Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les organisations syndicales représentatives de Crédit commercial de France (CCF) 2
– Présences en réunion................................16
Jeudi
10 avril 2025
Séance de 9 heures 15
Compte rendu n° 15
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à neuf heures quinze.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne des représentants des organisations syndicales représentatives de Crédit commercial de France (CCF).
M. le président Denis Masséglia. Nos deux auditions du jour sont consacrées à l’examen de la situation du Groupe Crédit commercial de France (CCF), qui a annoncé, il y a plusieurs mois, un projet de transformation profonde impliquant la fermeture de plusieurs dizaines d’agences et la suppression d’environ 1 350 emplois. Ce projet suppose l’établissement et la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) que la direction et les syndicats négocient en ce moment et pour quelques semaines encore.
Pour évoquer le sujet, et toutes les questions qui l’entourent, nous recevons les organisations syndicales représentatives présentes dans le groupe :
– pour FO : M. Éric Poyet, Mme Carole Cebe et M. Loïc Nicolas, délégués syndicaux nationaux ;
– pour la CFTC : M. Jean-Jacques Hery et Mme Carine Harbeumont, délégués syndicaux ;
– pour la CFDT : Mme Stéphanie Saad, déléguée syndicale et élue au comité social et économique (CSE), Mme Frédérique Dupraz, déléguée syndicale, M. Philippe Leggio, délégué syndical, Mme Sandrine Leménager, déléguée syndicale, et M. Thierry Rochefeuille, secrétaire du CSE ;
– pour le SNB/CFE-CGC : Mme Edwige Desplanche, déléguée syndicale et élue au CSE, Mme Delphine Deschênes, déléguée syndicale, Mme Cécile Jénot, déléguée syndicale, et Mme Amélie Ramet, élue au CSE.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Éric Poyet, Mme Carole Cebe, M. Loïc Nicolas, M. Jean-Jacques Hery, Mme Carine Harbeumont, Mme Stéphanie Saad, Mme Frédérique Dupraz, M. Philippe Leggio, Mme Sandrine Leménager, M. Thierry Rochefeuille, Mme Edwige Desplanche, Mme Delphine Deschênes, Mme Cécile Jénot et Mme Amélie Ramet prêtent serment.)
Mme Sandrine Leménager, déléguée syndicale CFDT. Si vous le permettez, nous allons nous prononcer au nom de l’ensemble des organisations syndicales de l’entreprise. Une première série d’interventions traitera de la situation de My Money Bank (MMB) ; une seconde série d’interventions traitera de la situation de CCF.
M. Thierry Rochefeuille, élu CFDT, secrétaire du CSE. Nous sommes réunis pour échanger sur les défaillances des pouvoirs publics face aux plans de licenciements. Parmi les différents types de plans de licenciements, on trouve notamment les plans de sauvegarde de l’emploi. Chaque PSE est différent d’une entreprise à l’autre. Tous les élus présents aujourd’hui sont confrontés à un PSE construit selon la même logique.
Les salariés du Groupe Crédit commercial de France vivent actuellement un plan de transition majeure : le PSE vise à supprimer le même ratio de postes dans les deux entités que sont la banque Crédit commercial de France et My Money Bank. Au total, chaque entité perdra un peu plus d’un tiers de ses effectifs.
En 2024, une rupture conventionnelle collective (RCC) a été mise en œuvre chez My Money Bank. En trois ans, l’entité aura perdu plus de 40 % de ses effectifs. La direction nous impose un PSE afin d’améliorer la rentabilité financière de la structure. Or nos équipes sont déjà en difficulté du fait de la charge de travail qui leur est imposée. Selon nous, le déploiement du PSE va augmenter les risques psychosociaux (RPS).
Certains PSE peuvent sans doute garantir l’avenir d’entreprises en grande difficulté. Mais lorsqu’un PSE est mis en œuvre à des seules fins de rentabilité financière, cela n’est pas acceptable. C’est là que nous pensons que les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer, par l’intermédiaire d’un changement des règles du jeu.
Actuellement, le CSE n’émet qu’un avis sur le volet économique du PSE. Accompagné par des experts indépendants sur les sujets économiques, financiers et sociaux, il devrait avoir le pouvoir de contraindre l’employeur à revoir ou annuler un PSE avant même sa transmission pour validation à la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets).
Mme Edwige Desplanche, déléguée syndicale SNB/CFE-CGC. Je mène les négociations de mon deuxième plan de restructuration chez My Money Bank en l’espace d’un an et demi. Je voudrais vous dire que les mesures d’accompagnement des salariés et autres lignes d’écoute psychologique sont mises en place une fois que la crise est amorcée. En revanche, aucune réelle mesure de prévention n’est déployée.
À titre d’exemple, la formation sur les risques psychosociaux a été dispensée chez MMB après l’annonce de l’établissement du plan, ce que nous trouvons regrettable. Par ailleurs, l’accompagnement des pouvoirs publics est insuffisant. La lecture du motif économique du licenciement est souvent complexe et les informations essentielles à sa bonne compréhension sont données au compte-gouttes par la direction, et souvent tardivement.
Les recommandations et les observations faites par l’autorité administrative sont souvent trop sommaires et les points-clés sont survolés. Les organisations syndicales ne disposent d’aucun levier pour les discuter. En tant qu’élue, je me demande souvent de quels moyens nous disposons réellement pour limiter les restructurations. Avant My Money Bank, il y a eu la Sovac, Royal Saint-Georges, GE Capital Bank, BESV. MMB fait partie du Groupe CCF pour le moment, mais qu’en sera-t-il demain ?
Mme Stéphanie Saad, déléguée syndicale CFDT. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer sur la situation délicate que My Money Bank vit aujourd’hui du fait de la mise en œuvre du PSE. Malheureusement, force est de constater que cela est une habitude. À titre personnel, il s’agit de mon premier PSE en tant que déléguée syndicale ; en tant que collaboratrice dans l’entreprise depuis dix-huit ans, je ne les compte plus. On recense un plan tous les deux ans environ, que ce soit pour cause de fermeture, de vente d’activités, de délocalisations des équipes opérationnelles, etc.
L’usure des salariés et l’apparition des risques psychosociaux qu’elle engendre m’inquiètent. Le PSE vise à protéger en priorité les collaborateurs qui vont perdre leur emploi, mais il est primordial d’envisager également un accompagnement décent à destination des collaborateurs qui vont rester et qui se trouvent dans une grande détresse. Cela fait également partie de la protection de l’emploi à long terme.
Même s’il existe aujourd’hui un dispositif d’accompagnement – lignes téléphoniques psychologiques, présence d’un psychologue sur site, formations –, il reste clairement insuffisant. Le manque de considération pour le travail des salariés, la surcharge de travail qui pèse sur des équipes déjà fragilisées par la RCC, la mauvaise communication des managers sont autant de problèmes qui doivent être corrigés.
La corde est plus que tendue et les collaborateurs ont à peine le temps de reprendre leur souffle qu’il leur faut se réinventer. Nous sommes sans cesse dans la réaction, jamais dans l’anticipation. Des alertes ont été lancées, des constats ont été effectués, des propositions ont été faites, en vain.
Des décisions sont prises pour l’avenir alors que le présent est bancal. C’est incompréhensible. Le projet aurait pu et aurait dû être mieux préparé ; les élus auraient dû être sollicités en amont. C’est là que nous avons besoin de vous.
Notre rôle de négociateurs est très important, mais notre rôle de médiateurs l’est encore plus. Nous sommes le réceptacle des angoisses et des inquiétudes des collaborateurs et nous demeurons souvent impuissants, faute de moyens. De quelle crédibilité jouissons-nous auprès des salariés quand nous n’avons que très peu de marges de manœuvre ? Les règles du jeu doivent être changées pour le bien de tous.
Il est primordial que les pouvoirs publics se penchent sur les mesures d’accompagnement réelles mises en place dans le cadre d’un PSE et imposent le contrôle de ces mesures pour permettre aux collaborateurs de l’entreprise de demain d’exercer leur métier dans de bonnes conditions et éviter qu’ils se retrouvent au chômage ou en arrêt de travail.
Malgré l’existence d’un bon dialogue social, la direction entend, mais n’écoute pas. Peut-être écoutera-t-elle la commission ?
Mme Sandrine Leménager. Nous souhaitons rappeler certains faits de l’histoire récente du Groupe CCF. Ce groupe est une re-création ; ce n’est pas une banque centenaire. Elle s’est construite sur la revente par HSBC, groupe bancaire international, de la partie banque de réseau particulier, HSBC ayant conservé d’autres activités, dont la banque d’investissement.
En juin 2021, HSBC a présenté au CSE un projet de cession de ses activités de banque de détail en France. L’opération concernait au départ le transfert de 3 884 salariés. Il ne s’agissait pas de la cession d’une banque ou d’une entité juridique, mais bien du détourage d’une partie de l’activité de HSBC en France, ce qui n’a pas manqué d’interroger sur le caractère autonome de l’opération.
Celle-ci a pris beaucoup de temps, puisqu’elle a été réalisée le 2 janvier 2024. Elle a surpris et inquiété du fait de l’identité de l’acquéreur, le fonds d’investissement américain Cerberus. L’acquéreur était juridiquement la Banque des Caraïbes, une petite banque qui comptait moins de 200 salariés et qui avait été achetée en 2020 à la Société Générale par ce fonds d’investissement, qui a fermé les agences et licencié la plupart des salariés situés dans les départements ultramarins.
Cette acquisition ne visait pour Cerberus qu’à disposer de la licence bancaire indispensable pour pouvoir absorber les activités du réseau HSBC. La Banque des Caraïbes est une filiale de My Money Group (MMG), qui est lui-même constitué d’acquisitions récentes d’activités financières de taille réduite. MMG est une filiale de plusieurs holdings néerlandaises gérées par le fonds d’investissement Cerberus. Le montage est très compliqué.
Dès le départ, le fonds Cerberus a fait part de son intention de redresser l’activité pour revendre l’entité. La direction de HSBC a communiqué au CSE sur un projet offrant des perspectives favorables au nouvel ensemble. Cela s’est toutefois rapidement avéré être un mensonge porté par Cerberus et les dirigeants de MMB, tant auprès des élus que du ministre de l’économie. Nous tenons d’ailleurs à votre disposition un courrier de ce dernier.
M. Jean-Jacques Hery, délégué syndical CFTC. Les conditions financières de la vente sont encore plus atypiques. Cerberus a acheté les activités de HSBC pour un euro symbolique alors que l’actif cédé avait une valeur proche de 1,7 milliard d’euros. En outre, à la suite de l’évolution des conditions de vente, HSBC a conservé dans ce compte 7,1 milliards d’euros d’encours de crédits à taux faible, soit une charge pour HSBC, qui ne paye pas CCF. HSBC les a remplacés dans le bilan de CCF par des dépôts à la Banque centrale européenne (BCE). Avec la hausse des taux, ces liquidités se sont avérées beaucoup plus rémunératrices pour le CCF. À l’occasion de cette opération, le groupe a réalisé une plus-value de près de 2,5 milliards d’euros, portant son résultat net après impôts à 2,25 milliards d’euros en 2024.
Comment expliquer une telle opération ? Les activités de HSBC relevant de la banque de détail nécessitaient sans doute des réorganisations et des investissements. Cerberus a reçu l’argent pour réaliser ce plan, mais le fonds a très rapidement montré son vrai visage. Alors que la direction s’était engagée à ne procéder à aucun licenciement durant douze mois, une bien courte période, elle a annoncé réfléchir à des suppressions de postes et à des fermetures d’agences le 2 octobre 2024.
Le 4 décembre, elle a annoncé un plan prévoyant 1 400 suppressions de postes et 83 fermetures d’agences. Alors que Cerberus a réalisé une plus-value conséquente et a acquis un actif net de 1,7 milliard d’euros pour un euro symbolique, la direction essaie de faire croire qu’elle ne dispose que de très peu de moyens pour investir, réorganiser et porter un plan digne.
Il n’est plus question pour l’actionnaire d’investir massivement. Une somme d’à peine 80 millions d’euros est annoncée et le CCF doit financer lui-même sa propre réorganisation, comme le font les fonds d’investissement dans le cadre des achats à effet de levier (LBO). Le plan est soi-disant justifié par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. Pourtant, il y a un an, l’acheteur savait ce qu’il faisait et nous nous demandons d’ailleurs comment les autorités de contrôle n’ont pas pu le voir. Il a perçu une somme lui permettant d’investir, mais il souhaite simplement supprimer des postes et faire payer aux salariés et à la collectivité son plan.
Mme Delphine Deschênes, déléguée syndicale SNB/CFE-CGC. Le CCF existe depuis un an. Sous l’empire de HSBC, nous avons déjà vécu un plan de sauvegarde de l’emploi et un plan de départ volontaire (PDV), qui a concerné la banque de marché. Deux RCC ont été mises en œuvre, sur le marché de l’entreprise et dans les fonctions support.
En ce qui concerne le plan actuel, nous avons le sentiment que rien n’a été fait pour l’éviter. Nous avons été informés qu’un PSE serait établi et qu’il entraînerait la suppression de 42 % de l’effectif transféré de HSBC, alors que ce projet devait plutôt créer de l’espoir.
Aux questions des organisations syndicales sur les orientations retenues, la direction répond de manière laconique que son budget est limité et que les mesures ne sont pas aussi intéressantes qu’elles pourraient l’être si une autre solution avait été choisie. Selon nous, ce PSE était prévu et préfinancé dès le départ par HSBC. Nous avons le sentiment que le PSE a été externalisé.
Mme Frédérique Dupraz, déléguée syndicale CFDT. L’ampleur de ce plan est considérable, puisque 42 % des salariés sont concernés et qu’un nombre conséquent d’agences sera fermé. Dans certains territoires, le CCF ne sera plus présent. Cela pose la question de son avenir.
Nous négocions le PSE depuis trois mois, mais nous n’avons obtenu que peu d’avancées. Nous venons à peine de terminer l’étude des catégories professionnelles affectées par le plan et nous ne sommes pas totalement en accord avec la direction. C’est la raison pour laquelle nous avons déjà dû proroger le délai de consultation du CSE. Le nombre de catégories professionnelles affectées est bien trop conséquent – on en compte 155. Les organisations syndicales souhaitent que les départs contraints soient limités et que les départs volontaires soient privilégiés.
Les mesures proposées sont, à ce jour, significativement moins favorables que les mesures qui avaient été déployées à l’occasion des trois derniers plans mis en œuvre chez HSBC. Le plan actuel est moins-disant sur un grand nombre de paramètres, alors même que la situation du marché de l’emploi se tend et que l’entreprise a les moyens de faire mieux grâce aux 2,5 milliards d’euros de plus-values qu’elle a enregistrés.
Le plan nous interpelle également car il contient des mesures de licenciement qui insistent beaucoup plus sur la note de performance que sur les critères de fragilité des salariés.
La direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France a adressé un courrier de douze pages à la direction du CCF pour lui demander de reprendre un grand nombre de points, ce qui nous conforte dans nos demandes. Cependant, plus de trois semaines après l’envoi de ce courrier, la direction n’a pas répondu à l’autorité administrative.
Mme Carole Cebe, déléguée syndicale nationale FO. Pour le moment, les évolutions apportées au PSE sont marginales. Nous organisons un grand nombre de réunions, au cours desquelles la direction ne nous répond pas ou peu et se contente d’expliquer pourquoi elle n’évoluera pas. Après trois mois de négociation et neuf réunions, la liste des catégories professionnelles concernées par les licenciements n’a toujours pas véritablement évolué. Chez HSBC, il existait 60 catégories professionnelles ; la direction nous a présenté un plan recensant 207 catégories professionnelles. Cela ressemble à du ciblage.
Rien que pour le CCF, le plan recense encore 145 catégories professionnelles différentes, dont 110 comptent au maximum neuf salariés. Pour 37 catégories professionnelles, il y aurait plus de deux tiers de suppression de postes. Pour beaucoup de catégories professionnelles, la moitié des postes pourrait être supprimée.
Nous nous battons pour sauver les emplois. Pour ceux qui ne pourraient pas être sauvés, nous cherchons à limiter le plus possible les licenciements contraints. En conséquence, nous cherchons à élargir le plus possible le volontariat. Malheureusement, nous sommes très peu entendus. C’est très symptomatique s’agissant des fonctions support et centrales. En tenant compte du télétravail et de tous les moyens modernes de communication, nous pourrions éviter des suppressions de postes ou, en tout cas, des départs contraints. Il n’y a aucune logique à supprimer les fonctions d’analyse sur l’ensemble du territoire pour les concentrer à Paris. La direction va jusqu’à supprimer des postes à certains endroits pour les recréer à d’autres.
Nous demandons aussi régulièrement la mise à jour du « livre 1 » du PSE, mais la direction ne l’a toujours pas fait. L’absence d’actualisation de ce livre, alors que la négociation a commencé depuis plus de trois mois, pourrait être assimilée à une stratégie consistant à refuser de prendre acte de la moindre évolution et à priver les organisations syndicales de tout repère.
Quelle confiance pouvons-nous accorder à la direction qui, si peu de temps après la reprise de la société, engage un plan entraînant plus de 1 500 suppressions de postes et 100 modifications de postes qui pourraient conduire à des suppressions supplémentaires ? 42 % du personnel va disparaître moins d’un an après la cession !
Les organisations syndicales éprouvent des difficultés à se projeter vers l’issue de la négociation. Pour le moment, nous n’avons pas abordé les mesures d’accompagnement à proprement parler.
M. Philippe Leggio, délégué syndical CFDT. Je souhaite revenir sur l’enquête triennale qui a été faite par le Syndicat national de la banque au sujet des risques psychosociaux qui touchent les salariés du secteur. Il apparaît que 44 % d’entre eux sont concernés par les RPS. Les salariés du CCF sortent d’une longue période d’incertitude, éprouvante, puisque le projet de cession a été mis sur la table en 2021.
L’ampleur des réductions d’effectifs a créé un effet de sidération très important et il existe une grande défiance vis-à-vis du repreneur et des actionnaires. Le sentiment qu’il existe une pression commerciale s’est accru au sein d’équipes qui exercent leur activité dans des conditions dégradées. Les salariés ont le sentiment que les managers ne respectent pas la procédure afférente au PSE, ce qui occasionne des situations de souffrance au travail. Les collaborateurs parlent d’un « yoyo émotionnel » intense.
Le monde de la banque est caractérisé par une forte pression du fait de l’existence d’objectifs commerciaux agressifs, d’une culture de la performance, d’une charge de travail importante, etc. Du reste, la relation avec les clients est de plus en plus exigeante et souvent de plus en plus conflictuelle, hélas.
Les risques de burn-out dans le secteur bancaire résultent de la combinaison de différents types de pression. Les entreprises doivent prendre conscience de l’existence de ces risques et mettre en place des mesures de prévention et de soutien à destination de leurs employés.
Par ailleurs, il est certain que le risque de burn-out sera très important pour les salariés non concernés par le plan, puisqu’ils seront très rapidement soumis à une forte pression, qui entraînera des répercussions sur leur santé. Le risque sera évidemment aussi important pour les salariés qui seront licenciés.
Mme Carole Cebe. Les managers ont été contraints de présenter un plan qu’ils ne connaissaient pas. Les risques concernent toutes les catégories professionnelles. J’ajoute que le cabinet Technologia, que nous avons mandaté, a pris le CCF comme cas d’école pour expliquer comment une entreprise peut cumuler des facteurs de risques graves.
M. Philippe Leggio. La communication à destination des collaborateurs entraîne un « yoyo émotionnel » permanent, qui les empêche de se projeter.
M. Loïc Nicolas, délégué syndical national FO. Le CCF et Cerberus avaient décidé avec les organisations syndicales que l’emploi des salariés serait protégé pendant douze mois, à compter du 1er janvier 2024, dans le cadre d’un accord de transition. Or le CCF et son actionnaire n’ont pas attendu le terme de cette période pour annoncer à la presse la mise en œuvre du PSE. Cela témoigne d’un certain mépris à l’égard des organisations syndicales et du CSE.
Le CCF se réfugie derrière le nombre important de réunions organisées pour tenter de faire croire que le dialogue social est constructif. En réalité, les discussions sont bloquées sur le premier thème de négociation : les catégories professionnelles concernées par les licenciements. Le CCF n’a pas hésité à mettre la pression sur les syndicats, en faisant croire qu’ils portaient la responsabilité de l’absence d’avancée sur l’élaboration du « livre 1 » du PSE.
La direction communique directement avec les salariés. Elle évoque avec eux le déploiement de mesures qui n’ont pas été négociées avec le CSE. La démarche retenue par le CCF n’est pas loyale. Les échanges ne sont pas toujours constructifs. La direction ne répond pas nécessairement aux questions des organisations syndicales ou du CSE ; elle ne fournit pas non plus l’ensemble des documents réclamés par ce dernier. Le directeur général n’hésite pas à expliquer publiquement que les représentants syndicaux sont responsables des pertes financières de la banque du fait de la durée des négociations. Selon lui, la banque perd 500 000 euros par jour, ce qui représente environ 10 000 à 15 000 euros en moins pour chaque salarié indemnisé dans le cadre du plan. Cela est naturellement faux.
Les syndicats ne peuvent raisonnablement se projeter sur l’issue de la négociation, laquelle est toujours bloquée pour les raisons qui ont été évoquées.
Mme Carine Harbeumont, déléguée syndicale CFTC. Nous sommes accompagnés par le cabinet TN Avocats et par les experts d’Ipso Facto sur l’analyse juridique du « livre 1 » et sur la stratégie liée à la négociation du « livre 2 ». Par ailleurs, nous sommes accompagnés par le cabinet Technologia sur l’analyse du « livre 4 » et la question des RPS.
M. Éric Poyet, délégué syndical national FO. Une des questions que vous nous avez posées porte sur nos craintes quant à la fermeture d’agences et au risque d’une nouvelle réorganisation. Nous avons clairement des craintes en la matière, en raison du contexte actuel, des fragilités intrinsèques de CCF et de la stratégie plus que délétère de l’actionnaire.
En 1978, un rapport rédigé par Simon Nora et Alain Minc indiquait déjà que la banque serait la sidérurgie de demain. Aujourd’hui, les activités de la banque de détail sont celles qui présentent les plus grandes difficultés, du fait de la hausse des taux, qui fragilise le bilan des banques, et de la concurrence des néo-banques, qui fragilise le réseau des agences bancaires.
Nous sommes inquiets en raison des fragilités intrinsèques de CCF. En France, le modèle bancaire est celui de la banque universelle, qui repose sur la complémentarité des activités au sein d’un établissement : banque de détail, banque de gros, activités de marchés, d’assurances, etc. Dans ce modèle, la banque est à la fois vendeuse de produits, mais également productrice : elle vend des contrats d’assurance vie et des produits d’épargne. Cela permet de compenser les éventuelles pertes enregistrées par ailleurs.
Or le CCF est uniquement une banque de réseau de particuliers ; elle n’a pas d’autres activités. Elle est donc moins résiliente que ses concurrents et ne produit pas ce qu’elle vend. Le CCF est un réseau spécialisé sur un type de clients qui vend les produits des autres ; c’est une sorte de « supermarché » de la banque.
Du reste, la stratégie délétère de l’actionnaire nous inquiète. Bien qu’il connaisse le contexte actuel, il a annoncé que son objectif était de parvenir à un coefficient d’exploitation – le rapport entre les charges et les produits – égal à 60 %, soit un niveau jamais atteint en France par une banque physique. Et ce, tout en se définissant comme une banque patrimoniale apportant des conseils à ses clients, à la différence d’une banque en ligne.
Cerberus ne pense qu’à réduire les coûts, fermer des agences et supprimer des postes. En agissant de la sorte, la qualité du service va se dégrader, les clients vont changer de banque et les revenus vont diminuer. Au demeurant, il ne se passe pas un jour ou une semaine sans qu’une nouvelle fraude apparaisse. C’est un cercle vicieux, qui a peu de chance de prendre fin. En outre, aucune des modalités du projet n’a été expérimentée ; tout provient de calculs effectués sur des tableurs Excel. Il aurait fallu construire des pilotes, investir dans des outils et dans les femmes et les hommes qui travaillent dans l’entreprise. Cela n’est pas la stratégie de Cerberus, qui veut passer l’organisation à la paille de fer et vendre au meilleur prix.
Les organisations syndicales et les représentants du peuple que vous êtes ont pour mission de défendre l’emploi. L’un de vos glorieux prédécesseurs disait : « [D]e l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. » Faisons preuve d’une audace collective pour que notre pays défende dignement ses citoyens et ses emplois. La France doit être au rendez-vous des enjeux sociaux du XXIe siècle, qui seront encore plus nombreux qu’auparavant du fait de l’apparition de l’intelligence artificielle (IA).
Mme Sandrine Leménager. Nous souhaitons revenir sur l’opération au cours de laquelle le CCF a encaissé une plus-value de 2,5 milliards d’euros. L’entreprise annonce qu’elle investira 100 millions d’euros pour assurer la pérennité de l’entité. Sur ce montant, 80 millions d’euros sont destinés au CCF, parmi lesquels 29 millions d’euros sont destinés à la remise en état des agences qui vont fermer. Il s’agit donc d’un investissement de 50 millions d’euros. Qui va payer la facture ? Ce sont les salariés, à travers la réduction de la masse salariale.
Mme Carole Cebe. Pendant toute la durée de la procédure d’information-consultation du CSE précédant l’opération de cession de HSBC, les organisations syndicales n’ont cessé de demander à connaître le projet du repreneur et ses intentions en matière sociale, sans succès. De même, nous avons demandé, à plusieurs reprises, à être reçus par les autorités de régulation et de contrôle, notamment l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Celle-ci a refusé de nous recevoir, alors même que le vendeur et le repreneur étaient reçus pour exposer leurs projets.
Cette mise à l’écart des organisations syndicales démontre l’absence de prise en compte de l’avis, des questions, des observations ou des suggestions du CSE et de ses experts. Si l’ACPR avait écouté les syndicats, aurait-elle sollicité davantage de garanties de la part de Cerberus ? Cela aurait-il permis d’anticiper la catastrophe sociale ? La question peut être posée.
Nous ne comprenons toujours pas comment la cession des activités de la banque de détail de HSBC en France – 700 000 clients, 20 milliards d’euros de dépôts et autant de crédits – a pu être acceptée alors que l’acquéreur était la Banque des Caraïbes, une entité détenue par un fonds d’investissement néerlandais et gérée par un acteur américain, et que le projet du repreneur n’était pas finalisé.
Nous souhaitions a minima être entendus, mais cela n’a pas été le cas. Nous avons fait usage de notre droit d’alerte en raison de l’absence de réponses à nos questions de la direction, mais la démarche n’a pas abouti. Nous avons écrit au ministre, en vain. Depuis l’annonce du plan, la Drieets suit le dossier et a adressé une lettre d’observations de douze pages à la direction. Le travail est fait, maintenant que le mal est fait.
Mme Cécile Jénot, déléguée syndicale SNB/CFE-CGC. Il aurait été judicieux qu’un contrôle plus rigoureux et des garde-fous soient mis en place en amont. Pour des opérations de cette ampleur, il est indispensable que les intentions du repreneur et les conséquences sociales de son projet fassent l’objet d’une évaluation aussi exigeante qu’approfondie.
Encore une fois, le plan concerne plus de 42 % des salariés. Le CSE et les organisations syndicales doivent être systématiquement consultés et entendus par les autorités compétentes. Leur expertise et leur connaissance du terrain sont indispensables pour s’assurer que l’intérêt des salariés sera véritablement pris en considération dans le processus décisionnel.
M. le président Denis Masséglia. Je comprends de vos interventions qu’un PSE était prévu et qu’il a été mis en œuvre par une autre structure, chargée de réduire les effectifs. Est‑ce bien le cas ? Que préconisez-vous pour éviter qu’une telle situation se reproduise ?
Vous parlez de mesures de prévention destinées à éviter les PSE. À quelle mesures pensez-vous ? L’augmentation du nombre des représentants du personnel ou des syndicats au sein des conseils d’administration pourrait-elle constituer l’une de ces mesures ?
Mme Sandrine Leménager. En vendant son réseau de distribution à la Banque des Caraïbes, HSBC a externalisé la mise en œuvre du plan social. À cet effet, elle a payé 2,5 milliards d’euros. Une casse sociale de cette ampleur aurait certainement pu être évitée. Les autorités de contrôle auraient dû demander plus de garanties au repreneur. Elles n’ont reçu ni le CSE, ni les organisations syndicales, qui se posaient pourtant des questions. Nous étions interpellés par le fait qu’une structure de moins de 200 salariés reprenne un groupe de 3 500 salariés. Très clairement, il y a eu une défaillance.
M. Thierry Rochefeuille. Je siège au conseil d’administration de My Money Bank, qui se réunit une fois par trimestre, mais je ne suis invité qu’à la fin, au moment des délibérations ; je ne participe pas aux travaux en amont. Je n’ai aucun pouvoir décisionnaire. Dès lors, il ne suffit pas d’accroître le nombre d’administrateurs qui représentent les salariés ; il faut surtout qu’ils aient le pouvoir de participer et d’agir.
Pourquoi ne pas étendre les pouvoirs du CSE, qui n’émet que des avis ? La direction a réfléchi au projet de PSE à compter de la mi‑2024. Pourquoi, dès le départ, n’avons-nous pas été inclus dans cette réflexion, pour apporter des idées et trouver des solutions ? Les décisions de suppression de postes sont prises en haut lieu, mais les décisionnaires ne connaissent pas la charge de travail ou le quotidien des salariés. Le CSE existe déjà. Peut-être faut-il étendre ses prérogatives ? Les experts qui nous accompagnent ont pris conscience du fait que les économies que doit permettre le PSE ne répondent pas à un objectif clairement établi.
Mme Carole Cebe. Je siège au conseil d’administration de CCF et je vous confirme que je ne suis conviée qu’au moment des délibérations. En 2024, le PSE n’a pas été discuté à l’occasion des réunions du conseil. Une seule question a été posée au mois de novembre : « Êtes-vous d’accord pour investir 100 millions d’euros pour économiser ensuite 200 millions d’euros par an ? » Il a fallu que j’écrive pour pouvoir participer physiquement à ces réunions : nous n’étions conviés jusque-là qu’en visioconférence. Le conseil d’administration, c’est intéressant, à condition d’y participer vraiment.
Il nous est arrivé d’alerter sur les RPS, mais nos propos ne figuraient pas dans les procès-verbaux mis aux voix par la suite. Pourtant, l’alerte était sérieuse.
Il est essentiel que les autorités nous entendent, car nous avons une bonne connaissance de la situation. Je regrette que l’ACPR n’ait pas donné suite à notre demande de rencontre. Les choses doivent évoluer dans ce domaine.
Mme Delphine Deschênes. Il me semble nécessaire d’inclure un plus grand nombre de salariés au sein des conseils d’administration. Ce sont des acteurs de terrain dont la contribution est précieuse, car ils connaissent les enjeux de leur métier et de leur secteur. À ce sujet, je vous invite à consulter le rapport remis en 2018 au Gouvernement par Mme Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, et M. Jean‑Dominique Senard, alors président de Michelin. Il s’agit d’un excellent support.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je tiens tout d’abord à vous exprimer notre soutien dans l’épreuve que vous traversez. Nos auditions nous permettent de faire la lumière sur le temps qui s’écoule entre la conception d’un PSE et son déploiement. Une mauvaise gestion de la temporalité peut susciter des angoisses fortes et dégrader les conditions de travail ; c’est le cas ici. L’organisation d’un véritable dialogue social implique un effort de l’ensemble des parties. Or il semble que le fonds Cerberus n’accorde pas d’importance au dialogue social et ne fasse pas même preuve d’un minimum d’humanité.
Vous avez souligné que HSBC avait manifesté son intention de mettre en œuvre un plan social. Si tel avait été le cas, les termes de la négociation auraient-ils été plus favorables aux salariés ?
M. Éric Poyet. C’est une très bonne question. Vraisemblablement, oui. En effet, lorsqu’un PSE est mis en œuvre, les moyens qui lui sont alloués sont établis compte tenu des moyens du groupe auquel l’entreprise appartient. Même si HSBC France criait sur tous les toits que son réseau était déficitaire, ce qui était discutable, les moyens en question auraient été alloués en tenant compte de ceux du Groupe HSBC, qui dégage 12 milliards d’euros de bénéfices chaque année.
Pour justifier l’établissement du PSE, le CCF indique que ses pertes quotidiennes s’élèvent à 500 000 euros. D’un point de vue strictement comptable, elles s’élèvent en réalité à 100 000 euros. Certes, ce montant reste conséquent, mais il convient de le mettre en perspective avec celui des gains de l’entreprise : le CCF a réalisé 2,3 milliards d’euros de bénéfices en 2024, principalement grâce à la plus-value engendrée par la cession de HSBC à Cerberus.
HSBC n’a pas fait le travail, malgré les nombreux projets de restructuration déployés en son sein. HSBC a acquis le CCF en 2000. Des restructurations ont eu lieu, qui ont notamment affecté les activités de marché et les activités informatiques. Le réseau a été systématiquement épargné. Cela n’est pas un hasard : il constituait la véritable « vache à lait » de HSBC France.
HSBC a donc délégué cette tâche ingrate à Cerberus, qui a saisi l’opportunité. Qui refuserait 2,5 milliards d’euros de bénéfices pour un euro investi ? J’ai fait une contre-offre à deux euros, qui a malheureusement été rejetée. L’opération s’est avérée extrêmement lucrative : un euro investi contre 2,5 milliards d’euros d’argent frais, sans compter les 20 milliards d’euros de dépôts transférés, les 15 milliards d’euros de crédits transmis et les 7 milliards d’euros de liquidités. Ces fonds ne sont pas placés au CCF mais au niveau de la holding Promontoria et sont investis, notamment, dans des fonds de la BCE – ils dégagent entre 300 et 400 millions d’euros de dividendes annuels.
Notre directeur des investissements a fait le pari d’éliminer la première ligne de défense en assumant un risque de 1 %. Ce pourcentage de risque représente environ 300 millions d’euros rapportés à la taille du bilan du CCF. On peut légitimement se demander si cet argent n’aurait pas pu être investi de manière plus judicieuse.
Compte tenu des résultats du groupe, le plan aurait été nettement plus favorable s’il avait été élaboré sous l’empire de HSBC. Les pouvoirs publics, et notamment la Drieets, doivent être extrêmement vigilants quant aux moyens alloués au PSE. Ces derniers ne doivent pas être calculés sur la base d’une perte affichée de 100 000 euros par jour ; ils doivent tenir compte du montant du bénéfice réel – 2,3 milliards d’euros –, du montant des actifs placés – près de 7 milliards d’euros –, qui génèrent eux-mêmes 300 à 400 millions d’euros par an. C’est un véritable trésor de guerre !
Notre revendication ne porte pas nécessairement sur l’investissement de cet argent dans le PSE, mais plutôt sur son utilisation pour assurer l’avenir de la banque. Notre objectif principal est de garantir que le CCF ne soit pas simplement une comète, mais s’inscrive au contraire durablement dans le paysage bancaire. C’est notre priorité absolue.
Mme Stéphanie Saad. Si le plan avait été élaboré par HSBC, My Money Bank n’aurait probablement pas été concernée. MMB subit les conséquences de l’intégration du CCF. Certes, MMB a également été touchée par l’augmentation du taux d’usure, mais la RCC visait précisément à améliorer les résultats. On peut légitimement se demander ce qui se serait passé sans l’intégration du CCF. En effet, My Money Bank est aujourd’hui bénéficiaire, mais a engagé de fortes sommes d’argent pour faire de cette intégration une réussite.
Mme Carole Cebe. Les deux experts que nous avons mandatés ne comprennent pas ce que souhaite faire l’entreprise ; ils ne comprennent pas non plus comment la réorganisation permettra d’en faire une entreprise solide dans la durée. Soit le CCF sera revendu à un groupe capable de reprendre toutes les fonctions supprimées, soit son avenir restera flou. Un autre PSE sera peut-être mis en œuvre. Cela doit nous faire réfléchir aux moyens de prévenir cette situation. Sans investissement pour préparer l’avenir, la viabilité de l’entreprise est compromise. Les experts sont unanimes sur ce point.
M. le rapporteur. Je comprends que le dialogue social est défaillant, pour ne pas dire inexistant. Pensez-vous que le fonds Cerberus envisage de revendre le CCF dans les prochaines années, une fois que la rentabilité espérée aura été obtenue, au détriment de l’emploi ?
Mme Frédérique Dupraz. Cela a été clairement annoncé. Avant l’arrivée de M. Niccolò Ubertalli à la tête de CCF, c’est M. Eric Shehadeh, à l’origine du plan de cession, qui dirigeait l’entreprise. Il avait clairement indiqué que l’objectif de Cerberus consistait à revendre l’entité à moyen terme, en faisant une plus-value. Cette stratégie est connue de tous autour de cette table. Il avait même ajouté qu’une introduction en bourse pourrait être envisagée si les résultats étaient exceptionnels. Nous sommes tous conscients qu’une revente est inévitable à plus ou moins long terme.
Mme Cécile Jénot. Il est très difficile de comprendre la stratégie de la direction à court terme. À long terme, la probabilité d’une revente est très forte.
Mme Carole Cebe. La revente est certaine. L’enjeu réside dans le fait de savoir si l’entreprise sera rentable avant la revente. Le plan, tel qu’il est conçu aujourd’hui, ne nous permet pas de nous projeter à sept ans, ce qui correspond à la durée de détention par Cerberus d’une entité acquise. L’inquiétude ne porte pas tant sur la revente, dont le principe paraît acquis, mais sur le calendrier et sur l’état dans lequel l’entreprise se trouvera à ce moment-là.
M. Thierry Rochefeuille. Chez MMB, les chiffres qui nous sont communiqués donnent l’impression que l’objectif consiste à améliorer temporairement la situation, mais que l’embellie ne durera pas. Les économies qui seront faites grâce au PSE sont des économies de façade.
M. le rapporteur. Nous allons interroger dans quelques instants le directeur général de CCF. Quelles sont les questions que vous aimeriez que nous lui posions ?
M. Éric Poyet. Il y a une question que nous lui posons sans cesse depuis le 4 décembre. Nous vous serions reconnaissants de nous communiquer sa réponse, si vous l’obtenez. Demandez-lui de vous présenter son projet industriel ; demandez-lui de vous présenter sa vision de l’avenir de l’entreprise ; demandez-lui de vous expliquer comment il envisage de rendre le CCF rentable. J’imagine qu’il vous répondra que Cerberus est un capitaine d’industrie, un investisseur avisé. J’imagine qu’il vous répondra que le fonds a acheté une banque en Autriche et qu’il la possède depuis sept ans. Ce cas de figure est une exception et il en fait une règle !
En tant qu’élus du CSE, en tant que délégués syndicaux porteurs de revendications, nous n’avons de cesse de lui demander de nous présenter son projet industriel. Mais nous n’obtenons en retour qu’un silence assourdissant. Le 7 janvier dernier, quand le CSE de MMB et le CSE de CCF se sont réunis pour évoquer le PSE, on nous a remis des documents comportant 1 800 pages au total. Le plan de développement tenait sur deux pages, lesquelles comportaient huit histogrammes, en couleur certes. Demandez-lui de vous donner des détails sur ce plan. Pas de discours, des éléments concrets. Comment les agences seront-elles organisées ? Comment la rentabilité pourra-t-elle être retrouvée sans investissement ? Je rappelle qu’il est envisagé d’investir 80 millions d’euros, un montant ridicule pour une banque. Pour votre information, lorsque l’hôpital d’Aix-en-Provence a revu son système informatique, il a investi 15 millions d’euros. Comment croire que cet investissement permettra à l’entreprise de repartir du bon pied ?
Par ailleurs, il est prévu d’investir 29 millions d’euros dans l’immobilier, pour le renouvellement des agences. Il y a quinze jours, nous avons appris que la quasi-totalité de cette somme servirait en réalité à rénover des agences qui seront fermées et restituées à leur ancien propriétaire. Comment peut-on parler d’investissement productif ? Aujourd’hui, dans les agences, nous en sommes réduits à poser du scotch sur les rideaux pour faire tenir le logo de CCF sur le logo de HSBC. Nous en sommes là.
On ne parle pas de la cession d’un simple fonds de commerce de proximité. On parle de l’avenir de 1 400 salariés et, au-delà, de celui d’une banque qui occupait une place centrale dans le système bancaire français du temps où elle appartenait à HSBC. La seule question à poser au directeur général de CCF est la suivante : quel est votre plan de développement ?
M. le rapporteur. Notre commission d’enquête examine l’action ou l’inaction des pouvoirs publics. Vous avez évoqué l’envoi d’un courrier à un ministre. Pouvez-vous nous communiquer le contenu et la date de ce courrier ?
Tous les éléments relatifs à vos échanges avec les pouvoirs publics, y compris les représentants du pouvoir exécutif, nous intéressent. Nous voulons connaître leur implication dans le dossier afin de les interroger sur les éléments qui leur auraient été communiqués par la direction et les démarches qu’ils auraient accompli pour préserver l’emploi et faire entendre la voix de l’intérêt général.
Mme Carole Cebe. Nous pourrons vous adresser ces éléments par écrit. Par ailleurs, nous avons rencontré plusieurs députés, sénateurs et ministres pour les alerter sur la situation actuelle. Nous avons alerté le ministère du travail sur le PSE et les RPS dans l’entreprise, mais aussi le ministère de l’économie, hier encore, sur les risques pesant sur la banque en cas d’inaction.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). J’ai été attentive aux questions posées par mes collègues et à vos réponses, qui sont extrêmement intéressantes. Vous êtes manifestement très impliqués dans votre métier. Vous avez parlé des difficultés auxquelles vous faites face. Quelles préconisations pouvez-vous faire pour garantir que les banques, et notamment les banques qui disposent d’agences partout sur le territoire, puissent survivre et être rentables ? Vous offrez un service essentiel pour la majorité de nos concitoyens. Je suis consciente que ma question peut sembler naïve, mais si nous n’essayons pas de tendre vers un idéal, aucun progrès n’est possible.
M. Éric Poyet. Votre question est très vaste et très pertinente à la fois. Les pouvoirs publics peuvent effectivement agir pour éviter la casse sociale à venir dans le milieu bancaire et la désertification bancaire dans les territoires, notamment les territoires ruraux. Il faut s’assurer que le type d’opérations dont nous avons été les victimes collatérales ne se reproduise pas ou, en tout cas, soit mieux encadré.
Nous avons sollicité l’avis de nos organismes de tutelle, mais n’avons obtenu en retour qu’un silence assourdissant. C’est là où le bât blesse. Nous vivons dans un monde régi par la loi de l’offre et de la demande. Au-delà de la sauvegarde des agences sur le territoire, il faut sauver les emplois. Pour cela, il faut permettre aux pouvoirs publics d’être plus intrusifs dans le monde de l’entreprise et donner plus de pouvoir de contrôle aux partenaires sociaux, sans adopter toutefois le modèle de cogestion en vigueur dans les pays scandinaves ou en Allemagne. En conjuguant nos efforts, nous pourrons réduire significativement l’incidence des décisions néfastes des entreprises, que supporte la collectivité.
Pourquoi la société devrait-elle supporter les risques parfois inconsidérés pris d’en haut par une poignée de décisionnaires à propos de projets qui ne tiennent pas la route ? En géométrie, plus on se dirige vers le haut d’une pyramide, moins on voit la base et, de tout en haut, on ne la voit plus du tout. Chacun doit avoir le sens des réalités. Nous devons, responsables politiques et partenaires sociaux, nous aider mutuellement, afin que les emplois soient protégés et que la prophétie d’Alain Minc et de Simon Nora ne se réalise pas.
Mme Frédérique Dupraz. Parmi les 87 agences du réseau qui vont fermer, certaines sont rentables. La direction n’a pas présenté la justification économique et financière derrière la fermeture de chaque agence. Des directeurs d’agence et des organisations syndicales sont d’ailleurs intervenus, dans certains territoires, pour que des agences qui sont rentables restent ouvertes. Il faut agir en amont pour ne pas fermer des agences rentables. Cette réflexion vaut pour les autres banques françaises qui ferment des agences économiquement rentables, dans le seul but de faire des économies d’échelle. Le problème est là.
Mme Carole Cebe. Je partage totalement ce point de vue. Certaines agences ne ferment qu’au nom de la recherche d’une rentabilité plus élevée. Les pouvoirs publics peuvent et doivent intervenir, dans la mesure où les banques exercent un rôle économique très important et perçoivent des aides. En contrepartie de l’octroi de ces aides, il faut poser des exigences. Au CCF, certains salariés s’impliquent fortement pour maintenir en vie les agences sur le territoire. Certains députés se sont aussi mobilisés et ont rencontré le directeur général de l’entreprise pour lui demander de préserver certaines agences rentables.
M. le président Denis Masséglia. Monsieur Poyet, vous demandez que les partenaires sociaux disposent d’un pouvoir de contrôle plus étendu sur les décisions de l’employeur, et je partage votre point de vue. Je souhaite que nous nous rapprochions du modèle scandinave ou allemand, fondé sur la cogestion. Je crois en l’intelligence collective, en l’implication de tous les acteurs dans le développement de l’entreprise et en la juste répartition de la richesse.
Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à dix heures cinquante-cinq.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Sophie-Laurence Roy