la CVAE a été reportée à plusieurs reprises et sa trajectoire échelonnée, avant d’être interrompue : les chefs d’entreprise qui l’avaient intégrée à leur modèle économique pour planifier les investissements et les créations d’emploi ont été pris à contre-pied. Il est donc urgent de rétablir le plan initial.
Plus généralement, la réduction de certains impôts de production, en particulier de la CVAE, a été compensée, parfois de manière assumée, par l’augmentation d’autres. Je pense notamment au versement mobilité (VM) – puisqu’il est assis sur la masse salariale, c’est un impôt de production. Dans la loi de finances pour 2025, le Parlement a décidé d’instaurer un versement mobilité régional, enchérissant encore le coût du travail.
Dans le même esprit, le lissage des allégements de charges, lesquels posent par ailleurs un vrai problème, a particulièrement affecté le secteur industriel, en raison à la fois du niveau des rémunérations et de sa forte exposition à la concurrence internationale. Du point de vue de la stratégie économique, on voit que les arbitrages ne sont pas cohérents avec l’objectif de réindustrialiser la France. Cela ne signifie pas qu’il faille surcharger des secteurs d’activité moins directement exposés, en particulier les services, dont les niveaux de salaire sont différents. Dans ce domaine, il faut agir avec précaution. Il existe probablement d’autres solutions pour limiter la dérive des allégements de charges, dont je connais précisément le coût pour l’État.
Dans le domaine du droit du travail, les mesures adoptées depuis 2017 vont dans le bon sens. Elles ont fluidifié les décisions. En tant que chef d’entreprise – et non que président du Medef –, je crois pouvoir affirmer qu’elles n’ont pas provoqué de psychodrame, même si elles ont parfois percuté des intérêts particuliers – je ne précise pas lesquelles. Elles vont dans le bon sens parce qu’elles tiennent compte d’une réalité trop souvent méconnue : avec le temps, le tissu économique évolue de plus en plus vite. En conséquence, suspendre des décisions au motif que le droit du travail les freinerait, voire les bloquerait, se révèle un mauvais calcul, en particulier dans l’industrie. C’est peut-être protecteur à court terme mais, à moyen et à long terme, c’est hautement préjudiciable – si mon propos est obscur, je développerai cet aspect.
Sur le sujet de l’apprentissage, je prétends être assez affûté – en pleine pandémie de Covid, c’est moi qui, au nom du Medef, ai appelé l’attention de Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, et de Bruno Le Maire, ministre de l’économie, sur le risque majeur que le nombre d’apprentis, déjà faible – de l’ordre de 350 000 en 2020 –, s’effondre. Ils ont appliqué des mesures de soutien qui ont donné d’excellents résultats.
Sans méconnaître la situation des finances publiques, j’estime que les arbitrages rendus pour 2025 et les annonces intervenues entretemps, qui ciblent une taille d’entreprise et un niveau de qualification intéressant prioritairement l’industrie, étaient inappropriés et se révéleront même contre-productifs : pour réaliser des économies budgétaires immédiates, on risque des effets négatifs sur les qualifications et les compétences, dont j’ai souligné l’importance capitale pour la réindustrialisation, ainsi que pour l’emploi – dès la rentrée prochaine, le nombre des contrats d’apprentissage concernés s’effondrera.
Le pacte Dutreil est un bien précieux. J’en parle d’expérience : mon entreprise, bientôt bicentenaire, est indépendante, intégralement détenue par des actionnaires familiaux ; à plusieurs reprises, l’application du droit commun les aurait contraints à vendre. Beaucoup d’ETI ont ainsi changé de mains, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, où des fleurons de l’industrie et d’autres secteurs sont maintenant détenus par des fonds d’investissement ou des concurrents étrangers – je ne porte aucun jugement de valeur, mais ils n’ont pas le même attachement que nous à notre territoire et à notre pays.
Il est vrai que le dispositif autorise des effets d’aubaine, mais si c’était un critère de suppression, il faudrait remettre en cause tous les dispositifs, y compris l’assurance chômage et l’assurance maladie. Là aussi, il faut être précautionneux, a fortiori dans la situation instable qui est la nôtre : on prendrait un risque considérable en envoyant aux dirigeants d’entreprise et aux investisseurs un signal négatif. Puisque j’en ai parlé ce matin encore à la ministre chargée des comptes publics, j’en profite pour tenir le même discours au sujet de la taxation des hauts patrimoines, comme d’ailleurs de tous les investisseurs, quel que soit leur profil.
Votre dernière question concerne omnibus et, plus généralement, la stratégie européenne. Le Medef assume sa fibre pro-européenne. À l’approche des dernières élections, nous avons ainsi publié trente propositions pour améliorer le fonctionnement de l’Union, avec qui nous entretenons une relation d’amour vache – pardon pour la trivialité de l’expression. En effet, nous sommes frustrés par son inertie et par la prospérité de sa technocratie au regard de son potentiel et à ses ambitions ; elle est parfois décalée par rapport à la réalité, et naïve.
Je n’ai jamais hésité à formuler toutes les objections du Medef, à propos du pacte vert européen lancé en 2019 en particulier. Sous l’influence des rapports d’Enrico Letta « Beaucoup plus qu’un marché » du 17 avril 2024 (dit « rapport Letta ») et du rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne du 9 septembre 2024, auxquels il a contribué, un début d’inflexion se dessine, mais nous ne sommes pas dans la cadence : depuis les élections européennes, il s’est passé beaucoup de choses, en particulier aux États-Unis. Sous l’administration de Joe Biden, la loi Inflation Reduction Act (IRA) du 16 août 2022, véritable pompe à investissement, combinée avec le faible prix de l’énergie, avait déjà fait évoluer la situation.
Nous nous réjouissons donc d’entendre des déclarations d’intentions de plus en plus résolues – je pense en particulier aux récentes paroles du vice-président de la Commission européenne Stéphane Séjourné, affirmant que nous devions être plus réalistes, plus volontaristes et plus rapides dans certains domaines, comme l’approfondissement du marché unique, la mobilisation des financements et le financement de l’innovation – c’est urgent.
Depuis peu, l’Europe reconnaît le statut d’ETI, ce qui nous va très bien. Toutefois, le plafond a été fixé à 500 salariés ; il faudrait l’aligner sur le plafond français.
Enfin, nous nous inquiétons que ne soient pas remises en cause la directive du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises ou Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et, surtout, la directive du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ou Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D). Là aussi, je m’excuse d’être un peu personnel, mais mon entreprise intervient dans les secteurs pétrolier et gazier, en particulier au Moyen-Orient et en Afrique : si la CS3D était appliquée en toute rigueur, je n’aurais pas d’autre choix que de quitter ces marchés, parce que je suis incapable de garantir que mes fournisseurs et mes sous-traitants respectent scrupuleusement les règles de conformité européennes – à vrai dire, quand on leur en parle, ils répondent que ce n’est pas leur problème. Nous serions remplacés séance tenante par des Chinois, par des Américains et, je dois le dire, par des Européens moins scrupuleux. La directive CS3D est une formidable machine à disqualifier les entreprises européennes dans la compétition mondiale : il est urgent de la supprimer.
M. le président Charles Rodwell. Merci pour votre franchise, monsieur le président. Avec la même franchise, je vous répondrai que je vous trouve très dur vis-à-vis d’un bilan économique et fiscal qui a pourtant été soutenu depuis des années par le Medef : baisse de 8 points de l’impôt sur les sociétés ; baisse de 10 milliards d’euros de la CVAE ; baisse généralisée des charges sans précédent depuis la création du CICE, que nous avons transformé ; redéfiscalisation des heures supplémentaires. À l’époque, nous avions travaillé avec les partenaires sociaux et les représentants des entreprises pour mettre en œuvre ces réformes politiques et fiscales. Seul groupe à soutenir la stabilité fiscale lors de l’examen du dernier budget, nous sommes attachés à ce principe, remis en cause par d’autres – dont je respecte le point de vue. Nous avions déposé des amendements de suppression sur l’ensemble des hausses d’impôts et de cotisations, mais nous avons été mis en minorité, sauf sur celle des cotisations sociales. En tout cas, pour notre part, nous continuerons à mener ce combat.
Après la réforme de l’apprentissage, nous préparons celle du lycée professionnel. La localisation des formations représente un énorme enjeu, notamment lorsqu’il s’agit de les lier à des entreprises pour déployer l’apprentissage.
L’Université des métiers du nucléaire (UMN) a été installée en Normandie pour que les filières de formation soient implantées au plus près des sites et des chantiers nécessitant une main-d’œuvre dans ces métiers en tension : Cherbourg, où sont construits les sous-marins nucléaires ; La Hague, où se situe l’usine de retraitement d’Orano ; les centrales de Flamanville et de Penly. Le choix de la localisation a été décisif pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans ces métiers.
Dans la même logique, les formations aux métiers de la plasturgie ont été localisées à Oyonnax, au plus près des entreprises de la Plastics Vallée, que vous avez citée. Ce choix stratégique a été fait par l’État, la région, les entreprises. Tous les représentants d’entreprises de la Plastics Vallée que nous avons rencontrés nous disent que cette décision a produit l’effet inverse de celui qui était escompté : les pénuries de main-d’œuvre dans ces métiers se sont accrues au lieu de diminuer.
La même méthode, à savoir la localisation des filières de formation au plus près des besoins des entreprises, a ainsi produit des résultats inverses d’une région à l’autre. Cela tend à prouver que l’on ne peut pas appliquer des solutions politiques uniformes à l’ensemble du territoire national, que chaque région doit être traitée en fonction du contexte local.
À la lumière des réformes adoptées ces dernières années, quelles recommandations pourriez-vous nous faire en matière de difficultés de recrutement et de filières de formation ?
M. Patrick Martin. Monsieur le président, je me corrige ou j’ai dû mal m’exprimer : c’est la suspension de la trajectoire engagée qui nous pose problème, notamment pour la confiance que les acteurs économiques, les entrepreneurs, peuvent accorder à la parole de l’État. Il est quand même extraordinaire que la trajectoire de baisse de la CVAE, déjà reportée à plusieurs reprises, ait été purement et simplement suspendue, alors qu’elle avait été votée – sauf erreur de ma part. Autre disposition votée, puis suspendue : l’abaissement du seuil d’exemption de TVA pour les micro-entrepreneurs, dont le statut, je l’affirme, produit des effets d’aubaine et peut être dévoyé – sans que ce dévoiement soit généralisé. Deux poids, deux mesures. L’industrie est pourtant plus importante pour la nation que les micro-entrepreneurs. Philosophiquement, je suis très attaché au micro-entrepreneuriat, mais je ne pense pas qu’il apporte la même contribution à la richesse nationale. J’ai donc salué les réformes engagées en matière de droit du travail et de fiscalité, qui avaient produit des effets – attractivité du territoire, création d’emplois et redéploiement de notre industrie.
S’agissant de la formation, je me permets de risquer une explication au contraste que vous soulignez entre le Cotentin et la Plastics Vallée – que l’on peut étendre à la vallée de l’Arve. À mon avis, l’explication ne peut pas être seulement territoriale, mais est aussi liée au type d’industries concernées.
Pendant très longtemps, la stratégie de l’État ayant été de délaisser le nucléaire, cette filière a eu beaucoup de mal à attirer, à tous les niveaux de qualification. Nous en payons encore le prix. Mais le changement de pied – salué par le Medef – que représente la relance du nucléaire a commencé à en corriger l’image, notamment dans l’esprit des jeunes s’orientant vers des formations scientifiques et techniques. Si l’on peut le déplorer sur le plan géopolitique, on doit se réjouir sur le plan industriel et territorial du niveau satisfaisant des carnets de commandes des entreprises du secteur de la défense. Dans le nucléaire et la défense, en l’occurrence le domaine naval, les perspectives sont assez rassurantes pour ceux qui veulent y travailler. Ces deux secteurs attirent.
A contrario, de quoi vivent la Plastics Vallée et la vallée de l’Arve ? De l’automobile et de l’emballage. Heureusement qu’il y a encore des jeunes qui veulent travailler dans la plasturgie ou le décolletage, mais c’est un choix assez audacieux – je vais me faire maudire par nos adhérents de la plasturgie et de la mécanique. S’agissant de l’automobile, je dirais que l’Union européenne s’est tiré un obus de marine dans le pied, pour rester dans la métaphore maritime. Il faut vraiment être optimiste pour entrer dans une entreprise de sous-traitance automobile, de plasturgie ou de décolletage. Quant à l’emballage plastique, il n’est pas promis à un avenir glorieux. Disant cela, je ne juge pas : nous avons une fibre environnementale totalement assumée.
M. le président Charles Rodwell. La Plastics Vallée est en effet un endroit extraordinaire ; les entreprises qui s’y trouvent font la fierté de notre pays. S’agissant du secteur automobile, j’aimerais vous faire part de propos que nous a tenus Agnès Pannier-Runacher hier, lors de son audition. En janvier 2022, nous a-t-elle dit, elle avait rencontré la commissaire européenne Margrethe Vestager pour négocier le report de 2035 à 2040 de l’interdiction de vente de véhicules thermiques neufs dans l’Union européenne. Margrethe Vestager s’était déclarée surprise, lui indiquant que les constructeurs automobiles français, Stellantis en tête, lui avaient expliqué peu de temps auparavant qu’il fallait, au contraire, s’en tenir à la date de 2035. Cette position était en contradiction avec la demande que la ministre faisait en leur nom. Comment comprenez-vous la position des constructeurs, notamment de Stellantis ?
M. Patrick Martin. John Elkann et Luca de Meo, les patrons respectifs de Stellantis et Renault, partagent la même position, si j’ai bien lu l’interview qu’ils ont donnée le 5 mai dernier au Figaro, et qui a marqué les esprits chez nous. Pour les connaître un peu, il me semble qu’ils font contre mauvaise fortune bon cœur. Ce calendrier de suppression du moteur thermique est une absurdité : les constructeurs européens savaient satisfaire aux objectifs de plafond d’émissions de CO2 et de gaz à effet de serre par d’autres technologies que l’électrique. C’est pour cela que je parlais de neutralité technologique. Mais cette décision et cette échéance ayant été actées de manière très résolue de la part de l’Union européenne, les constructeurs européens ne pouvaient que s’y adapter. Ils ont alors engagé des investissements colossaux en recherche et développement (R&D) et en outils de production. D’une certaine manière, l’automobile est une industrie lourde. On ne peut pas changer de stratégie d’une année sur l’autre et moduler son outil de production en fonction de ces changements.
Les constructeurs européens, notamment français, se sont réjouis de l’annulation, en tout cas à court terme, des amendes prévues dans le cadre de la réglementation relative à la performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs et appelée CAFE (Corporate Average Fuel Economy), amendes qui contribuaient à enrichir Tesla et les constructeurs chinois. En revanche, on peut comprendre qu’ayant engagé de lourds investissements, notamment dans des méga-usines ou gigafactories de batteries, ils n’aient pas envie de démonter les outils de production pour revenir à la situation antérieure. C’est financièrement et techniquement impossible. Leur position n’est pas philosophique ou dogmatique, elle relève du pragmatisme.
Ces constructeurs, chacun à sa manière, sont aussi en train d’engager des partenariats avec des constructeurs chinois. Je suis allé récemment avec notre ministre des affaires étrangères en Chine où j’ai pu constater ce que tout le monde sait : les constructeurs chinois ont pris une avance technologique et surtout volumétrique qui est absolument colossale. Nous sommes terriblement pénalisés parce que l’on a pris des décisions arbitraires, sans bien réfléchir à leur impact, et que l’on n’a pas suffisamment investi dans les innovations de rupture.
M. le président Charles Rodwell. Que pensez-vous de la proposition de Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de transformer les subventions publiques aux entreprises en avances remboursables en cas de bénéfices importants à court ou à moyen terme ? La subvention publique perçue pour un projet d’implantation ou d’extension, par exemple, serait remboursée si l’entreprise dégageait des bénéfices importants au cours des cinq années suivantes. Patrick Pouyanné trouve à son idée des justifications économiques mais aussi philosophiques.
M. Patrick Martin. J’ai eu l’occasion de répondre à cette question en étant auditionné par vos collègues sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête sur les aides publiques aux entreprises. Patrick Pouyanné s’est exprimé spécifiquement sur les aides et dispositifs mis en place – opportunément, de mon point de vue – au moment de la pandémie de Covid-19. Très cohérent comme il l’est toujours, il avait à l’époque renoncé à ces aides – son entreprise en avait probablement les moyens. D’autres les avaient perçues, en prenant l’engagement – qu’ils ont tenu – de limiter les versements de dividendes. Ces aides étaient exceptionnelles, souhaitons-le, puisque liées à la pandémie.
Si l’on parle des aides d’une manière plus générale, je préfère utiliser le terme de compensation, ce qui me vaut des débats houleux mais toujours sympathiques et respectueux avec telle ou telle organisation syndicale. Pourquoi cette nuance ? Disons que les 120 milliards d’euros d’aides – même s’il y a un débat sur les chiffres – viennent compenser en partie un niveau de prélèvements obligatoires excessif. C’est une espèce de singularité et de complexité française qu’il faudrait corriger. Si l’on raisonne en net de ces aides, les prélèvements obligatoires que supportent les entreprises françaises, particulièrement les entreprises industrielles, demeurent supérieurs à ceux qui existent chez nos concurrents directs.
Rappelons que ces aides ou compensations sont, par construction, conditionnées. Le crédit d’impôt recherche (CIR), j’en parle d’expérience, est l’un des dispositifs les plus contrôlés de France. Par définition, on n’en bénéficie que si l’on engage des dépenses de R&D, des dépenses d’innovation. Les aides à l’apprentissage sont immanquablement subordonnées au recrutement d’apprentis. S’il y a des abus et des fraudes, ils méritent d’être signalés, corrigés et sanctionnés. Je ne vois pas l’intérêt de complexifier davantage ces dispositifs par des conditions éloignées de leur objet. Cela serait très dissuasif et créerait un aléa, un risque de contestation et de contentieux qui n’irait pas dans le sens de la dynamique économique dont nous avons impérieusement besoin.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pour ma part, je commencerai par aborder le poids des normes. Vous avez déjà fait part de votre hostilité à l’égard du devoir de vigilance et même des obligations liées à la CSRD. Ne revenons pas sur ce constat, que je partage, et parlons du coût de l’application des normes. Les entreprises ont bénéficié de près de 30 milliards d’euros d’allégements fiscaux au cours des dernières années, ce dont nous pouvons nous réjouir. Ces allégements, qui auraient dû renforcer la compétitivité, n’ont-ils pas été compensés par un poids excessif de normes ? En d’autres termes, la compétitivité n’a-t-elle pas été finalement plombée par le coût de l’application des normes ? Selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), le coût de l’application des normes issues de l’Union européenne est de l’ordre de 20 milliards d’euros par an pour les entreprises françaises, sans parler des surtranspositions, des normes françaises, ni même des effets sur l’activité économique. De son côté, le rapport Draghi estime ce coût à 40 à 50 milliards par an.
La politique de l’offre a-t-elle été neutralisée par cette inflation normative ? Faut-il évaluer les effets des textes législatifs adoptés par le parlement français sur les PME et la compétitivité, sur le modèle des tests qui sont en train d’être mis en place au niveau européen ?
M. Patrick Martin. S’agissant du poids des normes, je vous rejoins. De longue date, le Medef déplore, au-delà des déclarations d’intentions sympathiques, une inflation législative et réglementaire permanente. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le surcoût est de l’ordre de 2 % du PIB pour la France d’une manière générale, mais il est pour une bonne part supporté par les industries. Nous appelons donc de nos vœux un réel effort de simplification. À cet égard, le texte en cours d’examen est un peu frustrant. Mais je me dois de balayer devant notre porte : certaines de ces normes et réglementations ont été suggérées par des entreprises ou secteurs d’activité ; soyons cohérents sur ce sujet comme en toutes choses. Toutefois, ce n’est pas l’essentiel du débat. Il y a quand même une profusion de réglementations qui se sont ajoutées au fil du temps et deviennent vraiment stérilisantes.
Quitte à vous surprendre, je dirais que nous souffrons d’un problème d’autorité de l’État tout autant que de profusion des normes. Le lendemain de mon élection à la présidence du Medef, je me suis rendu chez un brillant industriel breton, M. Le Duff, qui, quelques jours auparavant, avait annulé un investissement de 250 millions d’euros pouvant engendrer 500 emplois directs et 500 emplois indirects dans la belle commune de Liffré, en Ille-et-Vilaine. C’est son berceau. C’est un Breton bretonnant, mon ami Le Duff. Pourquoi a-t-il annulé son investissement ? Alors qu’il avait réuni toutes les conditions légales et réglementaires, des organisations d’origine difficilement identifiable et des élus locaux, qui ont évidemment le droit de s’exprimer, s’étaient mis en travers de la route, bloquant le projet.
On ne peut plus tolérer cela. La loi est la loi. Les entreprises s’y conforment. Si d’aventure elles ne s’y conforment pas, elles sont sanctionnées, et c’est normal. En revanche, quand les procédures et les textes sont respectés, il est inadmissible que certains acteurs viennent enrayer la bonne application du droit, souvent de manière très organisée et parfaitement délibérée. Je peux vous affirmer que c’est très dissuasif pour les investisseurs, en particulier les investisseurs industriels, les plus concernés par toutes ces actions que l’on observe moins dans d’autres pays, quand elles n’en sont pas totalement absentes. Au-delà des délais d’instruction des dossiers, l’aléa créé par ces recours est très dissuasif pour certains investisseurs français ou étrangers.
D’ici peu, nous aurons des cas d’école. Citons le projet de mine de lithium d’Imerys, où je me suis rendu sur le site dans l’Allier. Ce projet très intéressant correspond à nos objectifs de souveraineté et d’électrification. Je suis curieux de savoir comment ça va se passer. Pour l’anecdote, je peux vous dire que lorsque je suis allé sur le site, en novembre 2023, il y avait déjà des camionnettes de gendarmerie pour prévenir l’installation de zadistes, pour dire les choses comme elles sont. Citons aussi le projet, qui n’est pas encore confirmé, de mine de tungstène de Salau, dans l’Ariège. Citons l’autoroute A69. Je ne vais pas m’emporter, seulement dire avec beaucoup d’insistance qu’aux déterminants de la réindustrialisation déjà énoncés, j’aurais dû ajouter la stabilité, la lisibilité et la prévisibilité du cadre réglementaire.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Comprenez-vous les propos de M. Olivier Andriès, directeur général de Safran, qui nous a déclaré qu’il éviterait d’investir dans des villes à majorité écologiste à l’avenir ?
M. Patrick Martin. J’ai beaucoup d’amitié et de respect pour M. Andriès, mais permettez-moi d’élargir un peu le propos. Tout le monde n’a pas en tête un phénomène pourtant frappant : nos grands groupes, fleurons de l’économie française, qui tractent beaucoup de PME et d’ETI, réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires et quasiment l’intégralité de leurs bénéfices à l’international. Même si je le déplore, la plupart d’entre eux ont aussi un capital majoritairement détenu par des actionnaires étrangers. Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes si nous n’avons pas, au fil des ans, développé des fonds de pension ou des fonds d’investissement qui auraient permis de sécuriser la détention ou le contrôle au niveau national de ces fleurons industriels. Ces grands groupes font des arbitrages en fonction des contraintes et des opportunités que présente tel ou tel pays – c’est le cas aussi de certaines ETI ou PME.
Pour en revenir aux propos de M. Andriès, je les trouve un peu forcés. Pour ma part, je me garde de généraliser : des élus aux différentes étiquettes sont plus ou moins favorables aux entreprises ou business friendly. Il se trouve que je vis à Lyon. Il est vrai que certains élus d’une certaine tendance ne sont franchement pas business friendly. Je ne peux guère en dire plus, mais j’insiste beaucoup sur mon premier propos : il faut que les élus, en particulier les élus locaux, prennent en considération la mobilité des entreprises et du capital. On ne peut pas demander à un dirigeant qui dépend d’actionnaires étrangers – Safran n’est pas l’exemple le plus caractéristique à cet égard – et qui est confronté à une compétition internationale très violente d’être patriote en toute chose. Un actionnaire américain n’est pas un patriote français, même quand il est francophile.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Au-delà des enjeux de souveraineté économique, nos industriels sont probablement les plus vertueux au monde du point de vue de l’écologie.
Venons-en à l’énergie comme facteur de réindustrialisation et de compétitivité des entreprises. Nous avons besoin d’un mix énergétique pilotable et capable de produire en quantité suffisante. Quelle est la position du Medef à l’égard de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ? Nous avons auditionné Clément Beaune, haut-commissaire au plan et commissaire général de France Stratégie. Selon lui, le scénario de réindustrialisation du gouvernement, dans lequel l’industrie atteindrait 15 % du PIB en 2035, serait incompatible avec la trajectoire de production d’énergie envisagée dans la PPE.
S’agissant du prix de l’énergie, la réforme du marché européen de l’énergie a permis de maintenir l’accord Exeltium pour que nos groupes industriels électro-intensifs puissent bénéficier d’un prix d’électricité attractif, correspondant aux coûts de production et d’investissement en France. Pourquoi toutes nos entreprises ne bénéficieraient-elles pas d’un tel tarif, ce qui constituerait un retour sur investissement ? Alors que la France a fait le choix par le passé d’investir dans son parc nucléaire, nous n’en tirons pas tous les bénéfices. Cela permettrait de corriger certaines distorsions de concurrence au sein du marché unique européen – que je ne remets pas du tout en question –, notamment avec des pays d’Europe de l’Est qui bénéficient d’un coût de la main-d’œuvre moins élevé et d’une fiscalité moins lourde. Actuellement, la France se retrouve privée de son avantage compétitif majeur. L’énergie comme l’industrie nécessitent des prévisions à long terme. À mes yeux, la France serait l’eldorado de l’industrie en Europe si nous retrouvions un prix français de l’électricité. Qu’en pensez-vous ?
M. Patrick Martin. Encore faudrait-il que l’on ait une PPE. Je le dis de manière un peu provocatrice, mais ce n’est pas qu’une boutade un peu déplacée… Nous parlons ici d’industrie lourde, qu’il s’agisse des producteurs d’énergie ou de certains de leurs clients. Et nous avons tous en tête que l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) disparaît le 31 décembre 2025. Le fait que l’horizon se déplace sans cesse introduit un aléa, ce qui conduit à de l’attentisme dans le meilleur des cas, ou à des décisions contraires aux intérêts de la France dans le pire. Les industriels, de bonne foi, sans aucun parti pris idéologique, ne peuvent pas rester dans l’expectative.
Nous avons la chance d’avoir en France des fleurons dans le domaine de l’énergie : des majors comme EDF, TotalEnergies ou Engie, mais aussi des ETI, des PME, et même des start-ups. À défaut d’une stratégie énergétique claire et nécessairement cohérente avec les dispositifs européens, la tentation est grande de vouloir investir sur tout. Le véritable enjeu est de faire des arbitrages sous contrainte, tout en respectant la neutralité technologique parce que ce sont les objectifs qui importent et non pas les modalités pour les atteindre. La France ne peut pas investir massivement à la fois dans les énergies renouvelables, le nucléaire et les réseaux – 100 milliards d’euros chez Réseau de transport d’électricité (RTE), 100 milliards d’euros chez Enedis… On n’en a pas les moyens. Il me semble que c’est à la puissance publique, à vous-mêmes, de procéder aux arbitrages, mais en donnant de la lisibilité aux acteurs économiques, en particulier aux industriels.
J’ai été un peu critique tout à l’heure : les choses se décantent tout de même. Le contrat en cours de négociation entre Aluminium Dunkerque et EDF est de bon augure. Il reste à déterminer comment faire ruisseler la tarification de l’énergie en général, et de l’électricité en particulier, vers les entreprises moins électro-intensives. Le nouveau président d’EDF est parfaitement conscient de l’enjeu. À ce jour, je n’y vois pas clair.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. De votre point de vue, faut-il étendre à davantage d’entreprises la possibilité de bénéficier de prix qui dérogent aux règles européennes sur la tarification de l’énergie ?
M. Patrick Martin. L’État doit avant tout se mettre d’accord avec lui-même ; je le dis avec un infini respect, étant viscéralement républicain. Le précédent PDG d’EDF, aussi talentueux soit-il, a été confronté à des injonctions caricaturalement contradictoires de la part de l’État, qui est à la fois le régulateur et l’actionnaire, en matière d’investissement – y compris dans un bouquet énergétique diversifié –, de compétitivité, de distribution de dividendes et de désendettement. Sa mission était impossible : je ne connais personne qui sache résoudre la quadrature du cercle.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Il est connu que le plan France 2030 se concentre sur les innovations de produit et non sur les innovations de processus ; il favorise ainsi l’innovation de rupture au détriment du tissu industriel de base, qui, selon la Banque publique d’investissement (BPIFrance), constitue les deux tiers du potentiel de réindustrialisation de la France. Par contraste, le plan France relance avait apporté un soutien fort, simple et accessible aux PME et aux ETI durant l’épidémie de Covid. Ressentez-vous ce déséquilibre ?
Pour le compenser, ne faudrait-il pas s’inspirer de l’Italie, qui, en complément d’un soutien à l’innovation de rupture, a lancé le plan de transition 4.0, un crédit d’impôt d’environ 20 milliards d’euros pour soutenir les investissements de l’industrie de base dans la robotisation, la numérisation, la montée en compétences et la R&D ? Seul ce dernier volet est couvert par le crédit d’impôt recherche en France. La politique italienne porte ses fruits car elle reste lisible pour de petites entreprises qui n’ont pas les moyens de remplir des dossiers de subvention : il leur suffit de remplir une déclaration fiscale.
M. Patrick Martin. Même si la perfection n’est pas de ce monde, je crois pouvoir dire que le plan France 2030 a bien marché. Je relève toutefois une ambiguïté dans sa stratégie.
Le Medef considère qu’il faut investir plus encore dans les innovations de rupture – dans l’automobile, dans les panneaux photovoltaïques –, sans quoi il sera très compliqué de reproduire ce que font les Chinois en raison de l’absence d’économies d’échelle. Les Américains, eux, sont très efficaces dans ce domaine grâce aux partenariats public-privé – je pense ici à leur Agence pour les projets de recherche avancée de défense ou Defense Advanced Research Projects Agency (Darpa).
Nous pensons cependant que le pilotage par l’État, outre qu’il est philosophiquement gênant pour les libéraux que nous sommes, entraîne des lourdeurs dans l’instruction des dossiers. Pour encourager l’industrie à améliorer ses process, il vaut mieux recourir à un dispositif générique comme l’allégement de la fiscalité de production.
Je donnerai un exemple : la décarbonation des entreprises françaises coûtera 40 milliards d’euros par an, soit une augmentation de l’enveloppe annuelle d’investissement de 12 % si l’on tient la cadence – et on ne la tient pas, faute de moyens. L’investissement des sociétés non financières, qui devrait augmenter pour couvrir ce besoin – sans même parler de la numérisation et de l’intelligence artificielle –, est en baisse depuis 23 mois. On peut imaginer la création de guichets pour instruire les dossiers d’aide aux entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, mais la seule certitude est qu’ils coûteraient très cher et qu’ils engendreraient un surcroît de délais et de complexité. Nous préférons une réponse qui, même si elle génère quelques effets d’aubaine, a le mérite de la simplicité et de la lisibilité : baisser les prélèvements obligatoires pour donner des marges de manœuvre aux entreprises, tant pour la revalorisation salariale que pour la capacité d’investissement.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez évoqué dans votre propos liminaire la chute générale du niveau scolaire des jeunes Français. Faut-il revenir sur la réforme du lycée général, notamment sur la suppression des mathématiques obligatoires au lycée ? Cette question est préoccupante ; nous sommes les derniers du classement européen.
Quel jugement portez-vous sur les écoles de production ?
Enfin, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) propose de s’inspirer du modèle des lycées agricoles en rattachant au ministère de l’industrie les formations dédiées aux métiers de l’industrie. Qu’en pensez-vous ?
M. Patrick Martin. Je serai modeste dans ma réponse à la première question, étant profondément incompétent sur l’enseignement des disciplines scientifiques au lycée. Ce n’est pas le même sujet que la réforme des lycées professionnels dont nous parlions tout à l’heure. Toutefois, on mesure d’ores et déjà que moins de jeunes femmes s’orientent vers les formations scientifiques post-baccalauréat. C’est un point à revoir.
Le Medef a engagé des moyens importants qui ont donné de premiers résultats au niveau européen. Nous croyons dur comme fer à la diplomatie économique et j’ai la faiblesse de croire que la réunion que nous avons organisée en novembre dernier entre dix-sept organisations patronales pronucléaires a pesé sur la position de la Commission européenne et du Parlement européen s’agissant de l’application du règlement européen du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables dit « taxonomie européenne ».
Nous investissons aussi massivement dans la formation et les compétences. Cela inclut les lycées professionnels et les écoles de production, une initiative remarquable qui n’est cependant pas encore à l’échelle. Nous nous pencherons bientôt sur la réforme du premier cycle universitaire, qui est un copié-collé de celle des lycées professionnels, avec une gabegie humaine, sociale, sociétale et économique qui mérite d’être prise en compte, a fortiori vu l’état des finances publiques.
Faut-il rattacher certaines formations au ministère de l’industrie ? Probablement. Le parallèle avec les lycées agricoles est pertinent et je suis par principe d’accord avec l’UIMM. Cela devrait être aussi évident que de rattacher l’énergie au ministère de l’économie – je pense que nous nous comprenons.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. L’objectif de zéro artificialisation nette contenu dans la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux dite « loi ZAN » constitue un frein majeur à la réindustrialisation du pays. Intercommunalités de France a publié un chiffre frappant : si l’on respecte les objectifs actuels, 90 % des communes n’auront plus de foncier disponible pour l’industrie en 2030. Cela appelle des assouplissements majeurs. Selon vous, la proposition de loi sénatoriale visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, dite « proposition de loi Trace », qui prévoit un forfait de 10 000 hectares de foncier pour l’industrie et pour le logement afférent, va-t-elle suffisamment loin ? De mon point de vue, ce n’est pas le cas.
En 2023, la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte ont autorisé des dérogations aux contraintes environnementales protégeant certaines espèces végétales et animales au nom d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). La RIIPM est accordée pour les éoliennes, qui ne créent pas beaucoup d’emplois sur le sol français, et pour les projets d’intérêt national majeur. On pourrait envisager de présumer une RIIPM pour tout projet industriel qui cumulerait deux critères, le premier étant de créer de nouveaux emplois ou de développer une technologie de rupture, le deuxième étant de s’installer sur une friche industrielle, dans le périmètre d’une plateforme industrielle ou même sur un site industriel clé en main – il faut le préciser, puisque rien n’empêche un crapaud protégé de venir s’installer sur un terrain un mois après la labellisation du terrain. Malheureusement, cela n’empêcherait pas les recours. Qu’en pensez-vous ?
Quel est votre avis sur l’idée de garantir pendant cinq ans la stabilité des règles environnementales opposables aux projets industriels pour sécuriser leur installation sur les friches industrielles et les sites clés en main ? Cette proposition, qui me semble pertinente, avait été formulée par M. Mouchel-Blaisot dans le rapport de sa mission de mobilisation pour le foncier industriel.
Enfin, puisque les crapauds font souvent reculer les pelleteuses, que pensez-vous de régionaliser la liste des espèces végétales et animales protégées en fonction de leur répartition à l’échelle nationale, afin qu’une espèce menacée dans le Nord de la France ne freine pas pendant des mois l’installation d’un projet en Lorraine, où elle est en surpopulation ? Je pense au crapaud sonneur à ventre jaune.
M. Patrick Martin. Je vous fais grâce de mon expérience personnelle mais, en tant que chef d’entreprise, j’ai souffert dans ma chair de l’absence de coordination entre les administrations qui instruisent ces dossiers – direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), etc. C’est un processus coûteux et dissuasif.
Les inflexions qui ont été apportées au dispositif ZAN sont les bienvenues et la possibilité pour l’État d’accorder des dérogations pour des projets de grande envergure, comme pour la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) lors des Jeux olympiques et, dans un passé plus lointain, pour Eurodisney et pour Toyota, est une bonne chose. C’est aussi une forme d’aveu : toutes ces dérogations prouvent qu’un régime de droit commun plus souple serait préférable. Il me semble intéressant de donner au préfet un pouvoir de coordination et de décision renforcé pour les projets pilotés par l’État ; pour les projets de moindre ampleur, une plus grande liberté de manœuvre pourrait être accordée aux conseils régionaux.
Je n’ai pas d’avis tranché sur la protection des espèces végétales et animales. Elle peut être favorable aux entreprises dans certains cas et défavorable dans d’autres, selon qui dirige la région.
M. Frédéric Weber (RN). Je souhaite vous poser deux questions, dans la continuité de l’audition du commissaire européen Stéphane Séjourné qui a eu lieu hier.
Pensez-vous que le four électrique soit l’avenir de la production d’acier ? On l’avait lancé il y a trente ou quarante ans avant de rétropédaler en raison de sa non-viabilité économique, hormis sur certains marchés de niche. Ne faudrait-il pas plutôt, comme pour la voiture électrique, prendre le temps et continuer à produire de l’acier liquide selon des process que nous maîtrisons et qui assurent à l’acier une qualité que l’on n’est pas sûr de retrouver avec les fours électriques ?
En tant que président du Medef, considérez-vous qu’ArcelorMittal, avec ses résultats des sept dernières années, est une entreprise socialement responsable ?
M. Patrick Martin. Vous me prêtez des compétences que je n’ai pas sur la production d’acier.
Ce qui se passe chez ArcelorMittal – on peut également citer le cas de ThyssenKrupp – n’est jamais que la sanction d’erreurs stratégiques, ou plutôt d’une indécision stratégique concernant l’industrie en général et la sidérurgie en particulier. On n’a pas pris en compte ce qui était une évidence pour les professionnels, à savoir les surcapacités chinoises et le fait que les conditions de production ne sont pas soumises aux mêmes contraintes environnementales en Chine et en Europe. Il est urgent d’agir : la sidérurgie, comme la chimie, est une industrie souveraine dont les intrants se retrouvent dans toutes les productions. Dans l’esprit de nombreux commentateurs, ce sont de vieilles industries, autrement dit des industries dépassées, mais je vois mal comment l’industrie de l’armement peut accélérer sans aciéries et sans production chimique autonome.
L’Europe doit être plus réactive et instaurer des mesures de protection résolues, aussi bien par leur niveau que par leur calendrier de déploiement. Ensuite, et c’est en cours, les dispositifs comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), dont le principe est pertinent mais dont les modalités sont inappropriées, comme souvent, doivent être revus pour ne pas générer d’effets paradoxaux : là où ils devraient protéger nos industries, ils les évincent, car ils ne prennent pas en compte l’ensemble de la chaîne de valeur. Enfin, on ne pourra pas définitivement ériger des barrières protectionnistes au cas par cas. Même si je sais que votre maison abrite des sensibilités diverses et éminemment respectables, la réponse la plus complète, la plus pertinente et la plus durable est de se redonner les moyens de la compétitivité, parmi lesquels figurent la durée de travail et les modalités de financement de la protection sociale. C’est l’occasion de vous dire que nous sommes très favorables à la TVA dite sociale.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez évoqué l’intensification de la guerre commerciale avec, d’un côté, la menace des tarifs douaniers américains et, de l’autre, les surcapacités de production de la Chine, qui risque d’inonder le marché européen en y redirigeant ses produits du fait de la fermeture du marché américain – et parce qu’elle subventionne massivement son industrie, ce qui est contraire aux conventions internationales.
De votre point de vue, le MACF doit-il se cantonner aux intrants ou faut-il l’étendre aux produits finis ou semi-finis ? Je crains que nous ne nous tirions une balle dans le pied en taxant les intrants nécessaires à la production sur le sol européen ; cela ne la protège pas de la concurrence, au contraire. De plus, en l’état actuel des choses, le MACF est une usine à gaz qui accorde une prime aux meilleurs lobbyistes. Ne faudrait-il pas remplacer les modalités de calcul actuelles par des valeurs standards par pays ?
Le taux d’ouverture des marchés publics est de 82 % dans l’Union européenne, contre 32 % aux États-Unis. Pour tendre vers la réciprocité des échanges, la première des choses à faire ne serait-elle pas d’instituer une préférence européenne, voire d’insérer un critère de localisation dans la commande publique ? Ce dernier existe en Allemagne et en Italie ; il est par conséquent conforme au droit de la concurrence, mais il n’a pas cours en France, où l’on préfère favoriser indirectement les entreprises locales par des clauses environnementales ou sociales.
Enfin, ne faut-il pas mettre la commande publique au service de l’innovation ? Cette préconisation du rapport sur la compétitivité française remis par Louis Gallois le 5 octobre 2012 a été appliquée aux États-Unis avec la création du Small Business Innovation Research (Sbir), un mécanisme d’orientation de la commande publique vers des innovations et des prototypes élaborés par des PME.
M. Patrick Martin. Les administrations françaises sont très zélées dans l’application des règles de mise en concurrence. Je ne m’interdis pas d’y voir l’ombre portée du principe de précaution et une forme de pénalisation et de judiciarisation de toute notre vie qui amène des élus et fonctionnaires de bonne foi à respecter à l’extrême les règles de l’achat public. Dans beaucoup de pays voisins, sans se mettre en infraction, on prend davantage en compte la préférence nationale.
Nous cheminons lentement vers une préférence européenne, notamment pour les achats d’armement, même si on est loin des Américains, sans même parler des Chinois. Le Medef est favorable à l’instauration d’un Small Business Act européen au bénéfice des PME et des ETI pour échapper à cette forme d’angélisme qui permet à des productions et à des services étrangers d’inonder le marché européen.
En parallèle, nous sommes convaincus qu’il faut accepter des accords de libre-échange, et même être à leur initiative. On ne peut pas s’inquiéter d’une menace américaine – moins inquiétante que la menace chinoise, puisque le raz de marée de sites d’e-commerce chinois est en train d’achever la destruction de notre industrie textile, de l’habillement, du jouet et de la puériculture, avant celle de la cosmétique – et s’interdire de commercer avec d’autres zones du monde, comme les pays du Mercosur, l’Indonésie et la Malaisie. Les consommateurs, qui doivent gérer leurs propres contradictions, ne le toléreraient pas. On ne peut pas amener l’Europe à se refermer complètement sur elle-même.
Nous avions identifié dès l’origine les risques de contournement du MACF et son effet d’éviction : un façonnier intégrant de l’acier ou de l’aluminium peut le faire entrer sur le marché européen sans être soumis aux mêmes règles que les producteurs d’acier et d’aluminium qui ont des usines à l’étranger. Des améliorations ont été apportées : les petites entreprises ont été exclues du périmètre. Le MACF est encore en cours d’expérimentation. Il faut redéfinir rapidement le périmètre des entreprises qui en relèvent et se doter de règles permettant de certifier la probité de fournisseurs extraeuropéens qui, à ce jour, se jouent de notre réglementation.
Même si cela ne relève pas du MACF, je signale que nous avons un vrai problème avec des produits recyclés – et en particulier avec le polytéréphtalate d’éthylène recyclé (PET). Leur production revient beaucoup plus cher que celle des produits vierges. On importe en très grande quantité des produits faussement recyclés, ce qui déstabilise les filières créées à grands frais en France et en Europe pour recycler les plastiques. Soyons beaucoup plus vigilants. Je pense notamment aux Yvelines.
M. le président Charles Rodwell. Je n’osais pas le dire. C’est fondamental pour nous.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ça l’est également s’agissant de ma circonscription en Moselle. Le projet Parkes, qui avait été annoncé lors d’un sommet Choose France et représentait un investissement de 500 millions, n’a malheureusement pas vu le jour, notamment parce qu’aucune clause à l’échelle européenne n’oblige à utiliser une part de plastique recyclé lorsque l’on produit en Europe.
Je partage donc votre constat et votre proposition.
M. le président Charles Rodwell. Avez-vous un mot à ajouter ?
M. Patrick Martin. Je souhaite vous faire part de notre inquiétude. Alors même que les entrepreneurs français – et au premier chef les industriels – sont très soucieux de la réussite de notre pays, nous voyons des nuages s’accumuler. Si j’ai évoqué des sujets qui font l’objet de débats, ce n’est pas par provocation, mais parce que nous souhaitons que l’on se penche sur les impôts de production, ainsi que sur le coût et sur la durée du travail, faute de quoi notre aspiration à la réindustrialisation demeurera un vœu pieux.
M. le président Charles Rodwell. Je vous remercie pour la clarté de vos propos et de vos positions.
Vous pouvez compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé au nom du rapporteur ou en nous adressant tout document que vous jugerez utile.
La séance s’achève à seize heures.
Présents. – M. Alexandre Loubet, M. Éric Michoux, M. Charles Rodwell, M. Frédéric Weber