Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Table ronde des établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), ouverte à la presse, réunissant M. Charles Guepratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés (Fehap) et M. Arnaud Joan Grange, directeur de l’offre de soin et de la coordination des parcours de santé, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer et Mme Sandrine Boucher, directrice stratégie médicale et performance... 2
– Présences en réunion............................16
Mardi
6 mai 2025
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq
M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Cette séance porte sur les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), catégorie créée par la loi « hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) de 2009.
Les Espic indiquent s’inscrire pleinement dans l’économie sociale et solidaire. Ils sont issus du monde associatif, des fondations, de l’univers mutualiste ou du champ de la protection sociale. Notre commission s’intéresse aux modalités de participation de vos établissements au service public de santé, notamment concernant la permanence des soins.
Je vous invite à prononcer chacun une intervention liminaire, avant de procéder à un échange sous forme de questions-réponses.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Charles Guepratte, Mme Sophie Beaupère, M. Arnaud Joan Grange et Mme Sandrine Boucher prêtent successivement serment.)
M. Charles Guepratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap). La Fehap rassemble aujourd’hui près d’un millier d’Espic couvrant l’ensemble des champs sanitaires. Notre présence est particulièrement forte en médecine, chirurgie, obstétrique, dans les soins médicaux de réadaptation (SMR), en psychiatrie, en dialyse, en hospitalisation à domicile et dans les soins de longue durée, ainsi que dans les centres de santé. Notre fédération représente environ 21 % de l’offre nationale en SMR, la moitié des capacités de dialyse et près de la moitié des capacités d’hospitalisation à domicile.
Ces établissements, engagés pour leur très grande majorité sous le statut d’Espic, se positionnent résolument comme partie intégrante du service public hospitalier. À ce titre, ils en assurent pleinement les missions définies comme essentielles à l’intérêt général : les urgences, la permanence des soins, l’accueil des publics précaires ou fragiles, la prévention, la formation, la recherche, sans jamais poursuivre de but lucratif.
La composition de notre patientèle témoigne de cet engagement avec 21 % de personnes âgées et 6 % de personnes en situation de handicap accueillies dans nos établissements, des proportions supérieures à la moyenne nationale. J’ajouterai également une surreprésentation des patients précaires, comme l’a démontré une étude récente.
La gouvernance associative, spécifique aux établissements Fehap, constitue un modèle inspirant pour l’ensemble du système de santé. Moins bureaucratique, cette gouvernance repose sur une souplesse statutaire favorisant une réactivité accrue face aux réalités du terrain, tout en maintenant une transparence et une responsabilité élevées grâce à une gestion par des bénévoles élus, sans autre intérêt que l’intérêt général. Nos conseils d’administration sont composés de bénévoles issus de la société civile et ancrés dans leur territoire, ce qui leur confère une force et une légitimité considérables, et leur permet une projection dans le temps long, ce qui n’est pas toujours le cas dans les secteurs public ou privé commercial. Cette singularité permet une adaptation rapide et efficace aux défis locaux et régionaux, loin des lourdeurs administratives parfois observées dans d’autres secteurs et imposées par la norme ou le règlement.
Par ailleurs, nos établissements sont soumis à une rigueur de gestion exigeante, liée à une réelle exposition aux risques. Contrairement au secteur public, nos établissements peuvent disparaître, être liquidés, repris à la barre du tribunal ou simplement fermés. Cette réalité nous oblige à rechercher une certaine efficience et un équilibre permettant à la fois de maintenir nos opérations et d’investir dans l’avenir.
Cette obligation permanente d’adaptation se traduit par une dynamique particulièrement marquée dans certains domaines. Ainsi, nous avons été à la pointe du développement de la chirurgie ambulatoire et des soins spécialisés d’excellence, notamment en chirurgie cardiaque, en neurologie ou encore en cancérologie.
Les établissements de la Fehap occupent donc une place particulière en matière d’accès aux soins. Les centres de santé que nous gérons sont actuellement confrontés à une fragilité économique majeure, justifiant la négociation en cours d’un nouvel accord de santé professionnel avec la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Notre fédération œuvre activement à la consolidation de l’offre de soins, qui est décisive pour le maintien de l’accès aux soins dans certains territoires.
Enfin, la Fehap insiste sur la nécessité d’une coopération équilibrée entre les différents acteurs du service public hospitalier, notamment dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et des groupements de coopération sanitaire (GCS). Nous plaidons pour une clarification et une meilleure équité de la gouvernance territoriale de l’offre de soins, permettant à tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés solidaires, de collaborer efficacement sans subir une gouvernance excessivement bureaucratique ou très déséquilibrée. Nous demandons que cette gouvernance territoriale, essentielle pour assurer la fluidité des parcours des patients et des professionnels, puisse s’exprimer sur le terrain à travers des outils de collaboration plus agiles.
C’est en capitalisant sur les spécificités de notre modèle que la Fehap souhaite continuer à contribuer activement à l’amélioration du système de soins français, garantissant une offre accessible, équitable et de haute qualité sur l’ensemble du territoire.
Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer. Nos établissements, entièrement dédiés au service public et dépourvus de but lucratif, n’exercent aucune activité libérale. Nos missions principales englobent les soins, la recherche, l’innovation, et, de façon croissante, la prévention.
L’activité de recherche revêt une importance capitale pour mettre rapidement à disposition des patients les dernières innovations. Il convient de rappeler que les centres de lutte contre le cancer jouent un rôle prépondérant dans la recherche clinique, avec 16 % de nos patients inclus dans des essais thérapeutiques. Unicancer, en tant que fédération et groupement de coopération sanitaire, mutualise les activités de recherche et de gestion des données. Cette organisation nous positionne comme le premier promoteur d’essais académiques en oncologie à l’échelle européenne. Cela nous permet notamment de mener des études cruciales, telles que l’essai Unicancer axé sur la désescalade thérapeutique, une approche essentielle pour améliorer la qualité de prise en charge des patients.
À l’instar des autres acteurs de la cancérologie, nos centres font face à une augmentation significative de l’activité. Il est important de noter que l’incidence des cancers a doublé en 30 ans. Nos établissements enregistrent une des plus fortes progressions d’activité du secteur de la santé, avec une croissance annuelle de 7 %. Nous relevons ce défi grâce à un certain nombre de collaborations. Le partenariat avec la Fehap, par exemple, est rendu possible par un maillage territorial conséquent.
Nous accordons une attention particulière aux territoires d’outre-mer, qui présentent des défis spécifiques. Nos établissements et nos professionnels travaillent en étroite collaboration avec le conseil de l’outremer, organisant notamment des réunions de concertation pluridisciplinaires dédiées au traitement de cas complexes.
La combinaison de nos atouts nous permet de déployer une stratégie efficace de lutte contre le cancer sur l’ensemble du territoire, en collaboration avec les autres établissements de santé et les professionnels libéraux. Parmi ces atouts, je souhaite mettre en avant notre gouvernance souple et efficace, reposant sur un binôme médico-administratif composé d’un directeur général professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) et d’un directeur général d’hôpital. La taille de nos établissements, allant de 800 à 4 000 salariés, offre une flexibilité organisationnelle, renforcée par une forte délégation de gestion aux départements médicaux.
Nous nous concentrons sur la recherche et la qualité de la prise en charge, dans une logique d’amélioration continue et d’optimisation des innovations, qu’elles soient scientifiques, techniques ou organisationnelles.
Nous investissons de plus en plus dans le domaine de la prévention, tirant parti des avancées scientifiques, notamment en biologie moléculaire, qui permettent une personnalisation accrue des traitements, du dépistage et de la prévention. Nous développons actuellement plusieurs programmes novateurs visant à renforcer la prévention, notamment pour les personnes à haut risque de cancer, mais aussi dans le but de prévenir les séquelles des traitements et d’assurer un suivi post-traitement adapté.
Nous sommes confrontés à des problématiques d’équité de traitement, notamment vis-à-vis des hôpitaux publics. Nous n’avons bénéficié que partiellement des mesures de revalorisation destinées aux personnels des hôpitaux publics, en ne percevant que 45 % de l’enveloppe allouée. Malgré des mesures correctives et la suppression des coefficients de minoration, un écart tarifaire de 2,5 % persiste entre nos tarifs et ceux des hôpitaux publics.
Néanmoins, nous poursuivons notre mission avec détermination, en proposant des innovations permettant par exemple le développement des chimiothérapies à domicile en collaboration avec l’hospitalisation à domicile. Nous déployons plusieurs projets dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, visant à faire évoluer l’organisation des soins et à contribuer à la transformation et à l’amélioration de la performance du système de santé.
Plusieurs orientations nous semblent cruciales en cancérologie, notamment le renforcement de l’accès précoce aux soins palliatifs, l’amélioration du remboursement des actes de biologie médicale, essentiels à la prise en charge des patients, et la poursuite du développement de parcours coordonnés entre la ville, l’hôpital et les différents professionnels de santé.
Enfin, l’attractivité des métiers représente un enjeu majeur, en santé de manière générale et en cancérologie en particulier. Nous préconisons le développement de pratiques avancées pour les paramédicaux, au-delà des infirmiers, incluant par exemple les manipulateurs radio et les techniciens de laboratoire. Cela permettrait de soutenir le personnel médical et d’intégrer les nouvelles technologies, le numérique et l’intelligence artificielle pour améliorer la coordination entre les professionnels de santé.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le statut d’établissement à but non lucratif offre certains avantages, notamment la possibilité d’investir davantage dans le bien-être et l’amélioration des conditions de travail, sans la contrainte de dégager un résultat financier. Dans ce contexte, comment se positionnent les rémunérations des médecins employés par vos établissements, comparativement à celles qui s’observent dans le secteur public ou même dans les cliniques privées ?
Vous avez évoqué un système de gouvernance spécifique. Pourriez-vous développer davantage ce point ? Quelle est exactement la structure de gouvernance mise en place et dans quelle mesure serait-elle transposable aux établissements publics ?
Vous n’avez pas beaucoup parlé des urgences. Quelle est votre contribution à la permanence des soins dans ce domaine ? Quelles relations entretenez-vous avec les hôpitaux publics pour optimiser la prise en charge des urgences ?
Enfin, concernant la dimension territoriale, vous avez particulièrement insisté sur votre présence dans les territoires d’outre-mer. Pourriez-vous préciser concrètement le nombre de lits disponibles dans chaque territoire ultramarin ? Quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour attirer davantage d’oncologues dans ces régions ?
M. Charles Guepratte. Il existe un écart entre les établissements publics et les établissements privés et solidaires dans la manière dont ils sont rémunérés. Des coefficients pondèrent ou minorent nos revenus d’activité liés à la politique salariale de l’employeur public.
Concernant la tarification à l’activité (T2A), l’employeur décide des mesures catégorielles retranscrites dans les tarifs. N’ayant pas choisi de transposer intégralement cette dynamique salariale aux autres secteurs, il minore les tarifs du secteur privé non lucratif d’environ 1,7 à 1,8 % pour compenser les différences salariales avec le service public.
Un écart existe, plutôt en faveur du service public pour les professionnels médicaux, qui sont mieux rémunérés à l’hôpital public que dans nos établissements, du moins selon notre convention collective. Néanmoins, chaque établissement dispose d’une liberté dans sa politique de rémunération, notamment pour le personnel médical. Nos établissements ont des accords locaux souvent plus favorables que la convention collective pour les médecins.
Pour mener une politique salariale généreuse, un financement équitable est nécessaire. La différence de financement, bien que paraissant faible, représente des sommes considérables que nous ne pouvons pas réinvestir dans l’attractivité des métiers. Cette problématique concerne non seulement les médecins, mais aussi les infirmières, les aides-soignants, les éducateurs, les psychologues, et bien d’autres professions.
Nous constatons un véritable décrochage depuis la fin de la crise du Covid et la forte dynamique salariale de l’hôpital public. Nous tentons de corriger cette situation. Le gouvernement a accepté la suppression du coefficient de minoration lié à un supposé différentiel de charges sociales entre les Espic et les hôpitaux publics. Ce différentiel n’existant plus, le coefficient a totalement disparu cette année.
Notre principe fondamental est : « même mission, même rémunération des établissements ». Cela ne signifie pas une politique salariale identique à celle de la fonction publique. L’agilité des Espic réside justement dans une politique salariale plus dynamique et plus souple, ne dépendant pas directement du ministère. Notre ambition est d’être un employeur plus dynamique, gérant également une convention collective.
Concernant la gouvernance, elle est effectivement plus agile, plus souple et plus claire dans nos établissements. Nous distinguons clairement le rôle du président du conseil d’administration, issu de la société civile, qui définit les orientations et la stratégie, de celui du directeur qui met en œuvre cette stratégie sous le contrôle du conseil d’administration.
Dans le secteur public, la gouvernance semble plus complexe, avec une forme de dissolution des responsabilités et des centres de pouvoir, rendant parfois le pilotage des établissements plus difficile. Chez nous, la relation entre le corps médical et l’établissement est très claire, tous les personnels étant recrutés sous la responsabilité du chef d’établissement.
Cette organisation permet un circuit de décision court, tout en maintenant un véritable engagement de la gouvernance dans l’intérêt général, nos administrateurs étant issus de la société civile. Nous pensons que la généralisation de ce modèle non lucratif dans le système de santé aurait du sens, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens.
Le code de la santé publique ne régit pas l’organisation interne de nos établissements de manière aussi détaillée que pour l’hôpital public. Nos conférences médicales d’établissement jouent un rôle plus générique, offrant plus de flexibilité dans la gestion. L’organisation en pôles, par exemple, n’est pas imposée. Chaque établissement décide de sa structure en fonction de ses besoins.
Cette souplesse et cette agilité managériale sont extrêmement précieuses. Elles nous permettent d’être réactifs dans des opérations de reprise d’autres établissements en difficulté, qu’ils soient privés non lucratifs ou commerciaux. Ces opérations, qui se produisent plusieurs fois par an dans notre secteur, peuvent être menées rapidement, en quelques semaines ou en quelques mois.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quels sont les profils des administrateurs ?
M. Charles Guepratte. Ils sont extrêmement variés, comme dans la société civile. Nous comptons parmi eux des dirigeants de grandes entreprises du CAC 40, des notaires, des avocats, et de nombreux professionnels du domaine juridique. Nous avons également d’anciens dirigeants de structures, particulièrement dans le secteur médico-social, ainsi que d’anciens directeurs devenus présidents.
Parmi nos administrateurs figurent aussi d’anciens directeurs généraux d’agences régionales de santé (ARS), des hauts fonctionnaires, et des personnes issues de divers horizons de la société civile. Certains continuent d’exercer leur activité professionnelle principale tout en assumant leur rôle de président. Nous comptons quelques médecins, bien que leur nombre soit relativement limité, tout comme celui des médecins-directeurs, malgré la possibilité qui leur est offerte depuis longtemps d’occuper ces fonctions. Cette diversité de profils contribue à enrichir notre gouvernance et à apporter des perspectives variées dans la gestion de nos établissements.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant la partie rémunération, vous avez indiqué que l’on se situait toujours au-dessus de la convention collective. Cependant, vous n’avez pas fourni d’éléments concrets pour établir une comparaison avec un praticien hospitalier. Si nous excluons les situations particulières et nous concentrons sur une moyenne, quelle serait la différence, en pourcentage ou en valeur absolue, mensuelle ou annuelle ?
M. Charles Guepratte. Les informations sur les rémunérations ne sont pas les plus transparentes au sein de notre fédération, les accords étant conclus localement, ce qui peut induire une certaine concurrence entre les établissements. Je rejoins votre constat sur la lisibilité des rémunérations dans le secteur public. Mais nous savons aussi qu’il existe des pratiques, notamment concernant les astreintes ou le temps de travail additionnel, qui peuvent être qualifiées « d’exotiques » et permettent des compléments de rémunération dans des situations spécifiques.
Je ne peux pas vous donner de chiffres précis sur les écarts moyens. Notre positionnement est évalué au cas par cas, en fonction de la grille des médecins. Pour les spécialités en tension, comme l’anesthésie, des efforts considérables sont consentis en matière de rémunération. Les politiques salariales de nos adhérents évoluent en fonction des besoins et des tensions sur le marché du travail local.
Notre objectif est généralement de nous aligner sur le secteur public. En extraconventionnel, nous visons à être aussi compétitifs que le secteur public. Il faut prendre en compte les primes de multi-activités et les différents éléments qui composent les packages salariaux du public, qui peuvent être importants. Cette approche vise à retenir les professionnels dans le secteur public.
Globalement, nous nous efforçons de rester compétitifs par rapport au public, sinon nous ne parvenons pas à recruter. Cette stratégie est possible pour les médecins, qui représentent un effectif restreint, mais elle n’est pas applicable aux personnels soignants en raison de l’effort financier trop important que cela représenterait par rapport aux ressources des établissements.
Je dirais que nous sommes approximativement au niveau des établissements publics et de la fonction publique hospitalière pour la rémunération des praticiens. Nous avons l’avantage d’une plus grande souplesse pour valoriser les valences managériales, l’engagement institutionnel, la recherche, etc. Ces éléments sont des incentives, une forme de rémunération complémentaire pour ceux qui s’investissent davantage.
La comparaison avec le secteur privé commercial est plus complexe, car les modèles sont très différents. Nos études comparatives entre les libéraux intervenant en clinique et nos salariés montrent des écarts de 30 % à 200 %. Nous sommes largement en deçà des revenus des libéraux, même en tenant compte des redevances. La rémunération nette des libéraux est au minimum 20 % à 30 % supérieure à ce que nous pouvons offrir.
Mme Sophie Beaupère. Concernant la gouvernance des centres, il est important de souligner que les directeurs généraux sont des PU-PH nommés par le ministre de la santé. Les préfets président les conseils d’administration, lesquels incluent des représentants d’associations et du monde économique. La gouvernance est très lisible et la prise de décision très efficace, grâce à une ligne hiérarchique courte et claire.
La rémunération constitue actuellement notre enjeu majeur, particulièrement pour fidéliser certaines professions médicales comme la radiothérapie, la médecine nucléaire et l’imagerie. Nous faisons face à des écarts de rémunération significatifs, non seulement avec le secteur libéral, mais aussi avec l’hôpital public. Ce dernier offre la possibilité d’une activité libérale, dont la valorisation a été doublée à la suite d’une décision de Marisol Touraine. Cette double valorisation, bénéficiant à la fois aux médecins et aux hôpitaux, crée un différentiel d’attractivité que la Cour des comptes a relevé.
Nous n’autorisons pas l’activité libérale, conformément à nos statuts et à notre philosophie. Cela engendre un écart de rémunération conséquent qui met en difficulté certains centres pour les spécialités mentionnées. Nous parvenons à attirer et former de jeunes professionnels, mais peinons à les retenir dans ces domaines spécifiques, ce qui compromet notre capacité future à assurer les activités évoquées.
Concernant les personnels paramédicaux, les mesures Ségur, Guérini et Braun n’ayant pas été intégralement appliquées, leurs rémunérations dans nos centres sont inférieures à celles du secteur public, comme le soulignent régulièrement les rapports sur les écarts de rémunération. Cette situation génère des tensions, particulièrement pour certaines professions comme les manipulateurs radio, où nous constatons des difficultés majeures de recrutement liées à ces différences salariales.
M. le président Jean-François Rousset. Que pouvez-vous nous dire concernant les oncologues médicaux ? Il est notoire qu’ils sont moins bien rémunérés et moins enclins à choisir ces carrières.
Mme Sophie Beaupère. Concernant les oncologues médicaux, nous constatons une meilleure attractivité comparée à d’autres spécialités. Les écarts de rémunération avec l’hôpital public sont moins importants, notamment pour ceux pratiquant une activité libérale. Cette situation diffère de celle des radiothérapeutes ou des médecins nucléaires, pour lesquels les écarts sont plus conséquents. Les centres de lutte contre le cancer attirent particulièrement les oncologues médicaux grâce à la flexibilité offerte entre les activités de soins et de recherche.
Néanmoins, nous faisons face à une tension générale sur les effectifs médicaux, touchant également des spécialités comme l’oncologie et la dermatologie. Cette situation renforce notre mission d’expertise et de maillage territorial. Nous développons davantage les consultations avancées, une pratique existante où nos professionnels assurent des consultations dans les territoires. Les innovations technologiques, telles que la télémédecine et la téléexpertise, nous permettent d’optimiser notre présence.
Ce rôle de coordination territoriale s’intensifie en raison de la pénurie de personnel médical. Bien que les centres ne soient pas les premiers touchés, les hôpitaux généraux de certains territoires sont particulièrement affectés. En conséquence, nous innovons dans nos organisations. Par exemple, nous mettons en place des projets de labellisation de services de chimiothérapie dans des hôpitaux généraux en difficulté. La primo-prescription de chimiothérapie est initiée dans nos centres ou par l’un de nos professionnels sur place, après quoi un suivi est assuré dans les hôpitaux généraux. Cette relation de soins est cruciale et se renforcera inévitablement dans les années à venir, compte tenu de l’augmentation de l’activité liée au vieillissement de la population et des tensions sur les ressources médicales spécialisées.
Concernant l’outre-mer, notre action va au-delà de la gestion directe de lits. Nous apportons un soutien significatif. En Polynésie française, par exemple, nous avons créé il y a trois ans un institut de cancérologie, intégré à notre groupe de coopération sanitaire. Cet institut assure à la fois la prise en charge des patients et la coordination de la stratégie de lutte contre le cancer sur le territoire.
Pour les autres territoires d’outre-mer, nous organisons des réunions de concertation pluridisciplinaire, menées par différents médecins de nos centres, souvent en horaires décalés. Par exemple, l’institut Gustave-Roussy couvre toute la région Pacifique pour fournir des avis d’experts, une activité non financée spécifiquement. Cette démarche permet de traiter les cas complexes, nos centres étant référents pour différents territoires : Rennes pour Saint-Pierre-et-Miquelon, le centre François Baclesse à Caen pour la Guyane.
Nous développons également des postes partagés d’assistants, formés dans nos centres et envoyés en outre-mer pour renforcer l’attractivité de ces postes. Nous avons présenté au ministère de la santé une stratégie globale visant à améliorer les délais de dépistage et de prévention, ainsi que la coordination des parcours de soins, particulièrement cruciale dans certains territoires d’outre-mer confrontés à des problématiques aiguës de délais de prise en charge.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de la concurrence avec les acteurs privés, particulièrement dans le domaine de la radiothérapie ?
Mme Sophie Beaupère. L’offre de radiothérapie en France est équitablement répartie entre le secteur privé et le service public. Nos centres représentent plus de 50 % de l’offre publique, ce qui souligne notre rôle prépondérant dans ce domaine. Actuellement, l’enjeu majeur concerne l’évolution du financement de la radiothérapie. Le système actuel, basé sur un paiement à la séance, n’est plus en adéquation avec les avancées techniques de la discipline.
Les nouvelles technologies permettent de développer l’hypo-fractionnement, réduisant ainsi le nombre de séances nécessaires. Cependant, le financement actuel n’incite pas à l’adoption de ces pratiques plus efficientes. Nous collaborons donc avec l’ensemble des acteurs de la radiothérapie, sous l’égide du ministère de la santé, pour faire évoluer ce système de financement au bénéfice des patients.
Les études menées par Unicancer, reconnues au niveau européen et international, démontrent que l’hypo-fractionnement, utilisant moins de séances avec des techniques innovantes, permet d’obtenir des résultats équivalents, voire supérieurs. Notre objectif principal est de modifier les modalités de financement, en passant à un système de forfaits et de parcours. Cette évolution encouragerait tous les acteurs à s’engager dans une démarche vertueuse d’optimisation des soins.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vos propos pourraient laisser entendre que le système actuel de rémunération à la séance inciterait certains praticiens à multiplier les séances au-delà du nécessaire dans le cadre d’un parcours de soins optimal. Est-ce bien le cas ?
Mme Sophie Beaupère. Ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire. L’instauration d’un financement forfaitaire, basé sur un nombre de séances prédéfini, entraînerait une transformation du parc d’équipements de radiothérapie. Cette évolution inciterait l’ensemble des acteurs à investir davantage dans l’innovation, car ce sont les machines les plus avancées qui permettent de réduire le nombre de séances. Ainsi, cette modification du modèle de financement aurait pour conséquence directe une modernisation du parc et, par extension, une diminution du nombre total de séances.
M. Arnaud Joan Grange, directeur de l’offre de soin et de la coordination des parcours de santé. Cette discussion nous amène naturellement à aborder la question des services d’urgence et de leur financement, un sujet que nous avons quelque peu négligé jusqu’à présent. Si l’on considère les moyennes nationales, nos établissements représentent 30 services d’urgence sur les 600 existants en France, soit environ 5 %. Les chiffres plus précis fournis par le ministère de la santé indiquent une part comprise entre 5 et 8 % dans la prise en charge des soins urgents.
Cependant, au-delà de ces chiffres, il est crucial de souligner l’importance stratégique de nos services d’urgence, particulièrement dans les zones peu denses. Par exemple, le seul service d’urgence couvrant la pointe du Médoc en Gironde est un établissement à but non lucratif. Cela illustre parfaitement la mission de service public qui nous a été confiée avant la création des agences régionales de santé, une mission essentielle dans la réponse territoriale aux besoins de santé.
Néanmoins, les réformes récentes du financement des urgences par les ARS suscitent certaines inquiétudes quant à la couverture financière de ces missions. L’importance accrue accordée à la décision régionale dans l’allocation des ressources peut parfois conduire à des situations où les moyennes statistiques influencent excessivement les décisions, au détriment des réalités locales.
Cette problématique se retrouve également dans le financement de la permanence des soins. Le système de financement, bien que subtil et complexe, relève in fine d’une décision régionale, parfois soumise aux rapports de force locaux. Par exemple, en Île-de-France, nous avons constaté que certains financements provenant du fonds d’intervention régional (FIR) étaient alloués de manière inégale entre les établissements.
L’un des enjeux majeurs des mois à venir concerne la révision des schémas de permanence des soins et la formalisation de l’organisation des lignes de garde et d’astreinte. Notre principale préoccupation est que l’exercice effectif de la permanence des soins que nous assurons ne soit pas entièrement couvert par les lignes de financement régionales. Nous y contribuons activement, mais la question cruciale reste celle de la cohérence entre notre contribution réelle et sa reconnaissance, tant par les pouvoirs publics que sur le plan financier.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les ressources humaines, nous nous interrogeons sur l’accès aux internes dans vos établissements.
D’autre part, nous aimerions savoir si vous rencontrez des conflits sociaux similaires à ceux observés dans les hôpitaux privés, ou si votre mode de gestion et de management permet de les atténuer.
Enfin, pourriez-vous nous éclairer sur la fiscalité de vos établissements comparativement aux structures privées ?
M. Charles Guepratte. Concernant les internes, la situation n’est pas homogène. Les facultés de médecine et les ARS décident de l’affectation des internes. Nous insistons fortement pour maintenir et développer des stages dans nos Espic. Nous travaillons également à une forme d’universitarisation de nos structures.
Actuellement, des professeurs exercent dans nos établissements par voie de détachement, principalement dans nos plus grands centres comme à Lyon, dans le nord de la France et à Paris. Ces établissements, qui comptent plusieurs milliers de lits, se concentrent sur des activités de recours et de recherche. Nous promouvons activement cette approche pour garantir notre activité et fidéliser les professionnels.
L’accueil d’internes en stage augmente significativement nos chances de les retenir une fois leur formation achevée. Nous ne sommes pas systématiquement exclus de l’accès aux internes, puisque des milliers d’entre eux effectuent des stages dans nos établissements chaque année. Néanmoins, nous souhaiterions en accueillir davantage, notamment au regard de notre contribution dans certaines spécialités.
Quant aux conflits sociaux, il est difficile de répondre précisément sans indicateurs de conflictualité spécifiques. Empiriquement, nous constatons moins de conflits sociaux dans nos établissements. Lorsqu’ils surviennent, ils sont souvent liés à des mouvements nationaux concernant les rémunérations ou l’équité. Les revendications portent généralement sur l’alignement des salaires avec ceux du secteur public ou privé commercial, bien que la comparaison avec ce dernier soit moins pertinente du fait de nos modes de fonctionnement différents.
Les conflits sont principalement axés sur des politiques d’attractivité et de rémunération jugées insuffisantes, avec une dimension nationale prédominante. Bien entendu, des situations locales complexes peuvent survenir, comme dans toute organisation humaine : difficultés de management, de positionnement, crises financières ou de gouvernance. Cependant, notre taille et notre mode de gouvernance nous permettent généralement de désamorcer les tensions plus rapidement.
Notre structure nous offre une plus grande flexibilité pour répondre aux problématiques spécifiques. Par exemple, nous pouvons rapidement mettre en place des dispositifs pour accompagner la pénibilité ressentie par certains corps de métier ou décider d’une prime pour les secteurs en forte tension ou confrontés à des difficultés de recrutement.
M. Arnaud Joan Grange. La fiscalité est un sujet sur lequel nous nous interrogeons fréquemment. Nous faisons appel à des expertises externes pour nous accompagner sur ces questions complexes. Notre approche n’est pas orientée vers une logique d’optimisation fiscale. Nous opérons principalement sous un statut associatif, même si la forme juridique de l’Espic ne se limite pas aux associations. Notre priorité est d’obtenir un appui et un soutien pour nos établissements sur ces questions fiscales.
Mme Sophie Beaupère. Concernant l’accès aux internes, nous rencontrons parfois des difficultés sur certains territoires, malgré notre statut universitaire. Des conventions tripartites existent généralement entre universités, centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres de lutte contre le cancer (CLCC). Cependant, certaines conventions ne sont pas à jour, ce qui peut compliquer l’obtention de validations pour des postes de PU-PH. Nous échangeons activement avec le ministère de la recherche sur ce sujet préoccupant.
La permanence des soins constitue un autre enjeu majeur. Les financements alloués aux centres ont considérablement diminué : ils ont été divisés par dix entre 2011 et aujourd’hui, et ce malgré la reconnaissance par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de notre rôle dans l’accueil non programmé de patients déjà connus. Cette situation est d’autant plus critique que la prise en charge à domicile est appelée à se développer, nécessitant une réflexion approfondie sur l’organisation de la permanence des soins.
En matière de dialogue social, notre branche patronale, qui représente 25 000 salariés, a signé 30 accords en quatre ans, démontrant un dynamisme certain. Nous abordons des sujets variés, au-delà des seules questions de rémunération, comme la qualité des conditions de travail et l’égalité professionnelle. Cette approche nous permet de construire des parcours professionnels cohérents et de limiter les conflits sociaux, malgré les tensions persistantes sur les rémunérations.
Mme Annie Vidal (EPR). Monsieur Guepratte, j’ai eu l’occasion d’échanger avec votre fédération il y a quelques années, notamment lors de la revalorisation des praticiens hospitaliers. À l’époque, vous aviez exprimé des inquiétudes concernant l’impossibilité pour vos médecins salariés d’effectuer des consultations privées, contrairement à leurs homologues hospitaliers, craignant ainsi un exode vers les établissements publics. Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation actuelle ?
Par ailleurs, vous aviez manifesté le besoin de valoriser les consultations infirmières dans vos établissements. Qu’en est-il aujourd’hui ? Avez-vous également développé l’intégration des infirmiers en pratique avancée (IPA) ?
M. Charles Guepratte. Concernant le secteur 2, nous sommes confrontés à une situation complexe. D’une part, nous devons prendre en compte l’attractivité et la fidélisation du personnel médical, et d’autre part, garantir l’accessibilité économique aux soins. Au-delà de la question des dépassements d’honoraires, nous nous préoccupons du reste à charge zéro et de l’impact réel des dépassements sur l’accès aux soins. Cette problématique est au cœur des réflexions stratégiques de notre conseil d’administration sur l’avenir du privé solidaire et non lucratif. Pour pallier l’impossibilité d’accéder au secteur 2, nous avons mis en place des accords locaux sur les modalités salariales. Cependant, cette question reste un sujet de débat au sein de notre fédération.
Nos centres de santé, notamment infirmiers, sont régulièrement cités comme exemples de démédicalisation de certaines pratiques. Tout en respectant les prérogatives de chaque profession, nous estimons que le temps médical est parfois mal utilisé. Nous préconisons donc une montée en puissance du rôle des infirmiers comme soutien essentiel, capables d’assurer un plus grand nombre d’actes. Nous nous réjouissons des avancées récentes concernant la revalorisation de la profession infirmière, tant sur le plan salarial que sur l’élargissement de leur périmètre d’exercice. Cette évolution est particulièrement cruciale dans le secteur médico-social, où la pénurie de médecins est encore plus marquée que dans le secteur sanitaire. Dans de nombreux cas, l’infirmière est souvent le seul professionnel de santé formé disponible.
Nous plaidons pour une coopération renforcée entre médecins et infirmières, avec un partage équilibré des responsabilités. Concernant les IPA, il est impératif de créer un modèle économique viable. Actuellement, le système n’incite pas suffisamment au déploiement des IPA, malgré leur formation poussée. Nous envisageons leur intégration dans nos centres de santé, notamment pour des consultations complémentaires à celles des médecins, ainsi que dans le secteur médico-social où ils pourraient exercer de manière plus autonome. Cependant, avec seulement 5 000 à 7 000 IPA actuellement, leur nombre reste très limité par rapport aux centaines de milliers d’infirmiers diplômés d’État. Nous cherchons à développer un modèle économique soutenable pour nos structures, particulièrement dans le secteur médico-social où le mode de financement actuel ne permet pas l’intégration optimale des IPA.
Mme Sophie Beaupère. Actuellement, nous comptons environ 50 IPA pour 1 802 centres de lutte contre le cancer. Leur rôle est fondamental, notamment dans des domaines complexes comme l’hématologie. Nous soutenons pleinement le développement des pratiques avancées. Des évolutions positives sont en cours, avec des formations approfondies qui permettront une meilleure allocation des compétences au sein des équipes.
Par ailleurs, les professionnels médicaux et les IPA des centres de lutte contre le cancer élaborent plusieurs projets visant à étendre les pratiques avancées à d’autres professionnels, tels que les manipulateurs en radiologie et les techniciens de laboratoire. Nous espérons obtenir le soutien nécessaire pour ces initiatives qui nous semblent essentielles pour l’amélioration continue de nos organisations.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Concernant la flexibilité du système, nous observons des collaborations entre certains Espic et des CHU, ainsi qu’entre des Espic et des cliniques privées. Quels enseignements tirez-vous de ces expériences ? Pensez-vous qu’il faille encourager cette flexibilité à l’échelle nationale ? Je m’interroge sur l’étendue de ces pratiques et sur votre position à ce sujet.
En ce qui concerne le sujet de l’attractivité, qu’en est-il de la mobilité de votre personnel, qu’il soit médical ou paramédical ? Dans le contexte actuel où nous réfléchissons aux modèles organisationnels des dix prochaines années, et sachant que les professionnels de santé tendent à être plus mobiles, comment votre modèle s’adapte-t-il ? Observez-vous des mobilités ou des mixités d’exercices ? Quelles sont vos contributions dans ce domaine ?
M. Charles Guepratte. Concernant les coopérations, en tant qu’acteurs du service public, nous avons naturellement vocation à collaborer prioritairement avec les établissements publics de santé, sans pour autant nous y limiter. Nous rencontrons certaines difficultés avec le modèle de coopération territoriale organisé autour des GHT. Ce modèle, centré sur l’hôpital public, peut parfois s’avérer exclusif pour des établissements comme les nôtres, qui ne sont associés que ponctuellement à certaines démarches ou à des aspects spécifiques du projet médical et soignant partagé.
Pour améliorer l’efficience et la performance de notre système de santé, il est essentiel d’adopter une approche territoriale plus inclusive, respectueuse de toutes les formes juridiques et organisationnelles des structures de santé, en commençant par le public, puis le privé non lucratif, et enfin le secteur commercial. Bien que des progrès restent à faire, nous constatons que sur le terrain, ces coopérations fonctionnent généralement bien, même si certains endroits rencontrent plus de difficultés que d’autres.
Il est important de souligner que notre ouverture ne se limite pas au secteur sanitaire. Nous entretenons également des liens étroits avec les secteurs médico-social et social. De nombreux opérateurs sanitaires sont fortement impliqués dans le médico-social, notamment dans la prise en charge des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Certaines structures couvrent même les trois domaines, y compris des aspects liés à l’inclusion sociale. Au sein de notre fédération, nous nous efforçons de décloisonner ces différents champs d’action, et nos adhérents s’efforcent d’adopter cette vision globale et intégrée.
Concernant la mobilité professionnelle, notre convention collective actuelle, la convention 51, présente des lacunes importantes. Elle ne valorise pas suffisamment la diversité des compétences requises selon les postes. Par exemple, une infirmière diplômée d’État (IDE) en Ehpad assume des responsabilités managériales et décisionnelles bien plus importantes que son homologue en service de réanimation. Notre système conventionnel, malheureusement, ne permet pas de reconnaître ces différences de manière adéquate.
Actuellement, notre grille de rémunération se base essentiellement sur le diplôme et l’ancienneté, à l’instar du système public. Il est impératif d’évoluer vers un modèle plus flexible, facilitant la mobilité intersectorielle et inter-établissements, tout en garantissant la sécurité de l’emploi et la reconnaissance des compétences acquises. Cette problématique concerne également d’autres professions, telles que les aides-soignants et les médecins ayant exercé des fonctions managériales.
C’est précisément l’objectif que nous poursuivons avec la fédération Nexem dans l’élaboration d’une convention collective unique. Nous visons à créer un outil au service de la mobilité et de la valorisation effective des parcours professionnels. Notre ambition est de concevoir un système de classification permettant une réelle reconnaissance des compétences et expériences diverses.
Quant à la fidélisation du personnel, bien que notre taux de rotation soit légèrement inférieur à la moyenne du secteur, nous constatons une dégradation de notre capacité d’attraction, principalement due aux écarts de rémunération. Les départs ne sont pas motivés par l’insatisfaction, mais par des offres salariales plus avantageuses ailleurs. Face à des différences de rémunération pouvant atteindre 350 euros par mois pour certains postes, comme celui d’agent d’entretien, il nous est difficile de rester compétitifs. Sur des salaires d’environ 2 000 euros bruts, un tel écart est considérable.
Ainsi, malgré une politique d’entreprise attractive et un environnement de travail satisfaisant, la question de la rémunération devient incontournable pour maintenir notre capacité à attirer et retenir les professionnels qualifiés.
Mme Sophie Beaupère. Dans le domaine de la lutte contre le cancer, les centres spécialisés développent naturellement des coopérations étendues avec l’ensemble des acteurs du secteur. Chaque centre de lutte contre le cancer est intégré dans un groupement de coopération sanitaire avec le CHU local. Ces groupements varient en ampleur, allant du simple partage d’équipements à des activités de recherche conjointes.
Nous collaborons également étroitement avec les hôpitaux généraux, notamment pour proposer des services de radiothérapie ou d’imagerie nucléaire communs. Certaines de ces coopérations sont particulièrement intensives.
Des tentatives d’intégration plus poussée entre CHU et CLCC ont été menées avec des résultats variables. L’expérience s’est avérée positive à Toulouse, mais moins concluante à Strasbourg. Dans ce dernier cas, l’Institut de cancérologie Strasbourg Europe (ICANS), qui regroupait CHU et centre de lutte contre le cancer, a été dissous après cinq ans d’existence à la demande du CHU en juin dernier. Cet exemple souligne l’importance cruciale d’un projet médical fédérateur comme fondement de toute collaboration réussie.
Dans le contexte actuel de tension sur les ressources humaines et de relèvement des seuils d’activité chirurgicale, il est essentiel de travailler sur la gradation des soins dans une logique de coopération, basée sur un projet médical fédérateur. Nous soutenons activement ces coopérations, qui peuvent prendre diverses formes, comme la labellisation de services de chimiothérapie dans les hôpitaux généraux. De nombreux autres projets de collaboration sont en cours, notamment avec les professionnels libéraux, dans le cadre de l’organisation des soins de proximité.
Mme Sandrine Boucher, directrice de la stratégie médicale et de la performance. L’organisation de la prise en charge des patients en cancérologie soulève effectivement des défis importants. Elle devrait impliquer divers acteurs selon une gradation des soins, permettant une prise en charge de proximité lorsque c’est possible. Cependant, cette approche nécessite de convaincre à la fois les patients et les professionnels de santé, tout en garantissant la qualité des soins.
Actuellement, nous observons une réticence des patients à s’éloigner de leur centre de référence, où ils ont été initialement pris en charge et suivis. De même, les professionnels de santé en structures de proximité ne se sentent pas toujours à l’aise pour prendre en charge des patients atteints de cancer. Cette situation se manifeste notamment dans les services de SMR et en hospitalisation à domicile (HAD).
Pour améliorer cette situation, il est nécessaire d’organiser efficacement la coordination et le transfert de compétences entre les établissements de référence et les établissements de proximité. Cela implique un investissement en temps et en ressources qui doit être financé pour fluidifier les parcours de soins.
Il faut également repenser le modèle économique. Si les établissements de référence ne conservent que les actes intellectuels, généralement sous-valorisés, leur rentabilité pourrait être compromise. Il est donc crucial d’accepter de financer la coordination pour améliorer la fluidité des parcours, tout en maintenant la responsabilité globale de la prise en charge au niveau de l’établissement de référence.
Cette approche permettrait d’assurer une prise en charge adaptée, au bon endroit et au bon moment, tout en garantissant une coordination efficace et un suivi continu par l’établissement de référence, notamment pour la gestion des effets indésirables.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Concernant l’organisation et la coordination, le numérique et les logiciels métiers jouent un rôle essentiel. Quelle est votre évaluation des progrès réalisés dans ce domaine pour faciliter la coordination entre les différentes structures ? Quelles améliorations pourraient être apportées pour optimiser l’utilisation du numérique dans la coordination des soins ?
Par ailleurs, au-delà du numérique, les aspects logistiques sont également importants. Pouvez-vous nous en dire plus sur des initiatives telles que le Médipôle Lyon-Villeurbanne, où un Espic et une clinique privée ont mis en place une organisation commune ? Ce modèle de collaboration pourrait-il être étendu à d’autres structures, et si oui, dans quelles conditions ?
Mme Sophie Beaupère. Certes, certains projets en cours favorisent une meilleure interopérabilité et un partage plus fluide entre les différents acteurs. Cependant, notre préoccupation principale concerne l’évaluation et la généralisation des outils numériques, composantes essentielles des parcours coordonnés, qui doivent prouver leur efficacité thérapeutique.
Nous sommes actuellement impliqués dans des projets ambitieux relevant de l’article 51, notamment un projet majeur sur les chimiothérapies orales à domicile. Ce dernier mobilise 6 000 pharmaciens d’officine, concerne 10 000 patients et implique des structures de santé de tous statuts. Bien que ce projet soit arrivé à son terme, nous n’avons pas encore reçu d’évaluations et nous nous interrogeons sur sa généralisation. L’article 51 nous semble approprié pour résoudre les différents problèmes évoqués, en particulier le développement d’outils numériques facilitant le partage d’informations. Il permet également d’évaluer la coordination et les économies générées, offrant ainsi une vision globale de la chaîne du parcours.
Il arrive que nous disposions de la technologie nécessaire, mais que le mode de financement en vigueur entrave le développement de certaines solutions. Prenons l’exemple de la télésurveillance, financée en cardiologie, en diabétologie et plus récemment en cancérologie. Contrairement aux domaines du diabète ou de la cardiologie, la cancérologie ne bénéficie que d’un forfait unique pour financer la coordination des établissements de santé, indépendamment de la complexité du cas du patient. Ce forfait s’avère peu incitatif et ne couvre pas réellement le temps de coordination, particulièrement pour les patients les plus complexes. Nous constatons donc parfois des effets dissuasifs.
Pour répondre à votre question, nous disposons des outils numériques et des dispositifs nécessaires. Cependant, le financement mis en place ne correspond pas à la réalité du temps de coordination requis dans les établissements. Par conséquent, le déploiement de la télésurveillance peine à atteindre son plein potentiel, alors que nous savons pertinemment que, par exemple en cardiologie, elle représente un gain de temps et d’efficacité considérable pour l’ensemble des professionnels. La difficulté majeure à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui réside dans l’avenir de l’article 51, tel que celui que j’ai mentionné, ou dans le financement de la télésurveillance qui doit s’aligner sur la réalité du temps effectivement consacré dans les établissements.
Mme Sandrine Boucher. Nous constatons une forte hétérogénéité entre les régions concernant le déploiement des outils numériques, notamment ceux permettant aux différents acteurs de soins de disposer d’une plateforme d’échange. Bien que ces outils soient généralement mis à disposition de manière satisfaisante, cette disparité régionale constitue un frein potentiel, en particulier dans le cadre de l’article 51, limitant ainsi les possibilités de coordination.
M. Arnaud Joan Grange. Concernant les questions de coopération, il y a de beaux exemples de réussite auxquels le secteur privé solidaire participe. Nous pourrions appeler de nos vœux des simplifications des réglementations qui entourent ces questions de coopération comme c’est le cas pour les GHT. Cependant, de manière générale, ces coopérations nécessitent un engagement fort et une capacité à transcender le contexte administratif pour mettre en place des outils adaptés à l’hétérogénéité des situations.
M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie vivement, mesdames et messieurs, pour vos réponses particulièrement riches, concises et précises.
La séance s’achève à seize heures cinquante-cinq.
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Présents. - M. Laurent Alexandre, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset, Mme Annie Vidal
Excusé. - Mme Sylvie Bonnet