Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Audition, ouverte à la presse, de M. Florent Menegaux, président du Groupe Michelin, M. Alexander Law, directeur du développement social, et Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques 2
– Présences en réunion................................20
Mercredi
9 avril 2025
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 13
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à quinze heures trente.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Florent Menegaux, président du Groupe Michelin, M. Alexander Law, directeur du développement social, et Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques.
M. le président Denis Masséglia. Lors de la réunion constitutive de notre commission d’enquête, nous nous étions entendus sur la nécessité de consacrer une partie de nos travaux à l’examen de quelques projets de licenciements collectifs contemporains et d’interroger, à cette occasion, les directions des entreprises à l’origine de ces projets ainsi que les organisations syndicales présentes au sein de ces mêmes entreprises.
C’est ce que nous allons faire aujourd’hui, pour la première fois, avec Michelin.
Je rappelle que la société a annoncé, il y a quelques mois, la fermeture de deux sites de production, à Cholet et Vannes, qui emploient près de 1 250 personnes, et que cela s’est traduit par l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui, après plusieurs mois de négociations, a été signé par la direction et trois syndicats le 24 mars dernier.
Pour évoquer ce sujet, et toutes les questions qui l’entourent, nous recevons M. Florent Menegaux, président du Groupe Michelin, M. Alexander Law, directeur du développement social, et Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Florent Menegaux, M. Alexander Law et Mme Fabienne Goyeneche prêtent serment.)
M. Florent Menegaux, président du Groupe Michelin. Le champ d’investigation de votre commission d’enquête est particulièrement vaste. En tant que dirigeant d’un groupe international du CAC 40, j’ai déjà eu l’opportunité de m’exprimer à quatre reprises devant la représentation nationale sur les enjeux liés à la compétitivité industrielle en France.
Mon propos liminaire s’organisera autour de trois axes principaux. J’évoquerai tout d’abord les freins pesant sur la compétitivité industrielle en France et en Europe, puis la manière dont Michelin assume sa responsabilité sociale et sociétale face aux décisions douloureuses de fermeture de sites et, enfin, les recommandations majeures que nous souhaiterions formuler dans ce contexte.
Permettez-moi, tout d’abord, de vous présenter un graphique retraçant l’évolution du marché mondial du pneumatique depuis le début des années 2000. Ce document met en lumière la perte significative de parts de marché subie par Michelin ainsi que par ses concurrents occidentaux, au bénéfice de fabricants asiatiques, en particulier chinois et taïwanais. En Europe, sur une période de dix années à compter de 2013, Michelin a enregistré une baisse de ses parts de marché dans quasiment tous les segments, notamment en ce qui concerne les pneumatiques pour voitures et camionnettes. Les marques premium ont ainsi perdu onze points de parts de marché, pendant que les marques asiatiques en gagnaient un volume équivalent. Le phénomène est tout aussi marqué dans le secteur du poids lourd, dans lequel les marques premium ont cédé huit points, tandis que les marques asiatiques en ont gagné onze. Nous mettons en garde depuis plusieurs années contre ce mouvement de fond particulièrement structurant sur le marché européen, sans toutefois être véritablement entendus.
Le cœur du problème réside dans la dégradation continue de la compétitivité en France comme en Europe, qui s’est aggravée de manière notable entre 2019 et 2024, au point qu’il n’est plus envisageable pour nous d’exporter à partir du territoire européen. Ce constat est fondamental pour saisir l’évolution actuelle de notre empreinte industrielle sur le continent.
Le contexte international, caractérisé par une montée en puissance du protectionnisme dans de nombreuses régions du monde et par le soutien vigoureux apporté aux industries présentes dans ces mêmes régions, a engendré de profondes distorsions dans les échanges commerciaux mondiaux. Alors qu’aucun droit de douane ne s’applique sur les pneumatiques en provenance de l’Inde, l’Europe a longtemps été empêchée d’y exporter. Aujourd’hui encore, des quotas particulièrement contraignants limitent nos exportations.
La situation s’est également profondément dégradée en matière de coûts de fabrication. Si les coûts de production de Michelin en Asie étaient égaux à 100 en 2019, ils s’élevaient à 127 aux États-Unis et à 134 en Europe. En 2024, ces coûts atteignaient 176 aux États-Unis et 191 en Europe pour des coûts inchangés en Asie. À l’heure actuelle, produire en Europe revient donc quasiment deux fois plus cher que produire en Asie, ce qui compromet sévèrement toute possibilité d’exportation depuis l’Europe, et plus particulièrement depuis la France.
Un autre événement majeur intervenu au cours de la période 2019-2024 réside dans l’envolée des prix de l’énergie. En dépit d’une baisse récente, le coût de l’électricité en Europe demeure deux fois supérieur à celui qui prévaut en Amérique du Nord. La différence est encore plus marquée pour le gaz naturel : son coût est cinq fois plus élevé qu’Amérique du Nord. Cette situation entraîne une perte drastique de compétitivité énergétique, qui affecte particulièrement les industries de transformation de la matière.
La fiscalité, qui pèse sur les coûts de production européens, constitue un autre facteur aggravant de cette perte de compétitivité. En France, la part des impôts de production dans le produit intérieur brut (PIB) s’élevait, en 2023, à 4,5 %, soit un niveau bien supérieur à la moyenne européenne, qui se situe à 2,4 %. Quant aux prélèvements obligatoires, ils représentaient 45,6 % du PIB en France, contre 40 % en Allemagne comme dans l’ensemble de l’Union européenne.
La hausse du prix des matières premières exerce une pression inéluctable sur la masse salariale. Dès lors que la hausse des prix engendre une hausse des salaires, le changement est irréversible. La situation française présente à cet égard une difficulté particulière puisque, pour 100 euros de salaire brut, l’entreprise débourse 142 euros tandis que le salarié ne perçoit que 77,50 euros nets. Ce système tend à décourager les augmentations salariales, car l’écart entre le coût pour l’employeur et le gain effectif pour le salarié s’accentue lorsque le niveau de la rémunération s’élève. Ce phénomène contraste fortement avec les pratiques observées dans d’autres pays, l’Allemagne, le Canada ou encore la Thaïlande.
À cette problématique s’ajoute l’instabilité réglementaire croissante et l’inflation normative. Ces évolutions alourdissent considérablement nos charges, d’autant que certaines normes nationales s’avèrent incompatibles avec les réglementations européennes.
Ces multiples facteurs ont un impact direct et concret sur nos activités industrielles en France, qui se trouvent aujourd’hui en situation déficitaire. Si Michelin parvient à demeurer bénéficiaire dans l’Hexagone, c’est essentiellement grâce à d’autres pôles d’activité, tels que la recherche et le développement, dont les coûts sont en grande partie refacturés à l’étranger. 80 % de notre production en France est destinée à l’exportation, ce qui suppose de pratiquer des prix de vente élevés. L’analyse comparative de nos coûts de revient met en évidence des écarts significatifs.
Malgré cela, nous avons toujours fait preuve d’un engagement fort en faveur de la France. Nous y employons 19 000 équivalents temps plein, dont 9 000 au sein de notre appareil productif. Depuis 2014, nos investissements en France s’élèvent à 2,6 milliards d’euros, dont 1,5 milliard pour la modernisation de l’outil de production. La France concentre par ailleurs 50 % de nos dépenses mondiales de recherche et développement, bien qu’elle ne représente que 9 % de notre chiffre d’affaires global. Elle accueille également 16 % de nos effectifs mondiaux et génère 16,5 % de nos contributions fiscales à l’échelle internationale.
Entre 2014 et 2024, la manufacture française des pneumatiques Michelin (MFPM) a vu ses effectifs se réduire à hauteur de 3 400 postes. 10 000 personnes ont toutefois été recrutées au cours de cette même période et, en parallèle, notre entité Michelin développement, en charge de la revitalisation des territoires, a permis la création de 10 000 emplois supplémentaires. La part de cadres au sein de la manufacture est passée de 28 % à plus de 44 %, ce qui témoigne d’une montée en qualification progressive de nos effectifs, destinée à compenser partiellement les écarts de compétitivité. Sur la même période, l’évolution salariale moyenne au sein de la MFPM a atteint 29,75 %, soit un niveau supérieur de sept points à la moyenne de l’économie française. Le gain de pouvoir d’achat pour nos salariés s’est élevé à dix points supplémentaires, contre trois au niveau national.
Michelin conserve aujourd’hui l’empreinte industrielle la plus importante de tous les manufacturiers de pneumatiques, tant en France qu’en Europe. Nous allons prochainement passer de quinze à treize sites industriels, tout en demeurant le premier producteur de pneus neufs pour le marché automobile, à la fois en France et sur le continent européen. Nous occupons également la première place sur les marchés italien et espagnol.
La situation est particulièrement préoccupante pour le site de Cholet, qui est, pour la gamme de produits qu’il fabrique, notre site le plus coûteux au monde. Il faut rappeler que notre stratégie industrielle repose sur une logique de production locale destinée aux marchés locaux, ce qui limite structurellement les échanges intercontinentaux. Le schéma structurel de déploiement de Michelin dans le monde aura toujours été d’utiliser l’Europe comme base d’exportation et de conquête des marchés.
Le site de Cholet fait l’objet de préoccupations constantes depuis plus de vingt ans. La décision de fermeture n’est intervenue qu’en ultime recours, après l’examen approfondi de nombreuses autres solutions. Nous avons tenté d’augmenter les volumes de production, de moderniser les installations, sans parvenir à un redressement durable. Entre 2015 et 2019, le coût de revient industriel du site est passé de 100 à 104, soit une hausse de 4 % en quatre ans. Cette usine, dotée d’une capacité nominale de 5,6 millions d’enveloppes, n’était pourtant chargée qu’à hauteur de 77 % en 2015, ce qui traduit des difficultés structurelles persistantes. En 2019, le coût de revient demeurait relativement stable, ce qui permettait de maintenir un taux de charge de 77 %. Cependant, en 2024, ce coût a fortement progressé pour atteindre 163 points, soit une augmentation de 60 points par rapport à notre coût de référence. Dans le même temps, en raison d’un environnement concurrentiel tendu en France et en Europe, nos prix de vente n’ont pas suivi cette hausse. En 2015, les prix de vente et les coûts de revient étaient équilibrés. En 2019, notre marge avait augmenté. En 2024, la situation s’est inversée, les coûts devenant supérieurs aux prix.
Cette conjoncture défavorable a entraîné une sous-utilisation notable du site. Lorsque la décision a été prise en novembre 2024, notre production était tombée à deux millions d’enveloppes et nous avions perdu des parts de marché, dans un contexte où le marché lui‑même évoluait défavorablement pour le site compte tenu des produits qui y étaient fabriqués. Dans cette configuration, nous avons longuement réfléchi aux moyens susceptibles de préserver l’activité du site. Je précise que nos autres implantations européennes, bien qu’affichant une meilleure compétitivité, souffrent également d’une sous-utilisation liée à la contraction du marché et à la transformation de la demande. Le taux de charge moyen de nos usines en Europe a ainsi connu une baisse significative.
Je réaffirme que nous avons fait un très gros effort pour trouver une solution susceptible d’éviter la fermeture de l’usine. Depuis 2015, nous avons investi dans le site à hauteur de 133 millions d’euros, dont 54,5 millions d’euros depuis 2019. Si la fermeture de l’usine avait été envisagée de longue date, jamais nous n’aurions engagé de telles dépenses. Dans le cadre du plan de restructuration en cours, nous allons procéder à un amortissement exceptionnel, qui représente plusieurs dizaines de millions d’euros d’actifs qui seront comptabilisés en pertes dans nos résultats.
La situation du site de Vannes est différente. Cette usine produisait des câbles métalliques de renfort destinés aux pneumatiques pour poids lourds. Or, dans ce secteur, la perte de parts de marché en Europe s’est avérée encore plus prononcée que pour les pneumatiques des véhicules de tourisme et des utilitaires, en raison notamment des importations en provenance de Chine et de l’absence de mesures de protection à l’échelle européenne. Cette situation a entraîné une surcapacité chronique dans les pneumatiques pour poids lourds, ce qui a conduit à la fermeture de plusieurs unités de production, en Allemagne, en Pologne mais également en Chine.
Nous nous sommes retrouvés avec trois sites spécialisés dans la production de câbles de renfort pour ces pneumatiques, qui fonctionnaient à moins de 50 % de leurs capacités. Cette sous-utilisation persistante, conjuguée à l’impossibilité de redresser durablement l’activité, nous a conduits à envisager une restructuration. Le site de Vannes s’est révélé le plus vulnérable, en raison de son positionnement géographique excentré par rapport au cœur de nos marchés européens et en raison du poids représenté par les frais fixes. Cela a plaidé pour la fermeture de cette usine. Une usine similaire située en Allemagne a aussi fermé ses portes.
Je tiens à souligner que la fermeture d’un site constitue toujours une décision lourde, aux conséquences humaines et territoriales considérables. C’est pourquoi nous ne l’envisageons qu’en toute dernière instance, après avoir exploré toutes les pistes et échangé avec les partenaires sociaux. Une fois la décision arrêtée, nous nous accordons généralement une période d’une durée comprise entre un an et deux ans avant sa mise en œuvre effective, afin d’honorer deux engagements fondamentaux.
Le premier de ces engagements consiste à accompagner chaque salarié vers un avenir professionnel stable. Nous déployons des dispositifs d’accompagnement psychologique, des cellules de soutien aux projets professionnels et nous nous efforçons, chaque fois que cela est possible, de favoriser un reclassement interne au sein du Groupe Michelin.
Le second engagement consiste à revitaliser les territoires concernés moyennant la création, a minima, d’autant d’emplois stables qu’il y a d’emplois supprimés dans la zone. Cet engagement ne peut être activé qu’une fois le PSE signé, la fermeture d’un site industriel s’inscrivant dans un cadre juridique strict, régi par un calendrier précis et des procédures rigoureuses. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont manifesté un intérêt concret et notre filiale Michelin développement examine avec attention les types d’emplois susceptibles d’être créés. Notre objectif ne consiste pas à créer des emplois précaires ou transitoires, mais bien à favoriser l’émergence de postes durables.
Les leviers à actionner pour améliorer la compétitivité sont bien identifiés et il importe à présent de les mettre effectivement en œuvre. La réduction des surcoûts de production s’impose comme la priorité absolue. Il est impératif de contenir les coûts énergétiques, d’alléger les charges sociales, de rationaliser la fiscalité et de limiter le poids croissant des normes. Autrement, la réindustrialisation de la France ne pourra qu’échouer.
Au-delà de ces ajustements techniques, il convient de se doter d’une ambition industrielle collective à la hauteur des enjeux. Cela implique un renforcement significatif de la formation scientifique à tous les niveaux du système éducatif, pas seulement pour former des experts de haut vol, mais pour couvrir l’ensemble des maillons de la chaîne de compétences. Il est tout aussi nécessaire d’élever le niveau de culture économique, ce qui suppose un effort pédagogique soutenu et durable. La revalorisation des métiers industriels et le rattrapage des retards en matière d’investissements constituent également des prérequis essentiels. La mise en œuvre des recommandations du rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne constitue un impératif si nous souhaitons garantir un avenir pérenne à notre tissu industriel.
Enfin, il nous faut élaborer une politique publique structurée, destinée à soutenir l’émergence des innovations. Sur ce terrain, la Chine et les États-Unis font figure de modèles car ils créent les conditions propices à l’apparition de nouvelles filières industrielles. L’introduction d’une technologie innovante sur le marché étant toujours un processus complexe, il faut que la passation des marchés publics joue un rôle facilitateur en la matière. L’exemple de l’hydrogène est à cet égard emblématique, puisque ce vecteur énergétique s’inscrit dans un projet de transformation à long terme visant à compléter, et non à concurrencer, la technologie des batteries. Or la situation actuelle à Lyon m’inspire une profonde inquiétude car plusieurs centaines de millions d’euros y ont été investis dans le développement de piles à hydrogène pour que le retrait des soutiens publics soit désormais envisagé. Cela reviendrait à couper le carburant d’un avion en plein décollage.
Il est impératif que les politiques publiques et les réglementations soient à la fois harmonisées, simplifiées et stabilisées. Pour une entreprise telle que Michelin, dont les investissements s’inscrivent dans une temporalité très longue, des règles qui changent régulièrement sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre. De surcroît, la déclinaison nationale de directives européennes communes aboutit à une fragmentation réglementaire incompatible avec le fonctionnement opérationnel des entreprises.
En définitive, le rôle des pouvoirs publics dans la défense de la compétitivité et de l’emploi consiste à créer les conditions favorables à la prospérité durable des entreprises, à stimuler les investissements sur le territoire national et à préparer les emplois de demain.
M. le président Denis Masséglia. L’industrie constitue l’ADN de notre territoire. La ville de Cholet doit une part essentielle de son développement industriel à la présence de Michelin, implanté sur son sol depuis cinquante-cinq ans. Bien que la dette historique soit parfaitement admise, l’annonce de la fermeture du site, survenue le 5 novembre 2024, a profondément ébranlé notre territoire. Convoquer les salariés ensemble dans un bâtiment pour leur signifier la suppression de leur emploi dès le lendemain me paraît constituer une méthode discutable. Je souhaite exprimer avec clarté mon désaccord à l’égard de la démarche retenue, sans que cela n’altère la reconnaissance que je porte à Michelin.
Je m’interroge aujourd’hui sur les raisons précises ayant conduit à la décision de fermeture. Vous avez évoqué l’augmentation des coûts et la baisse de la production, le tout expliquant en partie la perte de compétitivité. Mon objectif est d’obtenir des réponses précises et chiffrées aux interrogations que je souhaite vous soumettre. Je rappelle d’ailleurs que ces questions vous ont été communiquées en amont, afin de vous permettre d’y répondre dans les meilleures conditions.
Ma première question est la suivante : à quelle date remonte la première étude interne évoquant la possibilité de fermer le site Michelin de Cholet ? Il ne s’agit pas ici de connaître la date de la décision définitive, mais bien celle de la première analyse suggérant cette hypothèse.
M. Florent Menegaux. Je vous remercie d’avoir rappelé l’importance de Michelin pour le territoire de Cholet. Vous évoquez les conditions dans lesquelles l’annonce de la fermeture du site a été formulée. Je veux rappeler qu’un député a, le dimanche précédent, divulgué des informations confidentielles à la radio, ce qui nous a contraints à reconsidérer dans l’urgence les modalités de notre communication. À ce stade, aucune décision n’avait été arrêtée. Cette fuite, totalement inacceptable selon nous, nous a malheureusement placés dans l’obligation d’agir de manière précipitée.
Nous avons dû faire preuve de la plus grande réactivité. Je précise par ailleurs que la nécessité de réunir simultanément mille salariés réduit drastiquement les possibilités logistiques. Le seul espace disponible et adapté à cet impératif était celui qui a été utilisé. Notre volonté était de garantir une information uniforme et simultanée à l’ensemble des salariés, d’autant plus que des éléments sensibles avaient déjà été divulgués dans des conditions inadmissibles.
Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques. Nous évaluons en permanence notre empreinte industrielle et faisons constamment des analyses pour mesurer les écarts de compétitivité. Quant à la décision de fermeture d’un site, elle est toujours prise en dernier recours.
M. Florent Menegaux. Je visite le site de Cholet depuis plus de vingt ans. Nous avons exploré de nombreuses options et bâti de multiples projets, sans avoir jamais eu l’intention préalable de fermer l’usine.
M. le président Denis Masséglia. Je repose ma question. Quelle est la date de la première étude ayant évoqué l’hypothèse de la fermeture du site de Cholet ?
M. Florent Menegaux. Je ne connais pas la date précise, mais nous vous la communiquerons ultérieurement.
M. le président Denis Masséglia. Je vais poser ma deuxième question bien que j’anticipe une réponse identique. Cette étude s’inscrivait-elle dans le cadre d’une réflexion globale sur la fermeture de plusieurs sites, parmi lesquels ceux de La Roche‑sur‑Yon et de Vannes ?
M. Florent Menegaux. Le site de La Roche‑sur‑Yon produisait des pneumatiques pour poids lourds, ce qui est totalement différent de ce qui est produit à Cholet. Chaque segment du marché est analysé séparément. Le marché des pneumatiques pour poids lourds n’a rien à voir avec celui des pneumatiques pour camionnettes. Les deux événements sont donc totalement déconnectés.
M. le président Denis Masséglia. Si je comprends bien, il n’y a pas eu de stratégie globale visant à transférer une partie de la production à l’étranger ?
M. Florent Menegaux. Absolument pas.
M. le président Denis Masséglia. À quelle date la décision définitive de fermeture des sites de Cholet et de Vannes a-t-elle été prise ? Avez-vous également défini votre stratégie de communication à ce moment-là ?
M. Florent Menegaux. Notre stratégie de communication a dû être accélérée en raison d’une annonce prématurée faite sur une radio nationale. La divulgation de cette information a provoqué une vague d’appels de salariés inquiets qui nous ont pris au dépourvu. Nous avons dû réagir dans l’urgence pour définir notre ligne de conduite. Cet événement a indéniablement précipité le processus.
M. le président Denis Masséglia. Je vous prie de confirmer que les pneumatiques pour véhicules 4x4, actuellement produits sur le site de Cholet, peuvent être fabriqués sur quatre autres sites, en Pologne, en Italie, en Thaïlande et au Brésil.
M. Florent Menegaux. Bien que cette production soit techniquement réalisable sur ces sites, notre stratégie industrielle ne prévoit pas d’importations depuis le Brésil ou la Thaïlande vers l’Europe dans la mesure où la production est destinée aux marchés locaux. Le Brésil, par exemple, dispose d’une capacité de production de pneus de plus grande dimension, principalement destinés aux marchés sud-américain et nord-américain, ce que Cholet ne peut pas faire. La production de Cholet connaît une forte baisse en raison de son positionnement sur des marchés en déclin. Elle sera transférée vers l’Italie et la Pologne.
M. le président Denis Masséglia. Des informations provenant de salariés de Cholet contredisent votre affirmation sur l’absence d’importation de pneumatiques brésiliens en France. Pouvez-vous confirmer catégoriquement qu’aucun pneumatique brésilien n’a été distribué en France ou acheminé vers la France, potentiellement par l’intermédiaire de l’usine de Cholet ?
M. Florent Menegaux. À ma connaissance, cela n’est pas le cas. Je ne dispose d’aucune information à ce sujet, d’autant qu’un transit par Cholet serait totalement illogique.
Il faut néanmoins rappeler que, au lendemain de la crise du covid‑19, il y a eu une forte pénurie de production. À cette période, le site de Cholet rencontrait des difficultés de recrutement et ne parvenait pas à atteindre ses objectifs de production. Il est possible que nous ayons fait appel à des capacités de production extérieures. Cependant, il ne s’agit en aucun cas d’une pratique structurelle.
M. le président Denis Masséglia. Pourriez-vous nous fournir une confirmation écrite sur ce point après vérification ?
M. Florent Menegaux. Certainement.
M. le président Denis Masséglia. Pouvez-vous nous communiquer le nombre de pneumatiques pour camionnettes et véhicules 4x4 produits en 2014, 2019 et 2024 sur les trois sites européens ?
M. Florent Menegaux. Nous vous transmettrons ces informations par écrit. Cependant, je souhaiterais que nous recentrions nos échanges sur l’objet principal de votre enquête.
M. le président Denis Masséglia. Ces questions visent à déterminer si Michelin a délibérément cherché à transférer tout ou partie de la production du site français vers la Pologne ou l’Italie.
M. Florent Menegaux. Je ne perçois toujours pas le lien direct avec l’objet de votre enquête.
M. le président Denis Masséglia. Notre commission d’enquête souhaite savoir si le PSE mis en œuvre à Cholet est véritablement lié à une baisse de la production européenne de pneumatiques ou s’il s’agit simplement d’une volonté de l’entreprise de réduire sa production à Cholet en la transférant vers la Pologne.
M. Florent Menegaux. Nous vous fournirons les éléments demandés et vous constaterez que l’ensemble des sites de production en Europe connaît une phase de déclin.
M. le président Denis Masséglia. D’après mes informations, il existerait une très légère baisse de la production en Pologne, une stabilisation en Italie mais une diminution significative à Cholet.
M. Florent Menegaux. En effet, mais ces sites ne fabriquent pas les mêmes types de pneumatiques. La production en Italie concerne majoritairement des pneumatiques qui diffèrent de ceux qui sont fabriqués à Cholet, qui ne sont pas non plus les mêmes que ceux qui sont fabriqués à Olsztyn, en Pologne. Chacun de ces sites produit pour répondre aux besoins de marchés spécifiques.
Aujourd’hui, nous faisons face à une situation dans laquelle plusieurs de nos grands sites européens souffrent d’une sous-utilisation manifeste. Dans le même temps, l’usine de Cholet connaît une obsolescence technologique qui l’empêche de produire les pneumatiques correspondant aux exigences des marchés futurs. Elle est sous-exploitée, à l’instar d’autres sites européens, qui ne peuvent plus se tourner vers l’exportation pour les raisons que nous avons précédemment exposées.
Notre stratégie s’inscrit dans une logique d’adaptation de l’outil de production pour permettre à d’autres sites de reprendre les fabrications jusqu’ici assurées par Cholet. Nous vous transmettrons, en toute transparence, les données précises relatives aux taux d’utilisation de ces usines. Je tiens toutefois à souligner avec fermeté que les éléments que vous évoquez ne présentent aucun lien direct avec les productions spécifiques du site de Cholet.
M. le président Denis Masséglia. Je comprends pleinement la nécessité pour Michelin de préserver la confidentialité de données aussi sensibles. Je mesure l’importance pour votre entreprise de protéger ces données face à la concurrence. Nous sommes prêts à établir une procédure qui nous permettrait d’accéder à une vision d’ensemble de la situation, sans pour autant vous exposer à des difficultés.
Je souhaiterais que vous puissiez nous communiquer le montant des investissements effectués au cours des dix dernières années sur les sites de Cholet, de Cuneo en Italie et de Olsztyn en Pologne. Ces données comparatives nous permettraient d’évaluer objectivement la répartition de vos efforts d’investissements et de savoir s’il existe une orientation stratégique consistant à privilégier les implantations italienne ou polonaise.
M. Florent Menegaux. Nous vous fournirons ces informations mais je tiens à souligner une nouvelle fois que les investissements effectués à Cuneo et à Olsztyn sont de nature différente de ceux effectués à Cholet.
M. le président Denis Masséglia. Pouvez-vous nous donner le détail du volume d’émissions de CO2 générées par la production d’un pneumatique à Cholet, en Pologne et en Italie, sachant que l’électricité en France est nettement moins carbonée qu’en Pologne ?
M. Florent Menegaux. Nous vous communiquerons également ces informations. Le site polonais utilisait historiquement des chaudières à charbon, héritage d’une époque où ce site assurait également le chauffage urbain. Nous avons déployé, durant de nombreuses années, des efforts soutenus afin de sortir de cette configuration obsolète. À la fin de l’année 2024, nous avons abandonné définitivement le charbon au profit d’une chaudière fonctionnant au gaz. Les données relatives aux émissions de CO2 feront donc nécessairement état de niveaux élevés pour les périodes antérieures, en raison de l’utilisation prolongée du charbon. La chaudière actuelle est désormais exclusivement consacrée aux besoins de fonctionnement de l’usine.
M. le président Denis Masséglia. Les arguments que vous avez avancés lors de l’annonce de la fermeture des sites de Vannes et de Cholet rappellent ceux que vous aviez utilisés pour la fermeture du site de La Roche-sur-Yon. Nous pouvons donc nous interroger sur les raisons pour lesquelles, au moment de l’annonce de la fermeture de l’usine de La Roche‑sur‑Yon, vous n’avez pas anticipé les difficultés à venir pour les usines de Cholet et de Vannes. Vous avez également évoqué des problèmes de charge sur l’usine de Troyes. Devons-nous nous attendre à des annonces de fermeture d’autres sites en France dans un avenir proche ?
M. Florent Menegaux. Je tiens à redire que nous ne disposons d’aucun plan préétabli au sujet de l’avenir de nos sites. Avant la fermeture de l’usine de La Roche‑sur‑Yon, j’ai indiqué en toute transparence à la présidente de la région qu’il m’était impossible de garantir la pérennité du site de Cholet. Faire la promesse inverse aurait été irresponsable au regard des incertitudes pesant sur notre environnement industriel. En décidant la fermeture de l’usine de La Roche-sur-Yon, nous nourrissions l’espoir sincère de prévenir de futures situations délicates. Malheureusement, les conditions se sont sensiblement détériorées au cours des cinq dernières années et nous avons dû reconsidérer en profondeur notre stratégie.
Tous nos sites hexagonaux fonctionnent actuellement en sous-capacité. Ainsi, à Troyes comme à Avallon, les taux d’utilisation sont inférieurs à 45 %, en grande partie à cause de la concurrence exercée par les pneumatiques neufs importés d’Asie, dont les prix se révèlent inférieurs à ceux de nos pneus rechapés. Cette sous-utilisation généralisée ne signifie pas, à ce stade, que la pérennité des sites soit compromise, mais si la situation venait à se prolonger, cela pourrait poser de sérieuses difficultés.
Nos usines du Puy-en-Velay, de Montceau-les-Mines et de Bassens, ainsi que nos sites spécialisés dans la fabrication de pneumatiques haut de gamme à Roanne et aux Gravanches, qui utilisent des procédés techniques spécifiques, connaissent eux aussi une sous-utilisation. L’ensemble de nos installations subit les conséquences des tensions qui pèsent actuellement sur le marché automobile.
Nous évaluons en permanence l’évolution des conditions du marché, afin de déterminer si les difficultés rencontrées sont conjoncturelles ou traduisent, au contraire, une transformation structurelle. Tant que nous ne serons pas pleinement convaincus du caractère irréversible de ces difficultés, et tant que subsistera la moindre possibilité d’éviter la fermeture d’un site, nous nous abstiendrons de toute décision en ce sens.
M. le président Denis Masséglia. Avez-vous bénéficié d’aides publiques pour la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) ?
M. Alexander Law, directeur du développement social. Nous avons bénéficié de certains dispositifs, qui ne sont toutefois pas des aides publiques au sens strict du terme. Ce sont plutôt des mécanismes d’accompagnement, notamment pour la formation. Nous pourrons vous fournir ultérieurement des informations plus détaillées à ce sujet.
M. le président Denis Masséglia. Au cours de la dernière décennie, avez-vous reçu des aides publiques ? Le cas échéant, lesquelles et pour quels montants ?
Mme Fabienne Goyeneche. Je vais vous donner un aperçu des informations que nous avons exposées de manière détaillée lors de notre audition au Sénat. Nous vous transmettrons, par écrit, des précisions complémentaires.
Michelin, comme de nombreuses entreprises, bénéficie de plusieurs formes de soutien. Il existe tout d’abord les dispositifs généraux de soutien à l’emploi, tels que l’activité partielle, les aides à l’embauche et à la formation, qui nous permettent de faire face aux variations d’activité. En 2023, nous avons perçu 10,6 millions d’euros à ce titre, pour une masse salariale, au sein de la MFPM, de 1,5 milliard d’euros.
Nous recevons également des soutiens pour le mécénat et nos actions sociétales. Sur la période 2019-2024, nous avons bénéficié de plus de 43 millions d’euros de déductions fiscales pour un total de plus de 100 millions d’euros de dépenses.
Les aides publiques à la compétitivité sont essentielles. Nous sollicitons le bénéfice ces aides uniquement lorsqu’elles s’inscrivent dans une stratégie préexistante et non pas pour orienter cette stratégie. Ces aides incluent tout d’abord des allégements de charges sociales et fiscales. En 2023, la MFPM a perçu 32,4 millions d’euros d’aides de ce type, pour une masse salariale de 1,5 milliard d’euros et 400 millions d’euros de cotisations versées. Nous avons également bénéficié de mécanismes de compensation des surcoûts énergétiques liés au conflit russo-ukrainien. Sur la période 2022-2024, nous avons perçu 4 millions d’euros d’aides pour un surcoût énergétique de 129,4 millions d’euros, qui a principalement affecté les sites de Bassens et d’Avallon.
Michelin est peu éligible aux aides des collectivités territoriales relatives à la modernisation industrielle en raison de sa taille. En 2023, nous avons perçu 1,4 million d’euros d’aides pour un montant total de 155 millions d’euros de dépenses.
La même année, Michelin a perçu 1,8 million d’euros d’aides au titre de la transition environnementale, qui constitue un enjeu majeur dans notre trajectoire vers la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Enfin, les mécanismes de soutien à la recherche et au développement occupent une place importante. Notre centre de recherche à Clermont-Ferrand constitue un pilier de notre stratégie d’innovation, qui doit nous permettre de demeurer compétitifs dans un contexte de concurrence accrue à l’échelle mondiale. Sur la période 2020-2024, nous avons perçu 14,7 millions d’euros de subventions pour 82 millions d’euros de dépenses liées à des projets de recherche. En 2023, le crédit d’impôt recherche (CIR) nous a permis de bénéficier de 40,4 millions d’euros de déductions fiscales, pour un total de 400 millions d’euros de dépenses en recherche et développement. Ces aides publiques sont déterminantes pour accélérer notre capacité d’innovation, maintenir notre activité de recherche et développement en France, et encourager les partenariats entre acteurs publics et privés.
M. Florent Menegaux. Je tiens à préciser qu’aucun de nos sites en France n’a actuellement recours à l’activité partielle.
M. le président Denis Masséglia. Je souhaite que vous nous transmettiez par écrit les éléments demandés ainsi que des informations sur l’ensemble des impôts que vous payez en France.
L’usine de Cholet dispose d’une chaudière biomasse et d’une chaudière de trigénération, désormais démontée. Avez-vous bénéficié d’aides publiques pour financer ces installations ?
M. Florent Menegaux. Les investissements en question remontent respectivement à vingt-cinq ans et quinze ans. Nous vérifierons ces informations.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je souhaite tout d’abord réagir à votre observation relative au périmètre de la commission d’enquête. En tant qu’auteur de la résolution ayant permis sa création, je tiens à affirmer que nous nous situons précisément au cœur du sujet. Notre objectif est de comprendre comment notre législation et notre politique économique rendent possible le fait qu’une entreprise telle que Michelin procède à des suppressions d’emplois tout en poursuivant des objectifs de marge élevés, en affichant des résultats en progression et en bénéficiant, dans le même temps, de soutiens publics significatifs.
Michelin affiche une prévision de marge à hauteur de 15 % à l’horizon 2030, a distribué 1,4 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2024 et a eu recours à plus de 100 000 heures d’activité partielle financées par l’État sur le site de Cholet, un dispositif pourtant conçu pour préserver l’emploi.
Je souhaite insister, à mon tour, sur la question du président relative à la date de la première étude évoquant la possibilité de fermer le site. Bien que des divergences nous opposent fréquemment, nous nous retrouvons sur ce point essentiel. Ces questions vous ont été transmises il y a plusieurs jours et je dois avouer ma surprise de constater que vous ne disposez pas de cette information, qui me semble pourtant cruciale. Elle est indispensable pour que nous puissions, à l’avenir, construire des solutions avec les élus locaux, la puissance publique et les organisations syndicales lorsqu’une entreprise envisage la mise en œuvre d’un plan social.
M. Florent Menegaux. Je souhaite rectifier une inexactitude dans vos propos. Le montant des dividendes ne s’élève pas à 1,4 milliard d’euros. Vous avez fait un amalgame entre les dividendes et les rachats d’actions, qui sont deux choses distinctes. Les dividendes, d’un montant de 900 millions d’euros, constituent une rémunération versée aux actionnaires. Les rachats d’actions se sont élevés à 500 millions d’euros. Il s’agit d’une décision de Michelin visant à réduire le nombre d’actions en circulation par le réinvestissement d’un excédent de trésorerie. Cette opération n’a aucun impact sur les salaires, les investissements, les primes versées aux salariés ni sur la pérennité de l’entreprise.
En ce qui concerne la date de la première étude évoquant la possibilité de fermeture du site, il est essentiel de comprendre que ce type de décision ne relève pas d’un processus mécanique. Lorsque nous évaluons la situation d’un site, nous procédons à un examen global de l’ensemble de nos cent-vingt sites de production à travers le monde. Ce processus repose sur l’analyse de nombreux paramètres et se déploie sur plusieurs années. Nous ne disposons pas d’un plan prédéfini pour les sites de Cholet ou Vannes. Je tiens à préciser que vos dernières questions nous sont parvenues vendredi soir, et que nous sommes aujourd’hui mercredi.
Nous vous transmettrons l’information précise dès que possible.
M. le rapporteur. Bien que je comprenne la complexité du processus décisionnel, il est surprenant que vous n’ayez pas cherché à obtenir cette information, étant donné la précision des questions du président. Nous serons très attentifs à la réponse que vous nous fournirez ultérieurement.
L’argent public que vous percevez en France est-il exclusivement mobilisé en France ?
M. Florent Menegaux. En principe oui, car toutes les aides que nous recevons sont fléchées vers des destinations spécifiques.
Mme Fabienne Goyeneche. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « mobilisé » ?
M. le rapporteur. Je fais référence à l’utilisation de cet argent.
Mme Fabienne Goyeneche. Les aides publiques sont soumises à des conditions d’utilisation spécifiques. Les certificats d’économie d’énergie, par exemple, sont liés à des réductions de consommation énergétique constatées dans nos usines. Les aides destinées aux installations industrielles sont versées par tranches, en fonction de l’avancement des projets. Le bénéfice du CIR suppose que soient fournies des preuves détaillées sur les heures de travail effectuées par les chercheurs. Chaque aide fait ainsi l’objet d’un encadrement strict.
M. Florent Menegaux. Il est possible qu’une partie des études réalisées grâce au CIR soit conduite en collaboration avec des laboratoires européens ou des universités européennes. Nous allons vérifier ce point avec précision. Le principe général demeure que nous respectons scrupuleusement la finalité prévue pour chaque aide perçue.
Mme Fabienne Goyeneche. Il est vrai que certaines dépenses financées par le CIR peuvent être réalisées hors du territoire français. Ces situations restent toutefois extrêmement encadrées. Nous pouvons vérifier les chiffres exacts, mais ces dépenses effectuées à l’étranger, par exemple lorsqu’il s’agit de recourir à un laboratoire spécifique situé dans un autre pays, restent marginales à l’échelle de l’ensemble de nos activités de recherche.
M. le rapporteur. Votre entreprise a bénéficié d’aides publiques au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et d’allègements de cotisations pour investir, à La Roche-sur-Yon, dans des équipements qui n’ont jamais été utilisés. Ne pensez-vous pas que la puissance publique pourrait légitimement conditionner le versement de ses aides à des engagements précis en matière d’emploi et de maintien de l’activité sur les sites ?
M. Florent Menegaux. Cette question m’interpelle. Je souhaite tout d’abord préciser que les éléments évoqués lors de l’audition publique au Sénat faisaient référence à des décisions antérieures à ma prise de fonctions à la tête de l’entreprise. Bien que j’assume pleinement les responsabilités qui incombent à Michelin, il me semble nécessaire d’éviter de remonter trop loin dans le temps. En ce qui concerne le cas que vous mentionnez, il fait actuellement l’objet d’un examen approfondi. J’ai appris au cours de cette audition qu’il était question de cinq machines : deux auraient été installées tandis que les trois autres seraient restées inutilisées.
J’ai déclaré, lors de l’audition publique au Sénat, que si l’objectif fixé n’avait pas été atteint, il serait cohérent de procéder à un remboursement. Ce point fait actuellement l’objet d’une étude. Je partage entièrement votre position : lorsqu’un objectif est clairement défini en contrepartie d’une aide publique, il est parfaitement normal que cette aide fasse l’objet d’un remboursement si l’objectif en question n’est pas respecté. C’est d’ailleurs déjà ce qui est prévu dans la plupart des dispositifs d’aide que nous recevons actuellement.
M. le rapporteur. Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur la fréquence et la nature de vos échanges avec l’État ? Plus précisément, lorsque vous envisagez la délocalisation de la production depuis la France vers des pays comme la Pologne ou l’Italie, une intervention de la puissance publique a-t-elle lieu ? Quels moyens sont mobilisés pour tenter de vous convaincre de maintenir cette activité sur le territoire national ?
En cas d’annonce de fermeture, à l’image de ce qui s’est produit à Vannes ou Cholet, quelle est la nature de l’intervention de la puissance publique et quelles propositions vous sont formulées à cette occasion ? Examinez-vous les solutions concurrentes des plans de licenciement ?
Enfin, quelle est la teneur de vos échanges avec la puissance publique sur la question du réarmement industriel de la France ? En tant que grand groupe industriel français, quelle expertise apportez-vous dans le cadre de cette réflexion sur des enjeux aussi fondamentaux ?
Mme Fabienne Goyeneche. Permettez-moi, tout d’abord, d’apporter une clarification au sujet du transfert d’activité vers l’Italie et la Pologne. L’activité résiduelle actuellement assurée à Cholet continuera d’être prise en charge par des usines dont ce n’est pas la vocation principale. La production de pneumatiques pour camionnettes à Olsztyn ou à Cuneo ne représente qu’une part marginale de l’activité de ces sites. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’un processus de délocalisation.
Nous attachons une importance essentielle au dialogue avec la puissance publique, à tous les étages. Au plan local, nous collaborons étroitement avec la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) pour la gestion des suites du PSE. Nous prévoyons de signer les conventions de revitalisation bien avant les échéances habituelles – en mai à Cholet et en juillet à Vannes. Michelin développement, notre équipe interne dédiée, pilotera la revitalisation des sites concernés, conformément aux dispositions de la « loi Florange ». Ce processus revêt, pour nous, une importance majeure. Notre démarche en matière de revitalisation des sites repose sur une logique de co‑construction. Nous cherchons à élaborer, avec les acteurs locaux, des projets qui répondent aux besoins du territoire. Au plan national, nous échangeons en permanence avec les services de l’État afin de contribuer à éclairer la décision publique.
Nous pensons, pour conclure, qu’il est essentiel de travailler à la mise en œuvre des recommandations issues du rapport de M. Draghi, qui constitue une feuille de route en matière d’amélioration de la compétitivité.
M. le rapporteur. Monsieur Menegaux, avez-vous eu, en tant que président du Groupe Michelin, des échanges directs avec le Président de la République, le Premier ministre ou les ministres successifs du travail, de l’économie et de l’industrie ? La puissance publique a-t-elle essayé de vous convaincre de ne pas fermer les sites de Cholet et Vannes ? Le cas échéant, quand et sous quelle forme ces échanges ont-ils eu lieu ?
M. Florent Menegaux. La période récente a été marquée par une certaine instabilité politique et caractérisée par des changements fréquents d’interlocuteurs. Mais nous avons tout de même pu maintenir un dialogue avec la puissance publique. En l’absence de gouvernement, les échanges ont d’abord été limités. Par la suite, j’ai rencontré le Premier ministre, M. Michel Barnier, et le ministre de l’industrie pour leur exposer la gravité de la situation que traversent certains de nos sites, en insistant sur le fait que nous étions confrontés à des choix difficiles. Bien que des discussions aient eu lieu, aucune solution concrète n’est ressortie de ces échanges.
J’ai également rencontré le ministre de l’industrie au moment où nous avons annoncé notre intention de fermer les sites de Cholet et de Vannes. Bien qu’il ait pris acte de cette décision, aucune proposition concrète n’a été formulée en vue d’éviter ces fermetures.
L’usine de Vannes fonctionne en-deçà de ses capacités de production depuis un certain temps. Nous développons sur ce site des technologies innovantes, telles que les voiles Wisamo, destinées à la décarbonation du transport maritime. Ces initiatives témoignent de notre engagement constant en faveur de solutions durables, en dépit des difficultés que rencontrent certains de nos sites industriels. Afin d’optimiser la couverture des frais fixes, nous y accueillons également d’autres petites et moyennes entreprises locales. Cette démarche d’optimisation fait partie de nos pratiques.
Nous entretenons d’excellentes relations avec les présidents et présidentes de région sur l’ensemble de ces sujets. Je partage régulièrement, en toute transparence, les difficultés rencontrées par nos sites avec les organisations syndicales. Je ne cache pas que la situation est particulièrement préoccupante, non seulement en France, mais également en Europe et à l’échelle mondiale. Mes échanges avec de nombreux syndicats dans différents pays confirment l’ampleur des difficultés actuelles.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). En tant qu’élue de Vannes, je souhaite apporter mon témoignage. La fermeture du site représente incontestablement un choc, même si l’impact en termes d’emplois reste moindre que celui observé à Cholet.
Je tiens à souligner que les pouvoirs publics, au premier rang desquels le préfet, se sont pleinement saisis de ce dossier et ont refusé de considérer qu’il relevait exclusivement de la responsabilité du Groupe Michelin. La préfecture a mis en place un comité stratégique qui réunit les services de l’État, les collectivités territoriales, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA), le Mouvement des entreprises de France (Medef) ainsi que les parlementaires. M. Marc Ferracci suit le dossier avec une grande attention.
Nous suivons au quotidien l’évolution de la situation et ma préoccupation première concerne les salariés. Comme l’a évoqué monsieur Menegaux lors de son audition au Sénat, nous sommes dans un bassin d’emploi particulièrement dynamique, ce qui nous rend raisonnablement optimistes quant au reclassement de l’ensemble des salariés, dans le respect des choix individuels qu’ils feront. Nous nous engageons à les accompagner jusqu’au terme du processus, avec votre concours.
La réindustrialisation du site constitue également un enjeu majeur, compte tenu de la valeur significative que représente son implantation en bordure du Golfe du Morbihan. Le président de l’agglomération, M. David Robo, et le préfet y attachent une attention particulière. Nous restons néanmoins attentifs à l’usage qui pourrait être fait des financements publics dans le cadre du reclassement de ce site industriel. Il est impératif de veiller à ce que les deniers publics ne soient pas mobilisés de manière excessive, compte tenu de la valeur intrinsèque du site. Bien que nous ayons déjà reçu une quinzaine de propositions en matière d’industrialisation, il revient au Groupe Michelin d’assumer pleinement sa responsabilité dans cette affaire.
M. Florent Menegaux. Comme pour l’ensemble de ses sites, Michelin s’engage à accompagner pleinement le processus. Michelin développement ne quittera la région que lorsqu’un nombre d’emplois au moins équivalent au nombre d’emplois supprimé aura été recréé. Nous serons présents à vos côtés et, plus notre partenariat sera étroit, plus nous avancerons rapidement.
J’ai d’ores et déjà reçu de nombreuses marques d’intérêt, tout particulièrement pour le site de Vannes et, dans une moindre mesure, pour celui de Cholet. Nous tiendrons nos engagements, comme nous l’avons toujours fait.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Je souhaite recentrer le débat sur l’objet de notre enquête, à savoir les défaillances des pouvoirs publics face aux plans de licenciements. En tant que députée de l’Yonne, je m’intéresse au site Michelin d’Avallon.
Dans un monde idéal, quelles seraient les conditions pour que vous n’ayez jamais à envisager un plan de licenciement à Avallon ? Autrement dit, quelles aides ou interventions des pouvoirs publics auraient pu permettre d’éviter la fermeture des sites de Vannes et de Cholet ?
M. Florent Menegaux. Il est nécessaire de rappeler l’histoire du site d’Avallon. Ce site, spécialisé dans le rechapage des pneumatiques pour poids lourds, a longtemps constitué le fer de lance technologique de Michelin, qui y a effectué des investissements considérables. Aujourd’hui, il fonctionne à moins de 45 % de sa capacité et les perspectives d’évolution sont peu encourageantes. La cause principale réside dans le fait que les pneumatiques neufs en provenance de Chine sont commercialisés à un prix inférieur à notre coût de production, en dépit de notre compétitivité, de l’engagement de nos salariés et de la performance de nos équipements, qui sont à la pointe de la technologie.
Pour remédier à cette situation, il serait impératif que l’Europe prenne pleinement conscience de la nécessité d’encadrer l’importation de pneumatiques neufs vendus à un prix inférieur à notre coût de revient industriel pour des pneus rechapés. Nous avons besoin de règles du jeu équitables et conformes aux principes de l’Organisation mondiale du commerce.
Le site d’Avallon, malgré les nombreux atouts dont il dispose, se trouve donc dans une situation critique. Nous avons d’ores et déjà procédé à une rationalisation de notre appareil de production. Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle entre en contradiction flagrante avec les principes de l’écologie, puisque le rechapage n’utilise que 30 % de matière nouvelle, tandis qu’un pneumatique neuf implique un gaspillage de 70 % de matière.
Mme Fabienne Goyeneche. Nous travaillons actuellement sur des pistes pour stimuler la demande de pneumatiques rechapés en Europe. Nous cherchons à mettre en place des incitations pour favoriser l’utilisation de ces produits circulaires, qui serait également positive pour l’emploi local.
Mme Estelle Mercier (SOC). Votre groupe possède une expérience significative en matière de fermeture de site en France. Je pense notamment à la fermeture de l’usine Kleber en 2008, qui employait 800 salariés dans mon département. Compte tenu de cette expérience, pouvez-vous nous fournir une estimation du coût engendré, pour Michelin, par la fermeture des sites de Cholet et Vannes ? Nous pourrions ainsi comparer ce montant à celui des aides reçues et des bénéfices distribués, afin de mieux appréhender la situation dans son ensemble.
M. Florent Menegaux. Pour la fermeture des sites de Cholet et de Vannes, nous avons constitué une provision d’un montant légèrement supérieur à 400 millions d’euros. Cette provision, dont le montant a été rendu public, est majoritairement destinée au financement du plan d’accompagnement social. Ce montant reste provisoire puisqu’il a été établi au tout début des discussions engagées avec les organisations syndicales. Le PSE ayant été signé, un montant définitif pourra être arrêté.
M. Alexander Law. Ce plan concerne 1 254 salariés répartis sur les deux sites, lesquels bénéficieront tous des mêmes conditions de départ. En plus de l’indemnité légale, le plan prévoit une prime supra-légale d’un montant de 40 000 euros, à laquelle s’ajoute une prime complémentaire calculée en fonction de l’ancienneté ainsi qu’une prime supplémentaire tenant compte de l’âge du salarié. Nous proposons également un dispositif de maintien de salaire pendant trois années pour les personnes qui retrouveraient un emploi moins bien rémunéré. Ce dispositif s’applique aussi bien pour les mobilités externes que pour les mobilités internes.
Je peux également vous fournir des précisions sur la situation actuelle des salariés. À Cholet, où l’activité de production se poursuit, 71 personnes ont d’ores et déjà accepté, ou s’apprêtent à accepter, un poste sur un autre site de Michelin en France. Environ 100 salariés ont retrouvé un emploi à l’extérieur, tout en bénéficiant des modalités d’accompagnement prévues par le plan, et 116 personnes peuvent partir à la retraite.
Sur le site de Vannes, qui comptait 299 salariés au 5 novembre dernier, 10 personnes ont été mutées en interne, 10 autres ont trouvé un emploi à l’extérieur et 21 salariés peuvent partir à la retraite.
Ces bassins d’emploi sont attractifs, ce qui explique que de nombreux salariés souhaitent y demeurer malgré les opportunités de mobilité interne proposées par Michelin.
M. le président Denis Masséglia. Je n’ai pas abordé ce sujet car nous suivons le dossier quotidiennement et disposons de chiffres actualisés grâce aux rencontres avec Michelin organisées par le préfet du département.
Mme Estelle Mercier (SOC). Les 400 millions d’euros sont-ils exclusivement destinés à l’accompagnement des salariés ou sont-ils aussi destinés à la revitalisation du territoire et à d’autres mesures ?
M. Florent Menegaux. Ce montant couvre l’ensemble des mesures mises en œuvre dans le cadre du PSE. Il comprend notamment le recours à un cabinet spécialisé chargé d’accompagner chaque salarié dans l’élaboration de son projet de requalification professionnelle ainsi que la mise en place de cellules de soutien psychologique. Il englobe aussi les actifs qui seront directement inscrits en charge dans le compte de résultats et sortis des immobilisations.
Mme Estelle Mercier (SOC). Pouvez-vous nous indiquer précisément le montant du PSE destiné uniquement aux salariés ?
M. Florent Menegaux. Nous vous communiquerons ce chiffre ultérieurement.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Les licenciements et les PSE constituent des sujets fondamentaux pour le pays. De nombreuses entreprises sont aujourd’hui concernées, à l’image de Mondelez à Château-Thierry ou de NTN dans ma circonscription, où 200 emplois sont sur le point de disparaître dans une commune de 15 000 habitants, ce qui risque de mettre en péril l’ensemble du tissu économique local. Une étude a en effet démontré qu’un salarié rémunéré 17 euros de l’heure fait vivre, en moyenne, quatre personnes sur un territoire donné. Dès lors, la suppression de 1 250 emplois chez Michelin pourrait potentiellement affecter près de 5 000 personnes. Je comprends néanmoins les impératifs économiques liés à la rentabilité, à la productivité et à la compétitivité, qui sous-tendent de telles décisions, notamment dans un contexte de concurrence avec des produits chinois moins onéreux.
Selon vous, quels sont les facteurs qui expliquent le déficit de compétitivité de la France et son incapacité à maintenir sur son sol ses emplois et son industrie ? Pourquoi des pays comme la Chine, l’Inde, ou même les États-Unis parviennent-ils à être nettement plus compétitifs que notre pays ?
M. Florent Menegaux. Le coût salarial supporté par l’entreprise est excessif et le prix de l’énergie n’est absolument pas compétitif, malgré des infrastructures de qualité et une production d’énergie largement décarbonée. Nous faisons également face à une complexité administrative considérable. À titre d’exemple, chaque directive européenne est non seulement transposée en droit français mais fait en outre l’objet d’une surtransposition systématique, ce qui engendre des contraintes supplémentaires. De surcroît, la fréquence des changements réglementaires est bien trop élevée, ce qui représente un véritable obstacle aux investissements industriels de long terme.
Nous avons, par ailleurs, accumulé un retard important en termes d’investissement dans la robotique et la cobotique. De manière paradoxale, la volonté excessive de rigidifier l’emploi a pour effet de restreindre la création d’emplois, puisque la vie d’une entreprise est faite de phases d’expansion et de contraction.
Je peux affirmer, à la lumière de nombreux échanges avec des dirigeants d’entreprises, que la fermeture d’un site est toujours vécue comme un drame humain et comme un échec. Il ne s’agit jamais d’une décision prise à la légère. Il m’appartient cependant, en tant que dirigeant d’un groupe qui emploie 132 000 personnes à travers le monde, de veiller au bien-être de l’ensemble.
Nous accusons donc un retard significatif en matière d’investissement dans la productivité et dans les nouvelles technologies de l’information. Bien que nous disposions d’un tissu remarquable de start-ups, nous rencontrons de grandes difficultés à les accompagner dans leur phase d’industrialisation. Le passage à l’échelle constitue le défi le plus complexe car, s’il est relativement facile d’avoir des idées, il est plus complexe de les traduire en projets et infiniment plus ardu de les déployer à grande échelle. La France méconnaît cette réalité et reste en retard sur les plans de la robotique et de la productivité, malgré la qualité de la formation de ses salariés.
Nous avons, dans une large mesure, dissuadé les jeunes de s’orienter vers les métiers de l’industrie et les fonctions de base. Chez Michelin, chaque personne recrutée fait l’objet d’une formation spécifique et est accompagnée sur l’ensemble de la carrière. Nous avons trop tardé à réagir sur la question de l’apprentissage et accusons un retard conséquent sur l’Allemagne ou l’Italie.
Le tissu des entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France est insuffisamment développé. Nous comptons un nombre important de start-ups ainsi que quelques très grands groupes de qualité, mais nous manquons cruellement d’entreprises en phase de croissance appelées à devenir des ETI. Il devient indispensable de flexibiliser les règles car leur mise en œuvre se révèle très difficile.
Je tiens à affirmer que nous ne sommes pas des voyous et que le bien-être de nos salariés, tout comme la cohésion sociale, sont au cœur de nos préoccupations, tant chez Michelin que dans notre pays. Il s’agit d’un enjeu de société que nous n’abordons plus, aujourd’hui, avec la gravité nécessaire. Toute entreprise qui s’implante sur un territoire donné a besoin d’un environnement qui la soutienne et l’accompagne.
La bonne marche de l’industrie exige des règles du jeu stables et la garantie que la puissance publique veille à ce que les règles appliquées aux autres acteurs soient compatibles avec les règles qui s’appliquent aux entreprises établies en France. Il est inconcevable que des règles extrêmement strictes nous soient imposées alors que nos concurrents, qui ne respectent aucune de ces exigences, ont un accès libre au marché.
Nous sommes pleinement disposés à participer à l’élaboration de règles qui permettront d’atteindre ces objectifs.
M. le président Denis Masséglia. Nous vous avons adressé plusieurs questions pour lesquelles nous attendons des réponses. Si certaines informations présentent un caractère confidentiel, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous en informer.
Je rappelle par ailleurs que la commission d’enquête dispose de la faculté de se rendre sur vos sites pour y solliciter la remise de documents complémentaires. Elle peut aussi se rendre dans les locaux des ministères impliqués dans le dossier.
Michelin est une entreprise française d’excellence dont nous pouvons être fiers. Néanmoins, vous ne m’avez pas, à ce stade, apporté les réponses susceptibles de me convaincre que la fermeture du site de Cholet ne s’inscrit pas dans un projet de transfert de la production vers la Pologne. J’espère sincèrement que les informations que vous nous transmettrez ultérieurement me permettront d’être convaincu de la solidité de vos arguments.
La séance s’achève à dix-sept heures cinq.
Présents. – M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie-Laurence Roy
Assistait également à la réunion. – Mme Anne Le Hénanff