Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins

– Table ronde sur les « acteurs de proximité / centres de santé / communautés professionnelles territoriales en santé » réunissant : M. Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS) ; M. Jean-François Moreul, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) ; le Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) ; Mme Emmanuelle Barlerin, coprésidente de AVECsanté et le Dr Margot Bayart, présidente de la Fédération des soins primaires              2

–  Présences en réunion............................17


Mardi
3 juin 2025

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Jean-François Rousset,
Président

 


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La séance débute à seize heures.

 

M. le président Jean-François Rousset. Je déclare ouverte la séance de notre commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins. Nous accueillons aujourd’hui une table ronde réunissant des acteurs de proximité, en présentiel et en visioconférence.

Je vous invite à prononcer une brève intervention liminaire d’environ cinq minutes, avant de passer aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par notre rapporteur.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Frédéric Villebrun, M. Jean-François Moreul, Mme Hélène Colombani, Mme Emmanuelle Barlerin et Mme Margot Bayart prêtent serment.)

M. Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS). Je suis Frédéric Villebrun, médecin généraliste et directeur de la santé dans une ville du Val-de-Marne, responsable notamment d’un centre municipal de santé. J’interviens aujourd’hui en tant que coprésident de l’Union syndicale des professionnels des centres de santé, anciennement Union syndicale des médecins de centres de santé. Notre organisation, qui représente plus de 54 000 professionnels, a récemment élargi son champ d’action à l’ensemble des professionnels des centres de santé.

Depuis plus d’une décennie, nous constatons une augmentation significative du nombre de centres de santé et des professionnels y exerçant. Notre syndicat, fondé en 1946, s’est toujours engagé pour la défense des médecins de centres de santé. En décembre dernier, nous avons étendu notre action à l’ensemble des professionnels de ces structures. Notre mission est double : défendre les intérêts de nos collègues et promouvoir les centres de santé, que nous considérons comme un maillon essentiel du système de soins français.

Nous aspirons à développer un maillage territorial complet de centres de santé, qu’ils soient publics ou à vocation de service public, en complément de l’hôpital public. Nos efforts ont permis des avancées significatives, notamment en matière de rémunération des médecins de centres de santé. Nous avons obtenu la possibilité d’un salariat pour les maîtres de stage, une mesure appréciée également par les médecins libéraux. De plus, la maîtrise de stage et la permanence de soins ambulatoires ont été intégrées au système des collaborateurs occasionnels de services publics, grâce à notre action.

En collaboration étroite avec la Fédération nationale des centres de santé, nous plaidons pour une révision du modèle médico-économique et du financement des centres de santé. Notre syndicat reste vigilant et souhaite participer activement aux négociations en cours sur ces questions.

Enfin, nous militons pour la création d’un statut spécifique pour l’ensemble des professionnels des centres de santé, actuellement inexistant, notamment dans les services publics. Malgré nos interpellations répétées auprès du ministère et de la direction générale des collectivités locales (DGCL), nous n’avons pas encore obtenu de réponse positive. Un tel statut permettrait d’établir des passerelles entre différents domaines comme la protection maternelle et infantile (PMI), la médecine scolaire ou la médecine du travail, renforçant ainsi l’attractivité du service public de santé. Nous espérons que cette commission pourra contribuer à faire avancer ce projet, qui serait un véritable levier pour améliorer l’attractivité de l’ensemble du service public de santé ambulatoire.

Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Je suis le docteur Hélène Colombani, médecin généraliste et spécialiste en santé publique. J’interviens au nom de la Fédération nationale des centres de santé, une organisation créée il y a plus de 60 ans et reconnue comme représentative par le ministère. Cette reconnaissance nous confère le droit de négocier l’accord national des centres de santé.

Notre fédération se distingue par sa représentation des centres médicaux et polyvalents, avec plus de 400 structures adhérentes réparties sur l’ensemble du territoire national. Nous comptons parmi nos membres un nombre important d’acteurs publics, dont 171 collectivités territoriales : 133 communes, 22 intercommunalités, 13 départements, ainsi que des groupements d’intérêt public régionaux comme ceux du Centre-Val de Loire et de l’Occitanie. Nous représentons également dix hôpitaux, dont l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), et six universités.

Au-delà du secteur public, notre fédération inclut diverses associations et fondations, telles que le Comité pour les exilés (Comede), l’Association de lutte contre le sida (Aides) et l’Institut Vernes à Paris. Cette diversité reflète la variété des structures médicales et polyvalentes implantées dans différentes régions de France.

Il est important de souligner que, depuis 2016, nous avons observé une croissance remarquable de 169 % du nombre de centres de santé médicaux et polyvalents, selon les données de l’Observatoire des centres de santé. Cette augmentation significative témoigne de l’importance croissante de ces structures dans notre système de santé.

Le modèle économique des centres de santé, bien que fragile, est adopté par de nombreux porteurs de projets pour développer une offre de soins primaires sur les territoires.

La gouvernance de la FNCS repose sur un conseil d’administration de cinquante membres, reflétant une grande diversité d’acteurs. Je préside cette fédération, épaulée par deux vice-présidents, dont André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire. Cette composition variée constitue la force de notre organisation.

La FNCS accompagne ses adhérents dans le développement de leurs missions et participe activement aux travaux sur les soins primaires au sein du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) depuis trois ans. Notre vision des soins primaires s’articule autour du concept d’unités de soins primaires, visant à assurer un maillage territorial équitable. Bien que le contenu précis de ces unités reste à définir, le rapport du HCAAM souligne l’importance de partir des besoins des patients. Cela englobe les consultations, les visites à domicile, la permanence des soins, la prévention, l’éducation thérapeutique, et bien d’autres aspects.

Notre projet se concentre sur ce maillage territorial comme réponse aux difficultés d’accès aux soins. Nous sommes prêts à approfondir ce sujet et à répondre à vos questions.

Mme Emmanuelle Barlerin, coprésidente de AVECsanté. Je suis Emmanuelle Barlerin, coprésidente de la fédération AVECsanté, qui représente les maisons de santé à l’échelle nationale. Cette coprésidence, que j’assure avec Pascal Gendry, médecin en Mayenne, et Patrick Vuattoux, médecin à Besançon, reflète notre engagement envers la pluriprofessionnalité, élément clé pour améliorer l’accès aux soins. Dans ma vie professionnelle, j’exerce en tant qu’infirmière à Saint-Just-en-Chevalet, dans la Loire.

Notre fédération, récemment reconnue comme structure représentative, participe désormais aux négociations de l’accord conventionnel interprofessionnel. Nous revendiquons le droit d’être signataires de cet accord qui nous concerne directement, car actuellement, malgré notre présence à la table des négociations, notre voix n’est pas toujours entendue.

Au 31 décembre 2024, on dénombre 2 850 maisons de santé, assurant un maillage territorial complet. Notre gouvernance nationale reflète cette diversité régionale, les fédérations régionales étant nos adhérents directs. Nous aspirons à renforcer davantage l’aspect pluriprofessionnel de notre action, en proposant des solutions à court et long terme, adaptées aux besoins des patients, notamment ceux souffrant de pathologies chroniques.

Les maisons de santé accordent une importance particulière à la prévention, à l’éducation thérapeutique et à l’accueil des étudiants en stage. Cet accueil est crucial pour former la nouvelle génération de professionnels de santé, bien que nous soyons limités par des contraintes administratives. Nous souhaitons pouvoir accueillir les étudiants en tant que structure pluriprofessionnelle, et non seulement individuellement par chaque praticien.

L’exercice coordonné et pluriprofessionnel est particulièrement plébiscité par les jeunes professionnels de santé. Ils y trouvent sécurité, confort de travail, et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, grâce notamment aux délégations de tâches, au travail coopératif et aux fonctions de support.

Dr Margot Bayart, présidente de la Fédération des soins primaires. Je vous remercie de me donner la parole au nom de la Fédération des soins primaires. Je suis médecin généraliste à Réalmont dans le Tarn, présidente de cette fédération, mais également présidente d’Asalée et du groupement d’employeurs d’assistants médicaux, ainsi que première vice-présidente du syndicat MG France. Cette triple légitimité me permet de m’exprimer au nom des professionnels de santé de terrain, des équipes pluriprofessionnelles innovantes, et des usagers que nous côtoyons quotidiennement.

L’accès aux soins est devenu un enjeu majeur, reflétant notre capacité à maintenir l’égalité sociale et territoriale, ainsi que notre aptitude à organiser la solidarité collective. Nous constatons actuellement un système de santé en grande difficulté : six millions de Français sont sans médecin traitant, la désertification médicale s’accélère avec des départs massifs à la retraite, et de nombreux professionnels de santé sont isolés, surchargés administrativement, et en perte de sens, conduisant souvent à l’épuisement professionnel. Pour les usagers, le système de santé devient de plus en plus complexe et opaque.

Face à ces défis, la Fédération des soins primaires défend plusieurs principes fondamentaux pour améliorer l’accès aux soins et réorganiser notre système de santé.

La Fédération, fondée en 2016, s’est initialement constituée autour d’un collectif interprofessionnel regroupant médecins, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, ainsi que des organisations telles que la FNCS, l’Union nationale des médecins de centres de santé et la Fédération des maisons et pôles de santé. Notre objectif premier était de structurer les soins de proximité en misant sur la complémentarité des professionnels de santé plutôt que sur leur simple juxtaposition. Nous visions à faciliter le dialogue interprofessionnel pour améliorer la coordination des soins, renforcer la prévention et réduire les inégalités sociales et territoriales de santé.

Notre ambition initiale consistait à donner une visibilité accrue aux soins primaires et à contribuer à l’organisation du système de santé autour d’une gradation des soins. Nos valeurs fondamentales reposent sur l’accessibilité universelle aux soins primaires, la continuité et la coordination des soins, l’autonomie des équipes pluriprofessionnelles, un financement basé sur des missions de santé publique plutôt que sur des actes isolés, la reconnaissance du travail de coordination et de prévention, et l’implication active des usagers.

Ces dernières années, nos travaux, comme ceux d’autres collectifs, ont été fortement impactés par des évolutions législatives et réglementaires. Bien qu’animées de bonnes intentions, certaines réformes ont malheureusement introduit des logiques de compétition entre professionnels et fragmenté davantage l’organisation des soins, là où il aurait fallu encourager la coopération et la coconstruction des réponses aux besoins de santé.

Le mouvement actuel de dérégulation, que j’oserais qualifier d’ubérisation, risque de freiner encore davantage l’accès aux soins en désorganisant ce qui doit demeurer le socle de notre système : une approche coordonnée, territorialisée et centrée sur les besoins réels des patients.

Néanmoins, nous avons des raisons de rester optimistes et constructifs. Des initiatives comme l’association Asalée, forte de vingt ans d’expérience, démontrent l’efficacité d’un modèle de coopération entre médecins et infirmiers axé sur la prévention et l’éducation thérapeutique. Ce modèle, qui touche aujourd’hui des millions de patients, a prouvé son efficience en réduisant les hospitalisations et les complications.

Le déploiement des assistants médicaux constitue également une avancée significative, permettant aux médecins généralistes de se recentrer sur leur cœur de métier et d’accueillir davantage de patients complexes ou multimorbides. Cependant, nous avons constaté que sans un portage RH structuré, la mise en place de ce dispositif reste difficile, ce qui nous a conduits à créer un groupement d’employeurs.

Enfin, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) représentent des espaces de coordination essentiels. Il est toutefois crucial de veiller à ce qu’elles conservent un ancrage réel dans les soins primaires de terrain, pour éviter qu’elles ne deviennent de simples coquilles administratives surchargées de projets déconnectés des réalités locales.

En conclusion, nous sommes convaincus que pour répondre efficacement à la crise de l’accès aux soins, il est impératif de miser sur l’intelligence collective et la proximité. J’ai des propositions concrètes à soumettre à la commission, que je peux présenter maintenant ou ultérieurement, selon votre préférence.

M. le président Jean-François Rousset. Je suggère que nous abordions certains points spécifiques par le biais d’un échange de questions et réponses.

M. Jean-François Moreul, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS). La FCPTS est aujourd’hui convaincue que la situation financière de notre pays ne nous permet plus une quelconque concurrence dans le domaine de la santé. Notre objectif, qui est au cœur de la mission des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), est de promouvoir une coordination efficace entre tous les acteurs du système de santé.

Le système de santé français, bien que doté d’outils performants, nécessite une meilleure coordination pour optimiser son efficacité. C’est précisément la raison d’être des CPTS. Bien que la FCPTS ne dispose pas encore d’une représentativité officielle et ne participe pas aux négociations conventionnelles, elle accompagne près de 500 CPTS sur les 650 ayant signé leur convention. Notre rôle est de soutenir leur montée en compétences et de les aider à remplir leurs missions essentielles : améliorer l’accès aux soins, optimiser les parcours de santé, gérer les crises sanitaires, renforcer la prévention, et, de manière optionnelle, améliorer la qualité des soins et accompagner les professionnels de santé.

Nous nous apprêtons à adresser aux parlementaires un plaidoyer visant à mieux faire comprendre le rôle crucial des CPTS et à proposer des pistes d’amélioration. Parallèlement, nous avons lancé une vaste campagne d’évaluation de l’impact des CPTS, en collaboration notamment avec la Fédération nationale des observatoires régionaux de santé (Fnors). Cette démarche nous permettra de mesurer concrètement les résultats obtenus après cinq ans d’existence pour les CPTS les plus anciennes.

Nos enquêtes préliminaires révèlent déjà des résultats encourageants. Contrairement à certaines craintes, les CPTS ne sont pas suradministrées, employant en moyenne seulement 1,9 équivalent temps plein. Elles permettent aux professionnels libéraux de terrain de s’impliquer davantage dans la gestion de la santé de la population, comme en témoigne l’augmentation du taux d’adhésion des professionnels de santé, passant de 39 % lors de la création d’une CPTS à 65 % après 5 ans.

Les CPTS se sont également révélées être de véritables catalyseurs de partenariats. Initialement centrées sur les professionnels libéraux, elles ont progressivement intégré les centres de santé, les maisons de santé, les hôpitaux, les établissements médico-sociaux, ainsi que les usagers et les élus. Plus de 80 % des CPTS incluent ces partenaires dans leurs projets, et 25 % les intègrent même dans leur conseil d’administration.

En termes d’impact concret, les CPTS ont démontré leur efficacité dans l’amélioration de l’accès aux soins. Par exemple, une vingtaine de CPTS ont réussi à réintégrer plus de 17 000 usagers exclus du système de santé. Environ 80 CPTS ont développé des outils spécifiques pour faciliter l’accès aux médecins traitants, permettant à près de 20 000 patients de retrouver un médecin référent.

Les CPTS s’impliquent également dans l’accueil des docteurs juniors, bien que les modalités précises restent à définir en fonction des décrets à venir. Elles sont prêtes à jouer un rôle dans la répartition territoriale de ces jeunes médecins et à faciliter leur installation, notamment en termes d’immobilier et de support logistique, comme la mise à disposition d’assistants médicaux.

En conclusion, les CPTS démontrent leur capacité à répondre concrètement aux défis d’accès aux soins et de coordination des acteurs de santé sur les territoires, tout en s’adaptant aux besoins spécifiques de chaque région.

La prévention, initialement absente de la convention des CPTS, y a été réintégrée grâce à un lobbying efficace. Bien que souvent évoquée, la prévention souffre d’un financement dispersé et d’une gouvernance territoriale déficiente. Pour remédier à cette situation, les CPTS s’efforcent d’instaurer une gouvernance quadripartite de la prévention, impliquant usagers, élus, CPTS et établissements de santé. Cette approche vise à optimiser la mutualisation des ressources, à commander des actions préventives ciblées et à améliorer l’efficacité des interventions au bénéfice de la population.

Ce modèle de gouvernance quadripartite pourrait potentiellement s’étendre à l’ensemble de l’organisation territoriale de santé. Les CPTS se fédèrent de plus en plus au niveau départemental et inter-CPTS afin d’interagir efficacement avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), les services d’accès aux soins (SAS) et les dispositifs d’appui à la coordination (DAC). L’objectif est de structurer le lien entre ces dispositifs départementaux et les soins de premier recours.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Concernant les centres de santé, je souhaiterais obtenir des précisions sur le nombre exact de médecins salariés et la proportion de ceux pratiquant la télémédecine, sachant que cette dernière est plafonnée à 20 % de l’activité.

Je soutiens la proposition de Mme Barlerin concernant l’affectation d’un médecin à une structure plutôt qu’à plusieurs centres. Cette approche, similaire à celle observée en entreprise, pourrait potentiellement s’étendre aux CPTS, bien que cela puisse s’avérer complexe à mettre en œuvre sur différents sites.

Étant donné que votre coprésident est originaire de la Mayenne, j’aurais souhaité connaître votre avis sur la proposition de loi Garot, un sujet probablement discuté au sein de votre organisation.

Madame Bayart, vous avez évoqué une « ubérisation ». Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ? S’agit-il de l’augmentation du recours à l’intérim ou de la hausse du nombre de contractuels par rapport aux titulaires ?

Concernant les CPTS, vous avez mentionné l’état des finances de la France. Quel est votre point de vue sur le coût de l’intérim, tant pour les médecins que pour les infirmières, notamment dans le cadre des CPTS ?

Comment envisagez-vous la permanence des soins ambulatoires (PDSA), dont l’obligation a été supprimée, mais qui reste une solution potentielle pour désengorger les services d’urgence ? Quelle est la position des professionnels de santé à ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur l’état actuel des liens entre les CPTS et les hôpitaux, et sur les retours d’expérience au niveau national concernant ces collaborations ?

M. Frédéric Villebrun. Concernant les effectifs, nous disposons de chiffres précis. En 2024, on compte 10 614 médecins salariés en centres de santé, dont 5 933 médecins généralistes. Cette dernière catégorie a connu une augmentation remarquable de plus de 210 % en huit ans. Malheureusement, nous ne disposons pas de données spécifiques sur le nombre de médecins pratiquant la télémédecine.

Dr Hélène Colombani. Il convient de préciser que ces chiffres proviennent de la plateforme de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), mise en place en 2016. Les centres de santé sont tenus de renseigner annuellement un ensemble de données sur cette plateforme pour bénéficier de la rémunération prévue par l’accord national. Cela nous permet d’obtenir des informations détaillées, notamment sur les professionnels exerçant dans ces structures.

En moyenne, on observe un ratio d’un mi-temps de médecin généraliste par professionnel de santé dans les centres. À titre d’exemple, à Nanterre, où je dirige les centres de santé municipaux, nous intégrons divers services tels que la PMI, le planning familial et le centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD). Cette diversité est attractive pour les médecins, leur offrant une pratique variée.

Pour les spécialistes, le ratio est d’environ un tiers-temps (0,35 exactement) par professionnel de santé. Ces spécialistes exercent en secteur 1, ce qui facilite l’accès aux soins à des tarifs conventionnés. Ils peuvent travailler dans plusieurs centres ou à l’hôpital. Environ 60 % des centres de santé ont établi des conventions avec des hôpitaux, permettant des consultations avancées de praticiens hospitaliers dans les centres. Cette organisation favorise la création de parcours de soins coordonnés entre les centres de santé et les hôpitaux.

Bien que ces professionnels exercent souvent à temps partiel dans chaque structure, leur activité globale peut être à temps plein, répartie entre différents lieux d’exercice, ce qui contribue à améliorer l’accès aux soins en secteur 1.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour approfondir ces informations, j’aimerais savoir si vous disposez de données sur la répartition du temps de travail des médecins en dehors de leur activité en centre de santé. Combien cumulent avec une activité libérale et combien se limitent à ce temps partiel en centre ? Par ailleurs, avez-vous des informations sur l’âge moyen des 10 614 médecins mentionnés ?

Dr Hélène Colombani. Je ne dispose pas de chiffres exhaustifs résumant la situation globale. Néanmoins, l’atlas de l’Ordre des médecins fournit des indices significatifs. Il révèle une augmentation de l’activité salariée dans les centres de santé ambulatoires, incluant mais ne se limitant pas à la PMI. L’activité mixte connaît également une croissance notable.

Il est important de souligner la diversité des parcours professionnels. À titre d’exemple, je collabore avec une dermatologue qui exerce simultanément en libéral, en centre de santé et à l’hôpital. De même, une endocrinologue de mon réseau partage son activité entre le libéral, l’hôpital et un centre de santé. Ces professionnelles, qui exercent ainsi depuis 25 ans, illustrent parfaitement cette tendance à combiner une pratique libérale avec un travail en équipe au sein de structures variées.

Concernant la répartition par tranches d’âge, nous disposons de données récentes de l’agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip-Santé) traitées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Ces statistiques comparent la distribution par âge des médecins, tous modes d’exercice confondus, à celle spécifique aux médecins exerçant en centre de santé. L’analyse de la période 2012-2022 révèle une proportion plus élevée de médecins de plus de 60 ans dans les centres de santé.

Concrètement, en 2022, la proportion de médecins de plus de 65 ans atteint 29,5 % dans les centres de santé, contre 15,9 % tous modes d’exercice confondus. Cette différence significative s’explique probablement par l’attrait qu’exercent les centres de santé sur les médecins en fin de carrière, qu’ils soient issus du libéral ou de l’hôpital. Ces structures offrent un cadre d’exercice allégé des contraintes administratives, permettant aux praticiens de se concentrer exclusivement sur leur activité médicale, tout en bénéficiant d’un environnement pluriprofessionnel, réduisant ainsi leur charge mentale.

Je tiens à préciser que ces éléments seront intégrés dans le document que nous vous transmettrons. Par ailleurs, une thèse sociologique approfondie sur l’exercice salarié apporte un éclairage complémentaire, notamment sur la diversité des parcours professionnels au sein de nos structures.

M. Frédéric Villebrun. Concernant les praticiens plus jeunes, il est important de souligner l’attrait particulier des centres de santé pour les médecins universitaires. Dans certaines facultés, jusqu’à 30 % des maîtres de stage exercent en centre de santé. Cette configuration répond parfaitement à leur besoin d’équilibre entre activités de soins, enseignement et recherche, optimisant ainsi leur vie professionnelle et personnelle.

Ce phénomène s’étend à l’ensemble des jeunes professionnels de santé. Ils recherchent activement une diversification de leur pratique, que le salariat en centre de santé, en PMI, en médecine scolaire ou à l’hôpital peut leur offrir. Cette flexibilité répond à une demande croissante d’activité variée, comme l’ont probablement confirmé les jeunes médecins que vous avez interrogés.

L’attractivité des centres de santé ne se limite pas à la diversification des pratiques. Ils jouent également un rôle crucial dans le maintien de l’activité professionnelle de certains médecins qui, sans cette option, pourraient se détourner de la médecine générale.

Concernant la rémunération, nous disposons de données chiffrées. Les modalités varient selon les centres, certains optant pour une rémunération au pourcentage de l’acte, d’autres pour un salaire horaire. Je vais céder la parole à Hélène Colombani pour des précisions sur les taux horaires, basées sur les informations collectées par la FNCS.

Dr Hélène Colombani. Effectivement, les modes de rémunération dans les centres de santé se répartissent entre paiement à la fonction et paiement à l’acte. La majorité des adhérents de la FNCS privilégie le paiement à la fonction, bien que ce ne soit pas une règle absolue.

Les salaires proposés oscillent généralement entre 43 et 50 euros bruts de l’heure, ce qui correspond approximativement aux échelons 7 à 9 de la grille des praticiens hospitaliers (PH). Pour certaines spécialités particulièrement recherchées, la rémunération peut atteindre jusqu’à 80 euros bruts de l’heure.

Il convient de noter que, pour les médecins spécialistes, ces niveaux de rémunération, bien que compétitifs, peuvent parfois sembler insuffisamment attractifs comparés à ce qui est pratiqué dans le secteur libéral ou dans d’autres structures.

Mme Emmanuelle Barlerin. Je tiens à exprimer ma satisfaction quant à votre reconnaissance de l’importance des maisons de santé comme lieux de stage. C’est un point crucial que nous, à AVECsanté, considérons comme particulièrement positif.

Concernant la loi Garot, il est essentiel de contextualiser la situation. Nous savons que 87 % du territoire français est qualifié de zone en souffrance ou de désert médical. Cependant, cette terminologie centrée sur une seule profession peut être réductrice et ne reflète pas la réalité globale de l’accès aux soins. En effet, pour une prise en charge efficace et une prévention optimale, c’est l’approche en équipe pluridisciplinaire qui s’avère la plus pertinente.

Face à l’ampleur du défi, il paraît peu réaliste d’attendre des seuls jeunes diplômés qu’ils régulent cette situation. Chez AVECsanté, nous pensons que la proposition de loi transpartisane reflète peut-être une compréhension incomplète du fonctionnement complexe de l’accès aux soins.

En tant que maire d’une commune de 1 250 habitants, je suis particulièrement sensible à ces enjeux. Malgré la présence d’une maison de santé et l’existence d’une CPTS, notre territoire est encore considéré comme en manque d’accès aux soins. Cette situation illustre la complexité du problème et la nécessité d’une approche plus globale.

Concernant spécifiquement la PPL Garot, nous estimons qu’il faut privilégier des solutions à long terme. Nous préconisons le développement de l’exercice en équipe coordonnée pluriprofessionnelle, un concept sur lequel nous insistons particulièrement. La régulation de l’installation telle que proposée nous semble trop court-termiste et insuffisamment ancrée dans la réalité du terrain.

L’analyse des récents zonages confirme cette complexité : les zones rouges ou orange foncé sont souvent entourées de zones bleues, plus claires, avec seulement quelques zones blanches. Cette répartition hétérogène souligne la nécessité d’une approche plus nuancée et adaptée aux réalités locales, plutôt qu’une solution uniforme qui risquerait de déplacer le problème sans le résoudre véritablement.

Je tiens à souligner que les modalités du plan gouvernemental et leur application demeurent floues. Nous considérons que la régulation proposée n’est pas la solution adéquate. Nous préconisons plutôt de miser sur la démonstration des avantages de l’accueil pluriprofessionnel dans les territoires. Il est crucial de collaborer avec les élus locaux et de se concentrer sur l’attractivité des zones moins prisées initialement. Notre approche vise le long terme et l’installation durable des professionnels de santé.

Nous estimons que l’obligation de permanence des soins, intégrée dans la loi Rist, est essentielle. Les professionnels de santé ont le devoir de garantir un accès aux soins de qualité pour tous les usagers. Cette responsabilité devrait être partagée par l’ensemble des praticiens. La régulation, telle qu’envisagée actuellement, ne nous semble pas apporter de réelle plus-value.

L’organisation de la PDSA doit s’articuler avec le SAS et les CPTS. Il s’agit d’une approche collaborative qui ne peut reposer uniquement sur les médecins isolés. Notre vision englobe l’ensemble de l’écosystème de prise en charge, de la prévention jusqu’à l’urgence.

Il est impératif de prendre en compte tous les acteurs du territoire, y compris les élus locaux, qui peuvent jouer un rôle significatif en termes d’immobilier et d’attractivité globale.

Dr Margot Bayar. Concernant la question de l’ubérisation soulevée par M. le rapporteur, il est important de clarifier ce concept dans le domaine de la santé. Nous avons observé l’émergence de nombreuses plateformes numériques et d’acteurs privés proposant des solutions rapides face à la désertification médicale. Ces services, accessibles à la demande, tendent à encourager la surconsommation et à contourner les circuits traditionnels de soins.

Bien que ces solutions donnent l’illusion de fournir des soins, nous constatons généralement une dégradation de la qualité. Je fais notamment référence aux plateformes de téléconsultation et aux centres de soins à horaires élargis. Il est crucial de nous interroger sur la nature de l’accès aux soins dont nous avons réellement besoin. Devons-nous répondre à la demande immédiate des patients ou plutôt nous concentrer sur leurs besoins réels, en particulier pour les patients chroniques et multimorbides qui nécessitent une approche globale et pluriprofessionnelle dans le cadre d’un exercice coordonné ?

L’ubérisation risque de consommer des ressources de manière inefficace et d’accentuer la fragmentation des soins et de leur accès. De plus, elle entraînerait des dépenses financières qui ne seraient pas en adéquation avec les enjeux que nous défendons.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Concernant les centres de santé, je m’interroge sur leur potentiel en tant que solution facilitante pour une première installation en début de carrière, post-diplôme. Vous avez évoqué la fin de carrière, mais l’intérêt en début de parcours professionnel mérite d’être exploré. Existe-t-il un outil pour répertorier les places disponibles dans les centres de santé et les faire connaître aux jeunes diplômés en quête d’installation ?

Ma deuxième question porte sur les critères d’évaluation du succès des CPTS. Quels indicateurs allons-nous mesurer, notamment en Mayenne ? S’agira-t-il de l’accès aux médecins traitants, de la prise en charge des maladies chroniques, ou encore de la réduction de l’exode médical vers d’autres départements ?

Je tiens à souligner que les élus des déserts médicaux et des zones sous-dotées ont une connaissance approfondie du système de santé, étant confrontés quotidiennement à ces problématiques. Malgré nous, nous sommes devenus experts de la réalité de nos territoires.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). En tant que députée de la circonscription de Guingamp-Rostrenen, je souhaite aborder la question de vos relations avec les élus locaux. Dans mon département, plus d’une cinquantaine de maires ont pris des arrêtés pour exhorter l’État à agir urgemment en faveur de l’accès aux soins pour tous. Ces arrêtés ont été annulés par le tribunal administratif au motif que la santé ne relève pas de leur compétence. Paradoxalement, ces mêmes élus se voient contraints d’allouer des sommes conséquentes de leurs budgets communaux pour répondre aux besoins en médecins et créer des centres de santé.

J’aimerais connaître votre point de vue sur ce paradoxe. Avez-vous la capacité de réguler les demandes parfois excessives de certains médecins ? On constate une surenchère entre communes. Pouvez-vous jouer un rôle modérateur face à ces praticiens qui exigent parfois trop des municipalités, alors qu’auparavant, les médecins ne sollicitaient rien des communes ?

Mme Emmanuelle Barlerin. Je tiens à préciser que notre rôle n’est pas de réguler, étant donné que nous sommes un mouvement représentant les maisons de santé et les fédérations régionales. Cela ne fait pas partie de nos missions. Nous accompagnons les fédérations régionales et nationales à travers d’autres outils, et nous soutenons la création d’équipes.

Nous assistons également les élus locaux, maires ou intercommunalités, dans la création d’équipes de santé. Nous les guidons sur les éléments nécessaires pour rendre une maison de santé attractive. Nous mettons souvent l’accent sur l’accueil des étudiants, suggérant par exemple la mise à disposition de logements pour faciliter l’accès aux stages. Ces aspects sont connus, mais l’investissement des élus dans ces domaines peut avoir un impact significatif sur les installations futures.

Cependant, nous n’abordons pas la question du financement, car comme vous l’avez souligné, il s’agit d’une compétence étatique. La surenchère entre communes ou départements est, à notre sens, regrettable. Nous tentons de sensibiliser les acteurs au fait qu’une approche trop individualiste risque d’être contre-productive.

Nous promouvons l’idée que l’organisation en maison de santé ne se limite pas à un lieu physique, mais représente une équipe structurée autour de la patientèle et des activités des professionnels. Nous expliquons que le modèle d’un médecin par village n’est plus viable. Nous préconisons plutôt une organisation centrée sur la structuration de l’équipe, avec potentiellement une installation dans un lieu central pouvant desservir une zone de dix à quinze kilomètres, selon qu’il s’agisse d’un milieu rural ou urbain.

Bien que nous n’ayons pas de rôle de régulation, nous constatons que lorsque les élus nous contactent en proposant des avantages financiers ou matériels importants, ils sont souvent déçus car ces incitations ne suffisent pas à garantir le succès de l’installation.

Il est évident que le seul levier financier ne suffit pas à garantir l’attractivité d’un territoire. Notre mission consiste à mettre en lumière les multiples avantages du travail en équipe : son intérêt, son confort, son potentiel d’innovation et sa capacité à générer collectivement des solutions pour améliorer nos méthodes de travail. Nous devons également guider les élus pour qu’ils ne se tournent pas systématiquement vers des organismes de recrutement ou de télémédecine. Ces derniers prétendent souvent disposer d’un grand nombre de professionnels de santé, notamment des médecins salariés, très disponibles pour des soins immédiats, mais pas nécessairement adaptés aux besoins réels de la population.

Certains élus se sentent démunis face à la pression qu’ils subissent. Il est important de comprendre que la complexité ne réside pas tant dans un manque de connaissance que dans la difficulté à naviguer dans ce que j’appellerais une véritable jungle organisationnelle. Notre rôle consiste donc à apporter des éléments de compréhension et de réflexion, à proposer des pistes d’action et à identifier les solutions les plus appropriées pour chaque territoire. L’objectif est d’assurer l’accès aux soins de la population, tout en veillant à ne pas entrer en concurrence avec les centres de santé existants.

Si un centre de santé s’avère être la solution la plus adaptée, c’est cette option qui sera privilégiée. Nous nous efforçons de travailler en collaboration avec la CPTS locale, étant donné que le territoire est largement couvert par ces structures. Notre ambition est d’articuler l’ensemble de cet écosystème de santé. Enfin, nous insistons auprès des élus sur la nécessité de ne pas systématiquement recourir à des incitations financières, car cette approche s’est révélée inefficace.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Pourriez-vous apporter des précisions concernant les aides à l’installation des médecins, que ce soit dans les centres de santé ou dans les centres de santé pluridisciplinaires, en comparaison avec les aides à l’installation d’une infirmière, par exemple ?

Dr Hélène Colombani. Il convient de rappeler que les communes disposent de la compétence générale, ce qui leur permet de faire le choix politique d’investir dans le domaine de la santé. C’est une option que de nombreux élus retiennent actuellement pour répondre aux besoins de leur territoire, qu’il s’agisse de communes, d’intercommunalités ou de départements. Ces derniers ont d’ailleurs vu leur compétence générale renforcée par la loi 3DS. Les régions, bien qu’elles ne disposent pas de cette compétence, ont pu mettre en place des centres de santé via des groupements d’intérêt public (GIP).

Une commune a donc toute latitude pour agir dans ce domaine si elle le souhaite. La question du financement se pose, certes, mais elle ne constitue pas un obstacle insurmontable. On peut faire un parallèle avec la police municipale, qui n’est pas non plus, stricto sensu, une compétence communale, mais qui permet de pallier certaines faiblesses en matière de sécurité sur les territoires. Il s’agit avant tout d’une question de posture et de vision.

Concernant les centres de santé, notre démarche est similaire à celle adoptée pour les maisons de santé. La fabrique des centres de santé accompagne les porteurs de projets. Nous conseillons aux élus locaux désireux de mettre en place de telles structures de rester raisonnables en termes de fourchettes salariales, tout en tenant compte des attentes vis-à-vis des professionnels recrutés. Nous portons ce message de prévention, tout en reconnaissant que les élus peuvent faire le choix de répondre favorablement à certaines demandes, même si cela se solde souvent par des déceptions.

Quant à votre question sur les maîtres de stage, il est vrai que de nombreux jeunes médecins commencent leur carrière dans les centres de santé. Cela s’explique notamment par le fait que beaucoup de nos centres sont maîtres de stage universitaire, accueillant des externes, des internes de premier niveau, et bientôt des docteurs juniors. Naturellement, les internes qui terminent leur formation sur un territoire s’y attachent souvent et sont heureux de pouvoir rester au sein d’une équipe qu’ils connaissent.

Pour faciliter la recherche d’opportunités, la FNCS dispose d’un site d’annonces géolocalisées. Les professionnels peuvent ainsi cibler un territoire spécifique et trouver les offres disponibles dans la zone souhaitée.

M. Jean-François Moreul. Concernant la régulation des médecins, il n’existe pas de possibilité directe de contrôle. Cependant, la création d’espaces d’échange et de démocratie, où l’on peut se rencontrer et discuter des problématiques du territoire, permet d’éviter ce que l’on appelle communément les « guerres de clocher ». C’est précisément ce que nous faisons au sein des CPTS.

Les contrats locaux de santé (CLS) jouent également un rôle important. Il est particulièrement intéressant de faire collaborer les professionnels de santé et les élus dans ce cadre. Je suggère d’ailleurs que les agences régionales de santé (ARS) fassent signer ces contrats par l’ensemble des parties prenantes. Dans ma région, les Pays de la Loire, les CLS ne sont actuellement signés que par les élus, ce qui est regrettable. En impliquant tous les acteurs dans une responsabilité collective, nous pourrions réfléchir ensemble à l’offre de soins et à sa répartition sur le territoire.

Dans les CPTS, nous avons un certain nombre d’élus qui siègent. Personnellement, je m’efforce de rencontrer chaque élu individuellement pour comprendre leurs problématiques spécifiques. Je voudrais également attirer votre attention sur une initiative intéressante menée dans le Rhône. L’inter-CPTS du département a mis en place ce qu’ils appellent des « incubateurs de santé solidaire ». Par exemple, dans une CPTS de 60 000 habitants, la commune de Grigny-sur-Rhône s’est soudainement retrouvée en situation de désert médical. En réponse, les trente médecins de la CPTS se sont mobilisés collectivement pour assurer des consultations à Grigny. Progressivement, ils ont atteint l’équivalent de quatre temps pleins, ce qui a abouti, au bout de 12 mois, à l’installation de quatre médecins et à la création d’une maison de santé.

Ces incubateurs de santé solidaire se multiplient dans le Rhône grâce à l’inter-CPTS et au partenariat avec l’ARS, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et les élus. L’idée est de travailler collectivement et en intelligence collective pour trouver des solutions, plutôt que de se mettre en concurrence. Cette approche démontre que nous pouvons, ensemble, élaborer des réponses innovantes aux défis de l’offre de soins sur nos territoires.

Concernant les critères d’évaluation des CPTS, le premier élément à considérer est la convention. Celle-ci, relativement rigide, établit des critères annuels sur lesquels nous nous engageons. L’évaluation de ces critères détermine le financement de l’année suivante. Cependant, cette approche s’avère insuffisante. En effet, ces critères intègrent principalement des éléments comme le nombre de patients sans médecin traitant ou le nombre de médecins installés sur les territoires, ce qui donne une vision très médico-centrée. Or, comme l’a souligné Emmanuelle, le travail en CPTS est réellement pluriprofessionnel. De plus, l’état de santé de la population est peu pris en compte dans cette évaluation conventionnelle. C’est pourquoi nous travaillons actuellement à l’évaluation de l’état de santé de la population, notamment en collaboration avec les observatoires régionaux.

Quant aux relations entre les CPTS et les hôpitaux, elles concernent 80 % des CPTS, voire 90 % pour les hôpitaux. La collaboration avec les hôpitaux de proximité est généralement plus aisée, souvent facilitée par des liens historiques entre les territoires et ces établissements. Nous observons de nombreuses conventions entre les hôpitaux de proximité, les CPTS et le territoire. En revanche, la coopération avec les GHT et les centres hospitaliers universitaires (CHU) s’avère plus complexe, nécessitant une volonté explicite de l’hôpital de travailler avec son territoire.

La Fédération hospitalière de France (FHF) a mis en place un dispositif nommé « responsabilité populationnelle ». Il s’agit d’une convention signée entre la FHF et les GHT, fournissant à ces derniers une méthodologie pour collaborer avec le territoire. Cette approche se concentre sur les recommandations et la structuration des parcours de soins, notamment pour l’insuffisance cardiaque et le diabète. Bien que cette initiative présente l’avantage d’inciter les GHT à s’adresser à leur territoire pour organiser les parcours de soins, elle risque de recréer un système de réseaux spécifiques, alors que les territoires privilégient une approche transversale axée sur la santé globale de la population.

L’objectif actuel est de travailler directement avec la FHF et chaque GHT. Certains projets de responsabilité populationnelle, comme à Nice, ont évolué grâce à la collaboration avec l’inter-CPTS, intégrant la prévention primaire et des prises en charge plus globales du système cardiovasculaire. Cette approche présente un intérêt particulier lorsqu’une inter-CPTS peut interagir avec le projet.

Concernant les lois et la PDSA, la FCPTS, n’étant ni un syndicat ni un mouvement, ne porte pas de jugement mais s’adaptera à la législation à venir. Ces dernières années, nous avons développé divers dispositifs pour optimiser le temps médical, tels que les assistants médicaux, et pour renforcer les compétences des paramédicaux, comme les infirmiers en pratique avancée ou l’extension des prérogatives des pharmaciens, kinésithérapeutes et orthophonistes.

Les CPTS, à l’instar des centres de santé et des maisons de santé, sont des structures qui adaptent ces outils aux besoins spécifiques de la population locale. Nous nous engageons à nous adapter à toute nouvelle législation. Néanmoins, il serait judicieux d’adopter une vision à long terme, contrairement à ce qui s’est passé avec le numerus clausus. Certains prédisent une arrivée massive de médecins sur le marché dans les cinq prochaines années, ce qui pourrait soit créer un chômage médical, soit remettre en question les dispositifs mis en place. Il serait regrettable de voir disparaître ces dispositifs qui ont amélioré l’accès aux soins pour de nombreux patients.

Pour éviter cela, nous devrions repenser la formation initiale et l’accueil des docteurs juniors. En les formant à de nouvelles pratiques comme l’éducation thérapeutique et en leur fournissant des outils modernes comme des échographes plutôt que de simples stéthoscopes, nous pourrions élever globalement les compétences de l’ensemble du système de santé dans la décennie à venir.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je souhaiterais obtenir des précisions concernant les aides à l’installation, non seulement pour les médecins dans les centres de santé, mais également pour d’autres professionnels de santé, tels que les infirmières, dans le cadre des centres pluridisciplinaires.

Dr Hélène Colombani. Actuellement, nous disposons de ce que l’on nomme des aides démographiques, destinées aux médecins, infirmiers, sages-femmes, infirmiers en pratique avancée et chirurgiens-dentistes. Pour la plupart des professions, l’aide à l’installation est équivalente à celle proposée aux professionnels libéraux. Cependant, ce n’est pas le cas pour les médecins exerçant en centres de santé, pour lesquels l’aide est significativement inférieure à celle offerte à leurs homologues libéraux.

Il convient de préciser que ces aides à l’installation, sous leur forme actuelle, sont appelées à disparaître avec l’application de la nouvelle convention médicale. Le système sera restructuré, avec la mise en place d’une aide à l’installation, mais la suppression de l’aide au maintien de l’offre de soins telle qu’elle existe aujourd’hui.

En ce qui concerne spécifiquement les centres de santé, les aides proposées aux médecins étaient jusqu’à présent nettement inférieures à celles offertes dans d’autres contextes. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a d’ailleurs souligné ce point dans ses recommandations, préconisant un alignement de ces aides.

Mme Emmanuelle Barlerin. Concernant les installations en libéral, il n’existe pas de distinction fondamentale entre l’exercice isolé et l’exercice en maison de santé pour les aides à l’installation. Comme l’a mentionné ma collègue Hélène, les mêmes professions sont éligibles à ces aides, mais les montants varient considérablement entre les médecins et les professionnels paramédicaux.

De plus, le zonage de ces aides diffère : nous avons les zones d’intervention prioritaire (ZIP) pour les médecins, et d’autres zonages spécifiques pour les professionnels paramédicaux. Ces aides sont gérées et financées par les ARS, représentant l’État en région.

Il existe également des aides à l’installation proposées par les collectivités territoriales. Par exemple, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le conseil régional offre des aides spécifiques selon la profession du praticien s’installant.

Nous disposons aussi de mesures de défiscalisation liées à la classification des communes, notamment ce qui était auparavant connu sous le nom de zone de revitalisation rurale (ZRR) et qui est devenu France ruralités revitalisation (FRR). Ces dispositifs sont considérés comme des incitations attractives.

Cependant, nous constatons que ces aides financières ne garantissent pas toujours la pérennité de l’installation ni la qualité des soins dispensés. Il est donc essentiel de réfléchir à des approches plus globales pour assurer une offre de soins durable et de qualité sur l’ensemble du territoire [suggestion du glossaire].

Les avantages accordés aux zones identifiées comme en difficulté sont très mono-professionnels et disparates. Les maisons de santé pluriprofessionnelles offrent une approche bien plus globale, favorisant l’innovation plutôt que de simplement allouer des fonds publics à des professionnels de santé isolés. L’octroi de moyens plus structurants et pérennes pour le collectif et la coopération pourrait considérablement accroître l’attractivité de l’exercice pluriprofessionnel, particulièrement dans les zones dites en difficulté. Les maisons de santé constituent un véritable terreau d’innovation, proposant de nouveaux modèles d’organisation et de rémunération pour les professionnels de santé. Le fonctionnement au forfait, testé par certaines équipes, peut séduire des praticiens davantage intéressés par l’aspect organisationnel que financier. L’article 51 nous permet d’ailleurs d’expérimenter ces nouveaux modèles.

Dr Margot Bayart. Certes, les maisons de santé regroupent environ 25 % des médecins, mais il ne faut pas négliger les 70 % restants dans notre réflexion sur l’accès aux soins. Bien que l’accès aux soins ne se limite pas aux médecins, leur présence demeure cruciale. Notre défi consiste à impliquer ces 70 % de professionnels qui ne souhaitent pas nécessairement intégrer des modèles organisés, tout en reconnaissant les avantages et les contraintes des maisons de santé.

À la Fondation des soins primaires, nous avons beaucoup travaillé sur les équipes de soins primaires, considérées comme une première étape accessible. Ce modèle, inscrit dans la loi de 2016, permettait à deux professionnels, dont un médecin généraliste, d’élaborer un projet simple et adaptable. Malheureusement, malgré des expérimentations prometteuses dans les Pays de la Loire et en Centre-Val de Loire, l’absence de modèle économique a freiné leur développement.

Il est important de souligner que de nombreux cabinets de médecins généralistes collaborent efficacement avec divers professionnels sans nécessairement s’intégrer dans une maison de santé. Ils travaillent avec des assistants médicaux, des infirmières Asalée, des infirmiers en pratique avancée (IPA), et coordonnent leurs actions avec d’autres professionnels. Les maisons de santé ne sont donc pas l’unique solution pour améliorer l’accès aux soins, bien qu’elles jouent un rôle complémentaire essentiel.

Notre objectif à la Fédération des soins primaires est d’accompagner l’ensemble des professionnels de santé vers un exercice coordonné. Cela inclut des formes de coopération variées, comme le dispositif Asalée qui implique 9 000 médecins et 2 000 infirmières, dont une part significative exerce en maisons de santé.

Nous devons réfléchir au cadre à donner à ces initiatives. Faut-il abandonner définitivement le concept d’équipes de soins primaires ou leur offrir un cadre souple et adaptable répondant aux enjeux actuels ? Il est crucial d’élargir notre vision de l’accès aux soins pour englober tous les professionnels de santé.

M. Jean-François Moreul. Concernant les aides disponibles, le rôle d’une CPTS est d’identifier et de centraliser ces informations. Nous élaborons un livret d’accueil pour les professionnels de santé souhaitant s’installer sur le territoire, agissant ainsi comme un guichet d’entrée. Notre objectif est de faciliter l’accès à ces aides et de s’assurer qu’aucune opportunité n’est négligée. Cependant, il est difficile d’affirmer avec certitude que ces aides influencent réellement les choix d’installation.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie pour ces précisions. En effet, il est souvent rapporté que ces aides ne sont pas déterminantes dans le choix d’installation. Néanmoins, leur existence est appréciée. Vous avez également souligné l’importance du guichet unique, qui centralise de nombreuses informations utiles tant pour les CPTS dans la formation de leurs membres que pour les futurs installés. Passons à une dernière question.

M. Frédéric Villebrun. Je souhaite apporter un éclairage sur les zones franches urbaines (ZFU). En tant que directeur de la santé, je constate un réel effet d’aubaine : de nombreux médecins cherchent spécifiquement à s’installer dans ces zones, principalement pour des raisons fiscales. Cette situation crée un déséquilibre marqué. Dans la partie de notre ville classée en ZFU, nous n’avons pratiquement plus de locaux disponibles, tandis que le reste de la ville peine à attirer des praticiens. Bien que les aides à l’installation évoluent, ce phénomène persiste et complique notre tâche pour maintenir une répartition homogène des installations sur l’ensemble du territoire.

M. le président Jean-François Rousset. En effet, dans les zones urbaines, la délimitation des zones d’aide peut créer des situations paradoxales, où d’un côté d’une rue à l’autre, les conditions d’installation diffèrent radicalement. Je vous remercie vivement pour la qualité de vos interventions. N’hésitez pas à transmettre tout complément d’information à notre secrétariat.

 

La séance s’achève à dix-sept heures trente.

 

 

 


Membres présents ou excusés

 

 

Présents. - Mme Géraldine Bannier, Mme Murielle Lepvraud, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset