Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins

–  Table ronde en présentiel et en visioconférence, ouverte à la presse, réunissant des doyens d’universités de médecine : le Pr Stéphane Zuily, doyen de la faculté de médecine de Nancy, le Pr Philippe Pomar, doyen de la faculté de médecine de Toulouse et M. Pierre Merville, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux              2

–  Présences en réunion............................15

 


Mercredi
14 mai 2025

Séance de 16 heures 45

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président

 


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La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons les travaux de cette commission avec une table ronde réunissant des doyens de faculté.

Le professeur Stéphane Zuily, doyen de la faculté de médecine de Nancy, ne pourra malheureusement pas participer à nos travaux, en raison d’un problème de transports.

Nous recevons donc le professeur Philippe Pomar, doyen de la faculté de santé de Toulouse, et, en visioconférence, le professeur Pierre-Gilles Merville, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux.

Vos témoignages sur le rôle des universités sont particulièrement importants pour éclairer les débats sur l’organisation du système de santé et sur les difficultés d’accès aux soins. Je vais tout d’abord vous laisser la parole pour une courte intervention liminaire.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(MM. Philippe Pomar et Pierre-Gilles Merville prêtent successivement serment.)

M. Philippe Pomar, professeur des universités-praticien hospitalier, doyen de la faculté de santé de Toulouse. Je suis accompagné de M. Sébastien Boyer, directeur des services administratifs de la faculté de santé de Toulouse.

Je vais tout d’abord parler du modèle de la faculté de santé. À Toulouse, nous avons pu et su réunir l’ensemble des formations médicales et paramédicales au sein d’une seule structure. Elle compte à peu près 17 000 étudiants. Nous avons créé trois départements : un département de médecine, maïeutique et paramédical, un département d’odontologie et un département de sciences pharmaceutiques.

Nous avons conçu cette faculté de santé selon un concept qui associe la formation, la recherche et le soin. Au départ, nous voulions faire en sorte que les étudiants soient formés ensemble, pour mieux travailler ensemble lorsqu’ils seront professionnels de santé et mieux se coordonner pour prendre en charge le patient. La faculté de santé est une structure qui permet d’abord de diffuser une culture de la santé. Il faut que les étudiants s’en imprègnent. Il ne s’agit pas de produire uniquement des techniciens ou des ingénieurs – d’où le recours aux sciences humaines, sociales et cognitives. C’est un point important. À l’heure du concept One Health, il faut savoir considérer la santé dans son ensemble, en allant de la cellule au corps humain, puis en élargissant à l’environnement et à la société. Tel est l’état d’esprit que nous voulions insuffler à nos étudiants.

Le fait de réunir toutes les filières médicales et paramédicales nous permet d’avoir une vision unifiée et transversale. Nous pouvons ainsi élaborer des stratégies et des objectifs communs.

Pour nous coordonner, nous avons mis en place un schéma cohérent qui va nous permettre de répondre aux besoins de la population et des territoires, mais aussi d’anticiper les évolutions générationnelles, sociétales et environnementales. C’est peut-être également un moyen pour être force de proposition pour le patient et la société de demain. Enfin, au sein de la faculté de santé nous adoptons une approche globale, qui replace l’humanité du patient au premier plan – élément important dans la culture des jeunes générations – tout en favorisant l’interdisciplinarité et la pluriprofessionnalité.

Nous souhaitons faire profiter l’ensemble du territoire de cette interdisciplinarité et nous menons une action territoriale forte à Toulouse et dans l’Ouest de l’Occitanie.

M. Sébastien Boyer, directeur des services administratifs de la faculté de santé de Toulouse. La faculté de santé a été créée en réunissant quatre facultés distinctes. Comme l’a dit le doyen Pomar, la nouvelle faculté compte trois départements. Ils assurent la formation des étudiants.

Ces départements s’appuient sur des services supports, composés tout d’abord par une division de la formation qui est chargée de toutes les formations transversales au sein de la faculté de santé – parcours d’accès spécifique santé (Pass), licence accès santé (LAS), masters transversaux et unités d’enseignement (UE) communes – ainsi que de la création et de la suspension de formations.

Nous avons également une division des ressources humaines et des finances. Elle est chargée du recrutement et des campagnes d’emploi des enseignants – professeurs, PU-PH (professeurs des université-praticiens hospitaliers), MCU-PH (maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers) – mais aussi des BIATPSS (personnels titulaires des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, pédagogiques, sociaux et de santé). Le service finances s’occupe de toutes les opérations financières, du budget et du budget rectificatif.

Nous disposons d’une division du patrimoine, de la logistique et de la sécurité.

Enfin, une division du numérique a été mise en place. Énormément d’examens sont réalisés sur des tablettes, ce qui exige une infrastructure de serveurs importante.

Quelques 17 000 étudiants suivent l’ensemble des formations de santé que nous dispensons. La surface de nos locaux est de 80 000 mètres carrés. Nous avons deux bibliothèques universitaires de santé. La faculté emploie environ 300 personnels administratifs et techniques et 600 enseignants.

M. Pierre-Gilles Merville, professeur des universités-praticien hospitalier, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux. Je suis très honoré de participer à cette audition.

J’ai 65 ans et je suis le doyen de la faculté de médecine de Bordeaux depuis décembre 2023. J’ai une formation de néphrologue et je me suis principalement occupé de transplantations rénales. Je suis impliqué dans la vie universitaire depuis de nombreuses années.

Deux universités très proches peuvent avoir une organisation un peu différente. À Bordeaux, le collège des sciences de la santé est l’équivalent de la faculté de santé décrite par M. Pomar. Il comprend notamment les unités de formation et de recherche des sciences médicales, des sciences odontologiques et des sciences pharmaceutiques.

Je m’occupe essentiellement des 6 500 étudiants en médecine. Ils sont 4 500 dans les deux premiers cycles et environ 2 000 en le troisième cycle. Nous nous appuyons sur 190 chefs de clinique, 173 PU-PH et 72 MCU-PH. L’offre de formation comporte 44 DES (diplômes d’études spécialisés) et 257 DU (diplômes d’université).

M. Christophe Naegelen, rapporteur. On entend souvent dire que les études de médecine sont celles qui coûtent le plus cher à la collectivité.

Le confirmez-vous ? Pouvez-vous indiquer quel est grosso modo le coût annuel d’un étudiant en médecine ? Êtes-vous en mesure d’affiner cette estimation selon l’année d’études ?

M. Philippe Pomar. Avant de parler du coût, il faut rappeler qu’en France les études de médecine et de santé sont presque gratuites. Les droits d’inscription s’élèvent à environ 300 euros par étudiant et par an.

Nous n’effectuons pas un suivi permettant de répondre précisément à votre question, mais nous sommes à peu près tous d’accord pour dire qu’il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros par an et par étudiant, voire plus selon les cycles en fonction de besoins techniques particuliers.

M. Pierre-Gilles Merville. Je pense effectivement la même chose. Je ne connais pas d’étude économique sur le coût d’un étudiant en médecine.

En revanche, je peux dire que cette dépense va en augmentant avec la mise en œuvre des différentes réformes – et notamment de celle du deuxième cycle, qui a entraîné des dépenses supplémentaires pour les facultés. Il a fallu acquérir du matériel de simulation pour entraîner les étudiants à passer les examens cliniques objectifs structurés (Ecos), qui nécessitent parfois des mannequins très chers.

Par ailleurs, la plupart des examens sont numérisés et effectués sur tablette, ce qui nous a amenés à réaliser des investissements importants.

M. Sébastien Boyer. Les Ecos prévus par la réforme du deuxième cycle ont conduit les universités à acheter énormément de matériels de simulation. Surtout, l’organisation de ces examens suppose de mobiliser un certain nombre de personnels pour des journées entières, de 6 heures à 19 heures. À Toulouse, il faut 150 personnes par jour – auxquelles nous payons le repas – lorsque l’on fait passer les Ecos. Ce sont des dépenses que nous ne supportions pas auparavant.

Il faut également du personnel, pour surveiller, et faire venir des formateurs de Bordeaux et de Montpellier, tout en envoyant nos formateurs dans ces universités. Il faut payer les frais de déplacement et d’hôtel.

La réforme du premier cycle, dite Pass/LAS, a entraîné moins de coûts d’acquisition de matériels. Mais elle impose de louer beaucoup d’espaces. À Toulouse, nous dépensons entre 200 000 et 250 000 euros par an pour louer des centres de congrès afin de faire passer des examens pendant trois jours en décembre et deux jours en mars. Cet argent pourrait être utilisé autrement. S’y ajoute le coût des personnels administratifs et des enseignants mobilisés pour assurer la surveillance. Ce sont aussi bien des personnels administratifs que des enseignants qui, pendant ce temps, n’accomplissent pas leur travail habituel.

Tout cela coûte très cher et suppose une organisation et une logistique très exigeantes.

M. le président Jean-François Rousset. Cela a toujours été le cas.

M. Sébastien Boyer. C’est nouveau s’agissant des Ecos, prévus par la réforme du deuxième cycle.

Les compétences des étudiants sont évaluées grâce à huit ou dix ateliers. Or il faut faire passer 400 étudiants dans chacun de ces ateliers, ce qui nécessite de faire venir des enseignants de Bordeaux et de Montpellier et de mobiliser un grand nombre de personnes pour des journées entières, au cours desquelles elles n’occupent pas à leur poste habituel. Tout cela a un coût et c’est une organisation très lourde. Nous trouvons que beaucoup d’argent public est dépensé dans l’organisation des examens.

M. Pierre-Gilles Merville. C’est effectivement une dépense d’argent public. La scolarité a été fortement éprouvée par les réformes des trois cycles, lesquelles se traduisent par la succession tout au long de l’année d’examens dont l’organisation demande une logistique très lourde.

Nous avons 1 400 étudiants en Pass et il faut louer le parc des expositions dans le quartier de Bordeaux-Lac pour arriver à les caser. Un mannequin pour entraîner les étudiants à réagir en cas d’arrêt cardiaque coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Or il en faut entre huit et dix, ce qui représente une dépense très importante.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est pour cela que j’ai posé cette question.

Un ancien doyen de faculté de médecine nous a dit avoir évalué le coût des études à 27 000 euros par élève et par an – ce qui fait une certaine différence par rapport aux 10 000 euros que vous avez mentionnés. Il est dommage de ne pas avoir une évaluation plus fine, d’autant qu’il suffit de diviser le coût total par le nombre d’étudiants. J’aurais aimé disposer d’éléments plus précis, afin de pouvoir mieux mesurer la part respective des droits d’inscription et de la solidarité nationale dans le financement des études.

M. Philippe Pomar. Quand on devient doyen, on voit le fonctionnement des choses d’un peu plus haut. Je me rends compte qu’à la faculté de Toulouse on ne fait quasiment que faire passer des examens – et les services administratifs ne me contrediront pas.

Une faculté a-t-elle vocation à faire passer des examens ou à former des professionnels de santé ? A-t-on besoin de tous ces examens pour former ces derniers ? C’est la vraie question, par-delà celle des coûts. Il est clair qu’il y aura toujours des coûts, mais le calendrier des examens dans une faculté de santé est ahurissant. Nos personnels ne font que ça.

Pourrait-on un jour réformer les études de santé en faisant passer moins d’examens qu’actuellement ? Cela suppose peut-être d’en finir avec les examens terminaux, d’abolir les cours magistraux et de s’appuyer davantage sur le contrôle continu. Pour y arriver, il faut une vraie refonte des études, et pas du saupoudrage comme on l’a fait jusqu’à présent.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Encore une fois, il ne faut pas mal interpréter ma question, qui découle d’une véritable curiosité. On connaît le coût exact d’une année d’études dans certaines filières. On sait qu’il est important en médecine et il aurait été intéressant d’avoir des données précises.

Estimez-vous que les établissements de santé privés devraient contribuer davantage au financement des études de médecine ? On sait très bien qu’après leur internat un certain nombre de médecins iront directement exercer dans ces établissements, ce qui amoindrit la capacité des hôpitaux publics à assurer la permanence des soins. Il ne serait donc pas incohérent que le secteur privé participe plus, puisqu’il bénéficie des investissements dans la formation, payés par les finances publiques.

Quel bilan tirez-vous de la transformation du numerus clausus en numerus apertus depuis 2019 ? Se traduit-elle par davantage de complexité ? A-t-elle permis d’augmenter le nombre d’étudiants ? Ma question est très ouverte.

Vous avez abordé le sujet de la refonte des études de médecine. On a récemment ajouté une année au cursus, alors qu’en Allemagne ces études durent six ans. Serait-il possible de réduire leur durée en France ? Peut-on les raccourcir sans pour autant baisser le niveau technique et d’expertise des diplômés ? Je pense notamment au premier cycle : ce que l’on prévoit en trois ans ne pourrait-il pas être fait en deux ans ? Avez-vous d’autres idées ?

M. Philippe Pomar. Il importe de conserver le caractère public des formations de santé en France.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ma question portait sur la participation des établissements privés de santé au financement de la formation publique.

M. Philippe Pomar. J’y reviendrai. Pour le premier cycle, il est hors de question de faire partir les étudiants dans les territoires, en dehors de stages de découverte. Pour les deuxième et troisième cycles, il serait bien sûr intéressant de faire participer à la formation des maîtres de stages universitaires (MSU) issus de grands cabinets privés ou de cliniques privées et de développer les stages territoriaux public-privé. Le rapport de l’Académie nationale de médecine, à l’élaboration duquel j’ai participé, revient en profondeur sur ces pistes. Nous pouvons aussi compter sur les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et la coordination assurée par les conseils de l’ordre. Nous avons beaucoup de propositions dans nos tiroirs à ce sujet et nous tenons prêts à les présenter.

S’agissant de la réforme Pass/LAS, je vous dirai que le numerus clausus et le numerus apertus, c’est bonnet blanc et blanc bonnet : pour l’examen d’entrée, qui reste sélectif, nous devons retenir les étudiants ayant obtenu les meilleures notes en fonction de nos possibilités de les former de manière raisonnable et intelligente, c’est-à-dire en fonction des capacités d’accueil dans les stages hospitaliers, du nombre de salles de simulation et bien sûr de la volumétrie de l’équipe pédagogique. Tout cela suppose des moyens humains et financiers et je préférerais bien sûr que les sommes colossales que nous dépensons pour la location de salles d’examen soient affectées à ces postes budgétaires. Le bilan de cette réforme est catastrophique. Les retours des étudiants et des familles le confirment. Certes, il y a eu une certaine diversification des profils mais d’autres problèmes sont apparus : les étudiants accueillis en deuxième année doivent rattraper les enseignements de la première année, par exemple. Cela crée du mal-être partout. Nous sommes vraiment passés à côté de ce qu’il fallait faire.

J’en viens à la refonte des études. Ce n’est pas pour rien que nous avons créé à Toulouse une faculté de santé regroupant l’ensemble des formations médicales et paramédicales. Je suis favorable à ce que les études dans les filières médicales épousent le modèle licence-master-doctorat (LMD), proposition détaillée dans le rapport que j’ai évoqué.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Philippe Pomar. Il s’agirait d’instaurer une licence commune aux filières médicales comportant des stages dès la première année et des points d’étape, avec des choix à effectuer en première, deuxième et troisième années. Elle serait suivie d’un master de deux ans et d’un doctorat dont la durée varierait entre quatre et six ans.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelles seraient les parts respectives de l’université et du terrain ?

M. Philippe Pomar. Les étudiants resteraient à l’université pendant leur licence et pourraient, à partir du master, aller dans les territoires, avec l’appui toutefois des centres hospitaliers universitaires (CHU) et des facultés.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis d’accord avec mon collègue : la participation des établissements privés doit commencer à partir de la quatrième année. Elle sera nécessaire car les effectifs d’étudiants ne font que croître, du fait des conséquences de la loi de juillet 2019 mais pas seulement. Ce qui différencie le deuxième cycle du premier, c’est la nécessité d’organiser des stages. Comme les CHU sont saturés, cela implique de faire appel aux centres hospitaliers généraux (CHG) quand c’est possible. Quant aux stages en cliniques privées, ils seraient envisageables à condition qu’ils soient supervisés par des maîtres de stage universitaires ayant suivi la formation adéquate.

Le bilan de la refonte du premier cycle n’est pas bon. Complexe à expliquer, la réforme est difficilement lisible pour les étudiants et leurs parents et génère des recours multiples. Elle n’a pas atteint ses deux objectifs principaux. Pour le premier, la diversification géographique, académique et socio-économique, rien n’a changé : les étudiants qui réussissent continuent d’appartenir aux catégories socioprofessionnelles les plus favorisées (CSP+) ; peu viennent de milieux ruraux alors que ce sont eux dont on aura besoin pour s’installer sur les territoires. Quant au deuxième objectif, l’amélioration du bien-être étudiant, il passe au second plan : dans les grosses facs, les étudiants de première année sont plus d’un millier et passent leur temps à travailler chez eux à partir de cours en visio et de capsules. Aucun lien social ne se crée.

Vous posez la question du raccourcissement des études. Il faut bien avoir à l’esprit les différences qui séparent la France d’autres pays européens comparables : chez nous, tous les étudiants sont spécialistes alors que dans des pays comme l’Allemagne, il est possible d’exercer en tant que médecin si l’on ne choisit pas d’être spécialiste. Cela explique sans doute qu’ils aient pu réduire la longueur de la formation. En outre, les étudiants français ont déjà le sentiment qu’on a diminué la durée de leurs études : avec la réforme du deuxième cycle, le concours très sélectif de l’internat a été déplacé du mois de juin au mois d’octobre de la sixième année, autrement dit huit mois ont disparu dans leur préparation. Dans ces conditions, il paraît difficile de réduire plus.

M. le président Jean-François Rousset. Seriez-vous prêts à supprimer le concours d’entrée pour les études médicales et à regrouper au sein d’une même licence tous les étudiants se formant aux métiers de la santé ? L’idée serait que ces jeunes passent du temps ensemble, apprennent à se connaître avant de se diriger vers la médecine, la pharmacie, la kinésithérapie ou les soins infirmiers. À la fin des trois années de licence, un classement fondé sur le contrôle continu déterminerait les possibilités de choix et une évaluation régionale des besoins en postes, branche par branche, serait effectuée. Cela assurerait à tous d’avoir une licence. Ce sont les conclusions auxquelles le groupe de travail que j’ai formé a abouti. Les partagez-vous ?

Pour le deuxième cycle, nous pourrions nous inspirer de pratiques passées. À côté de ceux qui empruntaient la voie dite royale conduisant de l’internat au professorat, en passant par les postes de chef de clinique et d’assistant, existaient des médecins titulaires de certificats d’études spécialisées (CES) servant d’intermédiaires entre la médecine générale et la médecine hyperspécialisée. Un nouveau corps intermédiaire pourrait œuvrer au dépistage, à l’organisation des soins, à la vaccination et à la prévention.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je reviens au modèle LMD. Que pensez-vous d’une licence de santé rassemblant les formations aux professions médicales et paramédicales sans concours d’entrée ? Les infirmiers pourraient exercer au bout de ces trois années, durée actuelle de leur formation, ou bien poursuivre au sein du master pour suivre une formation plus poussée et devenir infirmiers en pratique avancée (IPA). Le doctorat concernerait les futurs médecins et pharmaciens. On ne laisserait personne au bord de la route tout en offrant un socle commun de formation à tous les professionnels de notre système de santé.

M. Philippe Pomar. J’adhère tout à fait à cette idée. À la faculté de santé de Toulouse, nous expérimentons une licence de sciences pour la santé qui réunit les formations aux professions paramédicales suivantes : orthoptistes, audioprothésistes, manipulateurs en radiologie, pédicures-podologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, et bientôt infirmiers. Le problème, c’est que cette licence ne débouche pour l’instant sur rien. Or la force des études de santé, qu’elles soient médicales ou paramédicales, c’est qu’elles sont professionnalisantes : les étudiants peuvent exercer un métier tout de suite. Pour la licence que vous envisagez, on ne pourra pas ouvrir les vannes et accueillir 10 000 ou 15 000 étudiants. Il faudra mettre en place des sélections sur Parcoursup.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelle est votre position sur la territorialisation ?

M. Philippe Pomar. Tout dépend de ce qu’on entend par territorialisation des études de santé. Le territoire ne doit pas être une punition. Pour un professionnel de santé, cela peut aussi constituer un retour heureux à la maison.

J’ajoute que les études de santé ont aussi leur place au lycée, en première et en terminale. Des cordées de la réussite existent déjà mais la mise en place d’options serait aussi envisageable. L’organisation de stages chez un professionnel de santé de proximité permettrait, quant à elle, de faire connaître certains métiers comme ceux de la pharmacie, qui souffrent d’un manque d’attractivité parce que les jeunes ne savent pas ce que c’est, notamment du fait de la confusion avec les parapharmacies.

M. le président Jean-François Rousset. À Millau, avec le concours du recteur, des élus et des professionnels du monde médial, le lycée Jean Vigo a ouvert en 2023 une préparation aux études de santé en seconde, première et terminale. Nous constatons que les premières cohortes à s’être inscrites en fac poursuivent leur préparation au concours d’études médicales alors qu’en première année, le taux d’abandon se situe généralement entre 30 % et 40 % dès la Toussaint. Il y a aussi, en effet, les stages de découvertes, qui sont très faciles à organiser.

M. Philippe Pomar. Grâce aux stages de découverte, dans un cabinet médical, dans une clinique, dans une pharmacie, les jeunes auraient la possibilité de savoir vraiment ce qui leur plaît.

M. Pierre-Gilles Merville. Nous ne pouvons qu’être favorables à la territorialisation, qui doit intervenir aux deux extrémités des études de médecine. Des cordées de la réussite seraient mises en place dans quelques lycées choisis avec le rectorat pour offrir un accompagnement aux élèves susceptibles d’être sélectionnés sur Parcoursup, sur lequel nous n’avons pas la main. Dans le territoire qui me concerne, il s’agirait de cibler des établissements dans le Lot-et-Garonne ou les Landes, zones sous-denses où les élèves, issus de milieux ruraux et dont les parents ont moins de moyens que ceux des Pyrénées-Atlantiques ou de Gironde, ont tendance à s’autocensurer pour les études de médecine. Pour la territorialisation en fin d’études, la Conférence des doyens de médecine a formulé une proposition reprise par la Cour des comptes : la création d’un assistanat territorial. Les jeunes médecins choisissant d’exercer dans des zones sous-denses recevraient une aide pour faciliter leur installation et leur organisation familiale et personnelle.

S’agissant d’une licence qui accueillerait sans concours initial l’ensemble des formations aux professions de santé, je dois dire avoir du mal à voir comment on parviendrait à sélectionner les étudiants pour les orienter vers telle ou telle filière. Depuis la réforme du premier cycle, les étudiants se dirigent en majorité vers la médecine, ce qui a mis en difficulté la pharmacie et la maïeutique.

M. Sébastien Boyer. La faculté de santé de Toulouse a mis en place des cordées de la réussite pour inciter les élèves des territoires ruraux à s’orienter vers les études de santé. La réforme Pass/LAS n’a pas atteint son objectif de diversification des profils : à Toulouse, nos effectifs sont composés à 70 % de filles, appartenant plutôt à des milieux urbains et des CSP+ et titulaires d’un bac scientifique. Les étudiants issus de l’immigration ou enfants d’agriculteurs sont minoritaires.

M. Pierre-Gilles Merville. Les choses n’ont pas changé depuis le système de la Paces (première année commune aux études de santé) : les étudiants qui réussissent sont ceux issus du Pass. Nous constatons que 80 % de ceux ayant échoué abandonnent leur licence d’accès santé, qui constituait avant tout pour eux un choix stratégique pour accéder aux épreuves d’accès au cursus de médecine. Cette proportion interroge.

M. Philippe Pomar. L’universitarisation doit aller de pair avec la médicalisation. Il importe de médicaliser les études paramédicales pour assurer une meilleure coordination des soins. Aujourd’hui, quand un patient a plusieurs rendez-vous médicaux dans la même journée, il est pris en charge par des professionnels de santé qui ne se sont jamais croisés. Mettre tout le monde dans la même formation changerait les choses.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour continuer sur la territorialisation universitaire, je citerai le cas de la faculté de droit de Nancy qui laisse aux étudiants le choix de faire leur licence soit à Épinal soit à Nancy. Pour la licence commune de santé, nous pourrions nous appuyer sur les équipes enseignantes des nombreux instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), ce qui garantirait une forte territorialisation pendant les trois premières années. Les effectifs se resserrant pour les masters et les doctorats, la centralisation en un seul lieu ne poserait pas de problème de capacités d’accueil.

Avec la réforme du lycée, les options se sont multipliées. Serait-il pertinent d’y ajouter une option santé en vue d’un cursus LMD en santé ?

Sur l’ajout à partir de 2026 d’une quatrième année à l’internat de médecine générale, quelle est votre position et quelles sont les réactions de vos étudiants ? Réalité importante à prendre en compte : sept médecins généralistes sur dix vont s’installer dans la zone où ils ont effectué leur internat. S’ils passent pendant leurs études par des hôpitaux plus ruraux, les chances qu’ils y retournent sont donc plus grandes. Il ne faudrait pas gâcher cette possibilité.

M. Philippe Pomar. J’ai toujours tendance à écouter les étudiants : ils vivent les choses différemment et n’ont pas la même vision que nous. Les internes de médecine générale refusent qu’on se serve d’eux pour aller boucher des trous dans les hôpitaux ou ailleurs. Ils veulent que cette quatrième année allie consolidation grâce à un doctorat junior, pratique professionnelle en ambulatoire et apprentissages orientés vers l’installation libérale – gestion du cabinet, comptabilité – absents de nos formations. La rémunération mixte fait débat mais il ne me paraît pas compliqué de mêler salaire d’interne et rémunération à l’acte ou reversement d’honoraires.

Pour la mise en place d’options santé dans les lycées, il ne me semble pas pertinent de passer par une loi car il ne faudrait pas que ce soit coercitif.

M. le président Jean-François Rousset. Cela se fait déjà actuellement sans qu’il y ait eu besoin d’une loi.

M. Philippe Pomar. Il faudrait choisir des lycées bien caparaçonnés mais beaucoup de choses sont possibles avec le numérique.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis favorable à l’extension de l’option santé au lycée mais, à mon sens, il faut cibler l’effort sur les territoires où l’on veut augmenter la démographie médicale, et non pas faire du saupoudrage. Il n’y a aucun intérêt à surpréparer des étudiants à Bordeaux ou à Bayonne, mais il serait judicieux de le faire dans des villes comme Dax, Mont-de-Marsan ou Agen.

Les étudiants souhaitent être véritablement professionnalisés au cours de cette quatrième année de médecine générale : ils désirent faire essentiellement de la médecine ambulatoire et effectuer des stages qu’ils n’auraient pu accomplir auparavant, notamment en pédiatrie ou en gynécologie. La Conférence des doyens est peu favorable à une rémunération à l’acte, de crainte que d’autres spécialités ne formulent cette demande, qu’il serait difficile de satisfaire.

La réforme du deuxième cycle, qui a entraîné un découplage entre les deuxième et troisième cycles, a des effets relativement pernicieux. En effet, deux facteurs essentiels déterminent le lieu d’installation d’un médecin : son lieu de naissance – il a en effet tendance à y revenir – et l’endroit où il a effectué son internat – car il a commencé à y tisser son réseau. Le fait qu’un étudiant passe de Bordeaux à Marseille, par exemple, ne favorisera pas son installation en Gironde. Il conviendrait donc, selon moi, de revenir sur la réforme et d’associer à nouveau les deuxième et troisième cycles afin de favoriser la territorialisation.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Comment évalue-t-on les besoins en formation des spécialistes ? La semaine dernière, en commission, j’ai demandé un rapport sur les besoins en formation des médecins qui assurent le fonctionnement d’une maternité, à savoir les pédiatres, les anesthésistes et les gynécologues obstétriciens. On m’a répondu qu’un rapport n’était pas nécessaire car les formations étaient en augmentation. Évalue-t-on les besoins indépendamment des moyens nécessaires à la réalisation des formations ? Avez-vous procédé à cette évaluation ? Avez-vous les moyens d’assurer les formations, sachant que l’on manque cruellement de certains spécialistes ?

Comment expliquez-vous que de nombreux jeunes doivent encore partir à l’étranger pour étudier la médecine ? Cela concerne également les futures sages-femmes, ce qui me paraît assez problématique. Y a-t-il un moyen d’éviter cela ?

On dit que le temps de travail d’un médecin qui exerçait il y a trente ans correspond à l’activité de 2,3 médecins aujourd’hui. Quelles conditions de travail, quel temps de travail annonce-t-on aux jeunes étudiants qui commencent leurs études de médecine ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je voudrais compléter votre question. De jeunes médecins que j’ai auditionnés me disaient qu’au cours de leurs études, on leur expliquait que la santé n’a pas de prix et que tout ce qui est rare est cher. Cela a tendance à nourrir une forme d’inflation, comme on le voit avec les intérimaires et la concurrence entre établissements. Délivre-t-on ce type de messages aux étudiants ? Si c’était le cas, cela pourrait contribuer à expliquer, au moins en partie, la situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. Philippe Pomar. À mon niveau, je n’entends pas ce genre de messages.

L’ONDPS (Observatoire national de la démographie des professions de santé) fait remonter les besoins en formation des spécialistes, mais les moyens ne suivent jamais, en dehors de quelques postes que l’on parvient parfois à obtenir dans des spécialités en tension. En psychiatrie, nous avions demandé des créations de postes de MCU-PH ou de PU-PH : le ministère nous en a accordé deux ou trois. Toutefois, de manière générale, on nous attribue rarement de nouveaux moyens. L’ONDPS, avec les ARS, gèrent les besoins. Je n’ai pas l’impression que l’on interroge les facultés à ce sujet, hormis dans le cadre des réunions auxquelles elles participent avec l’observatoire et les agences régionales.

Je pense que les jeunes partent à l’étranger car ils sont rebutés par le système de sélection. On en a, tout de même, qui restent et qui réussissent la première année. Certains jeunes sont admis tout de suite, sans avoir à passer d’oral, au niveau du Pass – ce sont les « grands admis ». Le numerus apertus est de l’ordre de 800 étudiants, pour l’ensemble des filières MMOPK (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie, kinésithérapie), en deuxième année. Cela signifie que, chaque année, 800 étudiants sont diplômés de la faculté de Toulouse.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Les jeunes qui partent étudier à l’étranger deviennent de très bons médecins. La question est de savoir pourquoi on ne réussit pas à les garder, alors même que l’on manque de praticiens. Le concours n’est-il pas en cause ?

M. Sébastien Boyer. On a constaté à Toulouse – sans doute est-ce la même chose à Bordeaux – que les étudiants qui veulent vraiment faire médecine entrent en Pass. S’ils n’accèdent pas à la filière médecine à l’issue de leur Pass, ils vont en LAS 2, où ils se voient offrir une deuxième chance. S’ils ne réussissent toujours pas le concours, ils vont à l’étranger – dans des pays comme la Roumanie ou la Belgique –, car ils ne souhaitent pas changer complètement d’orientation. Ils sont très motivés mais le système les éjecte.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. J’ajouterai que cela correspond à une sélection par les moyens des parents, certains pouvant payer 8 000 euros au titre des frais de scolarité annuels, sans compter les dépenses de transport et le reste, ce qui n’est pas très équitable.

S’agissant de la formation des spécialistes, l’ARS et les coordonnateurs de DES accomplissent chaque année un travail approfondi, en amont, pour évaluer les capacités, qui peuvent fluctuer d’une dizaine d’étudiants sur l’année à un étudiant tous les deux ans. Les chiffres sont communiqués à l’ONDPS en juin ou en juillet, avant qu’une décision ministérielle ne fixe, dans le courant de l’été, le nombre de postes d’internes attribués à chaque spécialité. L’ONDPS joue un rôle crucial dans cette mécanique.

On passe certains messages aux étudiants mais l’évolution de la société explique que le travail ne constitue pas leur seul objectif. Une fracture s’est instaurée entre la vision du grand public, qui ne comprend pas pourquoi il ne dispose pas de recours médicaux, et celle des étudiants, qui estiment en avoir bavé pendant leurs études et n’admettent pas qu’on ne les laisse pas choisir leur lieu d’installation. Je n’ai pas de position par rapport à cela.

M. Théo Bernhardt (RN). Pensez-vous que les moyens alloués aux formations en biologie-santé sont suffisants, notamment concernant la recherche fondamentale et la recherche clinique ? Existe-t-il des difficultés d’accès à ces formations ? Depuis 2010, la France est passée de la sixième à la treizième place pour le nombre de publications scientifiques, ce qui s’explique en partie par la fuite des cerveaux. Quelles mesures préconisez-vous, en lien avec la médecine et l’accès aux soins, pour limiter cette baisse ?

M. Philippe Pomar. Permettez-moi de compléter au préalable ma réponse à la question précédente. La sélection à l’entrée des études de santé est à l’emporte-pièce. En effet, elle est fondée sur la mémorisation instantanée : les candidats apprennent un certain nombre de notions en quelques semaines avant de les oublier très rapidement. Comme nous l’avons préconisé dans le rapport de l’Académie de médecine, il conviendrait d’organiser de mini-entretiens. C’est certes compliqué à réaliser mais on sait le faire puisque, pour les Pass/LAS, on fait passer de courts oraux à plusieurs centaines de personnes. Il est important qu’un étudiant qui souhaite accéder aux études de médecine ou de santé, ou qui va entrer en deuxième ou en troisième année, passe de tels entretiens avec un enseignant ou un groupe d’enseignants afin que l’on puisse faire un point d’étape et que le jury soit à même de juger de la motivation et de la qualité de l’étudiant.

Les facultés sont étroitement accolées aux centres hospitaliers universitaires ; or, il ne saurait exister d’université sans recherche. En matière de recherche, nous avons un double cursus dérogatoire qui fonctionne très bien – du moins est-ce le cas à Toulouse ; je ne sais pas ce qu’il en est à l’échelle nationale. Nous avons une offre de formation très large, qui va de la biosanté à l’ingénierie en passant par l’informatique, et qui concerne tant la recherche fondamentale que la recherche appliquée – elle peut parfois même s’étendre à la recherche translationnelle. À cela s’ajoutent les doubles cursus de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), pour lesquels nous disposons, chaque année, de cinq places que nous avons encore du mal à pourvoir.

M. Théo Bernhardt (RN). Pourquoi ?

M. Philippe Pomar. Cela tient à diverses raisons, parmi lesquelles un manque de motivation des étudiants. Le président du comité scientifique transversal de la faculté de santé de Toulouse, qui est responsable du double cursus avec l’Inserm, organise des conférences dès la première année d’études, va au-devant des étudiants pour leur parler de la recherche. Ceux que nous recrutons sont brillantissimes, mais il reste des places vacantes.

M. le président Jean-François Rousset. Les principales publications sont anglo-saxonnes, à l’image du New England Journal of Medicine and Surgery ou du British Journal of Surgery. Beaucoup de publications françaises ont décliné. Il nous faudrait avoir une ou deux revues françaises de haut niveau, ce qui attirerait nos jeunes.

M. Philippe Pomar. Oui, mais tout le monde ne peut pas accéder aux revues à fort impact. Même si l’étude menée est de très haute qualité, le fait qu’elle vienne d’une université française peut rendre sa publication difficile.

M. Pierre-Gilles Merville. Créer une revue de fort impact française serait en effet souhaitable, même si cela relève du vœu pieux.

Il existe une bonne articulation entre la médecine et la recherche. Des masters 1, mais aussi des doubles cursus – comme celui proposé par l’École Bettencourt – fonctionnent bien. On arrive à pourvoir les places. Les étudiants concernés acquièrent, au fil de leur formation, un niveau exceptionnel. Les internes ont la possibilité de décrocher des années de recherche pour suivre des masters 2 adaptés à leur cursus. Dans certaines disciplines, l’accession à un poste de chef de clinique est conditionnée à l’obtention de ce type de diplôme.

Tout cela marche bien dans les grosses facultés, qui ont un potentiel de recherche suffisant. Il en va parfois différemment dans les universités plus réduites, qui abritent moins d’EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique). Il arrive ainsi que Bordeaux récupère des années de recherche non utilisées par Poitiers ou Limoges pour des candidats bordelais. La masse critique est essentielle, ce qui explique la grande capacité de l’Île-de-France à assurer cette articulation et à favoriser la production des hospitalo-universitaires. Cela participe considérablement à l’attractivité d’une université. En effet, ce qui maintient un hospitalo-universitaire à l’hôpital – alors que son taux de rémunération pourrait être le triple ou le quadruple s’il allait dans le privé –, c’est le contact avec une équipe de recherche et l’encadrement d’étudiants dans son secteur de recherche.

M. Philippe Pomar. Il faut vraiment que les facultés, en particulier dans le domaine de la santé, soient des vecteurs de la recherche, mais il est également nécessaire d’opérer une coordination nationale. Or celle-ci n’existe pas, en France, dans le secteur de la recherche : des sites et des thèmes émergent un peu partout. Il convient de définir les sites sur lesquels doit être menée telle ou telle activité en fonction du contexte historique, de l’expertise et des structures que l’on y trouve, etc. D’autres pays assurent une telle coordination, allant parfois jusqu’à mener une politique coercitive concernant les thématiques de recherche – on le voit, par exemple, sur l’IA (intelligence artificielle). Il y a vraiment des choses à accomplir en la matière et on peut s’appuyer, pour ce faire, sur les facultés de santé, qui peuvent jouer un rôle de vecteur.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Avez-vous connaissance d’une étude sur les catégories socioprofessionnelles auxquelles appartiennent les étudiants qui partent à l’étranger ? Il me semble que les familles aisées ont plutôt tendance à payer des écuries très coûteuses pour permettre à leurs enfants de réussir le concours dès la première année. Par ailleurs, le coût de la vie est moindre en Roumanie. Plus généralement, existe-t-il des études sur les catégories socioprofessionnelles dont sont issus les étudiants en médecine ? En effet, tout le monde ne peut pas financer des études qui s’étirent sur une dizaine d’années. Avez-vous des leviers d’action en la matière ? Que préconisez-vous pour faciliter l’accès aux études ?

M. Philippe Pomar. Votre question englobe, je suppose, le problème de la précarité étudiante.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Absolument.

M. Philippe Pomar. Le prix des cours privés peut atteindre 8 000 euros par semestre mais, contrairement à ce que suggèrent les publicités, le résultat n’est pas garanti. Chez nous, un de ces cours est installé sur un terrain privé qui se trouve, à peu de chose près, sur le parking de la faculté ; cette entreprise a quasiment la même adresse que la faculté, ce qui explique que l’on puisse facilement les confondre. Ils viennent faire leur publicité d’une façon pour le moins agressive en période de rentrée, ce qui nous contraint à faire appel aux vigiles.

Les droits d’inscription à l’étranger peuvent atteindre 20 000 euros par an, ce qui montre que des facultés sont là pour faire du fric.

Les cours privés se gardent bien de fournir la moindre statistique. Sébastien Boyer vous a indiqué le profil caractéristique de l’étudiant en santé à Toulouse, qui est, dans 70 % des cas, une femme, et qui appartient plutôt à une catégorie socioprofessionnelle aisée.

M. Sébastien Boyer. Les étudiants paient 170 euros de droits d’inscription en première année, auxquels s’ajoutent 92 euros de contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), mais les familles sont prêtes à verser 8 000 euros à un cours privé. C’est le privé qui, finalement, récupère l’argent des familles, tandis que l’État finance la formation.

M. Pierre-Gilles Merville. On pourrait presque dire que les études de médecine, en France, sont semi-privées. Si un étudiant ne dispose pas de beaucoup de moyens, il s’inscrit au tutorat, qui présente un faible coût et fonctionne bien. Si sa famille en a la possibilité, elle lui paie une officine, qui va le faire bachoter une année durant ; s’il échoue, il va suivre, à l’étranger, des études coûteuses – sur ce point, je n’ai pas de statistiques sous la main mais je peux essayer de les trouver. Toutefois, lorsqu’ils rentrent d’un pays européen pour passer les EDN (épreuves dématérialisées nationales), les étudiants n’ont pas un bon niveau : ils se classent, pour la quasi-totalité d’entre eux, à partir du 9000e rang. La formation qu’ils ont reçue en Roumanie, par exemple, les place en queue de classement – le meilleur candidat a dû se situer aux alentours de la 3500e place. Le niveau des études en France est, selon moi, exceptionnel.

M. Philippe Pomar. Je suis tout à fait d’accord. Cela renvoie aussi à la question des Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne).

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie beaucoup, messieurs, pour ces échanges nourris. N’hésitez pas à nous faire parvenir des informations complémentaires.

 

La séance s’achève à dix-huit heures.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Théo Bernhardt, Mme Murielle Lepvraud, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset

 

Excusé. - Mme Sylvie Bonnet