Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel 2
– Présences en réunion................................24
Mardi
2 avril 2025
Séance de 17 heures 15
Compte rendu n° 8
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à dix-sept heures vingt-cinq.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel : Mouvement des entreprises de France (Medef) – M. Patrick Martin, président, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe, responsable du pôle social, et Mme Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques ; Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – M. Amir Reza‑Tofighi, président, M. Didier Moinereau, président de la CPME 91, Mme Claire Richier, juriste spécialisée dans les affaires sociales, et M. Adrien Dufour, responsable des affaires publiques ; Union des entreprises de proximité (U2P) – M. Michel Picon, président, M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevons à présent les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, qu’il nous a semblé indispensable d’entendre au début du cycle d’auditions et dont l’éclairage sera précieux pour nos travaux, au même titre que celui des syndicats de salariés.
Je souhaite la bienvenue aux représentants des organisations qui témoigneront aujourd’hui devant nous :
– pour le Mouvement des entreprises de France (Medef) : M. Patrick Martin, président, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe, responsable du pôle social, et Mme Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques ;
– pour la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : M. Amir Reza‑Tofighi, président, M. Didier Moinereau, président de la CPME 91, Mme Claire Richier, juriste spécialisée dans les affaires sociales, et M. Adrien Dufour, responsable des affaires publiques ;
– pour l’Union des entreprises de proximité (U2P) : M. Michel Picon, président, M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Patrick Martin, Mme France Henry-Labordère, Mme Elizabeth Vital Durand, M. Amir Reza-Tofighi, M. Didier Moinereau, Mme Claire Richier, M. Adrien Dufour, M. Michel Picon, M. Pierre Burban et Mme Thérèse Note prêtent serment.)
M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France (Medef). Il est essentiel de commencer par examiner les causes des suppressions d’emplois. La corrélation est directe entre le nombre de défaillances d’entreprises et d’emplois supprimés ou convertis d’une part et la conjoncture économique d’autre part. L’efficacité des dispositifs actuels et leur perfectibilité ne peuvent être appréciées sans prendre en compte le niveau d’activité.
Actuellement, celle-ci se dégrade. Dès lors, le nombre de défaillances d’entreprises et de salariés concernés augmente mécaniquement. De plus, la taille des entreprises en procédure collective s’accroît. Les statistiques de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), gérée par les organisations patronales, font état d’une augmentation de 17 % du nombre de défaillances en 2024 et de 23 % des effectifs concernés. Ce régime, qui est intégralement financé par les employeurs, s’en trouve affecté.
Ces tendances risquent de s’amplifier en 2025, compte tenu du niveau d’activité dans la quasi-totalité des secteurs, sans même évoquer les annonces américaines. Cette situation se traduit par une réduction très préoccupante du niveau d’investissement des entreprises.
Le Medef déploie des efforts considérables pour sensibiliser les chefs d’entreprise sur les dispositifs de prévention des difficultés et d’accompagnement des salariés. Des progrès notables ont été réalisés ces dernières années, mais il reste du chemin à parcourir. Notre objectif est qu’ils anticipent et préviennent les difficultés, notamment sur le plan social, en prenant des mesures opportunes pour accompagner les suppressions de postes lorsqu’elles sont inévitables.
Le Medef porte une appréciation positive sur les dispositifs en vigueur. Le panel des outils s’est étoffé au fil des années. Pour les avoir moi-même utilisés en tant que chef d’entreprise, je peux attester de leur utilité. Ils permettent de gérer des situations délicates, dont les chefs d’entreprise se passeraient volontiers, de manière plus efficace qu’auparavant aux plans humain, social et financier.
M. Amir Reza-Tofighi, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer au nom des petites et moyennes entreprises, structures patrimoniales présentes sur tous les territoires, actuellement victimes d’un contexte économique difficile.
Comme l’a souligné Patrick Martin, la France fait face à un nombre record de défaillances d’entreprises. Cela se traduit par des pertes d’emplois qui touchent les salariés mais aussi, et on l’oublie souvent, les chefs d’entreprise, qui voient disparaître non seulement leur société, mais parfois l’intégralité de leur patrimoine.
Les petites et moyennes entreprises (PME) sont moins concernées que d’autres par les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) mais elles subissent indirectement leurs conséquences, soit parce qu’elles sont des entreprises sous-traitantes, soit parce qu’elles se trouvent dans un bassin d’emploi sinistré.
Je veux souligner que la politique de l’offre a montré son efficacité ces dernières années, comme en témoignent l’augmentation du taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) et la baisse du chômage. Cela étant dit, pour analyser la situation actuelle, il faut tenir compte des différentes crises que le pays a traversées : l’épidémie de covid‑19, l’inflation, la guerre en Ukraine et surtout l’instabilité politique. Cette dernière est particulièrement dommageable. Elle mine la confiance des chefs d’entreprise et freine l’investissement. Une entreprise qui n’investit pas, cela a une incidence sur les sous-traitants et cela perturbe la chaîne d’activités économiques.
Aujourd’hui, il y a un ralentissement global de l’activité, qui est la conséquence directe de l’instabilité politique que j’ai évoquée et des décisions parfois défavorables à l’économie que cette instabilité a engendrées. La hausse des prix de l’énergie et d’autres facteurs ont entraîné une augmentation significative des défaillances d’entreprises. La compétitivité des sociétés est sérieusement affectée. Cette situation est exacerbée par les tensions commerciales potentielles avec les États‑Unis.
La France détient le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé au sein de l’Union européenne, le coût du travail y est très élevé et sa dette atteint un niveau record. Ces indicateurs sont préoccupants.
La CPME est fortement impliquée dans les groupements de prévention agréés (GPA). C’est d’ailleurs pour cela que j’ai proposé à Didier Moinereau, président de la commission GPA, de m’accompagner. Les GPA jouent un rôle crucial dans l’accompagnement des dirigeants confrontés à des difficultés. Comme l’a souligné Patrick Martin, il est essentiel de sensibiliser les dirigeants sur la nécessité de solliciter de l’aide dès l’apparition des premiers signes de difficulté. C’est un enjeu majeur pour nos organisations et pour l’ensemble de l’économie. Les GPA, composés de dirigeants bénévoles, apportent leur soutien aux chefs d’entreprises en difficulté. Ils interviennent de façon préventive, avant qu’il ne soit trop tard.
La CPME encourage également les dirigeants à souscrire à une assurance particulière, la garantie sociale du chef d’entreprise (GSC), de sorte qu’ils bénéficient d’une aide économique en cas de disparition de leur entreprise.
La CPME considère que le débat sur la conditionnalité de l’octroi des aides publiques est potentiellement dangereux. Je tiens à rappeler que les dispositifs tels que le crédit d’impôt recherche (CIR) sont déjà conditionnés. Les allègements de charges visent à réduire le coût du travail. Introduire plus de conditionnalité créerait une incertitude préjudiciable aux entreprises et potentiellement néfaste pour l’économie.
Enfin, je rappelle que la simplification administrative reste un enjeu majeur pour nos entreprises. La CPME soutient activement le projet de loi de simplification de la vie économique actuellement en discussion à l’Assemblée nationale et notamment le dispositif du « test PME », malheureusement supprimé en commission et que nous souhaitons voir rétabli. Il est impératif de réduire la charge administrative pesant sur les chefs d’entreprise, particulièrement dans les très petites entreprises (TPE) et les PME, qui disposent de moins de ressources pour gérer ces questions. L’accumulation des contraintes au fil des années a considérablement réduit le temps que les dirigeants peuvent consacrer au développement de leur activité et à l’accompagnement de leurs salariés.
M. Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P). Je représente ici les très petites entreprises, un secteur comprenant plus de 3,3 millions d’entités caractérisées par un faible nombre de salariés. Bien que nous ne soyons pas directement concernés par les PSE, notre intérêt pour ce débat est réel.
L’année dernière, il y a eu 66 000 défaillances d’entreprises. Les statistiques révèlent que plus de 84 % de ces défaillances concernaient des entreprises de moins de onze salariés. Cela représente une perte d’environ 1 500 emplois chaque semaine dans ces petites structures, un phénomène peu évoqué par les médias. Or, il faut avoir à l’esprit que, lorsqu’une petite entreprise ferme, le chef d’entreprise perd non seulement son activité mais aussi souvent son patrimoine, les possibilités de rebond étant limitées.
Les petites entreprises, qui constituent 80 % du tissu entrepreneurial français, sont essentielles à la vitalité de nos territoires. Elles offrent des emplois de proximité, souvent qualifiés, et leur santé économique a un impact direct sur l’emploi local.
Les causes des difficultés qu’elles rencontrent sont multiples et structurelles : coût du travail élevé, consommation en berne, instabilité politique, hausse des coûts de l’énergie et des matières premières. Ces facteurs ont considérablement réduit les marges et asséché les trésoreries. Les petites structures, qui ne disposent pas de ressources importantes pour anticiper ces défis, sont particulièrement vulnérables. C’est pourquoi l’U2P encourage les entreprises à anticiper les difficultés et à les prévenir.
La crise du covid-19 a d’ailleurs exacerbé les difficultés. L’État a apporté son soutien, notamment par le biais de prêts garantis (PGE), mais cela n’a fait que repousser dans le temps l’apparition des difficultés dans certaines entreprises dont le modèle était déjà fragilisé.
Tous les secteurs sont touchés en 2024. L’artisanat, le bâtiment, la restauration – 8 000 établissements ont disparu cette année – sont particulièrement affectés par la hausse des coûts de l’énergie, des matières premières et du travail. Il est impératif de repenser le financement de notre protection sociale pour alléger la charge pesant sur le travail, sans pour autant remettre en cause notre modèle social.
Les six cents fermetures d’entreprises hebdomadaires, qui entraînent la perte de 1 500 emplois, sont extrêmement préjudiciables à notre économie nationale et locale. Je rappelle que les petites entreprises ont créé plus de 100 000 emplois entre 2008 et 2017, tandis que les grandes entreprises en supprimaient 240 000 dans le même temps, selon une étude de l’institut Terram. Il est donc essentiel de renforcer l’emploi dans les entreprises de proximité.
Je tiens à souligner la différence qui existe entre les aides aux entreprises et les dispositifs tels que les allègements de charges sociales ou le soutien à l’apprentissage. Ces derniers ne sont pas de simples aides, ce sont des investissements cruciaux pour l’insertion professionnelle des jeunes. Dans nos petites entreprises de l’artisanat et du commerce, 80 % des apprentis trouvent un emploi à l’issue de leur formation. L’apprentissage est un dispositif qu’il faut absolument préserver et renforcer. Or les dernières mesures dans ce domaine ont considérablement réduit les marges de manœuvre des entreprises. Et les perspectives sont très préoccupantes.
En collaboration avec le Medef et la CPME, l’U2P a élaboré des stratégies pour maintenir les seniors plus longtemps en activité. Force est de constater que le taux d’activité des seniors en France est moins élevé que chez nos voisins européens. Ces stratégies doivent toutefois impérativement intégrer la problématique de l’usure professionnelle. Dans certains secteurs, comme le bâtiment, il est évident que certains travailleurs ne pourront pas exercer jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite.
Paradoxalement, malgré les licenciements, de nombreux secteurs peinent à recruter. Ce phénomène touche notamment la restauration, et ce malgré les efforts déployés. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, parmi lesquels la volonté de concilier vie personnelle et vie professionnelle.
On observe une vague de création de micro-entreprises et d’auto-entrepreneurs. Leurs motivations sont multiples : s’affranchir d’une hiérarchie, mieux équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, choisir ses jours de travail et espérer gagner davantage d’argent – espoir qui, malheureusement, ne se concrétise pas toujours et même pas souvent. Lorsqu’ils perçoivent un revenu légèrement supérieur, c’est souvent au détriment de leur protection sociale, ce qui souligne une fois de plus que le coût de la protection sociale est devenu un sujet récurrent.
Le financement de la protection sociale fondé sur le travail pèse lourdement sur les entreprises qui ont besoin de main-d’œuvre. Si la situation d’un cabinet d’avocats diffère de celle d’un artisan du bâtiment, ces petites entreprises évoluent dans un environnement concurrentiel où le coût de la main-d’œuvre et les charges sociales représentent une part importante des dépenses.
Je souhaite appeler votre attention sur le fait que, bien que cela soit peu médiatisé, des milliers de personnes perdent leur emploi et se retrouvent en difficulté. Comme l’a dit Patrick Martin, nous avons développé avec France Travail des structures pour aider les petites entreprises à recruter et accompagner les plans de recrutement et de départ de nos salariés.
M. le président Denis Masséglia. Cette commission d’enquête porte sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Vous avez évoqué le coût du travail comme un enjeu majeur. Si nous parvenions à réduire ce coût, nous pourrions potentiellement diminuer le nombre de licenciements et, par conséquent, alléger la charge d’accompagnement des entreprises en difficulté.
Certains plaident pour la mise en place d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale, même si je ne suis pas certain que ce soit le terme le plus approprié. Actuellement, la protection sociale repose principalement sur les épaules des travailleurs, ce qui les place en grande difficulté. Dans une société qui devrait valoriser le travail, celui-ci devrait être la première source de création de capital personnel. Que pensez-vous de l’idée de transférer une partie de la charge portée par les travailleurs vers la consommation, ce qui pourrait également améliorer notre compétitivité à l’export ?
Par ailleurs, disposez-vous d’éléments concrets sur les défaillances liées à une simplification insuffisante, à un excès de normes et aux difficultés rencontrées par les entreprises ?
Enfin, certains réclament le conditionnement de l’octroi des aides publiques. Il est important de prendre en compte ces demandes, mais j’ai l’impression que ces aides sont corrélées à l’importance des charges pesant sur nos entreprises. Ne serait-il pas judicieux de réduire simultanément les aides et les impôts ? En effet, les impôts de production en France représentent 3,1 % du produit intérieur brut (PIB), contre 1,5 % en moyenne dans l’Union européenne et seulement 0,7 % en Allemagne. Une simplification globale, avec moins d’impôts et moins d’aides, pourrait-elle permettre de réduire le coût de fonctionnement de l’administration ?
M. Patrick Martin. L’AGS, régime d’accompagnement des salariés et des entreprises en difficulté, est intégralement financé par les entreprises, ce qui démontre qu’elles assument pleinement leurs responsabilités. En 2024, il a distribué 2,1 milliards d’euros et bénéficié à 256 000 salariés. En faisant preuve de responsabilité, bien que cette décision soit de notre seul ressort, nous avons augmenté le taux de cotisation de 0,15 % à 0,25 % des salaires, dès le premier salarié, quelle que soit la taille de l’entreprise. Cette hausse illustre notre capacité à prendre nos responsabilités face à une augmentation significative du nombre de défaillances d’entreprises et, par conséquent, du nombre de salariés concernés.
Il est important de remettre les choses en perspective s’agissant de la TVA sociale. Après déduction des aides aux entreprises, notamment les allègements de charges qui en constituent le poste principal, nos entreprises supportent l’équivalent de 12 % du PIB en prélèvements obligatoires, la moyenne européenne se situant à 10,5 %. En comparaison avec notre principal concurrent, l’Allemagne, le différentiel sur la masse salariale est de l’ordre de 60 milliards d’euros. Ce sujet ne peut être ignoré.
Monsieur le président, vous avez dit que le coût de la protection sociale pesait sur les travailleurs, mais il pèse également sur les entreprises. Par exemple, le financement des retraites est assuré à hauteur de 60 % par les entreprises et de 40 % par les salariés. Cette répartition éclaire certaines propositions d’augmentation des cotisations pour équilibrer les régimes de retraite. Une telle mesure entraînerait inévitablement une réduction des salaires nets des employés. Si les organisations syndicales optent pour cette solution, il faudra en discuter, mais les salariés ne seront pas nécessairement enthousiastes à l’idée de voir leurs charges sociales augmenter davantage.
Malgré les progrès considérables réalisés ces dernières années en matière de coût du travail et de fiscalité, nous conservons un différentiel de compétitivité important. Ce facteur explique en partie le déficit commercial français. Le poids des charges sociales sur les entreprises et leurs salariés constitue un frein majeur à la compétitivité, à la hausse des salaires nets et à la création d’emplois.
Il existe des marges de manœuvre financières pour améliorer l’efficience de la protection sociale, sans nécessairement dégrader le taux de couverture ou de prestation des différents régimes. Le secteur de la santé illustre particulièrement ce potentiel. Les coûts administratifs et indirects du système de santé français sont supérieurs de huit points à ceux du système allemand. En France, l’analyse des coûts administratifs entre le secteur public et l’hospitalisation privée non lucrative ou lucrative révèle des gains potentiels en termes de coûts de fonctionnement, sans incidence sur la qualité de service. Un constat similaire s’applique à l’éducation nationale. Les comparaisons internationales mettent en évidence des performances qui ne sont pas à la hauteur de nos investissements, notamment en termes d’effectifs et de coûts salariaux.
Quant au financement de la protection sociale, notre système actuel est à bout de souffle. La pression démographique accentue chaque jour le déficit des régimes sociaux, majoritairement financés par les cotisations. Seuls deux régimes sont à l’équilibre ou excédentaires : le régime des retraites complémentaires (Agirc-Arrco) et le régime accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), tous deux gérés par les partenaires sociaux.
Il est évident qu’un transfert partiel du financement des régimes sociaux vers la fiscalité serait bénéfique. La TVA sociale paraît représenter la solution économiquement la plus pertinente, notamment parce qu’elle taxe également les importations. La France dispose d’une marge de manœuvre sur ce point, son taux moyen de TVA étant inférieur d’environ 1,5 point à celui de l’Union européenne, ce qui représente des sommes considérables. Une autre solution résiderait dans l’augmentation du taux de la contribution sociale généralisée (CSG), même si son assiette et son impact diffèrent. Nous sommes particulièrement demandeurs d’une réflexion approfondie sur le financement des retraites et plus largement des prestations sociales, dans le cadre des travaux en cours.
Des exemples concrets illustrent l’importance de la simplification administrative. Je pense par exemple aux investissements d’entreprises chinoises ou américaines qui ont privilégié d’autres pays européens au détriment de la France, précisément en raison de procédures plus simples et plus rapides. Cela concerne des secteurs variés tels que l’automobile ou la chimie, avec des investissements réalisés en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Il est symptomatique que, pour attirer des investissements étrangers majeurs en France, il faille déroger aux règles de droit commun. C’est comme cela que Toyota ou Eurodisney se sont implantés en France. La mise en place actuelle de sites « clés en main » vise précisément à accélérer les procédures et à déroger à certaines normes, sans quoi ces sites ne trouveraient pas preneur.
La simplification représente un enjeu considérable, particulièrement pour les petites entreprises. La complexité administrative est chronophage et détourne les dirigeants de leur mission principale : faire prospérer l’entreprise, investir, créer et préserver des emplois. Les effets indirects sont manifestement néfastes. Rappelons ce chiffre : selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le coût de l’excès de réglementation en France est passé de 2 % à 4 % du PIB, ce qui représente des dizaines de milliards d’euros.
Enfin, il existe en France des aides dont l’octroi est conditionné. Les aides à l’apprentissage ne sont ainsi accordées que s’il y a effectivement un apprenti. Le risque majeur avec l’introduction de nouvelles règles de conditionnalité serait d’établir des critères sans rapport avec l’objet initial des aides.
Pour conclure, le Medef est ouvert à une remise à plat générale des « tuyauteries » qui, en France, engendrent des coûts bruts très élevés, partiellement compensés par des aides. Cette situation crée de la complexité, des aléas, des délais et produit des effets de bord parfois dévastateurs. Je rappelle que c’est notamment le Medef qui, dans le cadre de la conférence sociale tenue à l’initiative de Mme Élisabeth Borne à l’automne 2023, a soutenu les travaux confiés aux économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer sur les effets de seuil des dispositifs d’allègements de charges.
Il convient également de s’interroger sur les effets pervers de certains dispositifs de soutien au pouvoir d’achat, comme la prime d’activité. Nous avons des exemples flagrants d’entreprises dans lesquelles des salariés, de manière parfaitement rationnelle, refusent de passer d’un temps partiel à un temps plein pour ne pas perdre le bénéfice de certaines aides.
Nous sommes donc très favorables à une remise à plat objective, sereine et consensuelle de nombreux dispositifs, visant à réduire les aides en contrepartie d’une diminution des charges brutes.
M. Amir Reza-Tofighi. Il est nécessaire d’aller au-delà des propositions actuelles concernant la TVA et le volet social. La question fondamentale est de savoir si le travail peut, aujourd’hui, financer l’intégralité de notre modèle social. Dans une société aux besoins croissants, avec une espérance de vie en hausse et un nombre d’actifs en baisse, nous risquons d’atteindre un point où les travailleurs supporteront une charge insoutenable. Il faut repenser un système conçu après-guerre et qui ne correspond plus à la réalité actuelle.
Notre objectif n’est pas de réduire le financement du modèle social, mais de diversifier ses sources pour qu’il ne repose plus exclusivement sur les travailleurs. Je rejoins totalement l’analyse de Patrick Martin sur les gains d’efficience potentiels dans la gestion, notamment des hôpitaux. L’exemple des établissements à but non lucratif est particulièrement pertinent : leurs charges administratives sont 30 % inférieures à celles de l’hôpital public. Cela soulève légitimement des questions sur l’efficience de l’hôpital public et les moyens de l’améliorer.
Pour réformer le financement de notre modèle social, nous devons opérer un transfert du travail vers d’autres formes de fiscalité. La TVA, à elle seule, ne suffira pas. Si nous voulons réduire drastiquement le coût du travail, tant pour le salarié que pour l’entreprise – ce qui réduira les allégements de charges et les critiques portant sur les aides aux entreprises –, nous devons nous interroger sur les charges non contributives. Prenons l’exemple de la santé : est-il normal que les travailleurs financent la santé de l’ensemble de la population ? C’est davantage une question de solidarité nationale, tout comme la politique familiale. Ces domaines devraient relever d’une fiscalité globale au niveau national, et non reposer sur les seuls salariés.
L’idée est de transférer une part importante des charges vers d’autres impôts. Ce débat de société est essentiel pour déterminer les nouvelles modalités de financement. Les conséquences seraient significatives : des salariés mieux rémunérés, un écart accru entre travail et non-travail et des entreprises plus à même d’embaucher. Nous n’avons pas le choix : soit nous agissons maintenant, soit nous serons contraints de le faire lorsque le financement de notre modèle deviendra intenable.
En s’exprimant sur la question de la simplification administrative, Patrick Martin a parfaitement illustré les difficultés rencontrées par les grandes entreprises. Imaginez la situation d’un chef d’entreprise gérant cinq à dix salariés, qui consacre parfois jusqu’à une journée et demie par semaine aux tâches administratives. Ce véritable enfer, il faut l’avoir vécu de près pour en comprendre pleinement la réalité.
C’est pourquoi la suppression du « test PME » m’agace fortement. Ce dispositif de bon sens permettait simplement de vérifier l’impact concret d’une loi sur les entreprises avant son adoption. Nous ne demandons pas à faire la loi, mais seulement l’opportunité de la tester et d’en rapporter les conséquences réelles. Je ne comprends pas le refus de cette démarche pragmatique.
Quant au conditionnement de l’octroi des aides, permettez-moi une analogie : me prendre dix euros, m’en rendre un en prétendant m’aider, puis m’imposer des conditions pour ce remboursement partiel est absurde. La France est le pays qui taxe le plus, alors que ce système ne fonctionne pas. Nous nous retrouvons à devoir aider les entreprises à cause d’une fiscalité excessive, tout en rechignant à le faire, d’où l’idée du conditionnement des aides. La solution est simple : réduisons les impôts et les taxes et naturellement les aides deviendront superflues.
Les allégements de charges, par exemple, ont été créés pour permettre aux entreprises de recruter des travailleurs peu qualifiés face à un niveau de charges trop élevé. Je suis tout à fait favorable à la suppression des aides, à condition, bien évidemment, qu’elle s’accompagne d’une réduction proportionnelle des impôts et des taxes. Ce serait une avancée considérable.
M. Michel Picon. Il est nécessaire de faire des choix pour privilégier le travail par rapport à la rente, quelle qu’elle soit. C’est ce changement de société que réclament l’ensemble de nos adhérents, qu’ils soient artisans ou commerçants, qui se lèvent tous les jours à cinq heures du matin pour travailler et qui peinent à s’en sortir. Nous avons besoin de cette inversion.
Les pistes sont nombreuses. Vous avez évoqué la TVA sociale. Quelques points de TVA supplémentaires seront certainement nécessaires, mais cela ne sera pas suffisant. Nous devons également nous intéresser à la rente, aux placements, au prélèvement forfaitaire unique (PFU), ainsi qu’à l’héritage et aux droits de succession. La concentration du patrimoine chez nos concitoyens s’est accentuée ces vingt dernières années. Il est donc nécessaire de réguler ce phénomène.
Une société qui rémunère mieux les grands-parents que le petit-fils qui travaille, cela n’est pas satisfaisant. Il faut tenir un langage de vérité à ce sujet, tout en préservant bien évidemment les petites retraites. Il n’est pas question de pénaliser les retraités pour qui la vie est déjà difficile. Cependant, tous ne sont pas dans cette situation et n’aident pas nécessairement leurs petits-enfants.
En résumé, nous devons envisager la mise en place de la TVA sociale et d’autres évolutions. Nous travaillons actuellement sur ces questions et nous aurons prochainement l’occasion de présenter des propositions chiffrées. Car il ne suffit pas de dire qu’il faut alléger le coût du travail – c’est indispensable si nous ne voulons pas aller dans le mur –, il faut aussi déterminer les modalités des changements et les outils utilisés pour y parvenir.
Je rejoins entièrement Amir Reza-Tofighi au sujet de la simplification. Les entreprises sont submergées par un excès de normes, ce qui plonge les dirigeants dans une insécurité juridique permanente. La multitude de contraintes réglementaires est telle qu’ils peinent à discerner ce qui est autorisé ou non, notamment lors de changements d’équipements. Cette situation a un impact considérable, tant sur la santé mentale des chefs d’entreprise que sur leurs finances, en raison d’investissements parfois superflus imposés par la réglementation.
La loi sur le test d’impact est indispensable. Certaines décisions prises dans cette assemblée, bien qu’animées de bonnes intentions, comme la protection du consommateur, peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les entreprises. Il est impératif de trouver un juste équilibre entre sécurité et viabilité économique.
Il est essentiel d’alléger les charges pesant sur les entreprises, tant au niveau national que local. Je pense notamment à la taxe sur la mobilité que les régions envisagent d’imposer aux entreprises de plus de dix salariés, ainsi qu’à la cotisation foncière des entreprises (CFE) et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Un allègement fiscal est indispensable pour permettre à nos entreprises de rivaliser efficacement avec leurs homologues européennes.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Depuis les années 1980, nous n’avons pas corrigé le déséquilibre marqué entre capital et travail dans la répartition de la valeur. Malgré l’instabilité politique, nous observons une constance dans les politiques publiques menées depuis des années, axées sur l’offre et la facilitation progressive des licenciements.
Permettez-moi une précision sémantique essentielle pour la clarté de nos débats. Je n’utiliserais pas le terme « charge sociale », qui me semble inapproprié. Je parlerais plutôt de « cotisations sociales », essentielles à notre protection sociale, à notre santé, et in fine à la bonne santé de notre économie. Une société qui fonctionne bien est le fondement d’une économie prospère.
Je souhaite recentrer notre discussion sur la question des licenciements, bien que les thèmes abordés soient passionnants et mériteraient des heures de débat.
Monsieur Martin, vous avez évoqué la conjoncture économique. Cependant, comment justifiez-vous les licenciements boursiers dans ce contexte ? Je distingue bien sûr la situation des PME et des TPE, chaque cas étant particulier et méritant une attention spécifique.
M. Patrick Martin. Je rappelle qu’une loi sur le partage de la valeur a été votée sur la base de travaux menés par les partenaires sociaux s’appuyant sur des analyses d’économistes de diverses sensibilités. Le diagnostic partagé avec les organisations syndicales révélait que, contrairement aux idées reçues, le partage de la valeur en France ne s’est pas déformé ces dernières années et reste l’un des plus équitables au monde. Il est inexact d’affirmer que la part des dividendes a augmenté dans le partage de la valeur des entreprises françaises.
Le Medef représente 200 000 entreprises, avec un effectif moyen de 47 salariés. Bien que nous comptions parmi nos membres de grandes entreprises comme Stellantis, Carrefour ou L’Oréal, nous représentons également de nombreuses petites et moyennes entreprises. Ayant moi-même présidé un Medef départemental, je peux attester de la présence de nombreuses entreprises de 1 à 3 salariés parmi nos adhérents.
Quant à la notion de licenciement boursier, je ne saurais la définir précisément. Prenons des exemples concrets : Michelin, Valeo, Casino, C&A ou Casa procèdent-ils à des licenciements boursiers ? Je ne le pense pas. Derrière chacun des projets de licenciement, il y a des raisons économiques objectives. Ces entreprises font face à une compétition internationale de plus en plus intense et à des marchés qui se dégradent, voire disparaissent.
J’ai récemment reçu, à sa demande, le président chinois de Shein, accompagné de huit collaborateurs. J’avais convié nos adhérents des secteurs du textile, de l’habillement, du jouet et de la puériculture, ainsi que des fédérations d’e-commerce. Il faut d’ailleurs s’interroger sur le modèle des grands sites d’e-commerce, principalement étrangers, qui déstabilisent nos modèles économiques traditionnels.
Lorsque vous analysez les raisons pour lesquelles Michelin ou Valeo ferment des sites ou pour lesquelles certaines enseignes de distribution réduisent leur présence en France, vous trouvez systématiquement des motifs économiques liés à la concurrence ou à l’évolution des marchés. Je n’ai pas connaissance, dans un passé récent ou plus lointain, de cas avérés de licenciements purement boursiers en France.
M. le rapporteur. Vous affirmez ne pas pouvoir définir un licenciement boursier. Pourtant, l’exemple de Michelin que vous avez vous-même cité est révélateur : 1,4 milliard d’euros de dividendes distribués et 1 254 postes supprimés. J’appelle cela un licenciement boursier. On peut toujours invoquer la sauvegarde de la compétitivité, mais la réalité est là : quand une entreprise a les moyens de verser 1,4 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires, elle les a aussi pour maintenir 1 254 emplois sur le territoire national.
M. Patrick Martin. Je ne pense pas que les actionnaires de Michelin, en particulier familiaux, mettent en œuvre des pratiques prédatrices. Cela n’invalide en rien l’explication parfaitement claire de Florent Menegaux, qui n’est pas, à mon sens, un bourreau social, mais le défenseur du salaire décent. L’entreprise a des clients. La distribution de dividendes n’a strictement aucun impact sur la compétitivité de l’entreprise. Je suis convaincu que Michelin, tout comme Valeo, fait face à de réels défis en termes de marché et de compétitivité. Par conséquent, permettez-moi d’exprimer mon désaccord avec cette notion de licenciement boursier.
M. le rapporteur. Nous ne nous mettrons pas d’accord aujourd’hui.
Monsieur Reza-Tofighi, vous avez dit qu’il serait dangereux de remettre en question la politique de l’offre et des aides publiques. Ce terme m’a frappé car il me semble paradoxal que, s’agissant du premier poste de dépenses de la Nation, nous peinions à obtenir des chiffres précis et clairs, en raison de la diversité et de la complexité des aides, qu’elles soient directes ou indirectes. Néanmoins, on s’accorde généralement sur leur ampleur considérable. Je ne remets pas en cause le principe même de ces aides et je suis favorable à ce que l’État soutienne nos entreprises, particulièrement dans les secteurs nécessitant un accompagnement face aux grandes mutations en cours, afin de préserver l’emploi sur le territoire national. Cependant, dans le contexte actuel, nous avons un devoir de bonne gestion des deniers publics, vous en conviendrez.
Patrick Martin évoquait des considérations philosophiques, voire morales. Sans aller jusque-là, je qualifierais la situation de problématique, pour rester neutre. Prenons l’exemple du crédit d’impôt recherche (CIR). Sanofi bénéficie de 100 millions d’euros par an à ce titre et licencie 330 chercheurs. N’y a-t-il pas là un déséquilibre manifeste ?
On évoque souvent dans cette assemblée l’idée que des droits impliquent des devoirs, notamment pour les personnes les plus démunies. Ne pensez-vous pas que recevoir de l’argent public et bénéficier d’un effort du contribuable, particulièrement en période de déficit public élevé, devrait s’accompagner d’obligations ?
Je comprends que nous puissions diverger sur la notion de conditionnalité des aides, voire sur celle de contrôle, mais peut-être pourrions-nous nous accorder sur la nécessité de transparence, ne serait-ce que pour rendre ces données publiques. La Cour des comptes nous a informés, ce qui a alarmé certains de mes collègues et moi-même, qu’il n’existe nulle part de calcul global des aides publiques reçues par les entreprises. Ne jugeriez-vous pas normal d’instaurer une transparence sur ces dépenses publiques ? Cela permettrait aux parlementaires que nous sommes, mais aussi aux partenaires sociaux et à la société dans son ensemble, d’en débattre et de décider de leur utilisation, notamment en envisageant leur redéploiement, par exemple vers les TPE et les PME.
M. Amir Reza-Tofighi. Vous parlez d’aides publiques, mais lorsque le coût du travail est trop élevé pour qu’une entreprise puisse embaucher des personnes peu qualifiées et que les pouvoirs publics décident d’alléger les charges, il ne s’agit pas d’une aide publique, mais plutôt d’une redéfinition du coût du travail au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Je n’ai pas le sentiment de recevoir une aide de l’État dans ce cas. Je considère simplement que le coût du travail est ajusté pour me permettre de recruter. Ce n’est pas une subvention.
L’État ne nous dit pas : « Je vous donne 100 000 euros. » Ce n’est pas un chèque qui nous permet de faire ce que nous voulons. Tout est, en réalité, conditionné. En contrepartie des allègements de charges, j’emploie une personne. De même, en contrepartie du CIR, je fais de la recherche. Pour le crédit d’impôt innovation (CII), il existe également une contrepartie.
Pour favoriser une politique de recherche ou d’emploi des salariés peu qualifiés, l’État met en place des aides. Nous constatons d’ailleurs que cela peut être efficace. Prenez l’exemple de l’aide à l’apprentissage : nous n’avons jamais eu autant d’apprentis. Encore une fois, cela n’est pas une aide qui nous est accordée sans que nous ayons recruté un apprenti, sans que nous consacrions du temps à sa formation, sans que nous lui assignions un tuteur pour l’accompagner. La conditionnalité est donc bien présente.
Selon moi, il ne s’agit pas d’aides, mais d’une redéfinition de différentes politiques : politique de charges salariales et politique de l’emploi. On considère qu’il faut effectivement accompagner les entreprises pour recruter un apprenti.
M. le rapporteur. Je me permets de m’appuyer sur l’audition de la Cour des comptes, dont nous reconnaîtrons tous ici la crédibilité et l’expertise. Elle nous signale un problème au sujet des aides publiques. On ne part pas des besoins réels des entreprises. Nous sommes face à des dispositifs qui s’accumulent, situation que nous n’acceptons pas collectivement – ou du moins qui n’est pas acceptée par la puissance publique – en matière d’aides sociales.
Pour les aides sociales, on fixe un maximum. On examine minutieusement les revenus du bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) et on en tire les conséquences pour la détermination du montant de l’allocation. Puisque vous affirmez que les aides aux entreprises sont déjà conditionnées dans les faits, sans que cela soit explicitement écrit, j’en déduis que vous n’êtes pas opposés à la transparence. Vous ne vous opposeriez donc pas à ce que nous fixions clairement dans la loi, comme cela se fait dans le monde économique, le principe de l’existence d’une obligation en échange du versement d’une aide.
Vous me dites que ce n’est pas de l’argent donné sans contrepartie, que l’aide publique est presque due. Pardonnez-moi, mais le contribuable français, qui a versé 110 milliards d’euros en dix ans de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – sachant qu’un emploi CICE coûte 200 000 euros – et qui a contribué au financement du crédit d’impôt recherche à hauteur de 7,7 milliards d’euros par an, aura du mal à entendre l’argument selon lequel tout cela serait un dû. Cet argent, nous ne le retrouvons ensuite ni dans nos services publics ou nos hôpitaux, ni même nécessairement pour soutenir nos petites et moyennes entreprises qui en ont pourtant besoin.
Je comprends de vos propos que vous n’avez pas de difficulté à assumer de façon transparente le bénéfice de ces aides publiques, y compris en les mettant en perspective avec la fiscalité. Je n’ai aucune objection à engager un débat sur la fiscalité, bien que je ne partage évidemment pas les conclusions du président.
Je souhaite donc confirmer que vous n’avez pas d’opposition à ce que nous inscrivions noir sur blanc, chaque année, le montant global des aides publiques, et plus particulièrement le montant perçu par les entreprises. De plus, puisque vous évoquez l’idée d’un conditionnement de fait, qui relèverait d’un engagement moral, ne pensez-vous pas qu’il devrait être codifié ? Cela impliquerait qu’une entreprise ayant bénéficié d’aides publiques ne puisse supprimer des emplois sans fournir une justification solide.
M. le président Denis Masséglia. Ne serait-il pas plus pertinent de ne pas se limiter aux aides reçues, mais de présenter plutôt le solde ? En d’autres termes, indiquer si l’entreprise a reçu plus qu’elle n’a versé. Il serait intéressant de fournir un indicateur montrant combien l’entreprise a perçu ou versé en aides sociales, plutôt que de simplement présenter la différence entre les montants reçus et versés.
M. le rapporteur. Ne confondons pas l’impôt acquitté et l’aide reçue. Ces deux éléments ne sont pas décidés de la même manière et ne reposent pas sur les mêmes critères. Je nous invite à la prudence quant aux préconisations que nous formulerons. Nous risquons, si nous n’y prenons garde, de remettre en question l’ensemble de notre système de protection sociale et son financement.
M. Amir Reza-Tofighi. Lorsqu’une entreprise recrute des salariés rémunérés en dessous de 1,6 Smic, elle bénéficie automatiquement d’allègements de charges. Si nous suivons votre raisonnement selon lequel, en cas d’aides de l’État, il ne faudrait pas licencier, plus aucune entreprise ne pourrait procéder à des licenciements puisqu’elles bénéficient toutes d’allègements de charges pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic. Est-ce vraiment ce que vous préconisez ? Transformer tous les salariés en fonctionnaires ?
Ces allègements de charges représentent 80 milliards d’euros. Certes, c’est l’un des premiers postes de dépenses, mais je ne considère pas qu’ils sont une aide de l’État. Il s’agit plutôt d’une réduction du coût du travail pour les salaires inférieurs à 1,6 Smic mise en place pour lutter contre le chômage. Affirmer qu’une entreprise a reçu des millions d’euros d’aides publiques à ce titre est inexact. Ce ne sont pas des aides publiques, mais une redéfinition du coût du travail visant à lutter contre le chômage de masse. Je ne comprends donc pas comment on pourrait conditionner ces allègements, car cela impliquerait que les entreprises, à l’exception de celles n’employant que des salariés rémunérés au-delà de 1,6 Smic (certaines entreprises de conseil notamment), ne pourraient plus licencier.
M. le rapporteur. Vous affirmez que les aides publiques sont destinées à empêcher les licenciements. Malheureusement, j’ai un dossier entier d’exemples d’entreprises qui ont bénéficié d’aides publiques et procédé à des licenciements. Dans ces cas, le contribuable finance des licenciements boursiers ou du moins des licenciements dans des entreprises ayant été aidées et accompagnées par la puissance publique. Nous ne parviendrons pas à un accord sur ce point.
M. Patrick Martin. Je tiens à rappeler un fait incontestable : les entreprises françaises, même en tenant compte des aides qu’elles perçoivent, supportent une charge de prélèvements obligatoires nettement supérieure à celle de leurs concurrentes européennes.
Par ailleurs, la politique de l’offre a effectivement allégé notre corpus législatif, fiscal et social. Cela s’est traduit concrètement par une amélioration de l’attractivité de la France. Les chiffres relatifs au nombre d’implantations industrielles ou au montant des investissements directs étrangers en France avant, pendant, et je le crains, après cette période, sont révélateurs. Ces classements, établis par des organismes indépendants du Medef, sont impartiaux et incontestables.
En ce qui concerne la compétitivité salariale nette des allègements de charges, je citerai une étude parfaitement documentée du Syntec portant sur des professions à forte valeur ajoutée. Le différentiel de coûts salariaux entre la France et l’Allemagne, à effectif constant, s’élève à 8 milliards d’euros par an au détriment de la France, principalement du fait des charges sociales. Il ne faut donc pas s’étonner de voir certains emplois qualifiés quitter la France, pas nécessairement pour l’Allemagne, mais souvent pour les États-Unis, où l’écart serait encore plus important.
Prenons l’exemple de Sanofi pour évoquer le crédit d’impôt recherche. Cette entreprise réalise environ 7 % de son chiffre d’affaires en France, mais y investit 25 % de ses budgets de recherche et y emploie 23 % de ses chercheurs. Cela n’est certainement pas étranger à l’existence du CIR. En tant que représentant d’une région abritant des laboratoires Sanofi, je peux témoigner des bénéfices que ces laboratoires apportent aux territoires concernés. De plus, depuis trois ans, le taux du crédit d’impôt recherche a été considérablement réduit au-delà de 100 millions d’euros.
Il est de la responsabilité des organisations patronales de rappeler ces réalités, afin que nous puissions avoir un dialogue constructif et objectif. Je ne sais pas précisément ce que le terme « licenciements boursiers » recouvre. Quant au montant des aides, nous ne le contestons pas. Si nous pouvons le réduire, tant mieux, mais il serait plus simple, plus lisible et plus stimulant d’opter pour une baisse du coût brut du travail.
M. le rapporteur. Vos propos laissent penser que vous subissez la politique économique de ce pays. Or, en examinant les réformes des quinze dernières années, force est de constater qu’elles ont largement répondu à vos revendications. Rappelons que la TVA sociale a été initiée sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy. Les organisations syndicales ne sont pas à l’origine de la création du CICE, du pacte de responsabilité ou des ordonnances de 2017. Ce ne sont pas non plus elles qui ont préconisé la baisse constante de la fiscalité des entreprises ces dernières années. Cette réduction était même l’une des promesses phares de l’actuel Président de la République pendant les campagnes électorales.
Notre commission d’enquête s’intéresse aux éventuelles défaillances des pouvoirs publics face aux licenciements actuels. Ces derniers constituent un défi majeur pour les élus, compte tenu de l’impact sur les territoires. Cependant, il apparaît que vous avez été davantage les inspirateurs que les victimes de la politique économique et fiscale menée ces dernières décennies.
J’entends votre volonté d’aller plus loin, mais vos propositions – supprimer toutes les cotisations sociales et tous les impôts de production – me paraissent extrêmes. De l’avis d’observateurs extérieurs, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, les ordonnances dites « Macron » ou encore la réforme de l’assurance chômage sont plutôt d’inspiration patronale que syndicale. Il me semble donc nécessaire de modérer nos réflexions aujourd’hui.
M. Patrick Martin. Toutes les enquêtes convergent : la cote de confiance des citoyens envers les chefs d’entreprise n’a jamais été aussi élevée. De plus, les temps changent. Ce n’est pas le patronat qui a lancé les réformes relatives aux « 35 heures » ou à la retraite à 60 ans. Nous n’avons jamais demandé que la France devienne un paradis fiscal. Notre requête a toujours été que la France puisse lutter à armes égales. Notre taux d’impôt sur les sociétés s’est rapproché de la moyenne européenne. Cependant, avec la surtaxe d’impôt sur les sociétés votée cette année pour les grandes entreprises, il y aura 20 points d’écart de taux avec les États-Unis. Il n’est donc pas illogique que certaines entreprises se tournent vers les États-Unis, pays dont je ne pense pas que du bien, je tiens à le préciser.
Il est important d’examiner les chiffres objectivement. Le coût du travail en France est supérieur à celui qui existe dans les pays voisins pour les salaires supérieurs à deux Smic. Si nous voulons développer une économie de la compétence et de la connaissance, investir dans des secteurs à forte valeur ajoutée, y compris dans l’environnement, nous devons nous en donner les moyens. Sinon, ne soyons pas surpris de l’absence de résultats.
Si nous nous alignons sur les pratiques des pays comparables, notre performance collective sera bien meilleure en termes de taux d’emploi, de chômage et de croissance. Je citerai l’exemple de pays européens qui se portent très bien : l’Espagne, les Pays‑Bas, la Pologne, le Portugal. Ces pays ont un taux de prélèvement obligatoire d’environ 42 %, soit 15 points de moins qu’en France. Tous ont vu leur taux de prélèvements obligatoires baisser de 8 points au fil des ans et affichent de meilleures performances que la France dans tous les domaines. Cela interpelle, et je peux vous assurer que mes homologues européens regardent avec perplexité notre situation, notamment s’agissant de la réforme des retraites.
M. Didier Moinereau, président de la CPME 91. Je suis surpris par la teneur de nos échanges. Il me semblait que nous étions réunis pour discuter des licenciements, de l’emploi des salariés et pour en comprendre les causes. Or on assiste plutôt à une stigmatisation de l’entrepreneuriat. Je me demande si les uns et les autres tiennent les mêmes propos lorsqu’ils font leurs courses chez le boucher ou le charcutier et leur expliquent qu’ils sont trop aidés.
Monsieur le rapporteur, vous évoquez les quinze dernières années, mais je remercie celui qui a étendu la perspective jusqu’en 1981. Je trouve regrettable cette approche et j’estime que nous devrions être plus constructifs.
Selon les travaux de l’Observatoire Amarok, qui étudie l’état psychologique des chefs d’entreprise en France, le moral de ces derniers n’a jamais été aussi bas depuis 2022 et il continue de se dégrader. Or, dans la majorité des petites et moyennes entreprises, le moral fait tout. Quand des chefs d’entreprise de vingt salariés déclarent qu’ils gagneraient mieux leur vie avec moins de dix salariés, il faut s’interroger sérieusement.
Lorsqu’un entrepreneur explique qu’il doit débourser 200 000 euros pour comprendre et appliquer une nouvelle norme européenne, il y a un problème. Je suis extrêmement surpris que vous ne parveniez pas à obtenir les chiffres sur le CIR et les autres aides, étant donné la quantité de documents de reporting que nous sommes tenus de fournir à l’administration fiscale pour justifier de l’obtention de ces aides. Ces informations doivent bien être disponibles quelque part.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je suis stupéfait de la teneur de nos échanges. Je tiens à rappeler que vous êtes sous serment. Les propos du président du Medef, qui affirme que le partage de la valeur n’a pas évolué depuis des décennies, sont inexacts. Soit il méconnaît son dossier, soit il ment délibérément devant notre commission.
L’argument « on me donne un euro, je reprends dix euros » est fallacieux. Il faut tenir compte du coût de l’école publique, de l’université, des réseaux de transport et de toutes les infrastructures publiques financées par l’État.
Je pose une question : pouvez-vous garantir, sous serment, qu’il n’existe aucune entreprise en France qui utilise les aides publiques à la recherche à d’autres fins que la recherche ? Il faut être sérieux.
Nous estimons que le patronat français doit rendre des comptes. On invoque souvent la situation des petites entreprises, mais je vais citer des exemples de grandes sociétés. Le montant des aides publiques est estimé à plus de 200 milliards d’euros. Les allègements de cotisations sociales – que vous qualifiez de charges – s’élèvent à 90 milliards d’euros. Les aides publiques représentent 40 % du budget de l’État et les allègements de cotisations sociales 20 %.
Ces dernières années, le Gouvernement s’est montré particulièrement généreux envers les entreprises : mise en place du CICE, réforme des retraites, etc. Pourtant, près de 230 000 emplois sont menacés en 2025, dont plus de 30 000 dans l’industrie.
Prenons l’exemple d’Auchan, propriété de la famille Mulliez, huitième fortune de France. L’État lui a octroyé 500 millions d’euros au titre du CICE. Auchan a versé 1 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires et prévoit de supprimer 2 400 postes. Pouvez-vous affirmer, sous serment, qu’aucun euro de ce CICE n’a servi à enrichir les actionnaires et que tout a été fait pour préserver la santé de l’entreprise et les emplois ?
Le groupe Michelin a perçu 65 millions d’euros au titre du CICE depuis 2013 et 12 millions d’euros au titre du chômage partiel. Il a réalisé plus de 2 milliards d’euros de bénéfices en 2024 et versé 1,4 milliard d’euros en dividendes et rachats d’actions. Pourtant, le groupe annonce la fermeture de deux usines françaises d’ici fin 2025. Pouvez-vous garantir qu’aucun euro d’aides publiques n’a servi à financer les dividendes et que tout a été investi dans la recherche et la santé de l’entreprise ?
Si vous ne pouvez pas nous assurer que l’argent public sert à sauvegarder des emplois plutôt qu’à enrichir des actionnaires, pourquoi vous opposez-vous à ce que ces aides soient soumises à un contrôle et à des conditionnalités, comme c’est le cas pour la quasi-totalité des aides dans notre pays ?
M. Amir Reza-Tofighi. Savez-vous que le CICE n’existe plus depuis longtemps ? Vous semblez l’ignorer. Je ne peux pas me prononcer sur des cas que je ne connais pas, notamment celui de Michelin.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Boyard, il serait plus pertinent de poser vos questions directement à Michelin, que nous auditionnerons la semaine prochaine.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). J’aurais apprécié une réponse du Medef à mes questions. Malheureusement, lorsque les députés peuvent poser leurs questions, le Medef s’absente. J’aurais apprécié que ses représentants puissent s’exprimer sur ces points.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Boyard, je ne peux pas vous laisser tenir de tels propos. Nous avons fait notre possible pour que soient présents les présidents des organisations syndicales et patronales. Toutefois, certains présidents n’ont pas pu être présents. J’ai annoncé, dès le début de la table ronde, que le président du Medef ne pourrait rester qu’une heure. Je reconnais que certaines questions ont appelé des réponses longues. Cependant, il ne serait pas juste de dire qu’il est parti pour éviter vos questions. Il s’est libéré pour participer à notre rencontre, mais il avait clairement indiqué qu’il ne pourrait rester plus d’une heure.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le Medef est une organisation importante qui ne se résume pas à son seul président. D’autres représentants auraient pu rester. Je sais que vous avez l’habitude de défendre le Medef, mais nous aurions pu avoir un autre interlocuteur pour répondre à ces questions.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Boyard, nous pourrions débattre encore longuement de la situation. Cependant, je suggère que nous revenions au sujet principal de notre enquête, à savoir les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Les questions spécifiques à Michelin pourront être abordées la semaine prochaine.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Mes questions sont simples et concrètes. Je vous ai présenté des exemples précis d’entreprises ayant bénéficié d’aides publiques, procédé à des licenciements, puis distribué des dividendes. Pouvez‑vous nous garantir que ces entreprises bénéficiaires d’aides publiques les ont utilisées pour défendre l’emploi et la recherche, et non pour les reverser en dividendes ?
M. Amir Reza-Tofighi. L’idée que nous serions des nantis vivant dans un paradis fiscal me semble totalement déconnectée de la réalité. En tant que chef d’entreprise, je m’efforce constamment de comparer notre situation à celle de nos concurrents pour rester compétitif. Adoptons une approche rationnelle et comparons-nous aux autres pays européens. Certes, il y a eu des baisses d’impôts, mais le niveau initial était considérablement plus élevé qu’ailleurs. Pourquoi personne ne s’interroge sur le fait que nos impôts de production restent les plus élevés d’Europe ?
La politique conduite ces dernières années a simplement permis de réduire légèrement l’écart avec nos voisins européens. Nous conservons toujours le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé, des charges sociales supérieures et les impôts de production les plus importants. Cessons donc de parler de paradis fiscal, notion qui me paraît particulièrement inappropriée dans notre contexte.
Mme Estelle Mercier (SOC). L’expression « paradis fiscal » a été employée par Patrick Martin, et non par nous. Notre remarque était une boutade en réaction. Nous n’avons jamais utilisé ce terme pour qualifier la France.
M. Amir Reza-Tofighi. Patrick Martin a dit que son intention n’était pas que la France devienne un paradis fiscal.
Une entreprise peut recevoir des aides pour diverses raisons : investissement dans la recherche, recrutement d’apprentis ou innovation. Ces aides sont ciblées sur des actions spécifiques. À la fin de l’exercice, si l’entreprise réalise un bénéfice et distribue des dividendes, cela ne signifie pas que l’argent public a été directement redistribué aux actionnaires.
En réalité, la plupart des entreprises en France bénéficient indirectement d’aides publiques, que ce soit par le biais d’allègements de charges, d’un soutien à l’apprentissage ou d’incitations à la recherche et à l’innovation. Ces dispositifs visent à compenser le niveau élevé des charges et à encourager certaines politiques prioritaires.
Le rôle d’une entreprise est de dégager des bénéfices pour investir et renforcer ses fonds propres. La distribution de dividendes fait partie de ce processus. L’argent public est fléché vers des actions concrètes et n’est pas directement distribué aux actionnaires. Les aides de l’État sont des investissements ciblés qui permettent aux entreprises de mener des actions spécifiques, comme le recrutement d’apprentis ou l’investissement dans la recherche.
M. Michel Picon. La plupart de nos entreprises n’ont pas d’actionnaires au sens traditionnel du terme, hormis les épouses et les enfants. Cependant, je souhaite appeler votre attention sur la nature des politiques d’allègement de charges et de soutien à l’apprentissage. Ces mesures ont été mises en place parce que le niveau des cotisations sociales, qui se transforment en charges pour l’entreprise, était trop élevé et entravait la capacité des entreprises à recruter. À l’époque, nous faisions face à un chômage de masse.
Le soutien à l’apprentissage n’est pas une aide, selon moi. Prenons l’exemple d’un jeune qui intègre une entreprise pour préparer un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de pâtissier ou de cuisinier. Quel serait le coût pour l’éducation nationale si ce jeune restait dans un système scolaire qui ne lui convient pas ? L’entreprise aide la Nation à former et à insérer ce jeune. Grâce à cette politique, nous avons atteint le million d’apprentis.
Je ne vois pas cela comme une aide aux entreprises, mais comme un financement partenarial. Nous avons demandé aux entreprises de s’impliquer, de prendre en charge ces jeunes et de les sortir d’un environnement scolaire qui ne leur réussissait pas. L’objectif est de leur offrir des perspectives d’avenir.
Lors de la Coupe du Monde de la Boucherie, la France a terminé à la première place. J’ai vu des jeunes concourir à la porte de Versailles, face à seize équipes venues du monde entier. Imaginez le coût pour la nation si ces jeunes étaient restés dans un circuit scolaire inadapté à eux, avec tous les risques de dérive que cela comporte.
Pour conclure, je souhaiterais que, dans nos analyses futures, nous fassions la distinction entre ce qui relève de la contractualisation entre les entreprises et l’État et ce qui pourrait être perçu, à tort, comme une stigmatisation du tissu économique de notre pays. En effet, 98 % des entreprises ont moins de cinquante salariés. Nous percevons vos propos presque comme une agression, bien que je comprenne que cela n’est pas votre intention, monsieur le député.
Chaque matin, des milliers de personnes se lèvent pour sauver leur entreprise et payer les salaires, souvent dans des conditions difficiles. Il est crucial de ne pas stigmatiser les entreprises en les accusant de s’enrichir au détriment des autres. Pour un chef d’entreprise de moins de cinquante salariés, la décision de fermer et de licencier est déchirante. Souvent, cela survient après plusieurs mois sans rémunération pour lui. C’est la réalité de nombreux chefs d’entreprise, particulièrement dans les petites structures, qui sont majoritaires.
M. le président Denis Masséglia. L’apprentissage est effectivement une réussite majeure de la majorité présidentielle. Certains apprentis deviennent même parfois députés, voire présidents de commissions d’enquête.
Mme Estelle Mercier (SOC). Il est essentiel de distinguer clairement la situation des petites entreprises, de l’entrepreneuriat et de l’artisanat, de celle des très grandes entreprises, qui font face à des enjeux différents. De même, il faut distinguer les allègements de cotisations sociales des subventions et des aides publiques.
Lors de l’audition de la Cour des comptes, il a été dit que, pendant la crise du covid‑19, près de 260 milliards d’euros d’aides ont été accordés, dont 92 milliards d’euros d’aides directes, le reste étant principalement constitué de PGE. En observant la courbe des défaillances d’entreprises, on constate une chute en 2020-2021 durant la crise, suivie d’une forte remontée à partir de 2022. Ces aides n’ont-elles pas simplement reporté dans le temps les défaillances d’entreprises ? Peut-on réellement affirmer, comme l’ont fait certains ministres, que ces aides ont permis de sauvegarder des emplois ?
L’embauche d’un apprenti ou l’utilisation du CIR constituent déjà des formes de conditions. Cependant, il faut reconnaître qu’il y a des effets d’aubaine, documentés et mesurés, pour les entreprises bénéficiant d’aides dont elles n’ont pas réellement besoin. En tant que parlementaires, il est de notre devoir de nous interroger sur ces phénomènes. Prenons l’exemple de l’apprentissage : pour les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés, ces aides représentent souvent un véritable effet d’aubaine, car elles auraient de toute façon embauché des apprentis. Il est donc légitime de chercher à améliorer l’efficacité de ces dispositifs. L’aide à l’apprentissage vise non seulement à l’insertion professionnelle mais aussi à la formation, deux aspects essentiels.
Plus globalement, ne peut-on pas attendre des entreprises bénéficiant de subventions publiques – je ne parle pas ici d’allègements de charges – un comportement plus responsable ? Lorsqu’une entreprise doit décider de l’allocation de ses bénéfices en fin d’année, elle dispose de plusieurs options : constituer des réserves, investir dans l’outil de production ou verser des dividendes. La question est de savoir si, pour les bénéficiaires d’aides publiques, la priorité ne devrait pas être accordée à l’investissement dans l’entreprise plutôt qu’à la distribution de dividendes.
Monsieur Martin a évoqué le manque d’anticipation de certains chefs d’entreprise et vos efforts pour les sensibiliser sur le sujet, même si la planification au-delà de deux ans est devenue extrêmement complexe. Dans ce contexte, je m’interroge sur l’état du dialogue social. Certaines personnes auditionnées affirment que la fusion des instances de représentation du personnel, notamment la création du comité social et économique (CSE), aurait affaibli le dialogue social, en particulier sur les questions économiques et stratégiques. Les syndicats estiment avoir perdu en capacité de discussion au sein de l’entreprise. Quel est votre point de vue ?
M. Michel Picon. Le soutien apporté aux entreprises pendant la crise du covid‑19 a été crucial. Bien que les chiffres actuels puissent laisser penser que ces aides n’ont pas eu l’impact escompté, il faut prendre en compte le contexte global. En effet, nous avons dû faire face à une crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine ainsi qu’à une période d’inflation considérable. L’intervention de l’État a indéniablement permis de sauver de nombreuses entreprises. Sans la mise en place de l’arrêt partiel d’activité, tout le tissu économique du pays se serait effondré. Je pense notamment aux micro-entrepreneurs et aux indépendants qui, sans le fonds de solidarité, n’auraient eu aucun filet de sécurité.
La situation actuelle reflète certes une correction, comme vous le soulignez à juste titre, mais celle-ci est principalement due au PGE. Ce dispositif a permis à des entreprises, même celles qui n’étaient pas en bonne santé financière avant la crise, d’obtenir des liquidités qu’elles n’auraient pas trouvées autrement. Cependant, il est évident qu’une entreprise dont le modèle économique était défaillant avant la crise ne peut se redresser sans une restructuration en profondeur. Les administrateurs judiciaires ont connu une baisse de leur activité durant la crise sanitaire. Un effet de rattrapage a donc eu lieu, ce qui explique les courbes que vous mentionnez et qui pourraient laisser penser que l’aide aux entreprises n’a pas été efficace. Je suis fermement convaincu du contraire.
Ce rattrapage est terminé depuis un an. Les défaillances que nous observons en 2024 sont largement déconnectées de la crise sanitaire. Néanmoins, certaines entreprises peinent à rembourser leur PGE, souscrit pour assurer leur survie, en raison de la crise énergétique et de la hausse du coût des matières premières, ainsi que de la guerre en Ukraine. Le remboursement du PGE pèse considérablement sur leurs comptes d’exploitation.
Par ailleurs, nous constatons un niveau d’épargne record chez nos concitoyens, notamment chez les retraités. Cet argent, placé dans l’assurance-vie et d’autres produits financiers, fait cruellement défaut à l’économie de proximité. L’instabilité politique actuelle, à laquelle cette assemblée contribue, inquiète les Français qui, par précaution, épargnent davantage et réduisent leurs dépenses.
Cette inquiétude affecte particulièrement les petites entreprises. Les comportements de consommation changent : les achats impulsifs diminuent, les projets de rénovation sont reportés, les sorties au restaurant se font plus rares. Le secteur du bâtiment et celui de la restauration sont particulièrement touchés, comme en témoignent les 66 000 défaillances d’entreprises dans le bâtiment et les 8 000 fermetures de restaurants.
Il faut que la sérénité gagne le pays. C’est la clé de la vitalité de nos entreprises et de notre capacité à surmonter cette période difficile.
M. Amir Reza-Tofighi. Le chômage partiel a joué un rôle crucial en permettant aux entreprises de conserver leurs salariés plutôt que de procéder à des licenciements. Il est certes complexe d’évaluer précisément l’efficacité de l’utilisation des fonds publics, mais il est essentiel d’envisager le scénario qui se serait produit en l’absence de ces aides.
Je reconnais l’existence d’effets d’aubaine, phénomène malheureusement inhérent à la mise en place de toute aide. Je ne prétends pas qu’il faille les accepter ou ne rien faire pour les contrer. L’analyse des politiques publiques a d’ailleurs conduit à la suppression de certaines mesures identifiées comme entraînant principalement des effets d’aubaine, ce qui est une bonne chose. Nous sommes les premiers à réclamer une utilisation judicieuse de l’argent public.
Je tiens cependant à nuancer votre remarque sur les effets d’aubaine pour les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés. Prenons l’exemple des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que la propreté, les services à la personne ou la sécurité. Ces entreprises comptent souvent un grand nombre de salariés malgré un chiffre d’affaires relativement modeste. Dans les services à la personne, une TPE peut compter jusqu’à cinquante salariés. Qu’il s’agisse d’agents de sécurité ou d’auxiliaires de vie, la formation sans aide initiale devient impossible, que l’entreprise compte plus ou moins de deux cent cinquante salariés. Les marges dans ces secteurs sont trop faibles pour permettre un investissement conséquent dans l’apprentissage. Pour certaines grandes entreprises, notamment dans le domaine de l’ingénierie, l’effet d’aubaine est important. Cependant, pour une entreprise de sécurité formant des agents, l’effet est négligeable. Avec la réduction de l’aide à 2 000 euros, nous risquons de voir disparaître de nombreux apprentis dans ces entreprises. Il est donc crucial de nuancer le propos lorsque l’on évoque les effets d’aubaine, car la réalité est souvent plus complexe qu’il n’y paraît. Bien que ces effets existent, il faut se garder de généraliser trop hâtivement.
Mme Estelle Mercier (SOC). Ces observations sur les effets d’aubaine proviennent d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).
M. Amir Reza-Tofighi. Il convient de clarifier ce que l’on entend par « véritable aide publique ». S’il s’agit d’un soutien financier direct de l’État, par exemple 2 millions d’euros accordés sans condition, je partage votre avis sur la nécessité de faire preuve de responsabilité dans son utilisation. Cependant, nous ne semblons pas avoir la même définition de ce qu’est une aide publique, ce qui complique le débat. Nous sommes d’accord pour exclure de cette catégorie les cotisations sociales. Néanmoins, la notion reste floue, notamment lorsque l’on considère des dispositifs tels que l’aide à l’apprentissage. Cette dernière est davantage un investissement dans la formation des jeunes qu’une aide à l’entreprise. L’apprentissage représente en réalité un coût significatif pour elle.
Mme Estelle Mercier (SOC). Un apprenti revêt une réelle valeur pour l’entreprise. Certes, il doit être formé, mais après quelques mois, il devient productif. Sans parler de rentabilité, terme que je ne souhaite pas employer, l’apprenti devient utile et contribue positivement à l’activité de l’entreprise.
M. le président Denis Masséglia. Nous nous écartons du sujet de notre enquête.
M. Michel Picon. L’apprenti est rémunéré pour son temps en entreprise et pour les services qu’il rend. Cependant, sa contribution effective, particulièrement durant la première année, est limitée. Cette période initiale nécessite un investissement considérable de la part de ses collègues, qui consacrent du temps à sa formation et à son encadrement. L’apprentissage ne se limite pas à l’acquisition de compétences techniques, mais englobe également l’apprentissage du savoir-être en entreprise.
M. Amir Reza-Tofighi. Dans les entreprises où le dialogue social fonctionnait bien, les ordonnances dites « Macron » n’ont rien changé. Dans mon entreprise, nous maintenons d’excellentes relations et abordons les différents sujets de manière constructive. Je ne crois pas que ces ordonnances aient altéré la capacité de dialogue entre les dirigeants et les syndicats sur les questions économiques ou les questions relatives à l’entreprise. Je comprends que les syndicats de salariés souhaitent revenir à la situation antérieure, mais je n’ai pas constaté de dégradation du dialogue social.
M. Didier Moinereau. La CPME a été pionnière dans la mise en place du groupement de prévention agréé, il y a plus de cinq ans. Ce dispositif, prévu par l’article L. 611-1 du code de commerce, fait l’objet d’un agrément rigoureux de la part des services de l’État. Il vise à prévenir les difficultés des entreprises en amont. Ce service gratuit est assuré par des bénévoles, souvent des seniors, qui mettent leur expertise au service des entreprises pour les aider à anticiper les problèmes. Actuellement, environ six cents bénévoles œuvrent dans ce sens sur l’ensemble du territoire, sans aucune aide étatique. Nous collaborons étroitement avec les services de Bercy, la médiation du crédit et la médiation des entreprises pour intervenir le plus tôt possible et soutenir le tissu économique.
Cette démarche est cruciale car les tribunaux de commerce font face à des difficultés. En effet, de nombreuses entreprises hésitent à se tourner vers les services de l’État, pas toujours perçus comme des soutiens. C’est un enjeu majeur pour l’aide aux entreprises.
On recense environ 60 000 liquidations judiciaires d’auto-entrepreneurs. Cette situation est préoccupante car ces personnes se retrouvent souvent sans couverture sociale, ce qui inquiète les structures départementales. Beaucoup finissent par dépendre du RSA ou deviennent demandeurs d’emploi. Je vous invite à retenir ce chiffre : environ 58 000 ou 59 000 liquidations sur les douze derniers mois ; cela dépasse largement le nombre de PSE et de plans sociaux en préparation. Des personnes compétentes se retrouvent en difficulté. Il est impératif que nous nous préoccupions de cette population.
M. le rapporteur. Les propos de monsieur Moinereau m’interpellent. Nous n’éprouvons aucune défiance envers l’entreprise ou les entrepreneurs. J’apprécie profondément les entrepreneurs, tels que les décrit monsieur Picon, qui font vivre la majorité des très petites, petites et moyennes entreprises dans des conditions extrêmement difficiles. Nous reconnaissons pleinement leur contribution essentielle à la vitalité de notre économie.
Cependant, la confiance n’exclut pas le contrôle. Notre commission d’enquête n’a pas pour objectif de stigmatiser qui que ce soit mais d’examiner l’efficacité des politiques publiques. Tout comme nous évaluons l’utilisation des fonds alloués aux associations, il est légitime d’analyser l’impact des aides publiques aux entreprises, notamment sur la création d’emplois. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a d’ailleurs conclu que le CICE n’a pas eu d’effet significatif sur l’emploi.
Notre objectif n’est pas de réduire le montant des aides, mais plutôt d’envisager un redéploiement ou un rééquilibrage pour mieux répondre aux besoins des PME et des TPE. Ces entreprises, souvent sous-traitantes, peuvent être durement touchées par les plans de licenciements des grandes structures ou les difficultés économiques locales.
Je serais ravi d’aller constater en Espagne, avec monsieur Martin, les effets des politiques de réduction du temps de travail et de suppression des contrats précaires.
Monsieur Picon, j’ai entendu votre appel à la stabilité et à la sérénité. Néanmoins, la composition actuelle de l’Assemblée nationale reflète la volonté de rupture des Français avec certaines politiques, notamment économiques et sociales, conduites à l’initiative du Président de la République. Il appartient à notre commission de dresser un bilan objectif de l’usage des aides publiques aux entreprises et de la politique de facilitation des licenciements, afin de formuler des recommandations pour défendre l’emploi.
Ma question, monsieur Picon, porte sur l’impact des décisions des donneurs d’ordre sur les plans de licenciements ou les défaillances d’entreprises dans le secteur des petites et très petites entreprises. Si vous ne disposez pas de chiffres précis, vous pouvez nous les communiquer ultérieurement par écrit.
M. Michel Picon. Je ne dispose pas de chiffres précis, mais nous tâcherons de nous documenter sur ce point. Il est évident que la crise du logement et les difficultés d’accès au crédit ont un impact considérable. Prenons l’exemple du secteur du bâtiment : lorsque les grands donneurs d’ordre de la construction de logements réduisent leur activité, que ce soit en raison de normes complexes ou de plans d’occupation des sols restrictifs, cela affecte directement les petites entreprises. Une entreprise de peinture de huit salariés peut ainsi se retrouver sans marché.
La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) devrait disposer de données plus détaillées. Comme le dit l’adage, « quand les gros maigrissent, les maigres meurent ». Les difficultés des grandes entreprises pèsent et pèseront encore davantage sur les petites, particulièrement dans le secteur du bâtiment.
Cette situation affecte l’ensemble de la filière du logement. Les notaires ont dû réduire leurs effectifs. Les agents immobiliers ont vu 30 % des mandataires fermer boutique. Les tribunaux de commerce rapportent également des difficultés chez les géomètres experts et les architectes. Toutes ces petites entreprises de la filière sont affectées par les difficultés des plus grandes structures.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
L’audition s’achève à dix-neuf heures vingt-cinq.
Présents. – M. Louis Boyard, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier