Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– – Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des syndicats de jeunes médecins : le Dr Sayaka OGUCHI, présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), M. Lucas POITTEVIN, président de l’Association nationale des étudiants de médecine de France (ANEMF), M. Killian L’HELGOUARC’H, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), M. Raphaël DACHICOURT, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), M. Bastien BAILLEUL, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). 2
– Présences en réunion............................25
Mardi
20 mai 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 14
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à dix-sept heures dix.
M. le président Jean-François Rousset. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête consacrée à l'organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins avec une table ronde réunissant des syndicats d'étudiants et de jeunes médecins. Nous accueillons Sayaka Oguchi, présidente du syndicat national des jeunes médecins généralistes, Lucas Poittevin, président de l'association nationale des étudiants en médecine de France, Killian L’Helgouarc’h, président de l'intersyndicale nationale des internes, Raphaël Dachicourt, président du regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants, et Bastien Bailleul, président de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale.
Je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions. Je tiens à préciser que, bien que la profession médicale soit directement concernée par l'actualité législative et gouvernementale, le travail de cette commission s'inscrit dans une démarche plus large et systémique, englobant tous les aspects du système de santé et de l'accès aux soins. Je vous invite à faire une brève intervention liminaire de cinq minutes, avant de laisser place aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Dr Sayaka Oguchi, M. Lucas Poittevin, M. Killian L’Helgouarc’h, M. Raphaël Dachicourt, M. Bastien Bailleul prêtent serment.)
Dr Sayaka Oguchi, présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG). La situation démographique médicale actuelle est particulièrement préoccupante. Bien que le nombre de médecins soit similaire à celui de 2010, la configuration de la population a considérablement évolué. Nous avons connu une augmentation de 8 millions d'habitants, avec une progression significative de la population âgée de plus de 70 ans, passant de 7 millions en 2000 à 11 millions aujourd'hui.
Cette évolution démographique engendre une demande de soins nettement supérieure à celle de 2010.
Dans ce contexte, nous constatons une diminution de 20 000 médecins généralistes en proportion, ce qui complique l'accès aux soins primaires pour la population.
Parmi les 45 700 généralistes actuels, environ un tiers ne pratique plus la médecine générale traditionnelle. Cette réalité accentue les difficultés d'accès aux soins, malgré les apparences statistiques.
Il convient cependant de souligner les efforts considérables fournis par les généralistes en exercice. Ils ont augmenté leur prise en charge de patients, notamment ceux atteints d'affections de longue durée (ALD). Cette mobilisation a permis de réduire le nombre de patients en ALD sans médecin traitant.
M. Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants de médecine de France (Anemf). Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, de nous donner l'opportunité d'être entendus sur ces sujets qui nous concernent directement. Cette démarche contraste avec celle de certains parlementaires qui ont rédigé des propositions de loi s'appliquant à nous, les nouvelles générations de soignants, sans nous consulter.
Les difficultés d'accès aux soins que connaît la population s'aggravent, creusant les inégalités territoriales. Il est impératif de trouver des solutions pour endiguer ces problèmes, sachant que la résolution à long terme passera nécessairement par une augmentation du nombre de professionnels de santé, notamment de médecins.
Récemment, diverses initiatives législatives et un pacte gouvernemental ont proposé des mesures pour lutter contre les déserts médicaux. Nous estimons qu'il est crucial de baser notre réflexion sur des faits concrets : comprendre les causes de la situation actuelle pour construire l'avenir et garantir à chaque citoyen, dans la mesure du possible, une offre de soins adaptée à ses besoins. Les solutions sont nombreuses, nous en avons proposé et continuerons à le faire.
Il est important de souligner le contexte dans lequel évoluent les étudiants en médecine. Ils ont subi plusieurs réformes successives : réforme de l'entrée dans les études de santé, du deuxième cycle, du troisième cycle, allongement des DES, notamment la quatrième année de médecine générale. Ces changements, bien qu'ayant pour objectif d'améliorer l'accès aux soins, ont considérablement alourdi leur parcours.
Aujourd'hui, face aux discussions sur la régulation à l'installation et d'autres contraintes, les étudiants ont le sentiment d'être injustement désignés comme responsables des difficultés d'accès aux soins accumulées depuis quarante ans. Ceci alors qu'ils s'engagent dans des études déjà très exigeantes, parfois au détriment de leur propre santé, comme en témoignent les résultats de notre enquête sur la santé mentale.
Nous nous interrogeons sur la pertinence de faire porter le poids des erreurs passées sur cette seule catégorie de population. C'est un reproche que les étudiants adressent à certaines initiatives parlementaires. Nous sommes prêts à approfondir ces points et à proposer des solutions constructives tout au long de cette commission.
M. Killian L’Helgouarc’h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés. En préambule, je rejoins Lucas sur le fait que la santé constitue la préoccupation majeure des Français, mais également celle des médecins et des internes. Les internes représentent 40 % du personnel médical dans les hôpitaux publics. En ambulatoire, nous assurons aujourd'hui 200 000 consultations quotidiennes, principalement en médecine générale. Nous sommes donc pleinement concernés par la problématique d'accès aux soins, que nous vivons au quotidien.
Nous rencontrons quotidiennement des patients qui se présentent aux urgences faute de médecin traitant. En cabinet de ville, lors de remplacements, les patients nous interrogent fréquemment sur nos projets d'installation, soulignant le manque de médecins dans leur secteur.
Face à cette situation, nous avons collectivement conscience des enjeux et avons formulé à plusieurs reprises des solutions que nous pourrons détailler ultérieurement. Deux éléments essentiels guident notamment les positions de l'Intersyndicale que je préside. Premièrement, nous nous appuyons sur la littérature scientifique, française et internationale, pour identifier les moyens d'améliorer l'accès aux soins. Deuxièmement, nous cherchons à maintenir une cohérence sur le long terme, un point crucial souligné par le Président de l'Anemf.
Au cours de mes dix années d'études de santé, j'ai vécu quatre réformes, chacune donnant l'impression d'un manque de cohérence entre les cycles et d'absence de réflexion globale. La réflexion s'est peut-être trop focalisée sur les spécialités au détriment des besoins de santé dans les territoires.
Concernant les propositions parlementaires, notamment transpartisanes, nous nous y opposons car elles ne ciblent pas la population qui en a le plus besoin, à savoir les cinq à six millions de Français sans médecin traitant, dont je fais partie. Ces propositions se basent sur un zonage inefficient, dont la mise à jour par les ARS s'avère déjà problématique. Lorsque l’on voit les difficultés des ARS pour construire un seul zonage et à le mettre à jour tous les deux ans, ce qui n’est pas fait, je doute de la capacité des ARS à établir et actualiser annuellement 44 zonages distincts.
De plus, ces mesures ciblent encore une fois la jeunesse médicale, qui alerte systématiquement les pouvoirs publics sur le non-respect du temps de travail des internes et l'existence de violences à l'hôpital, problèmes pour lesquels des solutions concrètes tardent à être mises en œuvre. Ajouter de nouvelles contraintes à des études déjà éprouvantes semble contre-productif, d'autant plus que notre enquête conjointe sur la santé mentale révèle que sept internes sur dix ont déjà envisagé d'abandonner leurs études de médecine, ce qui est particulièrement préoccupant dans un contexte de pénurie médicale.
M. Raphaël Dachicourt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR). Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Députés, pour cette audition. Il me paraît essentiel de revenir sur le diagnostic de la crise de l'accès aux soins, car un diagnostic erroné conduit à un traitement inadapté.
Cette crise n'est pas simplement une question de répartition, mais une triple crise. C’est d’abord une crise démographique médicale, conséquence du numerus clausus. C’est aussi une crise populationnelle liée au vieillissement de la population et à l'augmentation des pathologies chroniques. Enfin, c’est une crise de l'attractivité de la médecine de ville, résultant de l'hospitalocentrisme des dernières décennies, qui a entraîné une diminution de l'exercice libéral, pourtant pilier de la médecine de ville, notamment pour l'activité de médecin traitant.
S'ajoute à cela une crise de l'activité médicale, avec une multiplication d'actes superflus qui surchargent les professionnels de santé en ville, contribuant à une perte de sens et détournant de l'activité essentielle de médecin traitant.
Le contexte actuel est marqué par une transition de l'exercice ambulatoire vers une meilleure organisation, avec une logique de regroupement, la création de parcours de soins et une coordination interprofessionnelle accrue. L'arrivée de nouveaux acteurs soulève cependant le risque de financiarisation, alors même que les jeunes médecins aspirent à un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle.
Le rôle du médecin évolue également vers une approche plus préventive et de santé publique. Le colloque singulier et la consultation pour pathologie unique ne sont plus la norme.
On parle désormais de logique populationnelle, alors que les outils de mesure se basent sur des approches d'accès aux soins qui ne prennent pas encore pleinement en compte ces besoins de santé dépassant la simple production de soins. Il est impératif d'opérer un véritable virage préventif et de se concentrer sur la santé plutôt que sur le rendement.
Par ailleurs, le rôle des autres professionnels de santé évolue, avec une approche par compétences et une extension de leur champ d'action. Cependant, l'absence de concertation réfléchie entre les différents acteurs a créé des tensions au niveau national, bien que celles-ci soient moins présentes sur le terrain.
Face à ce diagnostic complexe, il n’existe pas de solution miracle. La régulation de l'installation en contexte de pénurie est un non-sens, car elle contribue à détourner les médecins vers d'autres modes d'exercice. Il est donc nécessaire d'adopter une stratégie globale, en mobilisant de nombreux leviers que nous préconisons depuis des années. Malheureusement, nous avons perdu dix ans à tergiverser sur leur mise en place.
M. Bastien Bailleul, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Je tiens à exprimer ma gratitude pour votre accueil et à souligner que mes propos s'inscrivent dans la continuité de ceux de mes collègues, notamment Killian de l’Isni. En tant que scientifiques, nos propositions reposent systématiquement sur des données issues de la littérature, c’est pourquoi je vous remercie de l'attention que vous nous accordez aujourd'hui et depuis longtemps.
En ma qualité de représentant de l'Intersyndicale des internes de médecine générale, je souhaite mettre en lumière l'aspiration croissante des internes à accéder à des stages en ambulatoire dans les territoires. Cependant, pour que ces expériences soient fructueuses, il est impératif de nous en donner les moyens concrets. Un interne affecté à un territoire doit pouvoir s'y rendre aisément, s'y loger convenablement et y transposer sa vie personnelle. À plus de 25 ans, nous avons souvent des conjoints, des amis, de la famille, parfois des enfants. Pouvoir concilier notre parcours personnel avec notre réussite professionnelle est ainsi déterminant.
Dans cette optique, nous soutenons plusieurs réformes, dont certaines sont déjà en œuvre, telle la mise en place des guichets uniques départementaux. Bien que rendus obligatoires par la loi de finances de la Sécurité sociale 2023, ces guichets n'ont pas été suffisamment développés et déployés dans les territoires. Nous préconisons que les internes soient mis en relation avec ces guichets dès le début de leur internat, avec une approche personnalisée selon leur projet professionnel. Pour ceux ayant déjà un projet défini, un accompagnement immédiat peut être mis en place. Pour les autres, ces guichets peuvent présenter les opportunités du territoire et aider à construire un projet professionnel au fil de l'internat, facilitant ainsi une installation future qui deviendrait une évidence plutôt qu'une contrainte.
Concernant la quatrième année de médecine générale en cours d'imposition, nous exprimons de vives inquiétudes. Les contours de cette année supplémentaire demeurent flous depuis son annonce. Nous n'avons aucune garantie quant au bon fonctionnement de la rémunération proposée, ni sur le recrutement des maîtres de stage nécessaires pour nous accueillir en novembre 2026. Les informations que nous recevons de nos enseignants suggèrent que la rémunération proposée aux maîtres de stage est insuffisante, compromettant non seulement la mise en place de cette quatrième année en 2026, mais aussi pour les années suivantes. Cette situation génère une anxiété considérable parmi nous, car nous sommes dans l'incapacité de nous projeter professionnellement.
Cette incertitude s'ajoute à une succession de réformes que nous avons subies tout au long de notre parcours, contribuant à la détérioration de notre santé mentale, comme le révèle l'enquête de 2024. Nous restons à votre disposition pour aborder en détail les points du questionnaire que vous nous avez transmis.
M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs représentant les syndicats, pour votre présence et la concision de votre introduction, ce qui nous permettra d'avoir un échange plus approfondi. Au-delà du questionnaire, qui sera précieux pour nourrir notre rapport, je souhaite profiter de cet échange pour explorer avec vous des solutions potentielles.
Vous avez évoqué une triple crise : démographique, d'attractivité, et hospitalocentrée. Ne pensez-vous pas qu'il y a également une évolution significative dans la conception du temps de travail ? La pratique des jeunes médecins diffère considérablement de celle de leurs prédécesseurs, sans porter de jugement de valeur. Cette transition rapide d’une génération à l’autre, combinée à la réduction du nombre de médecins formés entre 1983 et 2003, a accentué, non pas la désertification médicale, mais la difficulté d'accès aux soins pour de nombreux citoyens.
Face à la multiplication des réformes partielles, ne serait-il pas opportun d'envisager une refonte complète de la formation médicale ? Par exemple, nos voisins allemands forment leurs médecins en six ans, contre neuf à dix ans en France, sans pour autant compromettre la qualité des soins. Nous réfléchissons à une restructuration selon le modèle LMD (Licence, Master, Doctorat), avec potentiellement une base commune aux différentes professions de santé pour favoriser une meilleure compréhension mutuelle.
J'aimerais connaître votre opinion sur cette approche. Pensez-vous qu'une réinvention totale du système de formation médicale serait préférable à l'accumulation de mesures parcellaires qui, in fine, ne satisfont personne ?
M. Raphaël Dachicourt. Je souhaite apporter des précisions concernant votre première question sur le temps de travail des jeunes médecins. Effectivement, les jeunes praticiens travaillent moins, ce qui reflète une volonté louable d'équilibrer vie professionnelle et vie privée, notamment pour des raisons de santé physique et mentale. Les données de 2021 sont alarmantes : 45 % des médecins généralistes libéraux présentaient des symptômes de burn-out. L'enjeu actuel pour les jeunes médecins est donc de pouvoir soigner mieux et plus longtemps. Un médecin en bonne santé est plus à même de prodiguer des soins de qualité à ses patients.
Concernant la différence de temps de travail des médecins généralistes entre générations, l'enquête conjointe du Collège de la médecine générale et de l'Ordre des médecins apporte un éclairage intéressant. Le delta n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser : les moins de 40 ans travaillent en moyenne 8,1 demi-journées par semaine, contre 8,9 demi-journées pour les plus de 60 ans. Ces chiffres nuancent considérablement l'idée qu'il faudrait deux, voire deux jeunes médecins et demi pour remplacer un praticien plus âgé. Il convient donc d'être prudent avec cette affirmation.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est primordial de prendre en compte l'augmentation de la population, qui nécessite naturellement plus de médecins. Le ratio de 2,3 jeunes médecins pour remplacer un praticien expérimenté ne s'explique pas uniquement par l'accroissement des tâches administratives. Il résulte de la combinaison de plusieurs facteurs, dont la féminisation de la profession et l'augmentation démographique. Les études scientifiques qui avancent ce ratio de 2,3 pour 1 intègrent en réalité trois à cinq critères cumulatifs.
M. Raphaël Dachicourt. Il est essentiel d'éviter une interprétation erronée basée uniquement sur le temps de travail apparent. Mes propos concernent spécifiquement les médecins généralistes traitants installés en médecine de ville. Nous observons actuellement une orientation vers d'autres modes d'exercice, précisément parce que certains acteurs proposent des conditions de travail plus compatibles avec une vie de famille. Par exemple, les centres de santé offrent des contrats de 35 à 39 heures, tout comme certaines structures médico-sociales telles que les soins de suite et de réadaptation. Dans ces contextes, la définition du temps plein correspond au droit du travail classique, alors qu'un médecin généraliste libéral travaille en moyenne 54 heures par semaine.
Cette disparité explique en grande partie la crise d'attractivité que connaît la médecine libérale. Actuellement, ce mode d'exercice n'est pas compatible avec un temps de travail de 35 à 39 heures, ce qui influence naturellement les choix d'installation des jeunes praticiens.
M. Bastien Bailleul. Je souhaite compléter les propos de Raphaël en évoquant des chiffres antérieurs concernant le temps de travail. L'étude de 2019 indiquait que les médecins de moins de 50 ans travaillaient en moyenne 41,5 heures par semaine, auxquelles s'ajoutaient 7 heures et 30 minutes pour les tâches annexes telles que la gestion, la coordination, la formation et la comptabilité. Pour les praticiens de plus de 50 ans, ces chiffres s'élevaient respectivement à 46,5 heures et 7 heures 30 minutes. Ces données illustrent la charge de travail significative des médecins généralistes, toutes générations confondues.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il serait intéressant de disposer des données concernant les médecins âgés de plus de 60-65 ans.
M. Bastien Bailleul. Il est important de souligner l'évolution de la nature même de la consultation et de la relation médicale. Notre formation actuelle met l'accent sur une approche radicalement différente de celle des générations précédentes. Nous passons d'un modèle descendant, où le médecin imposait le traitement qu'il jugeait le meilleur, à un modèle de décision médicale partagée. Cette nouvelle approche nécessite davantage de temps pour expliquer au patient la nature de son affection et les options thérapeutiques envisageables, lui permettant ainsi de participer activement à la décision.
Cette relation médicale renouvelée favorise une meilleure appréhension de l'ensemble des pathologies du patient, y compris celles qui ne sont pas évoquées spontanément, et permet de mettre en place des stratégies de prévention efficaces. Bien que les bénéfices de cette approche ne soient pas immédiatement visibles, elle contribuera à réduire le nombre de consultations à long terme. Il est donc essentiel de ne pas se limiter à une comparaison quantitative du nombre de consultations entre générations, mais de prendre en compte la qualité des soins prodigués.
M. le président Jean-François Rousset. Votre intervention précédente a soulevé trois points cruciaux. Premièrement, vous avez mentionné des actes superflus. Il serait intéressant de préciser lesquels, selon vous. Deuxièmement, vous avez évoqué des leviers existants, mais sous-exploités. Pourriez-vous les identifier ? Enfin, vous avez abordé la question des guichets uniques, un sujet discuté depuis 2022. Quelle est la situation actuelle de leur mise en place, et quel rôle l’ARS pourrait-elle jouer dans ce contexte ?
M. Killian L’Helgouarc’h. La désaffection des internes et des étudiants pour l'exercice libéral s'explique principalement par le manque de préparation dans notre cursus de formation. Nous attendons de voir les effets de la réforme prévoyant une quatrième année de médecine générale, censée nous préparer au monde libéral, bien que les premières orientations ne semblent pas aller dans la bonne direction. Actuellement, nous ne sommes absolument pas formés à l'installation en libéral, qui implique de devenir chef d'entreprise, avec les responsabilités que cela comporte, comme la gestion du personnel. Cette situation est d'autant plus paradoxale que nous évoluons principalement en milieu hospitalier universitaire, où nous n'avons même pas de contrat de travail à proprement parler.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est frappant de constater que dans un cursus de dix ans, il n'y a pas une seule année, ni même un semestre, consacrée à l'apprentissage des compétences essentielles en gestion, comptabilité et management. La quatrième année envisagée vise à combler cette lacune, mais cela soulève une question plus large : pourquoi n'y a-t-il aucun enseignement en relations humaines ou en management, des compétences pourtant cruciales même dans un contexte hospitalier, où les médecins peuvent être amenés à occuper des postes de chef de service ou de pôle ? Cette absence de formation aux aspects non médicaux de la profession est une lacune majeure dans la préparation des futurs praticiens.
M. Killian L’Helgouarc’h. En matière de relations humaines, nous disposons certes de simulations pour l'annonce de diagnostics graves, notamment de cancers, aux patients. Cependant, nous manquons cruellement de formations spécifiques. Concernant les praticiens hospitaliers, nous insistons précisément sur la nécessité de former les chefs de service au management, compétence fondamentale dans l'exercice de leurs fonctions. Un temps dédié au management leur est d’ailleurs alloué dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Nous sommes particulièrement favorables à une réforme en profondeur de la formation, axée sur une approche territoriale. Pour illustrer ce point, permettez-moi de partager mon expérience personnelle. En tant qu'interne de médecine générale, j'ai été amené à changer fréquemment de lieu d'exercice, passant de l'Aveyron à Perpignan, puis à Nîmes, Mayotte, à nouveau à Nîmes, à Béziers, et enfin à Paris. Chaque affectation ne durant que six mois, il m'a été impossible de créer des liens durables, qu'ils soient amicaux ou familiaux, dans ces différents territoires.
Notre proposition vise à établir un cursus médical davantage ancré dans les territoires, permettant aux étudiants issus d'un bassin de vie spécifique d'y effectuer des stages tout au long de leur formation. Actuellement, cette approche est entravée par le manque de terrains de stage disponibles dans les territoires. La Conférence des doyens s'est largement penchée sur cette question fondamentale de la territorialisation des formations. Cette démarche est fondamentale pour favoriser l'installation des médecins. Les études le démontrent clairement : un praticien familier d'un territoire a trois à quatre fois plus de chances de s'y installer définitivement.
L'exemple de Mayotte, que je connais bien, est particulièrement éloquent. Lors de mon passage, un interne originaire de l'île y développait sa maison de santé pluriprofessionnelle. Il est peu probable qu'un praticien extérieur décide spontanément de s'installer à Mayotte pour y créer une MSP. Cela souligne l'importance capitale de la territorialisation dans toute réforme approfondie de la formation médicale.
M. Lucas Poittevin. Concernant la formation, et plus particulièrement la formation initiale, il convient de souligner que nous avons déjà entrepris une refonte complète. Tous les cycles ont été successivement réformés. Néanmoins, on peut reprocher à ces réformes un manque de coordination, ce qui a pu nuire à leur efficacité globale. En effet, nous avons procédé à un morcellement des différentes réformes.
Vous suggérez de réduire la durée des études pour s'aligner sur les pratiques européennes. Paradoxalement, nos enseignants justifient l'allongement des diplômes d'études spécialisées (DES) qu'ils proposent par la nécessité de se conformer aux normes européennes. Chaque année, nous recevons des demandes d'enseignants de diverses spécialités d’ajouter une année supplémentaire à leur cursus, que ce soit en dermatologie, en psychiatrie - comme cela s'est produit récemment -, en neurologie ou en cardiologie. Il semble y avoir une course à l'allongement des DES.
Aujourd'hui, la question n'est pas tant de réduire ni d’augmenter la durée des études que de stabiliser le cursus actuel. L’essentiel de l'apprentissage en médecine se fait dans la pratique, au contact des patients, que ce soit en cabinet ou en service hospitalier. C'est dans ces situations concrètes que l'on acquiert véritablement des connaissances.
Force est de constater que les réformes n'ont peut-être pas tenu toutes leurs promesses. Prenons l'exemple de la réforme du deuxième cycle : nous avions demandé un cycle plus professionnalisant, avec une hiérarchisation des connaissances en trois niveaux - fondamentales (rang A), spécialisées, mais essentielles (rang B), et spécifiques à chaque spécialité (rang C). Malgré l’introduction de cette réforme, nous nous sommes heurtés à la réticence des collèges de spécialités à réduire leur socle de connaissances. Chaque discipline, de la cardiologie à la dermatologie en passant par la pneumologie, a considéré l'ensemble de ses connaissances comme fondamentales, rendant la réduction du volume de connaissances superficielle, voire ineffective.
Face à ce constat, nous nous interrogeons sur la pertinence de déconstruire entièrement un système déjà fragile dans l'espoir de l'améliorer, alors que l'expérience récente révèle les nombreuses difficultés, pédagogiques, politiques ou autres, auxquelles nous nous heurtons.
Quant à votre proposition d'adopter un modèle Licence/Master/Doctorat, je tiens à exprimer une réserve. Bien que je comprenne votre volonté d'aligner les études médicales sur le modèle universitaire classique, il faut rappeler que les études de santé ne se sont jamais adaptées à ce modèle. La formation des professionnels de santé est guidée non seulement par des impératifs pédagogiques visant à former des praticiens compétents et prêts à exercer, mais aussi par les besoins en santé de la population. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres filières universitaires, concentrées sur l’apport d’un bagage pédagogique permettant la diversification d’exercice.
Ne serait-il pas plus judicieux de maintenir notre focus sur ces deux principes fondamentaux - les besoins des territoires et les exigences pédagogiques - plutôt que de tenter d'imposer un système qui n’est pas nécessairement utile ? Un étudiant en médecine n'aura généralement pas besoin de se confronter à d'autres filières ou de transposer son parcours. Cette proposition risque alors de créer plus d'obstacles qu'elle n'apporte de solutions, alors que d'autres approches pourraient être plus pertinentes et efficaces.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. J'entends vos arguments, mais permettez-moi d'apporter quelques nuances. Vous avez évoqué à plusieurs reprises des études sur la santé mentale des étudiants. Or, il est fort probable que, comme dans de nombreuses professions, certains médecins soient amenés à changer de voie, que ce soit suite à un burn-out ou pour d'autres raisons. Dans cette optique, si nous mettions en place le type de formation que nous proposons, ces passerelles deviendraient envisageables et potentiellement bénéfiques.
Par ailleurs, considérant que le socle de base est commun à toutes les études de santé, l'intégration de cours sur les relations humaines et le management serait globale. Ces compétences sont indispensables dès lors qu'on est amené à interagir avec autrui, que ce soit avec les patients, les secrétaires, les infirmières, ou les aides-soignantes. Les bases managériales sont particulièrement importantes dans un contexte où des liens hiérarchiques, formels ou informels se créent, notamment en milieu hospitalier.
Dans cette perspective, une refonte plus globale de la formation aurait toute sa cohérence. Cela n'invalide en rien vos propos précédents. Au contraire, cette approche globale nous permettrait d'intégrer la territorialisation que vous préconisez, ainsi que les aspects managériaux, peut-être dans les années 4-5 ou 7-8 du cursus. Ainsi, nous pourrions concilier les différents objectifs que nous avons évoqués, tout en préservant la spécificité et la qualité de la formation médicale.
Il s'agit d'une refonte complète plutôt que d'une simple adaptation du système actuel. L'intégration de la territorialisation soulève des questions cruciales. Les professeurs des DES souhaitent une spécialisation accrue, ce qui prolongerait la durée des études. J'ai échangé avec des coordinateurs de DES qui expriment le vœu d’enseigner à leurs étudiants plus longtemps, du fait de la complexité croissante des connaissances scientifiques. Ils reconnaissent cependant la nécessité d'une opérationnalité rapide et le besoin des étudiants d'acquérir une expérience de terrain. Cette dualité entre le souhait d'une formation approfondie et l'impératif d'une mise en pratique rapide crée une tension évidente dans la conception du cursus.
Mme Géraldine Bannier (Dem). En tant que députée de la Mayenne, je suis particulièrement concernée par la problématique de la répartition des médecins. Notre proximité avec les citoyens nous confronte directement à la réalité des territoires sous-dotés, bien en deçà de la moyenne nationale. Cette situation engendre une véritable souffrance. Dans notre département, la pénurie touche de nombreuses spécialités : des délais importants, jusqu’à un an, auprès des dentistes, ophtalmologues, gynécologues. Seulement 10 % de nos habitants ont un médecin traitant, et ce malgré l'attractivité de notre territoire qui offre de l'emploi, de la sécurité et un cadre de vie agréable.
Nous sommes pris en étau entre les demandes pressantes de nos concitoyens et notre reconnaissance envers les médecins présents, dont nous apprécions l'engagement. Cette situation nous contraint parfois à soutenir des mesures par défaut, faute de propositions concrètes émanant de la profession pour améliorer l'accès aux soins.
Concernant la territorialisation des études, je propose deux pistes de réflexion. Premièrement, ne devrions-nous pas étendre le cursus à Laval, qui affiche déjà d'excellents résultats, en proposant une deuxième année pour les étudiants issus de milieux défavorisés, voire l'intégralité du cursus ? Cette option serait particulièrement bénéfique pour cette population, réduisant les coûts et renforçant leur attachement au territoire. Deuxièmement, j'émets des réserves quant à l'efficacité de la quatrième année d'études en zones sous-dotées. Par exemple, j’ai échangé avec deux psychiatres en fin de carrière, qui estiment ne pas être en mesure d'accueillir des stagiaires du fait de leur âge et de l’absence d’un confrère dans leur cabinet ; ce qui illustre les limites de cette approche. Je crains que cette expérience ne dissuade les jeunes de s'installer durablement dans ces régions.
Je préconise plutôt l'instauration d'un service médical post-diplôme d'un an. Ce dispositif, proposé au volontariat, offrirait aux jeunes médecins une solution clé en main, que ce soit sous forme de salariat ou d'exercice libéral facilité, dans des zones préalablement identifiées comme prioritaires. Cette expérience pourrait s'avérer enrichissante et ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles, à l'instar de mon propre parcours d'enseignante.
Notre objectif est de collaborer avec vous pour trouver des solutions constructives, au-delà des conflits.
M. Raphaël Dachicourt. Je vous remercie pour ces questions pertinentes. Je tiens à clarifier que je n'ai pas nié l'existence d'inégalités de répartition, mais plutôt souligné que ce n'est pas le cœur du problème. La difficulté d'accès aux soins relève principalement d'un déficit quantitatif. Les chiffres sont éloquents : entre 2012 et 2021, la démographie des médecins généralistes a chuté de 5,6 %, tandis que celle des sage-femmes en libéral a augmenté de 144 %, des dentistes de 51 % et des infirmiers de 49 %. Ces dynamiques démographiques divergentes rendent toute comparaison hasardeuse.
Malgré cette baisse, les médecins généralistes demeurent la profession de santé la mieux répartie sur le territoire. Selon les données de l'Assurance maladie, l'écart entre les départements les mieux et les moins bien dotés n'est que de 1,7 pour les médecins généralistes, contre plus de 2, voire 3, pour les autres professions de santé.
Concernant la territorialisation, je soutiens pleinement votre proposition. C'est effectivement un axe d'action prioritaire sur le long terme, sur lequel nous avons malheureusement perdu une décennie. Il est désormais urgent d'établir des antennes universitaires couvrant l'intégralité du cursus, pas uniquement la première année. Nous nous appuyons sur les données de la Dress, dans une revue de littérature internationale, qui démontrent l'impact significatif de cette approche sur la rétention des médecins dans les territoires sous-dotés. L'expérience de pays comme l'Australie, le Japon et le Canada, avec leurs facultés de médecine rurales, est particulièrement probante.
Notre proposition privilégie des antennes universitaires rattachées à des pôles existants, combinées à un virage ambulatoire de la formation. Il est en effet contre-productif de former des étudiants majoritairement à l'hôpital pour ensuite s'étonner qu'ils ne s'installent pas en ville ou qu'ils restent cantonnés aux grands campus universitaires où ils ont passé une décennie de leur vie. Cette approche constitue un levier puissant pour augmenter l'offre de soins dans les territoires qui en ont le plus besoin.
Il est impératif de revaloriser le rôle du médecin traitant face à la prolifération d'activités annexes. Nous constatons un effondrement de la médecine libérale, particulièrement chez les médecins traitants, en raison de l'émergence d'offres alternatives nécessitant également des médecins. Il importe de prendre en compte les données suivantes : l'activité salariée hospitalière a augmenté de 17 %, tandis que l'activité libérale a diminué de 15 %. Ces chiffres démontrent clairement que si nous concentrons tous les effectifs à l'hôpital, nous vidons les cabinets de ville, et vice versa. Il est donc essentiel de considérer l'ensemble de ces dynamiques.
Concernant l'organisation du système de santé, de nombreuses mesures doivent être mises en place pour favoriser la coopération interprofessionnelle. Cependant, cette coopération doit se fonder sur la confiance et la flexibilité accordées aux équipes qui se forment sur le terrain, telles que les équipes de soins primaires, les maisons de santé et les centres de santé. Il est illusoire de concevoir une coopération à l'échelle nationale en supposant qu'elle s'appliquera uniformément partout. La souplesse est indispensable dans ce domaine.
Quant au service médical à la nation que vous avez évoqué, nous préconisons une approche basée sur un statut plutôt que sur une année de service. Le statut de médecin-assistant, similaire à celui de remplaçant, mais exercé en parallèle, pourrait servir de modèle. Ce statut a pour vocation principale d'apporter un renfort, notamment dans les territoires en tension, comme les zones sous-dotées. En développant ce concept autour du statut d'assistant, nous pourrions créer un système de volontariat attractif dans les zones sous-dotées, offrant plus de souplesse qu'une installation classique et atténuant les appréhensions des jeunes médecins face à l'installation. Cette approche pourrait être intégrée dans le cadre du pacte de François Bayrou sur le statut de praticien territorial de médecine ambulatoire.
Pour répondre à la demande de soins, il est nécessaire de libérer du temps médical en éliminant les consultations inutiles et administratives. Hadrien Clouet a déposé une proposition de loi à ce sujet. Des mesures concrètes peuvent être envisagées, telles que l'autodéclaration pour les arrêts de travail de courte durée, déjà mise en place dans des pays comme le Portugal ou la Belgique, la suppression des certificats pour enfants malades et des certificats sportifs, la simplification des prescriptions de transport, et l'assouplissement des renouvellements de soins pour les auxiliaires médicaux concernant les patients en ALD. Nos propositions en ce sens pourraient permettre d'économiser environ dix millions de consultations par an. Il est impératif d'agir sur ce levier pour optimiser notre système de santé.
M. Lucas Poittevin. Concernant la formation, il est essentiel de ne pas concevoir un modèle visant uniquement à permettre aux étudiants en difficulté de santé mentale de se réorienter. Notre objectif doit être de construire un cursus permettant aux étudiants de s'épanouir et d'être formés adéquatement, tout en reconnaissant les défis à relever dans ce domaine.
L'idée de cours communs entre différentes filières est déjà une réalité. Par exemple, les étudiants en médecine suivent des cours de chirurgie maxillo-faciale avec les étudiants en dentaire, et des cours de gynécologie avec les étudiants en maïeutique. Le service sanitaire constitue également un excellent exemple de coopération. Il convient de poursuivre dans cette voie plutôt que de se focaliser sur un tronc commun au-delà de la première année, qui est déjà interfilière (MMOPK : médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie).
Concernant la territorialisation, deux aspects sont à considérer. Premièrement, l'universitarisation des territoires, qui implique le développement de stages en périphérie, dans des centres hospitaliers non universitaires et en ambulatoire. Cette approche revêt une importance majeure et doit être accélérée, malgré les difficultés liées notamment au recrutement de maîtres de stage. Cette évolution est d'autant plus nécessaire que les promotions de facultés de médecine ont augmenté de 20 % en 2020, et que les CHU ne peuvent plus accueillir l'ensemble des étudiants.
Deuxièmement, il faut veiller à ce que la territorialisation de la formation offre toutes les garanties de réussite aux étudiants, notamment en termes de services universitaires. Cette démarche doit être basée sur des études et une concertation, plutôt que sur des initiatives parlementaires imposant arbitrairement une faculté de médecine ou une antenne par département. La pertinence doit primer sur une mesure nationale uniforme, d'autant plus que le contexte budgétaire actuel de l'enseignement supérieur rend de telles initiatives difficilement réalisables.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). En tant que députée du Morbihan, je tiens à souligner que malgré l'apparente attractivité de notre région, nous sommes confrontés à des défis similaires à ceux évoqués par ma collègue de Mayenne. Notre territoire, bien qu'attractif, est vieillissant et certains secteurs, comme la presqu'île de Rhuys, sont considérés comme des zones tendues en termes d'accès aux soins.
Notre priorité, en tant que députés, est de garantir la satisfaction et l'accès aux soins de nos concitoyens, quel que soit leur lieu de résidence. C'est cette préoccupation qui guide nos actions quotidiennes.
Je tiens à souligner le rôle essentiel joué par les collectivités locales dans ce domaine. Les maires, en particulier, déploient des efforts considérables pour répondre aux besoins de leurs administrés. Ils mettent à disposition des locaux, des terrains, et vont jusqu'à salarier des médecins. Il est important de reconnaître et de valoriser ces initiatives locales.
Face à la multiplication des réformes, je rejoins l'avis de ma collègue, mais je l'exprimerai peut-être plus directement : si la profession médicale ne prend pas elle-même les choses en main, il n'est pas surprenant que les législateurs s'emparent du sujet et tentent de trouver des solutions. Ces solutions peuvent parfois sembler inadaptées ou injustifiées, et je comprends que vous puissiez les vivre difficilement. Cependant, cette situation découle directement de l'absence d'initiatives suffisantes de la part de votre profession pour résoudre ces problématiques.
Je souhaite vivement que nous collaborions pour trouver des solutions communes. Il est essentiel de comprendre que nous accomplissons simplement notre devoir d'élus, mandatés par les citoyens. J'attends avec grand intérêt vos propositions détaillées par écrit, émanant de votre profession. La médecine avancée et la délégation de certaines tâches à d'autres professionnels de santé retiennent particulièrement mon attention, car elles répondent à des besoins concrets. Nous, parlementaires, réfléchissons activement à élargir les compétences des infirmières, des pharmaciens et des kinésithérapeutes. Cette approche vise à vous libérer du temps pour vous concentrer sur l'essentiel de votre pratique, notamment les aspects cruciaux précédant l'hospitalisation.
Concernant la territorialisation, je peux vous présenter l’exemple du centre hospitalier de Vannes dans ma circonscription. Son directeur et ses équipes travaillent assidûment sur l'aménagement du territoire en santé, un concept que nous, élus, promouvons également. Le médecin généraliste joue un rôle central dans cette stratégie d'aménagement. J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet et savoir si vous menez des réflexions similaires.
Enfin, j'adresse une question simple, mais cruciale à vous cinq, futurs médecins : quels facteurs détermineront votre choix d'installation dans un territoire plutôt qu'un autre ?
Raphaël Dachicourt. Je suis profondément déconcerté par cette demande réitérée de propositions. Depuis cinq à six ans, nous soumettons inlassablement des documents détaillés. Rien que cette année, nous avons produit quatre rapports substantiels sur l'accès aux soins, dont un spécifiquement consacré aux déterminants de l'installation des jeunes médecins. Ces travaux s'alignent parfaitement avec les conclusions des rapports internationaux, la Drees, le Hcaam, l'Irdes et d'autres organismes reconnus, identifiant systématiquement les mêmes facteurs clés.
Nous avons même élaboré une proposition de loi prête à l'emploi, transmise aux députés, synthétisant les mesures nécessaires. Malheureusement, aucun retour ni soutien n'ont été apportés à cette initiative. Des actions politiques concrètes sont indispensables, car les médecins sur le terrain sont déjà surchargés.
Prenons l'exemple du golfe du Morbihan. Le zonage actuel, basé sur la proposition de loi Garot, considère comme surdotées des zones qui, en réalité, ne connaissent aucunement une surabondance de médecins. Je peux témoigner personnellement de cette situation, étant installé dans la métropole lilloise, dans une zone d’action renforcée (ZAR), une catégorie intermédiaire spécifique à la Bretagne et aux Hauts-de-France. Bien que non classée comme sous-dotée selon la PPL Garot, je vois quotidiennement des patients en difficulté pour trouver un médecin traitant, certains recherchant six mois ou plus.
Le problème est fondamentalement quantitatif. Les solutions passent inévitablement par la formation, la réorganisation du système de santé et la libération du temps médical. Les autres mesures, bien que potentiellement utiles, ne répondent qu'à des problématiques spécifiques. Par exemple, les consultations avancées ou les médicobus ciblent principalement l'éloignement géographique, une problématique qui ne concerne qu'une minorité des territoires sous-dotés ; d’où l’élaboration d’un autre zonage en cours visant 2,8 % de la population.
L'approche la plus prometteuse réside dans le soutien aux structures existantes et le développement de dynamiques territoriales, s'appuyant sur des leaders locaux et des équipes performantes. Les guichets uniques, déjà mis en place avec succès dans certaines régions comme les Pyrénées-Atlantiques avec Présence Médicale 64, démontrent l'efficacité d'un accompagnement personnalisé et d'une mise en adéquation précise entre les besoins identifiés des territoires et les attentes des jeunes professionnels.
Le défi actuel réside dans l'absence d'un organisme centralisant efficacement ces informations. Les ARS ne remplissent pas pleinement ce rôle, et les zonages actuels offrent une vision biaisée de la réalité territoriale. Une véritable territorialisation nécessite une identification directe des besoins sur le terrain et une mise en relation efficace avec les professionnels de santé.
M. le président Jean-François Rousset. Je tiens à souligner la continuité et les ruptures dans l'approche politique de cette question. Le concept de guichets uniques, initialement évoqué par le ministre François Braun, illustre la persistance de certaines idées malgré les changements fréquents de ministres de la Santé. En tant que députés, nous avons mené de nombreuses consultations auprès des étudiants, des jeunes praticiens et des médecins expérimentés, constituant une base de données substantielle. Cependant, la transformation de ces informations en propositions concrètes a été entravée par l'instabilité ministérielle. Actuellement, avec le ministre en place depuis six mois, nous nous trouvons dans une situation où chacun peut légitimement affirmer avoir fait des propositions ou mené des consultations, sans pour autant avoir pu les concrétiser pleinement.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je me remémore un débat récent sur Sud Radio, autour de la période de la crise du Covid, où le président d'honneur de la Fédération des médecins argumentait contre les mesures coercitives, citant l'exemple de Belle-Île-en-Mer. Il expliquait que la commune avait réussi à attirer des médecins en offrant un logement de fonction et un véhicule de service. J'ai dû lui faire remarquer que cette approche risquait de créer une médecine à deux vitesses, discriminant les collectivités n'ayant pas les moyens de proposer de tels avantages.
Concernant les propositions évoquées, je ne remets pas en question le travail des syndicats étudiants. Cependant, je peux témoigner que certaines propositions émanant d'autres représentants, non étudiants, manquaient de cohérence et s'avéraient inacceptables pour nous, élus.
M. Killian L’Helgouarc’h. En tant qu'interne en médecine générale, je souhaite partager mon expérience personnelle concernant mon choix d'installation. J'ai décidé de m'établir à Langogne, en Lozère, une zone d'intervention prioritaire classée rouge, donc plus critique encore que dans votre circonscription. Ce choix s'explique par deux facteurs principaux qui influencent généralement les décisions d'installation des médecins : le lieu de naissance ou les lieux de stage. Dans mon cas, bien que natif du Finistère, j'ai opté pour la Lozère suite à un stage qui m'a particulièrement plu.
La transition de la Bretagne à la Lozère a été facilitée par la mise à disposition d'un logement dès mon premier stage. Sachant que pour de nombreux étudiants, même des déplacements relativement courts peuvent sembler considérables, surtout en début de cursus. L’enjeu consiste à proposer des opportunités de formation proches du lieu d'origine des étudiants dans les premières années, tout en encourageant une installation future dans ce même bassin de vie.
J'ai également souscrit au contrat d’engagement de service public (CESP), un dispositif étatique visant à attirer les médecins dans les zones sous-dotées en échange d'une rémunération mensuelle. Cependant, je dois souligner que l'accompagnement promis dans le cadre de ce contrat s'est avéré inexistant. Le suivi par l’ARS de rattachement est minimal, se limitant au mieux à un e-mail annuel. Cette situation met en lumière les défaillances d'un système conçu pour améliorer l'attractivité des territoires en difficulté, mais qui, dans les faits, se résume à une simple incitation financière sans réel accompagnement.
Dans ma recherche d'un lieu d'exercice, j'ai contacté de multiples ARS pour obtenir des informations sur les possibilités correspondant à mon projet professionnel. Malheureusement, aucune n'a été en mesure de me fournir des réponses satisfaisantes et personnalisées. Cette expérience m'a convaincu de la nécessité de repenser l'échelle d'action, en privilégiant peut-être un niveau départemental, impliquant davantage les collectivités locales et les Unions régionales des professionnels de santé (URPS), qui ont une connaissance plus fine des réalités du terrain.
Il est également primordial de maintenir le lien entre les étudiants en médecine et leur territoire d'origine. Actuellement, il n'existe pas de suivi systématique des étudiants originaires d'un territoire donné qui poursuivent leur parcours ailleurs. Cette lacune empêche les collectivités de rappeler à ces futurs médecins que leur région natale a besoin d'eux. L'enjeu n'est pas de dérouler le tapis rouge, mais de cultiver un sentiment d'appartenance territoriale tout au long du cursus, facteur déterminant dans le choix final d'installation.
Mme Béatrice Bellamy (HOR). Je vous remercie pour vos interventions. En tant que députée de la Vendée et mère d'un interne en médecine générale et belle-mère d'une interne en oncologie, je suis particulièrement sensible aux enjeux que vous soulevez. J'ai naturellement soutenu leur opposition à la proposition de loi Garot, que je n'ai pas votée.
En revanche, concernant la proposition du ministre Yannick Neuder d'imposer deux jours par mois d'exercice dans une zone sous-dense, je pense qu'il faut repenser notre approche de la classification des territoires. Avec 90 % du territoire français considéré comme en désertification médicale, il serait plus pertinent de considérer l'ensemble du pays comme zone d'installation potentielle, à l'exception des zones surdenses où l'installation serait déconseillée.
Un sujet qui m'inquiète particulièrement est la pénurie d'internes en psychiatrie, notamment en pédopsychiatrie. Compte tenu de la durée de formation nécessaire, entre douze et quatorze ans, pour exercer et enseigner dans ce domaine, nous accusons un retard préoccupant. Je m'interroge sur les raisons de ce désintérêt pour la psychiatrie chez les futurs médecins.
Par ailleurs, je constate des incohérences dans la classification des zones. Par exemple, La Roche-sur-Yon est désormais considérée comme zone surdense, alors que nous avons encore dix mille patients sans médecin traitant. Cette situation m'a conduite à ne pas voter la loi, malgré la pression de certains élus locaux, car elle risquerait de freiner l'installation de nouveaux médecins dans notre ville.
Enfin, je note une tendance chez certains médecins à privilégier des zones touristiques pour leur installation, comme Les Sables-d'Olonne ou La Tranche-sur-Mer, attirés par la possibilité de combiner exercice professionnel et loisirs. Cette tendance soulève des questions sur l'équilibre entre attractivité du cadre de vie et répartition équitable des professionnels de santé sur le territoire.
J'entends fréquemment ce discours, tant de la part des médecins que des paramédicaux. Ils expriment le désir légitime d'avoir une vie équilibrée, ce que je comprends parfaitement. Mon père, médecin généraliste de campagne, menait une vie professionnelle intense, pratiquant aussi bien des accouchements à domicile que des interventions vétérinaires en l'absence de spécialiste. Je conçois donc aisément que les nouvelles générations aspirent à un mode d'exercice différent.
Les internes que je rencontre manifestent clairement leur préférence pour un exercice en cabinet médical pluridisciplinaire, entourés de divers professionnels de santé. Ils privilégient un exercice partagé, une tendance que nous devons prendre en compte. Malheureusement, il semble que les élus locaux n'aient pas anticipé cette évolution, probablement par manque de concertation concrète sur le terrain. Nous constatons ainsi la création de maisons de santé, financées par les ARS, qui demeurent vides faute de médecins. Cette situation est regrettable et représente un gaspillage de ressources.
Concernant les délégations de tâches, nous avons réalisé des avancées significatives, notamment avec les pharmaciens pour la vaccination, et avec les infirmiers en pratique avancée (IPA) pour le suivi des maladies chroniques. Cependant, nous nous heurtons encore à la réticence de certains médecins, invoquant des locaux inadaptés ou une résistance au changement pour les plus expérimentés. Quelle est la position de la jeune génération sur ces délégations et sur l'intégration des assistants médicaux, qui peuvent considérablement alléger la charge de travail des praticiens ?
Des progrès ont été réalisés, comme la possibilité pour les infirmiers d'établir des certificats de décès. Je soutiens également l'idée d'autoriser les arrêts de travail de courte durée sans consultation médicale. Je suis convaincue que les salariés sauront faire preuve de responsabilité, peut-être même davantage que certains médecins qui, par précaution, prescrivent systématiquement des arrêts plus longs.
La situation des maisons de santé municipales mérite notre attention. À La Roche-sur-Yon, par exemple, une telle structure, employant 15 médecins pour environ 11 équivalents temps plein, génère un déficit annuel d'environ 1,5 million d'euros pour la ville. Ce modèle attire divers profils, y compris des médecins en fin de carrière cherchant un exercice et une qualité de vie plus confortable.
Concernant le pacte médical et la quatrième année d'internat, Yannick Neuder a annoncé des propositions pour juin, qui devraient être attractives, notamment en termes de rémunération. Rappelons que l'augmentation prévue du nombre d'internes, passant d'environ 7 000 en 2017 à potentiellement 16 000 en 2027, pourrait à terme conduire à un surplus de médecins.
Enfin, nous travaillons à l'universitarisation du département de la Vendée pour les deux premières années d'études médicales, ainsi qu'à l'intégration des deux années de master d'IPA. Ce processus est complexe, mais le changement récent de doyen à l'université de Nantes ouvre de nouvelles perspectives encourageantes.
M. Bastien Bailleul. Je vais tâcher de répondre à l'ensemble des questions pertinentes que vous avez soulevées. Concernant le pacte médical de lutte contre les déserts médicaux, annoncé par François Bayrou et porté par le ministre de la Santé, il ne se limite pas à la mesure des deux jours en zone sous-dotée. Nous avons constaté avec satisfaction que ce pacte intègre de nombreuses propositions que nous avions soumises au gouvernement en avril dernier lors des auditions. Cela témoigne d'une réelle écoute de nos recommandations.
Parmi les avancées notables, citons la suppression des certificats médicaux jugés superflus pour le sport, ainsi que la perspective d'étendre cette simplification aux arrêts de travail de courte durée, ce qui pourrait considérablement augmenter le temps médical disponible. Cependant, la mesure des deux jours en zone sous-dense. Elle ne résout pas le problème de fond, mais déplace simplement les médecins vers les patients, sans augmenter le nombre total de consultations. De plus, pendant ces déplacements, les patients du cabinet d'origine se retrouvent sans médecin.
Néanmoins, nous percevons des opportunités dans ces consultations avancées, notamment en termes de simplification des démarches administratives pour l'exercice dans ces territoires, ce qui pourrait inciter les remplaçants à se déplacer. Raphaël pourra certainement apporter son éclairage sur ce point spécifique.
Cette mesure doit reposer sur le volontariat pour la rendre attractive et redonner de l'intérêt aux médecins pour ce type d'exercice. L'objectif est de leur permettre de s'épanouir davantage dans leur travail et de consulter efficacement. Nous nous efforcerons de travailler dans cette direction pour optimiser l'impact de ces nouvelles dispositions.
La problématique du recrutement en psychiatrie s'apparente à celle d'autres spécialités. Le manque de familiarisation des étudiants à cette discipline est un facteur déterminant. La psychiatrie est généralement enseignée tardivement dans le cursus médical, et les opportunités de stages sont limitées. Cette situation s'explique en partie par la nature particulière de la pratique psychiatrique, qui ne permet pas d'accueillir un grand nombre d'étudiants auprès d'un même patient, contrairement à d'autres spécialités.
Une piste intéressante pour revaloriser l'attrait des stages en psychiatrie serait de développer des stages auprès de psychiatres exerçant en ambulatoire. Ces praticiens, en tant que médecins qualifiés, sont parfaitement aptes à former les futurs psychiatres. Cette approche offrirait aux étudiants l'opportunité de découvrir l'exercice de la psychiatrie en dehors du cadre hospitalier et universitaire.
Il convient de souligner que cette problématique de l'exercice ambulatoire ne se limite pas à la psychiatrie, mais concerne l'ensemble des spécialités médicales. La médecine générale n'est pas la seule à s'exercer en dehors des structures hospitalières.
Concernant les maisons de santé pluridisciplinaires, leur création a souvent été réalisée sans projet médical préalable. Cette approche est inadéquate. Il est essentiel que la création d'une maison de santé découle d'un projet médical concret. Il faut accompagner les médecins dans l'élaboration de leur projet avant de mettre en place la structure physique.
Quant à la question de la délégation des tâches, à l'Isnar-IMG, nous préférons parler de partage des tâches. Les jeunes générations de médecins sont davantage orientées vers un apprentissage collaboratif, impliquant à la fois les différentes spécialités médicales et les professions paramédicales. Cette approche nécessite une nouvelle organisation du système de santé, qui doit être testée et ajustée de manière appropriée.
L'élément essentiel à retenir est la nécessité d'une coordination efficace. Un exercice non coordonné serait contre-productif et risquerait de créer une concurrence non souhaitable entre les différents acteurs de santé. À l'inverse, une approche coordonnée, donnant du pouvoir décisionnel aux équipes locales, permettrait une organisation plus efficace et efficiente. Il est préférable de laisser les acteurs locaux s'organiser plutôt que d'imposer un modèle rigide au niveau national.
Concernant la quatrième année de formation, les chiffres récemment publiés soulèvent des interrogations. Cette année supplémentaire était initialement présentée comme une opportunité de préprofessionnalisation, visant à faciliter l'installation dans le secteur libéral, comme c’est le cas pour nos aînés rémunérés à l’acte. Cependant, le modèle de rémunération proposé, avec un salaire de 4 500 euros versé par le CHU, maintient un système de salariat qui ne prépare pas réellement à l'exercice libéral.
De plus, les conditions financières annoncées hier pour les maîtres de stage universitaires sont jugées insuffisantes par l'ensemble des représentants de la profession et le collège national des généralistes enseignants. L'indemnité de 1 200 euros pour les charges liées au cabinet ne couvre pas les frais réels et engendre même un déficit. Cette situation risque de dissuader les praticiens d'accueillir des docteurs juniors, compromettant ainsi la mise en place effective de cette quatrième année.
Face à ces difficultés, deux options se présentent : soit diriger les docteurs juniors de médecine générale vers l'hôpital, ce qui serait en contradiction avec l'objectif initial de formation à l'exercice libéral, soit reporter la mise en place de cette quatrième année, les conditions actuelles ne permettant pas sa réalisation effective.
M. le président Jean-François Rousset. Concernant la rémunération des maîtres de stage, il convient de préciser qu'elle s'élève à près de 3 000 euros par mois. Cette somme se décompose en 1 800 euros de base, auxquels s'ajoutent 800 euros par zone d'intervention et 400 euros pour la supervision.
Dr Sayaka Oguchi. En tant que maître de stage, engagée dans l'enseignement, je dois exprimer mes réserves quant aux conditions proposées actuellement. Les coûts liés à l'accueil d'un étudiant sont considérables : le loyer médical avoisine les 900 euros, auxquels s'ajoutent les frais de logiciel médical, de matériel, de secrétariat et de système de prise de rendez-vous. Dans ces conditions, je ne suis pas disposée à engager davantage de recherches. J'accueille déjà des internes de niveau 1 et 2 ainsi que des externes. Pour accueillir des docteurs juniors, il faudrait que je trouve un local supplémentaire, ce que je peux par ailleurs envisager en collaboration avec les collectivités locales.
M. le président Jean-François Rousset. Les députés ont évoqué la possibilité d'un soutien de la part des collectivités locales dans ce contexte. Des mesures ont été votées au fil des années. Certaines CPTS, par exemple, fonctionnent efficacement, finançant des assistants médicaux et d'autres dispositifs mis en place par les lois récentes.
Dr Sayaka Oguchi. Cependant, il faut noter que les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne sont pas encore opérationnelles dans tous les secteurs. De plus, la difficulté réside dans la flexibilité nécessaire pour les projets des docteurs juniors. Ces projets peuvent nécessiter une présence dans différents lieux selon les jours, ce qui complique l'organisation sous le format actuel.
Mme Géraldine Bannier (Dem). Je souhaite soulever une question complémentaire concernant le statut d'assistant territorial ou de remplaçant. L'attribution de ces statuts est-elle corrélée au nombre de médecins existants dans une zone donnée ? Dans les départements déjà en déficit médical, les chances d'avoir des assistants médicaux territoriaux pourraient être réduites. Cette situation rappelle le déploiement de la télémédecine, où les zones les mieux dotées en médecins ont été privilégiées, en Loire-Atlantique en l’occurrence, laissant les départements en difficulté comme la Mayenne en dernière position. L'attribution de ces statuts devrait prendre en compte la densité médicale existante. C'est pourquoi je suis favorable à un statut totalement décorrélé de la présence d'un médecin sur place, car notre objectif principal est d'augmenter le nombre de médecins dans les zones sous-dotées.
M. Killian L’Helgouarc’h. Concernant les assistants, nous avons élaboré une proposition avec l’Anemf au début de l'année, en collaboration avec les médecins et les doyens, portant sur les assistants territoriaux. Cette initiative a ensuite évolué, prenant diverses appellations. Le pacte du Premier ministre sur les déserts médicaux évoque aujourd'hui des praticiens territoriaux, ce qui revient essentiellement au même concept. Notre proposition initiale visait à cibler des zones spécifiques en concertation avec les collectivités territoriales, les ARS et l'ensemble des acteurs concernés, afin d'identifier les besoins et d'orienter ces postes en conséquence.
Nous avons repris le statut d'assistant des hôpitaux existant, en le transposant au secteur libéral. Il est indéniable que les internes choisissant le statut d'assistant spécialiste des hôpitaux le font généralement dans l'optique d'une future installation en libéral. Ils seraient donc naturellement enclins à accepter ce type de poste. Pour la médecine générale, nous avons envisagé une évolution du statut d'assistant actuel, actuellement soumis à trois conditions strictes, en y ajoutant une quatrième option. Celle-ci permettrait, sous validation de l'ARS, d'exercer dans des zones considérées comme très déficitaires, offrant ainsi au médecin remplaçant la possibilité d'améliorer l'offre de soins sur le territoire plutôt que de se limiter à un simple remplacement. Nous sommes tout à fait favorables à cette approche et nous vous transmettrons nos propositions détaillées à ce sujet.
Quant aux collectivités territoriales, leur implication est déterminante. Certaines ont pris des initiatives remarquables, comme en Vendée, où un maire particulièrement engagé a repris notre charte du logement de 2018, cosignée par l'ensemble des structures concernées. Cette charte visait à définir les attentes des internes et des étudiants en matière d'accueil dans les territoires. Ce maire a même créé un label basé sur cette charte pour l'accueil des internes, une démarche fortement soutenue dans le département de la Vendée.
Concernant la rémunération de 4 500 euros, notre principale préoccupation porte sur les maîtres de stage universitaires, essentiels à la formation. Nous avons évoqué la possibilité de créer un statut de médecins accueillants, permettant à des praticiens plus âgés, peu enclins à encadrer des étudiants, de partager leurs locaux sans assurer de supervision directe.
Nous sommes particulièrement favorables aux assistants médicaux, qui permettent un gain de temps médical significatif sans ajouter de contraintes excessives pour le médecin. Bien que cela nécessite une formation adéquate et implique des responsabilités de management pour lesquelles nous ne sommes pas nécessairement préparés, il a été démontré que cette approche permet d'augmenter efficacement le nombre de patients pris en charge.
Concernant la proposition de loi Garot, nous y sommes fermement opposés pour les raisons que j'ai déjà exposées, notamment son inefficacité à résoudre les problèmes d'accès aux soins.
En revanche, nous sommes favorables à la proposition de loi Mouiller, qui sera bientôt examinée par la commission des affaires sociales.
La solidarité, portée dans le plan Bayrou, est au cœur de notre éthique médicale, comme en témoigne notre engagement constant dans les services hospitaliers. Je tiens à souligner l'initiative remarquable de Médecins solidaires, portée par le docteur Martial Jardel, qui a mis en place des centres de santé où les médecins, bien que modestement rémunérés, assurent une présence médicale continue tout au long de l'année grâce à un système de rotation hebdomadaire. De telles initiatives démontrent qu'il est possible d'améliorer l'accès aux soins sans recourir à une obligation de solidarité imposée par le gouvernement.
Une coordination territoriale efficace, probablement au niveau départemental, soutenue par les URPS et les guichets uniques, est essentielle. Il s'agit de réunir tous les acteurs concernés pour identifier les besoins en médecins dans chaque territoire et élaborer des solutions collectives clé en main, notamment en proposant des cabinets qui facilitent l'installation des praticiens sans leur imposer de charges supplémentaires. Cette approche collaborative nous semble être la voie la plus prometteuse pour résoudre les défis actuels d'accès aux soins.
M. Lucas Poittevin. Nous avons également élaboré une contre-proposition concernant la question de la solidarité territoriale. Notre opposition au principe initial repose sur plusieurs points de vigilance, notamment le fait que, dans sa forme actuelle, le plan prévoit qu'un médecin se déplace dans une zone sous-dotée tout en se faisant remplacer dans son cabinet d'origine. Cette approche présente plusieurs inconvénients : elle engendre une surcharge administrative, rompt la continuité des soins pour les patients et, in fine, ne génère pas d'augmentation du nombre de consultations comme le plan le prévoit.
Nous proposons de renverser cette logique en confiant aux ARS, en collaboration étroite avec les élus locaux qui connaissent parfaitement leur territoire, la mission d'établir une cartographie précise des zones en tension. Sur la base de cette cartographie, les ARS seraient chargées de coordonner la mise à disposition de centres de consultation avancée, c'est-à-dire des locaux équipés où les médecins pourraient exercer. Il incomberait ensuite aux médecins, par exemple par le biais du Conseil départemental de l’ordre des médecins, d'établir les plannings de garde pour assurer la continuité des soins dans ces territoires identifiés comme prioritaires.
M. le président Jean-François Rousset. Je me permets de nuancer votre propos concernant le rôle du Conseil de l'Ordre, qui me semble quelque peu éloigné des réalités territoriales. À mon sens, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont mieux placées pour remplir ce rôle de coordination. Leur vocation est précisément de donner aux professionnels de santé, dont vous êtes, la liberté d'organiser la permanence des soins en s'adaptant aux besoins locaux, y compris pour ces consultations avancées.
Nous avons d'ailleurs formulé une proposition, acceptée par Yannick Neuder et élaborée en collaboration avec la CPTS du Sud-Aveyron, permettant à un étudiant docteur junior d'accompagner son maître de stage dans des zones dépourvues de médecins, sans nécessité d'ouvrir un cabinet secondaire. Cette approche offre la possibilité de couvrir intégralement le temps de formation d'un an auprès de plusieurs maîtres de stage.
Je vous rappelle que nous avons soumis cinq propositions cosignées, toutes acceptées par Yannick Neuder. Je vous propose de saisir les opportunités législatives qui peuvent vous soutenir dans votre mission. Les CPTS représentent un outil précieux, à condition que vous acceptiez de vous y investir pleinement. Vouloir conjuguer l'action des CPTS avec celle des conseils de l'ordre, des ARS et des maires pour organiser tout cela me semble revenir à un système déjà obsolète.
M. Lucas Poittevin. Notre proposition vise à garantir la continuité des soins dans les zones les plus en tension, en s'appuyant sur la responsabilité des médecins. Il est indéniable que les médecins, y compris les jeunes générations, font preuve d'un grand sens des responsabilités. En effet, 80 % des nouvelles installations en médecine générale se font dans les zones sous-denses. Nous avons également démontré précédemment que la durée de travail est loin d'être aussi faible qu'on pourrait le penser.
Le gouvernement a repris notre proposition de manière imparfaite dans la proposition de loi Mouiller, en l'ajoutant à la mesure initiale de l'article 3. Cette situation crée une confusion et rend la mesure inapplicable en l'état. J'anticipe que nous aurons l'occasion d'en discuter lors de sa mise en place.
Concernant la psychiatrie, bien qu'elle soit la troisième spécialité recevant le plus d'internes, entre 450 et 500, elle ne parvient pas à pourvoir à tous les postes ouverts face à des besoins considérables. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Les étudiants en médecine, à l'instar de la population générale, ont souvent des préjugés sur la psychiatrie, en partie dus à certaines pratiques passées peu adaptées. Cependant, des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années.
Une étude menée auprès des internes en psychiatrie révèle que l'expérience d'un stage dans cette spécialité peut changer positivement la perception des étudiants et potentiellement susciter des vocations. De plus, l'implication des médecins généralistes dans des activités psychiatriques contribue à améliorer l'offre de soins dans ce domaine.
Un autre enjeu majeur est le manque de financement pour la recherche en psychiatrie, ce qui freine l'amélioration des traitements. En comparaison avec d'autres spécialités comme la cardiologie, les options thérapeutiques en psychiatrie semblent parfois limitées, ce qui peut décourager les étudiants.
La santé mentale érigée en grande cause nationale en 2025 a permis d’actionner certains leviers. Ces efforts doivent être impérativement à poursuivre. Bien que la psychiatrie ne soit pas la branche qui apporte le plus de bénéfices en termes financiers, elle est partie intégrante de l’accès aux soins pour la population. C'est un enjeu d'avenir dont l'importance est désormais largement reconnue.
M. le président Jean-François Rousset. Madame Oguchi, pourriez-vous préciser vos attentes concernant l'accueil d'un docteur junior, notamment en termes financiers ? Nous sommes ouverts à l'idée d'augmenter les enveloppes, mais nous aimerions comprendre les critères que vous jugez essentiels pour prendre en charge un docteur junior.
Dr Sayaka Oguchi. Pour comprendre la situation, il est important d'expliquer le fonctionnement de la prise en charge des internes jusqu’alors.
En niveau 1, les internes consultent peu et principalement avec nous. Lorsqu'ils consultent seuls, l'acte qu'ils effectuent nous rémunère, en plus de notre rémunération mensuelle d'environ 100 euros en tant que maître de stage universitaire (MSU). Cela permet d'équilibrer notre engagement pédagogique.
En niveau 2, la situation est plus déséquilibrée, car les internes sont plus autonomes. Nous supervisons tous les actes à la fin de la journée ou intervenons ponctuellement en cas de besoin. La rémunération mensuelle reste inchangée, entre 100 et 150 euros, mais les actes sont plus intéressants. On demande alors aux MSU de s’engager auprès d’un externe, ce qui représente une charge supplémentaire de travail, bien qu’elle soit très enrichissante.
Le passage à un montant fixe pour les docteurs juniors soulève des inquiétudes. Il dissocie le maître de stage de la rémunération liée aux actes et soulève des questions sur les attentes pédagogiques. Notre engagement en tant que MSU est motivé par le désir d'apporter une formation de qualité, pas uniquement par des considérations financières.
Nous nous interrogeons également sur la pertinence de cette quatrième année pour la formation des étudiants. Notre objectif est de les préparer efficacement à s'installer, en leur donnant les outils nécessaires pour devenir chefs d'entreprise et managers, compétences essentielles pour l'avenir de la profession médicale.
M. Killian L’Helgouarc’h. Pour compléter les propos de ma collègue, le rapport sur la quatrième année recommandait une compensation des charges comprise entre 2 000 et 3 000 euros, variant selon le secteur d'exercice. Cette fourchette prend en compte les disparités géographiques, les charges étant naturellement différentes entre un cabinet du 16eme arrondissement de Paris et une zone rurale comme l’Aveyron.
M. Raphaël Dachicourt. Les charges d'un cabinet médical sont les suivantes. Elles comprennent le loyer ou les frais fonciers, l'équipement informatique, le secrétariat, les logiciels, les divers abonnements, les salaires des assistants médicaux, les frais de nettoyage, tous les coûts inhérents au fonctionnement de l'entreprise. Selon les chiffres de l’ARAPL des dernières années, ces charges s'élèvent en moyenne à 2 500 euros mensuels. Par conséquent, une rémunération de 1 200 euros pour accueillir un interne en quatrième année serait largement insuffisante et entraînerait un déficit. Un interne nécessite son propre espace de travail pour exercer en parallèle, ce qui implique des coûts supplémentaires. Il est donc inconcevable qu'un maître de stage accepte de perdre des milliers d'euros chaque mois pour accueillir un interne en docteur junior.
Concernant les aides financières à l'installation, notre rapport sur les déterminants à l'installation a démontré qu'elles ne constituent pas le facteur principal de décision. Nous ne préconisons pas une surenchère d'aides financières de la part des collectivités. Des initiatives intéressantes émergent sur le terrain, comme des chartes de non-concurrence entre territoires, visant à éviter cet effet d'aubaine qui ne répond pas aux véritables attentes des médecins. Ces dernières relèvent davantage de l'accompagnement humain et de la mise à disposition de locaux adaptés au projet professionnel, plutôt que l'inverse.
L'installation d'un médecin sur un territoire s'inscrit dans une dynamique locale. Mon expérience personnelle illustre ce phénomène. J'ai choisi de rester dans la maison de santé où j'ai effectué mon dernier stage d'internat, séduit par l'équipe et la cohérence avec mon projet personnel. Aujourd'hui, cette structure est victime de son succès et fait face à des problèmes de locaux, ne pouvant plus accueillir d'assistants médicaux ou d'infirmières Asalée faute d'espace. Cette situation est fréquente dans les structures créées il y a 10 à 15 ans, qui n'ont pas anticipé ce développement, abordant d’abord la question du local et de son coût. Pour résoudre ce problème, nous collaborons avec notre CPTS et les communes environnantes pour créer une nouvelle maison de santé à proximité, sur un territoire ZAC, illustrant ainsi les dynamiques territoriales qui se mettent en place.
Concernant les consultations avancées, l'appui sur les CPTS est pertinent, mais insuffisant. L'échelle départementale semble plus appropriée pour mutualiser efficacement les ressources, en zone critique notamment. Ce qui rejoint effectivement la logique du guichet unique évoqué précédemment.
Quant à la délégation de tâches, je préfère parler de partage de compétences ou de transfert de tâches. Un point de vigilance doit être porté à la réflexion sur l'évolution des professions de santé et à la préservation de leur expertise spécifique. Prenons l'exemple des pharmaciens : leur nouvelle implication dans la vaccination et les tests rapides est positive, mais ne doit pas se faire au détriment de leur expertise pharmaceutique, notamment dans les bilans de médication dont nous avons grandement besoin, bien qu’ils soient moins rentables. Tâchons ainsi d’attribuer de manière cohérente les missions de chacun. Un de nos besoins principaux se situe sur l’allégement des tâches administratives.
En outre, le modèle des infirmiers Asalée est particulièrement apprécié des médecins généralistes. Ces professionnels assurent l'éducation thérapeutique, en suivi gériatrique par exemple, des tâches chronophages, mais essentielles que les médecins peinent à assurer faute de temps. Leur statut salarié par l'association Asalée offre une flexibilité appréciable.
Enfin, concernant les assistants médicaux, outre la problématique des locaux, se pose la question de l'augmentation de la patientèle exigée par l'Assurance maladie. Il est légitime de s'interroger sur la pertinence d'accroître encore la charge de travail des médecins généralistes, alors que leur patientèle a déjà augmenté de 8,5 % depuis 2016 et que la durée moyenne de consultation est de 16 minutes. Quel est l'objectif ? Souhaitons-nous réduire la durée des consultations à 8 minutes comme en Allemagne ? Ces questions fondamentales méritent d'être débattues publiquement.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite revenir sur un point évoqué précédemment concernant les aides financières à l'installation. Depuis 2017, la CPAM a distribué plus de 124 millions d'euros d'aides à l'installation, sans compter les aides étatiques et celles des collectivités locales. Cependant, il a été noté que ces aides ne constituent pas un argument déterminant pour l'installation des médecins. En tant que représentant syndical, notamment des jeunes médecins, quelle est votre position sur ce sujet ? Dans un contexte où nous devons réaliser de plus en plus d'économies, ne serait-il pas pertinent de proposer la suppression de ces aides à l'installation ? Cette concurrence entre collectivités ne fait que créer des « mercenaires » - j'emploie ce terme à dessein - sans apporter de réelle valeur ajoutée, si j'en crois vos propos.
M. Raphaël Dachicourt. Il existe effectivement plusieurs types d’aides : les aides conventionnelles, celles des collectivités et celles des ARS. Le problème majeur réside dans le fait qu'aujourd'hui, un interne ou un étudiant ignore totalement l'existence et la nature de ces aides. C'est un véritable chaos au niveau national. Les aides financières ne sont pas dénuées d'utilité. Notre rapport les décrit comme un « plus » sans pour autant les identifier comme déterminantes pour le choix du lieu d'installation. Elles peuvent avoir un impact entre deux zones frontalières, mais pas entre deux territoires éloignés aux caractéristiques différentes.
Par conséquent, nous préconisons un dosage judicieux de ces aides, en les intégrant de manière à répondre à un besoin réel. Nous avons travaillé sur les aides conventionnelles en les différenciant selon le statut des médecins s'installant, qu'ils soient collaborateurs ou titulaires, et en tenant compte de leurs projets, notamment fonciers. Pour un jeune médecin à l’issue de ses études, une aide est pertinente pour investir dans une société médicale, acquérir des locaux ou disposer d'une enveloppe d'amorçage pour lancer son activité.
Le statut de collaborateur présente des spécificités intéressantes, notamment une montée en charge plus progressive de la patientèle médecin traitant, sans nécessiter d'investissements initiaux importants. Une valorisation accrue du forfait patientèle médecin traitant sur les premières années pourrait constituer une aide à l'installation compensant cette progression plus graduelle. L'enjeu des aides à l'installation réside dans leur capacité à répondre précisément aux attentes des jeunes médecins, plutôt que dans une surenchère financière.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je constate un problème qui dépasse le cadre de votre profession : en France, il semble que nous ayons créé une dépendance généralisée aux aides publiques, que ce soit pour les entreprises, les associations ou l'installation des médecins. On entretient l'illusion que l'État et la solidarité nationale, financés par les impôts des citoyens, sont toujours là pour soutenir. Je comprends les arguments en faveur de l'utilité des aides, mais je n'entends aucun argument démontrant leur caractère indispensable. Autrement dit, sans ces aides, n'aurions-nous plus de médecins en France ? C'est cette réflexion qui m'interpelle.
M. Raphaël Dachicourt. Sans ces aides, nous aurions toujours des médecins en France. Cependant, ils ne pratiqueraient pas en libéral et n'exerceraient pas en tant que médecins traitants. C'est précisément le risque lié à la financiarisation du secteur. Sans un accompagnement ciblé pour orienter les médecins vers les modes d'exercice nécessaires en termes de santé publique, nous assistons à l'arrivée massive d'acteurs privés qui offrent des conditions de travail et des rémunérations attractives aux jeunes médecins. Ces acteurs mettent en avant l'absence d'aides pour l'exercice libéral pour inciter les médecins à rejoindre leurs cliniques. Cette situation entraîne inévitablement une financiarisation et un détournement vers d'autres modes d'exercice.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ne serait-il pas alors plus judicieux de revoir à la hausse le prix de la consultation pour rendre le métier de médecin généraliste plus attrayant, plutôt que d'offrir des aides avant même le début de l'activité ? À l'instar de tout chef d'entreprise ou indépendant qui se lance, ne devrait-on pas valoriser les années d'études et le savoir sur le long terme, plutôt que d'accorder des avantages immédiats à l'installation, alors que le médecin n'a pas encore fait ses preuves ? Dans le secteur privé, on attend généralement qu'un employé démontre son utilité avant de le revaloriser. Ne serait-il pas préférable de supprimer ces aides et d'utiliser ces fonds pour revaloriser l'acte médical ? Je suis conscient que cette idée peut sembler audacieuse, mais j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
M. Raphaël Dachicourt. Votre question soulève deux points importants. Premièrement, concernant l'enveloppe d'amorçage, il faut considérer la diversité économique des profils d'étudiants en médecine. Sans aide initiale, seuls ceux disposant de moyens financiers personnels ou de garants solides pourraient s'installer en libéral. Cela risquerait de limiter l'accès à la profession aux seuls étudiants issus de milieux favorisés, ce qui n'est pas souhaitable. La question est de savoir si un médecin fraîchement diplômé doit être considéré comme un auto-entrepreneur à part entière ou si nous devons diversifier les profils et adapter l'accompagnement en fonction des besoins individuels. C'est un débat complexe qui mérite réflexion.
Concernant la revalorisation du tarif de la consultation, certains syndicats y sont effectivement favorables. Cependant, la question est plus nuancée. Une augmentation significative du tarif pourrait avoir un effet inflationniste sur le nombre d'actes réalisés. C'est pourquoi nous explorons des modèles de rémunération mixte, incluant le développement de forfaits patientèle médecin traitant, mieux adaptés au suivi des maladies chroniques. Ces modèles sont en constante évolution.
La perception du médecin libéral comme étant subventionné par l'aide publique, avec des assistants médicaux financés, etc., peut effectivement inciter certains à réclamer une augmentation du tarif de la consultation. C'est aussi une question d'image de la profession. Le statut de médecin libéral est particulier.
Monsieur le président, Jean-François Rousset. L'intérêt d'une commission telle que la nôtre réside précisément dans sa capacité à aborder ouvertement ces sujets complexes, qui ne sauraient être traités de manière superficielle. Après deux heures d’échanges particulièrement denses, je propose de clore cette séance. Je tiens à exprimer mes remerciements à nos députés pour la pertinence de leurs interrogations. Je m'adresse maintenant aux étudiants présents : votre engagement et vos études sont cruciaux pour notre société. Sachez que notre rôle n'est pas nécessairement d'être un obstacle, mais plutôt d'assumer notre responsabilité envers les citoyens qui nous interpellent quotidiennement.
La séance s’achève à dix-neuf heures quinze.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Géraldine Bannier, Mme Béatrice Bellamy, Mme Anne Le Hénanff, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset
Excusés. - M. Laurent Alexandre, Mme Sylvie Bonnet, Mme Sabrina Sebaihi