Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins

– Audition de M. Yannick NEUDER, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargé de la Santé et de l’Accès aux soins.              2

–  Présences en réunion............................22

 


Jeudi
5 juin 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 28

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président

 


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La séance débute à neuf heures cinq.

M. le président Jean-François Rousset. Monsieur le ministre, c’est un plaisir de vous accueillir aujourd’hui, pour notre vingt-septième et dernière audition, afin d’échanger avec vous sur notre système de santé et l’accès aux soins de l’ensemble de nos compatriotes, ainsi que sur les évolutions qui pourraient en améliorer l’efficience et la soutenabilité pour l’ensemble des acteurs.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Yannick Neuder prête serment.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail de votre commission d’enquête. Vous avez entendu un panel de personnalités et de responsables tout à fait représentatifs de la grande diversité d’acteurs qui constitue notre système de santé et sa gouvernance. C’est le cœur de votre mission constitutionnelle que de contrôler l’action publique. Vous l’avez accomplie de manière approfondie et avec un grand sérieux. Je ne doute pas que le rapport qui sera tiré de ces travaux éclairera utilement mon action et celle de mon ministère sur le sujet urgent et essentiel qu’est l’accès aux soins.

J’ai souvent dit que je veux construire avec le Parlement ma politique de santé et d’accès aux soins. Les nombreux textes sur lesquels nous avons travaillé depuis presque six mois que je suis ministre le prouvent. Je salue le dernier en date : l’accord trouvé en commission mixte paritaire (CMP) concernant la proposition de loi sur la profession d’infirmier, qui projettera ce métier dans la modernité en confiant à ces professionnels des missions rénovées et des compétences élargies au service de la santé des Français au quotidien.

L’accès aux soins est le plus grand et le plus important défi de notre système de santé. Ce sujet figure tout en haut de la liste de mes priorités et de celles de nos concitoyens, mais aussi, malheureusement, de la liste de nos préoccupations car, trop souvent, pour les Français, l’accès aux soins se heurte à des délais inacceptables, à des distances infranchissables et à des découragements silencieux. Cette réalité, je l’ai vécue comme médecin, comme élu local et comme député d’une circonscription rurale et un peu montagneuse. Le sujet n’est donc pas nouveau pour moi. Ses causes sont anciennes et entraînent une perte de chances pour les Françaises et les Français.

Cette situation va nécessairement s’aggraver si nous n’activons pas tous les leviers, dans le cadre d’une action globale qui mobilise l’ensemble des acteurs – pouvoirs publics, professionnels de santé et élus. Il ne s’agit plus de colmater les brèches mais de rebâtir les organisations à la hauteur des défis de notre époque : vieillissement de la population, maladies chroniques et attentes nouvelles de nos concitoyens et de nos soignants. Toutes les politiques que je mets en œuvre sont tournées vers cet objectif. Je pense en premier lieu au pacte de lutte contre les déserts médicaux que j’ai présenté en avril dernier et qui est issu de larges concertations auxquelles les élus et les parlementaires ont été associés.

Ce pacte est à l’origine d’une mesure inédite de solidarité territoriale que la proposition de loi défendue par le président de la commission des affaires sociales du Sénat, Philippe Mouiller, a déjà permis d’entériner en première lecture. Cette disposition instaure une obligation collective qui engagera l’ensemble de la communauté médicale en fonction des besoins identifiés localement.

Mieux répartir la ressource médicale est naturellement une priorité à court terme mais nous ne pourrons remporter la bataille de l’accès aux soins que si nous parvenons à renforcer structurellement nos effectifs sur le terrain. C’est pourquoi j’ai fait de la formation le centre de gravité de mon action. Former plus, former mieux, former partout : ce sont les termes du choc de formation – de l’électrochoc – que nous allons réussir.

Ce choc de formation se décline en plusieurs mesures : premièrement, la mise en œuvre de la quatrième année d’internat de médecine générale, qui permettra à 3 700 docteurs juniors d’arriver dans vos circonscriptions dès novembre 2026 ; deuxièmement, la réforme des voies d’accès aux études de santé, que je porte avec Philippe Baptiste ; troisièmement, la suppression définitive de toute forme de numerus : cette mesure, contenue dans la proposition de loi que j’avais défendue, a été votée par l’Assemblée en décembre 2023 et sera examinée au Sénat le 17 juin ; quatrièmement, le retour de près de 10 000 étudiants français partis se former à l’étranger – en Belgique, en Pologne et en Roumanie ; cinquièmement, la sécurisation des financements du protocole État-région de création de places de formation paramédicale, avec plus 5 870 places en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) depuis 2020.

Un autre axe majeur de ma politique d’accès aux soins réside dans le fait de mieux utiliser les nombreuses ressources et compétences déjà existantes. Je citerai par exemple le décret et l’arrêté que j’ai signés concernant l’accès direct et la primo-prescription des infirmières en pratique avancée (IPA). Ces dispositions attendues sont issues, il faut le souligner, de textes d’initiative parlementaire. Je pense aussi à la sécurisation de l’exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) et à la réforme de l’examen de vérification des connaissances, pour lesquels les textes viennent de paraître – je crois que c’était dimanche.

J’en viens à l’efficience, à l’organisation et la simplification de nos organisations, sujets qui ont été au cœur de vos travaux et de vos nombreuses auditions.

S’agissant des organisations locales, ma ligne est claire : je veux être le ministre qui leur facilite la vie et leur permet d’innover et de conduire des projets collectifs. Il faut que, sur le terrain, on puisse s’organiser en fonction des réalités, des contraintes, des opportunités et, surtout, des besoins identifiés.

Concernant la gouvernance du système et du ministère, je n’ai pas de position de principe. Comme pour toutes nos administrations, il est sain que nous puissions procéder à notre autoexamen et, parfois, à notre autocritique. Je suis tout à fait ouvert à l’idée de lancer un vrai chantier de simplification du système de santé, mais ce que je vis au quotidien depuis que je suis ministre me montre que nos administrations sont une véritable force. Nos directions centrales sont dotées de spécialistes très pointus de chaque sujet tandis que nos agences régionales de santé (ARS) et leurs délégations territoriales sont nos bras armés dans les territoires. À titre d’exemple, l’autonomie juridique et financière et le pouvoir de dérogation que nous avons accordés aux directeurs généraux d’ARS se traduisent par plus de latitude, plus de moyens et plus d’équivalents temps plein (ETP) pour la santé sur le terrain ; ils constituent l’application de cette subsidiarité qui nous est chère.

Le ministère de la santé est une grosse machine, mais il représente surtout des milliers d’agents engagés chaque jour pour faire fonctionner le système de santé et améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. Le chantier de l’organisation de la gouvernance et de sa simplification doit avant tout être un levier pour maximiser le potentiel et l’efficacité de cette belle et solide administration de la santé publique dont nous avons la chance de disposer.

En évoquant les lignes de force de mon action, je n’ai fait qu’effleurer, tant ils sont vastes, certains sujets que j’estime majeurs. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les sujets sont vastes, en effet, et cette commission d’enquête parlementaire a tenté de trouver des pistes, des fils rouges, afin de répondre aux préoccupations de nos concitoyens.

Vous avez évoqué votre volonté de former plus et de former mieux. Combien de médecins ont été diplômés cette année et combien le seront l’année prochaine ? Votre collègue ministre de l’enseignement supérieur, que nous avons interrogé hier, nous a indiqué le nombre de médecins qui arrivaient en internat, mais pas le nombre de ceux qui étaient formés cette année. Ce chiffre nous permettra d’établir des comparaisons avec les effectifs de médecins formés dans les années 1970 – où ils s’élevaient à près de 7 000 par an –, puis entre 1983 et 2003 – où ils ont connu un point bas – et de déterminer les perspectives d’augmentation de la formation.

Nous saluons l’instauration de la première année dans chaque département, idée novatrice qui fait droit à une demande de décentralisation des études de médecine. Dans la mesure où on est toujours décentralisé par rapport à quelqu’un, ce serait un signal fort d’organiser la première année en dehors d’une ville-préfecture : cela permettrait à nos étudiants et futurs médecins de mieux connaître la réalité des territoires plus ruraux – à condition, évidemment, que ceux-ci disposent des infrastructures nécessaires pour les accueillir.

Les études de médecine sont plus courtes en Suède et en Allemagne qu’en France et la quatrième année de médecine que vous avez ajoutée ne fait pas l’unanimité parmi les syndicats. Plutôt que de toujours allonger les études, ne faudrait-il pas les rétrécir – plus précisément les ramener à huit ans, spécialité comprise, comme dans de nombreux autres pays ?

Depuis cette année, la formation des médecins comprend des cours de sciences humaines, de relations humaines. Un médecin généraliste peut avoir à gérer une petite entreprise, ou du moins à établir un bilan d’activité. Un chef de service entretient des liens avec ses pairs et avec d’autres professionnels, comme les infirmiers et les aides-soignants. Ne faudrait-il pas pousser un peu plus la formation dans le domaine des relations humaines, du management, voire de l’entreprenariat ? Il ne s’agit pas nécessairement d’y consacrer une année entière, mais de tels cours pourraient aider les médecins. Le management n’est pas donné à tout le monde ; le fait d’avoir des bases scolaires dans ce domaine mettrait de l’huile dans les rouages des relations à l’hôpital, qui sont parfois compliquées – on y observe un écart important entre le corps médical pur et les autres personnels soignants.

M. Yannick Neuder, ministre. J’étais médecin en CHU (centre hospitalier universitaire) lorsqu’a été votée la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), qui prévoyait la désignation de chefs de pôle, lesquels devaient accomplir un parcours de formation. Du fait des contraintes horaires, il était difficile, dans mon hôpital comme dans beaucoup d’autres, de trouver des médecins prêts à assumer ces responsabilités. Ayant été sollicité, je suis devenu chef de pôle. Nous avions, au titre de la formation obligatoire, le choix entre Sciences Po, en lien notamment avec un master en politiques de santé, et HEC. Sciences Po ayant l’avantage d’être en région et, qui plus est, à deux arrêts de tramway de mon CHU, c’est ce parcours que j’ai choisi. Dans le cadre du master en santé, j’ai consacré mon mémoire aux trois missions incombant aux CHU créés par l’ordonnance de 1958, à savoir le soin, la recherche et l’enseignement ; j’ai posé comme postulat qu’il fallait réformer le système en reconnaissant l’existence d’une quatrième mission : le management.

Comme vous l’avez dit, il manque à nos études médicales, qui sont de nature scientifique, une formation à cet aspect de l’exercice professionnel. En effet, le médecin libéral, s’il dispose d’un secrétariat, d’assistants médicaux et de remplaçants, est confronté aux besoins d’une organisation qui est quasiment celle d’un chef d’entreprise, avec une gestion comptable et administrative, à quoi s’ajoutent les relations avec la patientèle ainsi qu’avec les tutelles et les organismes. Les médecins hospitaliers sont moins confrontés à la gestion des aspects financiers, des fiches de paye ou des interfaces, mais ils doivent susciter le dynamisme et assurer une gouvernance efficace pour que l’ensemble des personnels soient partie prenante aux projets médicaux. Les pôles hospitaliers peuvent être très importants – celui que je gérais comptait plus de 600 personnes. La formation doit donc apporter aux professionnels de santé de demain des compétences nouvelles ou complémentaires. Je sais que les doyens y travaillent.

Vous avez parlé de « rétrécir » les études ; j’aurais plutôt, pour ma part, employé le mot « raccourcir » car il me semble qu’il faut, au contraire, diversifier les profils. Je ne peux pas dire que je souhaitais forcément cette quatrième année de médecine générale, mais mon rôle de ministre était naturellement de tout faire pour la mettre en application et faire en sorte qu’elle se passe dans de bonnes conditions. Il faudra, surtout, évaluer l’intérêt de cette année de professionnalisation. La prudence s’impose toutefois car, s’il est vrai que faire et défaire, c’est toujours travailler, nous devons aussi donner de la stabilité à notre système. Voilà dix-huit mois que nous parlons des décrets qui permettront de calibrer les conditions d’exercice de ces docteurs juniors et de leurs maîtres de stage. J’ai promis que ces textes sortiraient avant l’été. Je me suis rendu dans de nombreux congrès, notamment de médecine générale, et j’ai rencontré un certain nombre d’étudiants en médecine ainsi que les membres du Collège national des généralistes enseignants. À ces occasions, j’ai constaté que les médecins généralistes ont aussi besoin de stabilité pour pouvoir se projeter.

Nous devons faire en sorte que la médecine générale soit considérée comme une spécialité à part entière, conformément au vœu initial du Collège national des généralistes enseignants, afin d’assurer à cette spécialité médicale, au même titre qu’aux autres, une juste reconnaissance et un cursus propre. Cela peut toutefois susciter des interrogations ; il faudra évaluer l’intérêt de cette démarche.

En tout cas, ces 3 700 docteurs juniors sont très attendus dans les territoires – cela représente, sur 100 départements et avec des variations selon la taille de ces derniers, une moyenne de 37 par département. Nous avons là une carte maîtresse pour améliorer la formation de ces médecins sur le terrain, au contact des réalités d’un cabinet – car il s’agit bien, je le rappelle pour lever les craintes de l’écosystème, d’affecter ces 3 700 docteurs juniors à l’exercice libéral, et non à des services hospitaliers. Cette quatrième année de médecine générale est bien une année de professionnalisation au sein des territoires dans le mode d’exercice libéral auquel ces étudiants se sont formés, avec l’aide et l’accompagnement de maîtres de stage ; ils seront ainsi confrontés aux réalités de leur pratique professionnelle. Il faudra naturellement évaluer leur niveau d’insertion dans l’écosystème et voir dans quelle mesure ils contribueront à l’accroissement de l’offre de soins tout en continuant à parfaire leurs connaissances.

Ce sujet intéresse la population qui, si elle est peut-être moins au fait du terme de « docteurs juniors », n’en veut pas moins une amélioration et une plus grande proximité de l’offre de soins. Il intéresse aussi les élus. Les maires, les présidents d’intercommunalités, d’agglomérations ou de métropoles – les déserts médicaux n’étant malheureusement pas réservés aux zones rurales –, les élus des départements et des régions ainsi que les parlementaires veulent trouver les meilleurs endroits pour installer ces futurs docteurs juniors le 2 novembre 2026.

J’en profite pour saluer le travail important réalisé par les agences régionales de santé et par les universités, notamment par les facultés de médecine, les doyens et les responsables de la discipline de médecine générale, mais aussi par les élus locaux. Nous parlons en effet de « grands étudiants », qui sont en dixième année, qui ont une moyenne d’âge de 30 ans – d’autres années ayant pu s’intercaler – et qui peuvent avoir une famille. Il faut leur assurer un an de stage sans négliger leurs conditions de logement, de transport, de garde d’enfants, etc. Les nombreuses visites que j’ai effectuées et ma connaissance du monde médical m’ont montré que de nombreux élus locaux et de collectivités investissent pour pouvoir accompagner et loger des professionnels de santé, souvent dans des équipements qui accompagnent des maisons de santé pluriprofessionnelles.

Vous avez comparé la durée des études en France à celle existant dans d’autres pays. J’ai beaucoup échangé avec mes homologues, notamment à Varsovie, lors du dernier conseil des ministres européens, pour savoir quels étaient le niveau et la durée de la formation dans les autres pays européens.

Certains ministres, notamment celui de l’Espagne, souhaitaient savoir quand la France récupérerait ses étudiants, lesquels occupent des places dans les formations de santé dans leur pays. De fait, nous avons un peu perdu le contrôle du système de formation de nos professionnels de santé. À l’heure où nous parlons de souveraineté sanitaire, le fait que la septième puissance mondiale dépende d’autres pays pour la formation de ses soignants pose question. Ainsi, 54 % des dentistes qui s’inscrivent à l’ordre en France sont formés à l’étranger. Nous ne pouvons donc pas rester insensibles à cette question, que nous n’avons pas assez prise en considération.

La cause fondamentale des déserts médicaux est liée au fait que la capacité de formation n’a pas su s’adapter aux besoins des populations – je ne cherche, en disant cela, aucun coupable : c’est un constat que bien d’autres ont fait avant moi.

J’en viens à votre question relative au nombre d’étudiants. En fixant en 1993 le numerus clausus à 3 500, on n’avait évidemment pas anticipé trois facteurs. Le premier est l’augmentation de la population : alors que notre pays compte 15 millions d’habitants de plus depuis 1970, le nombre de professionnels de santé formés est resté quasiment identique.

Le deuxième facteur qu’il aurait été indispensable de prendre en compte est le vieillissement de la population, le développement des polypathologies et l’émergence des maladies chroniques. J’ai ainsi constaté lors de mon dernier déplacement à La Réunion qu’outre le chikungunya, le diabète y constitue un problème majeur, qui affecte pas moins de 10 % de la population.

Le troisième facteur qui n’a pas du tout été anticipé tient aux 35 heures et au fait que le rapport au travail a changé en France, en particulier au sein des professions de santé. Dans les professions paramédicales et hospitalières, le passage aux 35 heures a pu nécessiter des créations de postes – et, lorsque ce n’a pas été le cas, cela a provoqué des désorganisations structurelles à l’origine de bien des difficultés actuelles. C’est surtout au niveau du corps médical que l’anticipation a fait défaut : quand un médecin généraliste part en retraite, il en faut désormais 2,3 pour le remplacer. Depuis maintenant trente ans que j’exerce – et je pense que le président Rousset fait la même analyse –, j’observe l’évolution du volume de la patientèle de nos confrères généralistes en ville : alors que certains avaient jusqu’à 3 000 patients, ce qui était peut-être beaucoup, et même trop, il est des praticiens, aujourd’hui, qui n’en ont plus que 500. Au-delà donc du nombre de médecins, cette évolution suscite des interrogations.

C’est pourquoi le pacte de lutte contre les déserts médicaux s’inspire du principe énoncé par le président de Médecins solidaires, selon lequel il vaut mieux demander un peu à beaucoup de médecins que beaucoup à trop peu d’entre eux. La génération qui termine ses études correspond à ce « très peu » ; elle ne doit pas faire les frais des nombreuses années d’errance en matière de formation médicale. Tant que le nombre de médecins n’a pas augmenté, la régulation de l’installation et la coercition ne sauraient être de bonnes méthodes.

Vous me demandez le nombre de médecins formés : en 2025, les internes sont au nombre de 9 000 ; ils seront 10 900 dès 2026, en raison des effets de la transformation du numerus clausus en numerus apertus, survenue en 2019.

Cette première étape, dont je me réjouis, nous conduira à proposer, le 17 juin prochain au Sénat, la suppression totale du numerus apertus, dans l’objectif de définir les besoins de formation en fonction de ceux des territoires. Cette adaptation est indispensable : un territoire montagneux n’a pas les mêmes besoins qu’un territoire touristique ou métropolitain. Il importe de tenir compte des capacités d’accueil des universités, qu’il s’agisse du nombre de postes de maîtres de conférences des universités (MCU), de maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH), de personnels hospitalo-universitaires (HU), mais aussi du nombre de maîtres de stages dans les territoires.

Cette évolution du numerus en fonction des besoins de chaque territoire et des capacités d’accueil du système de formation s’accompagnera d’un renforcement des moyens.

Parce que le renforcement de l’accès aux soins et la disparition des déserts médicaux sont des priorités pour nos compatriotes, nous devons, malgré la situation budgétaire, reprendre le contrôle sur l’enjeu de souveraineté sanitaire qu’est la formation des professionnels de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel est votre objectif en nombre de médecins diplômés, en incluant les étudiants français en formation à l’étranger et les Padhue ? De quelle manière pourrions-nous faciliter l’intégration de ces derniers sans revenir sur nos exigences en matière de compétences ? Lors des auditions, des praticiens nous ont raconté qu’il était parfois demandé aux Padhue de pratiquer des actes qu’eux-mêmes n’étaient pas capables d’accomplir ; pourquoi ne pas créer des équivalences reposant davantage sur la pratique que sur la théorie ?

En France, il est possible de suivre des études en alternance dans pratiquement tous les domaines. De nombreux médecins, assez âgés, ne demanderaient pas mieux que d’accompagner un étudiant et lui transmettre leur pratique, en complément de l’enseignement dispensé à la faculté, avant de lui transférer ensuite leur patientèle.

En effet, il est très différent d’effectuer régulièrement des stages – comme c’est le cas dans le cursus médical – et de suivre une véritable alternance, de la deuxième année jusqu’à l’obtention du diplôme. Une telle alternance serait trop complexe à organiser pour les spécialités hospitalières et ne concernerait donc que la médecine de ville. Une expérimentation en ce sens, dans une faculté de médecine volontaire, serait-elle envisageable ? Ce serait une mesure de justice sociale, puisque de nombreux étudiants se tournent vers l’alternance pour des raisons financières ; ils n’ont pas toujours les moyens de louer un appartement à proximité de la faculté de médecine.

Même si la plus-value pour le médecin est limitée au cours des premières années, l’alternance serait pour eux une manière de transmettre le flambeau.

M. Yannick Neuder, ministre. Les étudiants en médecine sont également des apprentis, puisque dès la quatrième année, les externes passent la moitié de leur temps en stage hospitalier. En comparaison, dans certains cursus longs, les étudiants – à l’exception des alternants – ne découvrent le milieu professionnel qu’au terme de leur master, c’est-à-dire au cours de leur sixième année d’études.

Nous sommes d’accord sur un point : nous devons faire en sorte qu’un deuxième cycle en alternance puisse être effectué en ville aussi bien qu’à l’hôpital. Ce n’est pas après dix ans d’études dans un hôpital – souvent un CHU – que les étudiants s’intéresseront aux territoires. Ils doivent pouvoir sortir de l’hôpital et être externes en ville dès la quatrième année ; j’y suis très favorable. Pour cela, il faut identifier suffisamment de lieux de stage et de maîtres de stage formés. Des concepts similaires sont déjà prévus dans des décrets, mais il est très difficile de les appliquer. Ainsi, dans certains territoires, des dispositifs prévoient la création de maisons de santé pluridisciplinaires, qui pourraient être dotées de postes hospitalo-universitaires, notamment en médecine générale, et qui pourraient accueillir les étudiants dès la quatrième année. Une organisation doit être trouvée en concertation avec les acteurs du territoire.

J’ai intégré au pacte de lutte contre les déserts médicaux une mesure issue de la proposition de loi Garot, visant à créer une première année d’études de médecine dans chaque département. De facto, cela amènera les territoires à développer des cursus plus étoffés – une sorte d’universitarisation du territoire, pourrait-on dire – et à identifier les lieux d’accueil des stages. Des expérimentations sont allées plus loin : il est déjà possible, dans certains départements, de suivre les trois premières années des études de médecine, qui correspondent au premier cycle.

Je suis donc favorable à faire sortir les étudiants de l’hôpital plus tôt, mais pas dès la deuxième année, comme vous le proposez. Avant d’entamer la pratique, il est indispensable d’acquérir un socle de connaissances scientifiques fondamentales, qui permettront au médecin d’étayer un raisonnement solide et de prendre les bonnes décisions, dans les différents domaines qu’il aura à embrasser. La physiologie, l’anatomie, la biochimie, la biophysique constituent ce socle fondamental ; elles ne s’apprennent pas dans le cadre d’une alternance.

En deuxième année de médecine, il est possible de faire un stage de découverte chez un généraliste, formé pour accueillir les étudiants, mais il est trop tôt pour s’engager dans une alternance. Il faut d’abord intégrer les connaissances nécessaires pour poursuivre le cursus.

La sémiologie clinique est abordée en troisième année ; des tutorats sont alors habituellement confiés à des professionnels de santé dans les hôpitaux. À partir de cette troisième année, les étudiants voient la traduction clinique de leurs apprentissages, dans les centres de simulations ou auprès des patients.

Je suis favorable à ce que l’on développe l’alternance dans le cadre de la médecine de ville, auprès de maîtres de stage, mais sans négliger le socle de connaissances fondamentales indispensables, dont l’acquisition pourrait cependant être accélérée si l’on devait raccourcir la durée des études de médecine.

Il me semble difficile de déterminer le nombre idéal de médecins formés chaque année. Nous devons tout d’abord apprécier l’efficacité des mesures instaurées et leurs résultats. J’ai procédé à des calculs pour les trois prochaines années – 2025, 2026 et 2027. Avec 11 000 à 12 000 médecins en formation initiale, nous en aurons 33 000 à 36 000 au terme de ces trois ans. En 2025, 4 000 Padhue ont réussi les épreuves de vérification des connaissances (EVC) ; à ce jour, il en reste 160 à affecter. Nous avons ouvert des postes, parce que je veux que nous tenions nos promesses. Il faut savoir reconnaître le rôle des Padhue, qui représentent 30 à 40 % de la masse salariale médicale dans beaucoup d’hôpitaux.

J’ai voulu simplifier leur reconnaissance, sans diminuer le niveau de compétences ; un Padhue bien formé est un médecin comme les autres. Pour ce faire, les voies réglementaire et législative doivent être mobilisées. La première étape a consisté à simplifier, par décret, le contrôle de leurs connaissances, mais un véhicule législatif sera nécessaire pour que l’examen en soit véritablement un, plutôt qu’un concours dans lequel le jury est souverain. Ainsi, des situations dans lesquelles une note de 14 sur 20 est insuffisante ne se reproduiront pas.

Par ailleurs, ce même véhicule législatif pourrait également relocaliser l’évaluation des compétences, qui est actuellement effectuée par une commission nationale ; les responsables d’unités fonctionnelles, les chefs de service, les chefs de pôles, les présidents de commission médicale d’établissement (CME) et les doyens devraient pouvoir valider les Padhue affectés dans leur service de la même manière que les internes et les externes – ce que je faisais il y a encore quelques mois. Les modalités de cette évaluation doivent être déterminées localement, selon qu’il s’agit d’un hôpital universitaire ou non.

Si le chiffre de 4 000 Padhue réussissant chaque année les EVC est maintenu, ils seront 12 000 d’ici à 2027, qui viendront s’ajouter aux 33 000 médecins formés que nous avons comptés tout à l’heure, soit un total de 45 000.

Par ailleurs, en raison de l’impossibilité de redoubler la première année, environ 5 000 étudiants français poursuivent leurs études à l’étranger, notamment à Cluj en Roumanie, en Belgique ou en Espagne. L’Association des maires ruraux de France (AMRF) a envoyé des délégations de maires ruraux et d’hôpitaux dans ces universités ; ainsi, de jeunes Français étudiant à Cluj effectuent leur stage dans les hôpitaux de Moulins et de Vichy durant les mois d’été. J’ai moi-même accueilli dans mon service, aux côtés des externes, des internes et des Padhue, des étudiants français rattachés à l’université de Cluj effectuant leur Erasmus en France. C’est à ce moment-là que j’ai compris que nous avions un peu perdu le contrôle de notre système de formation.

La réforme de simplification du contrôle des compétences et des connaissances des Padhue, les effets du numerus apertus et le transfert des étudiants formés à l’étranger – moyennant l’évaluation de leurs compétences et de leurs connaissances, prévue dans la loi Valletoux de 2023, coconstruite avec les doyens de médecine –, nous permettront d’avoir, en 2027, 12 000 Padhue, 33 000 médecins issus de la formation initiale en France et 5 000 médecins formés à l’étranger, soit un total d’environ 50 000 médecins supplémentaires. De plus, quelle que soit sa spécialité, lorsqu’un étudiant revient de Cluj, par exemple, pour suivre en France sa sixième année de formation, il ne lui faudra que quatre ans pour être opérationnel.

Un autre dispositif sera proposé dans le cadre de la formation continue : les passerelles. La crise du covid a modifié le rapport au travail : si certains soignants ont changé de domaine d’activité, d’autres personnes, en quête de sens, se sont engagées dans les métiers du soin. La majorité de celles-ci sont des professionnels paramédicaux souhaitant évoluer vers la pratique de la médecine. Des passerelles existent déjà, mais demeurent anecdotiques : elles doivent être massivement élargies et tenir compte des compétences de ces professionnels.

Je crois beaucoup à cette voie d’accès par la formation continue, notamment pour alimenter des secteurs considérés comme peu attractifs, tels que la santé publique, la médecine du travail, la gériatrie, les soins palliatifs ou encore la psychiatrie. Ces disciplines, orientées davantage vers le palliatif que le curatif, sont très peu choisies durant la formation initiale ; les étudiants privilégient les disciplines de soin, plutôt que celle visant à l’accompagnement. Ces dernières sont plutôt privilégiées, en deuxième partie de carrière, par des praticiens tels que des urgentistes, des anesthésistes, des oncologues, des hématologues pour lesquels la technicité n’est plus la priorité. Des passerelles permettraient de créer de nouvelles vocations pour les professionnels de santé.

La crise du covid a fait émerger un autre profil, en lien avec l’évolution technologique de la médecine : des ingénieurs recherchant une deuxième qualification de médecin.

Lorsque j’étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes chargé de l’enseignement supérieur, j’ai lancé une expérimentation : un partenariat a été noué entre les facultés de médecine et, notamment, l’École centrale de Lyon pour proposer un double diplôme d’ingénieur et de médecin. La combinaison des deux cursus a montré tout son intérêt pour des sujets comme l’intelligence artificielle ou la médecine augmentée, et pour des spécialités s’y prêtant particulièrement – la radiologie, la biophysique, la médecine nucléaire, etc. J’aurais adoré suivre ce double cursus s’il avait existé lorsque j’étais étudiant !

En tout état de cause, il m’est difficile de répondre à votre question sur l’objectif chiffré de médecins diplômés.

Compte tenu de l’augmentation de la population et de l’évolution des pathologies chroniques – obésité, diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie –, nous faisons face à des enjeux majeurs. J’espère que de nombreuses mesures préventives seront intégrées aux futurs projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

De plus, le rapport au travail a changé et les soignants cherchent une meilleure combinaison entre vie professionnelle et vie privée. Enfin, la médecine a évolué grâce à l’intelligence artificielle et à l’exercice pluriprofessionnel coordonné.

Nous dresserons un bilan après trois ou quatre ans, durant lesquels nous aurons essayé de former plus, de former mieux et de former partout. Nous évaluerons également la création d’une première année d’accès aux études de santé dans tous les départements, qui est une importante mesure d’égalité sociale. Pendant mes études de médecine, 3 % seulement des étudiants étaient issus du monde ouvrier ; aujourd’hui encore, nombre d’étudiants estiment que ce cursus n’est pas fait pour eux.

Plutôt que de déterminer le nombre de médecins de façon trop théorique, il est préférable de se donner du temps et de rester flexibles. Nous faisons face à un besoin criant de médecins supplémentaires : formons-en davantage et voyons à quel point nous pouvons intégrer les Padhue et faire revenir les étudiants formés à l’étranger, tout en restant réactifs pour nous adapter au plus près des évolutions de notre société et des progrès de la recherche. De nouvelles thérapeutiques, notamment concernant des maladies métaboliques, transforment déjà la donne.

Je préfère être prudent. Il nous faudra analyser finement l’ensemble des facteurs. En tout état de cause, je ne crois pas que nous nous exposons au risque de compter trop de médecins dans notre pays.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Outre la formation, je souhaite que nous évoquions les ARS. Vous avez salué le travail des fonctionnaires de votre ministère, en précisant que les ARS jouent un rôle de bras armé dans les territoires. Lors de leur création, leur mission de structuration de l’offre de soins et de coordination des acteurs du secteur avait été mise en exergue. Toutefois, après de nombreuses auditions et visites de terrain, il nous est apparu que ces agences étaient unanimement considérées comme étant trop grandes et déconnectées du terrain.

Les ARS évoquent leurs liens avec les élus, mais ces derniers, comme les professionnels de santé, se plaignent de ne recevoir de leur part ni son ni image. Cette différence de perception soulève des interrogations.

Les compétences des ARS se répartissent en quatre catégories : la prévention et la promotion de la santé ; la prise en charge de la dépendance ; l’organisation de l’offre de soin ; l’organisation de la veille et de la sécurité sanitaires.

Il me semble qu’il serait plus logique de leur demander de se concentrer sur les priorités de nos concitoyens et de faire davantage confiance aux autres acteurs, qui connaissent le terrain : les départements s’agissant de la dépendance, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’agissant de la prévention – vous avez vous-même été maire et président d’EPCI. Les ARS conserveraient leur mission d’organisation de l’offre de soin, qui devrait être leur principale préoccupation. Qu’en pensez-vous ?

Tout en conservant la dimension régionale des ARS, ne faudrait-il pas rétablir les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) ou créer un sous-préfet sanitaire, lesquels seraient plus en lien avec les territoires ?

M. Yannick Neuder, ministre. S’agissant du rôle des ARS, je citerai quelques chiffres qui reflètent une réalité qu’on ne connaît pas toujours. À leur création, en 2010, elles employaient 9 500 ETP, contre près de 8 000 en 2025. Leurs effectifs ont donc baissé de 15 % alors que leurs missions ont été étendues.

Pour avoir exercé ces fonctions pendant près de vingt ans, je sais que le maire a le réflexe d’échanger avec le département et le préfet – c’est le fruit de notre histoire, puisque les limites des départements ont été fixées à la Révolution de telle sorte qu’il soit possible de se rendre à la préfecture en moins d’une journée à cheval. En revanche, le maire s’adressera beaucoup moins spontanément à l’ARS – c’est surtout l’antenne départementale qui est concernée.

On peut donc encourager et renforcer, en effet, la proximité entre les élus locaux et les représentants de l’ARS. Je passe ce message régulièrement aux directeurs des agences, que je vois chaque mois en séminaire et avec lesquels mon cabinet s’entretient tous les quinze jours. Lorsque nous avons élaboré le pacte de lutte contre les déserts médicaux, qui définit les zones pour lesquelles nous ferons de premières propositions, je l’espère, dès septembre, nous avons décloisonné le travail afin d’y associer élus locaux et représentants de l’État. De manière assez inédite, j’ai organisé une réunion en visioconférence avec les préfets et les directeurs généraux et départementaux d’ARS, ce qui a permis de bénéficier de leur regard croisé – celui des préfets, dans leur rôle d’aménageurs du territoire, et celui des ARS, en charge de l’offre de soins. Ce n’est pas toujours évident. On observe une grande hétérogénéité territoriale. En certains endroits, la communication entre l’ARS, les élus et la préfecture se passe très bien. Je suis sûr que l’on peut renforcer les liens de proximité au sein du périmètre le plus efficace, à savoir le département.

La dimension régionale offre une vision globale, qui permet d’appréhender l’articulation entre les différents niveaux. C’est la raison qui a motivé la création des grandes régions. Toutefois, ces dernières ont de facto renforcé les échelons de proximité que sont les EPCI et le département. Il est difficile de se parler à l’échelon régional, qui est trop vaste ; le département est, globalement, le niveau le plus adapté.

Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faudrait s’interroger sur les nombreuses missions exercées par les ARS. J’ai examiné la ventilation des 8 000 ETP en fonction de ces missions : 2 300 ETP assurent la mission santé publique-veille ; 1 800 ETP, la mission offre de soins – au travers de laquelle on voit souvent les ARS – ; 1 300 ETP, la mission médico-sociale ; 1 300 ETP également, les missions transversales ; 1 000 ETP occupent des fonctions support ; enfin, 350 ETP assurent des fonctions d’encadrement.

Lorsque j’ai présidé un EPCI, j’ai constaté que l’ARS abordait des sujets comme l’eau et l’assainissement – en particulier la question de la qualité de l’eau – sous l’angle sanitaire. À côté de cela, une vision plus préfectorale se concentrait sur les réseaux d’eau et d’assainissement, sur l’aménagement du territoire. À cet égard, on peut se demander si, compte tenu des nombreuses missions des ARS, un rapprochement avec les préfectures ne permettrait pas de gagner en efficience pour l’exercice de la mission environnementale. En outre, cela permettrait peut-être aux ARS de se concentrer davantage sur les missions relatives à l’offre de soins et au médico-social. Cela fait partie des hypothèses auxquelles il est intéressant de réfléchir. Je pourrai interroger les directeurs des ARS sur cette question à l’occasion du prochain séminaire.

On gagnerait à renforcer le dialogue entre les élus locaux et le directeur départemental de l’ARS, que les premiers nommés ne doivent pas considérer uniquement comme la courroie de transmission de leurs problèmes locaux. Le directeur départemental doit aussi avoir la capacité de répondre à leurs attentes.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Lors des auditions que nous avons menées, le directeur d’une ARS nous expliquait que son prédécesseur avait transmis à son directeur de cabinet et à son équipe une directive simple : on ne répond pas aux élus. Eu égard aux propos que vous venez de tenir, cela interroge.

M. Yannick Neuder, ministre. Ce n’est absolument pas ma vision des choses : les services de l’État et les élus locaux, quels que soient le rôle et les missions qui leur sont dévolus, doivent travailler ensemble. Ils forment un binôme qui permet de mieux répondre aux besoins. L’approche dont vous me faites part reflète une vision sans doute ancienne et déconnectée des réalités ; pour ma part, j’aurais donné la directive inverse. La principale difficulté que l’on rencontre lorsqu’on veut conduire le changement et résoudre des difficultés provient souvent du manque de dialogue. Lorsque le dialogue s’engage autour des questions locales, chacun comprend les contraintes rencontrées par les uns et les autres.

Cela étant, je ne souhaite pas que les ARS accèdent à des demandes déraisonnables, notamment en matière d’équipements et de sécurité, au prétexte qu’elles seraient formulées par des élus locaux. À titre d’exemple, lorsqu’on envisage d’ouvrir ou de fermer une maternité, ce serait une erreur de ne pas recueillir l’avis du maire mais, ce qui doit prévaloir, c’est le respect des conditions de sécurité requises pour prodiguer des soins – c’est mon rôle d’y veiller, car je me dois de protéger la santé des Français. Si une structure ne respectait pas ces conditions, il faudrait la fermer, malgré l’avis éventuellement défavorable du maire. Les structures doivent prendre en charge les patients en offrant un niveau de sécurité maximal ; nous avons une responsabilité médicale et sanitaire en la matière. Parfois, l’ARS prend des décisions difficiles qui ne vont pas dans le sens souhaité par les élus locaux ; de là naissent les tensions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les élus ne demandent pas qu’on leur donne satisfaction mais, à tout le moins, qu’on leur réponde.

L’échelon départemental est essentiel, comme vous l’avez dit. Or le système des ARS est très régionalisé ; le délégué départemental n’est pas apprécié à sa juste valeur. Ne pensez-vous pas qu’il pourrait être utile de créer une fonction de sous-préfet sanitaire ? Les questions régaliennes, au nombre desquelles figure la santé, sont gérées par le directeur de cabinet du préfet, tandis que le secrétaire général traite des questions économiques. Alors que la santé est l’une des priorités des Français, la création d’un sous-préfet sanitaire serait un symbole important. Elle présenterait le double intérêt de resserrer le lien avec le terrain et les élus et de renforcer l’attractivité des métiers de l’ARS. Le statut du sous-préfet se distinguerait en effet de celui du délégué départemental de l’agence. Il serait souhaitable, je pense, de maintenir l’échelon régional. La question est de savoir quel rôle doit jouer le préfet de région. Les ARS sont plutôt favorables à l’intégration des préfets de région au sein du Conseil national de pilotage. Il faudrait valoriser davantage l’échelon départemental en lui accordant de véritables compétences et en lui permettant de nouer un lien plus étroit avec les professionnels du territoire.

Par ailleurs, pourrait-on envisager que les départements assurent une prise en charge totale de la dépendance et que les EPCI assument la responsabilité de la prévention, afin que les ARS – ou, le cas échéant, le sous-préfet sanitaire – se concentrent sur l’offre de soins ? En effet, cette dernière a partie liée à l’aménagement du territoire et, à ce titre, relève pleinement des compétences préfectorales.

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne peux qu’être favorable à une réorganisation de la représentation des services de l’État dans les territoires pour améliorer le service rendu à la population. J’ignore si cela passe par la création d’un sous-préfet sanitaire. Compte tenu des fonctions que j’ai exercées en tant que professionnel de santé et élu local, je ne peux qu’encourager l’application du principe de subsidiarité : les services de l’État doivent être les plus déconcentrés possible et les plus proches possible de la population et des élus qui la représentent.

La question de la répartition des tâches est plus compliquée. Je ne sais pas si la dépendance doit être prise en charge par le département ; je suis surtout préoccupé par son mode de financement. Si une seule collectivité la pilotait, sa gestion serait peut-être plus proche du terrain et donc plus efficace. D’ailleurs, plus d’une vingtaine de départements se sont portés volontaires pour expérimenter la fusion des forfaits soins et dépendance. Il sera intéressant de tirer les enseignements de cette expérimentation lancée par Paul Christophe.

L’association Départements de France, avec laquelle je travaille beaucoup au sujet des docteurs juniors et de l’amélioration sanitaire, a une position très partagée. Certains départements sont très intéressés par la compétence dépendance mais se heurtent à une insuffisance de moyens, d’autres le sont beaucoup moins. Les départements disposent de moyens très hétérogènes. La question n’est pas tant de déterminer qui assume la compétence que la manière de la financer. Lorsque j’étais président d’EPCI, il m’est arrivé de devoir renoncer à une compétence intéressante au profit des communes car nous n’avions pas les moyens de l’exercer. Cela renvoie à la question du cinquième risque ; le Parlement avait voté l’obligation de présentation d’un projet de loi de programmation pluriannuelle relatif au grand âge dans un certain délai.

Je me demande qui est le meilleur effecteur en matière de prévention – je ne suis pas convaincu que ce soit les soignants ; je n’ai pas vraiment réfléchi à la question. Lorsque j’étais maire, j’ai mené de nombreuses campagnes de prévention sur les maladies cardiovasculaires – à propos des gestes qui sauvent, du dépistage du cholestérol et de la tension – et le cancer du sein – Octobre rose – sur les marchés et les places publiques ; cela marche très bien. Je ne sais pas s’il y a un échelon plus adapté mais, en tout état de cause, c’est le maire qui détient le plus gros capital sympathie et confiance auprès des élus. Je crois en la parole des maires, dont la voix porte auprès de nos concitoyens, et, plus généralement, en celle des élus locaux.

Certaines professions de santé, telles que les biologistes et les pharmaciens, pourraient jouer un rôle en matière de prévention au côté des élus locaux, dans le cadre d’une juste répartition des tâches à laquelle il faudra réfléchir. Les laboratoires et les pharmacies sont des lieux ouverts qui maillent le territoire et qui, à ce titre, sont précieux, en particulier en zone rurale. On voit que certaines pharmacies ont du mal à se maintenir à flot – certaines ne trouvent plus de repreneurs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. La période budgétaire approche à grands pas. Pensez-vous qu’il faudrait lancer le chantier de la « grande sécu », qui implique la mutualisation des caisses et, sans doute, des mutuelles ? Les économies attendues sont estimées entre 3 et 6 milliards, selon les rapports. Certes, il s’agirait d’une petite révolution du modèle de financement mais celle-ci n’entraînerait aucune conséquence négative pour nos concitoyens puisque la couverture et le remboursement des soins resteraient similaires.

M. Yannick Neuder, ministre. Le sujet est évoqué depuis une dizaine d’années. Nous allons fêter les 80 ans de la sécurité sociale, qui a été créée à l’issue de la seconde guerre mondiale à partir du projet du Conseil national de la Résistance, à un moment où il fallait rassembler les Français sur des sujets sensibles : la sécurité, l’éducation et la protection sociale. Nous vivons une situation assez similaire aujourd’hui.

L’avenir de la sécu est clairement en danger : il faut oser le dire. C’est le discours de vérité que j’ai tenu lors de la réunion à Bercy, avant-hier, de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) en présence, notamment, des représentants des syndicats de l’ensemble des acteurs du système de santé. En effet, la capacité de reprise de la dette sociale par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) est saturée – le montant de la dette amortie s’élève à 231 milliards d’euros.

Par ailleurs, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) va se trouver confrontée à une situation difficile. Dans le dernier PLFSS, nous avons prévu des mesures pour augmenter sa capacité d’emprunt mais la Cour des comptes nous indique que la sécurité sociale pourrait connaître une crise de liquidité en 2027. Rappelons que le déficit de la sécurité sociale est dû non seulement à la branche maladie mais également à la branche retraite.

Nous pouvons envisager d’autres pistes, à commencer par un renforcement de la lutte contre la fraude, laquelle ne représente pas moins de 13,5 milliards d’euros. La question est de savoir si nous disposons de l’ensemble des moyens nécessaires à cette politique. À l’heure de l’intelligence artificielle (IA), on doit pouvoir effectuer des contrôles en croisant les données du système d’assurance maladie obligatoire et du système d’assurance maladie complémentaire : j’ai demandé à la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) de se pencher sur la question. La carte Vitale digitalisée constitue un autre outil de contrôle. Par ailleurs, l’idée a été émise de réunir la carte Vitale et la carte d’identité. Enfin, il convient de rendre infalsifiables les arrêts de travail et les ordonnance, en particulier grâce à la numérisation.

Nous disposons donc de nombreux outils pour renforcer la robustesse et la sûreté de nos systèmes, qu’il s’agisse de l’IA, du déploiement informatique ou de la numérisation. Parallèlement, il faut être attentif au risque de fracture numérique et accompagner les patients qui pourraient se trouver en difficulté. Nous n’avons toutefois pas déployé la numérisation autant que d’autres pays l’ont fait. Seuls 18 millions de Français, me semble-t-il, ont renseigné Mon espace santé. Si l’ensemble des Français entraient leurs données dans cet espace numérique consultable par le professionnel de santé, on saurait que tel patient consulte un médecin ou passe un scanner quatre ou cinq fois par semaine – ces situations, malheureusement, existent. Cela permettrait d’éviter la redondance des examens et d’améliorer l’efficience et la pertinence des soins.

Les dépenses de prévention représentent près de 8 milliards. Plutôt que de réfléchir à la création d’une « grande sécu », ne pourrait-on pas discuter avec les mutuelles de la possibilité de leur confier le champ de la prévention ? Cette réforme me paraîtrait intéressante mais, comme pour d’autres, il faut s’assurer de son acceptabilité par l’ensemble de la population. En outre, elle requiert une certaine stabilité, alors que l’on a connu quatre ministres chargés de la santé en 2024 – j’occupe mes fonctions depuis décembre. Compte tenu de cette instabilité, je vois mal comment on pourrait envisager de mener des réformes aussi structurelles.

En matière de prévention, je suis favorable à une meilleure différenciation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. L’efficacité des contrôles sera améliorée par la numérisation du système et l’utilisation de l’IA, qui sont en cours. On estime à 700 millions d’euros le montant des indus frauduleux récupérés en 2024 ; je souhaiterais qu’on en recouvre 1,5 milliard en 2026. Nous avons une marge de progression considérable puisque, je le rappelle, le total de la fraude est estimé à 13,5 milliards. En outre, des actions de prévention, notamment la vaccination, doivent être effectivement menées. Moins de 50 % de la population cible réalise des dépistages du cancer. Quant à la vaccination, les objectifs ne sont pas non plus atteints, s’agissant tant de la population cible, qui présente de forts risques d’hospitalisation, de décompensation, de morbidité ou de mortalité, que de celle des soignants. Nous avons à notre portée des outils qui permettraient de gagner en efficacité et d’améliorer la santé de nos concitoyens, mais qui sont peu utilisés.

M. le président Jean-François Rousset. Par analogie avec d’autres secteurs, on peut considérer la prévention comme un investissement. Il est classique de dire que 1 euro investi dans la prévention permet d’économiser 10 euros dans le soin. Nous devons poser les bases de cette réflexion indispensable qui demande du temps, bien que le temps presse.

En ce qui concerne la prévention et la prise en charge de la solidarité, la situation actuelle est diamétralement opposée à celle de l’après-guerre. Il régnait, durant cette période de reconstruction, qui allait déboucher sur les Trente Glorieuses, une énergie et une capacité de travail hors du commun.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Ma première question a trait au ratio de soignants par patient. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) n’a toujours pas saisi la Haute Autorité de santé (HAS) à ce sujet. Dans quel délai pensez-vous que cette saisine interviendra ?

Deuxièmement, qu’en est-il de la pénurie d’antidépresseurs et de quétiapine ? La situation, vous le savez, est déplorable.

Enfin, deux pharmaciens exerçant à Bugeat, dans le Limousin, ont été interdits d’exercice pendant six mois par leur ordre pour avoir dispensé des médicaments à l’unité en période de pénurie. Que pensez-vous de cette sanction qui frappe deux praticiens qui n’ont fait qu’anticiper la législation actuelle puisque cette pratique est désormais encouragée ?

M. Yannick Neuder, ministre. S’agissant du ratio soignants-patients, je ne veux pas polémiquer mais je souhaite que l’on se rappelle bien ce que j’ai déclaré en séance publique lorsque la proposition de loi de M. Jomier relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé a été adoptée conforme par l’Assemblée nationale. Je précise, du reste, que la date d’entrée en vigueur de sa principale disposition était dépassée lorsque la loi a été promulguée.

La DGOS va saisir pour avis la HAS au cours du mois de juin. Soyons clairs : les différentes directions faisaient face à un véritable encombrement et il a fallu établir un ordre de priorité parmi les multiples questions dont la Haute Autorité de santé devait être saisie. J’assume notamment d’avoir sollicité en urgence ses recommandations en matière de stratégie vaccinale contre le méningocoque, compte tenu de l’augmentation du nombre de décès – actuellement supérieur à soixante – dus à cette bactérie. Entre autres actions, nous avons ainsi pu déployer, dans la métropole de Rennes, une campagne de vaccination des 14-25 ans dont le succès a dépassé nos attentes puisqu’elle a permis, grâce à la mobilisation de tous, de vacciner 88 500 jeunes. J’ai également, au titre de ces priorités, saisi la HAS de la question du cannabis thérapeutique, comme je l’avais annoncé dans une lettre de couverture du 31 décembre.

Cela étant dit, la loi prévoit un ratio de qualité puisqu’il s’agit d’un ratio minimal de soignants par lit ouvert. Or je ne souhaite pas que cette disposition aboutisse à la fermeture de lits au motif que le ratio ne serait pas atteint. Elle doit donc être appliquée de manière progressive. Comme je l’ai indiqué lors de l’examen du texte, il convient de donner la priorité à deux catégories de personnels – aides-soignants et infirmiers – et à certains secteurs tels que la néonatologie – la question sera abordée lors de la révision du décret de 1998 – et les soins palliatifs, voire la santé mentale. La loi ayant fixé un principe général, il me paraît judicieux de procéder de cette manière.

S’agissant de la pénurie de médicaments, l’enjeu dépasse le cadre strictement français : il y va de la souveraineté sanitaire. La solution ne pourra être trouvée qu’à l’échelon européen. Néanmoins, nous avons pris les mesures qui pouvaient l’être pour juguler cette pénurie, particulièrement alarmante en ce qui concerne les médicaments psychotropes : substitution thérapeutique, non-introduction de nouvelles molécules, interdiction faite aux grossistes répartiteurs de livrer à l’étranger, autorisation de préparations magistrales en cas de nécessité et dispensation des médicaments à l’unité, adoptée dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Cela étant, il convient de relocaliser en Europe la production des principes actifs, qui sont, pour la plupart, fabriqués en Asie ou aux États-Unis. Ainsi, l’implantation d’une usine dans ma circonscription permettra de produire suffisamment de paracétamol pour couvrir 60 % des besoins européens. La pénurie à laquelle vous faites référence est due à une rupture de production dans une usine située en Grèce – ce qui illustre l’interdépendance qui prévaut dans ce secteur. La question sera évoquée lors du Conseil européen des ministres de la santé qui se tiendra prochainement au Luxembourg, dans le cadre des propositions de la présidence polonaise sur le paquet pharmaceutique. Dans le contexte géopolitique actuel et face à la menace du président des États-Unis de taxer les médicaments, l’Europe doit rester compétitive, ce qui suppose de renforcer la recherche et développement et d’être suffisamment attractif pour relocaliser la production des molécules et, surtout, éviter les délocalisations de notre industrie pharmaceutique.

La solution est complexe et ne dépend pas uniquement de la volonté de la France. Encore une fois, nous avons pris toutes les mesures que nous pouvions prendre pour juguler la pénurie de médicaments, mais elles sont forcément insuffisantes dès lors que nous ne maîtrisons pas l’ensemble de la chaîne de production.

S’agissant des pharmaciens sanctionnés par l’ordre, je serai prudent, puisque je m’exprime devant une commission d’enquête. Ces faits ont fait l’objet, hier, d’une question au gouvernement qui m’a été posée par une sénatrice, élue d’un autre département que celui où ces pharmaciens exercent. La loi autorise bien les pharmaciens à dispenser les médicaments à l’unité en cas de pénurie ; aucun d’entre eux ne doit donc être sanctionné pour cette raison, s’il respecte la loi et les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Dans le cas d’espèce, je puis vous dire, puisque j’en connais les tenants et les aboutissants, que la sanction prononcée par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, qui fera d’ailleurs l’objet d’un recours, porte sur des faits qui ne se limitent pas à la dispensation de médicaments à l’unité. Elle obéit à des motifs disciplinaires et concerne, non pas deux pharmacies distinctes, mais une pharmacie et son antenne. Je n’en dirai pas davantage.

M. Guillaume Garot (SOC). Je souhaite revenir, non pas sur la question de la régulation de l’installation des médecins – vous avez exprimé votre point de vue à ce sujet ce matin –, mais sur l’application de certaines dispositions adoptées par le législateur. Je pense en particulier à la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux. Diverses mesures y ont été introduites à la suite de l’adoption d’amendements déposés par un groupe transpartisan, qui prévoient, d’une part, l’ouverture du contrat d’engagement de service public (CESP) dès la deuxième année d’étude afin de démocratiser l’accès aux études de médecine, d’autre part, la limitation du cumul dans le temps des aides à l’installation, qui ont produit un effet d’aubaine sans améliorer réellement la répartition des installations de nos médecins. Où en est l’application de ces deux mesures ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne veux pas m’exonérer de mes responsabilités mais, je le répète, je suis le quatrième ministre de la santé à avoir été nommé en 2024. J’ai donc dû faire face à un encombrement de dossiers. Néanmoins, les décrets relatifs à la primo-prescription par les infirmiers en pratique avancée (IPA) et aux Padhue ont été publiés et ceux qui portent sur la quatrième année de médecine générale et les docteurs juniors, attendus depuis dix-huit mois, le seront avant le 14 juillet.

S’agissant de l’attribution du CESP dès la deuxième année d’étude, le décret devrait être publié en juin en vue d’une application en septembre. Quant à la limitation du cumul des aides dans le temps, j’ai l’intention de l’appliquer au plus vite, mais je ne peux pas vous citer une date précise.

M. le président Jean-François Rousset. Yannick Monnet et moi travaillons à un rapport de la Mecss (mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale) sur l’évaluation des aides à l’installation des médecins, qui devrait être publié la semaine prochaine. Nous y abordons les deux questions soulevées par M. Garot. Un peu de patience, donc.

M. Guillaume Garot (SOC). Je parlais de dispositions que nous avons adoptées.

M. le président Jean-François Rousset. J’apportais cette précision pour souligner l’existence de réflexions transpartisanes sur ces questions.

M. Yannick Neuder, ministre. J’ai la réponse, monsieur Garot : le décret relatif à la limitation du cumul des aides dans le temps a été publié le 12 mars.

M. Guillaume Garot (SOC). Parfait. Merci !

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Force est de constater qu’il est très difficile pour les directeurs d’hôpital public d’avoir un management efficace des praticiens hospitaliers (PH), qui sont soumis au pouvoir disciplinaire du Centre national de gestion (CNG). Sans aller jusqu’à mettre en œuvre une organisation analogue à celle des cliniques privées, ne faudrait-il pas renforcer les pouvoirs du directeur de manière à étendre ses compétences au personnel médical ?

M. Yannick Neuder, ministre. La question de la gouvernance a fait l’objet de différents travaux. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a fixé un principe – un seul patron à l’hôpital – qui a suscité beaucoup d’interrogations. J’entends les difficultés que vous évoquez, mais je connais de nombreux établissements où les choses se passent bien.

À l’instar d’un maire et de son secrétaire général ou de son directeur général des services, le directeur de l’hôpital et la communauté médicale forment un couple qui doit faire avancer les choses, chacun dans son rôle. Si l’on aborde l’efficacité du couple sous le seul angle du pouvoir, on se trompe. Il n’y a pas d’enjeux de pouvoir. En tant que chef de pôle, j’avais besoin du directeur pour appliquer l’organisation de l’offre de soins qui me paraissait la plus efficiente, dont il était chargé de l’aspect opérationnel – il m’indiquait parfois que les contraintes budgétaires rendaient impossible l’application d’une mesure. Olivier Claris, président de la CME des Hospices civils de Lyon, a produit un rapport intéressant sur la gouvernance de l’hôpital public.

Force est de constater que le modèle des centres de cancérologie, dont le directeur est de formation médicale, fonctionne bien. Nous l’avons testé, du reste : le directeur général du CHU de Strasbourg, comme certains directeurs d’ARS, est un médecin. Toutefois, je n’ai pas perçu de différences notables avec les autres établissements. Il s’agit surtout, me semble-t-il, d’une affaire de personne.

Faut-il renforcer les pouvoirs du directeur ? Je ne sais pas. Le Centre national de gestion gère les carrières et exerce un pouvoir disciplinaire, le président de la CME assure la bonne conduite de la politique médicale de l’établissement… Je serais davantage partisan d’une acculturation du monde médical à l’aspect extramédical de la gestion d’un établissement, car si la médecine n’a pas de prix, elle a un coût. D’un côté, le directeur n’est pas là pour empêcher systématiquement l’action des équipes médicales et paramédicales. De l’autre, ces équipes doivent comprendre les contraintes auxquelles il est soumis. Je ne sais pas si cela peut se régler par un rapport de force.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez fait référence au couple que forment le maire et son directeur général des services. Mais le maire est le seul patron de sa commune. S’il faut parler d’un couple à propos de l’hôpital, ce serait de celui que forment le directeur et le président de la CME.

N’est-il pas contradictoire de souhaiter que l’offre de soins soit organisée au plus près des territoires et de s’en remettre au CNG, qui est une instance nationale ? Certes, c’est en partie une question de personne. Mais le manque de médecins est tel que ces derniers ont acquis un pouvoir injuste et inégalitaire, puisqu’ils peuvent, même si c’est loin d’être une généralité, se livrer à un chantage au départ pour refuser des directives du directeur de l’établissement. Peut-être un renforcement du couple formé par le directeur et le président de la CME permettrait-il de mettre de l’huile dans les rouages. En tout cas, il conviendrait, à tout le moins, que le pouvoir disciplinaire ne soit pas forcément exercé au niveau national par le CNG mais puisse être transféré au conseil de l’ordre départemental, ce qui permettrait d’ailleurs de réduire le délai dans lequel les décisions sont prises, qui est parfois très long.

M. Yannick Neuder, ministre. Je vais aborder le sujet sous un autre angle. Au-delà de la question de la gouvernance et du rapport de force, il serait intéressant de développer la délégation de gestion au pôle ou au service, en particulier dans les grands établissements, dont l’organisation pyramidale peut gêner les équipes médicales et paramédicales. Un tel mécanisme de subsidiarité permet à un trio de pôle – composé d’un chef de pôle, d’un cadre paramédical et d’un directeur administratif – ou à un trio de service de gérer les ressources humaines, les moyens matériels, l’investissement et la réorganisation de l’offre de soins. Dans l’établissement où j’exerçais, qui emploie 10 000 personnes, il est beaucoup plus facile de s’organiser ainsi. Ce mécanisme, qui n’exclut pas les contrôles, permettrait, me semble-t-il, de régler bon nombre de problèmes.

Par ailleurs, il est vrai que l’autorité ne s’exerce pas de la même façon selon qu’il s’agit d’un praticien hospitalier, qui relève du CNG, ou d’un praticien hospitalo-universitaire, qui relève d’une juridiction propre. Peut-être le CNG pourrait-il être un peu plus proche du terrain. En tout cas, je le rappelle, la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite Rist 1, a réaffirmé que le binôme composé du directeur général et du président de la CME est une instance de gouvernance de l’établissement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans le cadre de la permanence des soins en établissement de santé (PDSES), les praticiens, qu’ils travaillent dans le public ou le privé, sont majoritairement rémunérés par la solidarité nationale. Pourtant, on ne demande pas la même chose aux uns et aux autres, et l’on constate une petite carence de l’hôpital public dans le domaine de la permanence des soins, voire dans l’accueil aux urgences.

Comment la relation entre les secteurs public et privé doit-elle être organisée au niveau départemental pour améliorer le service rendu à la population ? On constate en effet un essoufflement des praticiens hospitaliers du public : moins bien rémunérés, ils assurent des permanences plus importantes et ressentent donc un profond sentiment d’injustice et d’inégalité.

Pour revenir rapidement sur les questions de gouvernance, les problématiques ne sont pas les mêmes dans un CHU comme celui dans lequel vous travailliez et l’hôpital de ma circonscription, qui emploie 700 personnes. Les problèmes de main-d’œuvre médicale sont certainement moins aigus dans le premier que dans le second établissement. C’est en pensant à ces petits établissements que j’évoquais la nécessité de renforcer le pouvoir de la direction.

M. Yannick Neuder, ministre. Vous avez raison : les enjeux de gouvernance, voire de pouvoir, dépendent en partie de la taille des établissements. Je crois que le groupement hospitalier de territoire (GHT) renforcé, c’est-à-dire un GHT de deuxième génération, peut être une solution. J’ai en effet pu constater que la dualité – pour le dire ainsi – qui peut exister entre la communauté médicale et le directeur général d’un établissement de proximité était atténuée dans ce cadre, grâce à la dynamique territoriale impulsée par le directeur du centre hospitalier voisin plus important ou du centre hospitalier universitaire qui se trouve à la tête du GHT, et à la concertation entre les équipes médicales des différents établissements. Le fait que la gouvernance soit assurée au niveau du GHT apaise les tensions.

Par ailleurs, nous ne pouvons plus nous permettre une guerre entre le privé et le public. Dans ma circonscription, par exemple, la seule offre d’hospitalisation est celle d’une structure privée : si, demain, elle devait disparaître, l’hôpital public ne serait pas en mesure d’absorber la file active de patients. Il faut donc trouver le moyen de les faire travailler ensemble. Je crois beaucoup, à cet égard, à la subsidiarité. Je rencontre chaque mois les directeurs généraux des CHU et, chaque trimestre, les directeurs de l’ensemble des autres établissements. Je souhaite rassembler prochainement ces directeurs et les présidents de CME pour discuter de ces projets de territoire, qui incluraient, à terme, les acteurs du privé.

S’agissant de la permanence des soins en établissement de santé, nous devons être vigilants sur deux points. D’abord, il faut s’interroger sur la nécessité de maintenir cette permanence aux heures de nuit profonde. En effet, je ne suis pas certain que nous utilisions au mieux la ressource médicale en mobilisant, pour deux interventions nocturnes, un praticien qui, le lendemain, bénéficiera d’un repos de garde, s’il est hospitalier, ou devra assurer cinquante consultations, s’il est libéral.

Ensuite, il y a des limites à la mutualisation. Pardon de me référer à mon expérience personnelle mais, lorsque vous accueillez au milieu de la nuit un patient qui fait un infarctus, il est préférable que vous soyez dans votre bloc ou votre salle de coronarographie, entouré de votre personnel et équipé de votre matériel. On peut prévoir que, telle nuit, le médecin public sera de garde et que, le lendemain, ce sera au tour du médecin libéral. Mais si cela fonctionne sur le papier, car les pratiques sont relativement standardisées, chacun utilise le matériel de manière différente ; de plus, on se trouve dans une situation d’extrême urgence où chaque minute compte : il s’agit d’avoir le bon guide, le bon stent, la bonne voie d’abord. Intervenir une nuit tous les dix jours dans un bloc ou une salle de coronarographie que vous ne connaissez pas, avec du personnel que vous ne connaissez pas davantage, ne permet pas de garantir la sécurité des patients. Peut-être, même si je ne sous-estime pas les difficultés d’organisation administrative, est-ce envisageable dans le cadre d’équipes de prise en charge aux urgences. Mais s’agissant d’actes très techniques – le président Rousset, en tant que chirurgien, en parlerait mieux que moi –, les personnes ne sont pas interchangeables.

On ne peut qu’être favorable à une meilleure collaboration entre médecine publique et médecine privée à l’échelon territorial, mais cette évolution se heurte à des limites qui tiennent à des considérations techniques et à la sécurité des patients.

M. le président Jean-François Rousset. Il ne faut en effet jamais mélanger sécurité, proximité et disponibilité. La médecine ou la chirurgie est un art ; il est certes fondé sur la science, mais les artistes ont besoin de leurs propres pinceaux et chevalet.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité, la qualité et la longueur de vos réponses. Je rappelle que vous pouvez nous transmettre par écrit toute information complémentaire que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.

Puisque nous examinerons le rapport dans un mois, je tiens à remercier tous ceux qui nous ont permis de réaliser nos auditions, lesquelles se sont enchaînées à un rythme parfois soutenu, ainsi que les personnes que nous avons entendues pour le temps qu’elles nous ont consacré.

 

La séance s’achève à onze heures dix.

 

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Membres présents ou excusés

 

 

Présents.  M. Guillaume Garot, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset, Mme Annie Vidal