Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

 

– Élection d’un secrétaire...............................2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Houdebine, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère chargé du travail, Mme Sophie Ozil, cheffe du département suivi et indemnisation des demandeurs d’emploi de la Dares, et Mme Laurie Pinel, adjointe au chef de la mission analyse économique de la Dares               2

– Présences en réunion................................10

 


Mercredi
26 mars 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à quinze heures.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête procède à l’élection d’un secrétaire.

*

Puis elle procède à l’audition de M. Michel Houdebine, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère chargé du travail, Mme Sophie Ozil, cheffe du département suivi et indemnisation des demandeurs d’emploi de la Dares, et Mme Laurie Pinel, adjointe au chef de la mission analyse économique de la Dares.

M. le président Denis Masséglia. Nous débutons notre cycle d’auditions avec la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) afin de disposer de données précises sur un certain nombre de thèmes qui intéressent la commission d’enquête : les licenciements collectifs pour motif économique en général et les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en particulier, entre autres. Il nous a semblé opportun que la réflexion collective soit alimentée, au commencement des travaux, par quelques éléments de contexte statistiques.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Michel Houdebine, Mme Sophie Ozil, et Mme Laurie Pinel prêtent serment.)

M. Michel Houdebine, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère chargé du travail. Nous avons rassemblé des éléments qui dépassent légèrement la question initiale, mais qui nous paraissent indispensables pour en éclairer les contours.

Le premier graphique met en évidence le ralentissement du marché du travail. Après plusieurs années de forte progression, soutenue notamment par l’emploi public, le niveau d’emploi se stabilise. L’emploi intérimaire, que nous considérons comme un indicateur avancé, recule de manière continue depuis près de deux ans.

Le second graphique illustre l’hétérogénéité des évolutions sectorielles sur un an. Certains secteurs enregistrent un net recul, notamment l’intérim, l’immobilier, la construction et l’information-communication. À l’inverse, d’autres secteurs, tels que l’agroalimentaire, l’énergie ou encore la finance-assurance, poursuivent leur développement.

Le taux de chômage demeure globalement stable depuis un an et demi à deux ans, après une légère hausse en 2023. Des écarts d’âge apparaissent toutefois, puisque le taux augmente chez les jeunes, tandis qu’il reste stable ou diminue chez les autres catégories.

Entre 2019 et le quatrième trimestre 2024, l’emploi progresse de façon significative. Cette croissance repose principalement sur les contrats à durée indéterminée (CDI) et les contrats en alternance, tandis que les contrats à durée déterminée (CDD) et les postes intérimaires reculent.

Malgré le ralentissement de la dynamique économique, les flux sur le marché du travail demeurent très élevés, avec un volume d’embauches comme de fins de contrat qui reste soutenu. Les démissions, en particulier, se maintiennent à un niveau élevé, autour de 500 000, ce qui représente une stabilité depuis plusieurs années et un niveau supérieur à celui d’avant la crise sanitaire.

Les données de la Banque de France relatives aux défaillances d’entreprises révèlent une hausse après la crise sanitaire, qui s’inscrit toutefois dans le prolongement d’une phase de repli marqué. Ce phénomène s’explique en partie par la fin progressive des dispositifs de soutien qui avaient permis à certaines structures de survivre. Les entreprises les plus touchées sont majoritairement de petite ou très petite taille.

Les informations issues du dispositif Rupco, qui suit l’ensemble de la procédure des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), depuis leur déclaration jusqu’à leur validation ou homologation, montrent une augmentation du nombre de PSE au cours des derniers mois. Ce niveau reste néanmoins inférieur à celui observé au milieu des années 2010. Sur un an, le nombre de PSE validés ou homologués progresse de 27 %, tandis que le nombre de ruptures de contrats de travail concernés par ces PSE augmente de 131 %. Cette dernière évolution est toutefois portée par un nombre restreint d’entreprises.

La courbe relative aux PSE initiés montre une tendance comparable puisque, depuis 2022, leur nombre augmente pour atteindre aujourd’hui 178, soit une hausse de 35 % sur un an. Il convient de noter que cette série est légèrement en avance sur celle des PSE validés ou homologués. Les données du quatrième trimestre seront publiées au mois d’avril.

Le nombre de ruptures de contrats autorisées ne correspond pas nécessairement aux ruptures effectivement réalisées dans le cadre des PSE. Nous avons mené une étude approfondie sur ce sujet, au cours de laquelle nous avons constaté que 40 % des bilans sur les PSE transmis par les entreprises étaient correctement renseignés. Cela nous contraint à procéder à des redressements statistiques afin d’en tirer des analyses exploitables. Les résultats de ces ajustements nous apprennent que, sur l’ensemble des ruptures envisagées par les PSE, 63 % débouchent sur des licenciements économiques, 27 % sur des départs volontaires et 9 % sur des reclassements internes. En définitive, 81 % des personnes concernées connaissent effectivement une évolution de leur situation.

On note par ailleurs une surreprésentation des seniors dans ces dispositifs. Sur la période 2018-2021, parmi les salariés de plus de 57 ans, 15 % ont été licenciés et 42 % ont choisi un départ volontaire, alors que cette classe d’âge ne représente que 11 % de l’effectif total du secteur privé.

Les inscriptions à France Travail à la suite d’un licenciement économique progressent également de manière significative et atteignent aujourd’hui un niveau proche de celui observé au moment de la crise sanitaire, tout en demeurant inférieures à la situation qui prévalait dans les années 2010.

Pour conclure, sans formuler de prévisions, nous nous appuyons sur les perspectives proposées par d’autres institutions. Les enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur le climat des affaires et de l’emploi indiquent un niveau légèrement inférieur à la moyenne de long terme, ce qui traduit un ralentissement de l’activité. L’Insee prévoit un taux de chômage de 7,6 % à mi-2025, tandis que la Banque de France anticipe une moyenne annuelle de 7,8 %.

M. le président Denis Masséglia. Contrairement à une idée reçue, les embauches en CDI ont donc progressé ces dernières années ? Pouvez-vous confirmer que la part des CDI est aujourd’hui plus importante qu’il y a dix ou quinze ans ?

M. Michel Houdebine. Cette tendance se confirme effectivement. Depuis 2019, la croissance du niveau de l’emploi repose essentiellement sur les CDI ainsi que sur l’alternance.

Plus précisément, la courbe des embauches en CDI se situe actuellement à un niveau supérieur à celui d’avant la crise sanitaire. Il faut néanmoins replacer ces données dans un contexte de croissance économique générale. Aux fins d’une analyse plus fine, il conviendrait de rapporter ces flux à l’emploi total afin de mesurer l’évolution du taux d’embauche en CDI. En valeur absolue, toutefois, le nombre d’entrées en CDI dépasse bien celui de la période antérieure à la crise.

M. le président Denis Masséglia. Nous vous remercions de confirmer que la politique que nous menons est créatrice de CDI.

Vous avez évoqué une hausse récente du nombre de PSE, qui peut naturellement inquiéter. Toutefois, malgré cette augmentation, leur niveau reste inférieur à celui que nous avons connu au milieu des années 2010. Pouvez-vous confirmer que la politique conduite ces dernières années a contribué à une diminution du volume de PSE ?

M. Michel Houdebine. Bien que la courbe démontre une augmentation du nombre de PSE depuis 2022, ce niveau demeure effectivement inférieur à celui observé au cœur des années 2010.

Cette comparaison doit toutefois être replacée dans son contexte, puisque cette période était marquée par les effets persistants de la crise financière et que le marché du travail s’ajustait lentement.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je me permets de ne pas tirer les mêmes conclusions que vous, monsieur le président, sur le bilan de la politique conduite au cours des dernières années. Cela illustre toutefois tout l’intérêt et la pertinence de cette commission d’enquête, qui promet des échanges riches et nourris.

Pour commencer, à partir des recensements réalisés, quelles ont été les principales difficultés rencontrées par les entreprises ayant conduit à la mise en place de PSE ? Pourriez‑vous également présenter l’évolution des données relatives aux PSE liés à des défaillances d’entreprises, en distinguant les cas de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les fermetures d’établissement, en précisant, le cas échéant, les situations ayant donné lieu à une reprise partielle ?

M. Michel Houdebine. Ces données, bien que présentes dans notre système d’information, ne sont pas exploitées de manière régulière et n’ont pas été publiées à ce stade. Je réserve donc pour le moment ma réponse à cette question. Pour envisager une exploitation fiable, nous devrons d’abord vérifier la qualité des données sous-jacentes. Nos équipes ont bien identifié les sources pertinentes, mais une vérification complémentaire auprès de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) sera nécessaire pour déterminer s’il est possible d’en tirer un éclairage utile.

M. le rapporteur. Pourriez-vous revenir sur les tendances observées concernant les ruptures conventionnelles collectives, ainsi que sur leur articulation avec les PSE, depuis la création du dispositif en 2017 ?

M. Michel Houdebine. Nous observons une hausse du nombre de ruptures conventionnelles collectives sur la dernière année, bien que les volumes restent modestes. Sur la période allant du troisième trimestre 2023 au troisième trimestre 2024, nous en recensons 92, contre 81 sur les douze mois précédents. Le profil général reste relativement stable, avec un pic observé au moment de la crise sanitaire. Naturellement, il en existe davantage que dans les années 2010, puisqu’il s’agit d’un dispositif plus récent.

Je précise qu’une partie de la dynamique observée concernant les PSE trouve probablement sa contrepartie dans les ruptures conventionnelles collectives, puisque les deux dispositifs peuvent interagir.

M. le rapporteur. Disposez-vous de données précises par secteur d’activité ou par région ?

M. Michel Houdebine. Ces données ne sont pas déjà publiées mais nous allons étudier la possibilité de les intégrer à vos travaux.

Sur la courbe montrant l’augmentation marquée du nombre de ruptures autorisées, les deux secteurs qui apparaissent de manière récurrente sont la logistique et la distribution. Pour l’année 2024, s’y ajoute l’industrie manufacturière. Cela reste sous réserve d’analyses complémentaires. Nous tâcherons d’intégrer ces éléments dans notre réponse au questionnaire.

S’agissant des données géographiques, il sera difficile de les suivre trimestre par trimestre, faute de volumes suffisants une fois les données croisées avec des mailles territoriales et temporelles fines. Nous pourrons cependant vous fournir une lecture plus consolidée, à l’échelle annuelle, permettant d’esquisser des tendances.

M. Pierrick Courbon (SOC). Nous sommes nombreux à attendre des éclairages plus précis sur les secteurs d’activité les plus touchés, ainsi que sur ceux qui semblent, à l’inverse, relativement épargnés par la tendance à la hausse des PSE. Toute précision que vous pourrez apporter dans le questionnaire sera la bienvenue.

Je souhaiterais également une explication sur la forte divergence entre le nombre de ruptures envisagées et le nombre de PSE alors que, jusqu’ici, ces courbes suivaient des trajectoires proches. Faut-il en conclure que les PSE concernent désormais un nombre moyen de salariés plus élevé ? Cela signifie-t-il que de grandes entreprises sont de plus en plus concernées, ou cette lecture est-elle à nuancer ?

M. Michel Houdebine. Une part importante de cette hausse tient à un nombre très limité d’entreprises ayant formulé des demandes à grande échelle. Parmi elles, l’une est de taille significative, mais je ne peux pas en révéler l’identité dans le cadre de cette audition publique. Nous devrons attendre la publication des données d’avril pour confirmer si ces niveaux exceptionnels se maintiennent. Nous n’avons pas conduit d’analyse sur la répartition par taille d’entreprise mais cela pourrait faire l’objet d’un approfondissement si vous le jugiez pertinent.

Mme Estelle Mercier (SOC). La Dares produit également des études longitudinales sur l’emploi et le marché du travail. Pouvez-vous nous éclairer sur les tendances observées depuis les années 2010, en particulier à partir de 2015 ? Je fais ici référence à l’effet du papy‑boom et à cette idée selon laquelle le marché du travail se serait retourné, avec une demande de main-d’œuvre excédant parfois l’offre dans de nombreux secteurs. Cette dynamique paraît davantage liée à des facteurs démographiques qu’à des variables purement économiques, même si certains publics, tels que les seniors ou les très jeunes, échappent partiellement à cette tendance. Disposez-vous d’éléments permettant de confirmer ce basculement ? Cette transformation pourrait également expliquer l’augmentation du nombre de CDI car, dans un marché plus tendu, les employeurs sont incités à proposer d’emblée des contrats stables pour attirer les jeunes actifs. Cette hausse du nombre de CDI s’accompagne parallèlement d’une augmentation des démissions. Avez-vous pu identifier une corrélation entre ces deux phénomènes ?

M. Michel Houdebine. À la sortie de la crise sanitaire, la France a connu une nette accélération des créations d’emplois. Cette dynamique s’est accompagnée d’une hausse marquée des tensions sur le marché du travail, phénomène clairement identifié dans les enquêtes de l’Insee et corroboré par nos données sur les emplois vacants.

Dans ce contexte, où s’exerçaient également des pressions sur les prix et les salaires, nous avons constaté un rééquilibrage du pouvoir de négociation en faveur des salariés. Si cela ne s’est pas déjà traduit pleinement sur les salaires, qui réagissent avec un certain décalage dans le temps, ce mouvement a eu des effets visibles sur d’autres caractéristiques de l’emploi. Nous avons notamment observé une augmentation de la part des CDI et une diminution des contrats à temps partiel.

En ce qui concerne le lien avec le vieillissement de la population, nous devrons consulter les données sectorielles précises. Les courbes d’évolution par classe d’âge montrent toutefois que l’emploi des plus de 55 ans a fortement progressé. Cela peut s’expliquer, au moins en partie, par les effets de la réforme des retraites. En revanche, dans les tranches d’âge intermédiaires, notamment chez les 30-54 ans, la tendance est plus contrastée et, après une phase de hausse, l’emploi connaît désormais un ralentissement.

Sur la question plus prospective des effets sectoriels du vieillissement, les travaux conduits avec France Stratégie sur les métiers de la France en 2030 indiquent une dynamique forte des emplois liés à l’accompagnement, notamment dans le service à la personne.

M. le président Denis Masséglia. Ce graphique fait-il référence aux personnes ayant trouvé un emploi après 55 ans ? Faut-il comprendre que de nombreux seniors ont accédé à l’emploi ou changé de poste au-delà de cet âge ?

M. Michel Houdebine. Ce graphique compare le niveau d’emploi des différentes classes d’âge au quatrième trimestre 2024 et au quatrième trimestre 2019. Il s’agit donc d’une photographie globale qui montre que nous comptons davantage de personnes de 55 ans et plus en emploi aujourd’hui qu’en 2019. Cela ne signifie pas nécessairement que ces personnes ont récemment trouvé un poste, mais plutôt que leur présence sur le marché du travail s’est accrue. Les travaux passés suggèrent que la réforme des retraites a pu jouer un rôle dans cette évolution, bien qu’aucune étude récente n’ait analysé cette dimension de manière approfondie.

En ce qui concerne l’alternance, il faut rappeler qu’un étudiant inscrit à l’école n’est pas considéré comme étant en emploi dans l’enquête, contrairement à un alternant. La montée de l’alternance influe donc mécaniquement sur les statistiques de l’emploi.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’alternance semble aujourd’hui écraser, en termes statistiques, l’emploi hors alternance des 15-29 ans. Faut-il en déduire que l’alternance aurait remplacé les emplois jeunes d’hier ? Autrement dit, là où les jeunes occupaient autrefois un CDD ou un CDI, sont-ils désormais absorbés par l’alternance ? S’agit-il d’un nouveau type de contrat jeune ?

Disposez-vous d’éléments explicatifs au sujet de l’augmentation du nombre de PSE ? Cette évolution est-elle liée à une vague de faillites, à des délocalisations ou à d’autres phénomènes que vous pourriez identifier ?

Enfin, s’agissant du déséquilibre entre l’offre et la demande d’emploi, pouvons-nous affirmer que le nombre de personnes inscrites à France Travail dépasse aujourd’hui le nombre de postes disponibles ?

M. Michel Houdebine. Je ne dispose pas de données académiques suffisamment précises pour répondre sur l’alternance. S’il est vrai qu’elle peut retarder l’entrée sur le marché du travail ou se substituer à d’autres parcours d’études, nous constatons néanmoins, sans qu’un lien de causalité soit clairement établi, que les personnes ayant suivi un parcours en alternance s’insèrent plus rapidement professionnellement.

S’agissant des causes qui expliquent l’augmentation du nombre de PSE, nous ne disposons pas, à ce jour, de données affinées en matière de localisation ou de typologie. L’Insee a conduit plusieurs travaux structurels sur le sujet mais nous manquons encore d’analyses conjoncturelles permettant de relier précisément les licenciements économiques à des causes identifiées. Si, durant la crise sanitaire, nous avions tenté d’établir des corrélations avec la situation financière des entreprises, les données disponibles aujourd’hui ne nous permettent pas de reproduire cette approche.

En ce qui concerne la comparaison entre le nombre de personnes inscrites à France Travail et celui des postes disponibles, il convient avant tout de souligner la diversité des profils présents dans les fichiers. La catégorie A, regroupant 2,9 millions de personnes sans emploi et immédiatement disponibles, est à distinguer de la catégorie C, comprenant environ 700 000 personnes en emploi à temps plein, ou encore de la catégorie G, qui intègre, depuis la réforme de France Travail, entre 700 000 et 800 000 allocataires du revenu de solidarité active (RSA).

En parallèle, nous recensons aujourd’hui 480 000 emplois vacants. Ce nombre ne couvre pas l’ensemble de l’économie mais nous avons élargi notre champ d’observation aux entreprises de moins de 10 salariés et prévoyons d’y inclure également le secteur public.

Mme Océane Godard (SOC). Je souhaite évoquer les types et la qualité des emplois. Le dernier rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) fait état d’une diminution importante du nombre d’heures travaillées par les personnes peu qualifiées, à hauteur d’environ 40 % sur les trente dernières années. Cela interroge sur le taux d’emploi réel. Ce même rapport souligne que 9 embauches sur 10 se font sous la forme de contrats courts et que le nombre de contrats à temps partiel subi est en hausse. Enfin, d’après ce que j’observe sur le site de France Travail, seules 10 % des déclarations préalables à l’embauche concernent des CDI, alors que 40 % concernent des CDD et 50 % des contrats intérimaires.

Pourriez-vous nous apporter des éléments sur la structuration du marché du travail ? Lorsque vous parlez d’emploi salarié, cela inclut-il les micro-entrepreneurs et les contrats d’apprentissage ? Certains organismes les intègrent dans leurs statistiques, ce qui brouille parfois les comparaisons.

M. Michel Houdebine. La définition de l’emploi salarié n’inclut que les salariés au sens strict. Les micro-entrepreneurs et les entreprises individuelles sont exclus de cette catégorie, bien qu’ils soient intégrés dans les chiffres globaux de l’emploi. Cela étant dit, nous constatons depuis quelques années une progression notable de l’emploi individuel, en part dans l’emploi total.

Pour ce qui est des CDD, votre constat est juste. Bien que les CDI représentent environ 85 % du stock d’emplois, les flux d’embauches restent majoritairement composés de CDD, à hauteur de 80 à 90 %. Ce phénomène s’explique par la nature même des contrats courts, qui génèrent mécaniquement davantage de rotations sur le marché du travail.

S’agissant du temps partiel subi, je suis surpris par votre affirmation car, d’après les données dont je dispose, la tendance était plutôt orientée à la baisse en 2024. Je préfère réserver mon jugement pour éviter toute approximation.

Pour ce qui est du nombre d’heures travaillées, l’analyse fondée sur des comparaisons internationales est complexe. Il est vrai que ce nombre a diminué sur le long terme, en lien notamment avec la mise en place des 35 heures. Le CAE aborde cette évolution sous un angle structurel mais, à l’heure actuelle, ni l’Insee, ni l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), ni la Dares ne sont en mesure de produire des données détaillées sur le volume horaire associé aux différents types de contrat.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Quelle méthode utilisez-vous et sur quelles sources vous basez-vous pour recenser les emplois vacants ?

M. Michel Houdebine. Ces données proviennent d’une enquête harmonisée au niveau européen, qui repose sur une interrogation directe des entreprises concernant le nombre d’emplois vacants et ceux susceptibles de se libérer à court terme.

M. le rapporteur. Devons-nous comprendre que vous ne disposez pas d’une base de données suffisamment robuste concernant les causes des licenciements économiques ? Cette clarification me semble essentielle car elle pourrait orienter certaines de nos futures recommandations.

Vous avez évoqué un tiers de départs volontaires et deux tiers de licenciements, mais disposez-vous d’éléments relatifs au retour à l’emploi des salariés après un PSE ?

Enfin, notre commission s’intéresse de près à l’usage des aides publiques. Existe-t-il des données permettant d’évaluer l’efficacité du dispositif prévu par la « loi Florange », selon lequel l’État peut exiger la restitution d’aides publiques lorsque les entreprises n’ont pas démontré d’efforts suffisants en matière de recherche de repreneurs ?

M. Michel Houdebine. Aucun travail spécifique sur la « loi Florange » n’a été conduit par nos services à ce jour. Il pourrait être pertinent d’interroger d’autres institutions pour savoir si des études ont été menées.

S’agissant du retour à l’emploi après un PSE, certains travaux conduits par d’autres organismes se concentrent sur des zones d’emploi affectées par la concurrence internationale. Je pense par exemple à l’impact de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a modifié durablement les équilibres commerciaux mondiaux. Plusieurs études ont tenté d’analyser les effets de ces chocs sur les zones d’emploi françaises. Les conclusions convergent pour montrer que les salariés affectés dans ces zones subissent généralement une perte d’emploi durable, une baisse de rémunération et rencontrent de réelles difficultés de réinsertion, en particulier lorsqu’ils travaillaient dans des secteurs industriels éloignés des grands centres urbains, ce qui rend la reconversion plus complexe.

Quant aux causes des licenciements économiques, notre système d’information ne contient pas de données sur la situation financière des entreprises, ce qui est compréhensible puisque ces informations relèvent d’autres services. Pour les causes plus générales, notamment économiques, la question devient rapidement délicate. Par exemple, il n’existe pas aujourd’hui de définition opérationnelle claire de la délocalisation dans les statistiques publiques. Même si l’opinion publique peut en avoir une idée intuitive, les statisticiens manquent d’un cadre analytique stabilisé pour aborder cette question. À ma connaissance, aucun travail ne permet d’identifier précisément les effets du commerce international entreprise par entreprise.

M. le président Denis Masséglia. Nous attendons avec intérêt les réponses écrites au questionnaire ainsi que tout document que vous jugeriez utile aux travaux de la commission d’enquête.

La séance s’achève à seize heures cinq.


Présences en réunion

Présents. – M. Louis Boyard, M. Pierrick Courbon, Mme Océane Godard, M. Pascal Jenft, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier, Mme Marie‑Agnès Poussier-Winsback, Mme Sophie-Laurence Roy, Mme Anne-Cécile Violland