Compte rendu
Commission d'enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins
– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Thomas FATÔME, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de M. Jean-François FRUTTERO, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de Mme Magali RASCLE, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA). 2
– Présences en réunion............................17
Mercredi
19 mars 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 4
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à seize heures trente.
La commission d’enquête auditionne M. Thomas FATÔME, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) accompagné de M. Emmanuel Frère-Lecoutre, directeur de l’offre de soins, de M. Jean‑François FRUTTERO, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de Mme Magali RASCLE, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA).
M. le président Jean-François Roussel. Nous recevons les responsables de la Caisse nationale d’assurance maladie et de la Mutualité sociale agricole (MSA).
La Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) est la tête de réseau opérationnelle du régime d’assurance maladie obligatoire en France. Son rôle consiste à impulser la stratégie au niveau national, puis à coordonner et appuyer les organismes locaux qui composent son réseau.
La Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) régit l’organisation des différentes caisses de la Mutualité sociale agricole. Sous la tutelle des ministères chargés de l’agriculture, des affaires sociales et du budget elle gère la protection sociale du monde agricole par le biais des différentes MSA dont elle assure la gestion au niveau national.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Thomas Fatôme, M. Jean-François Fruttero, Mme Magali Rascle et M. Emmanuel Frère-Lecoutre prêtent successivement serment.)
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Je vous remercie de me donner l’occasion d’apporter des éléments sur les difficultés d’accès aux soins dont la résolution est une des missions prioritaires de l’assurance maladie. Dans la convention d’objectifs et de gestion pour la période 2023-2027, que l’assurance maladie a signée avec l’État, l’accès aux soins est un des six axes prioritaires des programmes d’action de la Cnam et de son réseau départemental, qui couvre tout le territoire. Ce réseau est un partenaire des professionnels de santé et de toutes les parties prenantes de l’accès aux soins sur le terrain.
Le sujet est vaste. Il faut commencer par pointer les difficultés liées à l’évolution de la densité des professionnels de santé, notamment celle des médecins généralistes libéraux qui a fortement diminué ces quinze dernières années, créant des tensions importantes dans l’ensemble du pays avec, cependant, des disparités territoriales. S’agissant des médecins spécialistes, la situation varie selon la spécialité : elle est très tendue en ce qui concerne la dermatologie, la gynécologie, l’ophtalmologie mais moins compliquée pour des spécialités techniques comme la chirurgie, l’anesthésie ou la cardiologie.
En revanche, certaines professions paramédicales connaissent une démographie dynamique. Il y a un peu plus de dix ans, on dénombrait ainsi 70 000 infirmiers libéraux contre 100 000 aujourd’hui ; 52 000 masseurs-kinésithérapeutes contre 80 000 ; 3 200 sages-femmes contre 8 000. Si, en matière d’accès aux soins, la situation est objectivement tendue dans nombre de territoires, elle est aussi très différente selon les spécialités et les professions médicales. La médecine générale est la profession de santé la moins mal répartie sur le territoire.
Premier élément de l’action de l’assurance maladie, l’accès à des bases de données. Pour faire un bon diagnostic, il faut disposer de données. Nous avons donc pris l’engagement – et nous le tenons – d’enrichir nos données et de les mettre à la disposition du plus grand nombre d’acteurs possible pour comprendre où s’installent les professionnels selon leur activité ou la situation des différents territoires. Sur le site data.ameli.fr, deux outils de data visualisation – data pathologies et data professionnels de santé libéraux – permettent de connaître, par exemple, le nombre de diabétiques présents dans la Manche ou de professionnels de santé installés en Seine-Saint-Denis. Cette série de données à l’échelle nationale, régionale et départementale est une source d’information majeure.
Par ailleurs, au niveau des territoires, nous offrons l’accès à une base de données qui fournit aux acteurs locaux et aux professionnels de santé des informations de nature départementale et infradépartementale afin d’aider les professionnels de santé à s’installer et de comprendre les dynamiques territoriales.
Deuxième élément de notre action, la régulation démographique. Dans le cadre des négociations conventionnelles que l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), dont je suis également le directeur, mène avec les professionnels de santé depuis plusieurs années, nous avons traité le sujet de l’installation et de la répartition des professionnels sur le territoire. Les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les infirmiers et, depuis le 1er janvier 2025, les dentistes libéraux ou exerçant dans des centres de santé dentaire, sont soumis à un système de régulation démographique. Celui-ci marche sur deux jambes : d’importantes aides à l’installation sont allouées aux professionnels dans les territoires sous-dotés ; une autorisation de s’installer doit être délivrée dans les territoires qui connaissent une forte densité, selon le principe du « un pour un » – un infirmier ne peut s’installer que pour remplacer le départ d’un infirmier.
Par ailleurs, au mois de juin 2024, nous avons signé avec cinq des six syndicats de médecins libéraux une convention affichant des ambitions importantes en matière d’accès aux soins. Depuis plusieurs années, le nombre de médecins traitants et de médecins généralistes diminue. Certes, deux fois plus de médecins généralistes qu’il y a dix ans s’installent. Néanmoins, cela n’a pas d’effet positif dans la mesure où les départs à la retraite sont encore trop nombreux. Les médecins généralistes libéraux reçoivent un million de patients par jour. La convention apporte donc une réponse forte pour améliorer l’attractivité : elle prévoit des revalorisations importantes pour donner envie aux jeunes médecins de s’installer en qualité de médecins généralistes traitants, à ceux qui sont en activité de continuer à travailler, et aux médecins séniors de poursuivre leur activité – 13 000 médecins libéraux sont en cumul emploi-retraite, l’âge de cessation d’activité ne cessant d’être repoussé.
Le premier enjeu pour améliorer l’accès aux soins est de donner envie aux médecins d’exercer la fonction de médecin traitant en offrant des conditions favorables à cet exercice. C’est la raison pour laquelle nous misons sur le déploiement des assistants médicaux, dispositif lancé en 2019. Plus de 8 000 assistants médicaux travaillent aujourd’hui auprès de médecins libéraux, notamment de médecins généralistes. Selon une étude publiée au mois de décembre 2024, le bilan de ce dispositif est positif. La patientèle des médecins traitants qui sont accompagnés d’un assistant médical a ainsi progressé de 15 %, 10 points de plus que ceux qui n’en avaient pas. La file active, c’est-à-dire le nombre de patients qui sont vus au moins une fois par an par un médecin, augmente de 5 % alors qu’elle diminue légèrement s’agissant des médecins sans assistant médical. Ce dispositif est une des réponses qui fonctionne très bien, mais qui doit se déployer encore plus largement.
En contrepartie des revalorisations prévues dans la convention que nous avons signée avec les médecins, nous avons défini avec eux dix engagements collectifs chiffrés en matière d’accès aux soins. Il s’agit notamment de diminuer la part de patients en affection de longue durée (ALD) sans médecin traitant, de faire progresser la file active, d’accroître le nombre d’assistants médicaux, de raccourcir le délai d’accès aux spécialistes, d’augmenter le nombre de médecins affiliés à l’Optam (option de pratique tarifaire maîtrisée). L’Observatoire de l’accès aux soins, créé au mois de décembre 2024, suivra la réalisation de ces objectifs chiffrés, année après année d’ici à 2027. À partir du mois d’avril, dans la même logique de transparence, ces données seront accessibles à toutes les parties prenantes sur un nouveau site de data visualisation afin de vérifier si les objectifs sont atteints au niveau national, régional et départemental et, donc, si la dynamique est bonne.
Dans le cadre de cette convention médicale, nous avons également refondu en profondeur le dispositif d’aide à l’installation qui était trop complexe, trop diffus et mal connu des professionnels de santé, au regard du montant de l’aide allouée, qui peut s’élever jusqu’à 50 000 euros. Grâce à cette réforme, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2026, l’aide sera intégrée au forfait médecin traitant dont le montant augmentera de 10 %. Désormais versée automatiquement, celle-ci sera pérenne et non pas uniquement versée lors de l’installation du médecin. Elle profitera aussi à tous ceux qui exerceront dans des zones sous-denses.
Troisième élément, l’évolution et le transfert de compétences. L’assurance maladie, en lien avec le ministère de la santé et de l’accès aux soins, s’est mobilisée en la matière afin de libérer du temps médical et d’élargir le champ d’intervention de différentes professions de santé. Ainsi, les pharmaciens et les infirmiers peuvent vacciner, les pharmaciens peuvent réaliser des tests rapides et délivrer des antibiotiques. Par ailleurs, les infirmiers verront leurs compétences élargies, notamment grâce à la création des IPA (infirmiers en pratique avancée) ; nous soutiendrons ces évolutions dans le cadre des futures négociations conventionnelles avec la profession.
Enfin, nous avons élaboré une feuille de route sur l’accès aux soins qui définit plusieurs priorités : l’augmentation du nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé), l’ installation d’équipes de soins spécialisés et la diminution de la part de patients en ALD sans médecin traitant. Sur les 2 700 MSP existantes, 2 300 ont signé un accord conventionnel intreprofessionnel avec l’assurance maladie ; plus de 10 % des médecins et plus de 10 000 infirmiers exercent en MSP ; les médecins traitants de plus de 10 millions de patients exercent en MSP. Nous continuons à soutenir cette forte dynamique dans le cadre de la négociation avec les syndicats relative à l’amélioration du soutien aux MSP.
Le maillage territorial des CPTS est un point d’appui pour les professionnels pour lutter contre l’isolement, et constitue une interface entre l’Ehpad, l’hôpital, l’ARS (agence régionale de santé), l’assurance maladie et la MSA. Nous soutenons ces communautés professionnelles qui rendent un service dans les territoires tout en restant à la main des professionnels.
Autre élément de la convention, les équipes de soins spécialisés. Des cardiologues ou des dermatologues, par exemple, peuvent s’organiser entre eux et proposer au médecin traitant des consultations de télémédecine, de téléexpertise dans un délai court – système de fast track. Nous pérenniserons ces organisations qui existent dans certains territoires dans le cadre de la convention médicale, laquelle prévoira une aide à la création et à la constitution de ces équipes.
Le dernier point de la feuille de route porte sur le plan d’action massif visant à réduire le nombre de personnes en ALD sans médecin traitant que nous avons lancé avec les CPTS. Au début de l’année 2023, 5,6 % des personnes en ALD n’avaient pas de médecin traitant. Grâce à la forte mobilisation des médecins, à la fin de l’année 2024, ce taux était inférieur à 4 %, soit une baisse de 25 % alors qu’il avait augmenté de 1 point par an au cours des cinq dernières années. C’est un marqueur important de l’amélioration de l’accès aux soins, et de la mobilisation conjointe des médecins et de l’assurance maladie : nous allons voir les médecins retraités pour anticiper leur départ, nous allons voir les jeunes médecins pour leur demander d’accueillir dans leur patientèle des personnes en ALD sans médecin traitant ; nous allons voir les CPTS pour qu’elles identifient ceux qui sont volontaires pour prendre davantage de patients en ALD. Ce système fonctionne.
J’imagine qu’il sera question dans la discussion de la diminution des tâches administratives, du numérique en santé, de la place de la téléconsultation dans la lutte contre les déserts médicaux. Je me tiens à votre disposition.
M. Jean-François Fruttero, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Au nom de la MSA, je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer sur un sujet aussi crucial que celui de l’accès aux soins dans les territoires ruraux.
La Mutualité sociale agricole, modèle singulier, est le second régime de protection sociale en France. Il regroupe un peu plus de 5,5 millions de ressortissants – salariés, non-salariés, familles des adhérents – et verse un montant annuel de prestations de près de 28 milliards d’euros. La MSA est un modèle unique dans le champ de la protection sociale car il comporte plusieurs caractéristiques fondamentales. D’abord, c’est un guichet unique pour l’ensemble des prestations de la sécurité sociale, ce qui donne une vision à 360 degrés de la situation de ses ressortissants. Par ailleurs, sa gouvernance est démocratique : plus de 13 000 délégués sont élus dans leur territoire et leur canton – au mois de mai se tiendront les élections qui renouvelleront la gouvernance. Enfin, la MSA se caractérise par une solidarité professionnelle où sont regroupés les salariés et les non-salariés du monde agricole. Ces spécificités font de la MSA un acteur particulièrement légitime pour intervenir sur les sujets en matière d’organisation des soins et d’accès aux soins dans les territoires ruraux.
C’est un défi majeur de santé publique, tant les difficultés en la matière sont une préoccupation prioritaire pour nos concitoyens, particulièrement dans les zones rurales. À cet égard, notre diagnostic est sans appel : 30 % des communes rurales sont classées en désert médical ; l’accès aux soins spécialisés est particulièrement limité et fragilisé ; les temps de trajet pour se rendre chez un professionnel de santé, qui sont un frein, s’allongent dangereusement ; la population médicale vieillit sans que son remplacement ne soit souvent assuré.
Ces difficultés touchent particulièrement la population agricole, qui se caractérise par un vieillissement accéléré. Près de 61 % des non-salariés agricoles ont plus de 60 ans et connaissent une forte prévalence de maladies chroniques qui nécessitent un suivi régulier. Ils souffrent également de troubles musculosquelettiques liés à l’activité. Par ailleurs, depuis le début des années 2010, la MSA prend en charge le mal-être agricole, sujet qui a pris une nouvelle dimension avec l’apparition des questions relatives à la santé mentale.
Face à ces constats, la MSA a proposé une réponse structurée, en mobilisant son expertise en ingénierie territoriale et son innovation au service de l’accès aux soins. Le plan stratégique MSA 2030 vise à permettre à la population agricole de vivre plus longtemps en bonne santé, en faisant des territoires ruraux des environnements favorables à la santé.
Pour y parvenir, nous avons mené plusieurs actions concrètes. L’ingénierie territoriale permettra d’implanter 311 projets de santé – 199 CPTS, 90 MSP, 22 autres structures de soins – coordonnés dans les zones rurales sous-denses. L’outil GéoMSA regroupe plus de 600 indicateurs mis à disposition des acteurs territoriaux en open data, permettant d’établir des diagnostics territoriaux d’une grande précision.
Face au défi de la démographie médicale, nous avons lancé des initiatives innovantes. Le programme Éduc’Tour est une mesure phare qui vise à sensibiliser les étudiants en santé à l’exercice coordonné en milieu rural et à les informer sur ce dispositif. Ce programme innovant, qui dure deux jours, suivi d’une journée d’immersion dans des pôles de santé ruraux, doit permettre aux futurs professionnels de santé de connaître les spécificités et les avantages de l’exercice en milieu rural, de connaître une expérience sur le terrain et de rencontrer les acteurs locaux. C’est une réponse adaptée à la particularité des territoires ruraux.
Le mal-être agricole est un enjeu majeur de santé publique. En 2024, le programme de prévention du mal-être agricole de la MSA a pris en charge près de 6 000 cas. En progression régulière, ceux-ci sont le reflet de la situation économique du monde agricole. Il est doté de plusieurs outils, parmi lesquels l’aide au répit administratif, qui sont des solutions adaptées aux particularités des territoires.
Le plan national d’accès aux soins pour la période 2026-2030 affiche une ambition renforcée qui s’articule autour de trois axes stratégiques : l’amélioration de l’accès aux soins de proximité dans les territoires ruraux, grâce à la mobilisation de l’ingénierie territoriale et à l’ancrage territorial des élus de la MSA, en lien avec l’ensemble des élus locaux ; le développement de l’exercice coordonné en milieu rural pour renforcer son attractivité auprès des professionnels de santé ; l’organisation des parcours de soins sans rupture pour les habitants des territoires ruraux. Ces dispositifs innovants s’inscrivent dans la démarche d’aller vers, pour accompagner les populations fragilisées.
Nous sommes un régime de protection sociale doté d’une certaine agilité, incarnés par des élus de proximité qui sont capables de sentir ce qui se passe sur les territoires et de jouer le rôle de vigie. Cela passe par le soutien et la création de centres de santé et l’expérimentation de solutions de télémédecine. Dans la perspective de la négociation de la convention d’objectifs et de gestion pour la période 2026-2030 que nous signerons avec les ministères de tutelle, nous affirmerons notre rôle d’acteur majeur de la santé publique. Il s’agira d’optimiser les dispositifs existants en apportant notre savoir-faire en matière de politique de santé et d’accès aux soins dans les territoires ruraux. Soyez assurés de l’engagement de la MSA à vos côtés pour améliorer la situation.
Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Tout ce qui nous rassemble vient d’être exposé. Grâce aux outils de data que nous conjuguons avec ceux de la Cnam, et dans le cadre de la négociation conventionnelle menée par le directeur général de la Cnam, au titre de l’Uncam, il s’agit de parvenir à la connaissance la plus fine possible de la situation.
La MSA est un régime spécifique, reposant sur les assurés sociaux qui élisent leurs représentants et dont le président incarne une gouvernance mutualiste. Nous devons, à la fois, permettre l’accès à des données et mettre en œuvre des conventions, des dispositifs pour apporter une réponse aux besoins criants qui émanent du terrain, notamment ceux des ressortissants de la MSA dont les deux tiers vivent dans des territoires ruraux et cumulent des difficultés en matière d’accès aux soins. La spécificité de la MSA tient également à ses ressortissants qui ne sont pas confrontés aux mêmes pathologies ni n’appartiennent au même groupe sociologique que le reste de la population. À cet égard, il est nécessaire de mener des actions d’aller vers et de ramener vers le système de santé. Enfin, sa spécificité tient aux sujets de santé mentale, très présents au sein du monde agricole, qui sont particulièrement mis en lumière en cette année où la santé mentale est la grande cause nationale.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ma première question porte sur la revalorisation de la rémunération des infirmiers en pratique avancée (IPA). La semaine dernière, lors de ma participation au conseil de surveillance d’un hôpital, le personnel m’a fait remarquer que la demande de formation pour acquérir ce statut avait grandement diminué, notamment parce que les deux années d’études supplémentaires ne se traduisent pas par l’augmentation de revenus qu’ils attendent légitimement. Je souhaiterais donc vous entendre à ce sujet.
Ne trouvez-vous pas injuste que le patient qui n’a pas désigné de médecin traitant doive s’acquitter d’un ticket modérateur dès lors que, dans les déserts médicaux, il est impossible d’avoir accès à un médecin traitant ? De même, ne devrait-on pas revenir sur l’obligation – sous peine, là encore, de s’acquitter d’un ticket modérateur – de passer par un médecin généraliste avant de prendre rendez-vous avec un spécialiste ? Du reste, connaît-on la somme des tickets modérateurs payés par les assurés sociaux en 2024 ?
Enfin, de nombreuses propositions de loi ont été déposées pour remédier aux déserts médicaux, dont certaines avaient pour objet de revenir sur la liberté d’installation. Ne faudrait-il pas augmenter fortement le nombre des médecins, donc l’offre de soins, afin d’inverser le rapport de force dans vos discussions avec les professions médicales et, au bout du compte, de diminuer les dépenses de santé ?
M. Thomas Fatôme. Nous sommes convaincus de l’intérêt que présentent les IPA, à l’hôpital comme en ville. La profession est encore jeune et doit être soutenue ; telle est la logique dans laquelle nous nous inscrivons. Néanmoins, il est vrai que le nombre de ces professionnels reste faible. Depuis 2019, un peu plus de 3 000 IPA ont été formés, dont l’hôpital a capté l’essentiel – ce qui n’est ni anormal, ni étonnant. On compte ainsi, dans le secteur libéral, un peu plus de 300 IPA pour 100 000 infirmiers en exercice. Nous souhaitons donc qu’un plus grand nombre d’infirmiers puissent se former pour devenir IPA, ce qui suppose que les universités ouvrent davantage de places. Depuis un an, l’assurance maladie verse une aide à la formation de 15 000 euros, qui s’ajoute à celle offerte par les agences régionales de santé (ARS).
Nous avons négocié avec les syndicats d’infirmiers libéraux les paramètres économiques de l’intervention des IPA libéraux. Ainsi, le niveau de rémunération du praticien dont le flux de patients envoyés par le ou les médecins avec lesquels il travaille est suffisamment important se situe grosso modo entre celui de l’infirmier et celui du médecin généraliste, ce qui correspond globalement à la cible visée. Il reste que le nombre des IPA libéraux est trop faible pour que nous ayons suffisamment de recul et que la relation avec les médecins manque de fluidité, de sorte que ces derniers sont trop peu nombreux à adresser assez de patients aux IPA pour que le modèle économique fonctionne.
J’appelle votre attention sur le fait que les montants unitaires ne sont pas négligeables : 60 euros pour le forfait d’initiation durant le premier trimestre, 50 euros pour le forfait de suivi au cours des trimestres suivants, 30 euros pour un bilan ponctuel et 16 euros pour la séance de soins ponctuels. Si, faute d’un flux de patients suffisant, nous devions augmenter ces rémunérations unitaires, nous serions logiquement confrontés à d’autres professions de santé – au hasard, les médecins – qui nous reprocheraient d’établir des tarifs très élevés au regard de celui de la consultation médicale, qui est de 30 euros.
Nous sommes en relation constante avec l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa). Dès lors que l’accès direct aux IPA se déploie – nous attendons la publication de l’arrêté qui définit les prescriptions qu’ils peuvent effectuer dans ce cadre – et que se poursuit la navette de la proposition de loi sur la profession d’infirmier, nous entamerons une nouvelle négociation avec les syndicats. Encore une fois, nous soutenons cette profession, qui est encore, hélas ! trop minoritaire.
Le ticket modérateur a été instauré en 2004 pour inciter les assurés à choisir un médecin traitant et à s’inscrire dans un parcours de soins coordonnés. Dès lors que le système s’est inversé, je comprends que la question de son maintien se pose. Cependant, il est appliqué dans un certain délai, de manière à ne pas sanctionner immédiatement le patient qui cherche un médecin traitant. Du reste, sauf erreur de ma part, cette question devrait faire l’objet de propositions de loi à venir. Toutefois, la moitié des 6 millions de personnes qui n’ont pas de médecin traitant n’en ont jamais eu ; ceux-là, en fait, n’en cherchent pas, ce qui n’est pas absolument critiquable. Je ne devrais peut-être pas le dire en tant que directeur de l’assurance maladie, mais si vous avez 30 ans et que vous êtes en bonne santé, votre principale préoccupation n’est pas d’avoir un médecin traitant. La priorité, pour nous, est que les patients souffrant d’une affection chronique en aient un ; nous avons pris un engagement sur ce point.
Faut-il faire évoluer le dispositif ? Je comprendrais que l’on se pose la question. Je comprendrais moins que l’on autorise la prise de rendez-vous directs avec les spécialistes. Je suis peut-être de la vieille école, mais j’estime que le parcours de soins a une consistance et que si nous le déconstruisions en systématisant l’accès direct à différents corps de métier, notamment aux spécialistes, nous ne ferions pas œuvre utile pour la prise en charge des patients. Au demeurant, des soupapes ont été aménagées pour un certain nombre de spécialités. Je suis donc très réservé quant à une éventuelle déconstruction de ce système.
Par ailleurs, nous devons adresser aux médecins traitants des signaux indiquant que nous avons besoin d’eux. Si nous autorisons les patients à accéder directement aux kinés, aux IPA, aux infirmiers et aux spécialistes, il sera difficile de les convaincre qu’ils sont les chefs d’orchestre.
Enfin, serais-je en meilleure position pour négocier si l’offre de soins était beaucoup plus importante ? En tout cas, ce n’est pas ce que je recherche. Il y a vingt ou trente ans, nous avons fait collectivement – la puissance publique, les médecins, l’assurance maladie mais aussi l’ensemble des experts – des choix malthusiens. Ce fut pourtant certainement une erreur ; nous le constatons. Mais il est extraordinairement difficile de prévoir quels seront les besoins en matière de santé dans dix ou quinze ans. On les a manifestement sous-estimés à l’époque, comme on a sous-estimé le changement de l’organisation des professionnels de santé et l’augmentation de la demande de soins. Qu’en sera-t-il, dans quinze ans, des compétences des professionnels, de l’innovation technologique, des besoins de santé ? Il est extraordinairement difficile de le prévoir. Du reste, même si nous travaillons très bien avec le ministère de la santé et l’observatoire de la démographie, nous sommes sous-armés – je vous le dis comme je le pense – pour mener des travaux dans ce domaine.
En tout état de cause, je ne cherche pas à faire en sorte que la démographie médicale soit à ce point favorable qu’elle me placerait en meilleure position face aux professionnels de santé. Ce n’est pas ainsi que je réfléchis à cette question.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Connaissez-vous le montant total des tickets modérateurs acquittés par les patients ?
M. Thomas Fatôme. Je n’ai pas le chiffre sous la main, mais nous vous le communiquerons.
M. le président Jean-François Rousset. L’incitation à désigner un médecin traitant remonte à 2004. Or, à l’heure actuelle, on attend des gens qu’ils soient mobiles dans leur vie professionnelle. Il est donc vraisemblable que certains d’entre eux doivent changer de médecin traitant mais n’en trouvent pas dans le territoire où ils emménagent. Le système ne devrait-il pas s’adapter à cette nouvelle situation ? On peut s’interroger.
Mme Magali Rascle. S’agissant des IPA, je n’ai rien à ajouter aux propos du directeur général de la CNAMTS. Quant au montant total des tickets modérateurs, nous vérifierons ce qu’il en est de notre côté.
Vous évoquez un sujet sensible, en particulier pour les ressortissants de la MSA, à savoir les difficultés d’accès au médecin traitant dans les territoires où se trouvent très peu de médecins, donc le paiement du ticket modérateur. Cependant, des mesures d’assouplissement ont été prises afin de faciliter l’accès direct à certains praticiens. Devraient-elles être étendues ? Je l’ignore, mais on peut penser que le dispositif actuel est susceptible d’évoluer.
Mais il importe d’amener les personnes qui sont le plus éloignées des soins à les solliciter. À cet égard, l’objectif de permettre à chaque patient souffrant d’une ALD d’avoir un médecin traitant est sans doute la mesure qui permet d’assurer le suivi le plus fin de ces personnes. Encore faut-il les identifier, donc les ramener vers le système de soins. Vous voyez où je veux en venir : les personnes éloignées des soins doivent y avoir accès, mais sans oublier le volet préventif. C’est un élément complémentaire des dispositifs évoqués par Thomas Fatôme. Il a son importance car les données concernant notre population montrent que des freins de nature sociologique peuvent empêcher certaines personnes de solliciter des actes de prévention qui auraient permis d’éviter, ultérieurement, certaines problématiques, notamment de santé mentale.
Sur le numerus clausus, je ne donnerai pas mon avis personnel. Est-on certain que si les médecins étaient plus nombreux, ils s’installeraient davantage dans les territoires où ils manquent actuellement – il n’y a là aucune provocation de ma part ? À cet égard, notre rôle est également d’accompagner l’évolution des modes d’exercice, en permettant aux professionnels de santé, singulièrement les médecins généralistes, d’opter pour celui qui leur convient dans les zones où l’on a besoin de médecins traitants.
Enfin, je veux saluer, car elle répond à un véritable besoin de notre population, l’évolution qui permet aux patients de solliciter les pharmaciens ou les sages-femmes pour certains actes. Ce n’est pas la solution à tous les problèmes, mais cela y participe.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Actuellement, une régulation serait inutile dès lors que la majorité du territoire français est un désert médical. En revanche, il serait plus facile de l’imposer si, demain, les médecins étaient beaucoup plus nombreux.
Par ailleurs, vous avez essentiellement évoqué la rémunération des IPA libéraux alors que je pensais également à celle des IPA hospitaliers.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Un sondage OpinionWay de 2019 révélait que 59 % des personnes interrogées avaient renoncé à des soins médicaux au cours des douze derniers mois, en particulier aux soins dentaires, au changement de monture de lunettes, aux bilans de santé complets et aux consultations de cardiologie. Avez-vous pu chiffrer le surcoût lié à l’aggravation de pathologies due au renoncement aux soins ? Disposez-vous de données relatives à ce phénomène concernant les ressortissants de la MSA ?
M. Thierry Frappé (RN). Alors que le nombre des praticiens inscrits à l’Ordre augmente, celui des médecins qui exercent réellement a baissé. Cette situation suscite des interrogations quant aux motivations profondes des médecins qui renoncent à s’installer. Dans un contexte de baisse d’attractivité du métier, les exigences administratives ont un poids certain dans l’accroissement de la charge de travail des professionnels de santé. Comment analysez-vous cette charge administrative ? Avez-vous des pistes de réforme concrète ou envisagez-vous de recourir à des dispositifs supplémentaires – de nature organisationnelle, financière ou structurelle – pour redonner du dynamisme à l’installation des médecins et garantir un accès de qualité aux soins ?
Par ailleurs, la mise à jour du zonage médical, qui est un outil très important pour l’installation des médecins, n’est-elle pas trop lente ?
M. Julien Limongi (RN). Monsieur Fruttero, la complexité administrative à laquelle les agriculteurs font face les oblige souvent à recourir à des centres de gestion coûteux, qui ne leur permettent pas toujours, du reste, d’éviter les erreurs et les régularisations tardives. Cette surcharge de travail, qui pèse sur une population déjà en grande détresse, a un impact sur le temps dont ils disposent, leur santé mentale et leur accès aux soins.
Face à ces difficultés, les agriculteurs de ma circonscription de Seine-et-Marne me disent qu’ils manquent d’interlocuteurs joignables à la MSA. Je souhaiterais donc savoir ce que vous faites concrètement pour garantir un accompagnement plus accessible des agriculteurs et préserver leur santé et leur bien-être ?
M. Théo Bernhardt (RN). Monsieur Fatôme, la Cnam envisage de baisser la tarification des transports sanitaires par taxi. Cette évolution inquiète fortement la profession de chauffeur de taxi, notamment en milieu rural, où ils sont souvent les seuls à assurer l’accès des patients aux structures de soins. Une baisse de l’indemnisation pourrait provoquer la disparition de nombreux professionnels et réduire ainsi considérablement l’offre de transport sanitaire dans les territoires ruraux. Comment la Cnam entend-elle garantir concrètement la pérennité économique de ces taxis afin de préserver cette offre de transport médical ?
La Cnam incite de plus en plus les patients à recourir au transport partagé, sauf pour les bénéficiaires de la protection universelle maladie (Puma) ou de l’aide médicale de l’État (AME). Or il semble particulièrement injuste que des personnes en situation irrégulière puissent bénéficier de droits supérieurs à ceux accordés aux citoyens français en matière d’accès aux soins et au transport médical. Comment justifiez-vous cette inégalité dans l’accès aux soins ? La Cnam envisage-t-elle de revenir sur cette mesure discriminante ?
Mme Christine Loir (RN). Monsieur Fatôme, mon territoire compte plusieurs maisons de santé, dont certaines ne disposent pas de médecin traitant. La maison de santé est-elle si favorable à l’accueil des médecins ?
Mme Anchya Bamana (RN). Monsieur Fruttero, les agriculteurs mahorais, qui relèvent actuellement de la MSA d’Armorique, souhaiteraient que la caisse de sécurité sociale de Mayotte devienne la caisse gestionnaire de leur protection sociale.
M. Lionel Tivoli (RN). L’accès aux soins en milieu rural ne cesse de se dégrader, si bien que des millions de Français peinent à trouver un médecin traitant. Les habitants de nos territoires doivent parfois parcourir des dizaines de kilomètres pour avoir accès aux soins, voire à une pharmacie.
La Cnam et la MSA dispose de plusieurs leviers pour améliorer l’accès aux soins : aide à l’installation des professionnels de santé, soutien aux maisons de santé pluridisciplinaires, développement de solutions innovantes, comme les pharmacies itinérantes… Quelles seraient les mesures les plus efficaces pour garantir à ceux de nos concitoyens qui vivent en milieu rural un accès équitable aux soins et aux médicaments ? Est-il nécessaire d’assouplir certaines règles pour favoriser l’installation des médecins et des pharmaciens ?
Mme Annie Vidal (EPR). Monsieur Fatôme, j’ai cru comprendre que vous n’étiez pas favorable à un accès direct aux IPA et aux kinés ainsi qu’aux spécialistes. Or, s’il me semble en effet pertinent qu’un patient soit adressé à un spécialiste par un généraliste, je suis plus dubitative en ce qui concerne l’accès direct aux autres professionnels. Compte tenu des difficultés actuelles, cet accès direct permet aux patients d’avoir un contact avec un professionnel de santé, dans le cadre d’un exercice coordonné sous la responsabilité d’un médecin.
Dans mon territoire, nous avons demandé aux patients d’une maison pluridisciplinaire, notamment ceux souffrant d’une pathologie chronique, s’ils étaient d’accord pour être vus par une infirmière une fois sur deux, par exemple ; 90 % des 250 personnes interrogées ont répondu par l’affirmative. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’accès direct à ces professionnels de santé ?
M. Romain Eskenazi (SOC). Les maires se livrent une véritable guerre pour attirer les médecins dans leur commune, en proposant des offres toujours plus alléchantes. Or il me semble intéressant que l’agglomération puisse prendre la main, comme c’est parfois le cas, et porter des projets, non pas de maison médicale, où exerceraient des médecins libéraux, mais de centre de santé, où les médecins sont salariés. Ce modèle, qui correspond davantage aux aspirations des jeunes médecins, doit-il selon vous être encouragé par le versement d’aides publiques aux agglomérations ?
Une deuxième piste pourrait consister à encourager l’installation de maisons médicales de garde, adossées aux hôpitaux publics. Ayant travaillé quatre ans dans un hôpital, j’ai en effet constaté que 80 % des passages aux urgences pédiatriques auraient en réalité plutôt mérité une consultation. Pensez-vous que cette possibilité mérite d’être creusée ?
Guillaume Garot, qui a malheureusement dû nous quitter, souhaite connaître le coût estimé de la désertification médicale pour la sécurité sociale, en tenant compte des aggravations de pathologie liées aux retards de prise en charge. Il s’interroge également sur l’évolution, au cours des cinq ou dix dernières années, des revenus moyens ou médians des médecins généralistes et spécialistes, après paiement de leurs charges et avant impôt sur le revenu.
M. Thomas Fatôme. Le renoncement aux soins est un sujet important. Mme Lepvraud citant précisément un sondage de 2019, je me permets de rappeler que, depuis cette date, nous avons instauré le 100 % santé, qui fut un succès majeur en ce qu’il a permis à de nombreux assurés d’accéder à des soins ou à des prestations – audioprothèses, prothèses dentaires – auxquels ils renonçaient parfois. Le nombre de paniers de soins sans reste à charge a ainsi très fortement progressé, à tel point que plus d’une prothèse sur deux est désormais proposée sans reste à charge pour les patients. Dans un contexte très compliqué, j’y vois là un progrès très significatif.
Le problème reste néanmoins important, y compris en raison des dépassements d’honoraires pratiqués par certains médecins. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés, dans le cadre de la convention médicale 2024-2029, de rénover l’Optam, c'est-à-dire le contrat passé entre l’assurance maladie et les médecins de secteur 2, dans lequel ces derniers s’engagent à modérer leurs dépassements d’honoraires et à développer leur activité à tarif opposable. Plus de la moitié des médecins spécialistes ont adhéré à l’Optam et nous espérons que ce taux va augmenter.
Monsieur Frappé, la première réponse aux difficultés causées par la charge administrative reste le recours aux assistants médicaux, dont le rôle principal est précisément de réduire le temps consacré par les médecins aux tâches administratives et de permettre à ces derniers de se repositionner sur le soin. Les chiffres montrent d’ailleurs que les praticiens qui optent pour cette solution accroissent leur patientèle et dédient davantage de temps au soin. Or les médecins qui le souhaitent bénéficient de la prise en charge, par la puissance publique, de la moitié de la rémunération d’un assistant médical – une aide dont peu d’autres professions, a fortiori libérales, peuvent se targuer.
Nous avons également engagé, sous l’égide de François Braun, une série de mesures opérationnelles visant à simplifier la vie des médecins, comme l’amélioration des téléservices de l’assurance maladie, le raccourcissement des délais de réponse, la diminution des indus, ou encore l’amélioration de la relation quotidienne avec les praticiens. Nous réunissons très régulièrement les médecins pour faire le point sur les formulaires à remplir ou sur l’utilisation de nos téléservices. Les membres du club utilisateurs de l’outil Amelipro, consulté chaque année par des centaines de milliers de professionnels de santé, notamment, nous aident à améliorer le système. Nous pourrons vous faire parvenir un point d’étape sur l’ensemble de ces mesures.
Nous luttons aussi contre les certificats médicaux inutiles. Même si d’importants efforts ont été consentis, trop d’acteurs associatifs, de fédérations sportives, de crèches, ou encore de collectivités locales demandent en effet inutilement aux médecins de délivrer des certificats, ce qui leur prend du temps. Nous avons créé, avec les services de l’État, un simulateur pour les inciter à renoncer à ces requêtes.
Monsieur Bernhardt, nous rencontrerons les représentants des taxis la semaine prochaine pour reprendre les discussions sur le transport sanitaire. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025 prévoit une refonte du cadre conventionnel liant l’assurance maladie et les taxis et, plus largement, fixe des objectifs d’économies pour le transport de patients dans son ensemble. Il ne s’agit pas de baisser les tarifs, mais de faire évoluer le modèle. L’assurance maladie prend actuellement en charge le transport de 6 millions de patients et, à ce titre, verse 3 milliards d’euros aux taxis, soit près de la moitié des dépenses totales de transport. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause cet élément essentiel de l’accès aux soins. Néanmoins, le modèle mérite peut-être d’être réformé pour améliorer la répartition des taxis sur le territoire – la LFSS permet, comme pour d’autres professions, de faciliter leur installation en priorité dans les zones où ils sont les moins nombreux. Nous finançons également trop de transports à vide, en raison d’une mauvaise organisation. De nombreuses réunions se sont tenues avec les taxis tout au long de l’année 2024 pour faire évoluer le modèle. Maintenant que la LFSS a été publiée, nous espérons les voir aboutir.
Le transport partagé est quant à lui une mesure de bon sens. Contrairement à ce que j’entends parfois, l’objectif n’est pas de faire entrer huit personnes dans un taxi, mais de transporter deux personnes à la fois, de manière organisée – généralement par l’hôpital –, et en laissant au médecin toute latitude pour décider si l’état du patient le permet ou non. Le transport individuel ne serait par ailleurs pas déremboursé : le tiers payant cesserait simplement de s’appliquer, une pratique déjà en vigueur depuis vingt ans pour les génériques, avec un succès indéniable. Cette mesure est très bien comprise par nos assurés : d’après un sondage réalisé par BVA, 80 % d’entre eux la jugent parfaitement légitime. Quant aux exclusions auxquelles vous faites référence, elles sont prévues par la loi. Si celle-ci doit être modifiée, elle le sera, mais, en attendant, nous l’appliquons.
Madame Loir, il convient de distinguer les maisons de santé pluriprofessionnelles des maisons médicales de garde. L’assurance maladie soutient pleinement le développement de ces dernières, qui, dès lors qu’elles fonctionnent bien en interface avec l’hôpital et les systèmes de permanence de soins, permettent d’améliorer la régulation et de s’assurer de la pertinence des demandes avant de mobiliser des moyens humains importants pour y répondre.
Monsieur Tivoli, les pharmacies forment un réseau de 20 000 officines, qui assure plutôt un bon maillage du territoire, car il obéit à des règles bien établies depuis longtemps. Pour éviter les déserts pharmaceutiques, nous avons signé l’année dernière avec les pharmaciens un accord conventionnel qui prévoit d’aider ceux établis en zone fragile – là où il n’y a qu’une seule pharmacie ou dans les territoires sous-denses en médecins. Ce travail est toujours en cours, mais plusieurs centaines de pharmacies bénéficieront d’une aide pérenne de 20 000 euros.
Merci, madame Vidal, de me donner l’occasion de clarifier mon propos sur l’accès direct. Je ne m’y oppose nullement, mais j’apporte une nuance : s’il n’était pas correctement organisé dans le cadre d’un exercice coordonné, cette solution pourrait être discutable, parce qu’elle pourrait comporter un risque que les patients ayant le plus grand besoin de soins passent après ceux qui bénéficieront de l’accès direct. Je discute fréquemment de cette question avec les représentants des kinésithérapeutes. Spontanément, il peut paraître inutile de devoir consulter un médecin avant de se faire soigner pour une entorse de la cheville. Pour autant, nous devrons nous assurer collectivement que suffisamment de professionnels restent disponibles, par exemple pour prendre en charge une personne lourdement handicapée après un AVC. Au vu des activités des médecins et des kinésithérapeutes dans certaines zones, ce risque ne me paraît pas complètement virtuel.
Monsieur Eskenazi, les centres de santé font effectivement partie de l’offre de soins, et il est vrai que les professionnels de santé sont toujours plus nombreux à souhaiter pratiquer une activité mixte, entre l’hôpital, le centre de santé et l’exercice libéral. Pourquoi pas. Nous aurons probablement l’occasion, en 2025, de renégocier avec les centres de santé, que l’assurance maladie soutient à travers une convention ad hoc. Nous devrons néanmoins tirer tous les enseignements du rapport que l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) a consacré à cette question.
M. le président Jean-François Rousset. En matière de transport, on ne parle jamais des indemnités kilométriques auxquelles les patients peuvent prétendre quand ils utilisent leur voiture personnelle. Pour avoir rempli de nombreux bons de transport, je peux affirmer que ce n’est pas la case qu’on coche le plus facilement. Ne faudrait-il pas étudier la possibilité de remplacer, dans certains cas, les transports en taxi par l’utilisation du véhicule personnel ?
M. Thomas Fatôme. Nous avons essayé, ces dernières années, de simplifier les modalités de recours à la voiture personnelle, mais sans doute cette possibilité est-elle insuffisamment connue. L’incitation, l’accompagnement, l’information méritent probablement d’être approfondis pour que les personnes concernées sachent qu’elles peuvent bénéficier d’une prise en charge.
M. Jean-François Fruttero. Pour répondre à M. Limongi, il est vrai que la France a été, tout au long de l’année 2024, le théâtre d’un certain nombre de mouvements agricoles, au cours desquels les agriculteurs ont fait remonter diverses revendications, dont certaines concernaient leurs institutions. La prise en charge et l’accompagnement assurés par la MSA en faisaient partie – vous avez évoqué les questions d’accessibilité, d’accompagnement, de simplification, de décomplexification. Nous n’avons pas attendu ces événements pour porter très clairement l’ambition d’être pleinement à l’écoute de nos assurés, d’entendre leurs revendications et de leur proposer des outils pour mettre fin à ces irritants qui, bien souvent, finissent par devenir une source de mal-être, voire par leur faire perdre pied complètement.
La numérisation des procédures, quand elle est possible, peut être une source de simplification. Nous avons aussi créé un réseau de conseillers d’entreprises chargés, dans chaque caisse de MSA, d’aller vers les populations en déshérence administrative et les aider à compléter leurs démarches. Nous avons également développé une offre aux employeurs – qui, en tant que professionnels, ont souvent des attentes très précises et spécifiques – pour prendre en charge, par exemple, les situations ayant trait au titre emploi simplifié agricole, le Tesa, qui permet de remplir les formalités liées à l’embauche et aux bulletins de salaire.
Ces outils doivent s’accompagner d’une amélioration continue de la qualité de service. Cette ambition répond à des attendus et à des indicateurs définis dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) qui nous lie à l’État, comme l’accueil téléphonique et les réponses aux questions de nos ressortissants. Nos agences de proximité, qui ont vocation à accompagner les populations localement, forment un réseau présent dans chaque département. La MSA s’est aussi investie, depuis quelques années, pour déployer une offre d’accompagnement et de services complémentaire dans le cadre du dispositif France Services. Elle fait ainsi partie des opérateurs reconnus par la loi et a, en plus, fait le choix politique d’accueillir plus de quatre-vingts maisons France Services, qui assurent une prise en charge de premier niveau au bénéfice de ses assurés.
En plus d’accompagner et de simplifier, nous voulons humaniser la relation : nous devons rapprocher nos ressortissants de leur organisme de protection sociale, qui est souvent vu comme lointain, voire à part. La MSA, de par son agilité, a vocation à agir au plus près de ses assurés. Notre volonté est donc bien de déployer l'ensemble des dispositifs que j’ai décrits, avec autant de bienveillance et d’attention que possible.
L’aide au répit administratif fait partie des réponses que nous pouvons apporter à des personnes en proie à la déshérence sociale et psychologique. Depuis l’année dernière, nous mobilisons ainsi, sur nos fonds propres, une enveloppe financière destinée à accompagner nos ressortissants, dont certains ont totalement perdu pied, au point de ne plus ouvrir leur courrier. Nos travailleurs sociaux ou nos conseillers techniques peuvent, en lien avec les centres de gestion, auditer une exploitation en vue d’aider un assuré et d’essayer de lui remettre le pied à l’étrier. Ce dispositif fonctionne. Notre ambition est donc bien de faire preuve de bienveillance et d’aller vers les personnes pour identifier les situations problématiques le plus en amont possible et y apporter la réponse la plus adaptée.
Madame Bamana, la question de Mayotte mobilise fortement la MSA, qui a notamment été aux avant-postes pour accompagner financièrement ses assurés après le passage du cyclone Chido : 1 342 non-salariés agricoles ont ainsi bénéficié très rapidement d’un premier secours. Ces populations sont effectivement gérées par la caisse de MSA d’Armorique, qui prend en charge leur protection sociale, en lien avec Mayotte. Les référents locaux ne m’ont pas fait de retour sur la qualité de service, qui semble conforme à leurs attentes. Il est vrai qu’ils aspirent à une forme d’envol, mais cette question politique dépasse le champ de la MSA. Pour l’heure, nous mettons tout en œuvre pour accompagner Mayotte dans les meilleures conditions. Le président de la caisse de sécurité sociale (CSS) de Mayotte est invité très régulièrement aux instances politiques de la MSA et a tout loisir de nous faire remonter les situations problématiques.
Vous avez raison, monsieur Eskenazi : la bataille entre mairies pour attirer des professionnels de santé est une réalité. Les embaucher sous le statut de salariés fait partie des possibilités : tout ce qui peut concourir à l’accès aux soins et à l’installation des professionnels de santé doit être envisagé, y compris en leur permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Le modèle du médecin libéral qui travaille tous les jours jusqu’à 22 heures est en effet derrière nous, ce qui est d’autant plus normal dans une profession qui se féminise. Nous avons donc vocation à accompagner, notamment à travers l’outil GéoMSA, les professionnels de santé et les collectivités locales dans cette réflexion autour de l’offre de soins. L’objectif n’est bien sûr pas de se battre pour attirer les professionnels de santé, mais de faire en sorte qu’ils s’implantent dans les meilleures conditions possible compte tenu du vivier dont nous disposons.
Mme Magali Rascle. Pour répondre à Mme Lepvraud et à M. Garot, la MSA ne dispose pas, à ma connaissance, de chiffres concernant le surcoût lié au renoncement aux soins et à l’aggravation des pathologies. Peut-être des recoupements pourraient-ils être effectués à partir du jeu de données très fourni dont nous disposons, mais il me semble difficile d’identifier spécifiquement le rôle de la désertification médicale dans le renoncement aux soins, qui s’explique aussi par des obstacles d’ordre psychologique ou culturel – on dit souvent que les agriculteurs sont durs au mal, par exemple, et cette image d’Épinal a une traduction dans la réalité. Je prends bonne note de cette question, qui pourrait faire l’objet de travaux dans le cadre du rapport annuel « charges et produits » ou de l’appel à projets lancé chaque année par le conseil scientifique de la MSA.
En plus de GéoMSA, nous venons de créer un outil de data visualisation pour donner à voir de façon intelligible, sous forme de récits, les données du régime agricole. Deux premiers récits sont disponibles sur notre site internet : « Les territoires et l’accessibilité aux soins » et « Portraits de santé et des principales pathologies » au sein de notre population, jusqu’à la maille communale. Cet outil constitue un premier niveau de réponse à certaines de vos questions sur les données.
Pour ce qui est du financement des solutions innovantes, nous comptons continuer, dans la mesure de nos capacités financières et dans le cadre de la COG 2026-2030, à promouvoir et à développer des actions innovantes en santé. L’appel à projets « Coup de pouce prévention », par exemple, connaît un grand succès auprès des acteurs locaux.
Plus largement, nous sommes ouverts à toutes les solutions qui permettront de répondre à la fois aux aspirations légitimes des professionnels de santé et aux besoins de la population. En ce sens, il faut laisser la porte ouverte à toutes les initiatives. La MSA soutient ainsi plusieurs opérations de Médecins solidaires et d’autres acteurs. Les centres de santé peuvent faire partie de ces solutions dans certains territoires, en association avec toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Les téléconsultations, par exemple, si elles n’ont pas vocation à être utilisées seules, peuvent, dans certains cas, répondre à des besoins, à condition de s’inscrire dans un accompagnement global.
M. Thomas Fatôme. Pour répondre à M. Frappé sur le zonage médical, les ARS sont désormais tenues de le mettre à jour tous les deux ans, ce qui paraît tout à fait pertinent au vu de son impact sur l’application de mécanismes coercitifs ou incitatifs : il est important de garantir la régularité et la prévisibilité des actualisations.
M. le président Jean-François Rousset. Merci pour vos interventions. Vous aurez la possibilité, si vous le souhaitez, de compléter vos réponses auprès de notre secrétariat.
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La séance s’achève à dix-huit heures cinq
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Présents. - Mme Anchya Bamana, M. Théo Bernhardt, M. Romain Eskenazi, M. Thierry Frappé, M. Guillaume Garot, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Christine Loir, M. Jean-François Rousset, M. Lionel Tivoli, Mme Annie Vidal
Assistait également à la réunion. - Mme Joëlle Mélin