Compte rendu

Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements

 

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant Mme Nadia Gssime, docteure en droit, Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa, Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy‑Grangé, et Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS              2

– Présences en réunion................................17

 


Mardi
1er°avril 2025

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Denis Masséglia, président
 

 


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La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Présidence de M. Denis Masséglia, président.

La commission d’enquête auditionne Mme Nadia Gssime, docteure en droit, Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa, Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy-Grangé, et Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS.

M. le président Denis Masséglia. Nous commençons nos auditions de ce jour par une table ronde réunissant une théoricienne et des praticiens du droit qui interviennent auprès des salariés et de leurs représentants d’une part, des employeurs d’autre part.

Je souhaite la bienvenue à Mme Nadia Gssime, docteure en droit, spécialiste du droit du travail et auteure d’un ouvrage consacré aux restructurations paru en février 2024, ainsi qu’à Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa, Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS, Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, et Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy-Grangé.

Je précise que les cabinets LBBa et JDS conseillent les salariés tandis que les cabinets Actance et Flichy-Grangé accompagnent les employeurs.

Il ne fait pas de doute que vos témoignages permettront aux membres de la commission d’enquête de mieux appréhender le déroulement des procédures de licenciement collectif pour motif économique, les enjeux qui s’élèvent, dans pareille situation, tant pour les salariés que pour les employeurs ou encore le rôle joué par les pouvoirs publics dans l’accompagnement des entreprises qui licencient, en particulier par le biais de la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Nadia Gssime, Me Laurent Beziz, Me Bénédicte Rollin, Me Éliane Chateauvieux et Me Joël Grangé prêtent serment.)

Mme Nadia Gssime, docteure en droit. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est un dispositif crucial dans le droit du travail français, dont je vais vous présenter les principaux aspects. Son déclenchement obéit à la règle dite des « 10, 30, 50 » : il s’impose lorsqu’un employeur envisage au moins dix licenciements sur une période de trente jours dans une entreprise d’au moins cinquante salariés. En deçà de ces seuils, nous restons dans le cadre d’un licenciement collectif, mais la procédure est allégée.

La mise en place du régime actuel, issu de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, poursuivait deux objectifs majeurs. Le premier était de favoriser le recours à la négociation collective pour l’élaboration des PSE. Cet objectif a été largement atteint, comme en témoigne le bilan de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2023 : entre 2014 et 2022, 67 % des PSE ont été élaborés par accord collectif. Le tiers restant a été établi par document unilatéral de l’employeur.

Le second objectif consistait à impliquer l’administration en amont du processus, afin d’accompagner l’élaboration du PSE et de corriger d’éventuelles irrégularités avant qu’un contentieux ne survienne. Toutefois, le législateur a strictement encadré le champ d’intervention de l’administration, le limitant à la procédure d’élaboration du PSE. Tout ce qui se situe hors de ce cadre relève du contrôle du juge judiciaire.

Concrètement, l’administration contrôle des éléments tels que la définition des catégories professionnelles concernées par les licenciements, les critères d’ordre des licenciements et les mesures contenues dans le PSE (reclassement, accompagnement, etc.). En revanche, elle n’a pas compétence pour examiner le motif économique du licenciement, ce qui peut susciter des frustrations chez les représentants du personnel. De même, l’administration ne peut pas évaluer l’utilisation des aides publiques par l’entreprise, ni refuser l’homologation ou la validation du PSE sur ce fondement.

Il est crucial de souligner que la décision d’homologation ou de validation du PSE par l’administration est un préalable indispensable à toute notification de licenciement. Sans cette décision, l’employeur ne peut procéder à aucun licenciement dans le cadre du PSE.

La procédure administrative s’effectue par l’intermédiaire de la plateforme en ligne Rupco, gérée par le ministère du travail. L’employeur y crée un espace personnel, renseigne les informations relatives à l’entreprise et au projet de PSE. Cette démarche déclenche automatiquement l’information de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) compétente, qui désigne un agent instructeur pour le dossier. Toute la communication entre l’administration et l’entreprise se fait ensuite exclusivement sur la plateforme Rupco.

Il est important de noter que ni le comité social et économique (CSE), ni les délégués syndicaux, ni les salariés n’ont accès à Rupco. Ce système sert uniquement d’interface entre l’administration et l’entreprise, et constitue l’outil principal de contrôle administratif du PSE.

Tout au long de la procédure, l’entreprise doit transmettre sur son espace personnel l’ensemble des documents relatifs au PSE : les convocations du CSE, les procès-verbaux de réunion, le document unilatéral ou l’accord collectif, les documents d’information transmis au CSE, ainsi que les rapports d’expertise. Ce dépôt systématique permet à l’administration d’exercer un contrôle rigoureux sur le déroulement de la procédure. Le CSE et les délégués syndicaux sont en contact direct avec l’administration par courrier électronique ou par téléphone.

En ce qui concerne le déclenchement de la procédure, les pratiques varient selon les régions. En Île-de-France, qui concentre 40 % des PSE nationaux, la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) initie généralement la procédure en adressant à l’entreprise, avec copie aux délégués syndicaux et au CSE, une lettre d’observations détaillant les différentes étapes. Dans d’autres régions, comme dans le département de la Vienne, l’administration privilégie une réunion préalable avec l’entreprise pour échanger sur le projet envisagé et exposer les principales étapes de la procédure. Elle reçoit ensuite le CSE et les délégués syndicaux pour leur fournir les informations nécessaires au bon déroulement de la procédure.

Ce contrôle continu tout au long de l’élaboration du PSE permet à l’administration de corriger progressivement les éventuelles irrégularités ou imprécisions. Cette approche a conduit à un taux remarquablement bas de refus d’homologation ou de validation : seulement 4 % entre 2014 et 2022, selon les chiffres communiqués par la DGEFP.

Le taux de recours est également faible. Il a atteint son maximum en 2014, juste après l’entrée en vigueur de la loi, avec 7,6 % des décisions contestées devant le tribunal administratif. Un pic a été observé en 2021, avec 9,8 % de décisions contestées, probablement en raison des tensions liées à la période de crise. En dehors de ces deux années, le taux de recours oscille généralement entre moins de 5 % et 6 % et le taux le plus faible – 4,4 % – a été atteint en 2018.

Le taux d’annulation par le juge administratif des décisions de l’administration est également bas. C’est en 2014 qu’il était le plus élevé, avec 35 %, ce qui s’expliquait par la nouveauté de la loi. Dès 2015, il est tombé à moins de 25 % puis a continué à baisser, passant sous la barre des 15 % en 2016, pour atteindre un minimum de 5 % en 2018. Bien que quelques augmentations aient été observées depuis, le taux d’annulation reste globalement faible.

Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa. Le cabinet LBBa, que je représente aujourd’hui, est spécialisé dans le conseil aux syndicats et aux salariés depuis les années 1990. Notre expertise dans le domaine du droit du licenciement collectif nous confère une perspective privilégiée sur l’évolution législative et réglementaire en la matière.

Notre approche, initiée par notre fondateur Henri-José Legrand dans les années 1980‑1990, consiste à fournir un appui opérationnel aux syndicats et aux collectifs de salariés dans le cadre des négociations. Notre objectif est de donner aux représentants du personnel et aux représentants syndicaux les moyens d’être des acteurs à part entière dans les discussions avec l’employeur, d’être capables d’analyser les projets proposés par l’employeur et de présenter des solutions concurrentes.

Nous constatons un déséquilibre persistant entre les représentants du personnel et syndicaux d’une part, et les directions d’entreprise d’autre part, en matière de conseil juridique, particulièrement dans le domaine des relations collectives du travail. Les ressources juridiques des organisations syndicales sont principalement orientées vers la défense prud’homale individuelle et le droit du licenciement collectif reste relativement méconnu, non seulement des syndicats et des représentants du personnel, mais aussi des salariés eux-mêmes.

Notre rôle est important pour garantir la loyauté dans la négociation collective et la consultation, sans laquelle une véritable négociation ne peut avoir lieu. L’intervention de cabinets comme le nôtre vise à rétablir un certain équilibre dans le rapport de force lors de ces discussions.

Concrètement, notre implication dans les négociations a pour effet d’apporter des solutions tangibles pour les salariés, que ce soit en termes de dispositifs d’accompagnement, de sécurisation des parcours professionnels, de mise en œuvre de mesures alternatives ou encore de gestion des conséquences de la réorganisation sur la santé et la sécurité des salariés, tant pour ceux qui sont concernés par le licenciement que pour ceux qui restent dans l’entreprise.

Les représentants du personnel font face à une forte pression. Ils doivent gérer une multitude de sujets complexes allant de l’analyse économique et stratégique à la gestion des suppressions d’emplois, en passant par les mesures de reclassement, les questions environnementales et les problématiques de santé et de sécurité. Ils doivent traiter ces sujets avec des moyens en temps, financiers et humains limités.

D’un côté, l’employeur, qui a généralement travaillé sur le projet pendant des semaines ou des mois, souhaite sa mise en œuvre rapide et à moindre coût, exerçant ainsi une forte pression sur les représentants du personnel. De l’autre, les salariés demandent une visibilité rapide sur leur avenir, certains souhaitant quitter l’entreprise avant la mise en œuvre du plan s’ils ont trouvé un nouvel emploi. Cette situation génère une demande d’informations parfois difficile à satisfaire, certaines étant confidentielles ou soumises à négociation ou arbitrage administratif.

Cette pression intense peut entraîner des conséquences graves sur les collectifs de représentants. Les risques psychosociaux sont évidents dans ces situations.

J’aborde maintenant le droit du licenciement collectif, qui peut être résumé en quatre axes principaux, applicables tant aux grands qu’aux petits licenciements.

Premièrement, une analyse approfondie de la décision de gestion de l’employeur est requise. Cela implique l’examen de la motivation économique du plan, ce qui inclut une discussion et une analyse, éventuellement avec l’aide d’un expert-comptable mandaté par le CSE, des motivations, des prévisions, de la situation économique et financière, ainsi que de la réorganisation envisagée par l’employeur.

Deuxièmement, l’identification précise des emplois concernés est cruciale. Il s’agit de déterminer quels emplois seront touchés et en quelle quantité, en raisonnant par catégorie professionnelle, notion juridique spécifique. Cette approche permet de vérifier le lien de causalité entre la motivation économique et la nature des emplois supprimés, ainsi que d’évaluer l’organisation cible post-restructuration, notamment en termes de viabilité et d’impact sur les conditions de travail et la santé-sécurité des salariés restants.

Troisièmement, les règles déterminant les modalités de sélection des salariés concernés, communément appelées « ordre des licenciements », sont essentielles. Ces règles, nombreuses et techniques, doivent traduire le principe selon lequel le licenciement économique n’est pas inhérent à la personne du salarié. Elles couvrent des aspects tels que le périmètre d’application, les critères de sélection et leur objectivité, afin d’aboutir à une identification impartiale des salariés concernés.

Enfin, le quatrième axe concerne les mesures alternatives au licenciement ou, à défaut, au chômage. Il s’agit du PSE pour les licenciements de plus de dix salariés et du plan d’accompagnement pour les licenciements de plus petite envergure. Ces mesures doivent être élaborées, discutées, mises en œuvre et leur exécution contrôlée, idéalement par une commission paritaire composée de représentants du personnel et de la direction.

S’agissant des évolutions souhaitables du droit du travail pour améliorer la qualité des négociations collectives, notamment dans l’élaboration et la mise en œuvre des PSE, je formulerai plusieurs recommandations détaillées dans une note que j’adresserai à votre commission. Cependant, je peux d’ores et déjà évoquer quelques axes principaux.

Il convient d’abord de déjouer les fraudes massives au licenciement collectif orchestrées par certains employeurs, que ce soit par le biais de ruptures conventionnelles individuelles ou par le détournement d’outils existants dans le code du travail, qui permettent de supprimer des emplois sans offrir aux salariés et aux représentants du personnel les garanties formelles prévues par le droit du licenciement collectif.

Ensuite, il faut sécuriser davantage les procédures de licenciement collectif et le parcours professionnel des salariés. Cela pourrait se faire notamment en instaurant des règles d’ordre public auxquelles les accords portant sur les PSE ne pourraient déroger.

Il convient aussi d’élargir le domaine de compétences de l’administration du travail dans le contrôle des PSE.

Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer le dispositif de recherche de repreneurs, issu de la « loi Florange » de 2014, en améliorant l’effectivité de ces dispositions, actuellement difficile à mettre en œuvre.

Enfin, il faut renforcer les moyens de communication des représentants du personnel et des syndicats au sein de l’entreprise, en s’appuyant sur les outils numériques.

Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS. Je tiens à préciser le contexte de mon intervention. J’exerce au sein du cabinet JDS, spécialisé dans la défense des CSE, des organisations syndicales, des salariés et des agents publics. Avocate depuis quinze ans et spécialisée en droit du travail, je souhaite aborder trois points essentiels ce matin.

Premièrement, il est crucial de comprendre que la notion de « plan de licenciement » ne couvre pas l’intégralité des suppressions d’emplois en France. La suppression d’emplois, définie comme l’élimination définitive d’un poste sans remplacement, peut survenir sans motif économique, notamment par l’intermédiaire d’une rupture conventionnelle ou d’un départ naturel non remplacé. Dans ces cas, les suppressions d’emplois ne donnent pas lieu à des plans de licenciements formels.

Dans le cadre des suppressions d’emplois pour motif économique, deux scénarios se présentent : soit le projet concerne dix salariés ou plus, ce qui nécessite la mise en place d’un PSE, soit il concerne moins de dix salariés, auquel cas aucun PSE n’est requis. Ces « petits » licenciements collectifs constituent un angle mort du régime des licenciements économiques : ils se caractérisent par des délais d’information et de consultation du CSE très courts, l’absence d’expertise économique et financière, de contrôle administratif et généralement de négociations avec les organisations syndicales.

Deuxièmement, il faut comprendre que les PSE, bien que symboliquement chargés, ne sont pas juridiquement les plus défavorables pour les représentants du personnel et pour les droits des salariés. Le CSE et les organisations syndicales bénéficient de l’expertise économique, financière, ainsi qu’en matière de santé, sécurité et conditions de travail, la plus importante qui soit dans le code du travail. Elle apporte un éclairage essentiel à la compréhension des représentants du personnel. Pour les salariés, les indemnités de rupture sont généralement supérieures à celles obtenues à l’occasion d’un licenciement classique et sont accompagnées de dispositifs d’aide au retour à l’emploi incluant des incitations financières et un accompagnement par des cabinets de reclassement. L’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) est également plus avantageuse en cas d’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

Cependant, ce dispositif n’est pas suffisant. Il offre certes les garanties les plus larges, notamment pour les représentants du personnel, mais cela ne change rien au fait que les prérogatives de ces derniers se réduisent depuis plusieurs années. L’augmentation du champ de la négociation collective sans renforcement des moyens des représentants du personnel pose un défi considérable.

Sur le dispositif actuel des plans de licenciement, plusieurs observations s’imposent. Il convient de rappeler que la décision de licencier appartient exclusivement à l’employeur, les organisations syndicales n’étant invitées qu’à négocier les conséquences de cette décision. Il est important de le rappeler, car un flou peut parfois être entretenu sur ce point pour « mouiller » les organisations syndicales, pacifier les relations sociales et fabriquer le consentement des salariés.

Notre expérience au sein du cabinet révèle une forte pression de la Drieets en vue de la signature d’accords collectifs sur les plans de licenciement. Cette pression vise à alléger son contrôle et, potentiellement, à atteindre des objectifs internes. La présentation d’un projet de suppression d’emplois prétendument approuvé par les syndicats sert de fétiche.

La Drieets joue désormais un rôle de conseil auprès des employeurs pour faciliter l’obtention de la validation ou de l’homologation du PSE. Cette nouvelle mission explique pourquoi un plan de licenciement validé ou homologué ne signifie pas nécessairement une défaillance des pouvoirs publics.

Enfin, il faut souligner que la cause économique du licenciement n’entre pas dans le contrôle de la Drieets. Les organisations syndicales et la Drieets participent donc à l’élaboration d’un éventuel accord collectif entourant une décision de licenciement potentiellement illicite, le contrôle de la licéité de cette décision n’intervenant qu’a posteriori.

Mon troisième et dernier point touche au motif économique du licenciement. La définition dudit motif a été assouplie par la loi et la jurisprudence, au point qu’il est difficile de cerner quelle situation économique pourrait ne pas justifier un licenciement pour motif économique de la part de l’entreprise. Toute notion de contraintes extérieures et de difficultés structurelles, et non pas simplement conjoncturelles, semble abandonnée alors qu’elle existait jadis.

Je vous livre un exemple. Aux termes de la loi, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité est de nature à constituer une cause économique pouvant justifier un licenciement. Tout d’abord, la notion de compétitivité ne repose sur aucun critère comptable ou financier clairement défini, les experts-comptables mesurant plutôt la performance économique en termes de profitabilité ou de rentabilité. Ensuite, pour tenter de donner une certaine consistance à la notion, les praticiens ont tenté de considérer qu’il appartenait à l’entreprise qui voulait licencier de se comparer à ses concurrents pour justifier une perte de compétitivité, notamment en démontrant une perte de parts de marché. Cette position, qui apparaît tout à fait logique, a récemment fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle défavorable.

La jurisprudence récente a encore complexifié la situation. En 2022, la Cour de cassation a jugé que la notion de compétitivité ne nécessite pas, de la part de l’entreprise, d’apporter d’éléments de preuve au sujet de la situation de ses concurrents. En 2024, le Conseil d’État a estimé que la compétitivité de l’entreprise peut être menacée et justifier des licenciements dans une association à but non lucratif. Cette absence de définition stricte de la cause économique favorise des décisions arbitraires de restructurations opportunistes plutôt qu’économiquement nécessaires.

Les dernières réformes visent clairement à faciliter et à sécuriser les licenciements. Les salariés qui contesteraient leur licenciement pour motif économique seront confrontés au barème des indemnités prud’homales, qui permet à l’employeur de prévoir le coût d’une violation de la règle de droit. De plus, les indemnités perçues lors du plan de licenciement peuvent être prises en compte pour réduire les indemnités allouées par le conseil de prud’hommes en cas de licenciement illégal, bien que ces deux éléments soient sans rapport. Ces mesures, issues des ordonnances du 22 septembre 2017, visent manifestement à dissuader les recours des salariés en contestation de leur licenciement pour motif économique.

Face à ces observations, la question se pose : s’agit-il d’une défaillance due à une sous‑estimation des conséquences de ces choix politiques ou d’une volonté délibérée ? Je vous laisse juger et vous remercie de votre attention.

Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance. Je souhaite partager notre expérience au sein du cabinet Actance pour éclairer le débat sur les PSE. Notre rôle principal consiste à aider les entreprises à identifier l’outil le plus adapté à leur projet de réorganisation, qu’il s’agisse d’une rupture conventionnelle collective, d’un PSE ou d’un accord de performance collective.

La construction d’un PSE nécessite un travail préparatoire conséquent, articulé autour de trois documents essentiels. Le premier, communément appelé « livre 2 », expose le motif économique de la restructuration et décrit l’organisation cible. Il détaille le fonctionnement actuel et futur de l’entreprise, ainsi que les suppressions de postes envisagées. Ce document est crucial pour justifier les difficultés économiques ou le besoin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

L’évolution législative a permis de clarifier la définition des difficultés économiques désormais inscrite dans le code du travail. En revanche, la notion de sauvegarde de la compétitivité reste une construction jurisprudentielle. Nous devons donc produire des documents démontrant la baisse de compétitivité de l’entreprise, par exemple à travers la diminution des marges, pour justifier la nécessité d’une restructuration préventive. Je précise que ce « livre 2 » ne fait pas l’objet d’une validation de la part de l’administration du travail. Ce n’est pas son rôle. Elle s’assure simplement qu’un motif économique a été présenté et discuté avec les représentants du personnel.

Le deuxième document, le « livre 1 », définit les catégories professionnelles, les critères d’ordre des licenciements et détaille le PSE. La notion de catégories professionnelles, bien que centrale dans l’application des PSE, n’est pas définie par le code du travail. Cette notion engendre souvent des débats complexes entre la direction et les représentants du personnel. Notre approche vise à établir des catégories qui permettent une réorganisation opérationnelle efficace tout en préservant les compétences nécessaires au fonctionnement futur de l’entreprise.

Le plan de sauvegarde de l’emploi proprement dit constitue une partie essentielle du « livre 1 ». Nous accordons une attention particulière au congé de reclassement, financé par l’entreprise, qui permet aux salariés de se consacrer pleinement à leur recherche d’emploi tout en bénéficiant d’un accompagnement personnalisé. Ce congé peut durer jusqu’à douze mois, voire vingt-quatre mois dans le cas de formations de reconversion longues.

Notre objectif est d’optimiser la qualité des mesures d’accompagnement. Nous mettons en place des cellules d’accompagnement et des antennes emploi pour orienter, informer et rassurer les salariés le plus en amont possible sur leurs perspectives de réemploi dans leur région.

Le troisième volet, le « livre 4 », traite des aspects de santé et sécurité. Nous identifions les risques liés à la réorganisation, mettons à jour le document unique d’évaluation des risques professionnels et déployons des moyens d’accompagnement, notamment pour prévenir les risques psychosociaux. Dans la quasi-totalité des cas, l’entreprise met en place des cellules d’accompagnement psychologique pour soutenir les salariés durant cette période difficile.

Ce travail préparatoire approfondi est mené en amont, puis partagé et discuté avec le CSE et les syndicats tout au long de la procédure d’information-consultation.

Nous sommes ouverts à l’amélioration des mesures proposées, à l’engagement d’une nouvelle discussion sur certains aspects du projet et à l’apport de compléments d’information sur la motivation économique, notamment grâce à l’intervention de l’expert mandaté par le CSE.

Dans mon expérience, le CSE est systématiquement accompagné d’un expert dans tous les PSE et procédures de licenciement collectif. Cette assistance permet de rééquilibrer en partie la disparité de moyens entre l’entreprise et les représentants du personnel. L’expert, choisi par le CSE mais financé par l’entreprise, possède des compétences étendues et intervient sur les aspects comptables, la qualité du PSE et les risques psychosociaux. Sa mission, extrêmement large, contribue à établir un certain équilibre dans la procédure.

Il faut comprendre la structuration de ces dossiers. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’administration, non pas pour l’influencer indûment, mais pour appréhender ses attentes et bénéficier de son expertise. Nous sommes également à l’écoute des CSE et des syndicats lors de la négociation du « livre 1 ». La non-négociation du « livre 2 » s’explique logiquement par le fait que l’entreprise assume seule les risques, y compris judiciaires.

L’entreprise poursuit deux objectifs majeurs dans ces opérations de réorganisation : traiter de la meilleure manière possible les personnes qui vont partir et préserver l’engagement des salariés qui restent. Il est primordial que ces derniers conservent leur motivation à travailler pour l’entreprise, ce qui implique que celle-ci démontre sa capacité à gérer ce type de projets avec compétence et humanité.

Les PSE comportent des éléments positifs, notamment en termes d’accompagnement vers le réemploi. Contrairement aux ruptures conventionnelles individuelles, qui occasionnent chaque année davantage de pertes d’emploi en France, les PSE offrent des mesures plus protectrices pour les salariés en matière de réinsertion professionnelle. Il est important de noter que les ruptures conventionnelles individuelles sont souvent initiées par les salariés eux-mêmes, pour diverses raisons personnelles ou professionnelles.

En conclusion, les entreprises s’efforcent d’établir des plans sérieux et équilibrés, visant à accompagner au mieux les salariés qui partent tout en préservant les intérêts de ceux qui restent.

Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy-Grangé. Je souhaite apporter une perspective historique et juridique sur la question des plans sociaux, sujet de débat depuis plus de trente ans.

Le licenciement économique a toujours été possible en France. Les conditions de sa mise en œuvre ont fait l’objet de nombreux débats, notamment tranchés par le Conseil constitutionnel. En 2002, une tentative législative consistant à autoriser les licenciements économiques dans les seules situations où des difficultés économiques auraient été avérées a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui y a vu une atteinte à la liberté d’entreprendre.

Depuis lors, le motif économique est principalement encadré par la jurisprudence. La notion de sauvegarde de la compétitivité, moins tangible que la notion de difficultés économiques, a été précisée par la jurisprudence. Est désormais exigée la démonstration de menaces sérieuses pesant non seulement sur l’entreprise, mais sur l’ensemble du secteur d’activité du groupe. Cependant, la définition précise du périmètre du secteur d’activité reste parfois sujette à interprétation.

Le législateur a tenté de clarifier ces points dans les « ordonnances Macron », mais la jurisprudence conserve une certaine latitude d’appréciation, ce qui maintient une part d’incertitude juridique.

La procédure de consultation constituait auparavant une source majeure de difficultés. La jurisprudence avait rendu cette étape particulièrement incertaine en exigeant que le CSE dispose d’informations suffisamment précises et d’un temps d’examen suffisant, sans définir clairement ces notions. Cela conduisait fréquemment à des contestations en fin de procédure, émises par le CSE.

Au début des années 2000, il a été décidé qu’aucun licenciement ne pourrait être prononcé en l’absence de l’établissement d’un plan social. Le juge pouvait, a posteriori, remettre en cause l’ensemble de la procédure s’il estimait que les mesures de reclassement étaient insuffisantes. Cette situation créait une incertitude majeure, puisqu’après plusieurs mois de procédure, tout pouvait être annulé, ce qui était inacceptable pour l’ensemble des acteurs concernés. La réforme de 2013 a été mise en place pour sécuriser la procédure.

En tant qu’auxiliaire de justice, je regrette que nous n’ayons pas réussi, avocats de syndicats comme d’employeurs, à établir un processus judiciaire progressif et apaisé. Face à cette situation, le législateur a décidé de distinguer certaines obligations de fond, telles que le motif économique et l’application des critères d’ordre des licenciements, tout en confiant à l’administration le contrôle de la procédure de consultation du CSE et du contenu du PSE.

Les plans sociaux sont intrinsèquement traumatisants. Leur objectif n’est pas de détruire les entreprises, qui sont généralement déjà en difficulté économique lorsqu’elles y ont recours. En effet, aucun chef d’entreprise ne supprime des postes par plaisir. Sa vocation est de développer l’emploi et de nouvelles activités, pas de réduire la voilure. Ces décisions sont prises dans des situations délicates et il serait contre-productif d’imposer des contraintes incertaines qui risqueraient de fragiliser davantage l’entreprise.

À la suite des réformes de 2013, 2016 et 2017, le nombre de plans sociaux a été limité et le taux d’emploi a progressé. Cette réalité mérite d’être soulignée.

Le nouveau mode de contrôle progressif mis en place implique l’intervention de l’administration. Cette procédure administrative fonctionne efficacement. Certaines Dreets, notamment celle d’Île-de-France, envoient une lettre circulaire dès la notification d’un projet de plan social, qui détaille les démarches à effectuer par les entreprises. Ce processus est complexe mais scrupuleusement respecté par celles-ci.

Nous entretenons des échanges professionnels avec l’administration, notamment au sujet d’exigences que je juge parfois excessives. Il est primordial de garder à l’esprit que l’objectif d’un plan social n’est pas de mettre l’entreprise en péril.

Les évolutions législatives des trente dernières années ont principalement visé à simplifier et rationaliser le processus. Par exemple, l’obligation de reclassement interne a été restreinte pour ne plus inclure systématiquement tous les postes à l’étranger, notamment dans des pays lointains où les salariés français n’avaient aucune intention de s’expatrier. De même, l’analyse du motif économique a été limitée au secteur d’activité à l’échelle nationale, afin de reconnaître qu’une bonne santé économique du groupe à l’étranger ne justifie pas l’inaction face à des difficultés en France.

L’application des critères d’ordre des licenciements a également été simplifiée. Désormais, ces critères s’appliquent au niveau de la zone d’emploi plutôt qu’à l’échelle nationale, ce qui permet de prendre en compte la faible mobilité géographique des salariés.

Le passage au contrôle administratif présente des avantages certains. L’administration fournit des observations détaillées sur les dossiers et indique les points satisfaisants et ceux nécessitant des améliorations. Les entreprises sont fortement incitées à prendre en compte ces remarques pour obtenir la validation ou l’homologation du plan, ce qui explique le faible taux d’invalidation.

Quant à l’incitation à signer des accords, je ne pense pas qu’il y ait d’objectifs fixés au sein de l’administration. Les organisations syndicales signent généralement les accords car elles parviennent souvent à obtenir des améliorations, notamment en termes d’indemnités. C’est simplement dans leur intérêt de le faire lorsque l’employeur a respecté ses obligations.

M. le président Denis Masséglia. Je souhaite partager mon opinion au sujet du débat relatif à l’invalidation des plans. L’invalidation d’un plan est préjudiciable à la fois pour les salariés et pour les entreprises. Pour les salariés, elle prolonge une période d’incertitude quant à leur avenir professionnel. Pour les entreprises, elle impose de reprendre le dossier à zéro, souvent dans un contexte de difficultés économiques.

Je m’interroge sur la possibilité d’une évolution de la « loi Florange », qualifiée par certains de coquille vide. Actuellement, cette loi oblige les entreprises mettant en place un PSE à chercher un repreneur dans un domaine d’activité proche ou identique. Or, la fermeture d’un site intervient généralement lorsque l’activité est difficilement transférable. Ne faut-il pas envisager une modification de la loi pour permettre le déploiement sur le site d’activités différentes mais de nature industrielle ?

Il s’agirait d’élargir le spectre des repreneurs potentiels, mais de manière encadrée, afin d’éviter que des aménageurs ou des entreprises de logistique ne s’emparent simplement des terrains libérés. L’objectif serait de favoriser le remplacement d’une activité industrielle par une autre, même si elle diffère de l’activité initiale. Je sollicite vos réactions sur cette proposition.

Me Laurent Beziz. Votre question, monsieur le président, soulève un point crucial à propos de la « loi Florange ». Je considère que le dispositif actuel n’est pas efficace, et ce pour trois raisons principales.

D’abord, le délai accordé pour la recherche d’un repreneur est manifestement insuffisant. Tous les acteurs impliqués dans les plans sociaux – l’administration, les cabinets spécialisés, les représentants du personnel et les employeurs – s’accordent sur ce point. Une véritable recherche nécessiterait un temps bien plus long que celui actuellement imparti. Je préconise une suspension de la procédure de licenciement collectif le temps nécessaire à une recherche approfondie de repreneurs.

Ensuite, le dispositif ne s’applique qu’aux entreprises ou groupes d’au moins mille salariés, ce qui crée un angle mort considérable.

Enfin, j’ai récemment été confronté à une situation où un employeur, bien que légalement tenu de rechercher un repreneur, s’y opposait. Son objection n’était pas d’ordre juridique mais traduisait sa crainte de voir un concurrent reprendre le site et gagner des parts de marché. Cet argument n’est pas recevable car l’obligation de rechercher un repreneur ne signifie pas qu’il existe une obligation d’accepter une offre de reprise. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs clarifié ce point : l’employeur conserve toujours la liberté d’accepter ou non une telle offre.

Il est donc nécessaire de renforcer cette obligation pour la rendre plus efficace et effective, tout en rassurant les employeurs sur leur liberté de choix final. Cela permettrait de dissiper les craintes infondées sur l’arrivée potentielle d’un concurrent sur le marché.

Me Éliane Chateauvieux. Pour compléter, il est important de noter que la recherche d’un repreneur concerne exclusivement les situations de fermeture d’établissement. Bien que cette recherche soit effectivement contrainte par les délais de la procédure, les entreprises anticipent généralement cette démarche bien en amont dans la pratique. Cette anticipation n’est pas toujours visible pour le CSE, mais il est dans l’intérêt de l’entreprise de privilégier une solution de cession, de location-gérance ou de transfert d’activité plutôt que de mettre en place un PSE.

Lorsqu’une recherche de repreneurs est nécessaire, l’entreprise ne travaille pas seule. Elle fait appel à des cabinets spécialisés qui connaissent parfaitement les bassins d’emploi et les activités industrielles potentielles. Des moyens importants sont déployés pour mener une recherche sérieuse et approfondie.

Si une perspective de reprise se dessine, il est courant d’aménager les calendriers d’information-consultation du CSE pour permettre l’étude approfondie de la solution.

Cette approche a considérablement évolué ces dernières années. Auparavant traitée de manière superficielle, la recherche d’un repreneur est désormais menée avec sérieux, notamment en raison des enjeux locaux et de l’implication des acteurs publics tels que les maires et les préfets. Les entreprises ne cherchent plus simplement à remplir une obligation formelle, mais s’engagent réellement dans cette démarche.

Me Joël Grangé. Je rejoins largement les propos qui viennent d’être tenus. Il est fréquent que la procédure de consultation se poursuive au-delà de la clôture du plan social pour tenter de trouver un repreneur, que ce soit dans la même activité ou dans une autre.

Cependant, force est de constater que l’efficacité réelle de ce dispositif reste limitée. Le nombre de reprises effectives dans le cadre de la « loi Florange » est très faible, bien que je ne dispose pas de statistiques précises. Cette situation s’explique par le contexte dans lequel ces recherches interviennent. Généralement, l’entreprise fait face à des difficultés économiques ou à des menaces sur son activité. Elle a souvent encore besoin de ses clients et de son outil de production qu’elle envisage de transférer ailleurs. Par conséquent, les possibilités de trouver un repreneur prêt à reprendre l’activité telle quelle sont rares.

Néanmoins, les entreprises et les groupes que j’accompagne s’efforcent toujours de trouver une nouvelle activité pour le site, que ce soit pendant la procédure de licenciement ou après, dans le but de minimiser les conséquences des licenciements.

Me Bénédicte Rollin. Je souhaite appeler votre attention sur un dispositif proche de celui que nous évoquons : l’obligation de revitalisation des territoires. Cette mesure vise à promouvoir l’émergence de nouvelles activités et la création d’emplois en remplacement de ceux qui sont supprimés à l’occasion des licenciements économiques. D’après mes échanges avec des experts-comptables travaillant sur ces questions, ce dispositif mériterait d’être enrichi, notamment à travers une implication plus forte des pouvoirs publics. Le délai de la procédure actuelle est souvent trop court pour que l’obligation légale soit efficacement mise en œuvre. Malheureusement, le dispositif est parfois perçu comme une simple taxe, l’employeur étant tenu de payer une certaine somme s’il ne remplit pas son obligation. Il est regrettable que cette mesure soit réduite à une incitation financière. Nous devrions repenser la revitalisation du territoire dans le cadre de ces licenciements pour en faire un véritable outil de développement économique local.

M. le président Denis Masséglia. Je vous remercie pour cette observation pertinente. En effet, la revitalisation d’un territoire s’étend généralement sur plusieurs années, alors qu’un plan de sauvegarde de l’emploi ne dure que quelques mois. Il serait judicieux d’envisager des modifications législatives pour garantir un engagement à long terme des employeurs, même après la fin du plan. Bien que ces entreprises ne soient pas nécessairement en difficulté financière lorsqu’elles mettent en place un PSE, il semble opportun d’explorer des évolutions dans ce domaine.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Permettez-moi de formuler quelques observations avant de vous inviter à approfondir certains points de vos analyses.

Premièrement, je note, en lien avec nos auditions précédentes, que l’administration n’a aucune connaissance des aides publiques reçues par les entreprises. Ce constat soulève des interrogations importantes.

Deuxièmement, je tiens à rassurer Me Grangé. Notre commission d’enquête ne s’intéresse pas au plaisir éventuel que pourraient prendre des chefs d’entreprise lorsqu’ils licencient. Nous constatons cependant l’existence de licenciements répondant à des logiques boursières ou d’augmentation des profits. Notre préoccupation porte sur l’appréciation du motif économique justifiant les licenciements et sur les moyens d’améliorer la situation.

J’aimerais maintenant vous inviter à développer vos analyses sur plusieurs points.

Me Beziz a évoqué la construction d’alternatives et la capacité d’anticipation des salariés et de leurs représentants face à un plan social. Comment pourrions-nous renforcer leur capacité à élaborer des solutions crédibles, notamment en termes de temporalité ?

Vous avez mentionné la question de la loyauté et du déséquilibre. Quelles sont vos propositions pour rétablir un meilleur équilibre entre les parties ?

Enfin, quelles mesures pourrions-nous envisager pour alléger la pression considérable qui pèse sur les représentants du personnel ?

Me Laurent Beziz. En ce qui concerne l’anticipation et l’élaboration de mesures alternatives par les représentants du personnel, des progrès significatifs ont été réalisés ces trente dernières années. Aujourd’hui, lorsqu’ils bénéficient d’une assistance juridique et économique adéquate, les représentants du personnel conçoivent fréquemment des propositions alternatives portant sur divers aspects, y compris l’ampleur du plan, son périmètre et la nature des emplois supprimés.

Contrairement à ce qui a été avancé précédemment, le « livre 2 », qui présente la réorganisation et ses conséquences, est bel et bien un champ de négociation. Il est crucial que les discussions ne se limitent pas aux seules mesures d’accompagnement.

Pour améliorer l’anticipation et l’élaboration de mesures crédibles, différentes pistes pourraient être empruntées. Je pense qu’il serait souhaitable que la Dreets ait compétence sur la motivation économique du licenciement et sur la réorganisation elle-même et qu’à partir de ce champ de compétences puissent être construites, avec les représentants du personnel, des mesures crédibles, alternatives au projet de l’employeur. Il faudrait également aménager la procédure de licenciement collectif pour accorder plus de temps à l’étude des projets alternatifs présentés par les représentants du personnel et leurs experts. Renforcer l’obligation légale consistant pour l’employeur à fournir une réponse motivée aux observations du CSE pourrait aussi être envisagé, en s’assurant que les représentants du personnel disposent des moyens nécessaires pour élaborer des propositions étayées. Enfin, il serait pertinent d’impliquer davantage l’administration dans le débat économique de fond.

En réponse à votre question sur la pression subie par les représentants du personnel, je recommande que les Dreets intègrent cette problématique dans leur approche des procédures relatives aux PSE. Il est nécessaire que l’administration prenne l’initiative de contacter les représentants du personnel et qu’elle fasse en sorte que ses agents soient plus visibles et plus accessibles. Il s’agit aussi de mettre en place un accompagnement des représentants du personnel aussi soutenu que celui qui est offert aux directions d’entreprise et d’organiser des rencontres en amont de la procédure, à l’instar de ce qui se fait avec les directions d’entreprise.

Ces mesures permettraient aux représentants du personnel de mieux assumer leurs missions légales, tout en préservant leur santé face à la pression inhérente à ces situations complexes.

Me Joël Grangé. Je considère qu’il existe deux problématiques distinctes : l’éventualité d’un contrôle par l’administration du motif économique invoqué par l’employeur d’une part, l’éventualité d’un contrôle du nombre de postes à supprimer d’autre part. À mon sens, la démarche franchirait une ligne rouge et serait immédiatement censurée par le Conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté d’entreprendre. En effet, c’est l’entreprise qui assume le risque et qui doit, par conséquent, déterminer le nombre d’emplois à supprimer.

La législation actuelle prévoit déjà la possibilité d’un débat et d’échanges avec les représentants du personnel, ce qui est tout à fait légitime. L’administration contrôle la régularité de la procédure et dispose du pouvoir de constater son irrégularité si l’employeur n’échange pas sur les éventuelles solutions alternatives présentées par les représentants du personnel.

En revanche, accroître le contrôle de l’administration au-delà de la régularité de la procédure, en l’étendant aux mesures du plan de sauvegarde de l’emploi, au motif économique ou au nombre de suppressions d’emplois, constituerait à mon avis un franchissement de cette ligne rouge. Je me réfère ici au considérant 49 de la décision du Conseil du 12 janvier 2002, qui démontre clairement qu’il n’est pas envisageable de confier un tel contrôle à l’administration.

L’autorisation administrative de licenciement a été la règle par le passé mais elle a été abandonnée en 1986, bien avant que je ne prête serment.

Mme Nadia Gssime. Sur le contrôle par l’administration du motif économique et des projets alternatifs, il y a en effet un obstacle constitutionnel. D’un point de vue pratique, je tiens à souligner que ce n’est pas le rôle de l’administration d’étudier ou d’intervenir dans la gestion économique de l’entreprise. Un agent administratif n’a pas les compétences pour évaluer la pertinence des projets. Bien que l’on puisse envisager une formation, cela me semble particulièrement complexe de faire intervenir l’administration sur ces questions.

Quant à l’accompagnement du CSE par l’administration, son efficacité varie selon les territoires. Dans certaines régions, cela se fait aisément, tandis que dans d’autres, des contraintes d’effectifs ou de surcharge de travail peuvent rendre l’administration moins accessible. Néanmoins, le CSE et les délégués syndicaux disposent des coordonnées de l’administration. Si tel n’est pas le cas, il y a une défaillance, car le premier contact entre l’administration et l’employeur consiste à demander la transmission de ces coordonnées aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux.

Il n’y a pas nécessairement besoin d’un dispositif parallèle pour renforcer le rôle de l’administration. Il suffirait de lui demander d’organiser au moins une réunion d’ouverture dans toutes les procédures, à charge pour elle de s’organiser en interne pour y parvenir. Je tiens à souligner que les agents administratifs sont particulièrement sensibilisés au fait que les représentants du personnel et les délégués syndicaux n’ont généralement pas de formation juridique. Il existe une réelle volonté de l’administration d’accompagner au plus près les représentants du personnel, même si cela n’est malheureusement pas toujours réalisable.

Me Bénédicte Rollin. Je souhaite appeler l’attention sur le problème d’accès à l’information pour les représentants du personnel dans l’élaboration des solutions alternatives. Certes, ils ont accès à un expert-comptable avec un large champ de mission. Cependant, le temps de consultation est tellement restreint que les négociations sont souvent très avancées quand les informations sont transmises à l’expert-comptable. On peut apprécier que le délai soit défini, mais il est si court qu’il ne permet pas réellement l’élaboration de solutions alternatives.

Les modifications du contrat de travail ne sont pas soumises au contrôle de la Dreets. Or, cela a également un impact sur l’emploi. Nous sommes parfois confrontés à des situations dans lesquelles les représentants du personnel, forts de leur connaissance des métiers, nous signalent que le projet comporte plus de modifications d’emplois que ce qui a été annoncé. Nous n’avons aucun moyen de saisir cette erreur dans le projet, hormis par la négociation. La Dreets pourrait intervenir pour identifier les modifications du contrat de travail et exiger leur présentation aux représentants du personnel.

Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit que la majorité des CSE n’est pas dominée par des organisations syndicales. Par conséquent, la connaissance du cadre de la procédure y est quasiment nulle.

Pour favoriser la loyauté, je suggère de rendre obligatoire la conclusion d’un accord de méthode, ce qui est actuellement facultatif. Cet accord pourrait prévoir davantage de moyens financiers, de formation, de temps et éventuellement la présence des suppléants en réunion pour augmenter le nombre de représentants du personnel capables de répondre aux nombreuses questions des salariés. Il faudrait également moderniser les moyens de communication des représentants du personnel, actuellement archaïques, surtout à l’ère du télétravail et des entreprises multi-sites.

Il est important de noter, enfin, que les intérêts des salariés qui restent diffèrent de ceux des salariés qui partent. Si une procédure courte peut apporter plus de sécurité et de prévisibilité pour ceux appelés à partir, une procédure plus longue permet, pour ceux qui restent, d’analyser l’impact du projet de réorganisation, notamment sur la charge de travail qui va souvent augmenter. Ce temps permet aux experts d’évaluer cette charge et de formuler des propositions alternatives. Il faut reconnaître que les représentants du personnel possèdent une véritable connaissance du terrain et des métiers, ce qui leur permet de modifier parfois les projets de réorganisation en expliquant aux employeurs les raisons prévisibles de leur échec, compte tenu du nombre de suppressions d’emplois prévues.

Me Éliane Chateauvieux. Je souhaite apporter quelques précisions. L’administration du travail entretient des échanges fréquents avec les représentants du personnel. En effet, la première version du « livre 1 » préparée par l’entreprise doit obligatoirement inclure les contacts de l’administration. Bien que ces contacts puissent évoluer, cette information est communiquée très en amont, dès le déclenchement de la procédure. Grâce à Rupco, on est en mesure de fournir immédiatement les coordonnées de l’interlocuteur en charge du dossier. Ces informations sont systématiquement transmises aux membres du CSE et aux syndicats au début de la négociation.

L’expertise permet également d’aborder l’ensemble des sujets de manière approfondie. Lorsque j’ai dit que le « livre 2 » n’était pas soumis à la négociation collective, cela ne signifie nullement qu’il n’y aurait pas de discussions sur les propositions alternatives émanant du CSE, bien que celles-ci soient relativement rares. Il est plus fréquent que les débats portent, dans certains services, sur la réduction du nombre des suppressions d’emplois, notamment au regard des problématiques de charge de travail.

La question de la charge de travail fait l’objet d’une attention particulière et d’un contrôle rigoureux de la part de l’administration. Celle-ci s’assure qu’une étude approfondie de tous les impacts de la réorganisation sur la charge de travail des personnes restantes est menée. Bien qu’elle ne puisse vérifier concrètement l’exactitude des éléments fournis, faute de moyens, le travail d’identification des reports de charge est minutieusement documenté. Il est présenté au CSE, examiné par les experts et discuté au cours de la procédure. Ces aspects ne sont aucunement négligés, mais au contraire traités avec sérieux lors des procédures d’information et de consultation.

M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.

La séance s’achève à onze heures vingt.


Présences en réunion

Présents. – Mme Anchya Bamana, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia

Excusée.  Mme Anne-Cécile Violland