Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie LEBRET, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales, et M. Yann DEBOS, chef de service et responsable du pôle santé. 2
– Présences en réunion............................11
Mardi
27 mai 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 17
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à quinze heures dix.
M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de la commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Nous accueillons Madame Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales, et Monsieur Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé. Le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) se distingue au sein des administrations centrales par son autorité sur les fonctions transversales et support des ministères sociaux, ainsi que ses compétences de pilotage et d’animation, notamment pour le réseau des dix-sept agences régionales de santé (ARS).
Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
(Mme Sophie Lebret et M. Yann Debos prêtent serment.)
Mme Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales. Le SGMAS se distingue par sa mission transversale : il ne porte pas directement de politiques publiques, mais il coordonne l’action des directions en charge de celles-ci, notamment la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Notre rôle consiste à assurer la cohérence de leurs actions et la pertinence des instructions transmises aux ARS.
Le conseil national de pilotage (CNP) prévu par le code de la santé publique examine chaque instruction destinée aux ARS. Ce processus implique des échanges entre les directeurs généraux spécialistes, les directions centrales et la direction du budget, garantissant ainsi l’efficacité et la conformité des directives. Ces instructions, limitées à trois pages, définissent des objectifs clairs et précis. En tant que présidente du CNP, je contresigne ces instructions.
Le secrétariat général anime également le collège des directeurs généraux d’ARS, qui se réunit mensuellement au ministère pendant deux jours. Ces réunions, souvent en présence du ministre, permettent de traiter les dossiers d’actualité et de transmettre des instructions, constituant ainsi un outil précieux de pilotage du réseau.
Monsieur Yann Debos et son équipe animent des comités techniques spécialisés, réunissant des membres de l’administration centrale et des experts de chaque ARS, représentant l’ensemble du réseau.
Le Secrétariat général gère également l’allocation des moyens aux ARS, notamment via une subvention de service public annuelle, portée par le programme 155 du budget du ministère. Nous veillons au respect du plafond d’emploi et à l’évolution de la masse salariale. Cette subvention couvre les frais de fonctionnement et la masse salariale, les autres crédits provenant de la sécurité sociale.
Nous assurons également le pilotage du fonds d’intervention régional (FIR), définissant ses orientations annuelles et supervisant les discussions au niveau régional.
M. Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé. Je n’ai rien à ajouter à cette présentation.
M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Vous avez évoqué en introduction un champ d’action plus large que la seule santé. Dans le contexte actuel, ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux de le resserrer ? Ne faudrait-il pas privilégier une gestion de l’offre de soins par les ARS ? Actuellement, on a l’impression d’une compétence extrêmement large, comme une très grosse entreprise touchant à tout, qui se déconcentre et se déconnecte des priorités des Français en matière de santé et d’offre de soins.
Mme Sophie Lebret. Il faut se rappeler le contexte de création des ARS en 2009. L’objectif était de regrouper un ensemble de fonctions pour obtenir une vision régionale de l’organisation de l’offre de soins, dépassant l’ancienne approche départementale. Cette vision élargie ne se limite pas au sanitaire, mais englobe également l’offre de soins en ville et le médico-social, ce qui est particulièrement pertinent aujourd’hui avec le développement de nouvelles pratiques.
L’avantage des ARS réside dans leur capacité à avoir une vision globale, permettant de faire le lien entre l’hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Cette approche est essentielle pour aborder les nouvelles problématiques telles que les soins ambulatoires, le suivi post-hospitalier dans les territoires et le maintien à domicile.
L’éloignement du terrain dans les grandes régions est effectivement un défi auquel nous sommes confrontés. La question de l’articulation entre le niveau départemental et l’échelon régional est cruciale. Nous devons trouver le bon équilibre pour être proches des demandes des citoyens et des élus locaux, tout en maintenant une vision suffisamment large pour les établissements sanitaires, qui nécessite souvent une perspective régionale, voire interrégionale. Cette approche justifie le champ d’action actuel des ARS et explique également pourquoi nous avons aujourd’hui un grand ministère regroupant la santé et la solidarité. Les liens entre le sanitaire et le médico-social sont de plus en plus étroits et nécessitent une gestion intégrée.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître qu’on a commis une erreur et apprendre de ses nouvelles expériences. Vous avez souligné que l’organisation d’un système de santé ne peut aujourd’hui se concevoir que par une régionalisation, ne serait-ce que pour établir un lien entre les centres hospitalo-universitaires et les hôpitaux départementaux. Cependant, ne sommes-nous pas allés trop loin dans la régionalisation au détriment de la départementalisation ? Ne serait-il pas judicieux de trouver un équilibre entre le modèle d’il y a une vingtaine d’années et celui d’aujourd’hui avec les ARS ? L’objectif serait de combiner les avantages des deux systèmes : conserver le schéma régional tout en renforçant significativement la présence départementale, particulièrement sur les questions de santé.
Les préoccupations actuelles de nos concitoyens portent sur les difficultés liées aux déserts médicaux, l’accès aux soins dans les hôpitaux publics, les différences entre cliniques privées et hôpitaux publics, tant en termes de services d’urgence que d’activités quotidiennes, les remboursements et les délais d’obtention de rendez-vous. Ne serait-il pas pertinent de rechercher un juste milieu pour répondre à ces interrogations quotidiennes ?
Mme Sophie Lebret. Tous les échelons sont interconnectés. Nous disposons de plusieurs schémas et contrats qui permettent d’affiner une stratégie nationale de santé et de la décliner au niveau régional via les plans régionaux de santé. Au niveau local, les contrats locaux de santé constituent aussi des outils puissants pour instaurer un dialogue au plus près du terrain. Ces instruments sont adaptés aux spécificités locales et négociés à différents niveaux selon les régions et les départements.
Le sujet des déserts médicaux est une préoccupation majeure tant pour le Parlement que pour les ministres en fonction. Des échanges ont récemment débuté pour identifier les zones nécessitant la mise en place d’une solidarité entre médecins. Ce dialogue s’établit entre l’ARS, la préfecture et les élus, y compris au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), permettant ainsi des échanges à un niveau suffisamment fin. Certains directeurs généraux d’ARS ont également développé des pratiques innovantes, telles que l’organisation de réunions de concertation régulières au niveau d’un EPCI ou d’un département, s’adaptant à chaque réalité locale. Cette approche permet de répondre au plus près des besoins et de développer des solutions innovantes, comme des médicobus ou de l’imagerie par résonance magnétique mobile, qui vont à la rencontre des citoyens. Ces innovations sortent de l’ancienne carte des établissements, qui ne correspond plus à la réalité actuelle de l’organisation des soins.
M. Yann Debos. La stratégie d’organisation est effectivement régionalisée, avec un directeur général responsable de l’ensemble de la région et des directeurs départementaux. Cependant, cela n’empêche pas une action fine au niveau des départements et des contrats locaux de santé signés partout en France.
Durant la pandémie, j’ai pu observer le travail complémentaire des échelons départemental et régional dans la gestion quotidienne de la crise. Une collaboration étroite s’est établie avec les communes et les conseils départementaux pour la vaccination, le dépistage, etc. Cette réactivité très fine sur le terrain, bien qu’imparfaite, nécessite du temps pour dialoguer avec tous les acteurs : élus, professionnels de santé et usagers. Il serait erroné de penser que la présence du « R » de régional dans « ARS » signifie l’absence d’actions précises au niveau départemental.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Néanmoins, on évoque souvent des stratégies extrêmement larges, définies au niveau national, englobant des domaines tels que la médicalisation et la prévention. Ces objectifs, fixés de manière très générale, sont parfois difficilement compréhensibles. Bien que leur déclinaison au niveau régional les rende plus concrets, ne serait-il pas judicieux de mieux cloisonner la stratégie nationale de santé, plutôt que d’y inclure tous les aspects ? Ne devrions-nous pas opter pour une approche plus ciblée et donc plus compréhensible, plutôt que de viser une couverture exhaustive mais potentiellement confuse ?
Mme Sophie Lebret. Bien que nous ne soyons pas décideurs des politiques publiques ̶ la direction générale de la santé et la direction de l’offre de soins sont mieux placées pour en parler ̶ , nous adoptons aujourd’hui une vision holistique de la santé. Cette approche intègre toute la logique de prévention, prenant en compte l’alimentation, la pratique sportive et l’environnement. Un cloisonnement n’est plus envisageable car l’état de santé de la population résulte de multiples facteurs. C’est précisément pour cette raison qu’il est pertinent que les ARS puissent intervenir sur cette logique de prévention plutôt que de cloisonner.
Par ailleurs, chaque politique de santé n’est pas nécessairement appréhendée de manière uniforme. Certes, il existe des directives nationales, mais prenons l’exemple de la vaccination : l’approche en Bretagne, où les taux de vaccination et d’adhésion sont élevés, diffère de celle adoptée dans d’autres régions où la résistance à la vaccination est traditionnellement plus forte. L’intérêt réside dans l’existence de lignes directrices que les ARS, en tant qu’établissements publics dotés d’une certaine indépendance, suivent tout en les adaptant aux spécificités de leur territoire. C’est précisément la raison d’être des ARS.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous nous en dire plus sur les contrats d’objectifs et de performance qui sont signés avec les ARS ? En quoi consistent-ils concrètement ?
Mme Sophie Lebret. Ces contrats comportent une multitude d’indicateurs permettant de piloter et de comparer les performances de chaque région dans l’atteinte de ses objectifs. Nous organisons chaque année un dialogue stratégique réunissant les directions et moi-même, au cours duquel nous échangeons avec les ARS sur leurs points forts et leurs points faibles. Nous identifions les facteurs de blocage et cherchons à transposer les bonnes pratiques d’une région à l’autre. Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) constituent la base de cette évaluation et servent également à l’évaluation des directeurs généraux, en examinant le niveau d’atteinte des indicateurs.
M. Yann Debos. Ces contrats courent sur cinq ans et ceux qui sont actuellement en vigueur ont été signés il y a deux ans. Ils couvrent l’ensemble des compétences des ARS et fixent des objectifs assortis d’un certain nombre d’indicateurs précis pour évaluer leur réalisation.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces objectifs et indicateurs ?
M. Yann Debos. Les objectifs couvrent l’ensemble des compétences des ARS. Nous disposons d’une dizaine d’objectifs correspondant à divers domaines. Ils englobent la santé publique, le médico-social, notamment pour les personnes âgées et handicapées, ainsi que l’utilisation efficiente des moyens alloués aux ARS. Chaque année, une lettre de mission est adressée à chaque directeur général d’ARS par les ministres. Cette lettre, bien que liée au CPOM, actualise et précise les priorités du moment. Chaque année également, un dialogue stratégique a lieu entre chaque directeur général d’ARS et les membres du CNP. Ce conseil comprend les directions d’administration centrale, les caisses de protection sociale et la direction du budget. Lors de ce dialogue, le directeur général présente le bilan de l’année écoulée et les perspectives pour l’année à venir. À l’issue de cette rencontre, une évaluation du directeur général est proposée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui s’appuie sur les grandes lignes du CPOM.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ne pensez-vous pas qu’il serait envisageable d’étendre le pouvoir de dérogation des directeurs généraux des ARS ou celui d’une fonction similaire à l’avenir, afin d’accentuer la décentralisation ?
Mme Sophie Lebret. Leur pouvoir de dérogation est complexe et limité. Il s’apparente à celui des préfets, permettant des dérogations sur des questions de procédures ou de délais, mais pas sur les principes fondamentaux établis par la loi. Par exemple, les règles régissant les pharmacies ne peuvent faire l’objet de dérogations. En revanche, il est possible de déroger sur les délais de réponse ou des aspects similaires.
Cette limitation s’explique par le statut administratif des ARS, qui n’ont pas de pouvoir réglementaire étendu. De plus, de nombreuses règles dans le domaine de la santé publique sont de nature législative. Nous avons poussé le pouvoir de dérogation aussi loin que possible dans le cadre juridique actuel.
Néanmoins, dans la pratique quotidienne, les directeurs généraux des ARS peuvent être amenés à prendre des décisions dérogatoires en cas de danger imminent, par exemple pour assurer le fonctionnement d’un établissement ou garantir l’accès aux soins dans un territoire. Ces situations exceptionnelles seraient évaluées par un juge en cas de contestation.
En tout cas, leur pouvoir de dérogation reste légitimement très encadré, la plupart des règles étant d’origine législative.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Parmi les compétences des ARS, vous avez mentionné la prévention comme l’une de leurs missions principales. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la part du budget allouée à la prévention ? Quel pourcentage du personnel des ARS travaille spécifiquement sur ce sujet ? Quelles sont les actions concrètes menées au quotidien dans ce domaine ?
Mme Sophie Lebret. Je ne dispose pas des chiffres précis sous les yeux, mais nous vous les communiquerons ultérieurement. Le rapport parlementaire sur le FIR détaille la proportion exacte consacrée aux politiques de prévention. Nous vérifierons également les effectifs dédiés à cette mission pour vous fournir des données exactes.
Concernant les actions concrètes, nous menons de nombreuses initiatives, particulièrement dans les quartiers prioritaires. Nous nous concentrons sur l’amélioration de l’alimentation, la promotion de la pratique sportive et l’engagement des jeunes. Nous organisons également des campagnes de vaccination et relayons au niveau régional les campagnes nationales.
M. Yann Debos. Nous collaborons étroitement avec les collectivités locales, les associations et d’autres acteurs de la santé publique. Ces partenariats permettent de mettre en place des actions ciblées et efficaces sur le terrain.
Mme Sophie Lebret. Nous travaillons également en collaboration avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) au niveau régional. Par exemple, les URPS de sages-femmes mènent de nombreuses actions en matière de contraception et de santé des femmes, dans une logique de proximité avec les usagers et les patients. Nous établissons également des conventions avec ces unions régionales, notamment celles des médecins.
Cette approche permet de mener des actions impliquant directement les professionnels de santé sur le terrain, plutôt que de passer uniquement par les établissements. Nous observons ce type d’initiatives particulièrement dans les campagnes de vaccination, notamment dans les territoires d’outre-mer.
Nous collaborons aussi avec des associations sportives, par exemple, qui peuvent relayer des messages de santé publique par des canaux différents. C’est ce genre d’actions diversifiées que nous encourageons sur les territoires.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Agissez-vous directement ou financez-vous les associations qui mettent en œuvre ces actions ?
Mme Sophie Lebret. Notre approche ne se limite pas aux financements, bien qu’ils jouent un rôle important. Les URPS, par exemple, disposent de leurs propres fonds, alimentés par une contribution prélevée sur les honoraires de chaque professionnel de santé. Elles peuvent donc mener des actions indépendantes.
Dans le cadre de nos partenariats, qu’il s’agisse d’URPS, de conseils départementaux ou de communes, nous privilégions souvent des actions conjointes sans nécessairement impliquer de financement direct. L’objectif est de s’allier autour d’un programme commun ciblant une population spécifique, que ce soit l’intérêt d’une commune ou d’une URPS en particulier.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelle est la place des élus, et donc de la démocratie, dans cette sphère administrative complexe de la santé ? On a souvent l’impression que ceux sur le terrain qui connaissent les réalités locales sont négligés au profit d’une approche descendante venant de Paris et parfois déconnectée des réalités du terrain.
Ne pensez-vous pas qu’il faudrait améliorer le système pour accorder une écoute plus attentive aux élus locaux et favoriser une réflexion commune plus approfondie ? D’ailleurs, lors de nos auditions, nous avons appris que de vos prédécesseurs avaient pour consigne de ne pas répondre aux élus. Comment envisagez-vous d’améliorer cette situation pour une meilleure prise en compte des réalités locales ?
Mme Sophie Lebret. Je reconnais que de telles pratiques ont pu exister par le passé, et j’espère sincèrement qu’elles ne sont plus d’actualité. Les orientations que nous impulsons, ainsi que le discours porté avec force par les ministres, visent à encourager un rapprochement avec les élus. J’ai précédemment souligné l’importance des échelons régional et départemental. À titre personnel, j’estime qu’un rôle crucial doit être conféré au niveau départemental et que nous n’avons pas toujours disposé de personnes capables d’établir ce dialogue essentiel avec les élus. Il est impératif de faire évoluer le profil des agents que nous positionnons à ce niveau.
Nous avons initié ce changement en recrutant des diplômés de l’Institut national du service public (INSP) qui s’intégreront naturellement dans une dynamique d’échanges avec le préfet, le sous-préfet et les élus, ces derniers constituant leurs interlocuteurs quotidiens. C’est précisément cette approche que nous cherchons à développer. Nous n’avons peut-être pas encore généralisé cette démarche à l’ensemble des territoires, mais il faut poursuivre ce chantier de montée en compétences et d’ouverture vers les élus à l’échelon départemental.
Il est fondamental d’instaurer un dialogue avec les élus, même si parfois cela implique de leur opposer un refus lorsque nous ne sommes pas en mesure de répondre favorablement à leurs demandes. Néanmoins, nous devons toujours être en capacité de leur expliquer les raisons de notre impossibilité et de rechercher, dans la mesure du possible, des solutions alternatives. Cette approche n’a peut-être pas toujours été la nôtre, mais elle est désormais activement promue par le secrétariat général, notamment à travers la modification des profils recrutés pour ces territoires.
Je suis convaincue que cette stratégie porte ses fruits. Nous la mettons en œuvre depuis maintenant trois ans et les résultats sont positifs, y compris dans des territoires réputés difficiles. À titre d’exemple, nous avons un jeune diplômé qui a choisi de s’installer en Lozère, ce qui n’était pas une évidence. Il y a quelques années, une telle affectation aurait été difficilement envisageable ; et pourtant, aujourd’hui, cela se passe remarquablement bien.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez commencé votre réponse en évoquant les discussions entre l’administration et les préfets. Puis, vous avez abordé le dialogue avec les élus, mentionnant que vous échangez avec eux, même pour leur opposer un refus. Cependant, est-ce véritablement le cas ? En ce qui concerne la prise de décision, comme on peut l’observer dans d’autres instances où un pilotage conjoint entre élus et administration est mis en place, ne serait-il pas pertinent, pour certaines politiques de santé, plutôt que de se contenter de discussions où l’on peut exprimer un désaccord tout en maintenant sa position, d’instaurer des processus décisionnels collectifs ? Je pense notamment à l’allocation des fonds, où les décisions pourraient être prises conjointement par l’administration et les élus, plutôt que de se limiter à un avis consultatif.
Mme Sophie Lebret. Il convient tout d’abord de préciser que les élus occupent aujourd’hui une place significative au sein des conseils d’administration des ARS. Nous avons largement ouvert ces instances aux représentants des trois niveaux de collectivités. Ainsi, une parole peut s’exprimer à ce niveau sur les grandes orientations et sur le budget.
Concernant les échanges sur l’allocation des financements, je peux vous assurer qu’ils ont lieu. Par exemple, lorsqu’il s’agit de rénover un établissement hospitalier, un dialogue s’instaure nécessairement avec les élus du territoire concerné. Cependant, et vous comprendrez certainement cette position, l’utilisation des crédits de l’État ne peut être décidée conjointement avec les élus. Ces derniers n’ont pas de pouvoir décisionnel sur l’allocation des fonds étatiques. Une discussion sur les orientations a lieu, mais en fin de compte, c’est bien l’État qui décide de l’attribution des crédits. Cela n’exclut pas un dialogue préalable, mais l’État, à l’instar d’un conseil régional ou départemental pour ses propres fonds, conserve la décision finale quant à l’allocation de ses financements.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quels process mettez-vous en place pour recruter des profils de délégués territoriaux qui correspondent non seulement aux exigences du métier, mais aussi aux attentes spécifiques du territoire, l’objectif étant d’établir des liens les plus respectueux et harmonieux possibles entre l’autorité de tutelle nationale et les élus locaux ? Comment parvenez-vous à recruter des délégués territoriaux qui s’apparentent à de véritables directeurs généraux ou directeurs départementaux, dotés de réelles compétences et bénéficiant de délégations effectives ?
Mme Sophie Lebret. Cette politique a été initiée récemment. Notre approche repose sur la logique de parcours. L’objectif est de permettre à des agents actuellement en poste en administration centrale d’accéder à ces fonctions territoriales, tout en favorisant les allers-retours. Cette mobilité est source d’enrichissement mutuel : elle permet de « territorialiser » l’administration centrale en y intégrant des personnes ayant une expérience concrète du terrain et, inversement, d’avoir sur le terrain des agents qui comprennent le fonctionnement du ministère et ses contraintes, aspects parfois méconnus lorsqu’on n’a connu que le niveau local.
En tant que secrétaire général, mon rôle est de faciliter la création de ces parcours professionnels cohérents. Nous avons posé les premières pierres de cette démarche, et je constate que les directeurs généraux ont bien saisi cet enjeu. Dans plusieurs ARS, on observe déjà des mouvements fréquents entre les niveaux départemental et régional, permettant à chacun de comprendre l’importance de cette proximité avec le terrain.
Il faut noter que chaque directeur général d’ARS, étant responsable de son établissement, dispose d’une liberté d’organisation. Certaines régions ont fait le choix de constituer des équipes très solides au niveau départemental, avec parfois jusqu’à 40 % des effectifs positionnés à cet échelon. Dans ces cas, on observe également une délégation importante du pouvoir décisionnel, conférant une réelle autonomie et capacité d’action au niveau départemental.
Ces choix organisationnels font actuellement l’objet de discussions avec les directeurs généraux d’ARS, car ils s’inscrivent dans un débat plus large sur le dimensionnement des ARS, régulièrement questionné. Notre objectif est de parvenir à structurer un échelon départemental qui constitue un vrai échelon de dialogue et d’action.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’aimerais connaître votre avis personnel sur les pistes d’amélioration des ARS. J’ai entendu diverses propositions qui semblaient suggérer que la situation actuelle est satisfaisante. Cependant, force est de constater qu’elle ne convient pas à une majorité des patients, des usagers, de ceux qui sont en droit d’attendre un certain niveau de service. N’oublions pas que ce sont ces mêmes personnes qui, par leurs impôts, financent les budgets de l’État et sont donc en droit d’exiger des réponses adaptées à leurs problématiques.
Considérez-vous que le fonctionnement actuel est optimal ou bien identifiez-vous des axes d’amélioration ? Si oui, lesquels ?
Mme Sophie Lebret. Il est essentiel de remettre constamment en question toutes les organisations, pas uniquement les ARS. À leur création, elles étaient effectivement très technocratiques et procédurières, mais cette approche évolue actuellement. Sans nécessairement modifier leur organisation, c’est la manière d’aborder les sujets et les dossiers qui change. Cette évolution passe notamment par le recrutement des directeurs généraux des ARS et le recrutement conjoint au niveau départemental. Il s’agit davantage d’une question de culture que d’organisation. Nous devons développer une culture d’écoute du territoire.
Cependant, soyons clairs : il est impossible de satisfaire pleinement tous les élus et tous les citoyens. Des décisions difficiles, comme la fermeture de services ou d’établissements, seront toujours nécessaires, que ce soit pour des raisons sanitaires, de protection de la population, ou simplement en raison d’une baisse démographique. Ces décisions s’inscrivent dans une évolution structurelle de notre système de santé.
De mon point de vue, le modèle des ARS fonctionne. Il faut continuer à l’améliorer en termes d’écoute des élus locaux et de proximité, sans pour autant remettre en cause la logique régionale qui présidait à leur création. Cette approche permet d’avoir une vision régionale cohérente et d’adapter les actions et l’accompagnement des personnels de santé et des usagers, ce qui constitue l’une des missions essentielles des ARS.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous sommes tous conscients de la nécessité de fermer certains services en raison de l’évolution démographique. Cependant, je doute que l’affichage brutal de ces décisions soit la méthode la plus appropriée pour faire passer un message bienveillant et justifier la nécessité de l’action. Il faut distinguer le fond de la forme. Même si nous pouvons être d’accord sur le fond, c’est principalement la forme qui est reprochée aux ARS. Leur communication reste aujourd’hui très technocratique, ce qui entraîne une déconnexion avec nos concitoyens. Il est crucial de prendre cet aspect en compte, car la forme est extrêmement importante.
Vous avez beaucoup évoqué la régionalisation et la structuration de la santé à l’échelle régionale. Dans ce contexte, ne serait-il pas judicieux de transférer cette compétence santé aux conseils régionaux ? Cela permettrait à la collectivité de structurer son système de santé, avec des dotations provenant de crédits ou de fonds étatiques, laissant ainsi à la collectivité régionale la liberté de gérer sa santé.
Mme Sophie Lebret. La majorité des fonds ne sont pas étatiques, mais proviennent de la Sécurité sociale. Les fonds relevant directement de l’État sont minimes en comparaison, que ce soit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou dans le projet de loi de finances (PLF). Je ne peux pas affirmer que les partenaires sociaux approuveraient si je qualifiais la Sécurité sociale d’étatique. Il s’agit véritablement de crédits de la sécurité sociale.
Transférer ces fonds aux collectivités impliquerait une évolution majeure de notre modèle social. Actuellement, la sécurité sociale est gérée de manière paritaire avec les partenaires sociaux. Confier cette gestion à la collectivité impliquerait de leur retirer une responsabilité qu’ils assument actuellement. La grande majorité des crédits distribués par les ARS proviennent de la sécurité sociale. L’État, quant à lui, se contente de verser une subvention pour le fonctionnement de ce service public, couvrant essentiellement la masse salariale et les frais de fonctionnement, tandis que la sécurité sociale fournit tous les crédits d’intervention.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ces fonds proviennent des impôts d’un côté et des cotisations de l’autre, avant d’être répartis. C’est dans cette optique que j’utilisais le terme « étatique », dans le sens où il s’agit du budget national, certes réparti différemment entre les sources, mais avec des ciblages spécifiques.
Nous pourrions parfaitement maintenir les budgets de la Sécurité sociale tels qu’ils sont aujourd’hui, tout en décidant que leur fléchage, au lieu d’être dirigé vers les ARS, soit orienté vers les conseils régionaux. Ces derniers seraient alors chargés d’organiser et de distribuer ces fonds. Il ne s’agirait pas de créer un niveau intermédiaire supplémentaire, mais de transférer simplement une partie de la compétence sans nécessairement modifier le fléchage en amont, le transfert n’étant pas total.
Mme Sophie Lebret. Mon ministère englobe également la direction de la sécurité sociale. Votre proposition impliquerait de confier une partie des cotisations sociales aux collectivités. Ce serait une démarche sans précédent. Personnellement, j’estime que les cotisations sociales font partie intégrante de la Sécurité sociale. Il existe un équilibre global entre les différentes branches. Extraire la santé de ce fonctionnement de la sécurité sociale ne me semble pas pertinent. Ce que vous proposez s’apparenterait à un nouveau modèle social, plutôt qu’à une décentralisation telle que nous en avons connu jusqu’à présent.
Il s’agirait d’une innovation majeure où une partie des crédits de la sécurité sociale serait gérée par les collectivités territoriales. De mon point de vue, cette évolution n’est pas souhaitable. Au minimum, elle nécessiterait l’accord des partenaires sociaux, qui sont parties prenantes dans la gestion de la sécurité sociale, puisqu’il s’agit de cotisations sociales.
L’audition s’achève à quinze heures cinquante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset