Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France et vice-présidente exécutive, directrice affaires Corporate groupe de Sanofi, M. Philippe Charreau, directeur des affaires industrielles France, et Mme Isabelle Deschamps, directrice des affaires publiques France 2
– Présences en réunion................................22
Vendredi
13 juin 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 55
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Charles Rodwell. Nous concluons les auditions de cette commission d’enquête en entendant trois représentants du groupe Sanofi. Je souhaite donc la bienvenue à Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France et vice-présidente exécutive, directrice affaires Corporate groupe de Sanofi, M. Philippe Charreau, directeur des affaires industrielles France, et Mme Isabelle Deschamps, directrice des affaires publiques France.
Mesdames, Monsieur, je vous remercie de répondre à notre invitation et de déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Audrey Duval, Mme Isabelle Deschamps et M. Philippe Charreau prêtent successivement serment.)
Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France et vice-présidente exécutive, directrice affaires corporate groupe de Sanofi. Merci de me donner l’opportunité de m’exprimer sur un sujet de première importance. Médecin de formation et présidente de Sanofi en France, je suis pleinement engagée dans les sujets de l’industrie, de l’innovation et de la souveraineté dans le domaine de la santé.
Je commencerai en présentant rapidement Sanofi, entreprise française, leader mondial de la santé, qui a choisi clairement l’innovation scientifique pour contribuer à améliorer la vie de dizaines de millions de patients dans le monde. Développer un médicament est long, coûteux et très risqué. Il faut en moyenne dix ans et 2 milliards d’euros, mais l’on a seulement 10 % de chances d’aboutir.
Pourtant, nous continuons, car on manque encore de traitements révolutionnaires pour de nombreuses maladies. Je donnerai trois exemples : la bronchite chronique, qui touche 3,5 millions de personnes en France, la sclérose en plaques, deuxième cause de handicap des jeunes trentenaires dans notre pays, la maladie d’Alzheimer, qui touche près de 1 million de nos concitoyens. Nous sommes donc fiers d’appartenir à une industrie au cœur des préoccupations des Français. Chez Sanofi, l’innovation n’est pas une option. C’est notre boussole et c’est aussi une urgence.
Sanofi est également une entreprise performante qui rayonne dans le monde. Comme l’énergie ou la défense, la santé est un pilier de l’économie de notre pays. Si la France est notre base stratégique, 97 % de nos revenus sont néanmoins générés à l’international – contre 75 % en moyenne pour nos pairs du CAC 40. Autrement dit, ce sont les ventes que nous réalisons à l’étranger, principalement aux États-Unis, qui nous permettent en grande partie de financer l’activité, les emplois mais aussi les investissements de demain en France.
Enfin, Sanofi contribue massivement à l’économie française. Il est exact que les médicaments sont remboursés chaque année par l’État. En 2024, ceux de Sanofi ont représenté 6 % du budget total consacré aux médicaments, pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard – soit moins de 5 % du chiffre d’affaires mondial de Sanofi. Ce montant doit absolument être mis en perspective avec le choix de Sanofi en faveur de notre pays. La France concentre aujourd’hui 25 % de nos effectifs, 30 % de nos dépenses de recherche et développement (R&D) et près de 40 % de notre production industrielle à l’échelle mondiale. Ces trois derniers pourcentages sont particulièrement parlants si on les compare à nos revenus locaux, et ils sont hors normes si l’on se réfère à d’autres industriels du secteur de la santé en France. C’est d’ailleurs grâce à cette production industrielle localisée en France que nous participons très fortement aux exportations du pays. On estime que Sanofi a contribué à hauteur de 17 milliards à la balance commerciale française en 2024, montant qui a plus que doublé ces dernières années.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la France continue d’occuper une place unique dans la stratégie industrielle et scientifique mondiale de Sanofi.
Avant de vous faire part de quelques pistes pour lever les freins à la réindustrialisation, je souhaite revenir sur un premier malentendu lié à l’actualité. En effet, Sanofi a récemment conclu la cession d’Opella, annoncé des investissements aux États-Unis et proposé d’acquérir une entreprise américaine de biotechnologie ou biotech. Je vais être très claire : il n’y a aucun lien de causalité entre ces opérations, et donc aucune conclusion à tirer sur un prétendu désengagement de Sanofi en France. Il s’agit de décisions qui visent à accélérer notre feuille de route pour l’innovation scientifique, qui est notre boussole.
Nos opérations ne sont pas dictées par un critère de nationalité. Quand nous le pouvons, nous investissons massivement dans la société et la science françaises. Ainsi, 300 millions ont été investis dans Orano Med l’année dernière pour développer un champion français de la médecine nucléaire contre le cancer. Je pourrais aussi citer les exemples de nos investissements dans Aqemia et Oken.
Mais, la réalité, c’est que la France et l’Europe offrent actuellement moins de possibilités, ce que nous pouvons regretter collectivement. En 2024, la France a représenté moins de 5 % des opérations d’acquisition en matière de biotech, contre 48 % aux États-Unis. On note aussi une très forte progression de la Chine dans ce domaine. L’écosystème français reste également trop dépendant de financements publics, alors que les biotechs américaines bénéficient notamment d’un accès au capital-risque privé beaucoup plus structuré.
Trois mythes doivent être déconstruits s’agissant de la réindustrialisation.
Le premier est celui de la prétendue baisse des investissements de Sanofi en France. Nos investissements annuels dans les sites industriels en France ont au contraire quadruplé ces dix dernières années. Nous concentrons nos efforts sur des technologies d’avenir qui n’existent pas encore sur notre territoire ou pas à l’échelle suffisante – telles que la bioproduction, la chimie innovante et les vaccins, dont ceux utilisant l’ARN messager –, afin précisément que la France ne soit pas dépendante d’autres pays. Ainsi, grâce au savoir-faire des ingénieurs français, nous avons construit dans la région lyonnaise Modulus, le site industriel de production de vaccins et de biomédicaments le plus moderne du monde.
Deuxième mythe : la délocalisation de la production par Sanofi. Sanofi n’a jamais fait un tel choix. Depuis des années, nos principes actifs sont produits en Europe à hauteur de 80 %. C’est un cas unique dans notre secteur. De plus, nous avons récemment choisi de localiser davantage notre production en France. Je pense notamment aux sites de Tours, d’Aramon, d’Ambarès-et-Lagrave et de Lyon, qui ont bénéficié ces dernières années d’investissements dans les domaines du cardiovasculaire, du diabète, de l’insuffisance rénale ou encore de la transplantation.
Enfin, il faut déconstruire un troisième mythe, celui de la fermeture de sites industriels en France : Sanofi n’en a fermé aucun depuis dix ans. Céder un site à un partenaire ne signifie pas qu’on le ferme, bien au contraire. Grâce à de nouveaux partenaires, notre ambition est de travailler pour retrouver la croissance perdue et investir, tout en garantissant les emplois sur plusieurs années.
Pour conclure, j’aborde les freins à la réindustrialisation.
Nous pourrions mobiliser quatre leviers pour renforcer notre pays.
Pour anticiper l’avenir, les industriels du secteur de la santé ont tout d’abord besoin de prévisibilité et d’un cap clair. C’est pourquoi nous proposons que les pouvoirs publics élaborent dans le domaine de la santé une loi de programmation, calquée sur le modèle des lois de programmation militaire. Cela permettrait d’aborder les enjeux de santé avec une vision pluriannuelle, de donner de la visibilité sur les besoins, qui augmentent, et de valoriser les innovations.
Deuxième levier : il n’y a pas d’industrie forte sans innovation forte. Il n’y a pas de production industrielle durable de médicaments et de vaccins dans un pays sans un puissant écosystème d’innovation scientifique. La France a besoin que l’on pérennise les dispositifs de soutien à l’innovation, tels que le crédit d’impôt recherche (CIR) ou le régime fiscal des redevances de brevets et logiciels dit « IP box ».
Troisième levier : dans le domaine de la santé, nous avons besoin d’un réflexe de souveraineté. Il est contradictoire de réduire le budget des médicaments tout en voulant favoriser la réindustrialisation ou la relocalisation. Il est temps d’aligner santé publique et politique industrielle. Pour le dire autrement, il faut que les services du ministère de la santé travaillent sur ce sujet main dans la main avec ceux de Bercy. Une coordination sous l’autorité du Premier ministre est plus que nécessaire, afin que l’État puisse prendre des décisions qui combinent l’intérêt sanitaire avec l’intérêt industriel et social.
Quatrième levier : il faut se pencher sur le poids des réglementations européennes. Par-delà leur surenchère, notre secteur fait très souvent face à la lenteur des décisions.
Je conclus en vous faisant part d’une conviction extrêmement forte : c’est en pariant sur l’innovation que la France retrouvera une industrie de santé robuste et, surtout, pérenne. Sanofi est le seul laboratoire français parmi les dix leaders mondiaux. Nous croyons en l’innovation et en notre capacité collective à faire de la santé un moteur de la réindustrialisation.
M. le président Charles Rodwell. Vous avez évoqué le sujet d’Opella et des investissements actuels aux États-Unis. Notre objectif n’est pas de juger mais de comprendre la stratégie de Sanofi et de groupes comme le vôtre, afin de pouvoir apporter des solutions réglementaires et législatives pour rendre notre pays plus compétitif. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous avons travaillé tout au long de cette commission d’enquête.
Dans le cadre du contrôle par l’État des investissements étrangers, vos équipes ont eu des discussions sur le projet de cession d’Opella avec les services de Bercy – Antoine Armand était alors ministre de l’économie, des finances et de l’industrie – ainsi qu’avec Nicolas Dufourcq directeur général de la Banque publique d’investissement (BPIFrance). Pouvez-vous nous éclairer sur le contenu de l’accord qui a été trouvé ?
Quelle appréciation portez-vous sur le dispositif étatique de contrôle des investissements étrangers ? Permet-il de trouver le bon équilibre entre ce contrôle et le maintien de la compétitivité de notre économie ?
Mme Audrey Duval. Votre question me donne l’occasion de rappeler l’ambition de Sanofi. Comme je l’ai dit, l’innovation scientifique est notre boussole. Notre projet est donc d’innover, notamment dans les domaines où l’on ne répond pas ou insuffisamment aux besoins médicaux des patients.
Le projet d’Opella est d’être compétitif au niveau mondial et très performant par rapport à des grands industriels internationaux de la santé grand public. Il s’agit de faire face à des concurrents anglo-saxons. Cela n’a rien à voir avec les projets de Sanofi, qui consistent à avoir des ambitions dans le domaine des maladies chroniques, d’un point de vue tant industriel que de R&D. Répondre aux besoins du grand public est très différent, puisqu’il s’agit de fournir des produits non remboursés destinés à soulager les maux quotidiens, tels que des antidouleurs ou des sirops contre la toux.
Il a fallu chercher un partenaire pour qu’Opella puisse continuer à grandir. Vous l’avez rappelé, le bon partenaire a été identifié à la suite d’un processus étayé et robuste, dans le cadre d’un dialogue constant avec le gouvernement. L’accord a été finalisé et a pu être annoncé à la suite d’une procédure de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). La moitié du capital d’Opella a été cédée à CD&R, un partenaire qui dispose d’une grande expérience dans ce type d’activité en France.
Nous avons considéré que la procédure était équilibrée, puisque les discussions ont permis d’obtenir des garanties. Je rappelle que le siège d’Opella et son équipe dirigeante sont en France. Les usines de Compiègne et de Lisieux produisent pour la France et pour le marché mondial.
Nous avons rappelé à ce moment qu’il n’y avait aucun problème d’approvisionnement en Doliprane, puisque la consommation de ce médicament à base de paracétamol a lieu presque exclusivement en France. Et il y a d’autant moins de problème que nous avons annoncé des investissements supplémentaires – dont notamment un granulateur – qui permettent de produire jusqu’à 100 millions de boîtes de plus.
Le gouvernement a obtenu un certain nombre de garanties sur des sujets importants. Il n’y a pas de problème avec les volumes de production, notamment du Doliprane. La pérennité des sites est assurée grâce à la poursuite des investissements. L’emploi est garanti pour plusieurs années, ce qui compte aussi beaucoup pour nous.
Si ce processus a été équilibré, nous appelons cependant votre vigilance sur un point : le contrôle des investissements étrangers est important, mais il ne doit pas se traduire par une surcharge bureaucratique. Au fond, c’est l’attractivité de la France qui est en jeu et il faut penser à y attirer des investissements étrangers dans le futur.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez évoqué le fait que Sanofi ne se désengageait pas de la France. Votre groupe reste très largement français au vu de l’ampleur de ses activités sur notre territoire, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Mais vous pouvez malgré tout comprendre notre incompréhension et nos demandes d’explications face à un groupe qui, en une dizaine d’années, a réduit de presque moitié le nombre de ses sites et a supprimé 9 000 emplois – dont près de 1 000 dans la R&D. Comment pouvez-vous dire que vous ne vous désengagez pas ?
J’ajoute que vous avez été auditionnée par la commission des affaires économiques en octobre dernier au sujet de la vente d’Opella. Vous n’aviez alors pas évoqué le fait que vous vous apprêtiez à céder un autre site dans le Loiret – en l’occurrence à un groupe français et luxembourgeois.
Comprenez dès lors que nous doutons lorsque vous affirmez que votre groupe ne se désengage pas de la France. Pouvez-vous nous rassurer sur le long terme ? Annoncerez-vous la vente d’un autre site dans quelques mois ?
Mme Audrey Duval. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Sanofi est le plus grand contributeur à la souveraineté sanitaire grâce à son empreinte industrielle et à ses investissements dans la R&D. Sanofi a une stratégie extrêmement claire : réindustrialiser autour des technologies de pointe. Je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, 25 % de nos effectifs sont en France et celle-ci bénéficie de 30 % de nos dépenses de R&D. Nous sommes le premier investisseur privé dans ce domaine, avec 2,5 milliards par an. Nous assurons 40 % de notre production industrielle en France, ce qui fait un total de 60 % en Europe.
Les technologies de pointe sont importantes pour conserver une souveraineté sanitaire – notamment en ce qui concerne les petites molécules, l’ARN messager ou les anticorps monoclonaux. M. Charreau reviendra en détail sur l’évolution de nos sites.
Depuis dix ans, nous avons quadruplé les investissements industriels, qui représentent entre 300 et 400 millions par an. Ils sont destinés à entretenir l’outil industriel, mais aussi à le numériser et à le décarboner. Nous avons également installé nos trois accélérateurs digitaux sur le territoire français.
Vous avez évoqué l’adaptation de notre R&D. Une fois encore, l’innovation est notre boussole. Entre 2020 et 2024, nous avons augmenté de 37 % nos dépenses de R&D dans le monde. La France représente 40 % de ces investissements, dont vous voyez bien qu’ils sont en pleine croissance.
En matière de santé, la question n’est pas seulement de savoir combien surtout comment on dépense. Qu’avons-nous fait en matière de R&D ? La R&D est un processus long, onéreux et très risqué – dix ans, 2 milliards, 10 % de succès. C’est la raison pour laquelle nous avons recentré nos activités sur des projets de R&D qui apportent des innovations dans le domaine de la santé. Par ailleurs, nous avons besoin d’une recherche beaucoup plus collaborative. Nous avons conclu une centaine de partenariats académiques en France, parce que nous avons une très bonne recherche académique. Nous menons désormais notre recherche d’une manière différente – plus innovante, plus concentrée et plus collaborative. Tel est le projet de Sanofi en matière d’innovation pour la santé.
M. Philippe Charreau, directeur des affaires industrielles France. Nous avons deux priorités en tant qu’industriel en France.
Tout d’abord, pour répondre aux besoins de santé publique, on doit continuer de produire les molécules des produits matures, qui sont sur le marché depuis longtemps et dont le brevet a expiré dans la plupart des cas. Nous devons le faire à des coûts compétitifs, parce que l’environnement est beaucoup plus concurrentiel. C’est ce que nous faisons sur un certain nombre de nos sites en France. En outre, Mme Duval l’a mentionné, nous y relocalisons un certain nombre de productions.
Notre deuxième mission d’industriel en France consiste à préparer l’outil industriel pour produire dans les années à venir les molécules innovantes qui figurent dans notre portefeuille de R&D. La France est extrêmement bien placée, car nous y disposons de trois plateformes technologiques sur les quatre nécessaires pour produire nos médicaments innovants. Celle de la chimie de synthèse et de la pharmacie – pour la production de produits pharmaceutiques solides, comme les gélules ou les comprimés –, celle destinée à la production des biologiques et des injectables – principalement les anticorps monoclonaux –, celle des vaccins et de l’ARN messager.
Nous disposons de quatorze sites en France, ce qui représente plus du tiers de l’appareil industriel de Sanofi dans le monde et un peu plus du tiers de ses effectifs industriels. La France occupe donc une place centrale dans notre dispositif industriel.
J’ajoute que 60 % de notre production est réalisée en Europe et près de 40 % en France. Bien entendu, une grande partie – environ 97 % – est exportée parce que le marché français ne peut pas l’absorber.
M. le président Charles Rodwell. Je reviens sur le sujet du Doliprane et de la cession d’Opella.
Dans une interview accordée à Bloomberg en mai 2020, en pleine crise du Covid, votre président Paul Hudson expliquait que le gouvernement américain aurait droit à la plus grosse précommande de vaccins et serait donc livré avant le reste du monde. La raison en était selon lui que les États-Unis avaient été les premiers à financer la recherche de Sanofi en la matière, en développant un partenariat avec le groupe dès février 2020.
Cet épisode explique notre crainte. La cession d’une partie des activités de Sanofi, notamment en matière de production de Doliprane – médicament dont on a manqué lors de la crise du Covid –, ne nous conduit-elle pas à une situation où, de facto, Sanofi n’aura pas d’autre choix que d’approvisionner en priorité le marché américain, et non le marché européen et français ?
Mme Audrey Duval. Le Doliprane un très bon exemple. Il faut se demander quels sont les besoins des Français. Il a fallu augmenter la capacité de production du Doliprane, ce qui suppose de manière pragmatique d’investir. C’est ce qu’a fait Sanofi, en investissant 30 millions d’euros dans un granulateur supplémentaire. Nous sommes désormais en mesure de produire plus de 400 millions de boîtes de Doliprane. Au fond, ce n’est donc pas une affaire de nationalité de l’entreprise. Il s’agit de se donner les moyens de répondre aux besoins des Français en procédant à des investissements permettant d’assurer une production suffisante.
Le fait que Sanofi soit un leader français qui a réussi et rayonne à l’étranger nous permet de continuer à investir massivement en France. La modernisation de notre réseau industriel pour produire à grande échelle les vaccins et les médicaments nécessaires pour les patients français repose aussi sur notre réussite sur le marché américain. Ce dernier représente 50 % de nos revenus, contre 5 % pour le marché français.
Il faut donc se réjouir de la force d’un groupe français aux États-Unis, puisque cela nous a permis de multiplier nos investissements par quatre ces dernières années. Nous continuons de ce fait d’être très optimistes sur notre capacité à prolonger cette trajectoire d’investissement industriel en France.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vais reformuler ma question, à laquelle vous n’avez que partiellement répondu. Encore une fois, je salue les investissements considérables que vous faites dans notre pays, de même que l’ampleur de la production que vous y réalisez.
Toutefois vous avez annoncé il y a quelques mois la cession d’Opella, donc de la production du Doliprane. Vous avez ensuite annoncé la cession de votre site d’Amilly, dans le Loiret. Y aura-t-il dans les prochains mois, ou peut-être l’an prochain, de nouvelles cessions d’activités de votre groupe situées sur le sol français ?
Mme Audrey Duval. À la date d’aujourd’hui, je peux vous dire que nous n’avons pas de projet de fermeture de site industriel.
Il est très important de faire la différence entre une fermeture – ce à quoi nous n’avons pas procédé depuis dix ans – et une cession. Une cession permet d’accroître le volume de production, d’attirer des investissements et de garantir des emplois sur plusieurs années. Nous n’avons bien entendu pas de boule de cristal sur ce dernier point et il ne faut pas trop promettre.
Il n’y a pas de projet de fermeture de site.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. J’ai bien parlé de cession.
M. Philippe Charreau. Le site d’Amilly, qui date du début des années soixante, compte 276 collaborateurs. Ses technologies et son savoir-faire très spécifiques – chimie de synthèse et mise en forme pharmaceutique en sachets – sont malheureusement en inadéquation avec l’évolution du portefeuille de produits innovants de Sanofi. Nous développons en effet principalement des produits biologiques injectables ainsi que des molécules de synthèse sous forme de comprimés et non de sachets.
Le site fait face par ailleurs, depuis plusieurs années, à une baisse significative de son activité. De 2020 à 2024, les volumes d’Aspégic ont été réduits de moitié et ceux de Kardégic, de 15 %. Le site est ainsi utilisé à 45 % de sa capacité, ce qui signifie qu’il va dans le mur et qu’il faut lui apporter une activité complémentaire. Dans la mesure où celle-ci ne peut lui être apportée par Sanofi, nous avons construit le projet annoncé aux partenaires sociaux et aux collaborateurs le 5 mars dernier. Celui-ci comprend d’une part la cession des marques Aspégic et Kardégic à Substipharm, un laboratoire français qui opère depuis plus de trente ans ; présent dans près de quatre-vingt-dix pays, il a à cœur de développer la marque Kardégic, en particulier hors de France. Le projet prévoit d’autre part la cession du site d’Amilly à Astrea Pharma, une organisation de fabrication sous contrat (CMO), qui possède déjà deux autres sites en France, à Dijon et à Monts. Les deux sociétés se connaissent bien, Astrea Pharma produisant déjà pour Substipharm ; elles sont liées, dans le cadre du projet, par un contrat sur dix ans.
Le site d’Amilly continuera de produire pour Sanofi et Opella, dans le cadre d’un contrat dont l’horizon est de sept à dix ans. Une production à hauteur 45 % de la capacité – son niveau actuel – est donc assurée pour cette durée, sachant qu’Astrea Pharma apportera au site de nouveaux produits et clients que Sanofi n’aura jamais. Quant à Substipharm, il apportera de nouveaux projets et développera les marques, avec des volumes supplémentaires.
Alors que le site était dans une situation risquée et qu’il avait peu de perspectives au sein du groupe, nous lui apportons un projet de croissance assorti, pour les salariés, d’une garantie d’emploi, de statut et de salaire. C’est une page qui se tourne, et je ne minimise pas l’impact que ce projet peut avoir sur ceux d’entre eux qui travaillent pour Sanofi depuis longtemps, mais c’est un levier de croissance et de développement pour le futur.
Mme Audrey Duval. Les transformations industrielles qui peuvent nous conduire à des cessions de sites – que nous différencions bien des fermetures – sont aussi liées à une évolution de la prise en charge médicale des patients. La façon dont on traite certaines maladies chroniques n’est plus la même qu’il y a cinq ou dix ans et évoluera encore à l’avenir : les centaines de millions de molécules que l’on produisait autrefois pour des gélules ou des comprimés peuvent être remplacés par des anticorps, dispensés dans des centaines de milliers de seringues.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vais poser ma question pour la troisième fois, de façon très concise. Je n’ai pas parlé de fermetures de sites mais de cessions. Sanofi annoncera-t-il dans les prochains mois ou l’année prochaine de futures cessions d’activités présentes sur le sol français ?
Mme Audrey Duval. À chaque fois qu’il sera nécessaire de ramener de la croissance sur un site, nous le ferons – sachant que, dans la mesure où ils produisent pour l’international, nos sites français peuvent être affectés par des baisses de volumes en Chine ou aux États-Unis. N’ayant pas de boule de cristal, je ne peux pas évoquer un site en particulier.
C’est ainsi que nous avons l’habitude de travailler : soit nous réindustrialisons avec des technologies de pointe soit, lorsque notre portefeuille ne permet pas de retrouver du volume en interne, nous cherchons un partenaire. Ce travail s’opère toujours dans le cadre d’un dialogue avec le gouvernement afin de trouver, comme sur le site d’Amilly, les meilleurs repreneurs.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous n’êtes donc pas en train de travailler sur la cession de certaines activités – hors survenue d’un événement extérieur ? La lecture de la presse locale montre que celle du site d’Amilly était envisagée depuis plusieurs mois.
M. Philippe Charreau. Les cycles industriels sont des cycles longs. Investir dans un site et y transformer les technologies, cela prend du temps. Notre responsabilité, en tant qu’industriel, est de penser en permanence à l’évolution de notre outil de production. Nous devons à la fois supporter un portefeuille de produits matures, dont les volumes et les prix tendent à décliner en raison d’une concurrence accrue – liée en particulier aux génériques et aux biosimilaires – et investir en prévision de l’arrivée de produits innovants. Nous travaillons de façon quasi permanente sur des scénarios qui nous permettent d’anticiper et d’agir au bon moment, afin d’éviter les spirales de décroissance dont il est difficile de sortir.
Je ne peux pas vous répondre aujourd’hui par oui ou non. Nous travaillons sur des scénarios pour l’ensemble de nos sites, de nos technologies et de nos produits – et pas uniquement en France.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. L’industrie s’inscrit en effet dans des cycles longs. Je ne peux imaginer, par conséquent, que vous ne puissiez répondre à ma question de façon claire. Je comprends que vous ne puissiez le faire au sujet de cessions qui interviendraient dans deux ou trois ans mais si vous comptez céder de nouvelles activités présentes sur le sol français dans quelques mois, vous le savez déjà.
Notre commission d’enquête mène sa cinquante-quatrième audition et c’est la première fois que l’on ne nous apporte pas de réponse claire et que nous nous heurtons à la langue de bois ! Oui ou non, comptez-vous céder des activités présentes sur le sol français dans les prochains mois ou l’année prochaine, hors crise majeure ?
Mme Audrey Duval. Vous comprendrez que, comme toute entreprise, nous ne pouvons divulguer certaines choses de façon publique ; sans doute pourrons-nous vous en faire part hors micros et caméras.
Ce que je peux vous dire, c’est que nos équipes industrielles constatent des baisses de volumes pour certaines molécules ; nous en avons une en tête aujourd’hui. Mais nous avons une procédure à respecter et ne prendrons pas le risque d’un potentiel délit d’entrave.
M. Charles Rodwell, président. Déplorez-vous que l’économie française, et plus largement européenne, ne dispose pas des capacités de financement suffisantes ? Avez-vous des recommandations à nous faire pour stimuler le financement des entreprises françaises dans le secteur pharmaceutique, pour leur permettre de déployer leurs activités sur le continent européen et pour éviter que ce soit les entreprises américaines qui, en les rachetant, leur apportent des capacités de croissance ?
Mme Audrey Duval. L’un des leviers est le renforcement de l’écosystème de la santé. L’un des facteurs favorables aux États-Unis est la densité des biotechs, que nous n’avons pas encore en Europe : 48 % des opérations s’y font avec biotechs, contre 5 % en France.
Les capacités de financement ne sont donc pas à la même échelle. Soyons toutefois optimistes : il existe en France et en Europe un écosystème important, académique notamment. Des initiatives intéressantes sont prises dans le cadre de France 2030, dans le domaine par exemple des centres dédiés à la recherche et au développement en matière de biologie dits bioclusters : c’est exactement ce qu’il faut faire. Mais toute seule, la France n’y arrivera pas. Pour concurrencer les États-Unis et la Chine, qui progresse très vite, les bioclusters devront prendre une dimension européenne.
Membre fondateur du Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC) dédié à l’oncologie, Sanofi y a investi un montant significatif de 150 millions d’euros. Nous y croyons, mais nous pensons aussi que c’est un travail collaboratif avec les autres pays européens qui nous permettra de changer d’échelle.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Vous avez considéré qu’il était impossible de concilier réindustrialisation et réduction du budget de la Sécurité sociale, appelant à une coordination de ces enjeux avec Bercy, sous l’autorité du Premier ministre. Estimez-vous que les pouvoirs publics ne se préoccupent pas suffisamment des industriels, en particulier de votre secteur ?
Mme Audrey Duval. Nous ne demandons pas un prix très élevé mais un prix juste, qui rémunère l’innovation et tienne compte de l’ensemble des investissements. En R&D, notre secteur est le seul à avoir un taux de succès qui ne dépasse pas 10 %, même si nous avons progressé et pourrons continuer de le faire grâce à l’intelligence artificielle notamment.
C’est en France que les prix des médicaments sont les plus bas d’Europe – inférieurs, en moyenne de 10 % à celle des autres pays. Ils sont même deux à quatre fois moins élevés qu’aux États-Unis où le système est différent, c’est vrai, du fait de la présence de grands distributeurs.
Fin 2023, 37 % des médicaments approuvés par l’Europe n’étaient pas disponibles en France ; en Allemagne, ils n’étaient que 12 %. Nous nous battons donc non seulement pour un prix juste mais aussi pour réduire le délai d’accès à l’innovation et aux médicaments, qui est inacceptable : les patients attendent.
Mme Isabelle Deschamps, directrice des affaires publiques France. Nous appelons à une évolution de la politique d’innovation en santé pour sortir de la spirale court-termiste dans laquelle la France se trouve et lui redonner une trajectoire d’excellence industrielle et scientifique. Pour nous, cela passe par une loi de programmation en santé. On ne bâtit pas une souveraineté sanitaire avec une visibilité à douze mois : aujourd’hui, les décisions de financement sont prises au rythme annuel des projets de lois de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), ce qui ne correspond ni à notre réalité, ni à nos besoins.
La construction d’une usine, c’est un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros et un engagement pour cinq ans. Une étude clinique de phase III, c’est un engagement de trois à quatre ans avec des patients.
Notre recommandation est de travailler à un projet de loi de programmation en santé calquée sur le modèle de la loi de programmation militaire ; cette proposition a déjà fait l’objet d’initiatives parlementaires et elle est défendue par d’autres acteurs reconnus du monde de la santé. De la même façon que nous fixons un cap pour notre défense, fixons-en un pour la santé des Français. Un cap pluriannuel ne serait pas contradictoire avec le système actuel puisqu’il pourrait faire l’objet d’une déclinaison annuelle dans le PLFSS.
Une loi de programmation en santé contribuerait à instaurer un environnement favorable à l’industrialisation. Nous l’imaginons constituée de quatre volets. D’abord, il faudrait identifier les besoins des Français pour les cinq prochaines années, mais aussi regarder l’offre. Nous sommes déjà en discussion avec l’administration sur notre portefeuille mais nous sommes prêts à aller plus loin pour donner des perspectives sur les innovations à venir.
Le deuxième volet concerne le mode de financement. Nous préconisons un travail de fond sur les leviers d’efficience, en particulier sur l’amplification de la prévention. Les génériques et les biosimilaires ne peuvent plus être aujourd’hui, et ne seront pas demain, le seul levier possible pour optimiser les coûts de la santé.
Le troisième volet est relatif à la fiscalité. Aujourd’hui, les entreprises pharmaceutiques sont totalement asphyxiées par la fiscalité sectorielle la plus lourde d’Europe. Il conviendrait plutôt d’envisager une évolution pluriannuelle de la fiscalité et d’en faire un outil d’attractivité et de compétitivité de la France.
Enfin, le dernier volet doit s’intéresser à la refonte de la régulation économique du médicament : régulation des prix, accès à l’innovation et soutien à la production locale. Il est important que les Français aient accès aux innovations développées et produites dans notre pays – aujourd’hui, ce n’est pas le cas.
La pluriannualité est soutenue par les principaux acteurs de la santé en France. Les quatorze principales associations et fédérations du secteur ont signé des lettres ouvertes, des amendements parlementaires ont été déposés et des actions citoyennes ont été menées en ce sens. C’est la direction que prennent les autres pays.
Il est indispensable de rapprocher santé et industrie – nous avons d’ailleurs quelques exemples montrant une contradiction flagrante entre les deux enjeux. Une loi de programmation arbitrée par le Premier ministre susciterait un réflexe de souveraineté dans les décisions de santé : il s’agit d’éviter que, lorsqu’on investit en France, les conditions de production nuisent à la pérennité de celle-ci.
M. le président Charles Rodwell. Comment jugez-vous le rôle de la Banque publique d’investissement (BPIFrance) ? Estimez-vous qu’elle fonctionne et qu’elle s’est impliquée comme elle le devait dans les opérations que vous avez menées ?
Selon vous, le contrôle des investissements étrangers devrait-il être renforcé dans le secteur pharmaceutique ? Celui-ci devrait-il être davantage considéré comme un secteur stratégique relevant du service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) ? L’équilibre vous semble-t-il juste entre la protection de nos actifs et la compétitivité de notre marché ?
Mme Audrey Duval. Nous avons souvent été, et serons encore à l’avenir, à la recherche du bon partenaire pour continuer d’apporter au patient français ses médicaments. Dans les procédures, ce sont les repreneurs qui sont en première ligne. Il se trouve que toutes celles dans lesquelles nous étions impliquées ont abouti, grâce à notre travail d’anticipation. Nous observons les tendances mondiales de vente des différentes molécules et bénéficions de la compétence d’équipes dédiées. Notre expérience nous conduit à considérer que les contrôles sont équilibrés, qu’ils apportent des garanties tout en permettant aux projets d’aboutir – assurant également l’attractivité de notre pays. Je ne suis pas certaine qu’une bureaucratie excessive préserverait des abus ; en revanche, elle risquerait de nuire à l’efficacité des processus.
Dans la plus récente de nos opérations, menée avec Opella, nous considérons que la participation de BPIFrance a contribué à rassurer les parties prenantes. Les choses ont été faites correctement, et son intervention a été suffisante.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. S’agissant du PLFSS, je rappelle qu’il n’est pas qu’à la main de l’exécutif actuel.
Arnaud Montebourg a institué des contrats de filières associant des équipes de Bercy et les comités de filières siégeant au Conseil national de l’industrie (CNI), afin d’identifier les investissements prioritaires et d’accompagner les acteurs industriels. Serait-ce une bonne méthode pour réindustrialiser dans le secteur pharmaceutique ?
Mme Audrey Duval. Ayant été présidente de la Fédération française des industries de santé (Fefis), j’ai été impliquée dans les dossiers du comité stratégique de filière (CSF), en collaboration avec le CNI. Nous ne pouvons qu’être favorables au renforcement d’un dialogue constructif et à ce que les sujets soient mis sur la table.
Le point central a été évoqué par Mme Deschamps : pour favoriser le patriotisme économique, il faut que des conditions favorables permettent à la France de rester attractive pour ses grands champions. À cet égard, la visibilité à long terme est essentielle pour nous. Au-delà du problème du prix, déjà évoqué, il faut aussi que nous puissions disposer des bonnes compétences. Il est important d’avoir une méthodologie mais n’oublions pas les questions structurantes pour notre filière. Il faut créer un marché local et faire en sorte que les entreprises de santé cessent d’être systématiquement la variable d’ajustement du budget de la santé.
La clause de sauvegarde est un mécanisme peu connu. Lorsque l’enveloppe consacrée au médicament déborde, l’État demande une contribution aux entreprises du secteur. Dans la mesure où elle est activée chaque année, nous considérons désormais que, plus que d’une clause de sauvegarde, il s’agit d’une taxe. Le rapport d’août 2023 de la mission sur la régulation des produits de santé rendue à la Première ministre dite « mission Borne » suggérait de limiter cette clause à 500 millions d’euros environ. Or elle dépasse aujourd’hui 1,6 milliard : non seulement nous n’avons aucune visibilité sur le montant, mais celui-ci continue d’exploser ! Pendant combien de temps encore va-t-on demander aux entreprises d’absorber le surcoût lié aux besoins en santé ? Il faut qu’une loi de programmation reflète mieux ceux-ci.
Je me permets d’insister aussi sur les prix qui non seulement partent d’un niveau inférieur à ceux pratiqués chez nos voisins, mais ne cessent de baisser ! Cela nous empêche de répercuter les surcoûts liés à l’inflation ainsi qu’aux normes européennes et françaises. Les baisses de prix ont atteint environ 800 millions d’euros en 2022 et devraient atteindre 1 milliard cette année. Ces chiffres illustrent l’asphyxie dont nous parlons !
Oui, c’est bien d’avoir un dialogue constructif ; il faut le poursuivre. Mais soyons aussi capables de mettre les vrais sujets sur la table pour trouver les leviers de la réindustrialisation – qui, pour préparer la souveraineté de demain, doit concerner les molécules innovantes et non pas seulement les molécules utilisées dans le traitement de maladies chroniques.
M. le président Charles Rodwell. Je propose que nous en venions au deuxième volet de notre audition. Les investissements que vous avez annoncés aux États-Unis il y a quelques semaines étaient-ils déjà dans les tuyaux avant l’investiture de Donald Trump ? Sont-ils une réaction directe à sa politique tarifaire et douanière ? Il a promis, durant sa campagne, de take down the Big Pharma – autrement dit, de détruire les grandes entreprises pharmaceutiques. Ces déclarations n’ont-elles pas refroidi vos intentions de pénétrer le marché américain, au moment où sont remis en cause les droits économiques et financiers d’une partie des entreprises qui y investissent ? Pour quelle raison votre groupe investit-il néanmoins aux États-Unis, et quel est son projet ?
Mme Audrey Duval. Sanofi est un leader français qui rayonne à l’international. Les États-Unis représentent 50 % de ses revenus et 25 % de sa présence industrielle, que ce soit dans des sites en propre ou avec des partenaires. La force du groupe à l’étranger, notamment aux États-Unis, nous permet de maintenir nos investissements sur le territoire.
Notre présence sur le sol américain remonte à plusieurs décennies. Nous y avons 13 000 collaborateurs, dont 2 200 chercheurs. Il est important que, sur notre premier marché, nous investissions beaucoup dans le développement de notre entreprise. Ce n’est pas lié à l’arrivée de l’administration Trump.
Bien entendu, le contexte politique a changé. Une pression forte est exercée sur les entreprises pharmaceutiques, pas uniquement sur Sanofi. Cela a conduit l’ensemble des grands leaders du secteur à faire des annonces au sujet de leurs projets d’investissements sur le territoire américain. C’est dans ce contexte que, comme l’ont fait ses concurrents Novartis et Roche pour des montants de 23 et de 50 milliards de dollars, Sanofi a annoncé des investissements de 20 milliards jusqu’à 2030. Ils couvriront à la fois des dépenses opérationnelles et industrielles.
Outre ces investissements dans la R&D et dans l’industrie, nous poursuivions nos acquisitions pour renforcer notre capacité d’innovation, notamment sous la forme d’investissements dans des entreprises de la biotech ; en ce domaine, les opportunités sont plus nombreuses aux États-Unis qu’en France et en Europe.
Nous avons récemment annoncé deux acquisitions importantes, l’une dans le domaine de l’immunologie, dans lequel nous visons la position de leader, et l’autre dans celui de la maladie d’Alzheimer, où des besoins perdurent. Pour répondre précisément à votre question, monsieur le président, ces annonces ne sont pas liées aux annonces du président américain : en raison de leur complexité, ces opérations prennent du temps, d’autant que nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser aux entreprises de la biotech.
Nous sommes fiers qu’un groupe comme Sanofi investisse de la sorte ; notre dernière acquisition, particulièrement significative, s’élève à 9 milliards. Je l’ai dit : l’innovation scientifique demeure notre boussole.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Dans quelle mesure les annonces de l’administration Trump sur les tarifs douaniers menacent-elles vos activités en France et en Europe, qui sont pour l’essentiel destinées à l’exportation ?
Mme Audrey Duval. Sanofi, comme l’ensemble du secteur pharmaceutique, a demandé l’exclusion des produits pharmaceutiques et des principes actifs des tarifs douaniers américains, afin d’éviter tout blocage dans l’accès des patients aux médicaments et aux vaccins. Cette exclusion est désormais effective, mais nous devons nous battre collectivement pour en garantir le maintien, compte tenu des risques de révocation.
Les entreprises pharmaceutiques sont exposées à une autre menace : la tarification très volontariste des États-Unis, où les médicaments sont deux à quatre fois plus chers qu’en Europe. Le président Trump a annoncé réfléchir à une manière de diminuer leur prix ; il est parfaitement informé des différents leviers à sa disposition, notamment celui relatif aux grands distributeurs qui jouent un rôle d’intermédiaire dans le système de fixation des prix aux États-Unis.
De nombreuses incertitudes demeurent et nous sommes particulièrement attentifs à l’évolution de la situation, mais à ce jour, nous ne savons pas évaluer précisément les conséquences de cette politique.
M. le président Charles Rodwell. Quelles sont les relations du groupe Sanofi avec le secrétaire à la santé américain, Robert F. Kennedy ?
Quelles sont vos perspectives de travail avec le gouvernement américain, compte tenu de la position de Donald Trump sur l’industrie pharmaceutique ? N’avez-vous pas été découragés d’investir aux États-Unis ?
Quelles garanties le gouvernement américain vous a-t-il données concernant vos investissements, dont nous pourrions nous inspirer pour continuer d’attirer des investissements dans le domaine de la santé ?
Mme Audrey Duval. Sans trahir de secret d’entreprise, je peux vous confirmer que nous prônons un dialogue constructif ; les États-Unis sont notre premier marché. Notre chief executive officer (CEO) ou PDG Paul Hudson a rencontré M. Kennedy ; un autre CEO sera le représentant des entreprises de Sanofi sur le sol américain.
Il est important que Sanofi, en tant que leader mondial, participe aux discussions au plus haut niveau. Sa voix portera sur deux sujets : la protection du secteur pharmaceutique contre l’augmentation des droits de douane et la promotion de la science.
Notre groupe croit en l’innovation ; leader dans le domaine des vaccins, il continuera à défendre les valeurs de la science et l’importance de la prévention en matière de santé publique.
Vous m’avez interrogée sur les mesures efficaces existant aux Etats-Unis dont la France pourrait s’inspirer. Je recommanderai avant tout de conserver les dispositifs ayant fait leurs preuves, à commencer par le crédit d’impôt recherche (CIR), véritable levier d’attractivité, ou le régime fiscal de l’IP box.
Quant aux mesures américaines, le partage du risque, pratiqué notamment par l’Autorité américaine pour la recherche-développement avancée dans le domaine biomédical ou Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) est très efficace. Sa souplesse et son agilité permettent d’obtenir facilement des financements ; en moyenne, 2,5 milliards sont investis pour développer un médicament.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Dans quelle mesure le poids des surnormes européennes, comme vous les appelez, altère votre compétitivité en France et, plus largement, en Europe ? Avez-vous des données à nous communiquer à ce sujet ?
Quel est votre avis sur la directive du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises ou Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), que la France a surtransposée avant les autres pays membres ? Et sur la directive du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ou Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), qui fait porter la responsabilité juridique de l’ensemble de la chaîne de valeur à une seule entité ?
Enfin, la hausse des factures énergétiques a-t-elle eu des répercussions sur vos activités ? Dans quelle mesure, le cas échéant ? Le manque de visibilité sur les prix de l’énergie a-t-il contribué à réduire votre compétitivité en France ?
Mme Audrey Duval. Entre 2019 et 2023, avec les autres entreprises françaises du secteur pharmaceutique réunies au sein du groupe G5 santé, nous avons étudié la surcouche réglementaire. Nous nous sommes rendu compte que chaque année, le millefeuille enfle et frise l’explosion.
L’enjeu est celui de la rapidité d’action : comment être plus agile malgré la lenteur de la collaboration entre la France et l’Europe, en particulier dans le cadre des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec) ?
Mme Isabelle Deschamps. Nous avons évoqué le partage du risque pratiqué par l’agence américaine Barda ; les Piiec sont un mécanisme européen de partage du risque auquel nous sommes très favorables. Nous participons à Med4Cure, le premier Piiec consacré à la santé, qui vise à soutenir la recherche et l’innovation sur les procédés de production innovants, jusqu’à leur industrialisation.
Les Piiec permettent aux États membres de soutenir des projets ambitieux et des innovations de rupture, mais des aménagements sont indispensables pour rendre la procédure plus rapide. J’illustre mon propos : en 2021, Sanofi a décidé d’investir significativement en France pour créer un centre d’excellence consacré à l’ARN messager de bout en bout, c’est-à-dire de la recherche jusqu’à l’industrialisation ; le groupe décide de le soumettre au Piiec santé.
L’ambitieux projet, qui a pour but de rendre la France autonome en matière de production de vaccins, est lancé dès 2022 et progresse au rythme rapide de l’innovation : plus de 250 postes consacrés à la recherche ont été créés sur le site de Marcy-l’Étoile ; l’usine Modulus a été équipée pour accueillir cette technologie d’avenir ; un bâtiment est en construction sur le site de Val-de-Reuil pour développer une autre partie du processus ; une quinzaine de projets collaboratifs ont été lancés avec des partenaires académiques et des PME, conformément à l’objectif du Piiec de construire un véritable écosystème ; une vingtaine d’études cliniques ont été lancées.
Dans le même temps, la procédure, qui comporte des étapes françaises et des étapes européennes, s’est révélée très coûteuse et très longue. Quatre ans ont été nécessaires pour confirmer l’éligibilité du projet ; nous avons répondu à plus de 200 questions, en mobilisant une part significative de nos ressources. Après dix ans d’expérience en affaires réglementaires, il m’a semblé qu’évaluer ce dossier était plus compliqué que d’enregistrer une innovation auprès des agences réglementaires !
Nous sommes favorables au mécanisme de partage du risque, qui permet de faire émerger des innovations de rupture, mais pas à une procédure aussi lente : la science avance à un rythme qui n’est pas du tout celui de l’administration !
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Les industriels que nous avons auditionnés ont souvent évoqué la complexité et la lenteur des Piiec. Ils ont également soulevé un autre problème : l’obligation de diffuser des informations issues d’activités de R&D partiellement financées par les aides publiques.
Considérez-vous que cette obligation présente un risque, voire qu’elle démontre une forme de naïveté européenne ? Devrions-nous la restreindre ? Dans l’affirmative, quel type de clause de retour devrions-nous instaurer en contrepartie des aides publiques ?
Mme Isabelle Deschamps. Dans le cadre des Piiec, l’enjeu de la propriété intellectuelle a été au cœur des discussions menées entre Sanofi et la direction générale de la concurrence de la Commission européenne (DG Comp). Ce sujet a lourdement contribué à rallonger la procédure d’évaluation. Nous sommes parvenus à trouver un compromis permettant à Sanofi de développer des innovations sans en perdre la propriété intellectuelle, tout en partageant le risque grâce à des fonds publics.
Je ne peux parler pour ceux qui ont tourné le dos aux Piiec, mais la perspective de perdre la propriété intellectuelle des innovations développées dans ce cadre peut expliquer certains refus.
La directive CSRD vise à renforcer la transparence des entreprises sur les questions environnementales, sociétales et de gouvernance. Celles-ci doivent communiquer des informations décrivant leurs impacts sur l’environnement et la société, ainsi que la manière dont les enjeux environnement, sociaux et de gouvernance de durabilité les affectent.
Son application, dans laquelle Sanofi s’est lancé cette année, s’est révélée coûteuse, complexe et technique. Le rapport final, qui comporte 170 pages de données et de commentaires, a mobilisé 200 contributeurs ; l’audit que nous avons conduit pour répondre à toutes les exigences a coûté huit fois plus cher que ceux que nous menions dans le cadre de la précédente directive du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, dite « Non Financial Reporting Directive » (NFRD).
Les nombreuses demandes auxquelles nous devons répondre s’appliquent également à nos fournisseurs. Sanofi a fourni les efforts nécessaires pour répondre aux exigences de la directive, mais il est nécessaire de la simplifier ; nos fournisseurs ne sont pas nécessairement équipés pour fournir le niveau de détail exigé. Soit nous continuerons de les choisir pour leur capacité à nous fournir le service dont nous avons besoin, soit il nous faudra les choisir pour leurs compétences en matière de reporting.
Nous appelons de nos vœux une simplification de cette directive pour une autre raison : il est nécessaire de trouver un équilibre entre la transparence et la protection de la compétitivité. Ainsi, certaines données demandées aux entreprises européennes ne le sont pas aux entreprises non européennes.
Quant à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité dite CS3D, elle porte sur les droits humains, les droits sociaux et les droits de l’environnement et concerne l’ensemble de la chaîne d’activité, de la conception d’un produit à sa livraison. Elle promet d’être aussi complexe que la directive CSRD. La large demande de simplification visant cette dernière doit englober la directive CS3D. Nous ne sommes pas opposés à ce reporting, à condition qu’il soit aussi simple que possible.
M. Philippe Charreau. Sanofi ne figure pas parmi les plus gros consommateurs d’énergie : celle-ci représente environ 2 % de nos coûts de production. Nous utilisons 60 % d’électricité et 40 % de gaz.
Depuis plusieurs années, le groupe s’est engagé dans un programme de développement des énergies renouvelables, dont Sanofi France est le leader : de nombreux sites français sont dotés de parcs photovoltaïques qui couvrent 10 % à 20 % de nos besoins en électricité – parfois davantage. Nous allons poursuivre cette démarche proactive.
Si Sanofi n’est pas un gros consommateur d’énergie, en revanche certains de ses fournisseurs le sont, en particulier les fournisseurs de matières premières ou de matières intermédiaires avancées utilisées dans la fabrication de nos produits. L’augmentation des prix de l’énergie a donc un impact indirect sur le prix de nos intrants et sur nos coûts de production. Or ces surcoûts ne peuvent être répercutés sur les prix des médicaments, qui sont régulés.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pensez-vous que la qualification de la main-d’œuvre française est un atout compétitif pour notre pays ?
Quelles évolutions constatez-vous dans notre système de formation, initiale et continue ? Existe-t-il des dispositifs de formation interne à Sanofi, afin de favoriser la montée en compétences des salariés ou de pallier les dysfonctionnements du système de formation français ?
M. Philippe Charreau. L’accès aux compétences et aux talents fait partie des critères de choix de localisation d’un investissement, quel que soit le pays. La France bénéficie d’un système éducatif performant, mais certains métiers sont en tension, dans l’industrie en général et dans l’industrie pharmaceutique en particulier : les métiers de la qualité, ceux de l’ingénierie et de la maintenance, ceux du numérique et de l’analyse de données, et plus spécifiquement nous concernant, ceux des biotechnologies et de l’environnement. Plusieurs dizaines de postes ouverts en France demeurent non pourvus, faute de candidats.
Nous développons de plus en plus de formations internes, autour de certaines filières, et, comme d’autres industriels, nous projetons la création d’une école des métiers Sanofi pour former à des métiers très spécifiques et développer les compétences nécessaires.
Chaque année, nous accueillons environ 1 700 apprentis ainsi que de nombreux alternants et stagiaires, provenant notamment de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dans le cadre de l’initiative Place d’avenir. C’est un moyen de mettre le pied à l’étrier à certains jeunes, et pour nous de bénéficier de leurs compétences et de leur énergie.
Enfin, nous avons créé des structures spécifiques : trois accélérateurs numériques regroupant chacun une centaine de personnes, qui développeront en interne des outils et des compétences relatives à la transition numérique.
La formation est un enjeu fondamental. La pyramide des âges des salariés est inversée, ce qui entraînera des vagues de recrutements ; ne pas disposer des compétences nécessaires serait un frein à l’industrialisation. De plus, accéder aux talents est une compétition : nous ne sommes pas les seuls à vouloir les recruter. Si le vivier n’est pas suffisamment fourni, cela pourrait constituer un frein à l’avenir.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Pensez-vous que le système de formation français, qu’il s’agisse de son organisation ou de son contenu, est suffisamment cohérent et adapté aux besoins des entreprises ? Je vous vois sourire…
L’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) propose de rattacher au ministère de l’industrie les filières de formation aux métiers de l’industrie, à l’image des lycées agricoles qui dépendent du ministère de l’agriculture. Cette proposition vous paraît-elle pertinente ou superflue ?
Mme Audrey Duval. Je vous confirme que ce sujet m’est cher. Nous avons identifié trois sujets sur lesquels il serait pertinent de travailler avec l’éducation nationale : l’image des entreprises et de l’industrie, qui n’est pas suffisamment valorisée, le numérique et la place des femmes.
Nous sommes très fiers de travailler dans les secteurs de la santé et de l’industrie, qui sont insuffisamment valorisés. Nous organisons de nombreuses journées portes ouvertes et nous avons développé l’initiative Place d’avenir, une sorte de tour de France organisé pour rencontrer les jeunes sur les places et aux sorties de métro. Il nous semblerait utile d’organiser de telles rencontres dans les établissements publics.
Nous sommes convaincus que le numérique va profondément transformer le développement et la production de nos médicaments et de nos vaccins. Ces processus longs, onéreux et risqués deviendront plus performants grâce à la transition numérique. En nous appuyant sur nos incubateurs et nos accélérateurs, nous voulons contribuer aux nécessaires progrès collectifs.
Il faut davantage promouvoir les femmes dans le secteur de la santé, en particulier dans les métiers du numérique, de la finance, mais aussi dans les métiers scientifiques.
Enfin, il me semble que le président du Medef était, par principe, d’accord avec la proposition de l’UIMM que vous avez évoquée. Nous sommes aussi favorables aux mesures allant dans le bon sens.
M. Philippe Charreau. C’est aussi un sujet qui me tient à cœur. Au-delà de votre question sur le système éducatif, performant comparé à d’autres pays, l’enjeu est celui de la méconnaissance des métiers industriels, voire du déficit d’image de l’industrie auprès des jeunes.
Lorsque nous les rencontrons, notamment par le biais de l’initiative Place d’avenir, et que nous prenons le temps de leur présenter nos métiers et l’environnement dans lequel ils s’exercent, ils ont les yeux qui brillent. Les visites de nos installations industrielles leur donnent l’occasion de se rendre compte qu’elles sont très différentes de leurs a priori.
C’est avant tout le lien entre le système éducatif et le monde de l’industrie qui doit être renforcé. Il faut favoriser les échanges au plus tôt, afin que les jeunes sachent de quoi on parle lorsqu’il est question de l’industrie.
M. le président Charles Rodwell. J’aimerais vous entendre au sujet des alliances industrielles européennes. Nous avons évoqué les Piiec, qui encadrent des investissements massifs et conjoints des États européens et des entreprises.
Par ailleurs, les premières recommandations accompagnant le déploiement de l’union des marchés de capitaux portent sur les produits d’épargne européens conjoints et sur leur labellisation, afin d’orienter une partie de l’épargne des Européens vers le financement des entreprises européennes.
Estimez-vous qu’il serait utile de déployer ce type d’alliance industrielle pour l’une de vos filières ? Où en sont vos discussions à ce sujet ?
S’agissant du marché du médicament, vous serait-il utile que les pays membres aient des législations nationales différenciées ? À l’inverse, recommandez-vous d’uniformiser les législations et les réglementations européennes, notamment en matière d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou d’autorisation préalable pour les essais cliniques ? Nous sommes très souvent interrogés au sujet de vos essais cliniques.
Mme Audrey Duval. Je n’ai pas de réponse spécifique à vous apporter au sujet des alliances industrielles européennes ; c’est un sujet que nous devons approfondir.
Le millefeuille réglementaire est un enjeu majeur pour notre secteur. Nous sommes amenés à refaire des dossiers à chaque fois que nous soumettons nos données issues d’essais cliniques ; nous serions donc très favorables à toute mesure permettant de simplifier et d’alléger la bureaucratie. Outre les surcoûts engendrés pour les entreprises, les démarches administratives rallongent les délais de mise à disposition des médicaments pour les patients.
Il me paraît délirant que dans l’Union européenne, des données soient analysées séparément par chaque agence ; il faudrait insuffler un peu plus de bon sens dans le traitement des dossiers réglementaires. Nous sommes favorables à une simplification de ce traitement, tout en conservant un haut degré de qualité pour préserver la sécurité des patients.
Lorsque des difficultés d’approvisionnement sont survenues, des idées très concrètes ont émergé, notamment en matière de conditionnement ou packaging, comme celle de remplacer les notices en papier, spécifiques à chaque pays, par des e-notices en ligne permettant de réallouer très rapidement des stocks d’un pays à un autre. Nous soutenons l’instauration d’une e-notice des médicaments à l’échelle européenne.
Autre exemple, les essais cliniques ont décliné en Europe. C’est d’autant plus regrettable que nous disposons de l’écosystème nécessaire, avec des entreprises qui souhaitent lancer des essais et un réseau public hospitalier capable de mener des essais de bonne qualité.
L’Espagne a donc pris une initiative intéressante, que je soutiens fortement. Elle a réuni autour de la table le Premier ministre, les ministres des finances, de la santé et de l’industrie ainsi que les industriels – dont Sanofi – pour réfléchir à la manière de reprendre le leadership en matière d’essais clinique, de simplifier et accélérer l’accès des patients aux traitements. Un agenda commun a été fixé. Cela a marché. En moins de deux ans, l’Espagne est devenu le deuxième pays en matière d’essais clinique, derrière les États-Unis. Quand la volonté est là, l’Europe est capable d’y arriver. Travaillons avec tous les ministères, sous l’égide du Premier ministre. Les patients et l’industrie seront gagnants.
Enfin, nous en sommes convaincus que, si nous voulons que la réindustrialisation soit robuste et pérenne, elle devra être liée à l’innovation.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je vous remercie.
C’était la cinquante-quatrième et dernière audition de cette commission enquête. Nous avons entendu 148 personnes en seulement trois mois. Je remercie ceux qui ont rendu ce travail possible ou y ont contribué, notamment l’équipe du secrétariat de la commission d’enquête, aux rédacteurs des comptes rendus, aux agents et à mes collaborateurs. Je remercie la présidente du groupe Rassemblement national de m’avoir confié cette commission d’enquête.
Par ailleurs, je présente mes excuses à de ceux qui nous ont contacté et qui n’ont pu être auditionnés du fait des contraintes inhérentes à une commission d’enquête.
Monsieur le président, malgré nos nombreuses divergences, notre bonne entente montre que la réindustrialisation mérite des accords transpartisans.
M. le président Charles Rodwell. Je m’associe à ces remerciements. Oui, malgré nos divergences idéologiques, nous avons mené des travaux sérieux, techniques, sans polémiques. Nous nous y tiendrons jusqu’au rendu de nos conclusions.
Mesdames, Monsieur, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions et je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d’enquête.
Le programme d’auditions de la commission d’enquête s’achève aujourd’hui : nous avons tenu 54 auditions en y consacrant plus de cent heures. Les députés membres seront convoqués début juillet pour consulter puis débattre à huis clos du projet de rapport, préparé par le rapporteur.
La séance s’achève à dix-heures trente-cinq.
Présents. – M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell